Mêlez-vous de nos affaires, je vous prie | Aegden

2ème enneade de Karfias

Marchant au parmi des badauds de mieux en mieux vêtu, la Grise tenta de se rappeler ce qu'elle fichait là. Puis, un caquettement familier le lui rappela, l'extirpant de sa rêverie avec la douceur d'un pincement sur avant-bras... Ce qui la fit glapir de surprise plus que de douleur.

"Ma fille, un effort !" râla la matrone pendue à son bras.

Redécouvrant ce visage si familier, désormais fardée avec un goût douteux qui allait de soit avec la toilette précieuse - celle normalement cachée au fin fond du placard de la dame -, la demi-sang se rappella. Oui. Elle avait eu le malheur d'accepter d'aller marcher avec sa mère. Et, cela ne changeait guère, après les communes nouvelles et préoccupations était venu le temps des projets rocambolesques de sa mère pour sa progéniture. Enfin, quoi de plus naturel ? Rien que n'accepta la Grise, depuis les décennies qu'elle souffrait le même discours et y répondait sur un même ton, quand elle ne s'abimait pas dans le silence par lassitude. Ce qui venait de lui être reproché.

"C'est pour ton bien que je fais ça, tu le sais...
- Oui M'ma...
- Tu ne peux pas continuer à errer ainsi... Qui sait dans quel état je vais te récupérer la prochaine fois ?
- Je m'en sors très bien depuis l'temps...
- Très bien, c'est vite dit ! La fois où tu es revenue la jambe ouverte, tu t'en rappelles ?
- J'me suis rangée d'puis M'ma...
- Et celle où Mélissandre te trouva par terre, à quelques rues ?
- Je m'en suis vite remise !
- Et la fois où ..."

Cela enchaîna sans grande surprise avec d'autres exemples, qui menèrent à la conclusion de la vieille mère, qui ne connaissait comme seule voie de sortie pour les femes que de se trouver un charmant mari, ce à quoi la Grise répondait avec une grande philosophie : "Mon cul, j'en fais c'que j'veux." Cela ne manquait pas de contrarier la matrone vêtue de fanfreluches, qui n'en démordait pas pour autant. Et la mère et la fille de continuer bras-dessus bras-dessous, semblant prêtes à se sauter à la gorge tout en marchant d'un bon pas, à la même cadence. L'étrange duo, constitué d'une mercenaire - enfin, c'était une supposition envisageable étant donné sa tenue masculine et la lame à sa hanche - et d'une dame vêtue d'atours trop criards pour être de qualité, continuait ainsi son chemin, s'enfonçant dans la Haute-Ville. La Grise n'appréciait guère, tout en faisant contre mauvaise fortune - elle logeait chez sa mère, le temps de retomber sur ses pieds - bon coeur - elle souffrait ses intentions sans trop s'en offusquer -. Après une pique d'intensité dans l'éternelle discussion, sa mère s'arrêta soudain pour alpaguer un riche badaud.

"Excusez-moi mon bon sir, je ne suis qu'une humble mère qui désespère de voir sa fille marier convenablement. Elle n'écoute plus guère sa mère, cette coquine. Auriez-vous des conseils à lui donner ? Que devrait-elle rendre plus agréable chez sa personne ?" minauda-t-elle en affectant un âge plus prononcé.

Autant dire que la demi-drow piqua un fard d'être ainsi exposée, d'autant plus que la figure de l'individu répondit clairement 'Tout.' avant même qu'il n'ait ouvert la bouche. Saleté de peigne-cul ! Avec la douceur d'un buffle, la Grise tira sa mère en arrière, délaissant aussi sec le gars sans prendre en compte les propos agacés que cela déclencha.

"Te rends-tu compte de ce que tu me pousses à faire ? Enfin, tu aurais pu l'écouter au moins !" s'énervait la vieille tout en offrant une certaine résistance.

Les oreilles frémissantes de gêne et de colère dans sa tignasse noire, la demi-drow se calma bientôt, ne souhaitant pas attirer l'attention d'un quelconque garde. Peu nombreux dans les Bas-Quartiers, ils étaient fichtrement plus réactifs ici, les salauds. Il n'y a pas à dire, sa génitrice avait de l'imagination pour tenter de lui forcer la main !

