[MdO2019] Equilibrium | Myr

Ashal ne pouvait pas retourner dans la soierie alors il se mit au travail : il réorganisa la garde pour s’assurer que personne ne manquait, que personne n’était parti venger leur capitaine. Il divisa ensuite les guerriers en trois groupes : l’un partit protéger le bureau-atelier tandis que les deux autres étaient partis chercher les deux apprentis. Evidemment tous deux furent surpris de voir une quarantaine de soldats en arme débarquer pour les emmener de force si nécessaire ; l’un pensa que son complot avait été découvert tandis que l’autre s’était dit que Myr’Hennis était mort et que son rival avait été plus rapide qu’elle. Ashal n’avait pas envie d’obéir à Krish mais elle avait le ruban qui la désignait comme commandante de la garde, il n’avait pas le choix. L’idée de revoir Vaervy lui déchira le cœur, il savait qu’elle refuserait même si lui ne voulait que ça, il y réfléchissait lorsque les deux apprentis arrivèrent au domaine ; l’un fut placé dans le baraquement de la garde et l’autre dans les appartements du Grand Architecte afin de faire d’une pierre deux coups.

Shak’ty avait entendu Jallys, il était resté à la porte et en tant qu’éclaireur il se devait d’avoir une excellente ouïe, il ne lui en voulait pas, il le comprenait mais lui aussi n’avait pas confiance alors il suivit le repenti pour l’aider, laissant à son frère la garde de l’architecte. Ce dernier se ferma sous la réponse on ne peut plus vague et il attendit que Krish revienne pour en savoir plus.

Ih’ara suivit sa nouvelle maîtresse avec impatience et elle n’hésita pas à dévoiler ses connaissances des passages secrets. Ces connaissances-là faisaient partis de son ancienne vie mais les veilles habitudes ont la vie dure mais plus que ça c’était une occasion de se rendre utile, de montrer au Feu qu’elle n’avait pas fait une erreur et puis elle aussi voulait rentrer aussi vite que possible. En passant par le passage secret Ih’ara remarqua que son ceinturon, et la hache qui y était accroché, n’était plus là, Krish avait pu voir que l’arme favorite de la repentie pendait désormais à la hanche d’Ashal. Une fois dans le baraquement elle resta dans la salle commune, son regard passa sur les deux éclaireurs et elle rajusta son masque mécaniquement puis elle fixa la porte en haut des escaliers.

Myr’Hennis avait mit un moment à manger, il était toujours méfiant mais la faim et surtout la soif avaient eu raison de sa paranoïa. Lorsque Krish entra enfin il termina de déglutir et il resta à la regarder comme un imbécile ; ce n’était pas sa tenue qu’il regardait, malgré le rouge qui d’ordinaire attirait son regard, c’était son visage, sa coiffe. Il avait rêvé et même s’il ne se souvenait jamais de ses songes, parfois des bribes lui revenaient, parfois seulement des impressions ou des sentiments et c’était le cas aujourd’hui. Sans vraiment savoir quoi ou pourquoi, quelque chose tuait sa haine dans l’œuf mais en voyant son sourire sa question revint à la charge. Une question qu’il regretta, il aurait aimé continuer à l’observer, observer son visage, observer ses deux étoiles rouges, mais elle se retourna et son cœur se serra, il avait rêvé d’une scène similaire.

Puis elle revint vers lui et son sérieux lui fit froid dans le dos. Il connaissait déjà la réponse à sa question mais ne voulait pas y croire et voilà qu’elle le confirmait. Il écouta d’une traite, recevant la nouvelle d’un visage neutre, de marbre. Le contact de la main de Krish le fit frissonner et s’en fut assez pour briser la carapace fragile qu’il essayait de se construire, alors qu’elle détourna les yeux il déglutit aussi discrètement que possible mais il ne l’arrêta pas. Il n’avait rien à dire, à la place Myr’Hennis regarda le ruban : une autre preuve de la mort de Vaervy, un autre poids à rajouter à sa culpabilité déjà écrasante. Il voulait crier que ce n’était pas vrai, déjà des histoires se formaient dans son esprit, il voulait tenter de convaincre Krish que c’était bien lui et qu’elle n’aurait pas dû accepter la mort de la capitaine mais la triumvir le savait déjà, s’il criait les repentis l’apprendraient et alors le sacrifice de Vaervy aurait été vain. Les épaules du Grand Architecte s’affaissèrent, il baissa la tête et ne dit rien pendant quelques secondes jusqu’à ce qu’une larme se détache de sa mâchoire pour tomber sur les draps.

« Même dans la mort tu continues… »

Sa voix n’était qu’un murmure, guère plus qu’un souffle, la phrase n’était adressée à personne en particulier, de toute façon celle à qui il voulait parler n’était plus. Son dos lui faisait mal mais ce n’était pas ce qui le fit grimacer, c’était une phrase qui résonnait dans sa tête.

« Le fort prend ce qu’il veut et le faible souffre ce qu’il doit… » Encore, sa voix n’était qu’un souffle. Il releva la tête pour regarder Krish, tant pis si elle voyait ses larmes, elle n’avait pas besoin de ça pour le détruire et tant pis si elle en parlait aux ennemis de l’architecte. « C’est la phrase qu’a prononcé le sergent, celui qui m’a condamné à être faible pour le restant de ma vie en me brisant le dos. Tu sais pourquoi ? Parce que j’ai cédé à la peur et je me suis juré que plus jamais je n’aurai peur. » Pour ça il avait dû broyer son instinct de survie dans la poigne de sa haine qu’il vouait à la soldatesque, ces créatures méprisables qui cachent leurs petites têtes sous de gros casques. « Et évidemment ce fils de pute est mort avant que je puisse me venger. C’est la phrase contre laquelle je me suis construit, la phrase qui m’a défini et j’ai passé ma vie à essayer de prouver qu’elle était fausse. Il m’a simplement fallut quatre cent dix-huit ans pour me rendre compte qu’il avait raison. Ma faiblesse m’a coûté bien plus que mon dos, elle m’a coûté Vaervy… »

Il ne savait pas vraiment pourquoi il lui racontait ça mais c’était la première personne à qui il le disait et il se rendit compte qu’en parler était libérateur.

... Pourquoi avait elle accepté de lui cacher la vérité ?

Ih'ara avait besoin de temps, et pour tout ce qu'elle avait fait dans cette histoire, Krish voulait lui en donner... Mais lorsqu'elle perçu la larme qui glissa le long de la mâchoire de l'Architecte, elle regretta soudain l'époque ou sa parole n'avait aucune valeur. Sa main gainée de métal soutenait toujours le ruban que Myr'Hennis n'avait pas touché et il lui paraissait beaucoup plus lourd.

Alors c'était à ce point qu'il tenait à sa Capitaine... à Vaervy. Le lien qui les unissait était suffisamment fort pour que sa perte le mette dans un état de détresse palpable. Krish serra les mâchoires, ramenant le ruban à elle en tentant d'ignorer les crochets de la vipère qui venait de lui sauter à la gorge. La Jalousie. Savoir pourquoi elle avait accepté ne la hantait plus. Elle ne pouvait savoir que la capitaine et son protégé étaient véritablement amis... et même sans doute plus. Comprendre pourquoi Ih'ara lui avait demandé de cacher la vérité à Myr'Hennis était d'un coup beaucoup plus difficile... Et le geste d'apaisement lui apparaissait à présent être d'un égoïsme total. Il fallait qu'elle lui parle, qu'elle la convainque de dire la vérité à l'Architecte rendu si vulnérable par son absence. En attendant, elle devait reprendre sa nonchalance habituelle. Elle ne pouvait pas se permettre de...

Une crispation douloureuse passa furtivement sur le visage baisser du convalescent. Elle quitta immédiatement le tabouret pour s'asseoir sur le bord du lit, sa hanche au niveau de la taille du blessé. Le ruban posé sur ses genoux, elle guettait son expression avec anxiété. Toute tentative de contrôle envolée, elle était prête à appeler Shundara au moindre signe inquiétant, mais il ne fit que murmurer une nouvelle phrase avant de relever la tête... bouleversé.

Elle n'avait jamais vu Velkyn pleurer. Elle n'avait jamais vu Halandarin pleurer. Au puy, les larmes étaient rares et souvent honteuses. Son Bara de père le lui avait enseigné : les émotions et les relation sont autant de prises capables de te détruire. Pas d'attache. Pas d'implication. La promesse d'une longue vie. La raison de sa survie jusque dans les Ombres. Un regard juste sur soi et sur les autres. Le jeu et le Contrôle. Une armure millénaire.

Et il lui jetait au visage la sincérité d'une souffrance face à laquelle il n'avait pas un mouvement de recul. Ses yeux rougis de larmes ne laissèrent pas ceux de sa vis à vis s’échapper un instant. Il la défiait presque d'oser utiliser ça contre lui. Ses mots expliquaient une réalité crue, ne rendant que plus dure la vérité qu'il partageait silencieusement.

La violence fut telle que le visage de la Triumvir se para d'une neutralité totale. Le dos droit. La tête haute. Seuls ses pupilles, malgré tous leurs efforts, ne pouvaient échapper à l'emprise deu Grand Architecte.

En effet... Il n'avait plus peur.

Mais elle, si.

Érodée par les jours d'angoisse. Cabossée par la surprise de cette réaction totalement imprévue. Affinée par l'admiration qu'elle avait pour lui en tant qu'Artisan, le respect en tant qu'homme. Son armure cédait sous l'intensité de cette sincérité ardente et dépourvue de la moindre retenue. Il lui offrait rien de moins qu'une clef de sa psyché. La peur de se voir tout simplement repousser cédait la place à une autre, bien plus insidieuse... Alors que rien était réglé, ni son faux deuil ni la véritable raison du monastère, quelques mots martelaient l'intérieur de son crâne avec force.

Elle aurait pu calmer sa détresse en lui apprenant que Vaervy était toujours vivante, mais à quoi bon si elle ne pouvait rester près de lui et qu'elle ne voulait plus le voir ? Trahis au lieu d'être sauvé... Et ce n'était même plus sa préoccupation principale.

Il venait de poser dans sa main de fer une part de lui. Dans l'affolement ? Dans le besoin de partager ? Ce n'était pas particulièrement à elle qu'il voulait le confier. Elle devait s'en souvenir. Que Shundara ou l'un de ses gardes lui ait appris pour Vaervy et elle n'aurait jamais entendu ces quelques mots. Elle même ne s'était aperçu de ses sentiments qu'en manquant de le perdre. Elle n'était rien pour lui... Elle devait s'en convaincre... Mais cela ne changeait en rien le résultat. Une soudaine proximité... Et la responsabilité de quelque chose d'étrange qui lui semblait à la fois fragile et puissant.

Elle avait écouté et elle n'avait rien trouvé à répondre dans l'instant, récupérant seulement la possibilité de détourner un moment les yeux à la fin de sa tirade. Son visage redevint mobile sans trop savoir ce qu'il devait ou non laisser paraitre. Quelques secondes d'incertitude durant lesquelles elle revint l'observer, lui ses maudites larmes et sa volonté farouche. L'observer non avec pitié ou moquerie, mais comme quelque chose d'infiniment précieux.

Quelque chose en elle freinait des quatre fers, mais sa main nue se glissa entre les doigts de l'Architecte pour la soulever, y joignant rapidement sa seconde main bardée de métal pour la ramener doucement à elle.

- Tu n'as pas le droit de rabaisser la décision de Vaervy à ce que tu es ou n'es pas. Elle a fait un choix qui mérite d'être reconnu. " Sa voix se voulait sereine, mais elle était légèrement voilée. " Quant à cette phrase, je ne sais pas si elle est vrai ou non. Je ne sais pas non plus ce que tu as été par le passé, ou ce que tu as affronté pendant les quatre derniers siècles... mais l'homme qui est devant moi aujourd'hui n'a rien de faible. Tu n'as plus à prouver quoi que ce soient à ceux qui jugent un homme sur sa force brute. Depuis notre rencontre, tu as fait preuve de plus de volonté, de finesse d'esprit et de talent que certains Karliik'Glenn que j'ai connu. Même torturé aux portes de la mort, tu n'as pas prononcé un mot. " Elle soutenait toujours son regard, pressant doucement sa longue main contre elle, presque au niveau de son cou, caressant son revers du pouce. Le coude de l'Architecte était posé sur sa cuisse. Elle ne savait toujours pas pourquoi il avait ordonner la mort de 23 de ses camarades. Sa pudeur s'arcboutait de toutes ses forces pour lui rappeler le danger de son attitude. Tant qu'elle ne plongeait pas, elle pourrait sauver les meubles, mais après... Alors elle ne s'approcha pas, seuls ses mots continuaient leur œuvre. " Tu es un homme d'exception, Myr'Hennis. Bien plus fort que ce tu sembles croire. Je ne sais peut-être pas ce qui te hante, mais je n'en ai pas besoin pour te le certifier. "

Ce n’est qu’en se tournant vers Krish qu’il remarqua qu’elle s’était déplacée, qu’elle était à ses côtés, et encore une fois ça lui rappela un rêve, un rêve où il sentait une présence allongée à côté de lui pendant un bref instant. Dans une autre vie Myr’Hennis aurait reculé comme un animal blessé mais ça ne changeait et ne changerait rien alors à quoi bon ? Dans une autre vie il se serait posé des questions devant ce visage impassible, il se serait dit que laisses couler ses larmes eut été une erreur, que déjà il pouvait voir des engrenages tourner dans la tête de la triumvir, qu’elle cherchait un moyen de le manipuler. Dans une autre vie il aurait même dit tout ça simplement pour gagner la confiance de quelqu’un. Mais à l’instar d’Ih’ara il avait abandonné son ancienne vie. Son regard se baissa vers les genoux de Krish, ses larmes coulaient encore et il ne faisait rien pour les arrêter. S’il en était capable il aurait souri en se disant que des rares personnes qui l’avaient vu pleuré seul sa tante était encore en vie. Son père ne l’avait vu qu’une fois, il lui avait mis une gifle et le mur la lui avait rendue, Myr’Hennis avait mis quelques secondes à se relever. Le mépris teinté de déception qu’il avait lu dans les yeux de son géniteur l’avait davantage blessé que le coup en lui-même, ou l’impact contre le mur.

En sentant la chaleur de la peau de Krish il regarda sa main et plus par réflexe qu’autre chose, il leva la tête. Il avait beau ne plus avoir peur pour sa vie, il n’avait jamais réussi à se débarrasser de la peur de ce qu’il pouvait lire dans le regard des autres et après avoir raconté ça il n’aurait pas supporté le regard moqueur que Krish arborait d’ordinaire. En voyant ses yeux il ferma ses doigts autour des siens, lui serrant doucement la main comme s’il avait peur qu’elle la retire. Il écouta et ses larmes arrêtèrent de couler, ses yeux n’étaient pas secs et ses larmes avaient creusés des sillons dans ses joues mais elles s’étaient arrêtées. Il resta bouche-bée, pas tant à cause des compliments mais de leurs effets sur lui. D’habitude lorsqu’on le complimentait Myr’Hennis entendait une petite voix lui rappelant que lesdits compliments n’étaient pas sincères, qu’ils étaient hypocrites et pourtant, pour la première fois en trois siècles ses doutes s’étaient tus, ses doutes avaient enfin arrêté de le hanter. Les paroles du Feu apaisèrent sa conscience : sa culpabilité fut un peu allégée en apprenant que ce n’était pas lui qui avait avoué, il restait coupable de la mort de Vaervy mais au moins ce n’était pas lui qui l’avait trahi en parlant. Alors il continua à parler, il avait commencé, maintenant il ne pouvait plus vraiment s’arrêter et les caresses de Krish l’y encourageait ; il le faisait sans remord, maintenant il n’avait plus personne à protéger par son silence.

