[MdO2019] Equilibrium | Myr

Contre elle, elle le sentit se détendre instantanément... Enfin pour peu qu'on puisse dire que les épaules raide qu'elle avait sous les mains puissent être détendues. En tout cas, il était soulagé. Malgré le risque qu'elle prenait, elle aussi en un sens. Elle sourit malgré elle lorsqu'il posa un simple baiser sur son front et ferma les yeux un instant. Elle n'avait jamais laissé personne la traiter ainsi... Jamais...

Elle frémit lorsqu'il entama son serment, porta une main à ses lèvres pour lui rappeler qui était entre ses bras à ce moment même, mais il guettait déjà son regard, acceptant la présence qui y était. Il acheva sa phases, la regardant avec un petit sourire. A la fin de sa phrase, une flamme mordorée s'éleva dans la pupille de l'Avatar, l'espace d'un battement de cil. Une fraction de seconde si minime que même en la fixant, on pouvait douter l'avoir vraiment vue. Comme lorsque Zaahrian avait prêté serment de tuer l'elfe qui avait tué son père et privé l'eldéenne de ses jambes, il long frisson remonta le long du dos de Krish. Un verrou qui claque.

- Tu joue avec le Feu... " murmura-t-elle, à la fois inquiète et impressionnée, avant de se rendre compte du double sens incongru qu'une telle phrase prenait dans sa bouche. Elle eu un petit sourire avant de le laisser s'évanouir en même temps que celui de Myr'Hennis. " Je veux dire... Fait attention quand tu prononce Son nom, d'accord ? "

Comme si impliquer plus de pouvoir et plus de divinités pouvaient la rassurer. Non... Ce n'était plus vraiment quelque chose qui lui permettait d’apaiser des craintes, surtout en sachant que les éternels, aussi puissant et courageux qu'ils fussent, étaient faillibles. Mais ce que venait de faire le Grand Architect, bien que fou, était d'un courage, et d'une beauté forçant le respect. Elle guettait son regard avec une admiration non dissimulée et fut prise de court par sa demande. Des questions qui lui brûlaient les lèvres ? Ne venait-elle pas d'avoir la réponse à la principale d'entre elles ?

Quoi que... Si elle se projetait à plus de quelques heures, les questions, ce n'était pas vraiment ce qui manquait en ce moment... Enfin ce n'étaient pas vraiment des questions. Des choses à dire, à prévenir, des sujets à aborder. Des questions à proprement parler - bien qu'elle doute que la forme interrogative soit si important que ça au final - il en avait bien peut-être une ou deux en comptant la première qui lui vint aux lèvres.

- Comment va ton dos ? " oh pas dans l'absolu " Tu peux me poser, tu sais. " sa voix se voulait douce, mais aucune émotions clairement identifiable n'y perçait. Sil l'avait jamais su, son corps et son esprit avaient visiblement un mal fou à simplement lâcher prise de façon à ce que l'honnêteté de ses mots ne soit pas camouflé par une expression ou un ton qui aurait put le blesser. Mais puisqu'il lui demandait de cesser son jeu du chat et de la souris, elle essayait.

Elle était confortablement installée contre lui et sentait pour la première fois la chaleur de son corps à travers leurs modestes vêtements. Elle profitait d'une vue qu'elle n'avait jamais eu - et qu'elle comptait bien retrouver aussi souvent que possible tant elle lui plaisait. Mais la façon dont il avait tenu jusqu'aux limites de la mort rien que pour avoir une réponse était encore fraiche dans sa mémoire. Elle n'oubliait pas non plus comment il avait du laborieusement s'extirper de ses draps rien que pour poser ses longues jambes à terre. Ça ne datait que de quelques minutes et voilà qu'il était debout seul et la soutenait en plus. Elle ne voulait pas qu'il dépasse une nouvelle fois ses limites, parce qu'elle ne voulait pas avoir à partir tout de suite.

Une fois installés de la façon qu'il désirait, elle continua néanmoins, le regard plus sérieux encore.

- Je ne sais pas ce que Shundara t'a dit concernant ton état... " Et si nécessaire, elle lui expliquerait tout ce qu'elle-même en avait compris. Toutes les implications. Toutes les possibles rechutes. Elle répondrait à toutes ses questions et lui expliquerait l'idée que les deux soigneuses avaient eu pour le guérir définitivement. " ... Pour ça, il vaut mieux que tu sois plus confortablement installé que dans ce taudis. D'après Shundara, tu devrais pouvoir faire le trajet sans risque après demain. Si ça te va, j'aimerai retarder mon départ d'une ennéade ou deux... et rester chez toi quelques temps. Les divans de ton Atrium me semblent salutaires vu tout ce qui se passe en ce moment. " ne put-elle s'empêcher d'ajouter.

Myr’Hennis savait parfaitement qui regardait à travers les yeux de Krish. Son choix n’était pas anodin. Ses mots n’étaient pas innocents sinon il aurait directement juré sur Meingal. Il tenta de retenir un gloussement.

« On peut dire que tu sais choisir tes mots mais d’accord, je vais voir ce que je peux faire. »

Ce n’était pas moqueur, comment aurait-il osé rire d’Uriz et son Feu. Comme tout bon drow qui se respecte Myr’Hennis craignait le Père des Batailles ; d’autant plus qu’il n’était pas un guerrier. Non c’était un simplement un moyen pour lui d’évacuer la tension qui restait encore. Il en avait besoin, surtout après avoir enjoint Krish à lui poser toutes les questions qu’elle voulait. Des questions auxquelles il ne voudrait peut-être pas répondre mais il avait compris qu’il devait montrer l’exemple. Non, elle n’était pas condamnée, il l’était. Il faisait un pas de géant, un pas proportionnel à sa taille si on veut, dans l’espoir qu’elle fasse un pas proportionnel à la sienne. Oui ce n’était pas égal mais il ne se voyait pas demander bien plus.

« Je sais que je peux te poser, je n’en ai simplement pas envie. » Répondit-il avec simplicité, comme si c’était évident.

Parce que pour lui ça l’était, il n’avait qu’à espérer qu’elle finisse par le comprendre mais au moins elle essayait, c’était toujours ça. Il ne répondit pas toute de suite à sa question. A la place il retourna vers le lit, sans la lâcher, pour s’y assoir. Mais il n’avait pas besoin d’y répondre verbalement, l’expression sur son visage alors qu’il se laissa à moitié tomber parlait d’elle-même, la douleur refluait enfin même si elle n’avait pas disparu elle était au moins plus supportable. Shundara allait surement lui en vouloir pour avoir forcé dans son état mais il s’en moquait, ça valait le coup. Une fois assis, et Krish sur ses genoux, il la tenait par le bas du dos pour éviter qu’elle ne tombe, elle s’accrochait à lui mais on n’est jamais trop prudent.

« Elle ne m’a rien dit mais en même temps je n’ai rien demandé, pourquoi ? »

Il écouta attentivement. Il savait bien qu’il y avait quelque chose de plus grave que les simples blessures infligées par Jallys et Ferya sinon il ne recevrait pas des visites aussi fréquentes avec une telle régularité. Cependant Myr’Hennis ne s’était pas attendu à ça, qui aurait pu s’y attendre ? Il ne posa pas de questions, il en avait bien une ou deux mais il en avait assez posé, il avait assez demandé de réponses de la part de Krish, l’architecte mettait sa vie entre ses mains. Puis ses lèvres se relevèrent en un fin sourire, effectivement il n’aurait pas craché sur ses divans.

« Non, tu peux rester chez moi autant que tu le veux, quand tu le veux mais tu es triumvir, Feu d’Uriz et, si je me fie à la coiffe que tu portais, Sa haute-prêtresse. » En réalité il le savait surtout parce qu’il avait demandé à son réveil où elle était le jour de la cérémonie et que Shundara lui avait répondu. « Tu ne peux pas négliger tes devoirs tout comme je ne peux pas négliger les miens. » Son sourire s’élargit pour devenir joueur. « Enfin si, moi je peux, après tout mes apprentis servent aussi à ça. Il reste moins d’une ennéade, une moitié tout au plus, avant le départ, tu es obligée d’y aller, pas moi, mais ça ne veut pas dire que je ne peux pas t’accompagner ; mes apprentis s’entendront suffisamment pour travailler ensemble le temps de mon départ. De toute façon ils n’auront pas le choix, s’ils passent leur temps à se chamailler j’en changerais à mon retour. »

Myr’Hennis ne savait pas vraiment s’ils allaient pouvoir s’entendre, même le temps du siège, mais il comptait sur Plynnil pour rattraper leurs erreurs. Il n’en était pas certain parce qu’il avait passé son temps à les monter l’un contre l’autre, à construire une rivalité, un esprit de compétition afin qu’ils ne s’allient pas contre lui. Cela dit ça ne l’aurait pas étonné qu’ils couchent ensemble, comme le Grand Architecte l’avait fait avec l’autre apprentie du temps de son noviciat ; on aurait presque pu croire que c’était une tradition parmi les disciples des Grands Architectes.

La demi chute lui fit prendre une inspiration réflexe qui força ses poumons à retrouver un fonctionnement normal. Assise sur ses genoux, l'enlaçant toujours de ses jambes, elle sentit enfin les muscles de ses épaules sortir de leur tétanie. Ils n'étaient toujours pas réellement détendus, mais elle n'avait plus l'impression d'avoir du marbre sous les doigts. Elle vit avec soulagement le voile de douleur qui rendait les traits de l'Architecte plus solennels se lever un peu. Un bras vint lui ceinturer les reins.

Il l'écouta, concentré, concerné. Qui ne le serait pas en apprenant un état si grave... Et pourtant, il ne semble pas s'en faire outre mesure. Lorsqu'il ouvre la bouche, ce n'est pas pour parler de maladie, mais pour lui imposer un refus de plus qui lui fit tordre le nez. Mais les mots qui suivaient retiraient tout ambiguïté. Elle n'eut même pas le temps de se sentir même vaguement attristée qu'il l'invitait à rester... et lui rappelait au passage son devoir ainsi que le fait qu'elle avait peut-être oublié de lui annoncer sa nouvelle promotion. Elle sourit de façon aussi innocente qu'espiègle à cette  petite remarque... Mais si elle aurait préféré qu'il n'en soit pas ainsi, le raisonnable artisan avait raison. Les derniers jours avaient déjà été complexes et si l'attention particulièrement distraite qu'elle avait affecté aux préparations du départ pouvaient maintenant être expliquer par son élévation au range de Haute-Prêtresse, les regards s'accumuleraient sur elle durant les prochains jours... Mais rien ne l'obligeait à partir tout de suite. Elle pourrait facilement rattraper le déplacement d'une armée, surtout si celle ci avait pour but d'être discrète jusqu'à son arrivée sur place.

Elle ouvrait la bouche pour le signifier aussi fermement qu'il serait nécessaire lorsque le sourire de Myr'Hennis se tinta d'un éclat joueur. Lui, il pouvait, lui. Haha. Très drôle. Elle lui servit un regard digne d'un tirage de langue en règle, et...

Son sourire de chat revint sur ses traits avec son cortège d'ironie désinvolte.

- Bien sûr, et...  " Ses lèvres se pincèrent soudain et elle se tut. Ses yeux revinrent dans ceux de l'eldéen, luisant d'une étincelle étrange mais qui n'avait plus rien d'ironique. une flamme de... joie ? Peut-être bien. Ses mains remontèrent sur la mâchoire anguleuse. Le bout de ses doigts frôlaient la crinière défaites du grand daedhel. " Tu ne ferais vraiment le voyage que pour m'accompagner ? Pas de complot sur le feu en Ithri'Vaan ? De contact important à voir ? Tu m'aimes vraiment à ce point ? " Elle allait profité de son serment... juste un peu. Il y avait une pointe d’appréhension, bien sûr, mais elle était heureuse. Réellement heureuse. Heureuse qu'il ait fait cette proposition et heureuse qu'il lui explique en quelques mots que ce n'était pas qu'une possibilité théorique. Égoïstement heureuse qu'il ait pensé de lui-même à faire un voyage de plusieurs centaines de kilomètres pour rester auprès d'elle quelques temps, et heureuse de pouvoir accepté... S'il lui répondait.

ll le cachait, il ne disait rien mais ça n’empêchait pas qu’il aurait préféré l’entendre d’elle. Triumvir et haute-prêtresse d’Uriz, peut-on imaginer deux rôles plus importants ? Peut-on imaginer deux rôles plus fusionnels ? Il y avait bien le titre de triumvir et celui de Karliik Glenn qui allaient bien ensemble mais dans l’esprit de Myr’Hennis les soldats étaient forcément moins importants que les prêtres et, pour une fois, il n’était pas le seul à le penser. En tout cas le sourire de Kirsh avait passé de la pommade sur cette petite déception ; il aurait préféré l’apprendre de sa bouche, certes, mais il était surtout content pour elle. Même s’il avait des raisons de penser qu’elle ne voulait pas de ce nouveau titre, ce qui était bien dommage d’ailleurs au vu des paillettes d’or dans ses yeux.

Il devait bien admettre que ça l’avait amusé de la voir réagir à sa remarque comme si c’était une blague. Bon c’était sa faute, il n’avait pas l’air très sérieux, mais il aurait menti s’il avait dit que ce n’était pas volontaire. Mais plus que son sourire c’était voir sa tête changer alors qu’elle se rendait compte qu’il était bel et bien sérieux que Myr’Hennis avait particulièrement apprécié. D’abord dans son début de phrase ; son air incrédule qui remplaça brusquement sa désinvolture ; ses yeux qui remontaient pour croiser les siens afin d’être certaine que ce n’était pas une blague puis son regard qui changea délicieusement et enfin le geste. Il avait tout suivi en s’en amusant. Oui il était sérieux, autant qu’il l’avait été quelques instants plus tôt, peut-être plus d’ailleurs, il n’avait tout simplement pas l’expression faciale qui allait avec. Alors ce fut avec un sourire fier de lui qu’il répondit.

« Tu dis ça comme si c’était un sacrifice. »

En réalité c’était un peu le cas, il allait l’accompagner en voyageant avec une armée. Lui, Myr’Hennis Vect, le Grand Architecte du Puy d’Elda, celui qui avait tout fait en son pouvoir, et du pouvoir il en avait, pour ne plus jamais rentrer en contact avec les osts. Et il allait le faire pour elle. Encore un pas dans ta direction… Mais lui dire ça aurait été mesquin, il fallait qu’il attende qu’elle fasse un second pas d’elle-même, spontanément, sinon le pas en question n’aurait aucune valeur.

« Oui je ferai ce voyage rien que pour toi. » Répondit-il avec sincérité, il avait prêté un serment devant les yeux d’Uriz, il n’allait pas le briser quelques secondes plus tard et encore moins devant ces mêmes yeux. Son sourire fier devint amusé, un peu espiègle sur les bords. « Si tu veux bien de moi évidemment. » C’était à son tour de lui tirer la langue d’un regard. « Je peux aussi trouver un complot à fomenter une fois sur place ou des gens ô combien importants à aller voir si je t’embête, je ne voudrais pas te gêner ; après tout l’Ithri’Vaan regorge de personnes de pouvoir à faire chuter mais je ne t’apprends rien. Cela dit, si je peux te confier un secret : ta seule présence m’est amplement suffisante. »

Elle s'était retenue d'évacuer sa proposition d'un revers ironique. Son sérieux n'avait pas été sujet à débat, mais bien sa façon de réagir à ce sérieux. Elle s'était maîtrisé. Elle s'était obligée à être sincère. Et il esquivait encore... Comme il avait évité de jurer sur Meingal qu'il n'était pour rien dans l'attaque du monastère. Soit... Elle ne perdit ni son sourire, ni sa joie. Elle ne lui poserait pas la question directement. Pas après le serment qu'il venait de prêter... pas maintenant. Car si tout cela n'était qu'une mascarade - ce qu'elle n'était pas au point de croire -  elle avait la folie de vouloir la poursuivre. Que son dénouement soit une lame vengeresse ou un bonheur éternel importait peu. Alors elle attendrait le temps qu'il faudrait pour entendre ces quelques mots précis qu'elle lui avait offert et quémandé en retour du bout du pied. Peut-être qu'il n'était pas encore sûr, peut-être qu'il n'avait tout simplement pas remarqué ses maigres tentatives, mais il lui prouvait son attachement d'une si belle façon qu'elle ne pouvait pas en douter. Même s'il avait refusé de l'entendre, même si elle n'avait pas usé des bons mots, elle avait décidé de lui faire confiance, peu importe les conséquences.