"T'es pas croyable... D'abord mon cul, pis ma gueule ! Laisse-moi me débrou- !
- D'accord, d'accord ! J'reconnais qu'il avait p'tète un balai dans l'derche c'lui-la... Ah, mais tiens, un peu d'exotisme ? T'm'avais pas dit qu'tu t'étais entichée d'un saltimbanque ?"

Et de nouveau la demi-sang fut tirée vers un nouvel inconnu... Qui s'averra bien plus atypique que l'autre, détonnant parmi les habitants de la Haute-Ville - déjà très colorés - par sa nature purement elfique... Et sa tenue. Qu'est-ce qu'il fiche là lui ? se demanda la demi-drow, plus intriguée qu'énervée par cet énième inconnu prestement invité à...

"Excusez-moi mon bon, auriez-vous un instant ? Que pensez-vous de ma fille ? Ne ferait-elle pas un bon parti ? Ou une bonne artiste ?"

Ce n'est pas la même chose ! La pensée demeura pensée, alors qu'un pincement au poignet prenait la Grise au dépourvu.

Qu’elle était désagréable cette ville. Elle était laide dans un premier temps. Pour avoir vécu toute sa vie dans la cité blanche d’Anaëh, Aegden trouvait sincèrement cette cité aux murs aussi infinis qu’oppressants tout bonnement laide.

Et puis parmi les murailles labyrinthiques il y avait les habitants. Ils étaient odieux les uns envers les autres,  accordaient un prix matériel à une vie qui n’était pas sensé en avoir, dénaturaient tout ce qu’ils semblaient toucher. Leur parole rendues incompréhensibles par le brouhaha de la rue, en plus de leur langue étrange contribuait à appesantir l'atmosphère désagréable.

Même s'il portait une tenue à la mode vaanie et qu'il faisait au mieux pour se fondre dans le paysage, il était bien conscient qu'il devait quand même détonner un peu. Il appréciait peu les quelques regard que les passants pouvaient poser sur lui.
Le seul point positif c'est qu'au moins son identité d'emprunt de saltimbanque danseur n'était pas si difficile que ça à supporter puisqu'elle partait d'une réalité. Une réalité déformée certes, mais il ne partait pas de zéro.

Enfin, il ne trouvait pas ce qu’il cherchait et ça l’agaçait. N’y avait donc-t-il pas d’équivalent de l’Amphitéatre des Telüiime dans cette fichue cité ?!  N’y avait-il pas d’endroit où se réunissaient des artistes en tout genre ? Il aurait bien voulu voir à quoi cela pouvait ressembler ici, mais visiblement ça n’existait pas. Il n’y avait la place que pour la crasse.

Il tournait en rond. Il venait de s’en apercevoir lorsqu’il s’arrêta brusquement. Un homme derrière lui le bouscula, ne s’attendant certainement pas à ce brusque arrêt. Il ne prit d’ailleurs même pas la peine de s’excuser et continua son chemin. L’elfe n’eut droit à un regard méprisant qui acheva de lui faire détester l’ambiance de cet endroit.

Un caquètement dans son dos le tira de ses pensées. Lorsqu’il se retourna il se retrouva nez à nez avec une vieille femme et…une drow ? Il eut un mouvement de recul, et puis il remarqua ses cheveux noirs et ses yeux tout aussi sombres. Non pas une drow, une hybride. Son air d’abord totalement pris au dépourvu se changea en un air à moitié dégoutté. Les Arïn et les Daehdels n’étaient déjà pas des créatures appréciables, alors un mélange des deux…

Il avisa les deux femmes avec méfiance. En plus l'hybride avait une arme à sa ceinture, qui sait ce qu'elle voulait vraiment...

La question de la plus vieille, s’il en saisit le sens général. Il n’en comprit absolument pas la raison, à tel point qu’il se demanda un instant s’il n’avait pas mal comprit.

-Qu’est-ce que vous voulez ? Demanda-t-il  afin qu'elle répète plus doucement.