« Ce n’est pas ce que je voulais dire : si j’avais été plus courageux quatre siècles plus tôt j’aurai pu me battre... » Il baissa lentement les yeux vers les genoux de Krish puis il releva la tête, Vaervy n’était plus et il ne pouvait pas se permettre de retomber dans un siècle de léthargie. Il devait continuer. « Ce sont mes doutes qui me hantent, qui me susurrent qu’à chaque chose que je fais ce n’est jamais assez bien et le pire c’est qu’ils ont raison. Pour le monastère par exemple… » Ses yeux se remplirent d’une tristesse profonde, mêlée d’une certaine déception, il se sentit trahis. Mais il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même, il s’était fait avoir comme un débutant, elle l’avait amené là où elle voulait et lui ne s’en était même pas rendu compte, pas avant qu’il ne soit trop tard. « Mais c’est justement ce qui t’intéresse n’est-ce pas ? Pourquoi savoir est-ce que je l’ai fait. Non, ce n’était pas pour t’envoyer un message. Ce n’était pas non plus simplement pour tuer des repentis. Je l’ai fait par… peu importe, je l’ai fait pour toi. Pour te donner un prétexte, un prétexte pour reprendre les purges, avec les purges tu as ouvert une porte que tu ne peux plus refermer, tu en as fait la première grosse décision de ton triumvirat, tu as placé ton règne sous cet auspice. Je me suis demandé pendant longtemps combien de ces ordalies étaient déjà décidées d’avance, combien étaient truquées pour t’assurer la disparition d’un opposant ; combien d’innocent ont dû mourir pour que tes attaques ne semblent pas ciblées, pour que tu puisses rétorquer à tes détracteurs que c’était là la volonté des dieux et non la tienne. Mais au final ça n’a aucune importance, je n’ai rien dit, je t’ai aidé simplement parce que je pense que vous, comme je l’ai déjà dit à Viconia, pouvez apporter quelque chose au Puy : un semblant de stabilité. La possibilité de mettre un terme, au moins temporaire, aux luttes de pouvoir incessantes. Et si je dois sacrifier quelques repentis pour t’en donner l’occasion… si je dois perdre Vaervy pour ça… si je dois mourir pour ça… et bien c’est un sacrifice que je ferai sans hésiter. »

- Arrête. " Une simple demande, sèche, mais douloureuse. Elle ne cachait plus, elle ne contrôlait plus. Elle serrait un peu plus les mains sur celle de l'Architecte, espérant en cacher les légers tremblements. " Je ne te demande rien. Tu n'as pas le droit de dire ça..." Elle ignorait ce qu'Il pourrait lui faire et l'entendre jeter ainsi sa vie en pâture au premier venu... une crainte réelle perçait dans sa voix.

Il n'avait pas le droit de prononcer de tels mots. Pas le droit de jurer qu'il était près à se sacrifier pour que la Paix s'étende sur Elda. Pas devant elle. Pas alors qu'Il guettait le monde à travers ses yeux. Pour la première fois depuis son retour à la lumière, elle aurait sincèrement préféré retrouver le vide qui l'habitait quelques années plutôt... Un instant. Un petit instant, avant de se rendre compte de l'énormité de ce souhait, aussi fugace soit-il. Elle baissa la tête, adressant intérieurement une prière de repentir au Père, son front frôlant les phalange de l'Architecte.

Puis elle releva à peine la tête, juste assez pour le regarder dans les yeux, s'efforçant de comprendre pourquoi les dernières phrases de l'Architecte la troublaient à ce point. Il y avait déjà un point dépourvu de doute :

- Que ce soit pour les purges, pour la stabilité, par vengeance ou sur un simple coup de tête, je ne veux pas le savoir. Je ne peux pas te croire à ce sujet, pas encore. " Il faudrait bien plus que quelques mots pour expliquer un tel geste, et la perspective de le voir se sacrifier...  Elle s'était offerte à la Guerre. Elle en mourrait tôt ou tard et elle se doutait déjà que son sacrifice ne servirait pas à ramener la paix. Mais Il lui avait montré pourquoi tout cela était nécessaire et elle ne s'en détournerait pas. Myr'Hennis par contre...

Et pourquoi revenait-il parler de politique, de devoir et d'ordre à un moment comme celui là?! Pourquoi, les coups les plus retords arrivaient au moment où elle baissait la garde ?! " Bon sang... " Elle ne savait plus vraiment ce qu'elle reprochait à son discours. De lui dire ? De ne pas être crédible ? De l'être trop ? De ne la prendre encore une fois que comme une Triumvir. Une fonction. Un devoir ? Ou était-ce simplement le regard qu'il lui avait soudain lancé ? Il n'avait pas le droit de la regarder avec une telle déception... Il n'avait pas le droit de lui faire un discours, comme si elle était sur le point de le tuer parce qu'il avait git par... Par quoi ? hein ?!

- Trois jours..."Murmura-t-elle encore en se redressant légèrement, se penchant vers lui pour garder sa voix sous contrôle.  " ça fait trois jours que je me pose toute sortes de question sur la raison de ton geste tout en criant partout que tout est réglé et que je sais parfaitement de quoi il en retourne. Trois jour que je cours d'ici à ta demeure, de ta demeure au temple et du temple à l'état major sans arriver à me sortir son état de la tête. Tu me parles sincèrement de Vaervy, de toi, de ton passé, et maintenant tu fais comme si je te répugnais ?!" Il n'avait pas le droit d'agir comme si elle allait le tuer maintenant ! Pas le droit de jouer avec elle en lui laissant croire qu'il se laissait approcher pour mieux la chasser par la suite. " Il y a trois jours, j'ai du te regarder mourir, juste là ! Noyé dans ton propre sang ! Là ! " Sa main griffue quitta celle de Myr'Hennis pour pointé brutalement le centre de la pièce. " Alors tes raisons je m'en fout. Tu entends ?! Je m'en fout ! Purge ou pas, je m'en fout ! Je ne veux plus jamais te revoir dans cet état. Et je t'interdit de me regarder comme une moins que rien..." Comme une traitresse... Sa voix cassante et empressée s'était arrêté d'un coup.

C'était ce qu'elle avait vu dans son œil... De la déception. Un rejet profond. Une trahison. Tout ce qu'il avait pu dire après n'était qu'un prétexte. Elle respirait à grands coups, les yeux vrillés dans les siens. ça n'avait rien à voir avec le Père ou avec un quelconque sacrifice... C'était elle. Seulement elle. Suspendue à la réaction de son vis à vis.

Il s’était préparé à répondre devant l’incrédulité de son interlocutrice, il avait une réponse si elle ne le croyait pas mais il n’eut pas l’occasion de le dire car il l’écouta. Il se taisait et écoutait. Il voulut lui dire que c’était justement parce qu’elle n’avait rien demandé qu’il l’avait fait, qu’il était prêt à le faire.

Myr’Hennis ne savait pas comment réagir, ça ne lui était jamais arrivé. Devait-il prier avec elle ? Il ne savait pas trop pourquoi il prierait mais sans doute les dieux n’étaient pas très regardant à cet égard. C’était le moment de parler, de tenter de continuer à lui dire la vérité, cette vérité libératrice qui lui brûlait les lèvres et qui, ironiquement, le purgeait. Les mots restèrent coincés dans sa gorge, ce qu’il savait des complots en cours, de ceux passés et de ceux futurs ne sortirent pas de ses lèvres. A quoi bon le dire maintenant alors qu’elle ne voulait pas écouter ? Mais plus que ça c’était la douleur qu’il lisait dans les deux étoiles rouges de Krish qui le fit s’arrêter. Une nouvelle fois il ne savait pas comment réagir, dans une autre vie il en aurait profité, il s’en serait servi pour… pour quoi au juste ? Dans une autre vie il aurait pu répondre de plusieurs façons différentes. Dans une autre vie il aurait parlé parce qu’il ne détestait le silence et c’est à ce moment-là qu’il se rendit compte que les périodes de silence avec Krish ne le mettaient pas mal à l’aise, il les appréciait presque autant que ses paroles.

En l’écoutant il se rendit compte de son erreur. Il avait laissé sa paranoïa resurgir, prouvant au passage que son ancienne vie n’était pas si lointaine qu’il le croyait ; c’était bien normal d’ailleurs, personne ne peut changer du jour au lendemain. Encore une fois il ne savait pas comment réagir. Il laissa son ancienne vie de côté, il devait trouver de nouvelles façons d’agir, un nouveau système de pensée, les comparer aux anciens ne pouvait qu’être toxique. Quand elle retira sa main griffue il voulut la rattraper, ce n’était pas la peine de le lui montrer, il s’en souvenait très bien, trop bien, alors il leva la main mais c’était trop tard, il était trop lent. Trop faible. Myr’Hennis cherchait ses mots, chassant ceux qu’il aurait prononcé il y a de ça une éternité, avant son réveil, ce n’était plus lui. Désormais il allait agir au lieu de parler.

Alors il dégagea délicatement sa main que tenait Krish et avec la seconde qu’il avait levé pour rattraper celle griffue de son interlocutrice il la prit dans ses bras et la tira contre lui. Si elle se laissait faire il se coucherait lentement sur le lit avant de passer une main dans ses cheveux tout en continua de la serrer contre lui de l’autre.

« Je suis désolé. »

Il retira sa main de la sienne. Il ne disait rien. Après ce qu'elle venait de dire, ça ne la surpris même pas. Il s'était redressé, lentement. Son dos et ses bras bougeaient au ralentit en comparaison de l'emportement de son visage, rappelant qu'il avait encore un peu de chemin à faire avait d'être rétabli. Elle reculait déjà. Elle avait comprit le message... Inutile d'insister.

Contrôlant ses geste à la perfection, elle força ses épaules à retomber dans une parodie de décontraction. Les chaines d'or alourdies de pierreries dansèrent légèrement de chaque côté de son visage. Ses doigts griffus s'apprêtaient à saisir le ruban de soie qui trônait sur ses genoux. Sur un coup de tête, elle voulait l'enrouler de nouveau autour de son poignet, mais elle n'en eut l'occasion. Une longue main osseuse se posa sur son bras. Une seconde sur son épaule. Elle releva les yeux, méfiante, accusatrice malgré elle, mais ceux de Myr'Hennis n'étaient pas... ou plutôt ils étaient... Étranges.

Elle perdit ses yeux de vue et se retrouva contre lui, dans ses bras. Les quelques parties métallique de son corset asymétrique gardaient le corps de l'Architecte à distance, tandis que la soie rouge le laissait s'appuyer doucement contre elle. En un réflexe pour ne pas l'égratigner avec sa coiffe, elle avait penché la tête sur le côté, mais même assit il la dépassait suffisamment pour que ce ne soit pas un problème. Elle se retrouva le nez au creux de son cou. Le matin même, elle avait humé le parfum de sa peau comme si cela ne devait jamais se reproduire... Et voilà qu'il l'entourait à nouveau.

Puis il glissa doucement vers l'arrière. Comme il ne desserrait pas sa prise, elle prit cela pour un instant de faiblesse due à son état et résista. Elle tendit sa main pour s'appuyer au mur. Sa griffe passa dans le dos de l'Architecte, prête à le soutenir... Et s'arrêta à un souffle de sa peau sans oser s'y poser. Il avait dit s'être brisé le dos. Il avait laissé entendre que ça ne s'était jamais totalement remis. Et le poids qui la tirait vers le matelas, se faisait plus pesant, plus volontaire. Que cherchait-il...? Elle avait une envie violente d'arrêter son geste, de le prévenir qu'elle ne jouait pas. Qu'il agissait à ses risques et périls... Mais si cela ne faisait aucun sens. C'était inapproprié. Dangereux.

Légèrement raide, elle finit par suivre doucement le mouvement et se retrouva allongée en travers de sa poitrine, la figure à moitié baissée sur son pectoral pour ne pas risquer de le piquer. Le long bras sec enlaçait toujours ses épaules. Hors de son champ de vision, la main nue de la Triumvir suivait flanc du jeune homme, prête à lui servir d'appui si elle devait se redresser. L'autre vint se poser sagement juste devant ses yeux sur ce torse longiligne. Des doigts fins se mirent à courir paisiblement sur ses cheveux.

Son oreille pointue captait le passage régulier de sa respiration et les battements de son cœur. Sous sa joue et ses doigts, la peau chaude de l'Architecte l'apaisait peu à peu. Elle ferma les yeux, oublieuse du reste. S’arquant un peu, elle finit ne se lover contre lui. En silence.

Elle ne comprenait pas... Jamais elle n'aurait cru que le Grand Architecte qu'elle côtoyait depuis quatre ans était capable d'agir ainsi... A moins que ce ne soit par moquerie. Mais cette éventualité, elle n'y penserait que plus tard. Pas maintenant. Il pouvait bien se moquer après tout. Elle prenait juste ce qu'elle pouvait prendre. C'était toujours ça le deal, non ?

- Je suis désolé. "

Quelques mots... son corps acheva de se détendre. Non. Décidément elle ne comprenait pas. Mais elle n'allait pas poser la question au risque que tout s'arrête. Elle resta là, un moment. Sans savoir combien de temps exactement. Elle était bien. Le rythme de la respiration de Myr'Hennis la berçait, lui rappelant soudain à quel point elle était restée tendue ces derniers jours et laissant remonter d'autres pensées. D'autres questions. D'autres espoirs. Pourquoi avait-il demander à Vaervy de sortir quand elle était venu chez lui s'il avait autant confiance en elle. Pourquoi aujourd'hui ne se défendait-il pas ? N'avait-il aucune rancœur pour celle qui l'avait mené dans cet endroit ? Elle n'avait même pas pu empêché Ferya de lui faire du mal... Elle se serra un peu plus contre lui.

Quelqu'un passa dans le couloir, ouvrant une autre porte qui grinça légèrement sur ses gonds. Myr'Hennis l'ignora totalement. A moins que ce soit Uriz il ne voulait pas en entendre parler.  Puis de nouveau le silence.

- Est-ce que tu essaieras de me tuer pour t'avoir trainé ici ? "

Sans s'écarter, sans le regarder, sans même ouvrir les yeux, celle là lui avait échappé. Une question aussi incongrue dont elle n'avait aucune raison de croire la réponse pourtant. Le sommet d'une montagne d'interrogations sous-jacentes qu'elle devait taire pour son propre bien. Hors de ce qu'elle pouvait percevoir, un fin sourire se dessina sur les lèvres de l'architecte alors que sa main remontait pour recommencer après avoir atteint la fin de sa chevelure.

- Tu es la seule repentie que je ne suis pas prêt à sacrifier... et puis si je le faisais tout ça n’aurait servi à rien, n’est-ce pas ?
- Tout ça ?
- Toutes ces morts, tous ces sacrifices auxquels j’ai consenti. Auxquels nous avons consentis.
- Nous... "

Ce n'était pas vraiment une question, bien qu'elle espérait une réponse... qui n'avait aucune chance d'être la vérité. Vaervy et lui avaient beaucoup souffert dans l'histoire et il leur faudrait du temps pour comprendre que ce n'était que temporaire. Même si elle-même avait repoussé la mort de vingt-et-un compagnons d'armes et deux amis au fin fond de sa mémoire pour faire taire son conflit intérieur, cela n'avait surement pas la même porté à ses yeux que le sacrifice qu'avait consentit l'ancienne Capitaine de la Garde. Alors elle n'avait pas vraiment poser la question, s'arrogeant le droit d'y apposer sa propre réponse fantasque si aucune ne lui était donnée.

Elle se redressa légèrement de manière à pouvoir le regarder. Les joues encore légèrement humides, il souriait. La main gainée de dentelle d'or glissa jusqu'à sa mâchoire aux arrêtes effilées, la pulpe de ses doigts remontant les sillons laissés par les larmes qui l'avaient tant déstabilisées. Gommant leur existence au passage. Un battement lent se répercutait jusque dans ses tempes. Guettant son regard pour s'arrêter au moindre frémissement de refus, au moindre doute, elle se glissa jusqu'à lui. Doucement. Leurs souffles se croisèrent. S'il le voulait, elle fermerait les yeux. Ses lèvres pleines frôleraient le fin dessin de celles de Myr'Hennis avant de s'y poser tout à fait, sans violence ni avidité. Tendre, si ce mot voulait encore dire quelque chose pour elle.

Myr’Hennis était désolé, tellement désolé. Il aurait dû se taire, comme d’habitude. Mais ce n’était pas tout, il se rendit compte que, il ne savait pas comment, le Maître de l’Etude Noire avait réussi. Krish l’aimait. L’architecte aurait dû s’en réjouir, son pari avait réussi, c’était sûrement ce qui lui avait sauvé la vie. Alors pourquoi est-ce que sa victoire avait un goût de cendre ? Parce qu’elle réveillait ses doutes, ses doutes qui lui susurrait encore une fois, qui lui disait que jamais elle ne l’aurait aimé sans l’aide du philtre. Ce qui était sûrement vrai alors il était infiniment désolé. Krish avait condamné Ih’ara à vivre mais Myr’Hennis l’avait condamné à l’aimer. Il était tellement désolé, bien plus que les trois mots qu’il avait prononcés pouvaient communiquer. Les dieux adorent l’ironie. Il aurait souri mais il n’en avait pas vraiment le cœur maintenant. Il s’était attaqué à elle et maintenant il voulait la protéger de ce que lui avait fait. Il aurait même soufflé du nez devant l’absurdité de sa situation. Mais qui sait, peut-être que Krish pourrait reconstruire la confiance qu’il lui avait accordé et qu’elle avait brisé. Peut-être que l’amour allait enfin renaître dans son cœur flétrit, après plus d’un siècle d’absence. Il devait bien en être capable, après tout, son siècle d’errance affective appartenait à une ancienne vie.

