Sacrifice de chair, sacrifice de sang... (Cécilie)

- ...  Ta une sacré réputation.
- J'emmerde ma réputation. "

Verbalement vulgaire, elle ne l'était que rarement hors des rôles qui s'imposaient parfois. L'occasion était toute fois suffisamment spéciale pour qu'elle le fasse et qu'elle y aille de bon cœur, un éclat sauvage dans la voix et l’œil apte à glacer jusqu'aux os le plus puissant des rois... Mais pas son Chasseur. Il pouvait comprendre, lui, le genre de faim que lui inspirait cette fameuse 'réputation' sans qu'elle n'en soit blessée le moins du monde. Elle ne sourit pas mais son regard scintille d'amusement, encore sous le charme du véritable rire qui vient de le secouer.

Si le ton de la jeune femme est sanguin, ses mots sonnent bien plus comme une fière revendication que comme le rejet d'un animal blessé. Ils sont loin d'être sur un terrain miné. Elle ne lui fait plus ni chaud ni froid cette réputation de chef de secte capable des pires atrocités. Elle en joue. Elle s'en amuse. C'est le concept même de 'réputation' qu'elle prend un plaisir immense à envoyer se faire foutre, à tordre, à distordre et à piétiner. Elle s'est trop longtemps battu contre ce qu'on pouvait penser d'elle. Maintenant, elle regardait les nouvelles versions passer et en jetais parfois de nouvelles dans la cohue.

Elle est trop différente de l'image que se font les gens d'une sorcière aux pouvoirs phénoménaux pour être inquiétée de toute façon. Un changement de nom, un peu de noir sur ses cheveux - surtout maintenant qu'ils étaient courts - et elle aurait put crier " Je suis Cécilie de Missède " sur une place qu'on l'aurait pris pour une démente ou une amuseuse publique. Elle avait tout fait pour les sauver. Ils voulaient une sorcière cruelle ? Ils l'avaient. Et à présent, elle faisait bien ce qu'elle voulait. Tout ce qu'elle voulait... Et en l’occurrence, elle ne voulait rien de plus qu'un éclat de voix jouissif pour rappeler la fin de plus de vingt ans de torture mentale.

Elle laissa poursuivre Dante, s'amusant des racontages qu'il avait entendu. Son idée concernant les Lamentations comme outils d'apprentissage était des plus incongrues... Et des plus alléchante. Elle ne savait pas si c'était possible... Elle doutait que cela marche en les cachant à moitié par du sang, et elle le lui dit sur le champ, mais ils essaieraient. C'était à ce point improbable qu'il devenait absolument nécessaire d'essayer, rien que pour voir si elle arrivait à en tirer quelque chose.

- Hé ! Je n'aime pas ça, mais je sais très bien me défendre avec une dague. J'ai mis en déroute un mage d'une puissance inouïe, d'un seul coup de lame. " Elle n'avait pas fait exprès et le mage en question était plus ou moins un allié à l'époque... Mais ça avait particulièrement bien marché... en un sens. Le maître des lames ne du pas croire une seconde à ce mensonge éhonté. Elle n'y croyait pas elle-même et gloussa en sentant les bras impitoyables de son amant la tirer le long de son corps. Encore plus proche de son visage, la déclaration de son amant s'ancra sous sa peau à la lumière de son sourire torve.

Un bref instant, elle l'imagine se repaitre d'eux. Un frisson remonte le long de son corps tandis qu'elle le contemple ici et maintenant. Elle vient langoureusement prendre possession des lèvres de son amant. Sans chercher plus.

