[La Prime justice] Étape 6 : Après l’effort, l’alcool vient en renfort !

Qui est ce type qui a enfilé la peau du ténébreux Nehril ? Des bourses pleines et le voilà métamorphosé… Une obscure et terrifiante magie est à l’oeuvre, pour sûr !

Bon, pour la faire courte, depuis le cimetière, rien d’exceptionnel ne s’est passé… Ils ont fait la route depuis l’endroit jusqu’à Thaar, et pour ses raisons toutes personnelles et “urgentes”, la Sirène a prit la tangente en laissant ses trois comparses avec leurs prises et le soin de récupérer les primes auprès du Guet, eux toujours à terre, et lui les survolant en décrivant de plus ou moins large cercle, parce qu’ils se trainent, ces chevaux… et en ville, c’est encore pire ! Mais il guette, Monarth au plus près de ses compagnons pour réagir vite en cas de pépin… Fort heureusement, rien n’est arrivé, et c’est sans grande complication que les deux parvinrent à rejoindre la caserne où ils purent livrer les trois vilains, rejoint par un dragonnier qui avait posé son dragon sur un toit, non loin.

Les espèces sonnantes et trébuchantes récupérées et la délicate tâche du partage réalisée, il est entendu qu’ils se séparent pour se retrouver plus tard, Nehril se voyant confier la tâche de donner à la Sirène sa part… Non parce que voilà, là, tout de suite, ils sortent d’un bel affrontement et traînent un relent macabre dans leurs sillages, la fête dans ces conditions, c’est plaisant, ni pour eux, ni pour ceux qui les entourent. Et puis, avant de risquer la cuite, il vaut mieux s’alléger autant que possible, si on peut dire… Ça serait con qu’après tout ces efforts, un détrousseur opportuniste se tire avec le magot, n’est-ce pas ? Alors voilà, on récupère l’argent, on se sépare et le revoilà empruntant la voie des airs pour retrouver la chambre qu’il loue, mettre au chaud son or et s’immerger dans un bon bain pendant un long moment, examinant négligemment les trois focaliseurs - qu’il a gardé… mais au lendemain, il ne devait plus en exister qu’une coulée de métaux fondues par le souffle d’un dragon, rien de moins -  récupérés. Sur son bureau, à part, il a laissé sa partie de la prime du nécromant qui serait revenue à Sirène. Par principe, il se refuse à l’accepter pour lui-même, mais il était hors de question d’en faire cadeau au Guet… Non, à la place, il y trouverait un autre usage, quelque chose de vraiment utile.

Mais tout ça, on s’en moque un peu… Revenons à Nehril, sous sortilège, incarnation de la gaieté impatiente de se noyer sous l’alcool, mais quelque part, c’est peut-être son être qui lutte contre le sort, allez savoir… Puisque les bourses pleines ont provoquées le tour, il fallait qu’il les vide aussi vite que possible pour retrouver son naturel ténébreux et morose, et pour ça, il a semble t-il l’intention d’y aller fort - et probable qu’il poursuive dans un bordel… qui sait, peut-être au Tourne-Gambette -, et là-dessus, le dragonnier n’a aucunement l’intention de le suivre !

“Dans une ennéade, il est sur la paille, j’en suis certain.” Glisse t-il avec amusement à la Grise, en suivant le cador, suffisamment bas pour que Nehril ne l’entende pas.

Depuis quand qu'j'avais les poches vides moi ? Des ennéades au moins, et la demi-drow flottait sur un petit nuage face à ce changement. Certes, une certaine somme était passée dans les mains de sa mère - pas de Princesse pour payer les frais, et le Tourne-Gambette n'avait jamais vraiment rouler sur l'or, la faute aux 'scrupules' de la matrone, diraient certains -, mais le reste n'en pesait pas moins agréablement dans la bourse de la demi-drow, qui se rendait au point de rendez-vous donné avec le reste du trio. D'autant plus que Sirène avait laissé la part liée au nécromant : la Grise n'avait pas laissé l'occasion !