La question de Krish le sortit de ses pensées et il sourit finalement. Dans cette affaire il avait souffert, peut-être autant qu’elle au final, il ne savait pas quelle relation elle entretenait avec les repentis mais pour Myr’Hennis, Vaervy avait été plus qu’une protectrice. C’était son ami. C’était sa confidente. C’était celle qui l’avait permis de sortir d’une dépression centenaire. C’était celle qui le protégeait et l’avait maintenu en vie quand lui n’y croyait plus, quand lui n’en voyait plus l’intérêt. Mais elle n’avait jamais été son amante, Myr’Hennis le refusait, il n’avait pas pu remplacer la mémoire de Nahala mais maintenant… maintenant pourquoi pas ? Alors il lui répondit honnêtement, il n’avait rien à gagner et de toute façon il ne voulait plus lui mentir. Il laissait les mensonges qu’il avait dit dans son ancienne vie, avant qu’il ne se réveille.

Il ne répondit pas, ne comprenant pas qu’elle attendait une réponse. Oui, nous. Comme si c’était évident. Mais pour lui ça l’était, car il ne savait pas que Ih’ara était dans le baraquement et encore moins vivante. Les cheveux de Krish s’échappèrent d’entre ses doigts alors qu’elle se levait et il cessa de regarder le plafond pour baisser ses yeux jusqu’à elle. Les siens brillaient comme deux étoiles surtout qu’il ne voyait que ça : le rouge de ses yeux. Pour une fois, ne pas voir d’autres couleurs avait du bon. Myr’Hennis savoura la chaleur de la main sur sa mâchoire puis sur ses joues et en la voyant approcher, quelque chose au fond de lui cria de l’arrêter, que le sentiment du Feu n’était pas né naturellement. Que c’était artificiel et que rien ne pouvait en sortir ; et pour la première fois le Monstre se dressa contre le doute qui d’ordinaire le nourrissait, le réduisant au silence d’un coup de patte agacé, comme s’il écrasait un insecte qui lui tournait autour depuis bien trop longtemps. Alors il accepta et ferma les yeux, c’était une nouvelle première pour lui : un baiser chaste. A-t-on déjà vu ça au Puy ? Pas Myr’Hennis en tout cas. L’architecte leva une main pour la poser sur la joue de Krish, c’était égoïste mais il n’aurait pas pu supporter qu’elle s’éloigne, pas maintenant. De son pouce il lui caressa doucement la joue jusqu’à ce que leurs lèvres décident de se quitter. Il ne savait pas qui avait arrêté en premier et il s’en moquait, ça n’importait que peu.

Il devait lui dire, tout lui dire. Mais il n’y arriva pas. Il n’osa pas. Après quelques secondes il rouvrit les yeux. « Est-ce que tu m’aimes vraiment ? » Bien sûr elle n’avait aucun moyen de savoir ce qu’il demandait. Il connaissait la réponse mais préférait l’ignorer, il avait besoin d’elle pour se convaincre du contraire. Un mensonge par omission est-il réellement un mensonge ?

La grande main aux doigts finement déformés par le burin et les pinceaux se glissa sous les breloque tombant de sa coiffe pour caresser sa joue. Une sensation grisante et étrange. Les oreilles de la noire elfe s’aplatirent légèrement contre son crâne comme celles d'un chat apeuré. Ses lèvres contre celle de l'architecte faisaient battre son cœur plus fort, mais ça n'avait rien d'un appel a la luxure comme ceux qu'elle collectionnait au gré de ses envies.

Dans sa jeunesse et depuis son retour au puy, elle avait toujours été entourée de guerriers. Elle connaissait leur façon de penser, leurs limites et leurs capacités. Mis à part Vaerian, menteur invétéré, et Drex, le prête qui l'avait initiée, elle n'avait connu que des hommes qui pouvaient la briser physiquement, la dominer de bien des façons, et contre lesquels elle avait toujours du se défendre. Elle prenait son plaisir là où elle le pouvait quand elle en avait envie. Même lorsqu'elle voyageait ou partait en goguette dans les quartiers populaires de Thaar, les marins et les soldats qu'elle charmaient n'avaient rien d'artistes éclairés. Les esprits qu'elle admirait, elle s'en méfiait bien plus que de grandes mains. Elle les mettait aux défi, elle les fatiguait, elle les observait, elle jouait et tentait de trouver leurs limites, de les obliger à les dépasser. Elle ne pouvait pas s'en empêcher. Et puis c'était plus simple. En tant que rivale, elle savait ou était la limite.

Les deux hommes qui avaient partagés sa vie étaient taillés sur le même modèle. Des corps de mastodontes capable de faire de l'ombre au Soleil. Des esprits passionnés, créatifs et étranges, mais brutaux, faciles à fasciner. Faciles à bernés. Leurs talents l'avaient éblouie. Est-ce qu'elle les avait aimé pour autant...?

Elle avait quitté le Puy du jour au lendemain, sans même prévenir Velkyn lorsque la routine l'avait prise à la gorge... Et qu'il s'était fait, lui, trop présent. Elle l'avait laissé derrière elle pendant des siècles sans le plus petit remord et l'avait retrouvé que pour le voir lui tourner le dos. La suite était d'un pathétique consommé. Il l'avait trahit avant de tenter un ultime rapprochement et mourir en laissant les choses inachevées. Il y avait plus de flatteries que d'attention, mis à part de rares rencontre ou l'alcool leur montait à la tête pour remplacer leur sang échauffé. L'ombre de ce qu'aurait pu être leur mariage, leur alliance et de leurs pouvoir commun, était bien plus prenante que d'hypothétiques sentiments personnels. Il était son premier pari d'envergure. Son premier pari gagnant. Quant à Halandarin, ça n'avait été qu'un feu de paille. Quelques temps dans les Ombres et elle ne se rappelait même plus totalement son visage. Il avait été un sursaut alors qu'elle désespérait de trouver de nouveaux défis en ce monde. Son arrivée lui avait sauvé la vie. Elle criait sur tous les toits qu'elle l'avait brisé, mais en réalité, ils s'étaient brisés l'un l'autre. Elle était la seule a avoir su s'en relever, en payant un tribut lourd. Elle n'avait plus toucher un marte de forge depuis son assassinat.

Si l'un avait emporté son désir de jouer selon les règles des cultes et des traditions, l'autre lui avait pris son envie de créer, son inspiration. D'une façon ou d'une autre, oui. Elle les avait aimé. Un verbe qu'elle n'avait toujours conjugué qu'au passé et qu'elle ne prononçait jamais à voix haute. Elle ne leur avait jamais dit. Même en six siècle de mariage. Même en quatre jours d'une transe commune à partager la même forge et le même but sans dormir ni manger. Pas une fois. Elle n'y avait même pas pensé. C'était si loin d'elle.

Peut-être était-ce pour ça qu'elle qu'elle avait le cœur a fleur de peau en goûtant un baiser si simple. Pour ça qu'elle resta à un souffle de lui, partageant la même respiration, lorsqu'ils se séparèrent. Pour ça que sa joue s'appuya sur cette paume, sentant encore les dessins abstraits qu'avaient tracés son pouce osseux. Ses paupières s'entrouvrirent, groggy, sur un visage sculptural juste assez loin d'elle pour qu'elle en discerne les traits. Les rubis qui l'ornaient se découvrirent à leur tour... Pour la foudroyer de ces mots qu'elle n'aurait jamais cru entendre prononcer avec sérieux.

Les relations étaient toujours un peu les mêmes... Colère. Passion. Douleur. Incompréhension. La confiance était réservée à de rares amis. La douceur était un composent absent... ou si rare qu'elle pouvait compter ces moments sur les doigts d'une seule main en un Cycle d’existence. Dans tous les cas, elle ne passait jamais par des mots. L'amour était un sujet de jeu et de plaisanterie. Les rares déclarations échevelées auxquelles elle avait eu le droit s'était soldées par un franc rire de sa part. Les déclarations qu'elle avait faites étaient toujours enflammées, cyniques ou prononcées dans le feu de l'action. Cela ne lui avait jamais posé de cas de conscience.

Pas aujourd'hui.

Une lueur de panique passa dans son regard, mais elle soutint celui qui pesait sur elle. Qu'elle ne se redresse pas en le taquinant pour partir sans demander son reste était déjà un exploit en soit. Il lui posait cette question de façon soudaine... pressante. Grave. Krish referma la bouche. Son timbre un rien fébrile ne semblait pas prêt à juger sa réponse, il la guettait seulement... Comme si elle était d'une importance extrême... Et ne l'était-elle pas ? Quelles en étaient les implications ? L'aimait-elle ? L'aimait-elle, vraiment ? La main sur sa joue l'empêchait de reculer. Comment en être sûre ? Qu'en ferait-il ? Devait-elle renier toute prudence ? Braver cette seule pudeur qui l'avait tenue en vie ?

- Ou... " Interrompu par un hoquet, sa poitrine se contracta violemment. Le Braiser endormit s'étendit comme un fouet, calcinant l'intérieur de son être. La douleur voilà son œil l'espace d'un battement de cil, l'or prenant le pas sur le rouge avant qu'elle ne ferme les paupières. Elle serra la mâchoire et rouvrit les yeux presque aussi tôt, prenant une profonde inspiration. Figée durant un instant, sa main reprit vie sur la joue de l'Architecte. Ses yeux, de nouveau égaux à eux-même, cherchèrent ceux de l'homme auprès d'elle comme une amarre. Consciente que sa réaction pouvait prêter à confusion, elle hochait la tête en de légers mouvements. " Ce n'est rien. Ça m'arrive de temps à autre. Le Père des Batailles... sa façon de communiquer est... douloureuse. " Prononça-t-elle distinctement tout en reprenant son souffle. La Présence redevenue calme ne se faisait pas oublier mais le contact de la peau de Myr'Hennis était plus... réel. Elle s'arrêta une seconde, son attention à nouveau pleinement tendue vers l'Architecte, se rendant compte qu'elle n'avait jamais avoué à qui que ce soit les souffrances qu'engendraient son état de Prime Feu. La pointe de douleur qu'elle pensait être un avertissement destiné à la retenir venait de faire exactement le contraire... " Mais je ne fais pas semblant, Myr'Hennis. Ces quatre dernières années... Je ne pouvais pas prendre le risque. Je n'ai pas osé... Mais... je t'aime... Je t'aime vraiment. " murmura-t-elle, la gorge nouée, le regard figé. C'était dit... " Et peu importe ce qu'Il en pense, où même ce que tu en penses, là dessus je suis seule juge... " Elle l'avait rajouté, fébrile, revendiquant qu'aucune réaction, pas même divine, ne pouvait avoir d'importance, que la réaction de l'Architecte ne pouvait avoir d'importance, alors que ses yeux avouaient un tout autre discours.

C’était incroyable. Vraiment. A chaque fois qu’il disait quoi que ce soit il trouvait le moyen de lui faire peur ou mal. Il aurait aimé pouvoir considérer ça comme un talent mais il le voyait comme une malédiction. Il la regarda avec intensité, la suppliant presque du regard pour qu’elle réponde. Qu’elle dise non et Myr’Hennis lui aurait avoué pour le philtre, qu’elle dise oui et… et il lui aurait aussi avoué. Sa conscience ne pouvait pas laisser Krish ainsi. Dans tous les cas il allait avouer. Mais avant ça il voulait une réponse claire et précise. Il en avait besoin.

En la voyant souffrir il voulut se relever, trouver ce qui n’allait pas mais il resta figé alors que ses yeux d’un rouge vif qui contrastait délicieusement avec le reste de son visage se grisa à son tour pour finalement disparaître. C’était la troisième fois que ses étoiles disparaissaient. Combien de fois est-ce qu’il allait devoir être privé de ces lumières ? Bien trop, il le craignait. Lorsqu’il retrouva enfin le contrôle de son corps c’était trop tard, ses yeux avaient regagné leur couleur rouge, du moins en partie, et Myr’Hennis en fut infiniment soulagé, lui qui ne l’avait pas quitté du regard, cherchant ses yeux comme si sa vie ne dépendait il les retrouva dès qu’il put. Sa douleur avait réveillé la sienne, il avait eu mal au dos et il allait profiter du flottement pour lui dire que si elle voulait, dans son atrium, il avait des divans dont il était certain qu’elle allait les apprécier ; il avait retenu la leçon, il s’était tu, il n’avait pas envie d’user de son… talent.

Qu’elle partage sa douleur lui faisait plaisir. Ce n’était pas un plaisir sadique, loin de là, elle s’ouvrait à lui et même si elle ne l’aimait pas vraiment ça n’empêchait pas qu’elle avouait une faiblesse, elle lui faisait donc confiance. Au moins un peu.

Puis enfin, la réponse définitive vint, il avait retenu son souffle jusque-là et c’est avec soulagement qu’il le relâcha une fois qu’elle termina de parler. Il se sentait plus léger, comme si un poids immense s’était évaporé. Elle l’aimait depuis quatre ans ce qui voulait dire que le philtre n’avait eu aucun effet. Si la situation n’avait pas été aussi grave, aussi sérieuse, il aurait ri nerveusement pour évacuer la tension mais il ne pouvait pas se le permettre. Il voulait l’embrasser à nouveau mais il avait du mal à bouger. La lumière pourtant faible de la pièce l’importunait, la migraine qui lui vrillait le crâne depuis qu’il s’était réveillé commençait à devenir insoutenable tandis que la douleur de son dos, qui ne le quittait jamais, se fit de plus en plus intense. Il commença à transpirer alors que son cœur s’emballait. Il papillonna des yeux un moment dans l’espoir que la lumière se fasse moins agressive, en vain, puis il les ferma complétement, comme si ça pouvait arranger d’une quelconque façon son mal de tête.

Shundara rentra en trombe dans la pièce, elle expliqua rapidement à Krish qu’il fallait qu’elle se pousse, qu’elle avait tenté tant que possible de lui laisser du temps avec Myr’Hennis mais qu’il était temps qu’elle se mette au travail avant que son état empire. Alors elle se mit au travail, la mage de vie aura tout le loisir d’expliquer qu’elle avait sauvé l’architecte mais qu’en accélérant sa régénération sanguine elle lui avait fait attraper une leucémie une fois qu'elle aurait géré cette crise ; que c’était pour ça qu’elle s’occupait de lui avec la régularité et la précision d’un métronome. Ih’ara attendait dans l’encadrement de la porte comme un de ces monstres des légendes qui ne peuvent entrer si on ne les invite pas, regardant Krish puis Myr’Hennis pour regarder à nouveau le Feu d’Uriz, cachant ses sentiments sous son masque.

- Myr'Hennis... " Elle s'était légèrement redressée, fronçant les sourcil en apercevant une goute de sueur sur la tempe du convalescent. Une poignée de secondes plus tard, les yeux de la Triumvir s'écarquillaient légèrement en sentant l'Architecte perdre pied. Elle, par contre, ne perd pas un instant pour se retourner. Les breloques qui pendaient à sa coiffes tintèrent furieusement. " Shundara ! "

A croire qu'elle attendait derrière la porte. Krish se leva immédiatement pour la laisser passer, la regardant se mettre immédiatement au travail sans prendre le temps d'ausculter d'une quelconque façon. Elle savait ce qui était en train de se passer... Et Krish n'arrivait pas à savoir si c'était une bonne ou une mauvaise chose. Non. C'était forcément une bonne chose. Au moins ça n'avait rien avoir avec ce qu'elle lui avait dit ou la tension de leur discussion. Si c'était déjà connu, elle pouvait au moins s'enlever ça de l'esprit. Shundara savait ce qu'elle faisait. Deux pas derrière la fine mage, elle l'observa un moment, bras croisés... Avant de se rendre compte de la présence d'une autre pair d'yeux à la porte. Ih'ara...

Krish jeta un nouveau regard à Myr'Hennis, dont la peau était peu à peu gagnée par des veinules bleues, et tourna les talons vers la porte. En passant l'encadrement, elle saisit le bras de Ih'ara et l'entraina vers la porte la plus loin de celle de l'Architecte. Zep’nyr toujours dans l’escalier s’approcha en même temps que Ih’ara et lorsque Krish attrapa la repentie par le bras il hésita un moment à les suivre. Puis il abandonna l’idée ; c’était trop risqué, quel était l’intérêt de confirmer ses soupçons s’il devait subir le courroux d’une triumvir ? Alors il resta aux côtés de son frère, ne voulant pas rentrer pour ne pas déranger la mage mais il ne quittait pas son patron des yeux pour autant.