- Toi, tu aurais pu aller beaucoup plus loin... " Poser la main sur elle sans qu'elle le veuille... Certes, il ne l'avait pas violée, mais n'aurait sans doute rien pu faire contre. Il l'avait fouillée, mise à nue, blessée, léchée et frappée. Et pourtant, il n'y avait aucun ressentiment dans la voix de la jeune femme. Cela n'avait duré qu'un court instant et elle avait fait son propre paris ce jour là. Elle avait voulu l'attirée de la façon la plus stupide qui soit et elle avait choisi de ne pas le tuer de peur de ne pas arriver à se détacher seule. Un paris qu'elle avait perdu pour s'en retrouver gagnante d'une façon bien étrange. " Savoir me servir d'une dague n'aurait rien changé , tu ne crois pas ? " Elle prenait sa déclaration pour défendre le simple fait qu'elle n'aimait pas se servir d'armes, mais ses yeux se lovaient dans ceux de Dante, emplit d'un respect et d'une reconnaissance sans limite... Le premier à lui laisser le choix. Tous les choix. " Tu sais... Depuis que je coopère avec mes Lamentations, ceux qui ont essayé de me prendre contre ma volonté sont tous morts. " Elle posa son front contre celui du Chasseur, réfléchissant à la suite.

- Avant de te poser une question, j'ai encore une chose à dire. " Elle n'était pas tendue, pas même légèrement anxieuse. " de Missède. Ce n'est pas mon nom... Enfin officiellement ça l'est. J'ai accepté de le prendre lors de mon dernier mariage pour ne pas porter celui de mon mari, mais je suis née Cécilie de Laval. " Elle fronça légèrement le nez. Elle n'aimait pas beaucoup plus ce nom que celui qui était galvaudé du Puy au Zagazorn. " Aliénor Cécilie Hilde de Laval pour être précise. Cela sonne mieux pour une sorcière de légende commandant à des assassins imaginaires. " ajouta-t-elle d'un air un peu plus moqueur. " Et toi ? Tu me dirais d'où te viens ton nom, Corvac ? Chez moi tout le monde ne peut pas se targuer d'avoir un nom de famille... "

Ah? comme ca elle a neutralisé un auguste et puissant mage d'un coup de dague? C'était avant ou après avoir récupéré ses yeux? Ces révélations amuse l'assassin. Elle ne savait même pas par quel côté tenir Silencieuse quand il la lui a mise dans les mains, par défi. Un coup de chance. Parfois, c'est  tout ce qu'il faut pour survivre. L'idée qu'elle puisse lui mentir ne traverse pas l'esprit de Dante. Mais il est certain que Cécilie brode sur la vérité.

- Toi, tu aurais pu aller beaucoup plus loin… 

Oui, effectivement, il aurait pu la violer plutôt dix fois qu'une. Mais ca ne l'intéresse pas. Hommes comme femmes se sont retrouvés dans ce cadre, sous ses "soins" il en a planté des bâtons dans des culs. Mais des bâtons pointus, tranchants les chairs, empalant proprement. L'idée de manifester son pouvoir sur les gens de cette façon est inintéressante pour Dante, ça date de tout petit… Quand ÇA s'est passé. Quand il a eu une leçon de vie, de souffrance, de domination et de mort… 

J'ai bien des travers, mais je ne viole pas… C'est la règle de la maison. Je laisse ça aux autres. Prends en note s'il te plait. Les Ombres n'ont pas de sexe, ni ne préfèrent personne… Homme, femme, enfant, vieillard, riche, pauvres. Il ne reste rien de vivant quand elle passe…

Il sourit encore. 

" Tu sais... Depuis que je coopère avec mes Lamentations, ceux qui ont essayé de me prendre contre ma volonté sont tous morts. " 

Front contre front, yeux contre yeux, souffle contre souffle… Les deux âmes soeurs reposent, alanguis, sur le matelas miteux. Le regard de Dante est aussi dur que l'acier, 

Je suis content… Que ca reste comme ça… 

Avant de te poser une question, j'ai encore une chose à dire. de Missède. Ce n'est pas mon nom... Enfin officiellement ça l'est. J'ai accepté de le prendre lors de mon dernier mariage pour ne pas porter celui de mon mari, mais je suis née Cécilie de Laval. " Aliénor Cécilie Hilde de Laval pour être précise. Cela sonne mieux pour une sorcière de légende commandant à des assassins imaginaires. "


Silencieux, Dante engrange les nouvelles informations. De Laval donc. Une péninsulaire… Mariée de force à un trou de cul au nom en De quelque chose … S'il était pas déjà mort, l'assassin se mettrait sur son cas. C'est flagrant à l'expression qu'il a. 