Loin de toutes ces considérations, son sourire s'étira plutôt devant la mine de fierté qu'il lui tendit.

« Tu dis ça comme si c’était un sacrifice.
- Oh et bien. Étrangement, j'aurais pensé que quitté tout ton matériel, tes divans, tes serviteurs et tes projets en cours pourrait être un vague sacrifice, oui. Excuse moi de m'être inquiétée. »

Elle l'écoutait, le regardait, cet homme qu'elle admirait sans encore le comprendre tout a fait. Cet homme qu'elle aimait, puisqu'il fallait qu'elle se fasse à l'idée.

« Si tu veux bien de moi évidemment.
- Hmmm... Je vais y penser. " renchéri-t-elle d'un ton taquin.

Un secret bien doux à entendre. Ses mains flattaient ses tempes à la fin de sa tirade espiègle. C'était si récent... Un léger malaise la saisit en entendant ces mots pourtant si paisibles... Elle chercha un moment d'où cela pouvait venir. Même maladroit. Elle ferait l'effort. Il semblait déjà être... si sûr de la façon dont tout cela devait se dérouler. Il se projetait bien plus loin qu'elle n'en avait l'habitude. Balayer ce qui n'était encore un détail pour profiter de l'instant était tentant, mais elle s'était engagé à faire un pas. Un pas les yeux bandés. Alors elle chercha les mots justes à mettre dessus.

- J'ai hâte d'y être quand tu en parles. Et je te promet ma présence aussi souvent que ce sera possible. Mais je crois qu'il faut que je sois honnête. " Elle le couvait toujours des yeux, anxieuse, son sérieux retrouver. oui bon... Elle faisait ce qu'elle pouvait sur les formulations. Elle espérait surtout qu'elle ne commettrait pas d'impair cette fois, s'excusant du regard par anticipation des tristesses qu'elle pouvait lui causer. " Je sais que je parle à chaud, et je trouverai surement que j'ai exagérer d'ici une heure ou deux, mais je crois que tes certitudes sur le futur me font peur, Myr'Hennis. J'ai l'impression que tu sais mieux que moi tout ce qu'il faudrait ou ne faudrait pas faire. Tout ce qu'il conviendrait ou non de dire.  J'ai l'impression de perdre le contrôle et d'abdiquer mes règles de vie pour les tiennes. Ce n'est reproche. C'est juste que... Cela fait de toi quelqu'un de... de dangereux pour moi. Plus que n'importe quel Obok Senger ou n’importe quel Haut-Prêtre. C'est comme si chacun de mes mots risquait de te blesser et que chaque blessure que je t'infligeais était reportée sur moi. " Elle tentait de garder une voix mesurée tout en soutenant son regard, craignant malgré elle d'y voir le jugement d'une mollesse d'esprit... pire, d'une lâcheté. " Et j'ai l'impression que tu lis en moi à livre ouvert, alors que je n'arrive pas à soulever ta couverture. J'aimerais... Que tu me laisses voir tes fêlures. Comme tout à l'heure, quand tu m'as soulevé. Tes épaules étaient tétanisées, mais ça ne t'a pas arrêté. Ou même le maigre sacrifice que peu représenté un voyage. Quand tu caches les efforts que tu fais, ça me donne l'impression que tu t'esquive à mon regard. " Elle scrutait ses yeux, non plus timide, non plus hésitante, mais tendre. Un mot en avait entrainé un autre et elle ne pensait plus à ce qu'elle disait. Elle pensait tout simplement ce qu'elle disait. " Pardonne moi si ce que je dis te blesse encore... Je te jure que j'essaie et que je vais essayer, mais il faudra sûrement que tu m'expliques comment me rapprocher de toi... te comprendre... Et dieux s'il existait vraiment un petit manuel je le lirais sans hésiter. " tenta-t-elle pour alléger l’atmosphère qu'elle venait à nouveau de dégrader, bien que ses mots soient on ne peut plus sincères.

« J’aurai bien cité une ou deux pièces de ma connaissance pour te répondre mais je crains que le théâtre ne survive pas à une autre de performance de ma part. » Il ne savait même pas pourquoi est-ce qu’il avait fait ça plus tôt lui qui pourtant n’était pas si mauvais. Myr’Hennis ne mit pas longtemps à trouver la réponse, elle était si simple que la recherche fut brève. « Afin d’épargner à la dramaturgie une fin si atroce je vais me contenter de te dire ceci : si c’est un sacrifice il vaut largement la peine. »

Puis il l’écouta, il aurait bien répondu à sa plaisanterie mais son air mal à l’aise le retint ; leur discussion allait de nouveau être sérieuse. Il ne savait pas s’il devait s’en attrister ou bien au contraire s’en réjouir. Il aimait tant ces moments où ils plaisantaient mais sans ces moments sérieux une relation était vouée à rester creuse ; des moments importants, nécessaires, capitaux même, une fois les sujets épineux abordés et réglé ils pourraient repasser sur une discussion plus détendue. Du moins l’espérait-il, il s’accrochait à cette idée. Myr’Hennis la regarda pendant qu’elle cherchait ses mots, il s’était trouvé à sa place il y a peu de temps et il n’avait pas envie de la brusquer, c’était un regard patient, qui se voulait encourageant sans être pressant qui couvait Krish. L’architecte aimait à penser que c’était ce regard qui l’avait poussé à se montrer aussi franche car il ne prit pas ombrage, pas une seconde, au contraire même, il était content qu’elle lui parle à cœur ouvert. C’était ce qu’il voulait, ce qu’il attendait depuis qu’il l’avait soulevé, depuis qu’elle lui avait donné sa réponse. Il prit du temps pour répondre, c’était plus pour être certain de ne rien oublier que pour chercher ses mots, elle voulait savoir alors il n’allait rien lui cacher. C’était la moindre des choses qu’il dévoile davantage de ses faiblesses.

« Ne t’en fais pas je me doute bien que je n’ai rien à faire à un siège, c’est moi qui devrais te promettre de te laisser tranquille. » Son sourire réapparut sur ses lèvres. « J’ai beau t’aimer je ne veux pas tu manques une victoire sur laquelle tu travailles depuis si longtemps par ma faute. » Son visage reprit son sérieux mais sa voix ne perdit pas sa légèreté. « Si c’est un reproche mais un reproche n’est pas nécessairement mauvais et ni toi ni moi ne devrait avoir à marcher sur des œufs. Je te présente mes excuses pour tout à l’heure, je n’ai pas détecté la plaisanterie ; j’ai beaucoup de mal à rire de l’amour, c’est un sujet qui, à mon sens, mérite qu’on reste solennelle en toutes circonstances. Mais c’est une chose sur laquelle je vais travailler, j’aimerai que l’on puisse rire de tout, et de tous, ensemble cela dit j’aimerai également que l’humour ne soit pas une cachette pour éviter un sujet sérieux. Mais je trouve tes mots encourageants, lorsque tu as mal je souffre aussi, ta peine m’attriste et, c’est bien la meilleure partie de l’empathie : ta joie est aussi la mienne même si je n’en connais pas la cause. Pour ce qui est de mes faiblesses, de mes fêlures comme tu dis, tu en connais déjà bien plus que l’écrasante majorité du Puy. Il n’y a qu’une personne à savoir la véritable raison derrière mon mal de dos. Il n’y a qu’une personne qui sait à quel point j’étais proche de Vaervy. Il n’y a qu’une personne qui sait que j’étais prêt à y passer pour entendre ta déclaration. Mais tu as raison, il est nécessaire que tu saches. Mon dos…» il poussa un soupire puis regarda à nouveau les prunelles de Krish. « Ça se sentait tant que ça ? Oui c’était douloureux mais ça fait un peu plus de quatre siècles maintenant, je commence à y être habitué, j’ai tout le temps Kiel sur le dos, si tu me passes l’expression. C’est constant. La seule chose qui calme la douleur ce sont des massages, c’est pour ça que j’ai dépensé sans compter pour ces fameux divans : j’y passe un temps fou. A chaque fois que je m’y allonge ma garde est sur les dents, c’est dans un atrium et souvent à heure fixe, y’a-t-il plus beau pour un assassin de la Doth’Ka ? Ou même un assassin tout court. Evidemment la douleur s’intensifie lorsque je force sur mon dos et c’est d’ailleurs le problème, c’est ce qui en fait un cercle vicieux. Vois-tu je ferai tout et n’importe quoi pour qu’un prêtre de Kiran arrive à me soigner mais tous ceux que j’ai vu, c’est-à-dire tous, que ce soit le haut-prêtre ou le plus humble des novices, m’ont dit que la magie seule ne suffit pas, ne peut pas suffire. En tout cas, pour qu’elle soit efficace, il faut que je me muscle davantage afin que les travaux des prêtres puissent durer plus qu’une heure ou deux or si j’essaye de me muscler la douleur devient assez vite insupportable ; j’ai essayé de nombreuses fois, j’ai même failli me briser à nouveau le dos à une poignée d’occasions mais rien n’y fait. » Il poussa un autre soupire, un soupire désespérer, résigné. Il savait qu’il allait devoir composer avec cette faiblesse jusqu’à la fin de sa vie mais il avait encore besoin d’un peu de temps pour l’accepter et l’intégrer complétement. Il reprit vite son sourire parce que la suite était plus… joyeuse ? Oui, il y avait de ça même s’il y avait plus d’espoir que de joie selon lui. « Ce n’est pas vraiment un sacrifice mais un échange, je laisse mon confort matériel derrière moi pour garder la chaleur réconfortante de ta présence. Comme je te l’ai dit, si c’est un sacrifice il vaut le coup et j’y consent pleinement. Mais ce n’est pas tant le confort perdu que je redoute, c’est les soldats que je vais devoir côtoyer. Ils vont se demander ce que je fais là, me remettre en question, ils se moqueront de moi, peut-être ouvertement. Et je les comprends, leurs interrogations sont légitimes mais je ne ferais pas l’erreur de donner mon avis ou pire, de participer aux conseils de guerre… je ne veux pas leur donner raison. Je ne veux pas affaiblir ta position. » Son sourire joueur revint rapidement alors qu’il terminait sa tirade d’une dernière phrase dans une tentative, assez maladroite il faut bien l’avouer, de détendre un peu l’atmosphère. « Le petit manuel doit être quelque part dans ma bibliothèque, je le chercherais avant de partir, ça te fera de la lecture au cas où tu t’ennuies. »

Il l'avait dit... En toute lettres. Elle se trouva stupide d'en frissonner ainsi, mais elle en frissonna tout de même. Elle se retint de l'embrasser, tenant trop à sa réponse pour risquer de la couper, mais elle en garda un sourire un peu trop large quoi qu'il dise par la suite et une étincelle dans son regard. Une étincelle de... d'une étrange sensation qui lui réchauffait le corps et la Flamme.

Ses mains se posèrent à nouveau sur ses épaules. Elle l'écoutait avec attention, acquiesçant à la question rhétorique concernant son dos. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas écouter quelqu'un avec une attention et une curiosité aussi viscérales. Sa main chaude remonta sur sa joue lorsqu'elle vit s'insinuer cette résignation triste dans ses mots. Elle lui demandait de parler de choses dont il ne voulait pas se souvenir. Par lesquels il ne voulait pas être conditionné. Elle comprenait mieux ses réactions précédentes. Et il avait raison... A le regarder ainsi, elle ne pouvait pas s'empêcher de constater que ses propres émotions étaient conditionnées par celle de Myr'Hennis.

- Tu n'affaibliras rien du tout. Si tu préfères t'abstenir ou que tu n'as pas envie de travailler avec des soldats en plus de les côtoyer au camp, je respecterai ton choix, mais un Architecte pourrait nous être plus qu'utile. Qui dit siège dit contrôle d'accès et des réserves et Sol'Dorn était organisée selon notre logique... ta logique et celle des Architectes qui t'ont précédés. Si ça dégénère, le moindre détail structurel pourrait être un atout des plus importants, et si notre plan fonctionne, il n'en restera pas moins des groupes locaux contre lesquels il faudra réussir à se défendre. " Elle ne perdit pas son sourire mais la proposition était on ne pouvait plus sérieuses. " Nous sommes plusieurs à nous être posé la question de la venue d'un de tes apprentis à cause de ça, mais la décision a été reculée pour voir si nous arrivions à poser le siège avant tout... Et parce que plusieurs estimaient que tu les jetterais à la rue si nous exigions un de tes élèves. " avoua-t-elle, taquine. " Les remparts, la forteresse du IVe Ost, les Haut-Temples, tout ça n'a pas du être modifier tant que ça même si la ville a été fondée il y a deux cycles. Pour ne préparer, nous nous sommes appuyé sur une carte Thaarie et sur des plans d'origine retrouvés dans les archives de l'état major. La logistique des seigneuries morcelées et du siège a déjà été un casse-tête monumental alors nous avons temporisé concernant l'après-siège, mais si nous décidons de tirer le plein potentiel de ta présence, peut-être que le culte de Tesso, ou des espions pourraient récupérer bien plus. En étant sur place, tu pourras même examiner les matériaux et les styles Vaanis qui ont du s'y mêler. Ton expertise nous serait bien plus précieuse que tu as l'air de le penser. Crois, moi. Ils se demanderont plutôt comment j'ai fait pour te convaincre de sortir d'Elda et si je suis pas un peu trop autoritaire... " Son sourire se fit une nouvelle fois plus mordant. " Et puis si quelqu'un te moque de toi, rappelle lui qu'il a laissé armes et bagage au puy et que tu y a encore tes fameux apprentis. Vu la façon dont ils balisent à l'idée que tu les prennes en grippe, je ne pense pas qu'on ait à planter leurs têtes sur des pics pour l'exemple. " L'épisode de la mort de la matriarche Hune'Baenre dans la champignonnière détruite n'avait pas aidé à calmer les rumeurs parmi les prima d'ailleurs... Là dessus, elle plaidait coupable. Elle était prête à parier que les officiers ne joueraient pas au plus con avec un homme capable de réquisitionner leur maison, leur QG et leur arène préférée sur un coup de tête... Mais elle savait également que ce ne serait pas unanime et que le respect n'était qu'en partie assuré. Elle ne pourrait sans doute pas l'empêcher totalement - les soldats bas du front, il y en avait toujours - mais si Myr'Hennis venait, elle ne voulait pas que ce soit pour être sans cesse questionné et rabaissé. Il en était hors de question. Son sourire s'étira enfin d'un seul côté pour en terminer avec les sujets les plus pragmatiques. " Je te prends au mot. J'attends ce manuel sur mon bureau le matin. Et si tu as d'autres lectures à me conseiller, n'hésite pas, je lis beaucoup pendant les trajets. En allant à Thaar pour les Jeux, j'avais pris les Chroniques du Génocide Cretok de Limerak. " Elle leva les yeux au plafond, laissant facilement deviné ce qu'elle avait pensé de l’œuvre aussi militairement juste qu'indigeste et partial.

Son sourire découvrit ses dents en une tâche blanche sur sa peau d'encre. Elle se sentait légère à présent. Et... Bien. Tout simplement bien. Elle n'aurait pas pensé que partager quelques réponses et quelques mots si simples pouvait à ce point détendre.  

Il devait admettre qu’elle n’avait pas tort, ses compétences pourraient être utiles, du moins il l’espérait. Myr’Hennis n’en avait pas envie mais s’il travaillait avec les soldats ça voulait dire qu’il pourrait rester plus longtemps avec Krish, qu’il pourrait la voir plus souvent. C’est une excuse comme une autre se dit-il avec l’équivalent mental d’un haussement d’épaule, ça vaut le coup de supporter des soldats si c’est pour ça.

L’idée de jeter un envoyé du triumvirat, ou un militaire gradé, de sa villa l’amusait beaucoup, il imaginait très bien la scène même si en réalité il ne l’aurait pas fait aussi violemment que son imagination le laissait supposer, il tenait à sa tête. En tout cas elle n’avait pas tort, il aurait sûrement refusé, c’était même certain.

