[Etat-Major] Quand un nom ancien s'agenouille | Krish

Barkios, an 13:XI
Etat-Major

Ils vinrent. Hautains, depuis leurs hautes statures, ils vinrent. Les Prima Sanguis. Dans la salle d'audience, le Grand Gobelin les attendit, en la seule présence de quelques gardes d'ébènes, répartis dans la salle, et de deux chiens-ours, couchés à ses pieds. Une convocation avait attiré les Prima. Attendue longtemps, et si peu à la fois. Qu'est-ce qu'une année pour des immortelles ? Bien peu de chose en réalité, tant que leurs cartes sont dans leurs mains. Quand, par contre, une importante leur est retirée, par l'autorité du triumvirat, c'est autre chose. Une année, où les Deäl'Honn ne purent franchir les portes des Chambres Magmatiques. Une année où les hautes instances s'y trouvant leur furent refuser. Une année où ils durent lutter pour garder contenance, malgré le manège de leurs messagers, porteurs de leur volonté amoindrie.

Passée la surprise de leur première visite, le Gris s'était davantage renseigné, tout en renvoyant les chauves-souris, dédaignant les visites de ces êtres, au Temple de Zhak'Bar. Une famille aux membres décimés par les récentes batailles. Une famille sur le déclin. De ce que lui avait susurré leur insolent rejeton, une famille bien trop heureuse de retrouver l'un de ses enfants égarés. Manipulation. Un mot si commun dans le langage drow, aux multiples synonymes... Dont le Gobelin n'était guère friand, dans ses variantes les plus hypocrites. C'était de cela dont il était question, du point de vue d'Urgoll'ven : les Deäl'Honn voulait lui 'offrir' leur nom illustre, en échange du pouvoir que cela leur apporterait que de le réclamer de leur sang... Voilà qui faisait monter un goût de bille dans la gorge du servant bestial.

Ils furent là. Deux êtres à l'arrogance, au savoir guerriers, et aux revendications antiques. Parés d'armures à la qualité indiscutable, la femelle et le mâle s'avancèrent. Un infime instant où ces figures altières, aux regards écarlates, défièrent du regard la mine grise et les mires sanglants du seul triumvir' présent... Avant de ployer, mettant un genoux à terre. Militaire. Quand ils se redressèrent, c'était comme s'ils n'avaient rien perdu de leur superbe, malgré leur déchéance. Le rictus du Gobelin fut sa seule réponse à leur geste.

"Triumvir Urgoll'Ven. salua le plus grand, d'un timbre riche et profond. Les Deäl'Honn vous saluent comme il sied.
- Car cela ne fut pas le cas, Lonvyyr Deäl'Honn. répondit sur un même ton, quoique d'une voix rauque.
- Non. Et la fautive en paya le prix."

Cela fut asséné, en un instant. Brute, et sans détour. Debout, jaugeant ces 'invités' à la stature s'approchant de la sienne, quoique plus félins que massifs dans leur puissance, le Gris ne put qu'être surpris. Agréablement, mais d'une manière qui ne lui plaisait pas. Cela n'était pas dans les coutumes des Prima que d'être aussi franc. De plus, le curieux reflet qu'il voyait se présenter à lui, dans l'apparence de ce sombre en armure, dont les rares morceaux de peau annonçait un sacré tableau de guerre, à l'épiderme encore bien sombre, lui déplaisait tout autant. Il y avait là un jeu qu'il croyait deviné. Un jeu qui l'agaçait déjà.

"Et...?" dit le Grand Gobelin, laconique.

Les mires rubis s'étrécirent. Nulles formules. Nulles bienséances. Le Gris ne respectait guère l'étiquette, quand elle ne lui donnait pas tout simplement envie d'arracher le visage de ses vis-à-vis, pour voir la vérité cachée derrière. Celle de la chair et des os. Là, ce qu'il voyait sur les masques altiers, c'était une fureur sourde, muselée par la demande qu'ils retenaient. Ce dont ils avaient besoin. La femelle prit alors la parole, d'une voix suave rappelant celle de Solenre. Un frisson remonta l'échine du Gobelin en entendant ce timbre. Trop de jeux de miroirs, c'en était agaçant. Ce sang si précieux aux Prima, qui semblait en faire des copies les uns des autres, dans le cas des Deäl'Honn. Magnifiques. Semblables.

"Il y a un an de cela, notre cadette, Solenre, se présenta à vous afin de vous faire part de certaines informations. Par la suite, elle eut un comportement déplacé à votre égard, ainsi qu'envers la triumvir X'Ianxin et la triumvir Al'Serath.
- Elle m'attaqua. Manqua de respect à l'ensemble du triumvirat. répondit Urgoll'Ven, avec une douceur dérangeante, trompeuse.
- ... Oui. Cela à l'insu des siens. Elle ne devait qu'être messagère.
- Qu'avez-vous à répondre, pour ses actes ?"

Les mires rouges cherchèrent alors celle du Gobelin, et il n'aima pas ce qu'il y lut.

"Inacceptables. tonna Lonvyyr. Soudain, il plaqua son poing contre son torse. D'un mouvement de tête, Urgoll'Ven accepta qu'il continue, ce que le Deäl'Honn fit, non sans une certaine crispation dans le visage. Une piètre messagère, dont l'annonce n'était pas moins véridique. Triumvir Urgoll'Ven, vous êtes le fruit d'une union entre Prima Sanguis. Entre notre tante, Umrae... Ainsi qu'un autre Prima, que Teiweon le jette dans les P'leik, pour avoir violer votre mère.
- Je ne vous ai pas convoqués pour entendre votre fable.
- Ce n'en est pas une. Entendez...
- Non."

Le drow gris s'avance à pas mesuré, les chiens-ours sur ses talons, ses mires sanguines dans l'ombre, alors qu'il dévisage avec hostilité les deux Prima Sanguis.

"Peu m'importe. Le message fut transmis, et je n'en ai cure. De cet entrevue ne dépend que votre droit à aller à nouveau honorer le Destructeur et la Voilée, au sein de la Chambre Magmatique. Continuez ainsi et il n'en sera rien. Vos prétentions mourront avec votre droit d'accès à ces lieux sacrés." dit-il bas, affreusement calme.

Un instant où le regard des deux grands drows s'affrontent. L'un aussi pur que les canons eldéens, l'autre sanguin d'une usure prématurée. Avant qu'Urgoll'Ven n'ait pu frapper, la femelle Deäl'Honn frappe son semblable dans le dos, qui tressaille et baisse la tête.

"En ce cas... Permettez que nous vous offrions un cadeau... Pour racheter une erreur passée." souffla Lonvyyr.

Du talon, il frappa plusieurs fois le sol. Rentra alors dans la salle une énième Deäl'Honn, à la démarche aussi altière que ses semblables... Qui tenait la chaîne d'une haute silhouette recouverte d'une cape ample. Le Gobelin l'observa s'avancer sans un mot. Puis elle tira sur la grande pièce de tissu... Et le regard sanguin s'étrécit face au spectacle dévoilé. Celui d'un corps, pieds nus, à peine vêtu d'une pièce de tissu clair, qui ne cachait guère la toile de cicatrices et de plaies, plus ou moins anciennes ou récentes, sur le corps de la Prima Sanguis. Car c'en était une : Solenre Deäl'Honn. Le regard écarlate se planta dans celui-du Gobelin, furieux.

"Salutations... Grand-frère." susurra-t-elle.

La réaction fut immédiate : toute la raideur digne des Deäl'Honn se relâcha dans un coup, un seul, puissant, qui vint faire plier la sombre au corps déjà marqué, avec un cri muet. Presque aussitôt, Lonvyyr se tourna à nouveau vers Urgoll'Ven, la crispation entre ses deux yeux s'évanouissant au profit d'un regard de braise, concentré sur le triumvir, que ce dernier lui rendit, les chiens-ours soudain aux aguets près de lui, observant les Prima.

"Une Deäl'Honn... gronda le Triumvir.
- Tel fut son prix. lâcha avec un mépris, à peine dissimulé, le Deäl'Honn. Elle ne l'est plus. Rien de plus qu'une esclave, pour le triumvirat qu'elle a offensé."

◘ ◘ ◘ ◘ ◘

Pour l'offense, la vie de l'insolente fut offerte en paiement. Elle qui s'était montrée indigne de ce nom, elle en fut privée. 'Bannie'. C'est ainsi que s'expliquèrent les Deäl'Honn encore 'dignes', avant que la discussion ne délaisse enfin les questions de sang, pour ne plus évoquer que leur accès à la Chambre Magmatique. Au vue de 'l'offrande' faite, la question fut cependant réglée, en bien, pour eux, et ils s'en allèrent sans un regard pour leur semblable. La chaîne, rivée au collier de cette dernière, reposait dans la poigne du Gris, ses mires sanglantes détaillant son faciès, frémissant de fureur. Telle une bête aux aboies. Triste état pour une ex-Prima que finir ainsi, le corps marquée de multiple punition corporelle, livré à... Quelqu'un qu'elle avait offensé. La tête haute, sa crinière défaite et hirsute encadrant un regard de défi, Solenre amena le Gobelin à... Douter. Pourquoi pas.