 Et toi ? Tu me dirais d'où te viens ton nom, Corvac ? Chez moi tout le monde ne peut pas se targuer d'avoir un nom de famille…

Les sourcils noirs se haussent. Etonné il l'est. De toutes les questions qu'elle peut lui demander, elle choisi celle-là? Pourtant c'est simple à répondre.

 J'ai pas de nom de famille en réalité, j'ai même pas de prénom en fait. L'homme que tu as sous toi en cet instant est un pur produit des rues Vaanies. Né libre, sauvage, fier, indomptable… Ou plutôt jeté aux ordures comme un malpropre dès la naissance par des parents dont il ignore tout et dont il se moque en fait. Un roturier pur et dur forgé par les privations, les larmes et le sang... Ceci dit en toute modestie… Faut savoir qu'ici les gamins avec une malformation ou une tare, du genre les belles prunelles qui te dévorent toute crues en ce moment, bien ils sont laissés à crever. La majorité y passent, les forts survivent.

Il marque une pause, ne se demandant même pas pourquoi il raconte tout ça. Pour que Cécilie comprenne bien, il faut le contexte. Il peut pas y couper.

 Je suis connu par les gamins des rues ici sous le sobriquet de Courbache, c'est un longue lanière de cuir qu'on se sert comme fouet par ici, tu sais celle qui s'enroule en partie autour de la main. On m'a appelé comme ça parce que c'est vif, rapide et qu'on voit jamais venir le coup avant qu'il soit trop tard. El a jamais été capable de prononcer mon surnom avec son accent péninsulaire, il a toujours dit Corvac et ca a resté. J'aime la sonorité de ce mot.

Pour le Dante, El a toujours dit que quelqu'un qui a un prénom est plus crédible. Et ca rapport avec mes yeux même si j'ai pas trop compris le pourquoi... Tu peux pas savoir la quantité de fois qu'on a essayé de me crever le vert... Et vu que c'est lui qui m'a enseigné la majorité de ce que je sais dans l'art de tuer, je l'ai laissé me prénommer. Je pourrais décider demain matin de changer de nom que je m'en ficherais. Un nom c'est un nom… C'est comme pour les marques, ca ne me défini pas. Un animal sauvage peut être nommé comme il veut, il gardera ses crocs et n'attaquera pas différemment. Est ce que la riche héritière m'emmerde aussi? Ou lui prendra t'elle la fantaisie de me renommer à sa convenance?    

Pur produit des entrailles putrides de Thaar, la Cité des Cinq Sens. Un enfant des rues. Mais libre... Sans demander elle avait bien des réponses à bien des questions qu'elle n'avait pas posé et bien d'autres questions pour surgir en échange. Mais c'est un sourire qui précède la courte interruption qu'elle se permet de faire lorsqu'il lui en laisse l'occasion. Visiblement, il y avait plus en commun dans leur passé que ce qu'ils auraient put imaginer.

- Mon père a voulu me tué quand il a appris que j'étais imparfaite. Ceux qui ont décrété que tes yeux présentaient une tare sont des sots. Tes iris sont l'une des rares choses qui me rendent heureuse de ne plus être aveugle. "

De la terre riche au vert presque blanc en passant par l'ambre et la canopée dense, chaque teinte lui était suffisamment agréable pour qu'elle fasse l'effort de la détailler avec netteté... Apprendre qu'il avait été maudit pour ses yeux comme elle l'avait été pour les siens ne changeait rien au final. Seule sa soif de compréhension se plaisait à mettre des raisons, des faits et des concepts sur ce que son être entier avait reconnu depuis longtemps.

Courbache...

- Quand j'ai vu le masque que tu portais au tournois, j'ai cru qu'ils te l'avaient crevé justement. Si elle n'avait pas été en train de te soigner... " Les iris bleutés se glacèrent d'une colère contenue, en échos à celle qu'elle avait ressenti sur le moment lorsqu'elle avait pensé se regard double perdu à jamais.

