La libertine et l'amoureuse | Sorsha

5e ennéade de Barkios de l'an 17:XI

Que dire ? Que dire de son retour ? Que dire de l'échec, du retour à la case départ, de la chambre à peine quittée qu'elle retrouvait si vite ? Du moins en était-elle revenue, et en un seul morceau s'il vous plait. Mais il lui était resté comme un arrière-goût amer, un sentiment d'insatisfaction... Rien qu'un bon tour à la taverne n'ait pu soigné bien sûr !

Les poches toujours aussi vides, mais le coeur prêt à se déverser, la demi-drow avait retrouvé rapidement les copains, pour boire et raconter son content - 'Non, toi en lépreuse ma vieille ? Le mauvaise plan ! ... M'en parle pas Roger, sinon c'te bouteille, tu la verras d'bien près hehe, r'verse donc à boire tiens.' -. A un moment, elle s'en était retournée à la maison bien sûr, saluant maman, lui annonçant la nouvelle, discutant avec les filles et... Et elle avait entendu quelque chose qui avait mis quelques minutes à lui monter au cerveau.

"D'quoi Sorsha qu'a ram'né quelqu'un ? Grands yeux ouverts. QUI ?"

Autant dire que les détails allèrent bon train, entre la taille, les muscles, la pilosité, et la quantité de sang répandu. Plutôt bien éméchée, la Grise explosa de rire à l'évocation de ce dernier point. Fort heureusement, la maman - et propriétaire des lieux - n'était pas dans le coin pour donner une bonne taloche à sa progéniture.

Tout cela pour dire que, d'une manière ou une autre, pas hasardeux par pas hasardeux, la demi-drow se retrouva à faire le chemin jusqu'à la porte de la chambre de Sorsha - pas seule, une bouteille entamée lui tenait compagnie -. Et, avec une grande subtilité, la demi-sang frappa à la porte de tout son corps. Une fois. En s'affalant dessus.

"Sorshaaa ? souffla-t-elle fortement, avec une impression de déjà vu. T'es là ? Pouffant d'avance, elle ajouta, avec une grande subtilité. J'ai entendu des truuuuucs..."

Dans le fond, La Grise fut chanceuse de tomber sur Sorsha, car depuis que l’histoire avec Uthred s’était officialisée, elle passait beaucoup de temps en sa compagnie et ne restait au bordel que brièvement. Ce soir, elle allait rester plus longtemps, car elle devait s’occuper d’une fille, mais comme les choses ne risquaient pas de bouger avant longtemps, la Wandraise s’était enfermée dans sa chambre pour se préparer en vue de la longue nuit qui l’attendait.

Sorsha l’entendit venir depuis l’autre extrémité du couloir. Sans la voir, elle savait qu’elle était saoule. Au moins, elle était vivante. Chaque fois qu’elle partait, il y avait une chance pour qu’elle ne revienne pas, mais La Grise trouvait toujours son chemin jusqu’au bordel. Ça l’amenait à se demander si l’on pouvait vraiment quitter cet endroit. La demi-sang franchit sa porte comme si elle était chez elle. Sorsha ne se dérangea même pas et la laissa s’échouer sur sa couche. Elle déboucha plutôt un flacon d’huile et en versa une petite quantité dans un mortier qui contenait déjà des plantes. Elle écrasa ensuite le tout avec le pilon et un agréable parfum se répandit dans la pièce.

« Des trucs? » La wandraise fit semblant de ne pas comprendre, bien qu’elle savait exactement ce que la Grise avait entendu. Le passage d’Uthred avait laissé des traces encore apparentes sur le cadre de sa porte et il revenait régulièrement dans les sujets de discussion. Difficile de tirer les vers du nez de Sorsha, mais tout le monde savait que c’est lui qu’elle allait voir lorsqu’elle n’était pas au bordel. Ça se voyait comme le nez au milieu du visage. « Tu es saoul. » Fit remarquer Sorsha alors qu’elle attrapait une outre en pot rempli d’eau pour la passer à son amie.

'Splof' ! La demi-drow perdit volontiers l'équilibre - Ooooh une porte ouverte...! -, finissant sur le lit de la wandraise, dans sa petite chambre. Toujours d'ces odeurs d'plantes... Pas d'celles qu'j'ai l'habitude... L'en a pour planer p'tètre ? Souriante, elle regarda béatement la sauvageonne s'activer autour d'elle. Là où la demi-sang n'occupait que le lit de 'sa' chambre, la femme du Nord elle s'était appropriée le petit espace, le rendant plus verdoyant que tout le quartier sans doute ! Et, comme toute habitante des bas-fonds qui se respectent, la demi-drow s'y vautrait avec autant de délicatesse qu'un sac de céréales. Très lourd, et très... Mou.