Prenant vie après un temps d'observation, le grand sombre quitta la grande salle, les chien-ours sur ses talons, chaîne en main. Rapidement, il se rendit compte que l'esclave marchait presque à ses côtés. Alors, saisissant la chaine plus près de son cou, il la jeta au sol, avant de reprendre sa marche. Quand il l'entendit à nouveau marcher derrière-lui, c'était deux pas derrière, cernée par les canidés. Un coup d’œil, et il le constata : toujours la tête haute. Il eut un rictus.

Passant sans un mot devant les multiples gardes qui gardaient le bâtiment, d'une démarche bien trop vive pour être tranquille, il atteignit rapidement les portes du bureau de Krish. Là, il prit le temps de saluer d'un hochement de tête les gardiens... Avant de frapper sur le battant. Et d'entrer. Avec un mouvement sec, il attira l'esclave à l'intérieur, manquant la faire trébucher.

"Krish. salua-t-il d'une voix, d'une manière surprenante, posée. Cette esclave t'a offensée, quand elle portait un autre nom. Te sens-tu toujours offensée ?"

L'intéressée s'était rapidement redressée, les observant tour à tour avec un visage fermé. Pour sa part, derrière la question raide du Gobelin, il y en avait une autre : qu'en penses-tu ?

Sans doute Urgoll'Ven avait-il prit le " Quoi ? " un peu faiblard comme une invitation à entrer. Où peut-être que Jallyss, masqué d'argent, et son comparse de la garde d'ébène, avaient un peu trop bien saisit le concept d'obéissance envers les triumvir... Ce qui était un excellent point la plupart du temps. Et venant de Jallyss, il y avait aussi la possibilité qu'il s'amuse par avance de la scène qui pouvait suivre.

Dans tous les cas, le résultat était le même. Urgoll poussa la porte sans vraiment regarder, faisant sursauter celle qu'il venait voir, et tira l'esclave à l'intérieur. Il referma d'un mouvement sec et lorsqu'il se tourna vers sa consœur... Il put enfin s'apercevoir qu'elle n'était pas seule.

Elle le regardait, mi agacé, mi attentive, depuis le sofa qui présentait son flanc à la porte, à droite de la petite pièce. Un homme était assit au centre de la banquette. Son torse nu, couturé de cicatrice, son visage rugueux et ses cheveux d'argent lâchement tressés le désignaient comme un vétéran, bien qu'il ne soit pas particulièrement âgé. Près de lui, une longue épée gisait sous un ceinturon d'arme, plusieurs couteaux, une tunique noire, une veste de cuir renforcée de maille et un plastron en acier noir marqué des armes de la Garde d'Ebène...

... Et c'était à califourchon sur ses genoux, les mains lascivement posées sur lui, que se tenait la triumvir.

Le peignoir de soie rouge qu'elle portait souvent était encore sur ses épaules, mais il était clair, qu'elle venait de cacher son buste et les marques passionnelles à peine visibles sur son cou de geai ne mentaient pas sur leur activité du moment.

- Urgoll. " répondit-elle à la salutation paisible de son confrère, légèrement essoufflée. Avisant la femme enchainé près de lui, elle leva un sourcil. Le garde sous elle ne savait plus ou se mettre. On aurait pu croire que sa torture aurait été moins grande à partir du moment où la triumvir se serait levé pour réajuster la soie rouge qui nimbait sa silhouette, mais c'était sans compter sur la protubérance luxurieuse qu'il avait du mal à cacher. Jamais soldat au garde à vous ne réussit aussi vite à se rhabiller sans se lever...

Ayant fait les deux pas nécessaires à se rapprocher de ses hôtes tout en dégageant sa crinière blanche de son col, Krish soutint un moment le regard d'Urgoll. Pas le troublée le moins du monde d'avoir été surprise en train de fraterniser, elle semblait plutôt... interrogative. Elle sentait bien que cela représentait quelque chose d'important, et Urgoll n'aurait pas pris la peine de venir la voir pour un simple problème d'esclave, mais elle avait du mal à remettre la femme qu'il tenait en laisse.

Elle prit pourtant le temps de la détailler. Dans son dos, les cliquetis de l'armure de l'homme faisait légèrement remuer son oreille pointue tandis que ses yeux semblaient parfaitement concentrés sur l'esclave.

- Dans le doute, je répondrais oui. Mais c'est qui... ? " finit-elle par demander en se tournant à nouveau vers le colosse grisonnant, imitant sa façon de parler de cette femme sans s'adresser à elle.

Les mires sanglantes demeurèrent indéchiffrables, avisant la triumvir puis le soldat. Urgoll'Ven attendit patiemment que Krish se rendit disponible, l'observant approcher alors que sa poigne se crispait légèrement sur la chaîne de l'esclave... Dont la mine dédaigneuse se fit furieuse, avant de se retrancher derrière un masque de colère.

"Solenre Deäl'Honn, ô tri' -" commença-t-elle à dire.

Cependant, la pointe de morgue de son ton périt avec son souffle, alors qu'un battoir se refermait sur sa gorge. Se tournant légèrement pour assurer sa prise, son autre bras relâchant la chaîne si inutile présentement, le Gobelin soupira, en un son lourd, ses paupières s'abaissant un temps sur le sang agité de ses yeux. Si la Prima bannie avait d'abord eut le réflexe de porter les mains à celles qui l'étranglaient, elle n'en fit finalement rien, défiant les deux triumvr' d'un regard saisissant, la mâchoire verrouillée, le visage fermé, malgré sa gorge écrasée. Urgoll'Ven rouvrit les yeux, toute la tension de son corps semblant s'être concentrée dans sa poigne écrasante. Renvoyant le garde d'un mot, il baissa ensuite la tête vers Krish.

"Elle fut Solenre Deäl'Honn. J'ai convoqué les siens aujourd'hui. Ils sont venus. M'ont tenu la même histoire... Avant de la déprécier elle. Finalement, ils laissèrent cette esclave en paiement pour l'outrage commis, afin de retrouver l'accès à la Chambre Magmatique. Un léger éclat d'amusement naquit dans ses sphère intégralement rouges. Te souviens-tu ?"

Le corps tendu, l'esclave n'avait pas laissé échappé une plainte, malgré le changement léger de la teinte de son visage, de l'obscurité de ses lèvres, du blanc de ses yeux... Mais soudain, ses mains se portèrent aux battoirs qui l'étranglaient. Cela suffit, et le Gobelin, jusque-là fixe, s'anima en une démonstration de courroux expéditive. La masse de son bras s'agita, sa main se crispant sur la gorge prisonnière. Avec un grondement, il a jeta violemment au sol, la faisant tomber de toute sa hauteur, tête la première. La masse de la crinière hirsute amortit le coup, mais si peu. Avec un hoquet, la daedhel s'affala, inerte. Ouvrant et fermant le poing, le Gobelin l'observa, aux aguets.

"...Esclave... Elle ?" grommela-t-il, sombre, d'une voix au calme glaçant.

Krish eut un sourire en coin lorsque le garde sortit d'une démarche raide puis se concentra sur son duo d'invité. L'un de ses sourcils se leva lorsque le fameux jour lui revint à l'esprit...

- Oh... " Pas franchement un de ses souvenirs favoris et cela se lisait aisément sur son visage. " Oui. Je me souviens oui. " Puis, histoire de faire contre mauvaise fortune bon cœur, elle ajouta avec un sourire de chat ayant trouvé une joli pelote de laine " Pardonne moi d'être lente à la détente. Chez certains je casse les pieds. Chez d'autres c'est les couilles. A force j'ai du mal à m'y retrouver. " Elle semblait s'adresser à moitié à la femme mais c'était bien au colosse que le bon mot était destiné. Certaines choses méritaient de rester dans les mémoires.

Malgré son air chafouin, elle se décidait à poser une question sensé lorsque la pseudo esclave leva les main... et termina d'un coup la tête contre le planché. Krish n'avait pas bougé plus que la tête, regardant le sol avec une moue exagérée... Mais elle s'assit un moment sur ses talons pour vérifier qu'elle ne s'était pas rompu le cou et que son cœur battait toujours. Parfait. Elle était vivante.

- Au moins, c'était pas ma tête. " laissa-t-elle tomber de bonne grâce comme un point final à une bonne blague.

Lorsque ses yeux revinrent se poser sur le Prêtre Grognon tandis qu'elle se remettait sur pieds, et malgré son rictus persistant, elle croisa les bras de façon un peu plus sérieuse - faisant au passage ressortir le galbe de son orgueilleuse poitrine noire sous la soie rouge.

- Faudra que je pense à cette technique. C'est assez efficace contre l'espionnage j'ai l'impression... Bon. Nous disions donc : les prima nous offre l'une des leurs en esclavage pour montrer à quel point ils désavouent son comportement. " Elle posa une nouvelle fois le regard sur le profile de la prima aux cheveux légèrement rougis à présent avant de tourner les talons, faisant signe à Urgoll de venir s'asseoir. De toute façon, la Prima n'irait plus bien loin à présent. " Et je suppose que tu voudrais la garder pour t'amuser un peu ? ... Je te sers quelque chose ? "

A la pique de la sombre, une grimace n'ayant rien à voir avec quelque jouissance furieuse naquit, un bref instant, sur le faciès déjà frémissant de contrariété du drow. Une fois qu'elle eut saisi la situation, il détourna le regard de l'inconsciente.

"Non. gronda sa voix de basse. Ce que je veux..."