Changer de nom... Elle resta un moment pensive. Elle n'aimait pas ces noms de famille qu'elle avait porté. Elle ne se retrouvait plus dans aucune d'elle... Mais son prénom c'était autre chose. Maintenant qu'elle ne l'utilisait plus quotidiennement, entendre Dante le prononcer avait une portée toute particulière. Elle n'était pas encore certaine que cela soit plus intime que lorsqu'il l'appelait Sa Ténébreuse, mais ne plus l'entendre du tout, sans être un traumatisme, lui laisserait un goût amère.

- Mon cher Chasseur, sache que la riche héritière trouve que ton nom t'est particulière seyant... Pour l'instant. " sourit-elle, néanmoins à sa proposition. Elle s'autorisait le temps de la réflexion, en particulier parce que ses pensées allaient toutes vers un autre détail... " Mais qui est la femme dont tu parles ? Un mentor ? " Car si 'Elle' c'était la fameuse 'une seule' qui l'avait précédé dans la vie de Dante, elle ne pouvait se promettre que l'envie de le renommer ne viendrait pas soudainement... Un éclat possessif luisait discrètement dans ses iris.

La femme dont je parlais? El?

Manifestement il n'est pas à l'aise. Le ton change.

Non El est un gars. Un vieux… Elle… C'est pas pareil…

Ca lui prend un moment remettre ses idées en place.  Elle le sent se crisper, batailler ferme.

C'est le Voile… Je veux

Non tu veux pas!

S'exclame une voix bestiale en lui. Mais tu va la fermer ta gueule oui? Il ferme les yeux, très fort, Dante resserre un peu sa poigne, se cramponne au contact non douloureux de la jeune femme.

C'est Elle… Couteau… Elle a invoqué La Bête et elle en a eu pour son argent quand on lui est retombé sur la gueule… M'a … eu…. C'est… Dur à dire… Bref, tout le monde s'adonnait à ses passions… Elle l'A fait, avec l'autre prêtresse, Crocs…

Une devant et l'Autre derrière une qui bouffe et l'Autre qui taillade et qui baise. Et il a détesté ca, et il a adoré ça. Ca fait un mal de chien, ca a fait un bien fou… Le sang et le foutre qui coule. Les hurlements, les autres qui se faisaient mutiler. Son esprit qui glisse, de l'autre côté de la barrière… Le crochet à viande. Cet enfoiré de crochet à viande… Ca fait des années qu'il n'y a plus pensé en fait. Du bout des doigts au bout des orteils, un long frisson de souvenir et de répulsion lui traverse le corp. Il reste Crocs et Vorn pour être vengé. Mais elles ont réveillées La Bête. Pour ça, Dante leur en est reconnaissant. Elles l'ont torturé, détruit… Et il les hait pour ca. Elles ont fait de lui ce qu'il est aujourd'hui, et il les aime pour ça. Couteau reste sa Première. Mais la seule est Cécilie… Il n'a pas la force d'ouvrir les yeux pour les plonger dans la glace. Sa Ténébreuse n'a que faire d'une âme tourmentée. Sa blessure lui appartient.

et moi, la seule passion que j'ai eu ca été de survivre…


Wais c'est ca ta gueule!

Les yeux encore fermés, l'assassin gronde un long moment contre lui même, en plein débat intérieur. Puis reprend, essaye de revenir au sujet.

Bon, pour faire clair, El. humain de sexe mâle, environ 60 ans. Batard de 3e génération, assassin sans héritier à la fortune respectable. Se fait passer pour un parfumeur. Je présume qu'on peut dire que je suis son fils adoptif. Mais c'est pas avec lui qu'on baise certain. Je lui ai jamais connu de maitresse. Il est réglo, a jamais essayé de m'attacher.

Elle lui laissait le temps.

Elle lui laissait le choix.