« Et ces plusieurs augustes personnages ont raison, je ne pourrai pas le permettre, c’est bien trop dangereux, enfin pour moi ça l’est bien trop. Ça voudrait dire laisser un de mes apprentis loin de ma surveillance, au contact de personnes que je n’apprécie pas, et je ne doute pas que ce soit réciproque. Non, c’est bien trop dangereux, autant signer mon arrêt de mort, ça serait plus rapide. Ça doit être l’un des rares exemples où diviser pour mieux régner ne marche pas du tout, ce sont mes apprentis, aucun n’est encore prêt à prendre ma place mais ça ne les empêche pas d’essayer tout de même alors autant les laisser ensemble pour qu’ils ne pensent pas trop à se débarrasser de moi. L’une compte sur le soutien de sa famille, des primas, pour s’assurer le rôle de Grand Architecte à ma mort tandis que l’autre fait ce qu’il peut pour saper sa rivale. » Un sourire passa sur les lèvres de Myr’Hennis alors qu’il se souvenait d’un temps lointain. « En un sens il me rappelle mes années d’apprentis. Cependant ni l’un ni l’autre n’a compris qu’à la mort du Grand Architecte c’est la garde qui décide de qui va succéder… mais je digresse, tu as raison, je vais mettre mon ressentiment de côté pour apporter ma pierre à l’édifice, sans mauvais jeu de mot. Je fouillerai mes archives, peut-être que j’y trouverait quelque chose sur Sol’Dorn et sa construction, ça m’étonnerait que tous les plans soient à l’Etat Major ; le savoir c’est le pouvoir, conservez le bien, comme aimait à le répéter mon maître. Qui sait, peut-être que je trouverai les plans des fortifications ainsi que les poternes qui vont avec, voire des passages secrets digne de ce nom si j’ai vraiment de la chance. Mais je ne te promets rien, et puis il y a de grandes chances que, s’ils existent encore, ils soient aussi connus des traîtres. » Il poussa un petit soupire avant de reprendre. « Moi qui ai fui l’architecture militaire tant que j’ai pu, voilà que je vais devoir fouiller mes archives pour trouver les quelques traités qui en… » son regard se voilà quelque peu alors qu’un souvenir venait de lui revenir. «  Il n’y a pas longtemps j’ai retrouvé des documents en nisétien ancien, aucune idée de quoi ils parlent, je n’ai jamais su vers qui me tourner pour les faire traduire ; je n’ai jamais osé demander à qui que ce soit de peur de les perdre mais peut-être que tu connais quelqu’un, en qui tu as suffisamment confiance, qui pourrait les déchiffrer. » Un sourire espiègle passa sur ses lèvres. « Mais peut-être que tu pourrais le lire. » Sa petite moquerie faite il reprit un semblant de sérieux. « Ça n’a peut-être aucun lien mais sait-on jamais, ça pourrait peut-être s’avérer utile. Pour ce qui est de la lecture, si les vieux textes t’intéressent, j’ai le journal personnel de Draedal Himrelth. Plus sérieusement ce n’est qu’une copie, l’original est tombé en poussière depuis une éternité mais comme c’est la seule copie au monde, en tout cas à ma connaissance, j’aime dire que c’est l’original, c’est plus prestigieux. Alors certes ce n’est pas très guerrier mais c’est intéressant ; enfin je trouve que ça l’est cela dit c’est sûrement parce que je suis le Grand Architecte. Mais je suppose que c’est le manuel de la romance et de la confiance mutuelle qui t’intéresse. » L’architecte prit un air faussement songeur, se frottant le menton de sa main libre. « Où est-ce que j’ai bien pu mettre ce fameux manuel… non il n’est pas dans ma bibliothèque… par les dieux où est-ce que je l’ai rangé ?... » Ses yeux, et plus généralement son visage, s’illuminèrent comme s’il avait eu une épiphanie. « Ah si, je sais ! Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ?! » Un éclat joueur passa dans ses yeux pendant une seconde avant qu’il n’embrasse passionnément Krish.

- Hey ! Et puis j'ai assisté à l'Exode aussi ? " elle donna un petit coup sur son épaule, faussement outragée, " C'est ma mère qui parlait couramment l'ancien Nisétien. Pas moi. " ricana-t-elle avant de le laisser continuer.

Peut-être que la bibliothèque de Thaar aurait encore quelques manuscrits interdits par l'occupation eldéenne... Et si ce n'étaient pas eux, elle se souvenait parfaitement d'un certain esclave qui lui avait donné pas mal d'information concernant ce groupe de mage aller à Nisetis. Si certains étaient encore en vie et encore dans le secteur, une recherche ne couterait pas grande chose... Et en parlant de livre rares ! Le Grand Architecte faisait pas que collectionner les tableaux et les sculptures de sa propres confection. Il avait surtout un talent sérieux pour dénicher les perles rares. Serviteurs, ouvrage, informations. Elle songea en souriant qu'il avait peut-être manqué une grande carrière dans les ordres de Tesso avant que les traits fins des statues d'obsidienne de son atrium lui reviennent en mémoire... Mouais non. Ils y auraient perdu au change.

Rattrapée par la situation, souriant toujours plus à ses mimiques, elle n'en fut pas moins prise de court... Elle... Prise de court... Par un simple baiser. Son cœur partit instantanément dans un sprint qu'il semblait bien décidé à gagner. Ses mains manquèrent de filer dans son dos pour y planter leurs griffes, mais celle qui s'était déjà envoler s'arrêta d'instinct, restant suspendue dans l'air. Ce ne fut qu'une fois la première surprise passée qu'elle rendit réellement son baiser à Myr'Hennis. Le premier qu'elle recevait de sa part sans qu'il ne soit totalement abruti par la fièvre. Le premier ou elle s'autoriser à goûter véritablement ses lèvres. Sa paume se reposa sur son épaule, descendant sur son pectoral en une lente caresse sur sa tunique de grosse toile. Son autre main avait saisit la nuque de son compagnon, fourrageant à demi dans sa crinière blanche et le poussant à rendre leur étreinte plus étroite. Cela dura longtemps... Mais pas assez. En réalité elle avait totalement perdu la notion du temps lorsqu'ils se séparèrent d'un même mouvement pour retrouver leur contact visuel.

- Attend voir, ça me dit quelque chose... " Pas de doute, si elle avait eu la capacité physique de ronronner, elle l'aurait fait. Elle. Souriait. Vraiment. Beaucoup. TROP. Des étincelles au creux du ventre, son cœur reprenant un rythme viable à défaut d'être normal, elle piqua un baiser sur les lèvres de Myr'Hennis et dévia sur sa mâchoire, remontant jusqu'à son oreille, ses yeux, bien trop heureux, brillant de malice. " J'en ai peut-être lu un chapitre ou deux... " Elle se saisit le bord de son oreille parfaitement taillée, entreprenant de jouer sur toute sa longueur de la pointe au lobe.

Sa réponse le fit sourire. En réalité, pour le journal, il n’était pas certain que ce soit une copie, après tout il ne savait pas si l’écriture souple et déliée était, ou non, celle de Draedal mais il se doutait fortement que le journal en lui-même n’avait pas pu traverser tous ces cycles. Dans tous les cas Krish aurait doublement de la lecture car l’œuvre de Draedal n’était pas compréhensible en l’état, il fallait le carnet de note de Myr’Hennis pour le comprendre. Un carnet de note qui qui lui-même était codé et seul l’architecte, en bon paranoïaque qu’il était, pouvait le déchiffrer. Elle aura donc de quoi s’occuper durant tout le voyage si ça l’intéresse réellement. Mais avant ça il fallait qu’il rentre dans sa demeure pour aller chercher le journal et son carnet, tous deux dans des cachettes séparées, aussi difficilement trouvables que la maquette. Mais pour le moment il s’en fichait parce que pour le moment seul le manuel de la romance et de la confiance mutuelle l’intéressait.

Sans trop savoir pourquoi il s’était attendu à ce qu’elle le repousse mais, et les dieux en soient loués, il n’en fut rien. Avec la main qui ceinturait les reins de Kirsh il l’attira contre lui, heureux qu’il était de faciliter leur rapprochement. Il posa sa main libre sur sa joue, c’était peut-être égoïste mais il n’avait pas envie qu’elle s’éloigne. Encore que au vu de la réponse de l’eldéenne, c’était partagé. Il profita de cette étreinte, de ce baiser, d’autant plus que cette fois ses sens n’étaient pas émoussé par la maladie ou ses blessures, il était capable d’en profiter pleinement et il ne se gênait pas. Mais toutes les bonnes choses ont une fin, il fallait bien arrêter de s’embrasser, ne serait-ce que pour respirer et puis pour rouvrir les yeux. Pendant que ses paupières couvraient ses yeux une flamme de désir s’était allumée dans ses prunelles puis il papillonna un instant comme pour attiser la flamme en question. En réalité il n’en avait pas besoin.

Il se doutait bien que ça lui disait quelque chose, après tout on ne vit pas un cycle sans en avoir lu au moins un court passage. Un nouveau sourire, un sourire taquin, naquit sur ses lèvres, il ne comptait pas répondre, de peur de changer l’expression de Krish. Le baiser, ô combien plus bref que les précédents, si court qu’il lui sembla que leurs lèvres s’étaient à peine frôlées, l’arrêta dans ses pensées et un frisson lui remonta la colonne. Il se dégagea délicatement puis, profitant que la drow s’était mise sur ses genoux pour pouvoir atteindre son oreille pour tomber à la renverse et l’attirer avec lui dans sa chute, se tournant au passage pour qu’il se retrouve au-dessus de Krish.

« Il faut lire les chapitres en entier sinon ça ne compte pas. »

Il reprit son baiser qu’elle lui avait volé puis descendit à son tour, jusqu’à sa nuque, il respire son parfum un instant avant de l’embrasser tout en passant sa main droite sous la tunique, la gauche lui servant à maintenir son équilibre, pour attraper sa hanche. Avec son pouce il se mit à caresser langoureusement le ventre de Krish.

Son dos tomba sur le matelas fin du lit étroit. Elle retint un gloussement surpris. Le drap retiré à la va-vite  formait une boule sous sa hanche et dieux savent ce qui se serait passé si l'Architecte n'avait pas eu la présence d'esprit de poser son plateau par terre lorsqu'il s'était levé, au lieu de simplement le pousser. Les vieux oreillers de guingois lui tordent légèrement la nuque. Elle chassa le problème d'une main agile tandis que Myr'Hennis venait lui faire miroiter des promesses déguisées.

Il était magnifique avec cette flamme de désir pour éclairé son visage. Ses prunelles restaient entièrement sur la femme entre ses bras jusqu'à ce qu'ils ferment tout deux les yeux pour s'étreindre à nouveau. Il scella le sourire de l'eldéenne de ses propres lèvres avant de s'en prendre doucement à son cou. Debout, elle lui arrivait à peu près au pectoral, mais sous lui, elle avait l'impression qu'il était encore plus grand. Sa respiration caressait la peau étrangement chaude de Krish et elle le ressentait avec autant de délectation que ses autres caresses.

Doucement, laissant sa consœur jouer dans les cheveux blancs du jeune homme, sa paumes rendues caleuses par le maniement des armes se posa sur la tunique noire. Ce dos immense s'étendait devant elle à perte de vue. Même en remontant aussi loin qu'ils le pouvaient, ses doigts n'en trouvèrent pas le bout. Alors, agiles, il tirèrent peu à peu sur la chemise noire jusqu'à découvrir la peau nue. Égale. Douce. Si différente de la sienne. Et cette longue main qui s'aventurait sous sa propre tunique. Sur son ventre. Sa hanche. Des frissons hérissaient sa peau... Mais ça n'avait rien à voir avec ses amants habituels.

Consciente de ses moindres mouvements, elle n'était pas pressée voir les choses s'accélérer. Elle voulait que le moment s'étire. Elle voulait le découvrir lentement pour savoir ce qui lui plaisait et lui déplaisait. Remarquer les réactions qu'elle provoquait chez lui ne lui mettait pas au ventre ce triomphe sauvage et dominateur. Elle en vibrait, bien sûr, mais elle ne l'avait pas en son pouvoir. Non. Elle frémissait de le voir frémir. Le fait qu'il apprécie ses attentions lui faisait autant d'effet que ses caresses... Peut-être un peu trop d'effet étant donné la façon dont sa respiration devenait ample. Son désir montait en une lente vague, l'encourageant à pousser cette étreinte. Elle le laissait découvrir sa peau du bout des lèvres, comme il l'entendait, le ramenant seulement à elle pour des baisers de plus en plus profonds.

Remontée jusqu'aux épaule, elle ne tenta pourtant pas de retirer la tunique de Myr'Hennis. Au contraire, elle s'y accrocha pour se pencher vers son oreille. " Par Isten... " A regret, sur le fil de sa respiration appuyée, il fallait bien qu'elle le prévienne avant de laisser tomber toute prudence. " La porte n'est pas épaisse, les jumeaux ont l'ouïe aussi fine que Shundara... Et je ne suis pas du genre discrète. " L'odeur de sa peau la rendait folle... Elle voulait qu'il continue ! Mais tout comme il avait été raisonnable un peu plus tôt, elle doutait que mettre tout le monde au courant de leur idylle naissante soit à faire maintenant et de cette façon là... " Si tu continues, ils vont nous entende. "

Il pouvait distinctement sentir son cœur battre à ses tempes et à ça il fallait ajouter le rythme de celui de Krish qu’il entendait et ressentait alors que ses lèvres effleuraient son cou. C’était une mélodie rapide, sauvage, un crescendo aussi intense qu’il était doux à ses oreilles et très vite les battements du cœur du Grand Architecte se synchronisèrent ave ceux de la triumvir, tout comme sa respiration ; il la laissa s’accélérer, abandonnant toute tentative de la contrôler. Elle n’était pas encore erratique et encore moins haletante mais elle en prenait doucement le chemin sous les caresses de Krish. Il sentait son corps s’embraser, petit à petit, alors que sa main se faisait plus aventureuse, quittant sa hanche pour remonter un centimètre à la fois sous la tunique, savourant les frémissements de l’eldéenne.

L’exploratrice s’arrêta alors que son propriétaire remontait pour embrasser son aimée, une fois le baiser rompu il allait repartir, peut-être pour faire la jonction avec sa main, qui devait remonter en même temps mais la voix de Krish le stoppa net. Pourtant en appeler à Isten l’avait encouragé, Myr’Hennis avait choisi la déesse lors de son Clor d’Beannaighil, c’était sa divinité tutélaire, il avait placé sa vie sous ses auspices et il espérait l’avoir amusé. Il aurait dû savoir cependant que le désir, ce don tout particulier d’Isten est par nature éphémère, il disparait une fois qu’il est assouvi ainsi il ne put s’empêcher de voir dans les quelques mots de Krish un signe. L’architecte l’embrassa une fois de plus.

« Je pourrai te bâillonner comme ça… »

Mais il savait que c’était une solution temporaire et assez peu efficace. De toute façon est-ce que ça changeait vraiment quoi que ce soit ? Shundara la première devait se douter de leur relation naissante, après tout, la première chose qu’il lui demandait à son réveil c’était si Krish était là alors à quoi bon essayer de la cacher ? Mais le problème ce n’était pas la mage de vie, c’était les jumeaux. Et puis ça le frappa d’un coup : ils allaient le voir comme une trahison, c’était certain. Il serra les mâchoires sous l’effet de la frustration et se laissa tomber sur le bord du lit, il était à peine sur le matelas quand il poussa un soupir.

« Tu as raison, comme toujours… » Il soupira brièvement. « Quand est-ce que tu m’as dit que je pourrai rentrer chez moi déjà, dans deux jours ? Par les dieux que ça va être long… » L’idée de donner l’ordre aux jumeaux de sortir du baraquement lui avait traversé l’esprit mais pouvait-on faire plus évident comme message ? Peu importe ce à quoi il pensait il ne trouvait pas de solution satisfaisante. « Je pourrai rentrer plus tôt, je vais bien mieux. Et puis… » son sourire espiègle revint sur ses traits « il va me falloir du temps pour préparer tous ces livres si tu ne veux pas t’ennuyer durant le voyage ; il faut toujours que je retrouve l’un d’entre eux... »

- Même a toi je ne donnerai pas l'autorisation de m'entraver ou de me bâillonner. Quelle que soit la méthode. " susurra-t-elle, une flamme d'anticipation avide dans le regard.