Si ses mots n'allèrent pas plus loin, son corps le fit à leur place. Les mires sanglantes se plantèrent sur le corps à ses pieds, son visage à l'impassibilité criante de fausseté, alors que son poing se fermait et s'ouvrait, encore et encore, plus lentement, plus tendu, plus retenu... A s'en faire blanchir ses phalanges déjà grises. Le souffle du Géant s'était même suspendu, contracté qu'il était, figé sur ses appuis. Pulvériser quelque chose ou rugir à en rendre l'autre triumvir' sourde, difficile de dire qu'elle allait être sa prochaine action.

Ce fut un profond soupir. Son battoir se referma une bonne fois, et sa masse prit vie, après un intense frémissement.

"L'avis d'une consœur. Voilà ce que je suis venu chercher." Un rictus d'amusement, encore crispé, parvint à naître sur son visage taillé au burin.

Son expression se teinta de concentration alors que, de plusieurs gestes successifs du poignet, il modelait le sol, en retirant une lamelle de pierre qui vint comme envelopper la tête de la drow inconsciente, tel un masque grossier, fusionné avec le sol-même sur lequel elle reposait. S'étant ainsi assuré de son immobilité, il se tourna vers Krish, et parla. Ou du moins, fit mine de, avant de se renfrogner.

"Ce que tu as de plus fort. A boire." fit-il.

Après quoi il prit la direction du sofa que la triumvir' et son précédent invité occupaient précédemment, et y prit place sans plus de cérémonie, jambe écarté, maints jointes, penché en avant. Si son regard fut fixe un instant, il se braqua ensuite sur la drow encore debout. Il y avait du feu dans ses yeux sanglants.

"Consumer la demeure des Deäl'Hönn jusqu'à la dernière pierre, le dernier esclave. Après leur avoir envoyé les restes de leur bannie. Voilà l'un de mes souhaits chers. Cependant... Leur histoire d'enfant perdu ne m'amusa pas la première fois, ni la seconde, je n'en ai pas moins entendu ce qu'ils disaient, du soutien qu'ils promettaient. Ce sont des guerriers. D'excellents. Le brasier s'était rapidement évanoui de ses mires alors que le dialogue prenait le pas sur le reste, et qu'il ouvrait les mains, en signe d'interrogation. Son sourire n'avait rien de jovial. Et puis... Une Prima fait une erreur. Son sang est puni. Elle est bannie. Son sang retrouve ses droits... Un bien grand sacrifice pour cette lignée mourante. S'ils étaient aussi stupides, ils devraient être morts il y a des cycles."

A la demande de son confrère, Krish délaissa la desserte et poussa jusqu'à l'armoire du fond pour en sortir une fine et longue bouteille de verre turquoise aux arabesques tarabiscotés et deux verre en argent ridiculement petits. Elle amena le tout sur la table basse qui bordait le sofa, et servis deux shots en attendant que son confrère s'installe. Il n'avait pas l'air à son aise avec cette histoire... Si elle pensait que la question de sa naissance lui était passé, il était visible que toute cette histoire le travaillait. Que ce soit d'un point de vue personnel ou seulement politique, la question avait le mérite de se poser.

Les deux coupettes au creux d'une seule paume, elle referma le bouchon de liège et s'assit près du géant, une jambe repliée sous elle, un bras appuyé sur le dossier pour être véritablement tournée vers le profil d'Urgoll'Ven. Tout en l'écoutant attentivement, elle lui tendit les deux verres, le laissant choisir celui qu'il voudrait, ou même mélanger les deux s'il le souhaitait.

- Nous sommes d'accord, c'est suspect. Mais l'important est d'envisager les possibilités nous concernant si tu veux mon avis. Actuellement, en tant que famille, ils ne peuvent rien contre nous. Le seul danger potentiel vient d'elle. " Elle désigna vaguement la loque prisonnière du sol avant d'avaler cul sec les deux gorgées que contenaient son verre. L'alcool proche de l'éthanol pur, mais avec un fort gout pimenté, lui brûla les lèvres, la langue, le gosier et émana d'une douce chaleur dans son estomac. Un brusque mouvement de tête chassa les larmes qui lui montaient mécaniquement aux yeux et elle pris une grande inspiration en faisant claquer le petit récipient d'argent sur la table basse. " Qu'aujourd'hui, les siens soient sincères ou non dans leur idée de la réduire en esclavage, on s'en fout. L'important c'est elle. Les primas sont fiers et ils n'oublient pas les outrages. Ils en font des piles et ils les recomptent aussi scrupuleusement que Kahveka compte les dettes que les puissants accumulent avec lui. Vu le comportement de celle là, il est clair qu'elle n'a pas été dressé, ce qui la rend d'autant plus imprévisible. Et plus tu la contraindra par la douleur, plus elle résistera. Plus tu dégradera sa fierté, plus elle aura envie de se venger. Elle sait se battre, et si je suis ce que tu dis, elle est même douée. Du coup, la garder près de toi est un danger constant. Elle attendra le bon moment pour te sauter à la gorge. Soit pour te tuer, soit pour te rallier à sa cause... Cela étant dit, ils t'ont promis quel genre de soutien ? "

De même, le Gobelin avala cul-sec le breuvage. Un infime instant, ses sens se focalisèrent sur le feu qui lui envahit la bouche, dévala sa gorge, avant de se noyer plus bas... Laisser une appréciable chaleur se répandre dans ses tripes crispées. Un instant si court, au milieu de cette farce qui durait bien plus que de raison. Baissant la tête, gardant le minuscule récipient dans son poing, Urgoll'Ven écouta les propos de l'aînée des triumvirat non sans un rictus. Difficile à dire s'il était amusé ou agacé. A vrai dire, il n'était que crocs.

"Ce qu'un Prima peut attendre des siens." répondit-il gravement.

Ses mires sanguines s'égarent du côté de la bannie, encore immobile. Sans y prêter attention, il se mit à faire rouler le verre en argent dans le creux de son poing, ses doigts en paraissant d'autant plus massifs, mais pas complètement dénués de souplesse. Sans trop y prêter attention, il attira un filet de magie par ce simple geste. Une activité ridicule, mais qui l'aida à prendre du recul, apaisant légèrement l'expression de son faciès.

"Les Daël'Hönn sont présents au sein du culte du Destructeur... Ils ont essuyé des pertes au sein du second Ost. Par contre, ils sont encore bien représentés au sein du troisième. Présents. Respectés. Puissants. L'accalmie ne dura guère, les crocs, de nouveau, furent plus visibles. Les mires sanguines se posèrent de nouveau sur Krish, avec un soupçon de révérence amusée. Le 'charme' de leur nom, auprès des autres familles Prima Sanguis. Comme quoi le fait qu'une Prima ait été tuée est restée en travers de la gorge de certains. Même au cours d'une ordalie. Même par le Feu d'Uriz. Le Gobelin fit une grimace, comme ayant un mauvais goût en bouche. Pour ce que leur 'loyauté' vaut..."

Il se tut, proposa à Krish de la servir pour ensuite se servir à son tour... Pour se rendre compte que le petit verre d'argent s'était faite sphère, sous l'effet de son poing chauffé par la magie. Regardant un temps la nouvelle forme d'argent avec un intérêt évoquant bizarrement celui d'un enfant, le Géant adressa ensuite une grimace presque penaude à la propriétaire du feu verre, désormais sphère, puis la déposa posément sur la table.

"Je ne vois pas d'autre utilité à leur esclave que de mourir pour mon bon plaisir... Cela dit comme une platitude, sans grande conviction. Ce qui serait un gâchis. Nous avons besoin de guerriers."

Les dernières années avaient été couteuses, que ce soit par les conflits comme les purges nécessaires au renouveau du Puy. Cela les avait mener à affranchir des immortelles jugés 'innocents' des erreurs de leur ascendance... Sans que cela ne suffise. Il faudrait des années avant que cela n'ait le moindre impact sur leur puissance militaire. Et aussi bannie soit-elle, la sombre étendue au sol n'en avait pas moins des siècles d'expériences.

- Rectification. " Elle se pencha avec un sourire amusé pour récupérer la sphère d'argent encore légèrement cabossée, nullement ennuyé de voir ce que son verre était devenu, et l'envoya valser dans les airs avant de le rattraper comme une balle de jonglage. " Nous avons besoin de guerriers fiables. "

Et là était l'important. Les yeux de Krish cherchèrent ceux du guerrier avec attention. Il était rare qu'ils échangent ainsi sans tension ni urgence. Certes, il y avait une femme à l'agonie à deux pas d'eux qui bloquait la porte d'entrée, mais c'était véritablement tranquille pour un entretien avec le prêtre de Zhak'Bar.

- Mais j'ai un doute. Tu dis qu'ils t'ont promis ça, si tu reconnaissais leur lignée ? Donc je me trompe où ça n'a rien a voir avec la vie ou la mort de cette garce là ? " Un sourire sournois s'étendait peu à peu alors que mille et uns scenarii s'écrivaient dans l'esprit de l'eldéenne. La sphère d'argent re bondit encore deux fois sur sa paume, puis elle la lança en cloche pour qu'Urgoll la rattrape. " S'ils tiennent à jouer à ce jeu et que tu n'en es pas lassé, il y a quelque chose de tout bête à faire : exige de connaitre le nom et la famille de l'homme qui a violé ta soit-disant mère. Ils ont prononcer un mensonge dangereux qui peut grandement diviser les primas si leur nom est encore respecté comme tu le dis. Et toi, ça te permettra de faire planer le doute sur la famille que tu pourrais reconnaitre et de les obliger à concurrencer de faveur à ton endroit... Mais il faut que tu aies la patience de jouer, sinon tu va t'emmerder comme un rat mort et finir par tous les découper à la hache... Et dans ce cas, mieux vaut prendre une décisions tout de suite, concernant ton nom et concernant cette fille. "

Tout naturellement, le large battoir se referma sur la petite sphère d'argent. A l'inverse de la première fois, il la fit bien rouler à nouveau dans sa main mais en conservant les doigts déployés, l'y faisant rouler du pouce, dans un escaliers mouvant et changeant. A l'écoute de la sombre, il en écouta les sombres dérives avec un sourire en coin naissant. Quand elle eut conclut, le Géant secoua la tête en ricanant.