Visiblement, elle s'était trompée et avait touché à quelque chose d'important sans y prendre garde. L'une de ses petites mains serra fort la large paume qu'elle tenait encore. Il pouvait aller aussi loin qu'il le voulait dans ses souvenirs, elle était là. Elle restait là. Ne l'y suivrait que s'il l'y invitait. L'autre main guide le bras de son amant jusqu'à son propre dos avant se glisser sur sa joue rêche, caresser sa tempe, ses cheveux sombres. Elle discerne cette sorte de fluctuation dans son regard. La Bête qui s'en mêle. Il ferme les yeux. Fort. Crispé. Même dans l'arène, le plus diminué qu'elle l'avait vu, il n'avait pas été aussi tendu. Sa curiosité flanche devant la douleur que cela semblait provoquer chez lui. Elle hésite à l'interrompre en lui disant qu'il n'a pas besoin d'en parler, à l'embrasser pour le faire revenir au présent. Mais elle n'en fait rien. Il fait l'effort de lui répondre... Il pouvait aller jusqu'où il le désirait.

Comprenant qu'il ne rouvrira pas les yeux tout de suite, elle se se pelotonne dans son cou et ne bouge plus. Seule sa main continue de caresser, avec une infinie légèreté, la peau de son Chasseur.

Couteau... Crocs... Le Voile... Elle avait entendu parler de ce qui s'était passé à Thaar à cette époque mais n'avait toujours pris ça que comme un conte de marin pour effaroucher les jeunes filles. Ça ne l'était pas. Des passions... Elle l'a.. eu ? Elle frissonne. Le tambour de guerre souffre d'une arythmie étrange. La fêlure... Couteau... Crocs... Si elles n'étaient pas encore mortes, elles mourraient. Des prêtresses avec ça... Adoratrices de ces bouches immondes. Elle ne les dévorerait même pas. Elle les laisseraient glisser dans ce putain de Néant. Elle les briserait. Elle les dominerait. Elle en ferait des pantins de chair morte, condamnées à souffrir une folie sans mesure et à sentir leur réceptacle se désagréger jusqu'à ce que les derniers fragments de ce qu'ils restent d'elle soit avalés par la Mort.

Les cicatrices dansent sur ses paupières closes. Morsures. Lame. Fer rouge. Et cette marque sur sa cuisse. Le dragon. Couteau... Crocs... Elles l'avaient eu... Elles l'avaient eu... Son cœur battait à grands coups. Si les sentiments qui agitent son Chasseur sont complexes et empreints de douleurs, elle le comprends. C'est son pacte. C'est ce qui l'a changé. Mais elle s'offre le luxe de ne ressentir qu'une haine sans partage et une soif de sang dévorante. Elle n'était pas vengeresse, c'était bien trop de temps perdu, et bien trop de monde à punir. Mais pour elles, elle ferait une exception... Il n'avait qu'un mot à dire. Elle voulait lui poser la question, mais il était trop loin.

Il frissonne. Fort. Ce qu'il invoque à mi-mot le répugne, le traverse de part en part, se plante dans sa chair et écorche ses os. Elle ne bouge pas. Serre sa main, blottit contre lui comme si son corps pouvait être une armure contre ce qui n'existait plus. Un point d'encrage. Elle est là. Et elle ne s'en protège pas. La façon dont cela entre en résonance avec ses propres démons ne compte pas. C'est sans peur qu'elle prend ce qu'il lui donne et qu'elle accueille ce qu'il ressent. Sans rien arracher, sans rien demander de plus. Mais de fait, tourmentée ou non, son âme est sienne et rien ne la fera changer d'avis. Chaque écart de respiration, chaque tension, elle les note et les grave en elle. Elle laisse chaque mot se lover dans son oreille en un joyaux précieux.

Il a survécu... Il survit encore... Il se moque bien moins de la mort que ce qu'il prétend de prime abord...

Il gronde. Contre ses souvenir ? Son passé ? La Bête ?

Et il répond.

En effet... Elle s'est trompée... Et elle ne sait même pas quoi dire face à cette réponse simple après la tension qu'il s'est infligé... Elle espère qu'il ne pensera pas à ça à chaque fois qu'ils parleront du vieil homme. Elle cherche. Elle cherche. Et elle trouve la première question qui se présente. La plus désuète des question, mais c'est tout ce qu'elle a. Il avait plongé, il semblait vouloir remonter et elle ne voulait pas lui tenir la tête sous l'eau.