"Ouai, j'sais... gloussa-t-elle à moitié, tout en levant sa bouteille entamée. T'en veux ? L'est bon, bien doux..."

Comme s'il était nécessaire d'illustrer, se redressant à moitié, la Grise se prit une bonne lampée. Bon, quelques gouttes finirent sur sa chemise, mais rien de trop inhabituelle. Avec un soupir de satisfaction, elle abaissa la bouteille pour darder sur son amie un regard d'une vivacité... Inouïe.

"Des trucs... Comme j'pensais pas... En entendre 'vant qu'les Dieux s'repointent, p'tètre... Avec un grand sourire, elle se redressa en position assise. Attend, j'vais t'dire, pis tu m'diras... Si ça t'dis que'que chose. Se penchant, une lueur dans le regard, la Grise énonça vaillamment, sans guère se préoccuper du fait que tout mâle à la place de Sorsha aurait eu du mal à la regarder dans les yeux, vu son - éternel - décolleté - donnant sur peu de chose - et sa position. C't'un truc... Qu'marche sur deux jambes... Pis qu'a deux bras... Une tête... Pis des cheveux... Mais si c'tait qu'ça... Elle gloussa, des mèches noirs s'égayant sur sa figure joviale. Parait qu'ça a aussi... Des muscles comme des troncs d'arbre... Qu'c'est grand... Pis qu'ça a une voix grave... Un r'gard qui t'réchauffe l'bas ventre... Pis qu'les filles savent pas si son outillage tiendrait dans leur main."

Si la demi-drow avait jamais eu un sens de la retenue et du savoir vivre - quelqu'un avait essayé de lui apprendre, mais à part pour jouer des rôles, au quotidien, ce n'était pas trop ça -, avec ce qui lui coulait dans le sang, ce n'était plus trop d'actualité. Et puis, les ragots de bordels ne faisaient guère dans la subtilité. Avec un sourire chafouin, elle ajouta, luttant un peu pour garder la tête droite et observer Sorsha :

"T'vois d'quel truc... J'veux parler ?"

Sorsha jeta un regard de côté en direction de la Grise. Elle pouvait comprendre la surprise de son amie. Il n’y a pas si longtemps, Sorsha avait été particulièrement véhémente sur le fait qu’elle trouvait les hommes indignes et qu’elle ne comprenait pas qu’on puisse vouloir faire ça. Naturellement, c’était sans savoir tout ce que ça impliquait vraiment. Son regard sur la chose avait changé, mais ça ne voulait pas forcément dire que tous les hommes pourront goûter maintenant que l’un d’eux avait ouvert le chemin.

Tout en continuant de travailler, elle écouta la description très sommaire qu’on lui avait faite du wandrais qui pouvait s’appliquer à toute créature humanoïde de sexe masculin. Sorsha ne cacha pas sa grimace en réfléchissant à la manière de rectifier les faits. Son regard se posa sur le pilon qu’elle tenait encore dans ses mains… Pas le gros embout, naturellement, mais la partie plus étroite. Elle était conséquente, mais tout de même assez près de la réalité. « Gros comme ça. » Expliqua Sorsha en brandissant l’objet. « Et long comme ça. » Elle posa le mortier sur la table et démontra la longueur de l’outillage en question avec ses deux mains. Sorsha ne saurait pas dire s’il était bien pourvu si on le comparait avec d’autres hommes, mais La Grise pourra dire qu’il est effectivement bien outillé, surtout que Sorsha n’avait pas l’habitude d’exagérer et s’en tenait à ce qu’elle voyait. « C’est un guerrier… et un Wandrais… comme moi. Il va me ramener à la maison… s’il ne se fait pas tuer dans cette stupide arène. » On sentait l’amertume dans les derniers mots de Sorsha. Il peinait encore à digérer le fait qu’il ait choisi volontairement de retourner au combat.

Autant dire que la demi-drow ouvrit des yeux ronds quand son amie, imperturbable, clarifia un certain point. Éclatant d'un rire lourd, où se mêlait amusement, stupeur et un poil de gras, la Grise couvait sa 'camarade' d'un regard de connaisseuse - avec un semblant de bénédiction ? Quelque chose du genre -, tout en écoutant d'une oreille distraite. C'est que sa bouche faisait beaucoup de bruit.

"T'l'as FAIT ! Hohoho - hic ! - ! J'me barre que'que ennéades, et v'la qu'toi, tu t'fais du bien ! ENFIN ! ELLE EST DES NÔÔÔTRE ! E-Elle a couché comme les, les... Ouh, ma tête... COMME LES AUTRES ! VOILA ! WOUH ! ELLE A EU UN GARS, ET MAINTENANT... Qui qu'c'est t'as dit ?" L'air à la fois joviale et un peu égarée, dans son enthousiasme, la demi-sang s'était affalée en direction de la guérisseuse.