"A croire que je devrais prier Tesso plus souvent... Mais un cycle ne suffirait pas à me donner le goût pour pareille manipulation, je le crains. gronda-t-il, seulement à moitié amusé. Puis, il demeura pensif quelques instants, la bille roulant encore. Quand il parla, ce fut d'une voix profonde et pourtant étrangement légère. Mon nom fut toujours mien, à moi seul. Dans la victoire comme la défaite, le plaisir comme la douleur. Le temps, les actes... Cela a plus de consistance qu'un lien de sang nébuleux, ignoré des siècles durant. Quant à elle... Ses mires sanglantes dérivèrent du côté de la sombre étendue. S'il t'es plaisant de faire un sort à ses pieds, je te la laisse. Sinon... Je ferai en sorte qu'elle ne soit plus une menace pour quiconque."

Disant cela, sa voix s'était fait plus sèche, ses lippes se relevant davantage sur les derniers mots, dévoilant davantage sa dentition atypique. Puis, brusquement, il pencha la tête en fronçant les sourcils, reportant son regard sur Krish.

"Je préfère les couteaux. Plus mobiles. Pratiques pour changer brusquement d'angle d'attaque, prendre par surprise. Il tourna la tête. Et je crois bien avoir oublié mes bêtes dans la salle. Bon."

Jetant à son tour la bille en cloche à l'attention de Krish, le Gris fit ensuite jouer les muscles de ses épaules, se redressant, comme si un poids avait été retiré de ses épaules. Retournant auprès de l'esclave, il en retira le masque de pierre... Et découvrit un regard furieux. Depuis quand ?

"En veux-tu ?" demanda-t-il, doucereux, sans même se retourner.

Au moins c'était clair. Elle ne risquait pas trop de s'en sortir avec un maitre comme lui. Si elle devait parié après le sourire pointu que lui offrit Urgoll, Krish ne lui aurait pas donné plus qu'une ennéade à vivre... Alors quand le grand homme lui proposa d'en profiter, elle se leva, attrapa la bouteille de Shyk'na qui reposait sur la desserte et qu'elle avait dédaigné un peu plus tôt pour une liqueur réellement forte, et s'approcha du maître et de sa gentille fifille avec un sourire retors.

- En fait, j'aimerai bien garder d'elle une image qui lui corresponde. Elle ressemble vraiment à sa grand mère... " ronronna-t-elle en débouchant la carafe, s'approchant sans crainte de l'ombre du géant. " Si tu veux bien lui enlever ces guenilles... " Elle désigna d'un revers de main la chemise informe que portait la belle et profita de ce que le Haut-Prêtre curieux profitait de son invitation pour s'envoyer une gorgée de breuvage.

Nue, toujours aussi farouche malgré les efforts qu'elle faisait pour se contrôler, l'ancienne prima devait avoir bien du mal à ne pas rendre tripes et boyaux vu l'hématome qu'elle avait sur le coin du crâne. Non que ça change quoi que ce soit à l'idée purement sadique de l'eldéenne soit disant impur qui se tenait devant la descendante d'un si noble sang...

Avec un sourire débordant d'une satisfaction mauvaise, Krish inclina la carafe remplit du sang mêlé à l'alcool jusqu'à ce que l'épais liquide rouge se renverse en un long filet. Le clapotis de la boisson sur cette portion du sol de pierre où tous les gardes et tous les esclaves se présentaient avant de tourner les talons la fit d'autant plus sourire.

Lorsque la carafe fut vide, elle la referma d'un mouvement agile, alla la reposer sur la desserte et s'installa jambe croisées sur le bout de la table basse. Les yeux de la Triumvir vrillés dans ceux de la Prima, elle eu un sourire sadique comme rarement Urgoll ne l'avait sûrement jamais vu.

- Qu'est-ce que tu attends ? Lape. Je veux que mon sol doit être absolument impeccable et ton maître risque de s'impatienter. "

Comme elle l'avait dit, pour cette engeance, la violence, aussi brutale soit-elle, n'était qu'un prétexte de plus à résister et à prouver sa valeur. Non... L'humiliation était ailleurs.

La sphère d'argent était retombée dans l'indifférence générale, jouet à l'éclat déjà oublié. A la demande de Krish, le Gobelin donna suite, après un instant, curieux de ses intentions. L'esclave, au derme plus pâle qu'avant sa chute, se cambra sous la violence de la poigne qui la souleva à moitié, pour mieux arracher ce qui lui restait de vêtement. Retombant tout aussi violemment, elle eut une respiration sifflante... Se relevant pour voir le liquide s'écouler, extension du rouge des yeux du Feu. Ainsi prostrée, la tête relevée, la Prima révélait les landes de son dos et de sa croupe, finement ciselée par sa musculature, quoi qu’amaigrie...

Avec un air de défi, la Solenre se redressa. Lentement, presque fébrilement, mais elle se remit sur son séant, écoutant l'ordre de la triumvir la tête haute, seulement vêtue de sa féminin pleine et puissante, de son collier d'esclave... Et du tableau de sa peau parcourue de cicatrices. Certaines criant les sévices subis depuis sa déchéance au sein des siens, davantage clamant encore ce qu'affirmait la force de son physique : elle était une guerrière. Ses blessures n'étaient qu'ode envers cet art. Même ainsi réduite, elle les arborait avec une fierté orgueilleuse, ses mires écarlates rendant clairement son regard à la triumvir.

S'étant placé en retrait, le Géant observait. Face au spectacle ainsi offert ses paupières s'étrécirent, tandis que ses phalanges blanchirent face au défi. Encore. A présent que sa décision était prise, il lui tardait que d'offrir cette chair à Ses crocs. La proposer en divertissement à l'aînée des triumvir' revenait plutôt à de la politesse qu'à la volonté qu'elle se l'approprie réellement. Ceci... Il comptait la briser. L'affamer. L'épuiser. Détruire son corps de bien des manières... La Prima préfèrerait périr la tête haute. Même esclave, elle s'y tenait.

"Tu connais l'une de ses ancêtres ?" demanda Urgoll'Ven, la voix grave, avec un coup d'oeil pour Krish.

Le face à face durait, et le Gobelin s'agaçait. Tout en disant cela, il avait fait un pas vers l'esclave entêtée... Quand les mires sanglantes revinrent vers cette dernière, il crut croiser les siens. Sans en être sûr. Son visage se crispa encore plus. Il allait la... Il fut aux premières loges pour la voir ployer.

"Si telle est votre volonté, Triumvir'." fut-il soufflé avec langueur, d'une voix de velours.

Alors, le corps supplicié et charnus de la Prima s'inclina, avec une lenteur tentatrice, frissonnante, confrontant à la vue du mâle la chute de ses reins, et à la dominatrice, la vallée que formaient ses charmes, qui vinrent caresser le sol tant de fois foulés du pied. Cela ne fut pas fait avec retenue ni hésitation, mais avec une maîtrise pleine et entière, dans les gestes comme la posture. Presque solennelle, la Prima se mit à... Lécher, ses bras s'étirant comme dans la plus intime des prière à Isten. Tout cela, sans que le regard de la Solenre ne quitte jamais tout à fait celui de Krish. Dans les jeunes yeux, brûlaient des feux vifs. Brûlant. Douleur et haine imprégnant une flamme renaissante.

De cela, le Haut-Prêtre de Zhak'Bar n'avait aucune vue. Son regard ne portait que sur le grand dos lisse ployant, roulant devant lui, en une danse par certains aspects bien trop familière. Le faciès du sombre s'était figé en un masque de surprise... Nuancé d'autres émotions bien plus violentes, viscérales et primaires. Bannie. Esclave. Et maintenant... Ça. S'arrachant à cette vue, Urgoll'Ven s'éloigna à pas contrôlés, se rapprochant de la table où Krish était assise. Saisissant le verre qu'elle avait laissé et la première bouteille attaquée, il s'en servit un troisième verre. Et but. Secoua la tête, non sans un rictus.

"Dégénérée..." dit-il, d'une voix basse et grondante.

- Au sens Istenien du terme, oui, je l'ai connue. Et cette radasse est plus utile morte que vive. " répondit simplement Krish sans détourner les yeux de la jeune femme au sol, un sourire félin sur les lèvres. Ô, elle pouvait y mettre tout le panache qu'elle voulait, ce n'était qu'un avant goût de ce qu'Urgoll ne manquerait pas de lui faire subir... S'il résistait à ses charmes. Il faudrait qu'elle garde cette histoire à l’œil.