De son côté, ouvrant le battant d'un coup sec, Krish laissa la guerrière entrer, referma, la repoussa au fond de la pièce et se planta devant elle, laissant parler l'agressivité que le soudain déclin de Myr'Hennis lui mettait en travers de la gorge.

- Pourquoi ne m'as-tu pas dit à quel point vous étiez proche quand tu m'as demandé de lui mentir ? " gronda-t-elle tout bas pour s'assurer que personne ne les entende à l'extérieur. " Tu as la moindre idée de l'état dans lequel l'a mis l'idée de ta mort ? "

Lorsqu'elle croisa les bras, ses ongles cliquetèrent sur son bras armuré. Ih’ara, elle, regardait la triumvir en question sans broncher. L’ancienne capitaine retira son masque, si le Feu voulait passer ses nerfs sur elle ça serait plus facile ainsi.

- Vous ne vous en doutiez pas, même pas un peu ?
- Non ! Comment aurais-je pu savoir ?!
- Oui je me doute que ça n’a pas dû être plaisant mais l’alternative était bien pire. » On pouvait lire pendant un instant dans son regard la douleur qu’avait causé la séparation avec Ashal, elle n’avait pas envie de réitérer l’expérience, avant que son regard ne redevienne neutre. « J’en suis terriblement désolé mais c’est la seule solution.
- Et c'était quoi cette alternative ? En quoi était-elle pire ?
- S'il savait la vérité il aurait tout fait pour l'empêcher, quitte à révéler aux autres qu'il avait eu l'idée, que j'ai planifié l'attaque sur son ordre. Vous savez qu'il ne tient pas sa langue même lorsque c'est nécessaire.
- Alors pourquoi ne pas lui dire que tu es en vie, maintenant ?
- Lui dire maintenant, vraiment, vous ne voyez pas en quoi c'est une mauvaise idée ? " Elle croise les bras sur sa poitrine, soutenant le regard de plus en plus excédé de Krish avec un flegme redoutable, mais la Prime feu tenta encore...
- Alors quand il sera un peu remis... ? Ou... "Elle souffla, portant une main à son front pour se passe une main dans les cheveux et heurtant seulement sa coiffe cérémonielle avant de retirera sa main en un mouvement rageur.

Ou encore après ? Et dans ce cas, ce serait à voir à ce moment là... Par celle qui était capable de juger au mieux s'il convenait ou non de lui dire la vérité. Quelqu'un d'autre que Krish. Elle en était malade... Mentir n'était pas difficile, mais ce n'était pas dans sa nature non plus. Pas envers ses proches. Et après ce que l'Architecte venait de lui faire dire...

La Triumvir s'éclaircit la gorge la bouche soudain sèche. Elle s'était comportée comme une gamine du siècle... et comme une imbécile.

Elle expira doucement, laissant ses bras retomber, et s'autorisa a faire quelques pas. Ih'ara avait raison... Elle avait fait un choix sur le moment, pour accomplir son devoir de la meilleur façon qui soit. Myr'Hennis était bouleversé à un point tel qu'il aurait sans doute tout fait pour la délivrer de son serment, y comprit se faire accuser à sa place ou fomenter un complot plus grand encore pour se débarrasser du reste de l'ordre pour la libérer... Et d'après ce qu'elle avait déjà vu, il était capable de faire de gros dégâts en essayant ou même de réussir. Lui dire maintenant reviendrait à la même chose, il serait même peut-être plus désemparé encore. Pour que, son mensonge tienne et qu'elle le protège comme elle le souhaitait, elle devait s'assurer qu'il ne parle pas... Et si Myr'Hennis devait croire qu'elle était morte pour ça... ce n'était pas le moment de rouvrir les doutes et les plaies des Repentis. Plus tard, Ih'ara en trouverait peut-être l'occasion... Mais ça n'avait rien à faire dans une discussion aujourd'hui.

Lorsque Krish fit de nouveau face à la Repenti, elle était redescendu sur terre. Et comme elle ne le faisait presque qu'avec les Repentis, elle pinça légèrement les lèvres et s'excusa à sa manière

- J'ai agis comme une imbécile. " Un sourire cynique lui vint aux lèvres, retrouvant un peu de son mordant maîtrisé. " Cette discussion en plus de la cérémonie, c'est plus de mon âge tout ça. " Elle passa une main sur sa nuque avant de reprendre. " Je veux seulement que tu saches que tu n'as pas a briser les liens avec toutes les personnes que tu as connues jusque là. Si c'est ton choix, très bien. Mais si un jour tu estimes que cette mascarade n'est plus nécessaire, libre à toi d'y mettre un terme... D'ailleurs, je ne sais pas s'il t'a dit pourquoi il a fait ce qu'il a fait, il m'a parlé d'une histoire selon laquelle il voulait me voir reprendre les purges... Enfin... " Elle secoua la tête et eu un rire sans joie. " Peu importe... Je vais aller me débarrasser de toute cette quincaillerie, après je ferais bien quelques passes d'arme pour me changer les idées. Intéressée ? "

Elle ne pouvait pas rester encore enfermée comme elle l'avait fait durant les trois derniers jours à chaque fois qu'elle rentrait de ses diverses tâches quotidiennes. Elle ne pouvait pas rester à attendre en se tournant les pouces. Elle avait besoin de souffler. De respirer. Même pour une heure, avant de reprendre le collier et les doutes. D'ordinaire, elle aurait sauté sur le premier mâle à disposition, mais là, mis à part les jumeaux, il n'y avait pas grand monde... Et elle n'en avait pas la moindre envie, ce qui était déjà particulièrement perturbant. Alors quelques passes d'arme, cela rendrait les choses plus... normales ?

Elle passa donc en bas pour demander si quelqu'un avait des vêtements de rechange, se maudit intérieurement d'avoir laissé son armure au Haut-Temple et remonta avec quelques échantillons de pantalons et de tuniques épars? espérant trouver quelque chose qui irait bien. Seule dans l'une des chambre, elle pris le temps de s'asseoir sur le lit fait d'une façon qui prouvait que l'endroit était habité par des militaires depuis plusieurs jours. Quelqu'un avait remplit l'aiguillère qui trônait sur la table près d'une vasque et d'un pain de savon. Plus loin, une chaise avait été tiré à côté de l'âtre éteint... Tiens, c'est vrai que seul la cheminée de la chambre de Myr'Hennis était allumée. Elle ne l'avait pas réalisé. Bof. De toute façon, il ne faisait pas spécialement froid.

Tandis que ses doigts défaisaient lentement les morceaux d'armures ajustés à sa tenue, son gantelet griffu, puis son halo d'or, son esprit repassait le cours de sa discussion avec le Grand Architecte... Et autant que l'anxiété face à son état, elle se fustigeait intérieurement d'avoir oser prononcer des aberrations pareilles... Ust'Kor ! Heureusement, personne ne pourrais jamais prouvé qu'elle était sérieuse. Quand Myr'Hennis se réveillerait, il... Se souviendrait-il ? Les mouvements de la Triumvir s'arrêtèrent un instant avant de finir le travail méticuleux nécessaire au maintient de sa coiffe. Elle la posa près de l'armure et du gantelet, sur le lit, puis se pencha en avant, le visage dans les mains. Elle allait finir par sombrer dans la folie a force de rajouter des interrogations à ses doutes et des doutes à ses interrogations.

Après un long moment, elle finit de se débarrasser de sa robe, des cuissardes et se mis en quête de vêtements à sa taille. Avec ses hanches et sa poitrine, elle pouvait toujours courir pour les changes de Shundara... Elle se retrouva donc de nouveau avec un grand pantalon de toile non teinte, trop serré aux hanches et trop long, ainsi l'une des chemises noire sans manche de Jallyss, serrée à la taille par une ceinture de cuir. Elle était un peu serrée au niveau de la poitrine et beaucoup trop large au niveau de la taille, mais avec deux boutons en moins ça ferait l'affaire.

Cheveux détachés et pieds nus, elle sortait à peine de la petite pièce lorsque Shundara apparue dans la salle commune, attirant tous les regarde d'un seul coup.

- Il se repose. " expliqua-t-elle sommairement. " Il ne se réveillera pas tout de suite. C'est déjà surprenant - et particulièrement encourageant - que son premier réveil ait été aussi long. " Krish ne résista pas à l'envie de poser quelques questions complémentaires en offrant un verre d'eau à la mage épuisée. Lorsqu'elle sortie, quelques minutes plus tard, c'était avec deux épées et un volontaire près à en découdre. Une leucémie... Vraiment, il valait mieux qu'elle souffle...

Le combat lui fut salutaire. La fatigue physique libérant une part de la fatigue mentale accumulée ces derniers temps. Après un diné des plus chiches, elle monta directement se coucher, laissant gardes et repentis dans une ambiance rendue plus gaillarde par les signes d'amélioration du Grand Architecte. Elle s'endormit rapidement et ne fit aucun rêve cette nuit là. Pour une fois, elle dormit longtemps. Aussi longtemps que la patience de ses camarades le permettrait.

Myr’Hennis avait fait ce qu’il pouvait pour tenir le temps que Krish lui réponde mais il n’en pouvait plus et une fois la réponse venue il avait arrêté de lutter, il n’en avait plus besoin.

Ih’ara porta un regard bienveillant sur Krish, c’était louable et elle comprenait ce qu’elle voulait dire par là mais non, ce n’était pas possible alors elle hocha négativement la tête. « Même plus tard ça ne sera pas possible. » Elle ne voulait pas dire à Krish que c’était trop tard pour lui dire, maintenant ou plus tard. Si la triumvir avouait au Grand Architecte qu’elle lui avait menti il n’aurait plus jamais confiance en quiconque et surtout pas en elle ; elle avait profité d’une marque de confiance pour le tirer jusqu’ici après tout. Mais ce n’était pas le moment de blâmer quiconque, Ih’ara avait aussi sa part de responsabilité.

Ih’ara regarda Krish tourner en rond comme un animal en cage et elle compatissait, elle avait passé tant de temps dans cette situation alors elle attendit patiemment qu’elle termine sa réflexion puis elle écouta. Elle craignait de ne pas avoir convaincu sa nouvelle maîtresse mais elle fut soulagée. Elle hocha la tête, ce n’était pas pour se moquer évidemment, elle ne se serait pas permise de le faire, c’était un hochement de tête compréhensif. Elle sourit à la proposition et accepta, elle aussi en avait besoin. Elle allait aussi en profiter pour parler. La guerrière sortit après Krish, elle avait pris un moment pour remettre son masque et elle l’attendait dans la salle commune. Elle prit une l’arme que la triumvir lui tendait et elle la soupesa en la suivant. Dans une salle assez imposante, Ih’ara faisait quelques moulinets distraitement en mettant un peu d’ordre dans ses pensées, elle attendait que Krish passe à l’attaque. La repentie ne comptait pas contre-attaquer, ni esquiver d’ailleurs, elle parait ou déviait les coups les plus puissants, elle savait que frapper dans le vide était plus frustrant qu’autre chose. Elle voulait que Krish s’abandonne complétement dans ce combat, qu’elle puisse finalement faire sortir toute cette tension accumulée depuis trois jours. Et puis elle voulait en profiter pour lui dire quelques choses qui n’avait pas besoin de réponses, si Krish voulait se battre pour aller mieux, Ih’ara avait besoin de parler. La guerrière voulait aider sa maîtresse en lui donnant quelque chose à réfléchir. Alors elle parlait entre deux coups, entre deux respirations haletantes.

« Je sais, c’est un choix que j’ai fait, un choix difficile mais un choix nécessaire, en prêtant serment j’ai sacrifié mon ancienne vie sur l’autel d’Uriz.» En parlant elle n’eut pas le temps de remonter son épée pour bloquer une autre attaque alors elle recula d’un pas pour esquiver. « Pour ce qui est de la raison de l’attaque, il ne nous a pas parlé de purges. » Elle donna un coup défensif pour ralentir les assauts de Krish, pour la forcer à reculer un temps. « Il nous a dit que c’était pour se venger. » Elle avait reculé jusqu’au mur de la pièce alors elle esquiva une nouvelle fois, sur le côté, l’épée frappa le mur derrière elle alors elle recula pour se replacer au centre de la pièce. « Il nous a dit que c’était pour se venger d’une gifle. »

Une fois que Krish s’était suffisamment fatiguée, Ih’ara arrêta, elle était aussi fatiguée mais elle n’avait pas sommeil malgré les nombreux exercices qu’elle faisait après chaque combat d’entraînement. Elle mangea peu, buvant principalement avant de se placer devant la chambre de la triumvir. Evidemment elle ne resta pas seule bien longtemps, Jallys se posta là, sa méfiance était visible dans ses deux yeux cachés par son masque mais aucun des deux ne dit quoi que ce soit ; ils étaient tous deux assez taciturne mais surtout les jumeaux montaient la garde devant la chambre de Myr’Hennis et Ih’ara savait parfaitement que même s’ils n’en avaient pas l’air, ils écoutaient. Elle resta devant la porte toute la nuit comme une statue, souriant derrière son masque en voyant que Jallys commençait à peiner pour rester éveillé mais il tenait bon. Lorsque ce dernier voulut réveiller Krish, Ih’ara lui prit le bras, la nuit porte conseil et Krish avait besoin d’une longue nuit.

Les deux éclaireurs regardaient quelques personnes passer devant eux mais ils ne se poussaient que pour laisser entrer Shundara en plein milieu de la nuit pour sa visite nocturne.

Le lendemain la mage de vie, après sa visite matinale auprès de Myr’Hennis sortit de la chambre pour toquer à la porte de Krish avant de lentement l’ouvrir. Ih’ara et Jallys la laissèrent faire, si elle voulait entrer c’était qu’elle avait quelque chose d’important à dire. Elle retira son masque et lentement Shundara s’agenouilla auprès du lit de la triumvir puis d’une main elle lui secoua l’épaule avec douceur en prononçant son nom. La mage se permit un sourire en voyant les yeux de Krish s’ouvrir.

« Je voulais que tu sois la première à l’entendre : je vais pouvoir soigner la leucémie du Grand Architecte ! »

Une gifle... Sur le moment, Krish était tellement frustré par la retenue de Ih'ara dans leur combat, qu'elle avait noté tout ça sans s'y attarder et attaqué deux fois plus pour l'obliger à réagir... toujours en vain. L'expérience n'eut rien d'agréable... Mais lorsqu'elles remontèrent, toutes deux fourbues, la Triumvir devait bien avoué qu'elle n'avait pensé à rien d'autre et n'avait pas retenu ses coups.

Elle n'y avait qu'à peine pensé pendant le repas... Et avec une certaine perplexité. Quel repenti aurait pu gifler Myr'Hennis... Et quand ? S'il lui avait mentit tout à l'heure pour se protéger, nul doute qu'il avait pu mentir aussi à ses hommes de main. Même à Vaervy ? Oui. Même à Vaervy. Alors, comme elle avait laissé ce sujet bien loin de ses yeux en refusant d'entendre les explications de l'Architecte, elle envoya ces quelques phrases agoniser dans un coin de sa mémoire pour encore quelques heures. A la place, elle profita de son propre apaisement pour plaisanter, parlant et riant plus qu'elle ne mangeait, pour détendre l’atmosphère avec son habituelle ironie mordante. Si Shundara restait de marbre, cela eu au moins le mérite de dérider un peu Jallyss, pour tout taciturne qu'il fut, surtout dans ses moments de colère ou de méfiance, il était aussi sensible à l'humour noir des uns qu'aux plaisanteries de casernes que Tarlyn se faisait un devoir de pousser au rang d'art.

Le lendemain, lorsque la porte de Krish s'ouvrit dans un discret chuintement, son oreille se dressa sous la fine couverture qui lui couvrait à moitié le visage. Instantanément réveillée par l'intrusion dans ce périmètre, les réflexes conditionnés par des siècles de survie se mettait en branle. Le temps tout d'abord. La personne qui approchait pas à pas n'était qu'à quelques seconde. Puis l'espace. Elle était dans une pièce. Petite. Et puisqu'elle était sur le côté gauche, son visage devait faire face à l'espace. Son dos était donc protégé par le mur. Sa jambe droite était trop enroulée dans le drap pour pouvoir bouger sans risque d'être retenue. Son oreiller avait disparu, projeté sur le sol dans ses mouvements inconscients avec le couteau qui reposait à l'intérieur de la housse... Et... Et oui, elle était dans la chambre, dans le baraquement, dans la soierie, entourée par des repentis et des gardes du Grand Architecte. Ce n'était sans doute pas un ennemis...