Les lèvres de Myr'Hennis s'étaient pourtant montrées assez efficaces pour absorber sa respiration ample... Bon, elles n'auraient pas pu étouffer grand chose de plus, mais l'intention y était. Il aurait suffit qu'il pousse un peu plus loin pour qu'elle se moque de l'avis de ce qui auraient pu les écouter en bas. Il n'était pas dans sa nature ou dans ses habitudes d'attendre... Et vu ce qu'Eshk'Oroth avait du supporter comme spectacle pendant certains de leurs voyages lorsqu'elle tombait sur de vieilles connaissances, c'était le moins que l'on puisse dire. Le sexe n'était jamais une affaire compliquée. Manier les Désirs était devenue une seconde nature depuis son noviciat au temple de la Sulfureuse... Ou du moins l'était-ce dans son ancienne vie, bien qu'elle n'y accorde plus autant d'attention depuis le jour où elle avait vu pour la première fois le Temple du Chaos. Et Isten savait qu'elle avait envie de lui... Mais pas au risque de faire de tout cela quelque chose de banal. A un souffle d'elle, elle le vit crisper les mâchoires... et il s'arracha à elle pour glisser sur le bord du matelas.

La main forte de la triumvir se posa sur sa taille dénudée pour l'empêcher de tomber en arrière... Et peut-être un peu de s'éloigner. L'autre était venue se coller à son torse finement dessiné, sentant palpiter un battement rapide.

- Tu as raison, comme toujours… » Et un soupire à fendre les pierres. Les battement sous ses doigts étaient toujours aussi rapide que ceux de son propre cœur.
- Je sais... " soupira-t-elle sur un ton qui en disait long.
- Quand est-ce que tu m’as dit que je pourrai rentrer chez moi déjà, dans deux jours ?
- Oui. c'est ça.
- Par les dieux que ça va être long… » Un cri du cœur qui la fit sourire, et la poussa à ajouter avec un sourire de chat.
- Shundara pense que tu ne sera pas capable de chevaucher pendant plus de quelques minutes avant deux jours. "

Puis les yeux de l'Architecte se voilèrent quelques instants. Il réfléchissait intensément... étendu près d'elle, à deux doigts de tomber et complètement débraillé. Son propre ventre était toujours exposé également. Une longue cicatrice en croissant de lune bordait son ventre au niveau de son nombril avec une régularité et une précision chirurgicale. Le reste des marques qui marbraient très légèrement la peau de jais était constitué de multiples estafilades gravées par des lames si fines et tranchantes qu'il ne pouvait s'agir que de lames de rasoir.

- Ne m'en veut pas si je viens vérifier... " Elle ponctua sa phrase d'un ultime baiser langoureux, sa main résistant de peu à l'envie de repartir à la découverte de cet immense corps. Puis elle se redressa à genoux sur le matelas et s'étira comme un chat pour faire passer les dernières sensations et prendre le temps de retrouver ses esprits. Une fois rassise sur le bord du lit, elle rabaissa correctement sa tunique et souffla un grand coup... Et aperçu le plateau à demi entamé.

- Zut... Avec tout ça tu va manger froid... " Une moue embêté se tourna vers Myr'Hennis bien qu'un éclat malicieux scintille toujours dans les yeux de l'eldéenne. " Ce qui m'amène a une question de la plus haute importance... Tu penses qu'on peut emmener Ssuorr en Ithri'Vaan  ? "

« Tant pis, de toute façon je n’ai plus faim. Mais je t’en prie, ne te prive pas pour moi. » Il n’était pas impossible qu’il ait faim dans une petite heure mais pour le moment il n’avait pas envie de manger quoi que ce soit. Enfin si mais ce n’était pas vraiment possible. « Et oui, Ssuorr va nous accompagner. Ça me permettra d’être bien vu des officiers, c’est toujours ça de pris. Et puis je ne peux pas le laisser ici, mes apprentis risquent de prendre goût à la vie de Grand Architecte, ça risque de leur donner des idées et personne ne veut de ça n’est-ce pas ? »

Son sourire disparut alors qu’il s’asseyait sur le bord du lit en évitant soigneusement de poser le pied sur le plateau au sol, le dos légèrement vouté, il réfléchissait, posant son menton sur son poing. Ses apprentis ne l’inquiétaient pas, c’était surtout que tant qu’à faire il préférait partir avec son cuisiner. Cela dit ce n’était pas ce qui le troublait actuellement. Deux jours. Sa patience avait des limites et à cause du temps passé dans cette petite pièce il commençait à dangereusement les atteindre. Non pas qu’il ait quelques d’important à faire mais ça faisait… trois, quatre jours qu’il était là ? Maintenant il connaissait les moindres recoins de la pièce L’ennui l’avait même passé à réfléchir à un moyen d’améliorer le baraquement même si ça ne servait à rien. Il avait bien essayé de réfléchir à ses projets déjà en cours mais sans son matériel et ce qu’il avait déjà dessiné c’était impossible de continuer. L’ennui va me tuer avant la leucémie pensa-t-il avec un sourire moqueur sur le coin des lèvres. Deux jours… tant pis s’il devait faire des pauses toutes les cinq minutes, il fallait qu’il sorte. C’était sûrement contre-indiqué mais il en avait besoin.

« Deux jours c’est bien trop long, je vais devenir fou avant qu’on parte. Je ne peux pas chevaucher plus de cinq minutes mais je dois bien pouvoir me déplacer autrement… une litière par exemple, histoire de rester dans le thème de l’Ithri’Vaan. »

Il savait bien que c’était à Shundara plus qu’à Krish qu’il devait en parler mais l’occasion s’était présentée alors il en avait profité. Il se laissa tomber en arrière en soupirant, sa tête était à un ou deux centimètres du mur et ses cheveux formaient un cercle autour de sa tête ; rappelant un peu la coiffe que Krish avait porté durant la cérémonie qui l’avait vu devenir Haut-Prêtresse d’Uriz.

« Si Shundara refuse est-ce qu’au moins tu pourrais m’apporter deux ou trois trucs ? Une toile, quelques pinceaux et de la peinture pour ne citer que ça. »

Sur un flanc, appuyée sur un coude, elle s'étendit au côté de Myr'Hennis. Sa main libre lui caressa doucement la joue sans qu'elle ne cesse de sourire.

- Honnêtement, je crois qu'elle sous estime ton état. Tu devrais être incapable de tenir debout selon elle. " Étant donné son état du matin même, on pouvait aisément la comprendre cela dit. L'amélioration était des plus spectaculaires et les deux mages pouvaient en être fières... Même si elle doutait de pouvoir avancer des arguments audibles par Shundara. ' Je te jure, il tenait debout sans problème et il m'a même soulevé sans trop d'effort ' ne ferait pas forcément le meilleur effet... " Mais je note. Si jamais je n'arrive pas à la décider ce soir, j'essaierai de mettre la main sur une toile et de la peinture. Sinon j'ai du fusain et du papier. Si tu t'ennuies vraiment trop en attendant, c'est peut-être mieux que rien ? " Elle se courba pour poser un baiser sur son épaule. " Et il va falloir que je retourne en bas... "

L'architecte avait l’habitude qu’on le sous-estime et il ne faisait rien pour changer ça, c’était tellement utile. Se montrer plus faible qu’il ne l’était réellement était une technique qu’il avait parfaite au fil dans ans et ça lui avait permis de survivre une ou deux fois et rien que pour ça il ne comptait pas arrêter de sitôt ; à ça il fallait ajouter une résistance à la douleur somme toute assez remarquable. Cela dit, ses dernières prouesses n’avait pas été gratuites et il n’avait pu y arriver seulement parce que la maladie n’avait pas eu le temps d’insidieusement planter ses griffes dans son corps pour s’y installer durablement et ce grâce aux deux guérisseuses. Ça le fit sourire de se dire que c’était grâce à Shundara qu’il avait pu soulever Krish.

« Effectivement c’est mieux que rien, de toute façon je n’ai pas vraiment le choix, je vais devoir m’en contenter. Un peu comme ça… » il se pencha pour déposer un baiser sur les lèvres de la triumvir. « Aller file, tu as tout un peuple aux abois qui t’attends, de toute façon je ne risque pas de m’envoler. »

Un sourire moqueur et un tirage de langue plus tard et voilà le Grand Architecte qui la regarde s’en aller alors il s’assoit, mets de l’ordre dans ses cheveux et ses vêtements une fois que la porte s’est refermée puis il poussa un long soupir. Deux jours… j’espère que tu as un bon stock de papier et de fuzain. Une fois le matériel tant attendu entre les mains il put se mettre au travail. Bon pas tout à fait au travail vu que c’était pour passer le temps.

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5e jour de la 1ere ennéade de Verimios 15 : XI
Départ de l'armée pour Sol'Dorn : J-5
Soir

Myr’Hennis en était venu à attendre avec impatience le soir de chaque jour, c’était le moment où elle rentrait après une journée qu’il supposait éreintante et en réalité il s’en voulait un peu de ne rien pouvoir faire pour l’alléger. Alors il eut l’idée d’un jeu. Bon il n’en eut pas l’idée tout de suite, elle ne vint qu’une fois que Shundara eut accédée à sa requête et même s’il se doutait que Krish y était pour quelque chose il n’avait pas posé la question, il était bien trop soulagé pour ça. Cela dit il n’était pas parti tout de suite du baraquement, il avait quelque chose à faire d’abord. Armé de plusieurs feuilles et d’un fusain il se mit à dessiner. D’abord il prit une petite heure pour faire le portrait de Krish comme il l’avait vu alors qu’elle allait remonter jouer avec son oreille, capturant à merveille ce qu’il avait vu dans ses yeux. Mais il ajouta un détail : le portrait se mordillait la lève inférieure. Au dos du dessin il écrivit quelques lignes :

Les caresses des yeux sont les plus adorables ;
Elles apportent la Flamme aux limites de l'être,
Et livrent des secrets autrement ineffables,
Dans lesquels seul le fond du cœur peut apparaître.

Les baisers les plus purs sont grossiers auprès d'elles ;
Leur langage est plus fort que toutes les paroles ;
Rien n'exprime que lui les choses immortelles
Qui passent par instants dans ma chère idole.

Lorsque le temps nous a fait nous enfuir
Et que nos yeux se sont emplis de tristesses,
Elles gardent encore leur limpide tendresse ;

Faites pour consoler, enivrer et séduire,
Elles ont les douceurs, les ardeurs et les charmes !
Et quelle autre caresse a traversé des larmes ?


Ensuite il se mit à dessiner une carte, quoi de plus simple, lui qui en faisait si souvent ? C’était une carte du Puy, enfin d’une partie du Puy parce qu’il avait mis trop de détail pour recréer l’ensemble de la Cité Magmatique en une après-midi, surtout qu’il allait avoir besoin de temps. La carte avait la soierie pour centre et des pointillés indiquaient par où passer pour rejoindre un endroit marqué d’une grosse croix située à la périphérie du Prime Quartier. Des passages secrets étaient dévoilés sur la carte, et à côté de chacun d’eux étaient griffonné le moyen de les trouver.

La carte menait à une villa en ruine qui, à son âge d’or, était probablement une des plus grandes et somptueuses du Prime Quartier, il était encore possible d’y voir les traces de sa glorieuse gloire d’antan. Le temps n’avait pas pu éroder l’architecture, aérienne au point qu’on pourrait croire que l’édifice tenait debout par magie ; la grande cours intérieur, son bassin rectangulaire vide, la statue d’une jeune drow nue portant à bout de bras une amphore d’où devait s’écouler jadis l’eau qui alimentait le bassin ni les grandes arches qui couraient de chaque côté de la cours ; le vestibule aussi n’avait pas perdu de sa superbe, il donnait sur un grand escalier protégé par deux statues de félins à pointe qui descendaient. Par contre une fois rentré réellement dans la villa les signes d’abandon abondaient. La première pièce, ce qui avait sûrement été une antichambre il y a des siècles de ça, était une pièce aux dimensions respectable au centre de laquelle trônait un autel ébréché. Dessus il n’y avait plus rien, aucune idole, les dieux semblaient l’avoir abandonné aussi. Devant la pierre poussiéreuse se tenait un étui circulaire, et s’il n’était pas assez évident qu’il fut placé là récemment, des traces de pas se dessinaient dans la poussière.

Si quelqu’un avait la curiosité d’ouvrir l’étui il y trouverait une autre carte, plus petite et plus détaillée, de la villa en question avec une autre feuille sur laquelle il était possible de lire :

Jadis, un voyageur d’une contrée antique
Vint me dire : « Il y a, dans ces lieux désertiques
Deux jambes de granit dépossédées d’un buste ;
A leurs pieds, les éclats d’un visage robuste

Montrent les sourcils forts, la lèvre autoritaire,
Que le sculpteur a su donner au caractère
Qui survit aujourd’hui dans ces vestiges froids
A la main et au cœur qui l’ont conçu deux fois.

Et sur le piédestal apparaissent ces mots :
« Je suis Keftil premier empereur. Admirez
Mon œuvre, ô tout-puissants, et en désespérez ! »

Il ne reste plus rien au-delà des morceaux
Du colosse estropié que l’immensité nue
Du sable, à l’infini, qui s’étend sous les nues. »

La carte quant à elle faisait traverser la villa jusqu’à un passage dérobé. Dans cette villa à l’abandon il y avait quelque chose de surréaliste, il n’y avait pas Flamme qui vive, mêmes la vermine qui d’ordinaire prolifère se tenait à l’écart de cette demeure au point qu’on pourrait la croire hantée. Les pas résonnaient de façon inquiétante et les rares champignons luminescents qui restaient créaient des ilots de lumière dans un océan de ténèbres ; les pas résonnaient dans ces grands espaces vides de tout, même les meubles avaient fini par tomber en poussière ou être emportés par d’autres créant une atmosphère anxiogène. Seul des personnages inanimés observaient ceux qui déambulaient dans les couloirs, il s’agissait de statues parfois guerrières parfois sensuelles ; de scènes de bataille ou de triomphes représentées au sol via des mosaïques ou bien des frises et autres bas-reliefs qui jugeaient les visiteurs de leur regards sévères. Ils ne semblaient pas contents du tout de recevoir de la visite malgré des visites autant espacées.

Puis la carte mena à l’entrée d’une arène privée, d’une taille colossale, un thaari n’aurait pas été dépaysé, et derrière les loges principales se trouve un petit couloir effondré, bloquant le passage à quiconque voudrait continuer sa route. Alors la carte explique comment trouver le passage secret et enfin s’ouvre le mur sur la gauche du visiteur donnant sur un couloir bien éclairé, contrastant avec le reste de la villa. Au bout de ce couloir se trouve une échelle, les barreaux de métal directement enfoncés dans la pierre, et une fois arrivé en haut on arrivait enfin dans le sanctuaire de Myr’Hennis.

C’était une pièce d’à peine dix mètres de large, ridiculement petite comparé à l’arène, et plus généralement la villa, qu’il fallait traverser pour arriver jusqu’ici. Il n’y avait pas de porte, seulement deux colonnes sculptées pour représenter deux drows supportant le plafond. Un chemin de gravier d’un blanc éclatant menait au centre de la pièce, le petit chemin était entouré de pierres plus sombres qui formaient, à y regarder de plus près avec la carte dans les mains, le plan de la villa. Au centre de la pièce, reposant sur un carré de ces graviers d’un blanc pur, se trouvait un banc en forme de croix ; le charpentier qui l’avait réalisé devait avoir simplement pris un tronc coupé en deux et l’avait modelé pour en faire une œuvre d’art plaisante à l’œil. Peut-être que dans ce jardin intérieur il y avait un jour eut de la végétation mais rien ne restait entre les pierres stériles, pas de vie, pas de sol.