- Allons Urgoll, ne soit pas si définitif, je crois que ta petite sœur t'aime bien. " ricana Krish, la moquerie clairement tournée vers l'esclave qu'elle lâcha sciemment des yeux pour la laisser continuer sa tâche répugnante dans le désintérêt le plus total. Se tournant plus franchement vers Urgoll, elle rajusta son peignoir de soie et tendit la main pour partager un verre de façon ne pouvait plus littérale.

- Enfin si elle est comme son aïeule, je te déconseille d'en approcher le moindre morceau sensible. Si tu veux tout savoir, cette garce était une tarée de Kiel. Elle m'a laissé pour morte quand j'étais novice au temple d'Isten. "

Assise, et juste à côté du colosse, elle lui arrivait à peine à la taille. Vraiment... Ses comparses du Triumvirat ne lui facilitaient pas les choses...

Aucun verre ne lui fut tendu en retour car, par la grande main, le métal tendre avait été broyé. La plaisanterie puis l'anecdote tranquillement partagée n'eurent pas pour effet de le détendre, bien au contraire. Le regard qui se tourna vers la triumvirat était trop creux, trop fixe, trop abyssal... Au même titre que l'expression plaqué sur le faciès pâle du Géant. Par certains côtés, il semblait être l'écho' de celui qui l'avait habité alors que, des années plus tôt, il cédait à ses instincts et faisait sienne, pour la première fois, la plus jeune du triumvirat... Tout en appelant l'aînée des yeux. Il y avait dans ces mires l'ombre de gouffre sanglant, qui semblait naître de la disparition de l'esprit, à la faveur de quelque chose de bien moins... Raisonnable.

Brusquement, Urgoll'Ven cligna des paupières. Cet instant suspendu passa. Les lippes grises se rivèrent alors au goulot de la bouteille d'alcool fort, et le daedhel s'en paya une franche rasade. Un grognement lui remonta des entrailles alors qu'il s'arrachait au baiser du liquide brûlant. Secouant la tête comme une bête chassant des insectes indésirables, le grand sombre ricana. Relâchant le second verre, broyé, il baissa la tête vers sa consœur, lui tendant la bouteille, avec un air sombrement amusé.

"L'appeler elle ma soeur, c'est me nommer moi son frère... Et faire mienne ses tares de sang. gronda-t-il, détachant chaque mot, avec délicatesse, avec un ton curieusement sombre et joueur. Cette perspective en tête... Ne serait-ce pas un meilleur conseil que d'encourager notre étreinte ? La Mère de la Douleur... Et la Belle Dame l'apprécieraient peut-être."

Se tournant à nouveau vers l'esclave, le Gobelin la découvrit non plus exécutant la volonté de Krish avec largesse mais à genoux, l'observant, comme indécise... Le liquide carmin répandu sur le bas de son visage en cœur, le long de sa gorge subliment tracé, coulant au cœur de sa vallée charmante, dont les mont mêmes, érigés, étaient faussement sanglants. Le rictus qui naquit sur le faciès d'Urgoll'Ven ne pouvait être plus explicite, ni la manière dont ses mires se nourrirent du moindre détails de cette chair offerte. A cette vue, la Prima bannie sourit... Et le Gris lui sourit en retour.

"Mais je ne suis pas ton frère, tuain't dalhar*." dit-il tranquillement.

Le temps que Solenre saisisse, et le massif poignet s'était à nouveau courbé en plusieurs sens. Attirée puis relâchée, la magie fit son office... Et tout liquide répandu sur sa peau et le sol s’éleva, délaissant le rouge derrière lui, pour se précipiter à sa bouche. Avec un sursaut, l'esclave porta la main à son visage, sans pouvoir rien pouvoir empêcher, son torse tressautant bientôt sous l'effet de hoquets réflexes... Vaines tentatives pour faire passer un peu d'air à travers la barrière du liquide logé dans sa trachée. Concentré, le Gobelin poursuivit ses gestes, évoquant parfois de simples échauffements, tandis que la sombre, sous ses yeux, sous son emprise, suffoquait.

"Non. Je ne le suis pas." dans le timbre d'Urgoll'Ven, ne restait aucune nuance joueuse, seulement... De la lassitude.

Ses gestes s'interrompirent. Dans les secondes qui suivirent, Solenre s'arc-bouta avec une brusque inspiration, sifflant et immonde, son visage ayant même parvenu à rosir. Regardant avec un intérêt las sa semblable redécouvrir le plaisir simple d'être capable de respirer, le Gobelin jeta un coup d'oeil au Feu d'Uriz.

"Novice d'Isten... Maîtresse des Forges... Chef des Repentis... Feu d'Uriz... Et bien d'autres existences encore. Il pencha la tête un instant, songeur. As-tu finalement trouvé ta voie, Krish ?"

Traduction:

Un frisson remonta le long du dos de la Triumvir lorsque son confrère se tourna doucement vers elle sans lui tendre le verre. Son regard se fit tout de suite plus aiguë, son corps se tendit, prête à bondir pour rendre les coups. Fixe. Profond. Sauvage. Ses mires sanglantes lui rappelaient un souvenir puissant. Souvenir dont la présence de l'esclave ne rendait la bestialité que plus vivace, de surcroit.

Et le regard passa. Et Krish se détendit légèrement, sans pour autant perdre Urgoll des yeux. Il joua avec l'ancienne Triumvir, répétant encore et encore qu'il n'avait aucun lien avec elle. Le répétant avec une insistance d'abord joueuse puis lasse. Trop de fois pour que ce soit anodin.

Tandis que la poupée de chair crachait sur le sol, il se tourna de nouveau vers sa consœur et elle l'observait avec une telle attention qu'elle pencha la tête en miroir. Il était amusant de voir à quel point les expressions et les attitudes d'un homme si rude traduisaient ses pensées avec une franchise presque enfantine. Le fait qu'il ne mâche pas ses mots ne semblait être qu'un effet collatéral.

- Pourquoi ne faudrait-il choisir qu'une voie ? " Elle se redressa avec un sourire jovial. " Il faut croire que mes actes ont honorés Uriz quel que soit l'étiquette que l'on m'a mise sur le front. Sinon je n'en serais pas là aujourd'hui... Mais si ta question n'est pas purement rhétorique, mieux vaudra me la reposer quand elle ne sera plus dans les parages. " ajouta-t-elle avec un léger signe de tête du côté de la gamine qui reprenait son souffle. " Et merci pour le spectacle. C'est fou comme quelque chose d'aussi simple peut mettre un rayon de soleil dans une journée. "

Avec un sourire presque détendu, le Géant s'inclina à l'attention de sa consœur. Les remarques étaient juste, et sa curiosité d'autant plus piquée. Cependant, la situation ne s'y prêtait pas... Le Gobelin avait encore à faire, pour mettre fin à cette farce dont il était lassé.

"Bien. Je le ferai. fit-il d'une voix grondante, semblant revenu à la normale. Merci pour tes conseils."

Déposant la bouteille sur la table, le sombre s'en éloigna, se rapprochant de l'esclave qui reprenait son souffle. Sans patience aucune, il se saisit de sa chaîne et partit, traînant la bannie sur quelques mètres avant qu'elle ne parvienne à se remettre debout. Déterminé, le drow parcourut les grands couloirs de l'Etat-Major, passant en revu mentalement les lieux adéquats pour ce qui allait advenir. Et il le trouva.

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Quelques jours plus tard

Urgoll'Ven trouva Krish en plein entraînement avec la garde d'ébène. Les observant un temps, leurs techniques comme leur puissance, il ne résista guère longtemps à l'envie de s'y joindre. Se défaisant du plastron qu'il portait bien souvent, ainsi moins restreint dans ses gestes, il prit le temps de s'échauffer. Devant ses yeux, l'aînée du triumvirat parvint à prendre l'ascendant sur l'un des gardes, le bloquant au sol, capable de lui déboiter un bras d'une torsion. Le rictus du Gobelin se fit amusé devant la mine subtilement contrariée du soldat, avant qu'il ne se relève : cela remettait certaines choses en perspective que d'être maîtrisé par un être dont on a la garde. Une méthode que souffre volontiers les militaires : par l'exemple. Peux mieux faire. Le daedhel ne s'en releva pas moins avec un feu fier dans les yeux. Il avait tenu bon, mais ce n'était pas encore assez. Ses prochains entraînements seraient sans doute assidus.

Le corps souple et chaud, le Gobelin s'avança, sourit au Feu d'Uriz, en souvenir des entraînements où ses prises parvenaient difficilement à l'atteindre, puis se tourna vers l'un des observateurs, l'enjoignant à le rejoindre. Une fois face à cet adversaire d'une taille réduite mais s'approchant davantage de la sienne que Krish, Urgoll'Ven se mit en mouvement. Et la situation fut inversée. Les deux drows échangèrent coup sur coup, se tournant au cours pour mieux se jeter sur l'autre. Cependant, là où les attaques d'Urgoll'Ven étaient puissantes, celles de son adversaires les déviaient aisément, voire ripostaient dans la foulée. Augmentant la cadence et la puissance de ses coups, il se fit opposer un flegme maîtrisé, réactifs, que ne put outrepasser son avantage d'allonge, bien moindre qu'à l'accoutumé.

Brusquement, son adversaire passa à l'attaque, le prenant par surprise, débutant une prise à laquelle Urgoll'Ven n'échappa que par la force. Mais pas la seconde. Bras tordu dans le dos, un avant-bras puissant lui comprimant la trachée, il sourit. Intéressant. Tapotant le bras de son adversaire, il fut libéré. Se raclant la gorge, le regard qu'il leva sur le garde était des plus rieurs, quoiqu'encore enfiévré.