C'est vêtue de frais qu'elle se pointa au point de rendez-vous, vêtue de son éternelle chemise largement ouverte - rien à voir m'sieur dame -, d'un pantalon de cuir et de bottes, le tout accusant le temps et quelques points de couture. Face à l'établissement, la demi-drow eut une hésitation... Avant qu'un grand sourire n'éclaire sa figure. Parfaitement, elle pouvait se le permettre ! Cela n'arrivait pas tous les jours, et c'est pourquoi elle ne put que renchérir :

"Navrée mon grand, mais faudra partager ! qu'elle lança au Nehril enthousiaste, avant de souffler à l’Écailleux. J'l'en sauv'rai en buvant la moitié des tonneaux d'la ville alors. J'suis sûre qu'y lui restera d'quoi après..."

Et c'est ainsi qu'ils rentrèrent tous trois dans l'établissement bien-nommé 'La Vierge Étoilée'. En effet, quiconque en franchissait les portes ne pouvait que découvrir la figure pâle de marbre à la douce brillance - Comment qu'on est censé croire qu'le tissu lui tient sur l'con comme ça ? - qui trônait au milieu des tablées. En connaisseuse, la Grise ne put que constater que celles-ci ne portaient pas les marques d'années d'usage pour un entretien douteux, que le plancher était propre de même que les serveurs et serveuses, qu'un barde chantait une chanson tout à fait convenable et d'une belle voix, et que les clients avaient une certaines allures. Ce dernier point la fit plus particulièrement sourire : se pointer là où elle n'était pas attendue ni désirée l'amusait toujours, en bonne sans-le-sou qu'a pas froid aux yeux. Mais aujourd'hui était différent : elle avait l'argent pour faire taire les grincheux !

Indiquant une table à ses compères, la demi-drow y prit place sans plus tarder et fit signe au premier serveur qui passa :

"Mon gars, tu nous ouvres un fût, ce s'ra plus simple qu'courir tout l'temps avec les pintes ! Pour enlever tout doute, elle fit apparaître l'un de ses souverains dans sa pogne, non sans un sourire de satisfaction. T's'ras bien gentil !"

Après un regard dubitatif sur la tenue pas très clinquante de la demi-drow, le gus acquiesça bien vite à la vue de l'or et s'en fut s'en attendre.

"J'adore faire ça." gloussa la Grise tout en faisant disparaître la pièce, une fois l'homme au loin.

Et même quand j'peux pas... Mais ça, c'était une autre histoire. S'attablant, le derrière bien calé sur sa chaise - pas un tabouret, une chaise ! -, la mercenaire se tourna vers les deux gus. L'un, elle le connaissait à peine, l'autre, elle avait eu la surprise de le voir se pointer dans le bordel maternelle, pour l'embarquer dans une chasse aux mages. Et elle en revenait la bourse pleine et en vie, si ce n'était pas fameux ! Elle leva les mains, le sourire aux lèvres.

"Ca m'semble une bonne journée : on survit à des couillons d'mages, on est payés, et on finit à la taverne. Non ?" fit-elle.

Des trois loustics, c’est finalement le dragonnier qui est le moins à l’aise à suivre le mouvement de ses comparses… Ici, les années de vagabondage s’inclinent, et si ils prennent cela comme une forme de revanche sur la vie le fait de s’inviter là, tout cela ne lui est pas étranger, au contraire. A travers la Péninsule, au gré de ses voyages et de ses visites, honoré par l’hospitalité des seigneurs, il avait connu des repas et des réceptions plus fastes que l’honorable maison qui les accueille ce soir là. Il n’y a pas de revanche d’une vie à laquelle il a renoncé volontairement, et il sait, probablement mieux qu’eux que le patron sacrifiera très certainement ce qu’ils peuvent lui apporter pour soigner sa clientèle habituelle et qu’il peut lui venir l’envie de les foutre dehors sans ménagement. Mais cela, il se garde bien de le dire, il respecte la raison qui motive le choix, bien que ne la partageant pas.