La voix de Shundara l'appela doucement par son nom, dissipant ses doutes et lui faisant ouvrir deux yeux parfaitement réveillés sous le coup de l'adrénaline. Elle semblait inhabituellement guillerette, la flegmatique soigneuse. Et pour cause ! Un sourire amusé, quoi qu'un peu trop sincère, s'épanouit sur le visage de Krish.

- Alors ça c'est une bonne nouvelle. C'est bien de l'annoncer avant de le faire, comme ça ça laisse le temps de faire monter le suspens... " Elle batailla un peu avec sa couverture avant de réussir à s'asseoir proprement au bord du lit. Shundara pinça les lèvres, toujours aussi peu convaincue face aux pics de sa consœur.
- Peut-être est-ce aussi parce que je ne peux pas le faire comme ça et que je vais avoir besoin d'un peu d'aide.
- Dit-moi tout.
- Je préfères t'épargner les détails techniques, mais le principe est simple. J'ai identifié les parties de son organisme à l'origine du problème en comparant leur fonctionnement avec ce que j'avais senti de lui avant de le pousser magiquement pour qu'il guérisse. Jusqu'à maintenant je ramenais son organisme à l'état dans lequel je l'avais trouvé, mais en discutant avec Dalhara... la gérante, je me suis rendu compte qu'elle avait déjà commencé à déséquilibrer la production sanguine avant que je reprenne le cas. C'est pour ça que son état ne s'améliorait que de façon très temporaire. " Elle sourit de fierté, ce que même Krish fut obligé de lui reconnaitre. Les mots simples qu'elle employait avait au moins l'intérêt de faire comprendre le principe général, même si l'application devait être bien plus délicate. Pas étonnant qu'elle soit si joyeuse.  " Ce matin, nous avons travaillé ensemble, Dalhara et moi, pour le rééquilibré à l'état dans lequel elle l'a trouvé et le Grand-Architecte réagit bien. D'après nos estimations, avec cette méthode, on devrait pouvoir espacer les séances à une fois par jour ou même encore moins, et sans qu'il ne subisse de symptômes gênants. " Le sourire de Krish se fit moins mesquin. " La mauvaise nouvelle, c'est que nous sommes encore dans le même cas de figure. Quand la gérante a commencé à le traiter, son organisme était déjà très affaiblit et tentait de compenser la perte de sang. La bonne nouvelle c'est qu'avec cette méthode et un mage qui connait son fonctionnement lorsqu'il est en bonne santé, on peut éliminer toutes les parties malades et rééquilibrer définitivement son organisme sans trop de risque. "
- Parfait... " Krish assimilait doucement la perspective de guérison... Et la dangerosité de cette maladie dont le nom ne lui était déjà pas des plus familiers, alors les risques précis. " Merci d'être venu m'en parler tout de suite. "

Elle se leva pour se débarbouiller et s'habiller, sans être le moins du monde gênée par la présence de Shundara, tout en lui posant des questions plus précise sur la maladie, comment elle fonctionnait et quels symptômes elle déclenchait, pourquoi ? Ce qu'il se passerait si le traitement qu'elles imaginait ne se passait pas comme prévu ? en combien de temps ? La conversation et les perspectives n'étaient pas des plus réjouissante, mais la Triumvir préférait de loin savoir.

Lorsque les deux femmes sortirent de la petite pièce, il n'y avait plus qu'une petite chose à décidé, et pour ça, elle rassemblèrent tout le monde...


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5e jour de la 1ere ennéade de Verimios 15 : XI
Départ de l'armée pour Sol'Dorn : J-6
Soir

La journée était passé de façon plutôt paisible. Après leur discussion du matin, Krish et Jallyss avaient quitté les lieux pour quelques heures. Ils apprirent en revenant que le Grand-Architecte avait repris conscience une nouvelle fois pendant leur absence. A croire qu'il attendait scrupuleusement que la Triumvir soit absente pour ouvrir les yeux...

Cependant, il ne fut pas question de se morfondre, personne ne leur en laissa le temps. En plus de vêtement noirs plus adaptés à la physionomie de la Triumvir, les deux cavaliers étaient revenus avec une caisse en livraison directe de la demeure de l'Architecte et elle fleurait trop bon pour rester fermer. Même derrière son masque, le regard de Tarlyn brilla à la vu du contenu : réparti dans plusieurs terrines, un repas assez garnit pour le nombre de personnes présentes avait été confectionné par le cuisinier de Myr'Hennis. Enfin, ils avaient autre chose à se mettre sous la dent que le ragout de champignon et d'araignée qu'ils se tapaient depuis plusieurs jours.

La meilleur méthode pour réchauffer le tout sans le gâcher occupa le petit monde pendant que Shundara allait s'occuper de leur protégé commun, et un silence religieux se fit lors qu'ils eurent enfin tous l'occasion de prendre leurs premières bouchées, qu'ils soient à leur poste ou en bas. Où qu'il se trouve, le cuisinier du avoir un acouphène de tous les diables à force de compliments. Il y avait même une bouteille de liqueur de Zat'kyr. Pas de quoi se faire du mal, surtout lorsqu'il y avait autant de verres à remplir, mais le ton était donné. Toujours sur leurs gardes, certains déclinèrent. Remettant sa vie entre les mains de ses confrère, Tarlyn se sacrifiait pour les fonds de verres abandonnés par les plus raisonnables. Même si une part de cette camaraderie n'était que de façade et que les épées pouvaient être dégainées à nouveau à tout instant, la tension des derniers jours retombait véritablement.

De son côté, ayant rapidement finit sa part, Shundara sacrifiait à la nature obsessionnelle de ses habitudes. Délaissant les conversation, elle s'était levée pour remplir une large écuelle de bois aux différentes plats à leur disposition et garnit son plateau quotidien d'un verre en terre cuite et d'une cruche d'eau. La présentation laissait à désirer, mais au moins, le contenu serait bon. Remarquant son manège, Krish abandonna son assiette à moitié entamée, laissa là les débuts de discussions et vint soulever le plateau sous le regard interrogateur de la guérisseuse.

- Tu en as assez fait pour aujourd'hui. " L'air moqueur, Krish monta la voix de manière à ce que le second intéressé l'entende " Et il faut bien que quelqu'un s'assure que Tarlyn ne tourne pas de l’œil. "

Sous les remontrances de son frère d'arme, Krish monta les escalier, et se glissa jusqu'à la porte du Grand-Architecte. L'écuelle fumait sur le plateau de bois. D'un mouvement de tête, elle rejeta sa longue tresse par dessus son épaule pour ne pas risquer de tâcher le ruban rouge qui en enserrait le bout. Puisque Shundara ne leur avait rien dit en revenant de sa visite de la soirée, il dormait sans doute, mais d'un autre côté, la soigneuse aurait put attendre avant de lui préparer à manger si c'était vraiment le cas. Il ne fallait jurer de rien.

Jouant les équilibriste en supportant l'épais plateau d'une seule main, elle ouvrit le battant.

Le matin Myr’Hennis ne s’était pas réveillé longtemps, la première tentative de Shundara pour soigner sa leucémie l’avait vidé de toute énergie et c’était d’ailleurs une des raisons pour lesquels elle ne pouvait pas  s’occuper d’un coup de la maladie : le corps de l’architecte n’était pas assez résistant ; alors, épuisé, il était retombé dans une inconscience paisible. De toute façon ce n’était pas comme s’il avait grand monde à qui parler ou quoi que ce soit à faire : il ne pouvait pas bouger, en tout cas on ne le laissait pas essayer, et il ne pouvait pas prétexter avoir du travail vu que ses apprentis et Plynnil s’en occupaient. Pour éviter de mourir d’ennui il fallait mieux qu’il s’endorme, encore qu’il aurait pu demander à ce qu’on lui apporte de quoi dessiner pour passer le temps.

Le fameux cuisinier personnel du Grand Architecte, Ssuorr, ne payait pas de mine, surtout que c’était un humain. Petit, la quarantaine bien tassée, il avait un début de calvitie, de petits yeux de fouine, un nez aquilin et il lui manquait plusieurs dents. On l’aurait cru plus à sa place dans une ruelle sombre de Thaar ou dans la Basse-Fausse que dans les cuisines de Myr’Hennis mais force était de constater que ce petit homme était un petit génie culinaire. Il avait d’abord servi une famille de prima qui avaient voulu se venger du Grand Architecte après l’une de ses fameuses collectes de taxes d’habitation qu’il faisait lorsqu’il avait besoin d’argent ; afin de vouloir apaiser des relations tendues, une escarmouche avait éclatée entre les gardes de Myr’Hennis et ceux de la famille de primas en question, ces derniers avait invité l’architecte à manger en leur demeure. Le Grand Architecte était évidemment venu avec une portion non négligeable de sa garde. A la fin du repas, composé de filet de kelkana mi cuit accompagné d'une marmelade de pomme, Ssuorr présenta sa spécialité : des œufs de crins d'écume à la vanille et au curcuma. Il avait élevé la posologie des épices au rang d’art.

La présentation donnait l’eau à la bouche mais Vaervy n’avait pas mis longtemps à remarquer la nervosité du petit homme, elle se pencha pour susurrer à l’oreille de Myr’Hennis et se dernier hocha lentement la tête. Il fit tourner le plateau sur lequel était présenté les œufs et ordonna à son hôte de manger. Lorsque ce dernier refusa les gardes du Grand Architecte l’y obligèrent tandis que la capitaine interrogea, de façon assez musclée, le cuisinier. Le cuisinier en question avoua très vite avoir empoisonné les œufs destinés au Grand Architecte. Myr’Hennis ne put se résoudre à tuer l’esclave, lui qui était si doué, alors il l’ajouta à la taxe qu’il avait prélevé quelques jours plus tôt, ainsi qu’une importante partie des fonds de la famille en compensation. Une poignée d’ennéades plus tard c’est avec un sourire qu’il apprit que les autres familles de prima avaient fait son travail à sa place et que l’empoisonneur en herbe n’était plus.

Ce n’était pas une histoire qu’il racontait souvent mais il l’appréciait tout de même, de toute façon peu étaient ceux qui s’intéressaient réellement à Ssuorr mais Myr’Hennis l’aimait bien ; il était, étonnamment pour un humain, d’assez bonne compagnie même s’il tremblait à chaque mouvement brusque de Vaervy. C’était lui qui avait initié le Grand Architecte aux nombreux délices plus subtiles les uns que les autres des liqueurs que ce monde a à offrir. Peu importe ce qu’il faisait, sa cuisine était reconnaissable pour sa qualité et l’architecte pouvait reconnaitre un de ses plats entre mille ainsi lorsque Krish entra, l’odeur réveilla lentement Myr’Hennis qui ouvrit difficilement les yeux. Il était encore fatigué, faible, et son esprit était embrumé mais il ne se refusait jamais la cuisine de Ssuorr alors il observa la triumvir s’approcher et ses glandes salivaires s’activèrent, il l’aurait bien aidé mais sans pouvoir bouger c’était difficile. L’architecte se redressa tant bien que mal en saluant Krish et l’idée que cette dernière le fasse mange l’amusait même si sa fierté en aurait pris un coup. Un sourire amusé sur les lèvres il regarda les deux yeux rouges de Krish qui, depuis que sa fièvre l’avait quitté, n’avaient plus l’air de deux étoiles ; ce qui était bien dommage d’ailleurs, même si c’était parce qu’il avait une température dangereusement élevée il avait apprécié les voir briller plus que d’ordinaire.

« J’ai le droit à une triumvir comme infirmière aujourd’hui ? »

Son ton n’était pas moqueur et son sarcasme n’en était un qu’à moitié, il se demandait réellement si elle allait pouvoir rester plus de cinq minutes.

Un nez émergea de la couverture que Shundara avait soigneusement remontée jusqu'au menton du Grand-Architecte. Ce ne fut qu'après avoir refermer le battant d'un leste mouvement du pied que Krish vit les yeux suivre lentement les indications de la truffe et s'ouvrir pesamment pour tomber sur le plateau avant de remonter sur elle. Ce simple détail accrocha un sourire amusé sur les lippes de l'elfe à la peau de jais. Maintenant, elle n'avait vraiment plus aucun regret à s'être coltiner cette fichu caisse pendant le voyage.

- Miracle. Un revenant. Ou simplement un Maître Architecte, par l'odeur alléché...   " ricana-t-elle comme le début d'un conte en le laissant se redresser à son rythme sur ses oreillers raplapla.   Le sourire goguenard qu'affichait le Grand Architecte lui ressemblait bien plus que les expressions franches et douces qu'il avait eu à leur dernière rencontre... Et elle ne savait pas si elle devait s'en réjouir ou au contraire s'en attrister. Avant que son esprit ne se mette à baguenauder là où il n'aurait pas du et qu'il retomber sur ses fichues confession de gamine mal baisée, elle tordit le cou à ses questionnements intérieurs et s'accrocha à la situation présente.

Elle déposa le plateau sur la table le temps de tirer une chaise - pourquoi un tabouret si on peut être bien installé ? - jusqu'au chevet d'un Myr'Hennis qui avait décidément repris du poil de la bête. Elle avisa son visage encore creusé et son maintien peu tonique. Bon... Il n'était pas encore au mieux, mais le sarcasme dans sa voix creusa la mine chafouine de la Triumvir en un air de désarroi surjoué au possible.

- C'est la crise. Trop de militaire, plus assez d'esclave, on ne s'en sort plus. Bientôt je vais être obligé de faire des ménages chez les Primas pour arrondir les fins de mois. " Tout en parlant, elle s'était penché vers lui et avait passé un bras dans son dos. Rien que de très pragmatique puisqu'elle ne l'avait frôlé que pour ajuster au mieux ses oreillers afin qu'il puisse tenir aussi droit qu'il le voudrait. Le coin de sa moue désespérée se redressa en un sourire joueur lorsqu'elle reprit ses distances. " Et je ne te parle pas des dettes depuis la réparation du temple du Destructeur. Celui qui s'en est chargé est un vrai requin. "

Lui tournant le dos quelques instant, elle retourna jusqu'au plateau. Après avoir rempli le verre et déposer la cruche à côté pour limiter le poids de l'ensemble elle vint poser le tout sur les genoux de l'Architecte.

- Vu ta tête, je pense que tu l'avais compris, mais c'est de la part de ton trèèès cher cuisinier.  " En réalité, elle s'était elle qui s'était fait la réflexion en arrivant dans la grande demeure dans laquelle Ashal faisait régner l'ordre d'une main de maître pour le moment. Les quelques fois où elle avait mangé chez l'Architecte, elle avait remarqué la finesse des plats... comme de chaque élément qui semblait composer la vie de l'esthète en réalité. A côté de ça, se forcer à manger quelque chose d'aussi insipide que le ragoût du coin ne devait pas l'emballer particulièrement. Alors elle avait demandé... sait-on jamais qu'il ai le temps de préparer quelque chose en deux ou trois heures le temps qu'elle passe s'occuper de quelques autre menues affaires. Contre toute attente, le petit homme qu'elle avait découvert alors n'avait pas râlé le moins du monde.

Lorsqu'elle fut certaine que le plateau ne risquait plus de verser, elle laissa une main trainé sur son bord, et ajouta sans se départir de son expression matoise avant de s'asseoir.
- Tu penses pouvoir manger seul ? "

Une fois plus ou moins redressé l’architecte reprit Krish. « Quel dommage, tu as oublié la meilleure partie :
Une triumvir sur son plancher empierré,
Tenait en ses jolies mains un plateau.
Le Grand Architecte par l’odeur alléché,
N’osant la regarder de haut lui répondit aussitôt :
Et bien par Isten, quel délice m’apportez-vous là ? »

Le sourire de Myr’Hennis s’élargit puis ses yeux passèrent un bref instant de Krish au plateau avant de retomber sur la triumvir du conte. L’architecte ne lui connaissait pas un certain talent de cabotine alors il apprécia le spectacle avant de répondre.