S’il parlait plus ou moins l’oliyan, au moins de manière compréhensible, il était impossible de ne pas entendre l’accent elfique même sur une si courte phrase.

C'était quoi ça ? se demanda la Grise, alors que l'elfe répondait posément, non sans s'être reculé au préalable. Quoi, qu'est-ce qu'il avait v- Ah, oui, ma mère. Elle baissa les yeux vers la mortelle, aussi charmante qu'une prune présentée dans un écrin de satin. Enfin, la comparaison était peut-être exagérée, mais il n'y avait pas de quoi en faire un p- Ou moi ? Vu son accent... Oh. Alors que sa fille était aux prises avec son interrogation, l'humaine, elle, n'avait pas perdu le nord, répondant avec un sourire obséquieux et un peu plus de lenteur à l'elfe supposé saltimbanque, tout en tenant presque élégamment le bras de sa fille. Bras dessus, bras dessous, la matrone trimbalait sa fille à marier - tout est une question de point de vue -.

"Mes excuses, mon bon. fit-elle. C'est d'un avis dont nous aurions besoin. Ma fille ne m'écoute plus guère quant il s'agit de son apparence, et je me plais à penser que, de la part de quelqu'un de bon goût comme vous semblez l'être, elle entendra raison et...
- Vous n'êtes pas obligé de lui répondre ce qu'elle veut entendre, vous savez. tenta de rattraper la demi-drow avec un sourire contrit.
- Mleshka, tes manières !
- Ne concernent que moi." répliqua du tac-au-tac la Grise, face à l'agacement de sa génitrice.

S'étant arrêtés, le trio formaient un petit îlot dans le vas et vient thaari de la Haute-Ville. Tout en surveillant le nouveau rigolo que sa mère avait décidé d'interroger, la Grise gardait un oeil sur ceux qui les frôlaient ou les contournaient. Sans doute y avait-il moins de fouille-poche dans cette partie de Thaar, mais les habitudes ont la vie dure. Et puis, à la place, il pouvait toujours surgir un garde. Devant lequel tu ne détaleras pas comme un lapin. A garder en tête... Tout en gérant une mère inquisitrice et un badaud qui n'a rien demandé et qui semble un brin... Stupéfait ? Le duo vieille mère bien vêtue et mercenaire demi-drow détonnait, c'est vrai.

"Ah, son comportement ! se lamenta sa mère tout en tournant la tête vers l'elfe, comme pour le prendre à partie. Peut-être auriez-vous à redire sur ce point aussi ? Qu'elle entende raison et soit plus à même de trouver une meilleure situat-
- Je m'appelle Mleshka et voici ma mère, Loa. coupa la Grise avec un sourire de polisson, pour reprendre l'initiative, adaptant sa diction comme son registre linguistique. Nous vous dérangeons peut-être ? Si vous cherchiez à aller quelque part..."

Voilà qui était plus diplomatique que l'approche de sa génitrice, qui s'en retrouva coit, prêtant enfin l'oreille à ce que l'elfe pouvait avoir à dire. Ne pas attirer l'avantage l'attention, cela importait à la Grise... Notamment en ne se mettant pas à dos le moindre badaud pour des histoires de famille absurdes.

Au final il avait bien compris la question la première fois.Malheureusement.Il se demandait si cela n’aurait pas été mieux de garder le bénéfice du doute…

Mais pourquoi elle posait ce genre de question la vieille humaine ? Était-elle devenue folle à force de vivre ici ? Ça le mettait mal à l’aise et s’il n’était pas persuadé qu’elles ne le lâcheraient pas si facilement, il aurait déjà fait demi-tour depuis longtemps.

-Mais pourquoi moi ? Je vous connais pas. Casa-t-il tant bien que mal alors que les deux étranges bonnes femmes se piaillaient dessus.

Il afficha un air totalement perdu devant cette situation totalement improbable. Même ici, il n'aurait jamais imaginé que deux créatures comme elles puissent l'aborder sans autre raison qu'une histoire d'avi subjectif à propos de l’apparence de l'une...

Puis la grise baragouina  finalement son nom et celui de celle qui était donc sa mère ,avant de finalement revenir à la raison et de comprendre qu’il n’avait pas que ça à faire que de subir leur piailleries.