C’est ainsi qu’entre eux, le dragonnier parait un brin étranger - en plus de ses écailles, j’entends - parce qu’il est moins turbulent et qu’il présente le mieux… Sous la pèlerine dont il se défait, il porte l’une de ses belles tenues, simple mais élégante, immanquablement thaarie, d’un bleu au motif d’écailles dessinés par des fils couleur argent, une “rémunération” de la Dame Blanche. Et en plus, il n’a pas l’intention de se mettre rond… Parce qu’il y a bien longtemps qu’il n’a pas participé à ce genre de sauterie, et que lorsqu’il fréquente des bars, c’est surtout pour la causette et taper le carton à l’occasion ou pour profiter de la musique, et qu’il est plutôt du genre à rester aussi sobre que possible pour se faire bien voir, pour mieux plumer ses collègues de table moins lucide à mesure que la soirée avance… Et puis, merde, quelle idée de venir là ! Ailleurs, c’est progressivement toute la salle qui aurait pu partager leurs bonnes fortunes ! Pour le prix de cette bière, ils auraient enchaîné plusieurs tournées et toute la clientèle se serait fait une joie ignorante de profiter de leurs générosités. Ici, les écarts seront sanctionnés de regards plein d’un mépris, mais le dragonnier est convaincu que c’est ce que recherche le mercenaire, ces attitudes et le fait de pouvoir s’en moquer…
Tout ça pour dire que le Drystan, il n’est pas du tout dans le même état d’esprit… Et qu’il est plus que décidé à faire valoir sa différence.

Même si la présentation est un brin gonflante, le dragonnier masque la pitié qu’il éprouve pour le serveur malmené par un Nehril et la sévérité qui le gagne quand il croise le regard amusé du mercenaire : ça n’est pas ainsi qu’il entend faire la fête. Plutôt que lui offrir une attitude sévère, il choisit de le laisser mijoter un peu, et s’adresse au serveur à présent sur la défensive.

“Dis-moi, vous avez quoi en vins ? Est-ce que vous avez de l’Hautval ?” Il répond d’un hochement de tête, craignant le pire, peut-être, alors sur un ton toujours très calme et chaleureux, le dragonnier poursuit, sans un regard au mercenaire. “Quelles années ?” Et après une courte énumération, qu’il ne termine pas, le dragonnier arrête son choix de connaisseur, en souriant. “Je prendrais ça, merci. Un tel lieu et se contenter de bières… Seul un bon vin d’Hautval peut satisfaire un eracien, c’est connu.” Et cette fois, il posa son regard sur le mercenaire, les servant, eux, mais attendant son verre. “Curieuse conception d’une fête, Nehril.” Il ne cherche pas forcément la querelle, mais ce qu’il perçoit des motifs ne lui convient pas… Il aurait pu s’amuser à cela sans les mêler et faire simple pour ce soir, et c’est ce que le dragonnier veut lui faire comprendre. Il n’en dit pas plus en attendant son verre, ils ont toute la soirée pour que l’alcool monte suffisamment à la tête pour passer à la suite.

Quand il est finalement servi, il ne prête pas d’attention à la réaction qu’il suscite chez ses compagnons.

“A notre succès et notre bonne fortune, qu'elle dure !” Propose t-il, en levant son verre.

Entre le silence qui retentit désagréablement, une fois le serveur partit; la dernière parole du demi-elfe qui résonna curieusement à ses oreilles; quant à Drystan qui se dissocia de leur fût pour lui préférer un 'vin de Hautval'... Les escourdes de la demi-drow frémirent d'agacement, sous sa tignasse noire : l'heure était à la fête ou à la prise de tête, ou bien ? Quoiqu'ait pu dire l'Ecailleux, ce fut avec le sourire que la Grise leva son verre.

"A la bonne fortune !" clama-t-elle vigoureusement.

Avec ce même air, elle vida la choppe, et c'est avec cette mine, tout aussi chafouine, qu'elle choppa le premier serveur venu, lui balança les pièces, puis se leva pour boucher le fût et commencer à la faire rouler.

"J'connais une bonne taverne où c'fut s'ra apprécié à sa juste valeur, sieur Drystan... minauda-t-elle, mielleuse, tout en ajoutant à l'intention de l'autre compère. ... Et où on s'moque pas des cam'rades d'beuverie qu'on un balais dans l'cul."

M'prendre la tête 'vec les bourses pleines ? Puis quoi encore ! Autant m'farcir la conversation avec ma mère, ça m's'ra plus agréable. Et, sans autre forme de procès ni attente d'appréciation, la demi-drow prit le chemin de la sortie, fût devant-elle, sifflotant d'avance une chanson grivoise de sa connaissance qui, si elle n'était pas d'ors et déjà chanté là où elle comptait les mener, le serait sous peu !