« Comme je te comprends, si tu savais ce que me coûte ma garde ! Ils mangent comme douze, je reçois sans arrêt des notes digne d’une princesse marchande venant des meilleurs forgerons et je ne te parle même pas de ce que me demande le clergé de Kiran à chaque fois qu’ils se font une égratignure ! Mais ne t’inquiète pas, il me reste quelques pierres et une villa qui aurait bien besoin d’un coup de ménage ; si tu ne sais pas quoi faire… » Il avait attendu qu’elle s’occupe de ses oreillers pour répondre et pour sa seconde remarque il attendit qu’elle revienne avec de l’eau et pendant ce temps il stabilisa le plateau sur ses genoux. Quel crime s’eut été s’il avait renversé un plat de Ssuorr. « Que veux-tu, ces temps-ci c’est si difficile de trouver des altruistes et autres philanthropes, on ressemble de plus en plus aux doux habitants de Thaar j’en ai bien peur. » Il aurait pu dire Sol’Dorn mais à quoi bon ruiner l’ambiance ? Son sourire qui était parti alors qu’il parlait revint. « Et à voir la tienne j’en déduis que tu ne m’as pas attendu pour manger. Où sont donc passées tes manières ? » Myr’Hennis vérifia une nouvelle fois avec Krish que le plateau n’allait pas se renverser d’une façon ou d’une autre. « Je vais essayer… » son sourire se fit l’expression de l’innocence même alors qu’il releva la tête, « malheureusement je ne peux rien te promettre, il est possible que j’ai besoin de ton aide ô combien précieuse. »

C’était une tentative assez désespérée de la faire rester mais bon, il appréciait sa compagnie et puis au moins elle alignait plus de trois mots, c’était bienvenue après les réponses laconiques de Shundara. Elle qui se cantonnait à des oui ou des non, parfois une phrase d’une poignée de mot mais rien qui ne lui permettait d’engager une conversation. Il attrapa une cuiller sur le plateau et entama son écuelle de gros champignon farci de viande de gorlock et quand il croqua à l’intérieur il tomba sur la glande qui permettait à cet animal des terres stériles de survivre mais en lieu et place d’eau c’est de la crème qui se déversa. Myr’Hennis ferma les yeux et sentit un frisson de plaisir lui remonter le long de la colonne vertébrale en sentant le goût de la crème assaisonnée au clou de girofle se mêler au reste. Et dire que l’architecte avait hésité à faire exécuter Ssuorr… s’eut été un crime impardonnable, un blasphème même, car ce petit homme était assurément béni par les dieux. Il termina son champignon avant de reposer sa cuiller pour avaler quelques gorgées d’eau puis il lança un sourire joueur à Krish. Il se prit le poignet droit alors que sa main tournait sans but, semblant tout faire pour éviter le plateau. Avec son pire jeu d’acteur il lui lança un regard suppliant.

« Par les neufs ma main refuse de m’obéir ! » Il plaqua la paume de sa main gauche sur son front, l’obligeant à lever la tête et regarder le plafond comme s’il allait défaillir. « Me voilà condamné à dépérir ! Si seulement quelqu’un de secourable pouvait me sauver… »

En vérité, Krish n'avait trouvé que rarement Flamme à renchérir sur ses jeux incessants. Son sourire félin devint plus brillant aux quelques vers improvisés mais n'en nota pas moins la qualité. Que ce soit parce qu'elle était trop haut placé, trop bien protégée, ou trop bien armée, on lui répondait avec sérieux ou on lui donnait juste de quoi continuer. De temps à autre, un fou ajoutait un bon mot avant de repiquer sur ce qui le préoccupait. Mais renchérir aussi franchement que ce que venait de faire le Grand Architecte, sans but ni tension, s'en était aussi incongru qu'agréable.

- Une villa. Chique. J'ai hâte. " lui répondit-elle entre deux aller-retours. Son ton revenait peu ou proue à un tirage de langue en règle, ce qui ne les empêcha pas de continuer encore un peu jusqu'à ce qu'il soit question du repas... Repas dont elle n'avait pris que deux ou trois bouchées d'ailleurs en fin de compte... Mais outrée qu'on l'attaque sur ses manières, elle préféra répondre avec le plus grand sérieux " Je les ai laissées dans mon autre robe. "

Cette fois, elle rit pour de bon. Le sourire innocent du Grand Architecte quand il la regarda par en-dessous en lui promettant de faire de son mieux tout en la prenant à son propre jeu était stupéfiant. Son long visage s'était éclairé avec une sincérité surprenante, si loin des manières guindé, hautaine ou condescendante qu'il se donnait sans cesse. De même pour sa réaction en prenant la première cuillerée. En quatre ans, elle ne l'avait jamais vu si détendu. A y penser, la réciproque était sûrement vrai également. Elle allait toujours le voir avec une raison, en tant que Triumvir ou que chef des Repentis. Et elle demandait toujours a voir le Grand Architecte. Pendant qu'il finissait son premier champignon, le pied nu de l'eldéenne remonta se poser sur le bord de l'assise de sa chaise. Ses bras enlacèrent lâchement sa jambe, laissant ses yeux couver le spectacle simple et sa bouche donner quelques détails sans importance sur l'état dans lequel le plat de Ssuorravait mis Shundara, Tarlyn et les deux autres insomniaques.

Et elle avait bon dot sa main, tient ! Elle rit à nouveau. ça lui apprendrait à sortir des absurdités sans s'attendre à ce qu'on la prenne au mot. Une étincelle de fourberie dans le regard, elle se pencha pour attraper la cuillère de la façon la plus chevaleresque possible. " Tiens bon ! Cette vile main ne te condamnera pas à la mort ! " Avec précaution, elle avait réussit à récupérer un morceau de taille acceptable et leva triomphalement la cuillère... Pour la porter à ses propres lèvres. Le goût. La texture. La cuisson. Parfait. Le sourire du chat qui vient de manger le canari - au sens propre cette fois -  remplaça toute grandiloquence sur ses traits. " Je shuis shûre que quelqu'un de shecourable va bientôt arriver. " chuchura-t-elle avant de laisser échapper un soupire qui en disait long sur le goût de ce qu'elle mâchait avec délectation. Cuillère toujours à la main, ses yeux pétillants de malices cherchèrent ceux de l'Architecte.

« Et tu as bien raison, le noir te va tellement mieux que cette robe que tu portais. »

Malgré son sourire il le pensait surtout parce que ça laissait contraster deux points rouges contre tout le reste. Et puis il la préférait quand elle n’était pas en tenue de cérémonie, les échanges étaient plus simples, plus francs, plus directs. Mais c’était aussi vrai pour lui, Myr’Hennis aurait-il réagit ainsi s’il avait sa sempiternelle toge blanche sur le dos ? Aurait-il été plus fermé s’il avait toujours ses deux ceintures qui lui ceignait la taille comme d’habitude ? Il était amusant de voir comment la complexité de la tenue conditionnait le langage, un pantalon et une tunique noire simple, ascétique, et voilà qu’ils se permettaient de jouer ainsi. Comme si l’une n’avait pas un cycle et l’autre la moitié de cet âge vénérable. Il avait fait la moue en se trouvant dans ces vêtements qui n’étaient pas les siens. Dans ces vêtements dont il n’avait pas l’habitude, aux matériaux rêches, presque abrasifs, qui irritait sa peau mais maintenant il regrettait de ne pas les avoir portés plus tôt. Et puis il fallait dire que pour une fois il s’adressait à elle par son prénom, sans s’embarrasser de son titre ou sans l’appeler Sesmika, même pour se moquer. Pour une fois il n’était pas question de pouvoir ou de politique, pas de complot non plus, Teiweon était également laissée à l’écart. C’était bien plus simple et donc plus agréable mais il savait que ça n’allait pas durer alors autant en profiter. Il écoutait attentivement ce qu’elle disait et il commenta simplement entre deux bouchées :

« ça ne m’étonne pas, ça doit changer des rations de cerf séché. »

Ce qui était vrai, évidemment, mais ces rations-là étaient un peu la petite vengeance mesquine de Myr’Hennis. Lui qui n’aimait guère les hommes du rang, se dire qu’il avait Ssuorr à son service pendant qu’eux devaient manger la même chose ou presque pendant leur service l’emplissait d’une joie certaine.

En voyant que Krish se porter à son secours il feignit de tomber en pâmoison et se laissa tomber sur les oreillers derrière lui qui l’empêchait de s’allonger vraiment. Puis il affecta une expression outrée comme devant un blasphème délibéré alors que la cuiller s’en allait dans la bouche de la triumvir. S’il avait pu blêmir il l’aurait fait mais ce n’était pas le cas alors il se contenta de se couvrir les yeux.

« Trahison, disgrâce ! Me voilà réduit à manger avec mes doigts comme les bêtes fauves ! A l’aide, à moi, je me meurs ! »
Il espérait qu’avec son ton personne en dehors de la chambre ne prendrait cet appel à l’aide au sérieux.
« Ce soir de l’an 15, une heure avant diner,
Le Grand Architecte est mort assassiné ! »

Il n’avait aucune idée de l’heur qu’il était, c’était simplement pour la rime, quitte à être un mauvais acteur autant que ce soit en vers.

Shundara fronça les sourcils. A deux pas Zep’nyr et son frère avaient aussi dressé l'oreille dans un mouvement semblable. La Repentis regarda les jumeaux et malgré le masque d'argent ils n'eurent aucun mal à lui retourner l'attention. Ils avaient bien entendu ce qu'ils avaient entendus... Installés les plus près de l'escalier, l'une pour pouvoir monter le plus vite possible, les autres pour se jeter à la défense de leur patron si le besoin s'en faisait sentir, il leurs était parvenu un appel au secours... D'une fausseté si affligeante qu'il ne pouvait pas être pris au sérieux. Suivi d'un rire sans retenu.

Rompant le contact visuel, Shundara plongea résolument au fond de son verre, plaçant le bas de son masque pour se noyer littéralement dedans tout en gardant l'oreille alerte. Du point de vue de la Repentie, ce qui semblait se passer à l'étage... Était pour le moins... surprenant.

Du point de vue de Krish également en vérité. C'est qu'il en remettait une couche le lascar. Du ton le plus grandiloquent du monde, il en rajoutant tant et tant dans le surjeux, et la situation était tellement incongrue, qu'elle n'en finissait plus de rire. Un rire franc et relâché, plus communicatif que tous les éclats, grincements et ricanements mesurés qu'elle avait l'habitude de produire. Ce qu'elle voyait, ce qu'elle entendait, ce qu'elle vivait à cet instant précis n'avait aucun sens dans la vie qu'elle menait depuis le jour où Néo s'était mis à convulser sur son tapis préféré. Elle rencontrait toujours plus de visages sobres, de titres ronflants, de bonhommes puissants se prenant tous plus au sérieux les uns que les autres, refusant la moindre égratignure à leur image de marque. Ils jouaient crânement, offrant sourire en coin et demi vérité, comme elle en un sens. Mais là... Elle avait sous les yeux un Grand Architecte alité dans un baraquement désaffecté d'un élevage d'araignée qui se pâmait et jouait l'agonie comme le plus mauvais acteur qu'on ai vu de Kirgan à Elda. Et il le faisait en vers avec ça ! Elle avait vaguement essayé de lui dire de baisser d'un ton, craignant de voir débarquer repentis et garde, armes au clair, prêts à défendre la vie de leurs leaders respectifs... Mais ça n'avait pas fait long feu. Le comble pour un avatar d'Uriz.

Avant que le fou rire ne la vainque tout à fait, elle lutta vaillamment pour se pencher une nouvelle fois sur l'écuelle et décroché un nouveau morceau. La cuillère à peu près pleine tangua au-dessus du drap, mais finit bel et bien par atterrir dans la bouche du dramaturge amateur, l'obligeant à cesser ses cris d'alarmes sur un sobre et préventif " Mange et tait-toi. " des plus hilares. Mieux valait éviter qu'il s'étouffe en plus du reste.

Libérée du poids de la cuillère, Krish mis tout de même de longs instants à se calmer à peu près. Elle en avait les larmes aux yeux et les joues fatiguées. " Bon sang... Dramaturge et Architecte, ça fait beaucoup pour un seul homme. " Beaucoup trop au vu de sa performance théâtrale. Sa voix était encore parcourue de quelques tressautements amusés. Ses yeux brillants esquissaient les contours du visage de Myr'Hennis. Ses cheveux en bataille sur l'oreiller. La légère coloration de ses joues à force de s'agiter. Son regard sanguin... Depuis quand n'avait-elle pas fait d'esquisse ? Zéphyr... Si elle ne se trompait pas, la dernière chose qu'elle avait dessiner avec attention, c'était le corps du jeune dragon blanc. Elghinn n'était peut-être même pas né... Il y avait bien eu les quelques propositions pour le plan du monastère, mais c'était plus un schéma sommaire digne d'un enfant étant donné ses connaissances architecturales. Elle aurait bien tenté de poser quelques traits à la sanguine pour se souvenir de ça.

Elle souriait toujours, les yeux pétillants d'une joie simple, lorsque ce que les pitreries de l'Architecte lui avaient presque fait oublié, revint lui tapoter l'épaule.

- Tu te souviens, n'est-ce pas ? De notre dernière entrevue, je veux dire. " Elle ajouta avec un vague geste de la main. " Tu as parlé de la robe que je portais tout à l'heure. " Et s'il se souvenait de ça, c'est qu'il se souvenait du reste... Peut-être de tout le reste. Du comportement qu'il avait eu. Des questions qu'ils avait posées. Et des réponses qu'il avait obtenues. Pourtant se furent des excuses qui vinrent aux lèvres de la Triumvir... Quelque chose de bien étrange pour ceux qui la connaissaient. " Je suis désolée de ne pas m'être aperçue que tu étais aussi mal. J'aurai appelé Shundara plus tôt. "

A la fin de son vers il laissa son cou tomber sur le côté et, pour parachever son œuvre il laissa un bout de langue pendre en dehors de sa bouche, juste à temps pour que Myr’Hennis reçoive une cuiller salvatrice. Il se réveilla et se rassit normalement, rattrapant de peu une goûte de sauce qui allait tâcher sa tunique, puis après avoir savouré et avalé la nourriture qu’il avait dans la bouche il ajouta : « il semblerait que même Teiweon ne veuille pas de moi sans la nourriture de Ssuorr » avec un sourire narquois. Il se remit à manger doucement, docilement, comme elle lui avait ordonné. Il ne regarda pas son écuelle ni ce qu’il y avait à l’intérieur, qui avait été quelque peu secoué par le transport. Son attention était toute entière concentrée sur son rire, son visage détendu, ses fossettes révélées par un rire et des sourires francs. Car il savait qu’il ne reverrait pas tout ça avant un long moment, il ne savait même pas s’il allait avoir la chance de revoir un tel spectacle tout court. Il ne pouvait pas l’immortaliser dans la pierre ou sur une toile et il ne le voulait pas, Myr'Hennis voulait être certain que ce moment n'était qu'à eux. Alors il grava l'instant en question dans sa mémoire, lui allouant la pièce la plus grande et la plus éclairée qu’il avait à sa disposition dans son palais mental. Non, il ne pouvait pas se permettre de l’oublier, il ne l’aurait pas supporté.

« Oh mais je suis bien plus qu’un architecte. » Cette fois ce fut un sourire énigmatique qui flottait sur ses lèvres. « Tu n’as pas vu les statues dans mon atrium ? » Demanda-t-il, l’air outré, comme s’il était possible de les manquer.

Il avait choisi de répondre par une question rhétorique parce qu’il voyait que quelque chose la préoccupait et que l’architecte ne voulait pas passer que pour un clown ; il attendit qu’elle lui dise ce qui n’allait pas et quand sa question vint enfin son sourire narquois devint triste une fraction de seconde avant de disparaître complétement. Oui il s’en souvenait, pas de tous les détails évidemment mais il avait gardé l’essentiel, ce qui comptait. Le baiser, son expression, la chaleur de sa peau, son parfum, la douleur qu’elle avait ressentie, et enfin ses mots. Tout le reste était flou mais tout le reste était superflu alors à quoi bon faire un effort pour s’en rappeler ? Myr’Hennis se demandait s’il devait répondre non. Il se demandait si elle avait honte de sa réponse, après tout les déclarations comme celle-ci, au Puy, sont d’une rareté… et ce n’est pas pour rien. Avouer ses sentiments, une des rares choses sur lesquels on ne peut avoir aucun contrôle, a quelqu’un qu’on ne connait à peine… un saut de l’ange pareil... l’architecte comprenait très bien, elle avait sauté à pied joint dans la Faille dans l’espoir qu’il la rattrape pour qu’elle évite de s’écraser sur le sol ; combien s’en serait servi pour précipiter sa chute ? A sa plus grande honte Myr’Hennis devait admettre qu’il y avait pensé, pendant une seconde, une résurgence de son ancienne vie, une pensée qu’il avait bien vite chassé. Oui il s’en souvenait mais non il ne pouvait pas le cacher, même en essayant. Alors, reprenant le sérieux qui le caractérisait d’ordinaire, d’un air presque solennel, il répondit, il était temps.