L’architecte attendait, patiemment. Il était perdu dans ses pensées, une coupe à la main, une bouteille à ses pieds et deux journaux posés à ses côtés sur le banc, il avait repris sa toge habituelle. Il aimait venir ici, quoi de mieux qu’affronter sa peur pour réfléchir clairement ?

Encore une journée passée à courir... Et le fait qu'elle doive encore faire le trajet jusqu'à la soierie n'arrangeait en rien son manque de temps. Paradoxalement, ce n'était même pas vraiment la fatigue le problème, plus la tension nerveuse à force de ne pas avoir deux minutes pour se poser et réfléchir à l'enchainement qui se produisait dans sa vie depuis près de dix jours. Plus de mille ans et pourtant, les grandes choses se jouaient toujours en aussi peu de temps. Heureusement que l'état-major comptait des bains tout a fait passable - bien que ponctuellement trop peuplés - sinon elle aurait à peine eu l'occasion de se laver. Louées soient les mains actives des esclaves des thermes et leurs lotions, elle avait risqué la vie d'un rapport du IIIe Ost pour profiter de l'eau chaude durant une dizaine de minutes.

Se soir là, évitant une fois encore de se faire accompagné de T'Challa pour gagner la soierie, elle entra dans le complexe de Viconia par la grande porte. Durant la journée, elle avait longuement discuté avec la triumvir d'ailleurs, pour apaiser ses craintes envers le Grand Architecte et le reste de sa garde, mais qu'elle doutait d'avoir été d'une grande efficacité. Pour le reste, elle avait vu problème sur problème avec sa chère main droite au sein du temple d'Uriz : la petite Xaran.

Ferya sur ses talons, les deux femmes traversèrent l'élevage jusqu'au baraquement abandonné... Et s'arrêtèrent quelques mètres avant l'entrée. Elles échangèrent un regard.

Silencieux... Tout était beaucoup trop calme. Ferya dégaina l'un de ses sabres et et Krish pris en main son corbin.

-N'entre pas. S'il y a du grabuge, tu ne m'attends pas, tu va tout de suite prévenir Xan.

La noire elfe masquée acquiesça et tira son second sabre, prête a faire usage de la magie et des armes pour se tirer de là.

D'un pas prudent, Krish se glissa jusqu'à la façade. La seule fenêtre était obstruée par un volet fermé. Ce n'était pas comme s'il y avait naturellement plus de lumière dans l'élevage que dans la maisonnette de toute façon. Toujours rien. Pas la moindre respiration. Pas le moindre craquement de parquet. Se plaquant contre le mur, elle ouvrit la porte d'un coup sec... Et rien n'en sorti. D'un bon elle déboula dans l'encadrure. Rien. La pièce était vide. Aucune marque de précipitation. Aucune affaire laissée, tombée ou cassée. Elle inspecta chaque pièce du rez-de-chaussée avant de monter rapidement à l'étage. Les lits étaient défaits. Les âtres éteints. Les sceaux vidés. Tout était paisible. Dans chaque pièce. Jusqu'à celle qui avait servit de geôle et de chambre à Myr'Hennis.

Là, il y avait bien un détail... Une toute petite chose oubliée... Deux feuilles.

Krish s'approcha de la feuille poudrée de noir pour la saisir doucement... Un miroir. Et pourtant un visage qu'elle ne se connaissait pas. Il ne pouvait être que fantasmé. Cette lueur de désir accentué par le mauvais traitement que subissait sa lèvre. Cette lueur enveloppé de quelque chose de tellement plus chaleureux que de la simple concupiscence. Une attention, une... tendresse. Elle pouvait presque voir ses yeux briller au milieu de son visage détendu.

... Elle ressemblait vraiment à ça quand elle lui souriait ?

Elle se repris en se rendant compte du sourire doux et malicieux qui déformait ses traits face à ces quelques coups de fusain. Ce dessin lui rappelait confusément leur étreinte avortée de la veille. Il venait de lui rendre un instant le regard que Myr'Hennis avait posé sur elle. Cet éclat joueur dans cette passion sérieuse. Elle passa pensivement ses doigts dans son cou, du côté qu'il avait commencé à explorer, et...

Bon ça suffit !

Elle tourna plutôt sa prise pour rouler le dessin et... Tien ?

Ses yeux parcoururent les quelques lignes. Son visage perdit peu à peu toute tension. Son cœur battait à grands coup. Après ses démonstrations d'acteur, elle aurait du redouter de l'entendre prononce de tel mot, mais elle l'imaginait d'ici. Elle entendait sa voix, caressant les intonation du bout des doigts tandis que ses yeux revenait lire le premier quatrain du sonnet, réchauffée des pieds à la tête.

Elle eu toute les peines du monde à se détacher des quelques lignes racées d'une main assurée, et - a regret puisqu'elle n'avait pas d'autre choix pour garder le document à elle seul - elle le plia pour le glisser entre son carnet de vieux cuir noir et son nécessaire de soi dans sa sacoche de ceinture.

Ne restait alors qu'une carte sur la deuxième feuille. Une carte d'une précision qui laissait pensée qu'elle était même plus ou moins à l'échelle même si elle avait été tracée à main levée. Un sourire amusé lui vint aux lèvres. Elle roula la feuille dans on poing et repris le chemin de l'entrée.

- Tout va bien. Ils ont du partir dans la journée et Jallys nous aura manqué.

Ferya ne cacha pas son soulagement, ses épaules retombant instantanément et ses lames regagnant leur fourreau. Lorsque ses se posèrent sur la feuille blanche dans le poing de la Triumvir, Krish ne sourcilla pas un instant.

- Ils m'ont laissé un message. Je vais avoir quelques petites choses a faire du coup. Je vous dirais en revenant.
- Vous ? " releva la mage en croisant les bras, peu convaincue.
- Oui. J'ai besoin que tu ailles vérifier que tout va bien pour Elghinn et Driz'na. Vu ce qu'il y a la dedans, je pourrais en avoir pour un moment. Rien de très dangereux. Alors pas de panique tant que je suis de retour pour le grand jour, hein. " ricana-t-elle

Quelques minutes plus tard, elle avant récupérer une lanterne et s'avança seule dans le premier passage, à pied étant donné les indication à la fois complexe et précise qu'elle devait suivre pour trouver et actionner chaque nouvel embranchement. Elle montait descendait et marchait d'un bon pas, intriguée, curieuse. Elle avait passé bien du temps au Puy, mais les espaces et passages qu'elle découvrait était loin de faire partie de ceux qu'elle connaissait. A plusieurs reprise, elle du y aller à tâtons, glissant sur les murs inégaux là où devait se trouver une inégalité renfermant un mécanisme, une clef, un interstice. Jusqu'à une grande demeure à l'aspect délabré. Étrangement silencieuse.

Machinalement, elle testait la résistance du sol de pierre avant d'y poser le pied et ses yeux se faisaient plus dansants. Quelque chose ici mettait curieusement mal à l'aise. Mais elle suivit les pointillés sans hésiter. Masque accroché sous sa capeline en une discrète épaulière, le cuir souple de sa tenue lui permettait de se mouvoir sans mal. Tout ce qui se dessinait autour d'elle était étrange, inattendu. Venu d'un lointain passé, ils prenaient des reflets inquiétants de choses oubliées.

Au pied d'un autel, suivant de longs pas dans la poussières, elle découvrit un étui. Le second texte lui laissa un arrière goût bien plus mélancolique. Elle le relu plusieurs fois en trouvant un échos plaisant et un avertissement entre les belles lettres. C'est un peu moins radieuse, mais toujours aussi emballée qu'elle s'empara de la seconde carte. Seulement la villa. Elle touchait au but ? Ou le prochain indice allait la lancer encore plus loin ?

Les silhouettes étranges contemplaient en silence sa progression. L’ambiance du lieu, raisonnant avec les mots, se faisait de plus en plus oppressante. Krish ne ralentit ni ne força l'allure, profitant plutôt de cette étrangeté comme un intérêt en soi. Les œuvres parfois cassées ou abimés par le temps, ternies par la poussière, jetaient pourtant une foule de détails aux yeux attentifs. Ici, pour quelques instants, elle se découvrait une Flamme d'exploratrice. Un passage de plus.... Puis un couloir éclairé. Le peu de poussière au sol ne permettait plus d'y deviner un passage quelconque. Elle déposa la lanterne et se glissa jusqu'à une échelle en fer. Elle avait beau lever la tête, elle ne distinguait rien d'autre que d'autres sources de lumière. Roulant la seconde carte pour les passer toutes deux dans sa ceinture, elle commença donc à grimper... Et se retrouva au pied d'un grand drow de pierre. Un tapis de gravier blanc et... Myr'Hennis. Simplement assit, une coupe à la main.

La botte de cuir noir crissa sur les graviers blancs, rompant le silence aussi puissamment qu'une explosion. Malgré son armure de cuir, sa capuche était rabattue, laissant un flot de cheveux blancs libres dans son dos.

Il y avait quelque chose de... paisible ici. Si paisible que s'en était presque intimidant, même pour elle. Comme si, perdue au milieu de cette ruine somptuaire loin de toute bruit extérieur, cette petite pièce n'existait pas tout a fait dans le monde réelle.

Précautionneusement, sans un mot, elle remonta le long de la petite allée sans le lâcher des yeux. L'observant, doucement. Détaillant son air paisible, son éternelle toge, son calme. Le remerciant du regard avant même que ses mots ne se mettent de la partie. Elle avait apprécié le jeu. Pendant un moment, elle avait eu l'occasion d'oublier toutes ces décisions complexes et ces choses à faire pour suivre des indications et ne penser à rien d'autre qu'elle, ce qui l'entourait, et ce qu'elle pourrait bien trouvé à l'emplacement indiqué. Elle avait apprécié le jeu et les mots qu'ils avait placé sur sa route, tout comme le dessin qu'il avait prit le temps de faire et qui avait signé la fin d'une journée de travail et de problèmes à réglés.

Arrivée à sa hauteur, elle se pencha pour lui prendre sa coupe des mains et y tremper ses lèvres d'un air joueur, toujours sans le lâcher des yeux. Puis elle la lui rendit, souriant félinement. " Je ne suis pas trop en retard j'espère... "

Il ne leva pas la tête en entendant le gravier crisser, ça ne pouvait être qu’une seule personne. Enfin non, ça pouvait en être plusieurs. Jallys peut-être, venant régler ses comptes, Ferya éventuellement, venue terminer ce que Krish avait interrompu. Non, l’un serait déjà sur lui tandis que l’autre n’aurait pas révélé sa présence. Ou peut-être que c’était quelqu’un au service de Viconia, croyant qu’un trésor se trouvait au bout du périple il s’était démené pour suivre les instructions ; si c’était le cas il devait être terriblement déçu. Il y avait bien un trésor cela dit, deux même, mais ils n’étaient pas monétaires. Il leva la tête, sachant parfaitement qui avançait vers lui, il connaissait trop bien le rythme de sa marche, le son que produisait ses pas, tant il avait passé du temps à tendre l’oreille dans l’espoir de l’entendre, seul dans sa chambre forcée.

Il fut soulagé qu’elle soit venue seule, il craignait qu’elle se soit méfiée, qu’elle ait pensé à un piège, c’était l’endroit rêvé : une villa isolée qu’il connaissait comme sa poche. Il était content qu’elle se mette à lui faire confiance, c’était un peu le but de tout ça et visiblement ça marchait. Il n’avait pas touché à la coupe qu’il s’était servi, il savait qu’elle allait lui prendre des mains en arrivant et il avait pris sa meilleure bouteille pour l’occasion, ça changeait de ce qu’il avait pu boire durant sa convalescence à la soierie. Il lui rendit son sourire.

« Non mais j’ai failli t’attendre, j’étais à deux doigts de venir te chercher, ça aurait détruit toute ma mise en scène… » son sourire devint joueur alors qu’il avalait à son tour une gorgée, « il va aussi falloir que je m’insurge avant que tu ne prennes l’habitude de me voler ma coupe. » Il redevint plus sérieux en se décalant sur le banc, poussant soigneusement les deux journaux l’un sur l’autre pour faire une place à Krish au centre du banc en croix. « Mais je t’en prie, assieds-toi. Tu n’arrives pas en retard dans le sens où il n’y a pas de spectacle qui commencera bientôt, par contre j’ai une histoire à te raconter… » il hésita un moment et son sourire revint le temps de terminer sa phrase, « si ça peut te rassurer je te promets que je ne ferai pas étalage de mes talents d’acteur. C’est l’histoire de cette villa, je la trouve fascinante et j’aimerai, si tu le veux bien, la partager avec toi. » Myr’Hennis avala une autre gorgée pour s’humidifier la gorge avant de commencer à conter. « Je ne sais pas quand elle a été construite mais je sais qu’elle a plus d’un cycle, cela dit ça n’a pas vraiment d’intérêt. Ce qui est intéressant cependant c’est de savoir que l’arène, que tu as sûrement vu, a été construite vers la fin de l’année 498, ou au début de l’année 499, encore aujourd’hui je ne suis pas certain. C’était le domaine d’une famille de Prima qui, après avoir terminée la construction de leur arène grandiose voulurent l’inaugurer, quoi de plus normal ? Alors ils invitèrent tout le Prime Quartier pour assister à leurs jeux et ça avait dû être grandiose, imagine, ils ont inondé l’arène et mis quelques navires pour recréer une bataille navale ! Malheureusement cette recréation de l’attaque sur Nelen se passa sensiblement comme la véritable bataille, il faut croire que les humains ne voulaient vraiment pas mourir, et les constructeurs de cette grande arène firent face à tous leurs voisins choqués. Leur vengeance a dû être terrible mais non content de simplement se débarrasser d’eux, les autres primas se sont assurés que cette famille disparaisse des annales de notre bon peuple à tel point qu’aujourd’hui, même après tant d’années de recherches, je n’ai toujours pas découvert leur nom. » Sa voix était presque un murmure mais de toute façon il n’avait pas vraiment besoin de parler bien fort car le calme presque écrasant de la pièce permettait qu’on l’entende facilement. Le calme presque surnaturel permettait aussi de détecter une voix emplie d’émotion et parmi celles-ci, la peur. « Comme pour toute bonne histoire il y a une morale, évidemment, j’y viens, mais d’abord j’aimerai t’expliquer pourquoi je t’ai fait venir là. Tu m’as demandé de te laisser voir mes fêlures mais il y en a une dont je ne pouvais pas te parler à la soierie, une faiblesse que je devais te montrer avant de t’en parler. Comme je te l’ai dit, je n’ai pas peur de mourir et c’est vrai, en revanche j’ai peur d’une chose… » il prit une grande inspiration pour se donner du courage, il ferma les yeux quelques instants pour les rouvrir et poursuivre. « J’ai peur de sombrer dans l’oubli. » Il expira lentement comme si le dire avait nécessité un effort surdrow. « J’ai peur de finir comme cette famille anonyme à qui j’ai volé ce sanctuaire et… en réalité si je suis devenu architecte c’est en grande partie pour m’assurer qu’après ma mort on ne m’oubliera pas. Je me suis dit que mes monuments rappelleraient mon nom à ceux qui poseront les yeux dessus. Que j’étais stupide… quand je me suis rendu compte de mon erreur, que le nom des bâtiments reste mais pas le nom de celui qui les a construits, c’était trop tard, j’étais déjà l’apprenti du Grand Architecte. » Il reprit la coupe pour en boire de nombreuses gorgées et la remplir à nouveau. « Est-ce que tu sais qui a construit le temple d’Uriz ? Celui de Teiweon ? L’Etat-Major ? Je le savais, fut un temps, mais comme pour Keftil le nom de ceux qui ont construit ces monuments a fini par disparaître. Ton nom va rester dans l’histoire, triumvir, haute-prêtresse et comme si ça ne suffisait pas, Feu d’Uriz mais le mien va disparaître et… pour être honnête, c’est la raison pour laquelle je t’envie. »

- Ça aurait été dommage. Cet endroit est... " Elle hésita quant au qualificatif à appliquer. Étrange. Somptueux. Mystérieux... " Complexe. Il te va bien. "

Trop tard. La liqueur était délicieuse et l'habitude était prise et depuis bien longtemps. Elle ne se souvenait pas l'avoir croisé une seule fois avec un verre sans lui en avoir piquer une gorger. Le genre de facéties soit disant utile contre l'empoisonnement qui avait surtout pour but de l'amuser... Et il ne s'était jamais vraiment défendu d'ailleurs. Son sourire de chat s'allongea à ses protestation joueuses.