________Dans un autre établissement, bien moins reluisant________

Autant dire que la Grise fit sa petite entrée : forçant la porte, elle clama aussitôt à la volée de l'établissement sans gloire, tenu par un demi-nain précautionneux :

"Bien l'bonjour les gars ! R'merciez la 'Vierge Etoilée', v'la un d'leur fût... Et la tournée est pour moi !"

De qui ? De quoi ? Les questions furent tues, au profit de l'enthousiasme. C'était là des hommes et femmes du commun, trimant au port, dans les palais, dans les rues, les domaines... S'y cassant le dos et la vie pour se nourrir, l'oubliant un peu dans la boisson et la bonne compagnie le soir venu, s'offrant ce qu'ils pouvaient avec quelques piécettes. Ainsi, le bouiboui était loin de la gloire du précédent : l'atmosphère y était plus chargé, le sol et les tables plus crasseux, et les mines patibulaires. Cependant, celles-ci s'éclairèrent en un rien de temps alors qu'avec l'aide d'un gars, la demi-drow hissait le tonneau sur une table.

Bientôt, les gus firent la queue pour trinquer, et la demi-drow eut droit à sa propre pinte du tavernier qu'elle connaissait... Comme une bonne part des gueules de la salle, d'ailleurs, qui y allèrent de leur tape sur l'épaule et de leur remerciement, ce à quoi la mercenaire en veine répondait par un entre-choc de bière enthousiaste. A vrai dire, toute à son idée, elle oublia quelques peu ses deux compères... Jusqu'à ce que les habitués se mettent à frapper les tables de leurs choppes, chantant à tue-tête une chanson à l'élégance absente, mais à l'entrain certain.

"J'connais une fille à Ys, à Ys... !
Qu'a l'con d'une écrevisse, et his, et his... !

J'connais un gars à Geresh, Geresh... !
Qu'a un sacré derche, et rèche, et rèche... !

..."

Décidant qu'il était temps de s'asseoir à son tour, la demi-drow rejoignit les deux compères, prenant place à leur table avec un grand sourire, moussu d'avoir déjà bu.

"Et v'la... ! J'me vois mieux m'pinter ici qu'là-bas, dis-donc ! réalisant l'oubli, elle fit disparaître d'un coup de manche la mousse, avant d'ajouter non sans une pointe de curiosité dans ses mires noires. Alors vous deux, vous vous connaissez d'puis longtemps ? Ou c'est la patronne qu'vous a trouvé comme ça ?"

Ah, bah y pousse la chansonnette lui. La Grise écouta, souriant au commentaire adressé à Drystan. Tellement d'bruit qu'y s'est fait j'té, l'Ecailleux ? Bah ! L'est bien là au final. N'empêche, une sélection, c'était... Organisé. Après, vu que la chasse était faite avec la bénédiction du Guet, certes, c'était moins fait à l'improviste qu'un gars ramassant les premiers crève-la-faim venus.

"Jamais vu Sirène avant qu'elle s'pointe avec Drystan chez moi. Faut croire qu'tomber dans l'même trou, ça rend l'autre inoubliable. s'amusa la Grise, finissant le nez dans sa bière. Que j't'explique : sous l'orage, mon ch'val a paniqué et m'a fait tomber dans une crevasse. Chanceuse comme j'suis, l'Ecailleux y est tombé aussi pas longtemps après. On s'est r'gardé en chien d'faillance, avant d'se décider à chercher la sortie. La demi-drow le va sa pinte au souvenir guilleret. On a botté l'cul d'kobolts !... Et marché j'sais pas combien d'temps dans des putains d'tunnels. On s'en est sorti... D'puis, j'lui dois une bière. Ce qu'elle conclut d'un clin d’œil à l'intention du concerné... Avant d'avoir une idée. Ah bah v'la !"

Posant sa choppe, la demi-drow se pencha dangereusement en arrière, se retrouvant en équilibre sur son tabouret, un pied botté calé sous le rebord de table pour se retenir de finir par terre. Renversant la tête, la Grise eut la vision coquasse des clampins marchant au plafond pour se servir au tonneau tenant magiquement sur des tables tenant sur celui-ci. Mais passons, elle lorgna surtout sur le demi-nain qui essuyait à toute allure ses choppes pour soutenir la cadence : c'est qu'une tournée, ça vous ranime la soif... !