- Alors c'est de lui qui t'as appris à te battre ?

Elle avait parlé doucement, posément. Mais ça ne suffisait pas.

Le fil se tend encore, si proche de casser.

Le silence lui parait plus dur. Elle avait relevé la tête pour contempler son visage avant de parler à nouveau, toujours aussi douce, mais un peu plus inquiète. Quel était le risque pourtant ? Qu'il se perde à nouveau là-bas ? Mais non. Il gérait. Il était passé au travers tout ça et il en était sorti une fois. Pourquoi craindre d'en rester prisonnier ?

Il ouvre les yeux. Elle accueille d'un sourire son regard épuisé. Reconnaissante du partage qu'il venait d'avoir lieu, la haine glaçait encore dans son regard et le calme de Dante ne l'entamait qu'avec lenteur. Après un rapide baiser, elle laissa de nouveau sa tête aller contre l'épaule de son aimant avant de raconte. Même couverte de sang, l'odeur de sa peau la détendait.

- Chez nous, rien de comparable... Et bien... des gens mourraient sans raison, d'autre étaient guéris de toute maladies. Des membres repoussaient, des maladies étranges se déclenchaient, les épidémies... Les prêtres ont dit que c'était la volonté de la DameDieu. Ils ont fait des cérémonies sans discontinuer pendant tout le temps du Voile. Les croyants et les prophètes de la fin du monde ont perpétré quelques exactions, brûlé quelques Arcamites et lapidé des sorcières. " Elle fit une légère pose pour respirer amplement, sentant son dos se détendre à nouveau. " En fait je n'ai pas été vraiment marqué par tout ça. La seule chose qui a changé était la fréquence des messes, les prières que ma mère nous poussait à faire toutes les deux heures et la peur qui s'insinuait dans la voix de tous. Je n'avais pas le droit de sortir. Alors j'ai passé le mois enfermée dans ma chambre à jouer de la harpe... Et je jubilais intérieurement de les entendre frémir à l'idée de se retrouver à jamais privés de lumière. " Un sourire étira ses lèvres en se rappelant ce détail qu'elle n'avait jamais pu partagé à l'époque. " Je ne sais pas pourquoi, mais tout cela m'a bien peu inquiété. J'en garde un souvenir imprécis. Comme si tout cela n'avait été qu'un bref instant continu. Une odeur de feu de bois et d'encens sur un fond de sanglot et de chants pentiens. Et toujours la mer déchainée qui se fracassait en d'immenses rugissement sur les falaises sans qu'il n'y ait le moindre souffle de vent... " Elle aimait ce son. Elle aimait tous les sons de la mer en général, mais celui-ci elle n'avait jamais pu l'écouter à nouveau... Et tandis que ce roulis lui revenait, elle s'aperçut avec surprise que même les bons souvenirs de choses qu'elle avait apprécié ne la rendaient pas nostalgique.

Après les confidences, vient la complicité. Complicité des mots, des gestes. Ils parlent de sujet dont n'importe qui parlerait. Dante la fait parler d'elle, Cécilie de lui, au final pour découvrir que malgré ou grâce à leur parcours respectifs, ils se ressemblent finalement énormément.

Les prédateurs se reconnaissent entre eux. C'est une évidence. Les dieux sont de petits rigolos.

La jeune femme soigne son chasseur. Avec une délicatesse que personne n'a jamais eu envers lui. Sourcils froncés, il la regarde faire. L'air soucieux de Dante ne le quitte pas non plus, même quand il fait le ménage de l'autre pièce. Ménage qui se limite à tout foutre en tas pour qu'ils puissent quitter le lendemain sans se péter la gueule. Les quatre filles retrouvent leur fourreau respectifs et se ramassent à la tête de lit.  Lit dans lequel, pour la première fois depuis qu'ils sont ici, l'assassin prend place. Il est nu, tout contre la jeune femme… L'enserrant, la recouvrant d'un bras protecteur.

Le froncement de sourcils ne le lâche pas cependant. Il y a un truc encore…

Pourquoi t'es restée tout ce temps?