"Menryll." salua-t-il avec approbation. L’intéressé répondit respectueusement, puis se recula.

Arrivé tardivement, Urgoll'Ven assista et participa à quelques autres échanges puis il fut temps pour les soldats de se retirer. Retenant un instant le supérieur de son premier adversaire, il lui ordonna de transférer son subalterne à la garde de ses appartements. Cela lui ferait un partenaire d'entraînement bienvenu : maîtriser des bêtes par la force brute, il en avait l'habitude. Des êtres intelligents, capable de faire fi de sa force voire de la retourner contre-lui... Moins. Le daedhel acquiesça puis s'en fut avec les autres.

"Krish." dit-il ensuite en rejoignant sa consœur.

Du coin de l’œil, la Triumvir vit Cirincë s'esquiver pour retourner à ses occupations après cette séance d'entrainement. Elle n'avait pas été particulièrement en forme aujourd'hui, mais même ainsi, elle ne déméritait pas... Tandis que les guerriers vidaient les lieux Krish prenait son temps pour parfaire ses étirement. Comparativement aux guerriers qui ne s’adonnait à ce genre d'exercice que par nécessité, avec le temps cette routine était devenue salutaire pour son corps millénaire... avant qu'Il ne le redessine à sa guise, bien sûr. Mais l'habitude - et la souplesse - était restée.

Toujours au sol, en grand écart, la tête posée sur le tibia de la jambe qui s'étendait devant elle et les bras posé loin devant elle, elle avait les yeux clos lorsque la voix d'Urgoll'Ven la tira du calme après la tempête.

- Urgoll'Ven. " lança-t-elle en contractant le ventre sans se redresser pour autant.

Sa tresse de cheveux blancs glissait jusqu'au sol de pierre. Ses épaules se relâchaient, descendant aussi, petit à petit. Son ample pantalon noir ne la gênait pas, même dans un mouvement aussi ample que celui-ci, et sa brassière de cuir n'avait aucune visée esthétique. Ses mains puissante attrapèrent son propre pied pour le remettre à l'équerre. Puis son buste se redressa, s’arquant dans l'autre sens, sa tête se laissant allé vers l'arrière pour accompagner le mouvement. Ses yeux s'ouvrirent pour découvrir la haute stature du Haut-Prêtre par en-dessous.

- Joli combat d'ailleurs. Tu devrais venir plus souvent. "

"J'y songe... répondit-il de sa voix de basse. Ne pas risquer la perte d'un membre à la moindre erreur est... Rafraichissant."

Parlant, s'approchant, observant, le grand sombre prêtait attention aux détails des gestes de la daedhel tendue, à la maîtrise de ses gestes, cette manière qu'elle avait d'agir sans hésitation ni geste inutile. Rodée, d'une expérience ancienne. J'ai vu son Feu... Mais qu'en est-il de Krish Al'Serath ? De l'Avatar du Destructeur, il lui était normal de voir en lui un être martial et puissant. En revanche, de la part d'une daedhel, dont l'un des premiers titres était 'Maîtresse des forges'... ? Des questions pouvaient être posées.

Liée au divin, mais aussi 'simple' immortelle. En un sens, cela était difficile à concevoir pour le Haut-Prêtre de Zhak'Bar. Pourtant, la côtoyer l'avait peu à peu forcé à envisager cette nuance. Cette ouverture, énoncée suite à l'ordalie contre la Xaran, il ne l'avait pas écoutée. Puis réaffirmer suite à la première venue de la Deäl'Hönn... Puis à nouveau - malgré Krish -, alors qu'il la surprenait comme n'importe quelle immortelle. Dangereuse, expérimentée, mais faillible...

Tournant la tête comme face à une bête curieuse, les mires sanglantes du Gobelin vinrent étudier celles, auréolées d'or, de l'aînée du triumvirat.

"Ces daedhels ont passé des siècles à forger leur corps, telles des lames, au service du Puy et de nos Dieux. Massif, il s'accroupit auprès d'elle, tout en respectant une certaine distance pour ne pas déranger ses mouvements. A ma connaissance, celles que tu forgeais étaient de métal. Quand as-tu appris à dominer à la lutte des guerriers aguerris ?"

- On fait vite le tour des combats sans enjeux, mais au moins ça détend. "

Et voilà qu'il penchait encore la tête, preuve de sa curiosité sincère. Cela la fit sourire et son buste se redressa sans mal, ses bras s'étirant loin au-dessus de sa tête, dévoilant un peu les muscles puissant de ses épaules et de ses abdominaux. Un rire de gorge s'échappa de ses cordes vocales légèrement tendues par la posture à sa dernière question.

- Tu as le chic pour poser des questions à tiroir... Je suppose que tu veux la version détaillée ? " Voilà une éternité qu'on ne lui avait pas demander ce genre de chose. L'idée qu'une artisane soit feu d'Uriz en mettait mal à l'aise plus d'un et c'était quelque chose qui restait bien au chaud aussi loin que possible des conversations.

Elle ne fut pas la seule a être amusée de la situation visiblement. La mine d'Urgoll se fendit d'un sourire pointu aussi carnassier qu'amusé.... Et si elle avait une tête pareille quand elle jouait avec les nerfs des gens, elle comprenait que certains craquent. La voix du Haut-Prêtre, toujours aussi proche d'une avalanche, n'était pas le moins du monde tendu lorsqu'il reprit.

- Un simple "Je me suis entraînée." serait décevant, oui.
- Je me suis entrainée et j'ai un coup de pouce de la part de quelqu'un de haut placé. " Elle tourna de manière à se tourner sur le côté, toujours en grand écart, et plongea le buste vers l'avant jusqu'à touché le sol, mettant ses hanches au supplice. Avant de poser le front sur la pierre, elle décocha un sourire provocateur au gobelin à un pas d'elle, souffla à fond, et se redressa en inspirant. " Blague a part. Mon père était Mezar Kerenoz. " l'un des Bara bien connus pour avoir participé plus qu'activement à la chute de l'empire Nisetien. On oubliait souvent ce lien de parenté puisqu'il l'avait reniée avant qu'elle n'atteigne son premier siècle et qu'elle s'était forgé un nom malgré la hargne qu'il avait eu contre elle. " Il m'a formé très jeune aux arts du combat et j'ai gardé l'habitude de m'entretenir. Il y a quelques années, à main nue, j'en remontrais même à Velkyn ! " sourit-elle fièrement en continuant ses étirement avant de se remettre face à Urgoll. Ses jambes glissèrent vers l'avant et vinrent finalement se croiser en tailleur pour lui laisser la parler avec un timbre un peu plus respectueux. " Par contre pour les armes c'est une autre histoire. Je m'entraine pour que mon corps ne craque pas sous des réflexes qui ne sont pas vraiment les miens. C'est un de Ses cadeaux. " Soufflant avec régularité, elle se laissa basculer sur le dos et s'allongea de tout son long, les jambes toujours croisées et les genoux au sol. Les yeux au plafond, elle ajouta. " Avant ça j'étais loin de rivaliser en technique avec un soldat, même tout a fait moyen. Par contre, contrairement à ce que tout le monde crois, je ne forgeais pas que le métal. C'est aussi ça qui m'a permis d'apprendre beaucoup de choses. Des façons de combattre et des leçons de stratégie entre autre chose. " Elle inspira, souffla, le dos cambré, tentant de relâcher les muscles de ses jambes. Quelques instants passèrent avant qu'elle tourne la tête de côté pour tenter d’apercevoir les yeux sanglants d'Urgoll. " Forger du métal et forger des gens, j'ai toujours vu ça comme un même procédé. Quand je suis devenue Maîtresse des Forges, certains de mes proches me surnommaient Forgelâme. Alors j'ai gardé l'idée... "

Roulant vaguement des yeux à se première réponse, le Gobelin ne fut plus qu'ouïe par la suite. Enfant de Bara, Maîtresse des Forges, Feu d'Uriz... Épouse d'un Haut-Prêtre du Destructeur... Comment ne pas y voir un chemin de flammes, à la gloire de leur Père ? Pourtant, alors même qu'elle revendiquait pareille lignage, la triumvir' reconnaissait ses capacités pour ce qu'elles étaient. Sans parler de la manière dont elle évoqua les risques liés à son état d'avatar, qui interpelèrent le Haut-Prêtre.

Une lutte éternelle, entre son être et Son emprise. Voilà qui éclairait d'une nouvelle manière ce qu'il avait vu, des années plus tôt, au cours d'une ordalie... Ainsi que la manière d'être de l'Al'Serath qui, par certains côtés, semblait dénuée de la folie mégalomane qui pouvait gagner les immortelles, à un tel âge. Toujours souriant et attentif, l'expression d'Urgoll'Ven se fit petit à petit plus songeuse, sous l'effet de ses réflexions... Dont le tirèrent les derniers propos de l'artisane.

Un long frisson lui remonta l'échine, alors que ses mires se teintaient d'une nuance de défiance, qui disparut sitôt que se ravivèrent la sensation des lames fendant la chair de ses avant-bras, écho d'un serment ainsi marqué sur son derme gris. Car elle est Son Feu, et je sers Son Foudre de Guerre. Cependant, ce n'était pas cette loyauté qui tremblait, mais l'être même, en souvenir d'autres qui avait clamé pareilles ambitions, sans s'en montrer digne. L'était-elle seulement ?