Avec un peu de retard, elle venait de comprendre ce qu'elle avait entendu, et les informations tentaient de faire sens dans sa tête chevelue.

"Wandres ? WANDRES ? Mais comment qu'tu... Dans tout Thaar, tu t'trouves un copain... Mais c'est qu'vous vous r'trouvez bien ? Les Esprits, j'sais pas... ? baragouina-t-elle, l'air de réfléchir et d'avoir un peu mal à la fois, jusqu'à ce qu'un sourire la soulage de tout ça. Et comment qu'c'était alors ? L'était bon ? Où donc qu'vous avez fait... ? Pfff, pas ici, les filles auraient dit plus... Pis la mère qu'était énervée... Pfff, tu m'racontes un peu ?"

Toute joviale, tenant sa bouteille comme un enfant sa peluche, la Grise semblait être légèrement passée à côté de certains détails. Maih, eh ! Si la wandraise pensait pouvoir taire la chose en changeant de sujet, elle se mettait le doigt dans l'oeil jusqu'au coude ! Ou pas ! C'est qu'elle pouvait presque faire peur quand elle se montrait de mauvais poil, la wandraise.

Sorsha regarda La Grise se tordre de rire sur son lit. Sentait-elle de la fierté dans la réaction démesurée de son amie? Peut-être. En tout cas, elle ne cachait pas sa joie et avec tout le bruit qu’elle faisait, on devait l’entendre jusqu’à l’étage. Du coup, dès que Sorsha sortira de sa tanière, les autres commères de la maison s’y mettront aussi. Comme si elle venait de réaliser un exploit! Certes, si l’on se fiait au discours qu’elle tenait il y a peu de temps, personne n’aurait imaginé que ça puisse arriver aussi vite. Il n’y a que les imbéciles qui ne changent jamais d’avis.

Autre fait qui étonna la demi-sang, c’est que l’homme en question venait lui aussi des Wandres. Ce n’est pas à Thaar qu’on penserait en trouver, pourtant, ils n’étaient pas si rares si l’on savait où chercher. On appréciait leur présence dans les arènes pour leurs qualités de combattant. La réputation de féroces guerriers des Wandrais n’était plus à faire et les gens étaient prêts à payer pas mal d’argent pour les regarder s’affronter. Sorsha reconnaissait la beauté brutale d’un Wandrais sur le champ de bataille, mais ne voyait aucun intérêt à les voir se battre dans une arène. Il n’y avait aucune signification, aucun but sauf celui de rester en vie. Ce n’était qu’une boucherie commanditée par des gens qui voyaient en eux que du bétail. Oui, Sorsha ne cachait pas son amertume de savoir qu’Uthred avait accepté de se battre. Elle lui avait fait clairement comprendre que s’il lui arrivait quelque chose, il allait le payer.

« J’ai eu un doute. » Commença Sorsha tout en regardant son amie. « Esprits vraiment exister? Maintenant je sais… Je suis venu ici pour le trouver et le ramener. Voilà pourquoi Esprits t’avoir mise sur mon chemin au début. Il y a toujours une raison, il ne faut jamais douter. Jamais. » Mais elle reconnaissait qu’avant de trouver la raison, il pouvait se passer un certain temps…

Évidemment, la curiosité de La Grise ne pouvait pas se satisfaire de si peu. Elle voulait les détails croustillants. Sorsha laissa son ouvrage et vint s’asseoir à côté d’elle sur le lit. Il faut dire que la jeune femme, aussi bruyante qu’elle puisse être, était sa seule véritable amie ici, sinon la seule qu’elle ait eut dans toute sa vie. Aussi loin qu’elle puisse se souvenir, Sorsha n’a jamais aimé les gens et ceux-ci le lui rendaient plutôt bien. C’est un peu grâce à elle qu’elle sortait enfin de sa coquille. La Wandraise soupira longuement. Elle pourrait en parler avec plein de détails dans sa langue maternelle, mais dès qu’il était question de l’Olyant, même après tout ce temps passé ici, c’était laborieux.

« On l’a pas fait ici… J’aurais pas voulu ici. Ta mère le faire payer sinon. » Elle lui jeta un regard de biais. La Grise pouvait difficilement la contredire là-dessus. La vieille devait déjà être assez déçue de ne pas avoir pu faire une enchère sur sa virginité. « C’était dehors, près d’une source. C’était bien… très bien. Je veux recommencer, mais l’idiot va se battre dans une arène. » L’expression de Sorsha se renfrognant. À peine les premiers émois commencés qu’elle éprouvait de la frustration envers l’être aimé. Ça voulait surtout dire qu’elle tenait déjà beaucoup à lui...