"Markam ! qu'appela la Grise, lui faisant lever - ou baisser, selon le point de vue - la tête. Apporte donc un jambonneau et ta plus grosse pinte !
- ... J't'apporte ça." que répondit le demi-nain à la barbe fournie, après un levé de sourcil prononcé.

Dans un claquement de bois, la demi-drow se fit tomber vers l'avant, faisant voler sa crinière sombre. Reprenant sa boisson, elle s'en but une gorgée. Le tavernier ne fut pas long : un bon morceau de viande fumée et un long couteau se retrouvèrent sur la table, et un nouveau trajet le vit se pointer avec un petit tonneau à poignée - la-dite pinte donc -, qu'il remplit au gros bien entamé, avant de poser le monstre sur la table du trio.

"T'as mangé du nain c'matin pour m'la d'mander ou bien ? fit le tavernier en recevant ses pièces.
- Même pas, c'pour payer une dette à un ami." sourit la Grise, tout en désignant le concerné d'un signe de tête.

Un coup d'oeil à Drystan, sur sa stature des plus humaines, tirant sur l'elfique, mais n'évoquant en rien un digne représentant du peuple barbu, et le demi-nain resta interloqué un instant... Avant d'éclater de rire, décernant de sa large pogne une tape amicale à l'épaule du concernée. L'oeil rieur, la demi-drow attaqua le jambonneau, s'en trancha un morceau puis tendit le couteau Nehril, poignée en avant, non sans un clin d’œil en direction du troisième compère.

"MAHAHA ! J'sais pas si c'pas une manière d'vous l'faire regretter tient, celle-la. Bon courage l'ami ! s'esclaffa-t-il.
- Alors l'Ecailleux, qu'est-ce tu dis d'cette pinte-la ?" sourit la Grise.

Que le mercenaire soutienne son regard et réponde au mépris par le mépris ne trouble pas outre-mesure le dragonnier qui ne souffrirait pas à l’idée de solder les comptes à l’extérieur pour les avoir conduit ici pour « festoyer », cela aurait le mérite d’égayer une soirée bien mal entamée, et il en apprécia d’autant plus ses premières gorgées d’un vin dont il n’a plus profité depuis une dizaine d’années que s’y mêle un goût de provocation.
La Grise désamorça la situation pour les conduire dans un établissement de son cru, où ils trouvèrent finalement une atmosphère digne de ce nom.

Si Drystan ne se joint pas au chœur, son regard embrasse les lieux, s’en imprégnant, s’attardant sur une table de joueurs… Sans être contaminé par le démon du jeu qui peut l’entrainer vers la ruine, d’une partie vers la revanche, invitation à la belle, et qui emmène ses proies dans une tourmente les intimant à jouer ce qu’elles ne possèdent pas encore, il y a un plaisir à se laisser porter dans une partie qui dure, dure, pour peu qu’on s’attarde pas sur les conséquences parfois néfastes qu’il peut y avoir à déplumer un pigeon.
A l’interrogation de la Grise, Drystan laisse à Nehril et des deux bras cassés qui échouèrent le premier soir, ça n’est pas le même qu’il garde à l’esprit. Le bruyant avait pour lui l’excuse de la jeunesse, l’autre était un authentique imbécile qui ne s’en cachait même pas.

« Que veux-tu, j’me doutais que tu trimerais encore à te remplir les poches, alors par esprit de camaraderie, lorsqu’une opportunité de se les remplir s’est présentée, j’me suis dit que j’pourrais en faire profiter cette débrouillarde qui m’avait bien aidé à m’sortir de ce trou… Même si j’m’y suis retrouvé à cause de ton fichu canasson. »

Ainsi s’explique-t-il quant à sa décision de l’y mêler – ce qu’il n’a pas eu l’occasion de faire avant. Quant à la pinte… S’il garde à l’esprit la dette, il ne tient pas à se répandre quant à l’origine de celle-ci. Il est des choses dont il s’est ouvert avec la Grise, dans le trou, mais pas avec ses plus récents compagnons, et bien que n’en faisant pas forcément un secret, moins on sait qu’il peut en exister d’autres comme lui, cachés, moins on les cherche, n’est-ce pas ?
Découvrant la farce de la Grise, et l’imposante pinte avec laquelle elle entend honorer sa dette, il en sourit, répondant à la remarque du demi-nain.