Si les anneau dorés perçurent d'abord un regard sanglant les fixant intensément, ils les virent ensuite disparaître derrière des cheveux gris... Alors que la large silhouette du Gobelin se mettait à trembler.

Un souffle étranglé, qui se retient, vu le seul avertissement. Brusquement, rejetant la tête dans un ballet de cheveux à la splendeur oubliée, le Géant rejeta la tête en arrière, dans une gerbe d'éclats hilare. Joyeux, libérés, juste fous ? Difficile à dire, mais le grand sombre mit un temps pour se calmer. Quand il baissa de nouveau la tête vers sa semblable, son rictus était tout particulièrement taquin.

"Que tu me dises que tu as fait un détour par le Nahali et en est revenue car tu t'ennuyais ne m'étonnerait pas, Forgelâme. gronda-t-il, léger à sa manière. Les Repentis en sont un bon exemple j'imagine. Qu'en est-il de... Shaar ?"

Disant cela, il lui tendit un bras, paume vers le haut, comme pour l'inviter à la saisir... Le nom comme le geste rappelaient simplement un certain souvenir. Lorsqu'il avait salué une guerrière inconnue au masque d'argent.

Étant donné qu'à leur première rencontre, il l'avait soulevé plus d'un mètre au dessus du sol, elle leva un sourcil face à la main tendue... Mais décida finalement de la saisir, décroisant les jambe pour se remettre sur pieds.

- Si j'y vais une seule fois, ce sera déjà bien. " ricana-t-elle à la remarque joviale d'Urgoll. Pourtant, par delà le ton nonchalant, l'implication était réelle... Et elle le fut d'autant plus lorsque le géant embraya sur le sujet suivant.

Cette fois, elle perdit un peu de sa légèreté et à peine debout, elle lâcha son énorme main, le regardant avec une pointe de défiance dans le regard.

- Un exemple de quoi ?
- Forgelâme.
- Oh...

Ses épaules se détendirent à nouveau. Depuis leur retour au Puy, tout le monde avait accepté les Repentis comme étant son ordre. Des fanatiques venus avec elle qui plaçaient la protection de Prime Feu et ses ordres directes au dessus de toute autre loi pour gagner une quelconque repentance. Ils n'avaient aucune idée de ce qui se cachait réellement derrière et personne n'avait eu l'occasion de s’apercevoir que la blessure qui avait mutilée l'oreille droite de Krish était également présente sur chacun d'eux. Chacun des siens. Même Viconia et Urgoll'ven n'avaient pas eu l'occasion de les voir démasquer.

- En fait non. J'ai juste levé la main et les Repentis ont accourus d'eux même. Sauf peut-être un ou deux que j'ai travaillé au corps, je te l'accorde. " ajouta-telle avec un sourire de nouveau un peu plus provoquant. " La dépravation Vaanie ne réussit pas à tout le monde. Il faut parfois remettre horloges à l'heure. " ajouta-t-elle en faisant mine de quitter la pièce. " Tu as faim ? J'ai pas encore mangé. Comme ça tu pourras me dire comment on passe de pupille de Natha a Haut-Prêtre de Zhak'Bar. "

Tels Ses enfants attirés par Son Feu... Bien sûr. Une esquive. Un sourire. Maintenant, mon tour est venu. Sous leurs airs joviales, les mires sanguines observèrent la daedhel. Des questions, elle en avait déjà posé à d'autres. Certaines avaient trouvé leur réponse. A présent, il allait donner les siennes.

"A ta guise. Manger me passera le goût des cendres." dit-il d'un calme sombre, récupérant son plastron avant de lui emboîter le pas.

A grandes enjambées, ils parcoururent les couleurs de l’État-major. Commandant à un esclave, le Gobelin l'envoya alerter les cuisiniers, œuvrant à nourrir la population du bâtiment, que deux triumvir' escomptaient attendaient une belle pièce de viande dans son bureau. Crue, si nécessaire.


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De ce qui avait été le bureau d'un triumvirat, endommagé par la venue d'une Prima, un an auparavant, il ne restait que certains murs finement travaillés. Le reste n'était que roche brute, où se nichaient à intervalles réguliers des lampes, ainsi qu'une grande cheminée et un stock de bois. Certaines armoires étaient toujours là, étranges ilots de sophistication. Deux chien-ours, l'un cendré, l'autre d'obsidienne, veillaient. Le centre de la pièce n'était que sol nu... Jusqu'à ce qu'Urgoll'Ven et Krish arrivent. Le premier arracha au sol une roche à dossier, sur laquelle il invita Krish à prendre place. Si le Haut-Prêtre de Zhak'Bar avait été qualifié d'artiste, c'en eut été un minimaliste. D'un claquement de langue, il ordonna aux bêtes de rester couchées. Elles obéirent, observant les sombres de leur regard profond.

Quand les esclaves et quelques cuisiniers furent introduits dans la pièces, les uns transportant cerf d'elda prêt à être cuit, ainsi que les plats et couverts où il serait servi, les autres ne désirant que s'occuper de la cuisson, le Gobelin les renvoya tous, une fois l'animal embroché installé dans la cheminée. Devant les regards quelques peu perplexes, il montra aimablement les crocs et les vira sans autre forme de mesure. Puis, il fit face à la cheminée.

"As-tu le goût du détail ? demanda-t-il.
- Dépend sur quoi, mais généralement, oui. pourquoi ?
- Pour savoir si je te donne la version courte ou longue.
- Longue, c'est mieux.
- Bien."

D'un geste, il projeta des flammes sur la carcasse, le feu projetant ombre et lumière sur son faciès souriant. Cependant, il était dur de dire si son rictus portait jusqu'à ses yeux. Puisqu'il était question de cuisson, le feu devait être maintenu, sans brûler à toute vitesse, mais en maintenant une chaleur enveloppante. Ainsi, ce ne fut pas tout le corps du Gris qui se mit en branle, seulement ses bras, afin de maintenir une vague de flammes autour du gigot.

"Tout d'abord, il y eut un mage. fit-il, tranquille, concentré. Médiocre, à la recherche de brasier en devenir, auxquels rattacher son nom. Par lui, j'appris le goût du feu. Il me servit à rejoindre le Sui’aerl Cuass’ili. Maintenir le rythme, en un débit arcanique maîtrisé, requérait une respiration profonde et contrôlée. Sans précipitation, ni embrasement. Un mouvement trop sec noircit pourtant l'une des pattes, mais il se reprit aussitôt. Puis il y eut le C'nros. Là, je pus déverser Ses flammes sur nos ennemis. Je crus que j'en serai satisfait. Jusqu'à ce que les manigances de Ses enfants me donnent la nausée... Comment, ta viande ?
- Bleue."

Hochant la tête, le grand sombre poursuivit la cuisson un instant. L'animal avait un bon gabarit, sans être adulte, il fut donc cuit relativement rapidement. S'armant d'un couteau, il lui trancha l'une des pattes et s'assit à même le sol, plantant sans retenue ses crocs dans la chair tendre du jeune cerf. Les chiens eurent l'audace de gémir. D'un grondement, il les fit taire, avant de déchirer une portion de viande, le regard absent. La gueule emplit du goût de la créature, le dévoreur prit un temps pour poursuivre. Faute de mouvement, les flammes n'étaient plus. Les lumières disparates éclairaient les deux sombres et les chiens de leur éclat confus.

"J'ai rejoint les servants du Prime Dragon. Les siècles qui suivirent, je les ai passé à réapprendre le plaisir de Le servir. Cherchant ses défis aux confins des Terres Stériles. Secouant les figés. Offrant aux P'leiks les braises de ceux qui cherchaient le pouvoir plutôt que Sa gloire. Déchirure. Le Gobelin engloutit une nouvelle bouchée de chair à peine cuite. Jusqu'à Son Haut-Prêtre. Il eut un soupir. Comme tous les enfants du Père... Nous luttons, pour continuer de brûler."

Craquement. De ses battoirs, le Gobelin disloqua la patte, et jeta l'os le plus dénudé aux chiens. Avec des grondements furieux, les deux chiens-ours se jetèrent dessus. Le cendré visa plutôt son congénère, le mordant avec violence... Sitôt que l'autre gémit, leur maître siffla et immédiatement, le combat cessa. Le gagnant s'empara du butin, le vaincu recula pour lécher ses plaies.

Et encore une fois, l'humour grivois le plus éculé tombait à plat. Il ne semblait pas se rendre compte du double sens des mots que s'en était comique cela dit. Mais au moins, comme pour ceux qui mangeaient le second degré au petit déjeuné en règle général, il faisait preuve de clarté lorsqu'il abordait les points les plus sensibles.

Lorsqu'elle avait vu arrivé un bon demi cerf d'elda cru, Krish avait pensé qu'il s'agissait du diné des chiens et qu'il y en avait surement d'autres dans les appartements du Haut-Prêtre... Mais non. L'animal fut saucissonné à une broche et le Haut prêtre en personne, sur le rythme de ses paroles et de ses mouvements lents, tint lui-même la flamme et la chaleurs qui léchèrent et oppressèrent la viande, faisant rapidement un fumet appétissant bien plus vite qu'une cheminée standard.