Au lieu de s'asseoir sur une branche de la croix à côté de lui, Krish se glissa jusqu'à l'autre côté du banc et s'assit près du centre qu'il avait dégagé, posant son dos contre celui de Myr'Hennis. Elle observait tranquillement la pièce dénudée, les oreilles dressées à l'intention de son compagnon. Tout en l'écoutant, ses yeux suivaient les tracés sombre des dalles au sol, inconsciente de ce que représentait le dessin dans sa totalité. Puis, l'esprit toujours absorbé par la voix basse et vibrante, elle laissa aller sa tête contre son dossier tiède. Des émotions contradictoires semblaient animer le conteur. De l'admiration. De la sérénité... Et de la peur.

Elle comprenait bien mieux la raison du second poème qu'elle avait trouvé... Elle y avait vu un rappel de sa propre condition, une sorte de mise en garde gracieuse lui murmurant à l'oreille 'souvient toi que tu n'es qu'une drow' tout au long de ce premier triomphe qu'étaient ces cinq premières années à la tête du Puy... Mais les vers parlaient de lui. De lui et de la conscience aiguë qu'il avait du temps. De son passage. De son érosion. De lui et de son ego qui n'acceptait pas l’inéluctable, quelle que soit sa forme.

Elle le laissa prendre son temps. Inspirer. Expirer. Articuler a son rythme les paroles qu'il lui destinait. Elle sentait sa respiration ample gonfler son torse, faisant doucement osciller son dos. Un dos contre lequel elle se retourna tout aussi doucement. Posant un genou sur l'assise du banc, elle enroula ses bras autour de la toge de l'Architecte sa tête glissant contre la sienne, regardant dans une direction similaire.

- Avant de devenir Triumvir, j'ai passé mille ans à vivre au présent. Ni passé. Ni perspectives. Seulement ce qui m'intéressait et m'intriguait sur le moment et ce qu'il fallait faire pour arriver à mes buts. Je ne me suis jamais demandé qui se souviendrait ou non de moi. J'ai toujours pensé que chacune de mes actions et de mes œuvres transforme le monde à son échelle et que personne n'a besoin de le savoir... C'était Velkyn que je voulais désigner pour occuper la place qui est la mienne aujourd'hui. Lui sur scène et moi dans les coulisses, comme toujours."

Elle s'y plaisait dans ces coulisse. On pouvait disparaitre du jour au lendemain, tout laisser tomber pour retenter ailleurs, sans que personne ne nous associe à un passé quelconque. Même Triumvir, elle avait toujours ce masque d'argent derrière lequel elle pouvait disparaitre. Non... Il n'y avait personne au moment opportun. Personne pour prendre la tête du Triumvirat. Personne pour unifier les clergés et l'armée. Personne pour tenir le Culte. Et pourtant, ce n'était même pas vraiment elle qui avait été choisie.

- Tous ces titres me sont venus par nécessité, et même maintenant, ils ne m'appartiennent pas en propre. Je les Lui doit tous, comme une enfant qui hériterait du nom de son Père. Alors je ne peux que deviner ce que tu ressens... Et j'aimerai pouvoir faire plus, mais je serai au moins là... "

Elle relâcha son étreinte, glissant du banc pour venir se mettre face à Myr'Hennis. Elle s'empara de la bouteille pour la poser soigneusement sur le banc près de lui et... S'agenouilla sur le gravier blanc, aux pieds de l'homme en toge blanche.

- Je ne t'oublierai pas, Myr'Hennis Vect. " C'était présomptueux de crois que ça changerait quoi que ce soit... Elle en avait parfaitement conscience et ne s'attendait pas à ce que Myr en saute de joie. " Mes paroles doivent te sembler creuses et je sais que ce n'est pas ce que tu voulais dire, mais je peux au moins parler pour moi à ce sujet. " Ses yeux souriaient tendrement, tenant fermement ceux du jeune homme. Elle voulait seulement... Elle ne savait pas. Alléger l'anxiété qu'elle sentait dans sa voix lorsqu'il parlait de sa propre disparition et la jalousie qu'il disait ressentir à son contact. " Je ne ferais pas la connerie de te dire que ma position n'a rien d'enviable et je ne veux pas dénigrer ce que tu ressens, mais sache seulement que je donnerai beaucoup pour pouvoir être dans ta position. Tout ce temps que tu consacres à ton art, à tes projets, à rendre le monde plus intéressant et plus beau... Cela n'est peut-être pas suffisant pour toi... mais je... " Son regard se troubla un instant. Elle souffla longuement par le nez. " Je vais te raconter une histoire moi aussi. Une histoire qu'aucun livre ne relate et qu'aucune oreille n'a jamais entendu... " Elle restait à genoux, ne tenta même pas de se relever. " Elle commence avec une elfe noire qui, manipulée par la colère, la douleur et les enfants de Kerhel, avait renié ses croyances, ses origines et jusqu'à ses propres dieux. Ravageant un lieu sacré, maudissant ses créateurs dans leur sanctuaire et soufflant la flamme d'un autel, elle... Je... J'ai mis le Père en colère à un point tel qu'il s'est emparé d'un hôte pour venir mettre fin à mes jours sans attendre et me plonger dans les P'leik pour le reste de l'éternité. Je ne sais pas tout a fait pourquoi il m'a épargné ce jour là, mais il m'a dit que je n'aurais qu'une chance pour éviter une éternité de souffrance en tant que lâche et traitresse. Pour faire bonne mesure, il a remodelé mon corps à sa convenance, retirant chaque marque, chaque tatouage et chaque cale, chaque marque de mon âge et de mon passé. Ce que je n'ai pas compris tout de suite, c'est qu'il n'avait pas que changé mon apparence. Mes mains n'avaient plus la forme nécessaire pour forger. Ce qui m'avait toujours défini est parti en fumée ce jour là, me poussant à me rapprocher de son clergé et de ses préceptes. C'est pour ça que j'ai créé les Repentis. Pour ça que je suis revenu au Puy. Pour ça que j'ai passé chaque heure de chaque jour à louer Son nom et qu'il m'utilise maintenant... selon son bon vouloir. " Ô et il y avait plus... Tellement plus... Mais parler des Ombres maintenant... Elle ne pouvait pas. " Peut-être que ton nom ne sera pas connu à jamais, mais ce que tu crées est d'une rare beauté, Myr'Hennis. Une beauté que j'ai autrefois touché du doigts et que mes fautes m'ont rendues à jamais inaccessible. Une beauté après laquelle j'ai couru pendant près de mille ans. Alors crois moi lorsque je te dis que ton talent est réel. Tu n'es pas l'expert d'un seul art, mais tu en maîtrises tant d'aspects et tu les mêles d'une façon qui t'es tellement personnelle que tu définis tes propres limites... Tu es un esprit libre, multiple et érudit. Tu es un inventeur et un créateur dans le sens le plus pur qui soit..." L'étrange sérénité qu'elle avait depuis le début de son histoire ne disparut pas, même lorsque le regret passa lui disputé le rouge de ses yeux, mais sa gorge était serrée. Elle guettait le regard qui lui faisait face, y cherchant appui. " J'ai renoncé à beaucoup de chose ces dernières années, j'en ai accepté de nouvelles et je ne reviendrai pas en arrière. J'étais tellement coupé de tous que personne ne s'en est rendu compte. J'ai peur de mourir avant d'avoir réussit à racheter mes erreurs, peur de Lui, peur de me lier aux autres, peur de souffrir aussi et peur de m'être déjà perdue en chemin. Mais quand je me rends compte à quel point ton art me touche, je sais que je suis encore moi. " Elle n'avait pas les mots pour lui exprimer la gratitude et l'admiration qu'elle avait pour cette part de lui. En elle, le Brasier sommeillait, simplement là, attentif.  

Il s’était attendu à ce qu’elle s’assoit à côté de lui et pas derrière mais il lui en était reconnaissant, c’était plus facile de parler de cette peur viscérale en regardant une pièce vide. En regardant ce sanctuaire qui l’avait vu revenir à chaque fois qu’il avait besoin d’une bulle de calme dans une cité en effervescence, à chaque fois qu’il avait besoin de repos dans un environnement en évolution constante. C’était une petite pièce perdue dans les dédales du Puy, un endroit abandonné sans importance que personne n’avait jugé bon d’habiter ni même de visiter et c’était justement pour ça que c’était si important pour lui. C’était un endroit qui n’existait pas vraiment, dont personne habitué à la Cité Magmatique ne pouvait imaginer l’existence et c’était pour ça qu’il s’agissait là du seul endroit où Myr’Hennis s’autorisait à baisser sa garde, confiant dans la certitude que personne ne le trouverait ici. C’était pour ça qu’il l’avait montré à Krish. Ici il baissait sa garde mais ça n’empêchait pas que c’était réconfortant d’avoir quelqu’un dans son dos pour protéger ses arrières. C’était plus facile de parler avec quelqu’un contre son dos, étrangement ça évitait à ses oreilles de s’affaisser et par extension ses épaules, ça l’évitait de se sentir abattu, écrasé par une peur sur laquelle il n’avait, et ne pouvait avoir, aucun contrôle. C’était aussi réconfortant de sentir ses bras l’enlacer, de sentir sa tête posée sur son épaule, elle était juste à côté de lui et ça voulait dire bien plus que tous les mots du monde.

Il ne savait pas vraiment quoi répondre, pour lui c’était l’exact opposé mais comment lui dire sans passer pour en enfant s’apitoyant sur son sort alors qu’il n’avait aucune raison de le faire ? Il savait bien qu’il avait atteint une position, un rang, qui le plaçait si proche du sommet et qu’il n’avait donc pas à se plaindre. Pourtant ça l’obsédait tout de même. Alors lorsqu’elle se déplaça il resta muet, incapable de trouver les mots. Lui qui aimait tant le son de sa propre voix l’en voilà privé. Il ne voulait pas qu’elle s’agenouille, devant personne et encore moins devant lui mais il ne dit rien, il ne voulait pas l’interrompre. Tu ne m’oubliera pas… pour combien de temps ? Même s’il voulait se persuader qu’il lui laisserait un souvenir impérissable, au moins à elle, il n’était pas naïf au point d’y croire.

« Je… ce n’est pas ce que je voulais dire. Je n’envie pas ta position et j’en suis profondément désolé… ce n’est pas ta place que je veux, c’est ce que tu as… » à quoi bon changer de mot, celui-là allait très bien. « C’est ce que tu as construit. Ce que tu vas laisser derrière toi, ton héritage. Mais ce n’est pas important, en tout cas ça l’est beaucoup moins que ce que tu as perdu… » il la regarda avec une tristesse infini mêlée d’une peur viscérale. La punition était… terrifiante.

Uriz pourrait changer ses mains pour qu’il ne puisse plus sculpter mais il pourrait faire autre chose, peindre par exemple ou construire. Non, c’est d’un dieu dont il est question, ce dernier trouverait bien un moyen de l’empêcher d’exercer son art d’une façon ou d’une autre. Mais une petite partie de Myr’Hennis lui susurrait que ça voulait aussi dire que son dos pourrait être soigné et qu’avec son dos il pourrait tenir une arme et ainsi obtenir l’immortalité après laquelle il courait. Ça serait tellement plus facile comme ça… il se mordit l’intérieur de la joue pour disperser ses pensées. Je n’ai pas le droit de t’envier ça. Après tout sa pratique des arts était ce qui le définissait, sa façon de voir et appréhender le monde. Il pouvait aisément comprendre. Lentement, avec des mains fébriles, il prit les siennes pour la forcer à se relever.

« Je suis désolé, si j’en avais la force j’apprendrai à forger pour toi. Si ça peut t’aider, saches que je comprends au moins ça ; j’ai beau ne pas voir les couleurs, ça n’empêche que ça serait en perdant ma capacité à créer que le monde deviendrait réellement d’un gris terne, monotone et d’une tristesse insupportable. Pour tes peurs je ne peux pas les effacer d’un coup, si seulement un tel pouvoir existait… mais je peux au moins m’attaquer à l’une d’entre elles. Celle qui me paraît la plus dangereuse mais aussi la plus importante reste ta peur de te lier aux autres. Je sais à quel point ça peut être difficile, que ce soit se lier à quelqu’un ou d’être lié à quelqu’un qui ne veut pas de toi ; dans tous les cas c’est un saut dans le vide et c’est pour ça que je te dis tout ça : pour te placer un filet de sécurité. » Un sourire retourna sur ses lèvres. « Ça devrait être le manul de la confiance mutuelle et de la romance vue que l’un est nécessaire à l’autre. Ça va prendre du temps, c’est certain, mais c’est nécessaire. Si mes œuvres te permettent de combattre la peur de t’être perdue je t’invite à venir régulièrement me voir pour que tu me serves de muse. » Il reprit son sérieux alors qu’il continuait, cherchant à la rassurer sans pour autant occulter l’importance de ces dernières, il voulait qu’elle continue à se confier et les dénigrer ou les balayer d’un revers de la main n’allait pas aider. « Pour ce qui est de la peur du Père des Batailles c’est normal, tout le monde a peur de lui, c’est si tu n’avais pas peur que je m’inquièterais, que tu sois Son Feu ou non. » En réalité il se disait que c’était justement parce qu’elle était Son Feu qu’elle devait avoir plus peur que le commun des mortels. « Que tu aies peur de lui est une bonne chose, c’est, ironiquement, salutaire. Quant à la souffrance elle n’est pas nécessairement mauvaise, elle est même parfois salvatrice, elle permet de vivre avec plus d’acuité le reste, mettant en exergue les moments de joie. Cela dit ce n’est pas une raison pour la rechercher mais elle est inexorable, inévitable. D’après mon expérience, plus tu essayes d’éviter de souffrir plus la douleur est vive… je sais que c’est terriblement facile à dire mais à quoi bon s’inquiéter pour quelque chose que l’on ne peut pas contrôler ? C’était une peur que j’avais également et pour la combattre je te recommande chaudement Mes Méditaitons de Mar’Korel. C’est quelqu’un d’intéressant même s’il reste bien trop près de l’école Nisétienne à mon goût… »

Myr’Henni s’arrêta d’un coup et poussa un long soupir puis il regarda Krish, l’air contrit, sans jamais lâcher ses mains si elle ne s’était pas assise. « Je te demande pardon, ce n’est pas le sujet. Merci d’avoir partagé cette… ton histoire. »

- Si c'est important. Je ne t'ai pas dit tout ça pour te rabaisser. " Le gouffre qu'il avait au cœur n'était pas moins important que ce qu'elle avait perdu. Elle le laissa la relever et s'assit sur ses genoux, le flanc contre son torse. Elle lui sourit sincèrement. Cette punition, elle avait eu des décennies pour s'y faire, des siècles même.

Elle l'écoutait, plongée dans ses yeux. Souriant à sa boutade sur leur fameux manuel et à cette appellation étrange de muse. Oui, mettre tout ça en application prendrait du temps, mais elle avait fait son choix, et en ce qui la concernait, il n'était pas réversible vu ce qu'elle venait de lui avouer. Ce qu'elle appelait souffrance n'était peut-être pas ce que le commun des éternels appelait souffrance. Les épreuves qui donnaient toute ses couleurs au monde, elle ne les considérait pas comme tel. Les douleurs physiques n'avaient jamais vraiment compté non, son père s'en était assuré. La souffrance était à ses yeux quelque chose de plus insidieux que ça. Quelque chose de durable et d'immonde que bien peu de choses pouvait encore lui insuffler. Mais entendre ses mots de réconfort était si doux...

Elle glissa sa main d'arme sur la joue de Myr'Hennis lorsqu'il commença à soupirer, l’incitant à ne pas détourner les yeux. Les doigts de sa dextre étaient toujours enlacés par ceux de l'homme.

- Je te l'ai dis, tu es le seul à l'avoir entendue. Je te fais confiance là-dessus... " Là-dessus... Et même tout court. Elle scella ses quelques mots d'un baiser langoureux qu'elle laissa s'éterniser.