« Ah ça, on m’y reprendra plus, c’est sûr… La prochaine fois qu’elle me parle d’une dette, je lui efface sur le champ, j'prends pas le risque. Et à la Grise, quant à sa question. J’en dis qu’la prochaine fois, j’te laisse dans ton trou et j’garde au chaud mon esprit chevaleresque pour une autre donzelle. Il en plaisante, évidemment, et il est plus probable qu’il recommence, encore – ne prit-il pas des risques supplémentaires pour assurer le coup de ses petits camarades ? Mais tout d’même ! Chercher à m’enivrer de la sorte en guise de reconnaissance, c’pas très régulier ! »

Il s’en saisit tout de même, pour y goûter – au moins par politesse - mais sans aucune intention d’y aller directement. Pas question d’être cuit dès l’entame de soirée en ayant voulu accomplir un exploit possible que d’un nain… Qu’est-ce que dit le sage, sur le fait de se connaître et de connaître son ennemi, déjà ?

« Alors, c’quoi la suite, pour vous deux maintenant que vous avez les poches pleines, des idées ? »

Souriant à la réponse de 'l'ami' ainsi remercié, le demi-nain s'en retourna à ses choppes, laissant la Grise se marrer des commentaires du gus. Effacer les dettes et laisser les donzelles s'débrouiller ? Mais bien sûr... ! Et voilà qu'il faisait son timide avec sa pinte ! A peine joueuse, la demi-drow vint cogner sa chope - inette, au vue de celle de Drystan - contre celle de l’Écailleux.

"Mais c'est l'but, mais c'est l'but ! rit avec légèreté la Grise. On vient pas dans c'bouge pour siroter sa mousse ! Bois donc, j'te pensais pas si timoré !"

Comme pour illustrer le propo', elle s'enfila une bonne rasade, appréciant avec une frimousse joyeuse la saveur qui lui emplit la gueule, et la chaleur qui se répandit bientôt dans sa gorge et son gosier. A cela, elle ajouta une bouchée de barbac', qu'elle mâchouilla consciencieusement en écoutant. Une gamine ? Le ton n'annonçait pas de ribaude. Voilà qui était curieux de la part d'un mercenaire... Enfin, curieux, il y en avait toujours pour se retrouver avec des marmots, mais de la à s'en occuper, c'était une autre affaire.

"M'trouver d'quoi reprendre la route. C'est qu'la mère est bien gentille, mais rester trop d'temps au bordel ça m'donne des fourmis dans les guibolles. Un contrat, un p'tit boulot... J'cherche et cherche encore. Mais avec c'que j'ai empoché, y a moyen d'me faire plaisir. P'tète un aut' canasson tiens ? fit-elle avec sourire en coin, sans rien en penser, avant de regarder un instant dans le vide. Avec tout ça... Tu m'fais penser Nehril, c'est quand même une drôle d'bonne femme la patronne. Chasseuse d'mages, rien qu'ça ! L'a pas choisi une vie d'tendre, alors qu'elle a les moyens, j'crois bien. Elle afficha une moue songeuse. Vous en savez quelque chose ?"

Nehril haussa les épaules et reprit une rasade. Ses deux entrevues avec Sirène lui en avaient appris beaucoup sur la jeune femme, mais le mercenaire n’était pas homme à divulguer les secrets des autres. Il se contenta de sourire en répliquant :

—  Pas vraiment. Mais en effet, choisir une telle vocation est en droit de piquer notre curiosité.

Le semi-elfe se frotta sa barbe drue.

— Peut-être que quelque chose issu de son passé l’a amené à arpenter cette voie, supposa-t-il sans souhaiter trop en dire.

Il se laissa aller contre le dossier de sa chaise et préfera changer de sujet.

— Tu as dit que tu travaillais au bordel ? fit-il soudainement en fronçant les sourcils. Tu… euh…

Il fit un vague geste du bras ne sachant comment lui demander si elle y travaillait.