« Oui je m’en souviens. » Et je veux m’en souvenir. « Ne t’inquiète pas pour ça, ce n’est pas important. » Je souffre constamment depuis que mon dos a été brisé, je peux le supporter, je ne suis pas à ça près. « De plus, je t’en aurai voulu si tu avais fait appel à Shundara pour t’y soustraire. Et puis, ce n’est pas bien grave, j’ai des divans qui font oublier tous les problèmes. » J’espère qu’ils t’aideront aussi.

Son sourire joueur était revenu pour sa dernière phrase pendant un instant. Il n’avait pas pu s’en empêcher, ni pour le sourire ni pour la blague, la transition avait été trop brutale pour qu’il puisse se contrôler complétement ; quelques secondes plus tôt ils jouaient comme des enfants et voilà qu’ils discutaient désormais d’un sujet aussi grave que l’amour et la souffrance. Il lui fallait un petit temps d’adaptation. Il ne pouvait pas faire mieux qu’une réponse en pointillé non plus, pas maintenant alors que le rire de Krish résonnait encore dans sa tête. En reprenant tout son sérieux il la regarda intensément, plongeant son regard dans ses yeux.

« Mais si tu le souhaites je peux oublier. »

Il ne voulait pas, et il était même pas certain de pouvoir le faire, mais la décision n’était pas la sienne, c’était bien trop important, si elle le voulait il n’avait pas le droit de le lui refuser.

Il était narquois malgré son sérieux. Il la regarde au lieu de fixer son assiette, manquant à plusieurs reprises de déverser un peu de sauce sur les draps. Bien sûre qu'elle a vu les statues de son Atrium étant donné le temps qu'elle avait passé à les regarder cette nuit là. Et bien sûre qu'elle y avait remarqué la signature. Mais sa remarque aurait sonné beaucoup plus pompeuse et beaucoup moins incisive avec une liste  - même non exhaustive - de ses véritables compétences. Architecte, peintre, sculpteur, dessinateur, et vu les produits et les connaissances que demandaient chacune de ses techniques, elle n'aurait pas été étonné de devoir y ajouter alchimiste.

Mais lorsqu'à ses mots, le sourire et la légèreté de Myr'Hennis disparurent, elle s'en voulut d'avoir aborder le sujet.  Il le fallait... Mais elle ne se sentait pas dédouané de la tristesse qui passa dans les prunelles du Grand Architecte, ni de la gravité qui imprégna si vite ses traits. D'un coup, ses farces puériles étaient oubliées. Non. Disparues. Pas oubliées. Certainement pas oubliées.

Il ne s'était pas détourné et la transition qui s'était opérer dans son regard, elle l'avait vue dans son intégralité. Pour autant, et bien que son visage sérieux ne laisse aucun doute sur l'importance des mots qui allaient suivre, il n'était ni hautin, ni cassant. L'eldéenne n'avait même pas l'impression qu'il était sur la défensive. Bien sûr qu'il n'avait pas à être sur la défensive. Si elle avait un as dans sa manche, elle ne pouvait pas l'utiliser. Il avait toutes les cartes en main, alors à quoi bon ternir sa victoire en se montrant mesquin ?

Elle se raidit, préférant s'attendre au pire malgré cette petite voix qui lui murmurait que la fluctuation de tristesse n'était pas feinte. Les eldéens naissaient et barbotaient dans le mensonge toute leur vie. Tesso la garde de se fier à une simple impression fugace.

Pourtant il acquiesça sans feindre de n'avoir plus que quelques bribes de ce qui avait été dit.  Elle sourit lorsqu'il lui rappela l'Atrium une fois de plus et les longs divans rouges sur lesquels elle avait pu trouver le sommeil. Un sourire blasé ponctué d'un bref souffle du nez, et qui ne résistait pas à une touche d'amusement. Une touche d'humour qu'elle pourrait reprendre pour s'accrocher aux branches si nécessaire. Elle les lui volerait un jour ces divans. Son sourire se fit d'autant plus amusé que la mine narquoise de Myr'Hennis revint un bref instant.

Elle soutint son regard, parvenant à ne pas trembler lorsqu'il lui assena la phrase suivant. Sans perdre l'ombre de sourire qu'elle avait toujours au coin des lèvres, et se renfonça dans sa chaise en soufflant doucement, paisible malgré une tension évidente. Bien plus sereine que lorsqu'elle s'était mis à bégayer ses sentiments de gamine énamourée la veille. Son pied remonta sur la chaise et elle enlaça de nouveau sa propre jambe, comme d'autres l'auraient fait avec un coussin.

Elle n'avait pas réfléchis à tout ça durant les dernières vingt-quatre heures. Elle avait surtout essayer d'arrêter de se poser les mêmes questions inutiles en boucle. Elle s'était calmée peu à peu, évacuant au fil de l'épée la tension de l'attente autant que celle des mots qu'ils avaient partagés. S'il en avait été autrement, elle n'aurait pas été capable de plaisanter si facilement avec lui. Elle n'aurait pas pu accueillir l'intensité de son attention comme elle le faisait à présent, lui offrant la sienne en retour.

La proposition de l'Architecte lui permettait de mettre son cœur dans une boite pour le réexpédier dans la forteresse de métal qu'elle lui avait forgé les mille dernières années. Une chose qu'elle savait très bien faire. D'autant plus qu'une autre question sous-jacente à cette proposition la poussait à faire attention. En réalité, si elle scrutait ses iris avec autant de contrôle, c'était pour tenter de déterminer pourquoi il disait une chose pareil. Si elle disait oui, y mettrait-il des conditions ? Que tentait-il de faire ? ... Et surtout, préférait-il oublié, lui ? Il était fiévreux au point d'en être sûrement délirant. Rien de ce qu'il avait fait ou dit ne pouvait lui être totalement reproché.

Derrière son masque scrutateur, elle déglutit. Une poignée de lames de rasoirs glissèrent le long de sa gorge.

D'un point de vue raisonnable, oublier tout ça serait bien mieux. Autant pour lui que pour elle. L'amour au Puy ne finissait jamais bien. Et c'était une règle à laquelle elle ne trouvait aucune exception en fouillant dans sa mémoire. Le sérieux posé et volontaire de Myr'Hennis la poussait vers cette décision. Elle partirait d'ici quelques jours pour Sol'Dorn et si elle doutait que sans Vaervy, il ne survive bien longtemps au Puy, elle le laisserait tout de même et oublierait vite en trouvant quelque chose d'intéressant a faire. Un homme intrigant avec lequel s'amuser...

Tu parles...

Elle soupira, ferma les yeux un instant et tenta de se passer une main dans les cheveux, ne rencontrant que la tresse qui empêcha ses doigts de courir librement.

- Oui. Je suppose que c'est mieux pour nous deux. " posa sa voix calme. Elle vrilla à nouveau son regard dans celui de Myr'Hennis, guettant la moindre de ses réactions. " Mais, moi, je ne veux pas oublier. " Elle lui adressa un sourire triste, contrit, déclenchant des mouvements qu'elle n'avait pas prévu et qu'elle fut bien incapable d'arrêté.

- Qu'est-ce que tu fais ? ... Arrête, Shundara a dit que tu avait encore besoin de repos. "

Elle aurait put le saisir à bras le corps pour le rallonger de force, mais sa mémoire lui envoya une fulgurance concernant la discussion de la veille à propos. Son dos... Mieux valait le laisser bouger de lui-même que le contraindre pour quelque chose d'aussi futile en risquant de le blesser. Se rasseyant à l'extrême bout de sa chaise, les mains encore en apesanteur, quittant son désarrois, sa mine se fit plus sévère, mais elle le laissa faire.

Myr’Hennis fit tous les efforts du monde pour se relever, se débarrasser des draps qui l’entravaient et s’assoir sur le rebord, touchant la pierre nue du sol pour la première fois depuis ce qui lui paraissait une éternité ; il avait besoin de se rapprocher d’elle, la distance dans une telle situation lui semblait insupportable, d’une froideur insoutenable alors que quelques secondes plus tôt... Il ignora la douleur de son dos qui se fit plus vive avec ses mouvements malgré une grimace fugace qui fut en partie cachée par ses longs cheveux en bataille qui tombaient en cascade puis le Grand Architecte soutint le regard de la triumvir.

- A quoi tu joues ? " gronda-t-elle, sourcils froncés.

Pendant quelques secondes il ne dit rien, cherchant ses mots. Il avait pourtant peu à communiquer mais il avait tant de mal.

« Tu penses vraiment que ça serait mieux ? Pour nous deux ? Je ne pense pas. Je t’ai dit que si tu le souhaites je peux oublier mais en réalité je ne suis pas certain d’en être capable. Et je ne le veux pas mais ce n’est pas à moi de prendre cette décision, elle est trop… lourde pour une seule personne. Nous devons la prendre à deux, même au Puy l’amour ne se vit pas seul. »

Et pour ponctuer ces phrases incongrues, il lui tendit la main, sans cesser de regarder l'expression d'incompréhension de l'eldéenne. Il avait eu du mal à trouver ses mots alors peut-être qu’en lui permettant de répondre via un geste ça serait plus facile. Il attendait, fébrile, une réponse qui ne vint pas tout de suite malgré le réflexe qui avait poussé les doigts de cette femme à se tendre vers lui.

Non. Elle ne pouvait pas ' décider à deux '. Justement parce que la décision était lourde. Chacun la sienne. Quelle décision commune pouvait être tenue ?
Si. L'amour se vit seul. Ou il ne se vit pas du tout. Seuls les enfants ou les imbéciles l'ignorent. Deux catégories de gens qui n'avaient pas vécu longtemps ou qui ne vivraient plus longtemps.

Et visiblement, elle avait rejoint l'une d'entre elles...

Il ne voulait pas oublier.
Il parlait encore d'amour. De décision commune. D'un lien... de confiance ?

Et une douce chaleur s'était répandue un peu plus en elle à chacun de ses mot. Si différente de la violence de ses idylles habituelles.

Ce n'était même plus de la bêtise, elle venait de passer dans la catégorie des cas désespérer.

La Présence en elle remua de nouveau. Elle sentait son agacement, sa désapprobation... et autre chose qu'elle ne parvenait pas à identifier. Une vérité masquée dans un manteau de fumée que son être rejetait. Mais cette fois, lorsque la brûlure claqua comme un fouet, elle l'arrêta de tout sa volonté. Arrêter un torrent de flamme à mains nues... Les étincelles d'or s'étendirent de façon infime dans ses iris sans qu'elle rompe pour autant le contact avec Myr'Hennis. ' Il ne me détournera pas de la Voie. Je sais qu'il ne s'agit que d'un répit, pas une échappatoire. Mes actes sont Vôtres. Mes aspirations sont Vôtres. Mais que je me rachète ou non, ma Flamme est encore mienne. Le but est Vôtre. Les choix sont miens. ' Il ne voulait pas d'un pantin. Elle n'était pas assez folle pour savoir ce que voulait un Dieu, mais elle avait éprouver dans sa chair ce qui Le rendait furieux. La pression se fait plus forte, non plus rageuse, mais amusée. Moqueuse. Agacée. Et quoi qu'il en soit, ce n'est plus comme la première fois, lorsque les mains ne Néo l'avait laissée à terre. Elle était à des siècles de cela.

Elle glissa la main dans celle de Myr'Hennis, rapide et ferme. Une bravade.

La température de sa peau était montée de plusieurs degrés, devant donne l'impression que c'était elle qui battait des records de fièvres désormais. La douleur se dissipa. La présence se volatilisa, laissant le Brasier retourner ronfler en son sein. Son cœur se calma légèrement. Elle se détendit, reprenant pleinement possession de l'instant, et serra plus doucement les doigts entre les siens.

Elle ne sourit pas. Elle souffla plutôt, comme après une longue apnée, tout en se penchant en avant. Un nouvel éclat chaffouin naquis dans ses iris sanguines et un éclat de rire moqueur lui vint aux lèvres.

- On dirait que je suis condamnée à te faire confiance... " sa voix grinçait d'une ironie hautaine qu'elle n'avait pas réussit à tempérer... et qui contrastait en tout point avec la douceur de l'étreinte dans laquelle elle gardait les doigts de Myr'Hennis.

Myr’Hennis regardait Krish intensément, suspendu à ses lèvres comme il l’avait été, plus littéralement il faut le reconnaître, la veille ; il contrôlait difficilement ses tremblements, lui donnant un air fébrile, il l’avait aussi regardé, observé, s’accrocher à sa jambe comme d'autre s'accrocheraient à une bouée de sauvetage et il n’était pas resté de marbre face à cette image. C’était entre autres ce qui l’avait poussé à chercher soigneusement ses mots. Ça et, comme le disait si bien sa tante lorsqu’elle voulait remettre son neveu adoré à sa place : ses langueurs d’elfe. Il n’avait jamais compris pourquoi est-ce qu’elle disait ça sur un ton si caustique ni pourquoi le reste du Puy était d’accord avec elle d’ailleurs, alors il cachait lesdites langueurs ; c’était pour ça qu’il avait l’air toujours si guindé, si hautain, si condescendant, il cherchait toujours à cacher une partie tellement importante de sa personnalité qu’il ne pouvait pas tout faire disparaître à l’œil extérieur. Il ne comprenait pas parce que c’était justement les langueurs en question qui avaient menés au schisme, c’était ces langueurs qui avaient permis aux premiers drows d’ouvrir les yeux. C’était grâce à ses langueurs que le Puy existait et qu’ils vivaient ainsi. Les Prima Sanguis ne se faisaient-ils pas une fierté d’être, comme le nom l’indiquait très bien, d’être des premiers sangs ? De faire partie de dynasties qui remontaient jusqu’à la fuite des premiers drows ? Alors pourquoi mettre le sang sur un piédestal tout en balayant d’un revers de la main ce qui avait fait d’eux des drows ? Pourquoi fouler du pied ce qui faisait leur nature, ce qui les rapprochait au premier regard des anaëdhels mais qui pourtant les rendait si différent ? Ce qui les différenciait était avant tout la façon avec laquelle ils géraient et vivaient avec ces langueurs. C’était pour ça que Myr’Hennis se sentait Prima Sanguis sans en avoir, ironiquement, le sang.

Alors oui, au Puy, l’amour est un sujet dont on rit volontiers, le reléguant au rang peu enviable de mièvrerie ô combien superflue, dangereuse même. Ça avait toujours attristé Myr’Hennis de voir un peuple qui valorisait tant et plus le courage et la force alors que les daedhels n’avaient ni l’un ni l’autre en quantité suffisante pour faire face à leurs sentiments. Soit, s’il fallait être un enfant ou un imbécile pour y succomber et bien Myr’Hennis porterait ce double statut comme d’autre portent la pourpre. En réalité portait déjà ce double statut, même avant d’être Grand Architecte, Myr’Hennis accordait avec bien trop de facilité sa confiance et pour cause il échappa plusieurs fois à la mort que de justesse. Mais ça ne l’a jamais empêché de recommencer, c’était un des effets secondaires indésirables de l’absence de feu son instinct de survie. Alors la froideur, la morgue, de la voix de Krish lui fit serrer les dents. Ses grondements l’agaçaient, lui qui ne l’avait pas pressé alors qu’il mourait, presque littéralement malheureusement, de savoir, qu’elle parle… il avait espéré qu’elle ait la courtoisie de faire preuve elle aussi de patience ; malheureusement elle n’avait pas laissé que ses manières dans sa robe. Tant pis alors, elle voulait savoir sans lui laisser le temps de rassembler ses pensées pour les organiser dans un ensemble cohérent ? Elle les aura donc brute, loin d’être travaillée comme elles auraient pu l’être et comme elles l’auraient méritées. Il soutint son regard sans même faire attention à sa main qui était douloureusement chaude.

Mais il aurait préféré détourner le regard, il aurait préféré être aveugle. Il aurait préféré être sourd.

Tout plutôt que voir ces prunelles. Tout plutôt que d’entendre ce rire moqueur. Et ces mots… chacun d’eux étaient une lame de plus enfoncée dans son cœur. Je n’ai pas profité de ta confiance pour te traîner ici et te torturer, moi. Voulut-il lui cracher au visage. Elle était condamnée. Venant de celle qui avait voulu le tuer et qui était passé à une moitié de doigt de le faire c’était risible. Quand ? Quand ai-je trahis ta confiance ? Mais à quoi bon lui dire ? Quel intérêt ? Alors il baissa les yeux, il avait mal au dos mais ce n’était rien comparé au coup qu’elle venait de lui asséner avec sa réaction, son rire et sa phrase. Il retira sa main lentement, à regret, puis il se leva. C’était à son tour de s’éloigner même si c’était difficile. Si elle tentait de l’arrêter il la foudroierait du regard, volant les éclairs de Zhak’Bar si nécessaire. Sans se retourner car il serait incapable de soutenir son regard en prononçant ces mots, il déglutit pour tenter de dégager sa gorge serrée, en vain. En désespoir de cause il serra les poings à s’en blanchir les phalanges, à se faire mal à cause de ses ongles qui tentaient de percer sa peau.