Elle était on ne pouvait plus sérieuse. Rien que savoir que le Prime Feu avait tourné une fois le dos à son Dieu aurait pu avoir des répercutions horribles sur tout ce qu'elle avait passé des années à mettre en place... Et tout le reste, c'est sur elle que cela pouvait avoir des répercutions horribles. Elle venait de lui faire un dessin de son dos et de lui dire précisément ou étaient les failles de la cuirasse. Si elle ne lui avait pas encore fourni les armes pour le faire, elle savait que ce ne serait qu'une question de temps.

A moitié posée contre son profil, reprenant un peu d'air, elle ajouta contre ses lèvres. " Ne t'en fait pas trop pour mes peurs, elles font partie de moi et je vis bien avec. Laisse moi m'en faire un peu pour toi et reste toi-même. La chasse de ce soir m'a fait un bien fou... " Une lueur taquine patinée de désir rendit son regard plus intense tandis qu'elle le caressait des yeux. " Et le trésor en valait la peine. " Elle l'embrassa à nouveau, passionnément, sa poitrine armurée glissant souplement contre son torse.

Myr’Hennis laissa le baiser durer aussi longtemps qu’il le pouvait et alors qu’il allait répondre Krish le réduisit au silence de la meilleure façon qui soit. Cependant il se devait de parler, il posa délicatement une main sur son épaule pour l’arrêter. Décidément ce n’était jamais l’endroit.

« Je suis content que ça t’ait plut mais… je tiens à pouvoir revenir réfléchir ici sans être distrait par des souvenirs, aussi plaisant soient-ils ; j’aimerai que ce lieu reste un sanctuaire où mes souvenir et moi ne restons pas, je me sentirais infiniment mieux en sachant que je n’en abandonne aucun en partant. Cela dit, et ça tombe très bien, j’ai une demeure et une poignée de moyens d’y accéder discrètement. »

Un sourire joueur vint appuyer la litote. Mais cette fois, à moins que Krish ne le veuille, il n’était pas nécessaire de repasser par la villa en ruine pour sortir car un passage secret se trouvait dans le mur opposé à l’entrée. C’était même le passage original qu’il avait fait construire alors qu’il n’était encore qu’apprentis, après une trentaine d’années passé à trouver cette pièce perdue dans les entrailles rocheuses du Puy, oublié du temps et des mémoires.

- Pour une fois que je ne pensais pas aller plus loin... " ricana-t-elle face à la main et aux mots fermes de l'Architecte. Et le plus farfelu... C'est qu'elle était sincère. Le trésor dont elle avait voulu filé la métaphore, elle venait de l'avoir sous forme de mots et de regard. Si partager quelques baisers ne la laissait pas indifférente, l'endroit n'avait rien de particulièrement engageant pour le reste. Quant à la proposition qui s'en était suivit... Elle se leva, toujours aussi joueuse, et lui tendit fort galamment le bras en une parodie de révérence. " Mais puisque tu as une demeure alors, qui suis-je pour dédaigner ton invitation ? "

Il aurait pu répondre bien des choses mais ça ne servait à rien. Alors il se leva à son tour et se contenta de lui répondre avec un sourire chaleureux : « tu es celle que j’aime et c’est bien suffisant. » Il l’enlaça pendant un moment, savourant l’étreinte qu’il finit par briser en lui posant un baiser sur le front. Il laissa ce qu’il avait apporté derrière lui, ce n’était pas vraiment utile de s’encombrer les mains pour le moment et puis cette cachette en valait bien une autre, elle était même sans doute meilleure que l’originale.

« Allons-y, je n’aime pas rester trop longtemps ici. »

Sa voix était restée légère mais il était sérieux, s’il restait suffisamment longtemps entre ces murs il n’arrivait plus pouvoir combattre l’angoisse et cette dernière finissait par s’emparer de son être. Myr’Hennis n’avait jamais tenté de rester jusqu’au bout mais il ne tenait pas vraiment à en faire l’expérience. Il fit le tour du banc pour se diriger vers le mur de l’autre côté et une fois sortit du carré de gravier blanc il marcha sur certaines pierres dans un ordre précis de façon à ce que lorsqu’il arriva face au mur celui-ci s’ouvre, dévoilant un couloir qui s’enfonçait dans les ténèbres. Il se tourna vers Krish lorsqu’elle l’eut rejoint.

« Tu es la seule à avoir vu cette pièce depuis… et bien depuis que je l’ai redécouverte. Je te fais confiance. »

En réalité Ih’ara connaissait l’existence de cet endroit, elle n’avait jamais prévenu Myr’Hennis mais à chaque fois qu’il se retirait ici elle le suivait puis le devançait pour s’assurer que personne ne l’attendait, pour s’assurer qu’il soit en sécurité.

Le passage secret qui donnait jusqu’au sanctuaire était d’un commun qui ne laissait pas présager de l’importance de cette pièce pour le Grand Architecte : une autre conduite d’eau parmi tant d’autre et évidemment les tuyaux étaient vides. Il avait pendant longtemps hésité à remettre de l’eau à l’intérieur, ne serait-ce que pour refaire fonctionner la fontaine à l’entrée de la villa mais ç’aurait bien trop attiré l’attention. En suivant le couloir l’on arrivait dans une partie excentrée de la Sanguette et vu que Myr’Hennis n’avait pas le temps de faire à chaque fois l’aller-retour entre chez lui et ici par la Sanguette il avait fait cacher des passages secrets à l’intérieur de ce passage secret. Il se déplaçait dans le noir le plus complet sans problème dans ce couloir car il le connaissait aussi bien que son domaine après avoir passé des siècles à l’arpenter. Alors avant de s’engouffrer à l’intérieur il avait pris la main de Krish pour qu’elle ne se perde pas à une intersection même s’il se doutait que son ouïe lui permettrait de le retrouver. Connaissant l’endroit comme sa poche il n’eut pas besoin de le voir pour savoir où se trouvait le mécanisme qui fit s’ouvrir le mur sur sa droite après un petit cliquetis pour l’activer. Il y eut d’autres passages secrets mais à partir de cet instant la lumière était revenue grâce à des champignons et le voyage n’était plus très long.

Ils entrèrent dans la chambre de Myr’Hennis qui avait retrouvé son calme d’origine car maintenant qu’il était de retour son apprenti et un quart de sa garde avaient levé le camp.

« Je te présente l’humble demeure dont je t’ai parlé. »

Il embrassa la pièce d’un geste. Son sourire joueur et son regard moqueur rendait tout geste ou expression de fausse modestie inutile mais il ne put s’en empêcher. La pièce était petite, en tout cas comparé au reste de la villa, et sobrement décorée ; ici pas question de dorure, de sculptures expressives comme dans le reste de son domaine, de peintures qu’elles soient sur toile ou murale, de fresques, de mosaïques, de bas ou hauts reliefs etc… la chambre jurait avec le reste de la maison. Il y avait un lit à beaucoup de places composé d’un cadre de bois et d’un sommier en lanières de cuir surmonté d’un matelas lui-même recouvert d’une literie de soie. En face se trouvaient un coffre en bois massif rangé sous une table haute qui s’élevait environ au nombril de Myr’Hennis, elle était couverte de différents plans, des projets qui n’avaient jamais passé l’étape d’esquisse. A gauche du lit il y avait une petite table de nuit et à droite du lit un mannequin sur lequel attendait patiemment le manteau symbole de la charge de Grand Architecte, celui qu’il avait porté à la soirée organisée en l’honneur de ceux qui avaient survécut aux purges. Ils étaient justement arrivés devant le mannequin et directement sur la droite se trouvait une porte qui menait jusqu’à une antichambre qui donnait accès au reste des appartements de l’architecte. Notamment les bains, sa collection personnelle d’œuvres d’art, sa bibliothèque privée où il rangeait les livres qui n’avaient pas de lien avec sa profession et les salles réservées aux dieux, une par divinité ; l’autel de Zhak’Bar brillait par son absence, tout comme celui de Kerhel mais est-ce vraiment nécessaire de le préciser ?

« Puis-je te proposer quelque chose à boire ou à manger ? »

Une fois de plus, elle sourit bien trop à son goût en l'entendant prononcer cette vérité qui avait l'air si simple pour lui et si étrange pour elle. Elle oscillait entre un bonheur qu'elle avait rarement effleuré dans sa vie et cette peur profonde dont il connaissait maintenant l'existence. C'était nouveau... Comme tout avec lui. Mais bien plus confortable que les jours précédents. La perspective de s'y habituer était un doux calvaire plus qu'une idée farfelue. Elle lui rendit son étreinte, fermant les yeux, la tête contre son torse. Elle était... tout sauf dans son état normal. A la fois légère et épuisée. Fébrile. Elle se serra un peu plus contre lui.

Cet endroit était bien étrange. Surnaturel même. Hors du temps et dépourvu du moindre bruit extérieur, le monde n'existait plus tout à fait et elle s'y était laissé prendre. Elle s'était laissée happée par l'histoire de Myr'Hennis et les émotions qu'elle sentait dans sa voix. Elle n'avait plus pensé au reste. Seulement à son désir de lui faire comprendre qu'il n'était pas seul. Qu'il pouvait avoir confiance. Seulement à son désir de s'en rapprocher un peu. Elle s'était laissée emporté par ses sentiments et n'avait aucune excuse là dessus, mais la situation la rattrapait à présent. Alors qu'une seconde plus tôt, tout lui semblait évident et à sa place, les conséquences la frappaient de plein fouet. Elle en était comme à l'extérieur d'elle-même. C'était de la folie.

Elle jouait la nonchalance et préférait en rire, mais elle n'était pas rassurée pour autant. Ses propres mots tournaient en boucle dans sa tête. Ce genre de grands déballage ne lui ressemblait pas. Elle se mettait en danger sans pouvoir s'en empêcher. Elle lui laissait bien trop de pouvoir sur elle. Après tout, elle ne le connaissait pas bien. Quelques jours plus tôt, ils étaient encore ennemis. Il avait ordonné la mort de Gorhur et de Den... ça lui faisait mal... Et en même temps, elle n'arrivait pas à lui en garder rancune. Pas après ce qu'elle avait manqué lui faire. Pas en sachant que c'était pour et à cause d'elle qu'il l'avait fait. Elle se sentait lié à lui d'une façon si simple, si forte et si intime qu'elle était prête à prendre des risques inconsidérés. Réellement inconsidérés. Elle...

Elle n'avait jamais ressenti ça pour personne.

Elle ne savait pas si c'était un bien ou un mal, mais elle était au moins sûre de ça. Elle inspira longuement, protégée par ses bras. La toge était douce sous sa joue. Rien à voir avec les vêtements rêches et pratiques qu'elle portait dès qu'elle faisait quelque chose de ses dix doigts.

Puis elle le suivit par le passage dérobé, s'amusant de le voir actionner le mécanisme en marchant de dalle en dalle. Sa connaissance du Vatna lui donnait un curieux pouvoir magique en un sens. Pas à pas, parlant à voix basse de sujets sans importance, elle lui raconta entre autre les péripéties de l'aventure qu'il lui avait mise entre les mains sous la forme d'un plan. Main dans la main, l'ombre se referma sur eux. Elle manqua bien de tomber sur le sol inégal, mais rien de bien méchant. Un mur s'escamota et ils arrivèrent dans une chambre de taille tout à fait raisonnable et à la décoration épurée. Austère auraient dit certains. C'est qu'elle était vraiment humble cette demeure en plus...

Par contre, vu le nombre de passages secrets, il était clair et définitif que l'Architecte vivait dans une véritable termitière.

- Avec plaisir. Je n'ai rien avalé depuis ce matin. "  sourit-elle en l'accompagnant. " Et la demande va surement sonner étrange, mais s'il te reste un peu de la liqueur d'orange que tu m'avais servit l'autre fois, ce serait parfait. Je ne crois pas en avoir goûté d'aussi bonne depuis au moins une éternité. " Elle souriait toujours, tout en s'attendant à devoir s'excuser et changer de sujet. L'autre fois... Avant... Quand il avait refusé de répondre et qu'elle l'avait enlevé... Oui, c'était bizarre, mais s'ils devaient toujours marcher sur des œufs à ce propos cette histoire finirait par pourrir, et tout était préférable à ça.

S’il y avait autant de passages secrets dans sa demeure c’était surtout par nécessité, il fallait qu’il réussisse à calmer sa paranoïa d’une façon ou une autre et avoir plusieurs moyen de s’enfuir à porter de main s’occupait plutôt bien du problème. Cela dit au fil des ans il en avait tant rajouté que ça jouait plus contre lui qu’autre chose et si Myr’Hennis ne s’en rendait pas compte, ce n’était pas le cas de sa garde qui voyait ces multiples passages comme autant de façons d’atteindre la personne du Grand Architecte, rendant leur travail toujours plus difficile. Alors Vaervy avait fait ce qu’elle pouvait pour que Myr’Hennis augmente au possible les effectifs de la garde, c’était pour ça qu’elle était aussi importante, rivalisant presque en nombre avec la garde d’ébène ; évidemment il avait accepté les demandes de la capitaine même si c’était vu d’un mauvais œil par ses voisins. Mais tout ça n’avait pas empêché Myr’Hennis de continuer et le passage qu’ils avaient emprunté était le dernier en date, si récent que la poussière n’avait pas eu le temps de s’accumuler, pas même dans les coins.

« Je veux bien te croire par contre je crains que tu aies bu la seule bouteille que j’avais mais si ça peut te consoler j’ai d’autres liqueurs délicieuses et puis je vais voir ce que Ssuorr peut faire dans les plus brefs délais mais ne t’attends pas à un miracle… encore que, avec lui ça ne m’étonnerait pas. »

l'antichambre:

D’un geste ample du bras il l’invita à le suivre, il ouvrit la double porte qui permettait de sortir de sa chambre pour arriver dans l’antichambre et le moins qu’on puisse dire c’est que l’austérité avait disparue. Tout n’était plus que marbre rouge, blanc et noir, les statues reprenaient leur place d’honneur et étrangement la majorité représentaient des guerriers. Myr’Hennis continua tout droit, passant devant diverses portes jusqu’à atteindre finalement la porte qui permettait d’aller dans le reste de sa villa, il l’ouvrit doucement et ordonna aux gardes devant d’aller chercher Ssuorr. Les deux gardes en question commençaient à avoir l’habitude et ne sursautèrent pas vraiment, ils ne se retournèrent pas non plus et l’un d’eux partit aux cuisines au pas de course après un rapide hochement de tête.

Le petit homme demandé se promenait dans les cuisines comme si c’était son royaume, ordonnant tel un roi les différents esclaves qui étaient à son service, comme si lui-même était libre. Il rouspétait à chaque fois qu’il trouvait quelque chose qui n’était pas à sa place et il houspillait le coupable jusqu’à ce que ce soit rangé convenablement. Lorsque le garde qui devait venir le chercher entra dans la pièce Ssuorr se retourna et commença à lui demander pourquoi il était en retard avant de se rendre compte que ce n’était pas la personne qu’il attendait. Il baissa servilement la tête et murmura quelques excuses, il voulut protester lorsque le drow lui demanda de le suivre sur un ton cassant mais il savait que ça ne servait à rien ; il avait beau jouir de la protection du maître des lieux ça n’empêchait pas qu’il ne pouvait se permettre de parler comme ça à un daedehl libre, surtout un daedhel libre et armé. Heureusement pour lui au bout du trajet ne l’attendait pas une punition des plus désagréables mais la porte des appartements de Myr’Hennis. Ce dernier alla ouvrir en entendant qu’on toquait, le cuisinier grassouillet entra et déglutit en entendant la porte se fermer derrière lui.

« Qu’est-ce que tu peux nous faire rapidement ? » L’architecte regarda Ssuorr en haussant un sourcil, curieux de la réponse, il espérait que ce dernier allait lui faire honneur. Le cuisinier fit une longue liste avec, notamment : des médaillons d’Hanglyosi au cognac, ou sa variante au Zat'kyr ; un ragout de cerf d’Elda à la vanille et à la cannelle ; du pipumia aux poires ; des chaussons de toxeurove au cury ; du civet de bagron ; de l’ibak royal sauté au citron et au miel pour ne citer que ces recettes. « Krish, je te laisse donc passer commande. » Myr’Hennis avait repris la parole avec une pointe de fierté dans la voix et un sourire satisfait.