Sait pas grand chose, hein ? Vérité, demi-vérité... La Grise ne s'en préoccupa guère, se prenant une nouvelle gorgée du doux breuvage. En revanche, la question ne tomba pas dans l'oreille d'une sourde, de même que l'hésitation et le semblant de gêne qui apparurent chez le mercenaire demi-elfe. Les mires noires se concentrèrent sur ce dernier, tandis que la choppe retrouvait la table. Avec un sourire paresseux, sans un regard pour l'autre compère, la demi-sombre se pencha vers l'intéressé, les pans de sa chemise entrouverte - sur pas grand chose - baillant d'une manière qui eut fait rougir les honnêtes gens.

"Quoi donc ? La compagnie d'ces dames ailleurs qu'dans ton pieux t'dérange ? fit-elle, doucereuse. C'pas parce qu'on s'occupe d'vos épées qu'on peut pas en t'nir une..."

Nehril haussa les sourcils et lâcha un sourire suite à sa remarque. Il n’y avait aucun gène ni aucune critique dans les propos qu’il avait avancé précédemment. Toutefois, il savait combien certains individus étaient particulièrement sensibles concernant leur condition. D’aucuns ne partageaient pas la légèreté de la Grise sur sa propre profession. Par crainte de ne pas froisser la demi-drow, il avait préféré rester vague afin de jauger sa réaction.

— Je dirais même que celles qui s’occupent des épées la nuit sont bien plus à même de les porter le jour, lui répondit-il l’ombre d’un sourire au visage. Navré si je t’ai froissé, il ne s’agissait que d’une banale question sans arrière pensée.

Le mercenaire souhaitait seulement en connaître davantage sur ses compagnons même si habitué à ne pas se mêler socialement, il éprouvait de vives difficultés à discuter avec eux sans paraître médisant ou acerbe. Il préféra reprendre une rasade de bière, qu’il avala lentement. Se tournant vers Drystan, il reprit sur un ton tranquille.

— Je n’en sais pas plus sur toi non plus camarade.

Pas qu’il soit particulièrement timoré… Mais y a risque et risque, et surtout enjeu ! Tout ce qu’il a à gagner en se précipitant sur cette choppe, c’est d’être malade bien trop tôt dans la soirée et de ne pouvoir en profiter plus, compte tenu du manque de pratiques résultant de dix années de vadrouilles… Alors y en a peut-être qu’une telle perspective ravirait, ça, c’est probable, mais ce n’est pas son cas. Ça n’en vaut pas le coup !
Quoiqu’il en soit, il ne répond pas à la provocation mais se promet de trouver, ce soir ou plus tard, le moyen de lui rendre la monnaie de sa pièce.

Il écoute les réponses de ses compagnons, et si la mention d’une gamine par le mercenaire intrigue, il ne se voit pas nécessairement creuser la question ce soir… A garder dans un coin de la tête, ça peut servir. Quant à la Grise, rien de neuf sous le soleil, mais ces gains lui offraient une bouffée d’air et du champ pour la suite.

Il n’offre pas de réponse, et profite de l’échange qui se profile entre les deux loustics pour ne surtout pas s’en mêler, oh, ça non ! Quand on vous laisse sur le côté, il faut parfois savoir y rester et jouir du spectacle. Et spectacle, il y a, d’un Nehril mis à mal par la Grise.
Il note l’attitude du mercenaire sur le sujet de Sirène, quand il demeure dans son mutisme… Changement de sujet, hein ? En sait-il plus qu’il ne le prétend ?  Possible, mais là encore, le dragonnier n’a pas l’intention de creuser. C’est qu’il s’est engagé auprès de la Sirène à respecter le secret qu’elle cultive, elle choisira quand et quoi divulguer, alors il s’y tient.
Mais c’est là que ça devient drôle, en voulant se sortir de l’embarras des indiscrétions potentielles, le voilà sur un terrain savonneux sur lequel la Grise ne le rate pas un seul instant. Et pendant ce temps, par petite gorgée prudente, le dragonnier vide à son rythme l’énorme piège de la demi-drow.

Et finalement, sa mise en retrait s’achève quand le mercenaire se penche sur son cas.

« Je n’en sais pas plus sur toi non plus camarade. »

« Ça dépend ce que tu veux savoir. »

« Comment un homme de ta condition en est-il venu à prêter son sabre pour autrui comme nous autres les mercenaires ? » Celui qui tient la plume n’est pas responsable, et il épargne au lecteur le passage d’un tutoiement à un vouvoiement… Pour toutes réclamations, se tourner vers le très-haut qui gère le cador.