« Non tu n’y es pas condamné. Je peux toujours faire appel à un mage pour me retirer ce souvenir de ma tête, quitte à le tuer après. Ce souvenir peut disparaître, aies au moins l’honnêteté de me dire ce que tu veux réellement. »

Sa voix tremblait de… de colère ? De tristesse ? De déception ? De douleur ? Un peu des quatre sans doute. Sûrement y avait-il autre chose mais établir une liste exhaustive ne servait à rien.

La froideur lui répondit. Il se détourna. Retira sa main. Il ne plaisantait plus... déçu. Elle fronça le nez, tenta de l'arrêter mais un regard de haine et de colère mêlé la gela sur place. Instinctivement son visage se fit plus dur, son regard acerbe, perdant toute étincelle joueuse. Et quoi ?!

Debout, son dos longiligne la dominait de toute sa hauteur. Ses épaules étaient crispées. Ses poings serrés comme s'il affrontait un immense accès de douleur ou de colère, elle ne savait trop. Qu'est-ce qui lui prenait ? Que voulait-il de plus ?! Quel complot tordu à base d'affront imaginaire était encore nez dans son esprit ?! Comment allait-il utiliser ce qu'elle venait de lui dire ? L'enfoiré ! ... Et pourtant le voir soudain aussi mal lui fourrageait l'estomac.

Elle déglutit et se leva à son tour, plus par incapacité de rester assise que par réelle décisions.

- Regarde moi. " gronda-t-elle entre ses dents... pour finalement rester pétrifier, choquée par ses paroles, autant que par son ton.

Le faux-cul...

« Non tu n’y es pas condamné. Je peux toujours faire appel à un mage pour me retirer ce souvenir de ma tête, quitte à le tuer après...
- Arrêt avec ça ! Je t'ai dit que je ne voulais de ça et tu m'a dis tout à l'heure... " Elle lui avait coupé la parole mais il ne s'arrêtait pas. Alors dans un souffle rageur, elle s'était tu pour subir la suite. Une main se porta a ses lèvre pour se bâillonner.
- Ce souvenir peut disparaître, aies au moins l’honnêteté de me dire ce que tu veux réellement. »

Bon sang mais à quoi il s'attendait ?! Sans ménagement, elle saisit le long bras sec et passa devant lui, dents serrés, les yeux rageurs. Ridiculement plus petite que lui et pas tellement plus large avec sa musculature déliée, elle se plaça juste en dessous de son visage, vrillant ses yeux dans les siens. Il pouvait bien la foudroyer du regard. Il pouvait bien paraitre effondré, froid et la rejeter d'une haine glaçante, il y avait des limites.

- Toi, imbécile. C'est toi que je veux. Sinon je n'aurais jamais pris autant de risques. Je n'aurais pas accepté de porter le secret de Vaervy. " Elle s'approcha encore, soufflant de manière à ce que personne ne puisse l'entendre à part eux. Son regard flambait d'emportement  " Je n'aurais pas oublié les vingt-trois cadavres qui juchaient le sol de ce que je pensais voir devenir notre nouvelle maison. Je n'aurais pas oublié les visages putréfiés de deux hommes que je considérais comme des amis. Je n'aurais pas trahis les miens. Et plus que tout, je ne t'aurais rien dit. Rien du tout. Tu aurais pu vivre encore mille ans et me voir tous les jours que tu n'en aurais jamais rien su. " Sa poigne sur son long bras était crispée. Sa main libre étaient venue se poser sur son torse, son indexe à moitié plié ponctuant chaque phrase d'une petite tape jusqu'à tout simplement empoigner sa tunique. " Moi, j'ai répondu à ta putain de question. Je ne t'en ai posé aucune. Je me suis livré à toi et je n'ai rien exigé en retour. Pas même de connaitre la vérité sur tout ce qui nous a amené ici. Et je m'en moque. C'est toi qui pose toujours plus de questions, qui me pousse a faire de grandes déclarations stupides et qui parle d'oublier ensuite comme si c'était possible. Mais à quel moment m'as-tu dis que tu ressentais quoi que ce soit pour moi ?! " martela-t-elle, ses iris luisant de cette sorte de colère derrière laquelle elle cachait bien des choses depuis bien longtemps. " Alors ne viens pas me parler d'honnêteté. Je te veux, toi. Tu te souviens. Tu ne devrais pas en douter. " Sa poitrine se soulevait avec force sous l'action de sa respiration sonore, frôlant celle du grand homme qui lui faisait face, quitte à ce qu'elle l'y force. " Je ne sais pas partager les décisions. On m'a apprit à ne dépendre de personne, et à ne faire confiance à personne. Depuis que je sais me tenir sur mes deux jambes, ma survie a toujours primée sur le reste. Pendant plus d'une dizaine de siècle, je n'ai compter que sur moi, tu entends ? Moi ! et personne d'autre ! Je me suis battue à chaque fois qu'on a essayé de me faire plier. Je dois composer avec des forces qui pourrait me balayer d'une pensée et tenter de garder intègre une société qui semble avoir oublié jusqu'aux fondements de ses principes en la portant à bout de bras. Et j'ai survécu malgré tout ! Alors je ne vais pas m'excuser de ne pas avoir lu le petit manuel de la romance et de la confiance mutuelle. Et oui, je me condamne sûrement en te faisant confiance, mais pour une fois j'aimerais que ce soit possible, par les Onze ! Parce que je te veux, toi, Myr'Hennis. Mais je ne pourrais pas changé un Cycle d'habitudes comme si de rien était. "

Non il n’allait pas pouvoir se retourner pour la regarder, pas maintenant. S’il n’avait pas peur de la mort ça n’empêchait pas qu’il avait toujours peur du regard des autres.

Non il n’allait pas non plus s’arrêter parce qu’elle parlait, pas maintenant. Il avait à dire et ce qu’il voulait dire était bien trop important.

Lorsqu’elle passa devant lui, Myr’Hennis soutint enfin son regard en baissant la tête. Il avait fini de parler, il était prêt à entendre et surtout écouter. Alors c’est ce qu’il fit, patiemment même s’il avait envie de la couper également.

C’était facile de se cacher derrière tout ça ; c’était facile parce que ça venait naturellement ; c’était facile parce que c’était une cachette confortable. Ça aussi c’était facile : utiliser la mémoire de Vaervy contre lui. C’était même plus que facile, c’était un coup bas. Alors il lui répondit.

« Toi, imbécile. C'est toi que je veux. Sinon je n'aurais jamais pris autant de risques. Je n'aurais pas accepté de porter le secret de Vaervy. Je n'aurais pas oublié les vingt-trois cadavres qui juchaient le sol de ce que je pensais voir devenir notre nouvelle maison. Je n'aurais pas oublié les visages putréfiés de deux hommes que je considérais comme des amis. »

« Au moins tu as pu l’entendre ce fameux secret ! Elle t’en a jugé digne alors qu’elle ne m’a rien dit, rien ! Et au moins tu as pu voir les visages de tes amis, est-ce que j’ai pu voir celui de la mienne ? Non ! Et il va me hanter bien plus que si je l’avais vu et est-ce que je m’en plains ? »

« Moi, j'ai répondu à ta putain de question. Je ne t'en ai posé aucune. Je me suis livré à toi et je n'ai rien exigé en retour. Pas même de connaitre la vérité sur tout ce qui nous a amené ici. Et je m'en moque. C'est toi qui poses toujours plus de questions, qui me pousse a faire de grandes déclarations stupides et qui parle d'oublier ensuite comme si c'était possible. Mais à quel moment m'as-tu dit que tu ressentais quoi que ce soit pour moi ?! »

« Et après tu t’étonnes que je pose des questions ? C’est justement parce que tu ne dis rien que je l’ai posé cette putain de question. Et je n’ai rien exigé de toi si ce n’est la vérité. Est-ce que c’est trop demandé ? Est-ce que c’est trop demandé quand moi je te l’ai dit ?! Je ne t’ai rien dit parce que moi je suis incapable de le cacher ! Parce que moi je n’essaye même pas de le cacher ! Parce que moi je ne me moque pas de toi en te disant que je suis condamné à t’aimer ! »

« Alors ne viens pas me parler d'honnêteté. Je te veux, toi. Tu te souviens. Tu ne devrais pas en douter. Je ne sais pas partager les décisions. On m'a appris à ne dépendre de personne, et à ne faire confiance à personne. Depuis que je sais me tenir sur mes deux jambes, ma survie a toujours primée sur le reste. Pendant plus d'une dizaine de siècle, je n'ai compté que sur moi, tu entends ? Moi ! et personne d'autre ! Je me suis battue à chaque fois qu'on a essayé de me faire plier. Je dois composer avec des forces qui pourrait me balayer d'une pensée et tenter de garder intègre une société qui semble avoir oublié jusqu'aux fondements de ses principes en la portant à bout de bras. Et j'ai survécu malgré tout ! Alors je ne vais pas m'excuser de ne pas avoir lu le petit manuel de la romance et de la confiance mutuelle. Et oui, je me condamne sûrement en te faisant confiance, mais pour une fois j'aimerais que ce soit possible, par les Onze ! Parce que je te veux, toi, Myr'Hennis. Mais je ne pourrais pas changer un Cycle d'habitudes comme si de rien était. »

« Non, arrêtes de te foutre de ma gueule, tu es triumvir bien sûr que tu sais partager les décisions, c’est ton boulot ! Et si tu ne l’as pas lu ce petit manuel il va falloir t’y mettre rapidement. Je ne te demande pas de changer un millénaire d’habitudes comme si de rien n’était, je te demande au moins d’essayer mais si c’est une punition, une condamnation alors ce n’est pas la peine. » Il s’approcha davantage, se serrant contre elle puis il libéra son bras d’un geste sec et l’attrapa à la taille pour la soulever au niveau de son visage, ignorant royalement la douleur qui surgit dans son dos ; sa voix se fit un murmure à son oreille. « Si tu ne veux pas essayer ça ne peut pas marcher alors qu’est-ce qu’on fait ? On fait chacun un pas vers l’autre ou on arrête maintenant ? »

Bien loin de se démonter, ils ferraillaient. Ils rendaient argument pour argument, ressenti pour ressenti. Chaque coup était paré. Chaque estoc renvoyée. Deux visions si différentes. Deux vies si différentes. Deux être si différents que c'étaient dans la façon qu'ils avaient eu de faire attention l'un à l'autre que s'encraient leur différent. Elle se taisait pour le laisser libre. Il la questionnait. Elle se moquait pour ne pas blesser. Il était franc à en mourir. Elle grondait et il grondait plus fort, lui opposant un mur à ou tant se seraient coucher.

- ... si c’est une punition, une condamnation alors ce n’est pas la peine. »

Imbécile ! Il se défit d'elle d'un geste brusque. Non mais c'était pas possible... Elle sentait les larmes lui monter aux yeux et détourna rapidement le visage, sa tresse nouée d'un ruban rouge ne lui permettant pas vraiment de cacher ce genre de détail. Ce qu'elle pouvait se détester ! Très bien ! S'il le prenait comme ça !

Lorsqu'il se colla à elle, elle arma son bras pour le repousser, mais deux mains s'emparèrent de sa taille avant qu'elle ne porte le coup. Il la souleva d'un coup, faisant montrer d'une force plus que surprenante considérant son état et sa carrure.

- Repose-moi ! "

Il n'écouta pas. Instinctivement, les jambes de Krish s'enroulèrent sur le Grand Architecte, prenant appui sur ses hanches pour ne pas tomber. Ses mains qui étaient prêtes à le frapper une seconde plus tôt se retrouvèrent cramponner à ses épaules, bien trop haut au-dessus du sol. Son visage était à un souffle. Toujours aussi sérieux. Toujours aussi dur. Sa voix se fit murmure. Sourde. Krish la percevait comme menaçante alors qu'il n'en était rien.

Elle affronta son regard malgré l'humidité de ses propres yeux. Sans se cacher cette fois. Non, elle le foudroya du regard à la place. Fière. Farouche. Dents serrées.

Une seconde. Puis deux. Une troisième fut nécessaire pour que la flamme de colère se résorbe. Qu'elle prenne sur elle pour baisser le regard au lieu de vaincre à tout prix. Au lieu de le repousser ou de prévoir une vengeance pour l'avoir contrainte ainsi. Sa tête suivit le mouvement en deux ou trois hochement de tête qui se terminèrent lorsqu'elle posa son front contre celui de Myr'Hennis.

- Un pas. J'essaierai. "

Evidemment qu’il n’allait pas lui obéir. Comment aurait-il pu ? Il tenait à cette promiscuité, c’était important après s’être éloigné, après avoir passé tant de temps seul, même endormi. Myr’Hennis ne l’aurait pas lâché même si sa vie en dépendait, ce qui était peut-être un peu le cas d’ailleurs mais le Grand Architecte avait juré de ne plus jamais reculer devant le danger et il ne comptait pas briser son serment aujourd’hui. Sinon il n’aurait pas répondu au discours de la triumvir. Elle aurait dû le frapper suffisamment fort pour l’obliger à la lâcher si elle voulait se retrouver libre de ses bras. Une fois qu’il sentit ses jambes s’enrouler autour de sa taille il changea sa prise et l’attrapa par les cuisses.

Ce qu’il demandait était donc si difficile ? Lui aussi devait faire un pas dans sa direction et se montrer patient, comment pouvait-il espérer sinon qu’elle fasse un effort ? Même en faisant tout ce qu’il pouvait il aurait eu toutes les difficultés pour abandonner une habitude alors que lui n’avait que la moitié de son âge. Il se devait d’être patient et même si elle refusait il allait attendre qu’un jour elle change d’avis, si jamais elle en prenait la décision ; il était prêt à attendre des décennies voir des siècles si nécessaire, il n’en aurait plus parlé, il aurait simplement attendu que son comportement finisse par changer. Tant pis si cela ne devait jamais arriver.

Myr’Hennis ignora son regard courroucé comme il ignorait la douleur vive dans son dos ; il n’aurait pas dit non à son massage quotidien qui commençait à sérieusement lui manquer mais ce n’était pas l’endroit et encore moins le moment. C’était pourtant cette expression qui l’intriguait, qui le séduisait. Le Grand Architecte savait parfaitement qu’il n’intimidait personne et à raison, c’était l’un des rares drows qui n’était pas dangereux mais ce n’était pas le cas de sa garde et vu qu’elle l’entourait plus ou moins constamment peu de gens osaient lui lancer un tel regard. Etant triumvir, Krish ne se serait pas gêné peu importe les circonstances mais c’était une des rares personnes qui voyait en lui autre chose que le Grand Architecte et les personnes qui faisaient cet effort-là se comptaient sur les doigts d’une main de Grohur ; ce qui était en partie voulu il faut bien l’admettre, il se rendait difficilement accessible, d’autant plus inaccessible que pour l’atteindre il fallait traverser sa petite armée ce qui n’aidait en rien. Alors il ne voulait pas la voir pleurer, surtout pas à cause de lui et pourtant la voir les larmes aux yeux était un message tellement puissant…

Quand elle posa son front contre le sien il ferma les yeux, s’attendant au pire puis lorsqu’elle prononça ces trois mots fatidiques il relâcha enfin sa respiration et avec toute la tension qui s’était accumulée. Il rouvrit les yeux, le soulagement aisément lisible sur son visage.

« Merci. » Il n’avait toujours pas élevé la voix, ce n’était pas nécessaire. Puis il leva tête pour l’embrasser sur le front, un baiser doux, tendre, protecteur. Il ne pouvait rien faire pour Uriz, il n’était pas stupide au point de croire qu’il pouvait lutter contre un dieu, mais il espérait que la divinité et son avatar pourrait peut-être trouver un compromis ; si le Père des Batailles se montrait assez clément pour l’accorder. « Je ne t’en demandes pas plus. A moi d’en faire un maintenant : je te jure devant Uriz… » il regarda précisément les paillettes d’or dans ses yeux avec un petit sourire en coin. « Littéralement en plus de ça, de ne plus rien te cacher, même mes divers complots. » Son sourire disparut alors qu’il redevenait lentement plus sérieux. « Maintenant que mon serment est prêté, je t’en prie, pose-moi les questions qui te brûlent les lèvres depuis que tu es entrée dans cette pièce. Fais le avec la certitude que je ne répondrait que la vérité, cette fois je suis prêt à le jurer sur Meingal si ça peut te rassurer. »