Elle écoutait, attentive. Bien sûr, elle avait les informations officielles, mais les entendre de la bouche de celui qui les avait vécu était toujours bien différent d'un rapport ou de simples faits.

Sui’aerl Cuass’ili... Il y avait visiblement de la rancœur dans ce nom. Suffisamment pour que le grand drow en perde un instant la précision de son sort. Tout comme il y en avait pour les 'manigances'. Elle répondit distraitement, laissant ses yeux observer avec intérêt les expressions de la face burinée. Il était plus à son aise avec les bêtes qu'avec les drows. Plus à son aise avec les gestes qu'avec les mots. S'il n'y avait pas eu de fortes chances qu'ils finissent par s'entretuer sans que ni l'un ni l'autre ne cède, elle lui aurait sauter dessus pour mettre entre eux un tout autre langage, ça aurait simplifié les choses. Mais non. Ce grand Kerkand était aussi buté et avide de domination que la Fern qu'elle était. Alors il allait falloir qu'il parle.

Lorsqu'il fut clair qu'il n'allait pas la servir, elle s'empara d'un des couteaux pour découpé méticuleusement l'épaule de la bête, selon les principes d'anatomie qui lui étaient naturels, pour la poser dans l'un des plats. Elle se rassit, en tailleur à côté du Haut-Prêtre, et armée du même couteau que précédemment, elle en coupa un premier morceau, le prenant entre ses doigts pour l'amener à sa bouche. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas mangé quelque chose de si simple. La viande était bonne mais manquait cruellement de sel. Les mots du Haut-Prêtre reprirent, ponctué par le final des chiens qu'elle regarda distraitement se disputer les restes.

Elle finit sa bouchée, mastiquant sans avidité et laissant le silence s'écouler tout en revenant à Urgoll'Ven. Puis, elle qui était restée silencieuse durant tout ce temps ouvrit enfin la bouche pour parler de façon inhabituellement concerné.

- C'est à cause de ce Sui’aerl Cuass’ili ou du C'nros que les réclamations des Daël'Hönn te mettent dans un tel inconfort ? "
- Esquive ou vérité... Tu as déjà joué. Pourquoi te répondrais-je autrement, Shaar ? "

La question la surpris et elle ne le cacha pas... Puis son visage se fit amusé, toujours aussi provocateur et félin. Elle posa le plat garnit de viande sur le côté en soutenant le regard sanglant du géant.

- Alors c'est ça, hein ? " son sourire de panthère le fixait avec intérêt. Il venait de lui saisir le bras, comme lors de leur première rencontre; de la prendre par la taille pour la jeter à l'eau, comme dans les bains. Ils étaient distants d'une simple enjambée, mais elle ne se mis pas debout. C'est à quatre patte qu'elle avança vers lui, capturant son regard dans le sien. " Vérité pour vérité... " Arrivée à sa hauteur, elle posa ses mains sur sa cuisse pour se dresser vers son visage. " Tu es sûr de toi ? Tu veux vraiment avoir affaire à Shaar ? " susurra-t-elle moqueuse, les éclats d'or scintillant dans son regard.  

Le changement, il l'avait perçu. Concernée... Puis joueuse. Ce que souffla sa voix, ce que susurra son approche, ce que que cria son contact. Le grand sombre força son inspiration suivante à être profonde, sans se bloquer dans sa large cage thoracique. Comme un réflexe, il cherchait son effluve, par delà le fumet du cerf dont il tenait toujours un demi membre, à la cuisson légère, au fluide le maculant, goûtant sur le cuir dont il est vêtu. Ce changement, il l'a sentit et y réagit. Son rictus ne lui rend pas son goût du jeu, il se fait au contraire... Défiant, alors que ses mires s'étrécissent. Montrer les crocs et repousser ce piège qui s'ouvre devant lui. Résistance. Repousser ne suffira pas.

"Shaar. gronde-t-il, sombre, froid, sa tête s'étant braquée vers la sienne, gardant une distance. Kerenoz. Al'Serat. Maîtresse des Forges. Princesse Marchande. Chef des Repentis. Feu d'Uriz. Krish. Nous pouvons jouer l'affaire de Tessos longtemps. Même si j'y joue mal."

Brusquement, ses crocs se plantèrent dans le muscle frémissant si peu de temps auparavant. De la bête vive, ne restait qu'une carcasse fumante, dévorée par des bêtes, mangée par des drows. Le Gobelin s'apparentait aux deux, carnassier comme les premiers, fanatique comme les seconds savaient si bien le faire. En l'instant, pourtant, il évoquait davantage une créature : les canines anormales fourragèrent et déchirèrent la chair, le faciès arborait un rictus dénué d'élégance, seulement frappé du sceau de la violence, dont la flamme larvaire dansait dans les mires sanglantes. Bien qu'arborant encore de la viande, le reste de la patte fut lancé au second molosse, qui se jeta voracement dessus, oubliant ses blessures. Le colosse, quant à lui, s'ébroua dans un frisson, avant de regarder à nouveau sa semblable dans les yeux.

"Le nom m'importe peu. Seule la Flamme m'intéresse." fit sa voix de basse, sur la défensive.

Elle le regarde déchiqueter la viande à coup de croc. Hybride bestial né d'un drow presque aussi vieux qu'elle. Elle l'observe de tout près, sans bouger presque... docile ? Mais son sourire ne le trompe pas. Pas même lorsqu'elle cueille du bout de l'index une goute de jus de cuisson échappé sur son plastron de cuir. Elle se gosse. Il le sait.

Une fois débarrassé de son os, il reporte son regard sur elle.

A ses mots, elle sourit, aussi carnassière que lui. Féline, elle quitte le vis à vis des iris rouges pour glisser vers son oreille, l'une de ses mains se soulevant pour accompagner le geste.

- Dommage... Seul Uriz a un droit dessus. " Un souffle... Un murmure ampli de mille promesses inavouable et de paradis luxurieux.

Et sans crier gare, elle tira violemment l'oreille pâle, son autre main se préparant à parer. Il grogne, montre les crocs. Le visage de la Prime Feu a changé du tout au tout, montrant une rage féroce qui la défigure et transfigure sa voix chaude en un grondement brûlant.

- Et ne t'avise jamais plus d'associer mon nom à celui des Kerenoz. "

Sans attendre un instant de plus, sans un mot ni un regard, elle se leva pour tourner les talons.

De peur, il en a. Pas celles auxquelles l'ont s'attend cependant. C'est donc avec soulagement qu'il entend les derniers mots du Feu d'Uriz. De la colère. Pas celle d'un avatar. Celle d'une daedhel. Offensée. Naturelle. Sans fard ni détour. Alors, vil taquin, le Gobelin rit. Aux dépends du dos outragé de la sombre, dont le ton provocant et joueur s'était évaporé comme le contenu d'une gourde répandu dans le désert, le colosse s'amusa. Les chiens-ours, trop familiers avec cette bête-la, ne levèrent même pas le museau de leur repas, grognant, rongeant, brisant l'os du cerf.

"Vérité pour vérité ! Bien, à mon tour en ce cas ! pouffa-t-il, avant d'enchaîner, presque pressé, comme pour rattraper celle qui s'enfuie. Le Sui’aerl Cuass’ili et le C'nros ne furent que des étapes. Non. C'est le mage, dont tu veux entendre parler. Mon père."

Il eut son attention. Ce qu'elle vit, elle, ce fut un masque, un faciès curieux, où s'effaçait lentement l'amusement, au profit d'une rage... Ancienne ? Quels autres mots, pour ses multiples rides de colère ? Pour la veine à sa tempe ? Pour l'obscurité où semblèrent s’enfoncer ses sphères sanglantes ? C'était bien vers la daedhel que son regard portait. Même : il la transperçait. Chaque mot ravivait davantage ce passé lointain mais toujours brûlant. Son échine, la peau sensible de son dos s'en souvenait.

"Médiocre, sans rejeton acceptable à revendiquer. Il se servit dans les enfants sans parents. Tua les inutiles. Me garda moi. sa voix grondante s'était faite doucereuse, aussi agréable que du papier de verre raclant la peau. Il ne m'a pas formé. Ses coups, si. Son insatisfaction. Sa rage d'être aussi faible. Moi, je ne l'étais pas. J'ai fini par le comprendre..."

De crocs, son rictus n'était plus fait que de cela. Abyssal... Telle était la rage qui se lisait sur le visage déformé, déchiré, méconnaissable. Si ce n'était que cela... La source en était trop intense, trop destructrice pour être nommée. Pourtant, l'une de ses nuances était reconnaissable entre toute : la douleur. La douleur nuançait le moindre pli, la moindre veine battante, la moindre sur le visage transfiguré.

"... Quand je nous ai brûlés." lâcha la voix du sombre.

Le poids des mots prononcés, qui écrase sa carcasse, lui font crisser les dents. Une expression, étrange encore, mais si brève, brève... Un maelstrom éphémère : rage, douleur, satisfaction... Et d'autres émotions encore, englouties par les autres, en ce court instant où Urgoll'Ven balaye cela, ramenant sur son visage un grand sourire amusé, comme s'il n'avait encore rien dit. Son battoir se tend, paume vers le haut, invite la daedhel à revenir s'asseoir.

"Son nom mourra avec moi. Quant à celui que tu hais, je ne le prononcerai plus. il penche la tête, observant, tendu malgré ses airs amusés. Il reste du cerf. As-tu toujours faim ?"