Le soupir endormi de la jeune femme lui répond avec un

Là bas?

Avec une patience infinie qu'il n'a pas pour le commun des mortels en général, Dante répond.

Non… Pourquoi t'es restée tout ce temps ici, avec moi?  

Le bruit des villes. Celui de la Citadelle de Beaurivages. La façon dont elle se tétanisait au moins bruit fort, au moindre mouvement insolite, tout en continuant à voyager. Sur les routes, elle se reposait de toute la fausseté du monde. ça avait toujours été ainsi. Même petite, elle n'avait pas eu de véritable chez elle, envoyé grandir loin de parents qui ne pouvaient souffrir sa présence maudite. Allaitée par une ancienne putain. Elle était enfermée entre quatre murs, le monde n'avait pas plus de réalité pour elle que les histoires, les mythes et les légendes. Son monde à elle se résumait à trois pièces. Et puis il y avait toujours la musique. Jadis, même sa perception de la magie passait par la musique. C'était bien l'une des rares choses qu'elle regrettait de ses pouvoirs d'avant.

Puis elle avait connu les voyages entre ce manoir et le domaine de sa famille. Entre le domaine et les cités du duché. Entre le duché et la capitale. Entre la capitale et le Nord. Elle aimait le bruit du vent et les sons entêtant de la mer autant que les odeurs changeante d'un long chemin. Quand elle avait la musique pour seule compagne... Et Rose, la gamine qui avait eu la mal chance de naître moins que rien et qu'on lui avait offerte comme un substitue de vision.

Qu'a-t-il vu, lui, au cours de ses voyages ? La péninsule ? L'Ithri'Vaan ? Qu'a-t-il aimé ? Qu'a-t-il goûté ? Qu'a-t-il senti ? Et les parfums derrière lesquels El se cachait, avait-il apprit le moindre détail sur l'art de leur confection ? Ces nobliaux ennuyeux, les a-t-ils écouté comme elle l'a fait ? A-t-il rencontré quelques personnes qu'elle a croisé au cours des bals et des réceptions dans lesquelles elle s'était faite à la fois musicienne et espionne ? Des questions simples. Des moments étrangement anodins.

Elle ramasse le panier qui git encore dans l'entrée. Pas miracle, les deux bouteilles d'huile à lampe sont toutes deux intactes et par conséquent, le reste aussi. L'onguent et la teinture antiseptique seraient plus utiles ce soir qu'ils ne l'avaient été depuis des jours... Enfin s'il n'insistait pas pour utiliser l'onguent de sa propre composition à base de gomme de pin. Elle n'était pas sûre qu'il leur en reste assez cela dit.

Des considérations simples.

Une fois Dante soigné, elle profite de son insistance à déblayer la pièce d'à côté pour avoir le temps de se laver. Et c'est encore frissonnante de la froideur de l'eau qu'elle se glisse contre lui dans le lit qu'il avait refusé d'occuper pendant plus de cinquante nuits. Contre sa peau. Son étreinte est la seule couverture qu'elle désir, et le sommeil vient vite la guetter... Mais la voix grave de Son Chasseur la rattrape au bord du gouffre.

- Ici... " répète-t-elle en rassemblant ses idées. Oui... Il avait été difficilement supportable, tout comme l'immobilisme de cette bicoque exiguë. Elle s'était posé la même question à un moment... il y a longtemps lui semblait-il. Elle réajusta sa position contre lui sans ouvrir les yeux, un grondement ensommeillé faisant frissonner sa gorge. C'était quoi déjà ? " Parce que je t'aime. " souffla sa voix parfaitement détendue avec la plus grande des simplicités. " Tu es à moi. Je suis à toi. Je ne pouvais pas laisser mon jaguar tourner seul en cage comme ça. " Elle posa un baiser sur le premier morceau de peau que rencontrèrent ses lèvres.

Il y a un moment de silence... Comme seule réponse, il la serre un peu plus sur lui... Il ne comprend manifestement pas les mots, mais comprend instinctivement ce qu'elle veut dire. Deux lèvres rudes se posent sur sa tête.

- Dors... je veille... "