Toujours aussi sémillant, l'Architecte lui ouvrit les portes de son domaines. Tandis qu'il allait demander à ce que Ssuorr vienne à eux, elle regardait les mélanges de marbre et... fut attirer par les portes closes. Salle de prière. Encore salle de prière... Et bibliothèque. Elle s'y enfonçait de quelques pas lorsque le cuisinier apparut. Et comme par le passé, le petit homme était toujours aussi plein de surprise.

- Je suis pas très sucré. Le médaillon d'Hanglyosi au cognac sera parfait. Et toi ? "

Myr’Hennis allait demander la même chose mais il se retint, au fil des ans il avait pu gouter tout ce qu’il proposait là mais ce n’était pas le cas de Krish alors il se décida à prendre autre chose. Elle n’aimait pas vraiment le sucré… « des brochettes de scorpion à la coriandre pour moi. » L’architecte congédia Ssuorr d’un geste de la main et il ne se fit pas prier pour retourner dans son domaine, prenant soin de ne pas regarder le garde qu’il avait invectivé au passage.

Quant à Myr’Hennis il se retourna pour la chercher des yeux, il l’avait entendu parler de derrière lui mais il ne s’était pas attendu à ce qu’elle soit si loin. Un sourire amusé passa sur ses lèvres alors qu’il avançait à pas de loup pour la rejoindre. la bibliothèque hein ? Il marchait lentement et se rendit compte que c’était la première fois qu’il avait prononcé son nom depuis qu’elle était venue ici, depuis qu’elle était venue parler de l’attaque du monastère. En arrivant à la porte entrouverte de sa bibliothèque son sourire avait disparu. Appuyé contre le chambranle, il l’observait.

« Je ne pense pas que tu trouveras ce fameux petit manuel ici. »

La bibliothèque en question n’était pas bien grande, une poignée de rayons en occupait l’espace et elle était illuminée par des lustres d’où pendaient des champignons luminescents. Au centre il y avait bien une table mais il n’y avait pas de chaises car ce n’était qu’un espace de stockage, quiconque voulait étudier les documents qui s’y trouvaient devait les emporter autre part et vu que tout ça lui appartenait Myr’Hennis ne se gênait pas pour aller dans la pièce d’à côté. Il en était presque certain : sa question à propos de cette fameuse liqueur à l’orange était tout sauf innocente. Elle pouvait bien se cacher derrière le goût de la boisson il se doutait que ce n’était pas la seule raison de sa demande. Elle aurait pu demander n’importe quel alcool qui dépassait les trente degrés mais c’était celui-là spécialement qu’elle voulait. Et puis que faire de l’emphase qu’elle avait mis sur « l’autre fois » ? Elle ne voulait pas déguster à nouveau cette liqueur, ce qui n’était pas plus mal car de toute façon c’était impossible, mais discuter de cette soirée fatidique. Soit, il fallait bien en parler à un moment ou un autre alors autant que ce soit ici, sous la lumière tamisée des champignons plutôt qu’à un moment moins… propice. Plus public.

« Mais ce n’est pas ce que tu cherches, n’est-ce pas ? »

Elle marchait doucement, le long du rayonnage, caressant du bout des doigts le bord des étagères et des yeux les cotes des livres. Anciennes ou très récente. Très simples ou particulièrement ornementés. Certains dont le flanc portait un signe distinctif, d'autres desquels il fallait soulever une couverture aveugle pour lire le titre sur la première page. Elle ne lisait de façon assidue que lorsqu'elle n'avait rien d'autre a faire, mais ne sous-estimait pas pour autant l'importance d'une brassée de feuille couvertes d'encre.

Elle aurait put entrer dans une autre salle avec la même curiosité, pourvue que cette dernière ne soit pas dédiée à un dieu. Elle n'avait pas envie de penser à eux pour le moment. Elle Le sentait toujours somnoler dans un coin d'elle-même de toute façon, alors le lieu importait peu. La vitesse avec laquelle tout changeait avait toujours quelque chose d’irréel, alors elle se plaisait plutôt à regarder et à découvrir. Et elle le faisait avec d'autant plus de légèreté que Myr'Hennis ne s'était pas tendu au rappel de leur dernière rencontre dans cette villa. Il l'avait accueilli comme une simple question et répondu en conséquence. Peut-être un peu vite, mais cela n'avait rien d'étonnant vu le surréalisme de la situation.

La voix du jeune homme retenti derrière elle, lui tirant un rire. Elle jeta un regard par dessus son épaule en se dirigeant doucement vers la table centrale pour le découvrir appuyé contre le chambranle, les yeux posés sur elle.

- Peut-être que tu caches d'autres manuels intéressants, qui sait ? " Elle lui tendit un sourire en coin avant de reposer son attention sur les livres posés sur la haute table. L'un d'eux, porteur d'une couverture en chitine reliée de cuir, semblait encore plus curieux que les autres. Elle en tourna méticuleusement les première pages mais son attention n'était qu'une façade. Son esprit dérivait vers les début de la collection qu'elle avait sous les yeux. Combien de temps ? Combien de siècles pour amasser tout ça ? Était-ce parce qu'il ne voulait pas les voir perdu ou pour en jouir en esthète ? Était-ce lui, seulement ? Avait-il reprit les premières pierres jetées par son ancien mentor pour continuer une collection déjà existante ?

- Mais ce n’est pas ce que tu cherches, n’est-ce pas ?

Elle releva la tête, étonnée. Il n'avait pas bougé. Il la regardait toujours... D'une façon aussi étrange que lui semblait le poids de ses mots.

- En fait je me demandais surtout si tu avais commencer à collectionner tout ça dès ton enfance ou si c'était venu avec la toge. " Elle fronça un sourcil interrogatif sans se mettre le moins du monde sur le qui vive. Myr'Hennis continuait à l'observer déambuler dans la petite pièce. " Qu'est-ce que je devrais chercher ?
- J’en fais la collection depuis mon enfance, en tout cas en secret, j’ai arrêté de le cacher avec la toge. »

Il regarda ensuite le livre qui l’intriguait et il reconnut le journal qu’il écrivait lorsqu’il était enfant, les premières pages étaient couvertes d’une écriture immature, difficilement lisible, les pages suivantes étaient accompagnées de croquis. Il était possible de voir la maîtrise progressive de la calligraphie de son auteur mais surtout la maturation d’un jeune esprit se posant tant et plus de questions. Il le relisait lorsqu’il n’était pas certain de la bonne décision à prendre, s’en servant comme d’un repère, lui rappelant à chaque page jusqu’où il était arrivé malgré ses doutes.

- J’imagine que tu veux parler de l’autre fois, je t’écoutes. »

Cette fois, elle se retourna tout à fait. Il voulait vraiment en parler maintenant ? Pour dire quoi ? Elle en avait parlé la première en même temps. Il était normal qu'il réagisse. Ce qui n'empêchait pas une certaine appréhension. Elle repoussa ses mèches blanches derrière sa seule oreille pointue.

- Je ne voulais pas spécialement en parler. J'ai déjà beaucoup parlé aujourd'hui et c'est pas une habitude. " ajouta-t-elle avec une rire tendu dans la voix. Elle croisa les bras, ses mains se refermant sur ses propres biceps. " Tout a l'heure je voulais surtout voir si on pouvait aborder le sujet sans que ça ne soit trop gênant, histoire de connaitre les limites à ne pas franchir... Et j'ai beaucoup aimé la liqueur, j'étais parfaitement sincère là-dessus. " La hanche appuyée contre le bord de la table, elle referma avec précaution la couverture de l'étrange journal aux pattes de mouches. Rien dans l'attitude de Myr'Hennis ne suggérait la gêne ou la tension. Même sa voix ne s'était pas refroidie. C'était au moins un minimum rassurant. Encourageant même. Au moins, cette fois, elle n'avait pas eu besoin de réfléchir à quoi ou comment lui dire. Elle l'avait dit. " J'essaie encore de savoir si je m'en veux, si tu m'en veux, si je t'en veux et ce que j'aurai pu faire pour éviter tout le gâchis qui s'en est suivit. Alors je ne sais pas si en parler serait particulièrement constructif de mon côté, mais je t'écoute si tu veux. "

Elle n'avait pas particulièrement envie de s'attarder là-dessus, mais puisque c'était elle qui en avait parlé, elle ne pouvait pas vraiment se plaindre. Elle préférait encore pouvoir exprimer tout ça que de marcher sur des œufs. Elle s'était rendu compte cette nuit là que quelque chose avait plus d'important que les Repentis, mais il y avait sûrement bien plus à dire. Des choses qui n'étaient pas encore démêlées.

Myr’Hennis retint un sourire, il devait garder le sérieux qui convenait à la conversation qui se profilait et ce n’est pas en souriant que ça allait se faire. Et, surtout, il ne voulait pas permettre à Krish de s’y soustraire en plaisantant, c’était bien trop important, ne serait-ce que pour lui.

« Comme je te l’ai dit : je veux qu’on puisse parler sans avoir à marcher sur des œufs, c’est valable pour les sujets les plus… délicats. » Il observa Krish fermer le journal en se demandant s’il ne devrait pas s’en débarrasser un jour, un jour proche. Il était devenu Grand Architecte depuis suffisamment longtemps, il s’était affranchi de l’influence familiale en montant plus haut que sa tante et pour cause c’est lui qui l’aidait à grimper désormais. Garder une telle relique de son passé était désormais non seulement superflu mais c’était surtout une faiblesse qu’il ne voulait pas garder. A l’intérieur se trouvait de quoi le détruire ou au moins de lui faire très mal mais voilà : après tous ces siècles c’était un ouvrage qu’il ne s’imaginait pas ne plus avoir. « Je ne sais pas ce qu’il en est pour toi mais je ne peux pas faire comme si rien ne s’était passé. Peut-être que le moment est mal choisi, je te l’accorde, mais quand est-ce que l’occasion se représentera-t-elle ? J’espère que tu ne m’en veux pas d’en profiter pendant que l’occasion se trouve entre mes mains. » En parlant il était finalement rentré dans la pièce et s’était dirigé vers la pièce, prenant entre ses mains le journal pour aller le ranger sur la première étagère, à côté d’autres ouvrages aussi, si ce n’est plus, anciens. Puis il se retourna, croisant les bras. « Je dois t’admettre que je ne te fais plus confiance. Plus volontairement en tout cas… » il allait préciser pourquoi mais il s’abstint, ce n’était pas nécessaire et puis ça serait mesquin. « Je comprends que la réciproque soit aussi vraie cela dit mais c’est justement pour ça que je t’ai tant dévoilé de faiblesses, de fêlures : je n’ai plus le choix maintenant, je dois te faire confiance. Tout ça dans l’espoir qu’un jour je n’aurai plus à me contraindre, que je n’aurai plus à faire semblant. Mais ne te méprends pas, je veux te faire confiance, c’est juste que j’en suis incapable, c’est la seule façon que j’ai trouvé de tromper mon esprit. »

Ça paraissait peut-être pathétique mais comment faire autrement ? C’était ce à quoi il avait réfléchi, assis sur le banc en croix dans son sanctuaire en attendant qu’elle trouve son chemin jusqu’à lui. Il avait longtemps regretté de lui avoir donné la carte et il avait fortement hésité à se lever pour recevoir Krish ailleurs, dans la cour de la villa peut-être ou bien devant l’autel où il avait laissé la seconde carte. Pourtant il n’avait pas bougé et c’était ce qui l’avait convaincu qu’il voulait réellement faire confiance à la triumvir, en lui révélant sa dernière grande faiblesse il s’était assuré ne plus pouvoir faire marche arrière. Il avait tout placé entre les mains de Krish et maintenant il attendait, tendu, inquiet, plein d’une appréhension qu’il tentait de cacher plus par habitude qu’autre chose.

Et c'est lui qui disait un peu plus tôt que la romance ne pouvait aller sans confiance. La vérité et les grandes déclarations... Une fuite en avant pour se couper toute retraite. C'est pour ça qu'elle ne voulait pas vraiment en parler... Ça ne l'étonnait pas. Mais ça la touchait au cœur. Évidemment...

Elle l'avait suivit en plus... Elle n'avait presque rien gardé. Elle n'avait pas seulement l'impression d'avoir fait des conneries de gamine à peine centenaire. Elle les avait faites ces conneries... Elle baissa la tête, prenant une longue inspiration. Ses doigts repoussèrent sa crinière blanche en arrière et un sourire mauvais lui vint aux lèvres. Elle s'était faite avoir comme une débutante. Non... Le sourire disparut pour une expression plus incertaine, plus douloureuse. Moins simple.

Elle n'avait pas le droit de rejeter tout en bloc comme ça. Le poids sur sa poitrine était aussi lourd que le jour où elle avait vu Velkyn arriver au bras de l'autre grisonne. Mais cette fois, elle n'avait personne à blâmer mis à part eux deux. Elle, d'avoir utiliser sa première marque de confiance pour l'emprisonner et de n'avoir pas sût tenir Ferya. Lui, d'avoir assassiné ses frères d'armes et de ne pas lui dire la vérité sur ses raisons.

Les paroles d'Ih'ara lui revenaient insidieusement. Elle voulait tout lui dire. Elle voulait se libérer de toute contrainte... Mais elle ne voulait pas le perdre. Jusqu'au moment de son serment, il avait ses secrets, elle avait les siens. Ils avaient tout deux un passé et un passif... Et elle se rendait compte qu'elle était prête à l'oublier. Arrêter de se demander pourquoi pour seulement éprouver cette sérénité et cette impression de force qui lui venaient lorsqu'elle était près de lui. Ce qui comptait, ce n'était pas ce temps à se chercher et s'utiliser maladroitement, mais ce qu'il y avait depuis leur premier baiser, après son serment. Ce qu'il y avait maintenant. C'étaient les aveux, les rires et les tentatives - même désespérées - de donner une chance à un sentiment fort de faire son chemin au lieu de l'étouffer dans l'obscurité d'Elda. Elle ne voulait pas que ça finisse ainsi.

Elle se redressa en soufflant à fond.

- Très bien. " Elle se tourna vers Myr'Hennis, quittant l'appui de la table. " Je comprends. " De léger hochement agitaient sa tête tandis qu'elle se remettait à respirer. " Et je ne te demande pas de faire comme si rien ne s'était passé. "

Avec ou sans confiance... Un peu de lui c'était mieux que rien du tout. Elle tenait trop à lui pour rester entière et sans compromis. Elle était prête à ne pas être avide sur ce point. Ne rien demander de plus qu'un peu... Elle était prête à prendre le risque et à lui laisser le temps qu'il faudrait. Elle était même prête à lui prouver qu'à présent, il pouvait avoir confiance en elle. Jour après jour.

Elle remontait doucement jusqu'à lui.

- Ce serait hypocrite de te dire que j'aurai préféré que tu ne me dises rien tant que tu n'étais pas sûr. Alors juste... Merci. Merci d'essayer. " Elle souriait sincèrement, bien que son expression ne soit pas simplement reconnaissante. " Ce que moi, je t'ai dis, ce n'était pas pour me convaincre. Il y a encore des choses que je n'ai pas démêlé et je sais que je n'aurai pas toujours les bon réflexes. Mais j'ai choisi de te faire confiance et du moment que tu m'aimes un peu, ça me suffit. " Arrivée à sa hauteur, elle posa doucement la main sur ses bras croisés. " Je ne me servirai jamais de ce que tu m'as révélé pour te faire du tort. C'est une promesse. Je ne te ferai plus jamais de mal et je ne veux plus te cacher quoi que ce soit. Prend le temps dont tu as besoin, je ne compte pas m'éloigner. " Son sourire était un peu plus serein. Il avait même quelque chose de posé, de stable. Bien sûr, entendre ce qu'il venait de dire était difficile, mais elle n'en était pas moins là, dans ses appartements, avec lui, loin de ses gardes. En lui offrant de prendre du temps, elle ne s'attendait pas à ce qu'il change en quelques jours ou même quelques mois. Ca lui allait. " Tout est allé très vite ces derniers jours, on verra bien ou ça nous mène. "