« Un homme de ma condition ? Un ancien chevalier tu veux dire, peut-être même un noble ? » Il sourit, sans doute a-t-il encore à l’esprit le comportement du dragonnier un peu plus tôt, parmi les fortunés.  Mais il n’a pas l’intention d’en prendre ombrage, alors avant de répondre, il se prend une bonne rasade et s’appuie sur le dos de sa chaise, l’attitude relâchée.

« C’est que je l’ai toujours fait, pas pour les mêmes raisons, évidemment, et sans changer autant d’employeur, c’est vrai, mais un chevalier offre son épée à son seigneur presque de la même façon qu’un mercenaire la prête à un employeur… L’un prononce un serment, l’autre signe un contrat. C’est presque la même chose, n’est-ce pas ? » Il ne le pense pas, quand bien même sa vision de la chevalerie est critique, il ne peut nier la loyauté que s’attache les seigneurs et dont sont dépourvus les mercenaires.

« Comme je l’ai dit l’autre soir, il m’a fallu tout perdre, le roi et ami auquel j’avais fait serment, l’épouse que j’avais juré d’aimer et protéger, les terres dont j’étais devenu le protecteur, toutes les raisons qui me retenaient là-bas, m’y faisaient me battre. Il n’y avait pas de tristesse dans ces mots, il n’en veut pas, cela appartient à un autre homme, un homme qui n’est plus. Voilà comment un homme de ma condition se libère de ses engagements précédents et se mets à offrir ses services à n’importe qui…. Ou presque. » Presque oui, demeure le serment qu’il fit à une déesse, quoiqu’il en préserve l’essence mais pas l’intégralité.

« Eh oui, un serment sacré, c’est moins simple à rompre qu’un contrat, surtout lorsqu’on a la loyauté dans le sang. Il termine en reprenant une nouvelle gorgée. Satisfait ? A toi de remettre un peu d’ambiance, je suis tenu à la vérité, moi, tu es responsable, avec ta question ! »  

Non sans un rire, la Grise s'appuya avec aise sur sa chaise, pinte en main, souriant face à la retraire prudente du mercenaire. Les putains, bien placées pour tenir une épée ? Qu'est-ce que c'était que cette pirouette ? Politesse, politesse, mouarf ! Sors toi donc c'que t'as dans l'fondement qui t'garde si raide ! Est là pour boire et s'fendre la poire, j'vais pas t'planter une lame dans la mimine !

"M'froisser ? s'amusa-t-elle. J'suis qu'fille d'putain, j'ai entendu pire et d'loin, t'bile donc pas."

Sur cette correction, elle but encore. L'alcool lui était un bon ami, et la demi-drow ne comptait plus les nuits qu'elle avait fini à rouler sous la table... Bien après que ses compagnons de beuverie s'y soit effondrés, bien souvent. Mais le demi-elfe avait eu l'air motivé, là où l'Ecailleux se montrait bien plus mesuré. Lâche-donc, lâche donc... Pour lâcher, il en dit un peu plus sur lui, toujours autant maniéré. Écoutant, la mercenaire en apprit à peine plus sur ce partenaire de galère... A la fin de ses déclarations, la Grise rejeta la tête en arrière avec un soupir grognon.

"Qui qu'tu crois tromper comme ça, l'Ecailleux ? fit-elle en faisant la moue. C'toi qu'raconte 'vec l'sérieux d'un prêtre !"

Y a d'quoi faire pour l'détendre... ! Et, guère intimidée par ce genre de défi là, la Grise fit de son mieux, racontant des anecdotes coquasses, buvant encore, enjoignant ses compères. Eh bien, buvez mes seigneurs, si vous voulez vous enjailler... ! Alentours, les gueux le faisaient si bien...

"J'connais une fille d'Naelis, et lis... !
Qui n's'cache pas d'ses vices, et vices, et vices !

J'connais un gars d'Baaz'Hima, Hima, Hima... !
Qu'a bien plus à un roi, de quoi, ce roi... !

..."

Par ici l'on buvait, dansait, causait et chantait sans retenue ni pudeur. La Grise ne tarda pas à donner de la voix, habituée à faire ainsi pendant de bien nombreuses nuits.