-Merci heu, dame Mlel-che-ka ? Hasarda-t-il, buttant sur la prononciation d’un nom aux consonances trop étrangères pour lui. Oui je cherche…

Reculant d’un pas encore, il stoppa net sa phrase. La méfiance avait repris le dessus. Non il n’allait pas faire confiance à une hybride et à une humaine quand même ! Il ne pouvait pas se résoudre à leur demander quoi que ce soit. Elles seraient bien capable de volontairement mal le renseigner. En plus, ici on ne savait visiblement jamais ce qu’il fallait donner en échange du moindre petit bout de renseignement. Il trouverait bien le chemin tout seul à force. Il n’était pas désespéré à ce point.

La demi-drow demeura interdite devant le soudain silence de l'elfe, avant de pouffer. Un énième pas en arrière. Pour qui donc les prenait-il, pour reculer comme face à la vision de quelques affreuses créatures ? Sa mère, elle, en fut contrariée, lui faisant faire un pas en avant, lui tenant toujours le bras.

"He bien, que cherchez-vous ? dit-elle, sans être trop pressante, singeant plutôt la prévenance.
- Je ne crois pas qu'il désire nous répondre, m'ma. fit la demi-sang avec un sourire chafouin.
- Pah, vilaine fille, laisse-le donc répondre !" s'agaça la matrone.

La demi-drow roula des yeux, guère touchée par l'attaque, tandis que sa génitrice fixait avec intensité l'elfe, sans grande compassion pour ses airs d'égaré tombant face à des singes. Il doit pourtant en avoir vu d'autres ici... s'interrogea la demi-sang, tandis que le faux sourire qu'affichait Loa se fanait.

"Enfin, qu'y a-t-il à redouter d'une humble mère et sa fille ? Parlez, peut-être pourrons-nous vous aider. ajouta la vieille femme, affichant - enfin ! - des airs plus agréables, quoiqu'un peu tard d'après la Grise.
- Dites voir, vous n'êtes pas de Thaar, n'est-ce pas ? La demi-drow sentait que si elle laissait faire, sa chère mère aurait tôt fait de se changer en harpie outrée. Entre votre accent et votre tête devant... Enfin, j'ai déjà vu pire par ici.
- Qu'essais-tu de dire ?
- Nous sommes juste un bon exemple de ce que Thaar fait de mieux : le métissage !
- Allons, ce bon sire n'irait pas s'en offusquer, n'est-ce pas ?" fit l'humaine avec un sourire de connivence envers le badaud, appelant à une réponse similaire.

Comme s'il allait subitement changer d'avis face à votre incommensurable douceur ! Mais la demi-drow ne voulait pas en arriver à des échanges de noms d'oiseaux gratuit, pas ici - et elle en était fort attristée, et se serait bien essayé à quelques petites choses, dans un lieu moins exposé et habité -, elle préféra, de nouveau, tenter de se montrer raisonnable.

"N'est-ce pas là l'un des charmes de cette ville ? Toutes les races s'y côtoient, se rencontrent et copu- ajouta la tenancière de bordel avec naturel.
- Libre à vous de décider. la coupa la demi-drow, sentant sa mère prête à déraper de nouveau sur des sujets auxquels certains n'étaient pas habitués. Nous connaissons bien cette ville et saurons vous guider... A moins que vous y perdre plus avant ne vous plaise ?" fit-elle avec un air amusé, accumulant les suppositions.

Un chat ne fait pas des chiens, comme on dit. Même en tentant d'être sympathique, la Grise ne parvenait pas à se défaire d'une certaine... Outrecuidance.

Le métissage ? Ce que thaar faisait de mieux ? Hé bien ça promettait pour le reste alors… Ce n'était certainement pas le genre d’argument qui l'aiderais un tant soit peux à voir d'un autre œil ni les hybrides, ni la cité dans laquelle ils se trouvaient le plus. 

Il s’empêcha de lâcher une réplique cinglante  en plus d'un regard noir à la demi-drow et se contenta de soupirer à la phrase de son humaine de mère. C’est qu’elle devenait à la limite de la grossièreté la vieille femme…

D’un autre côté il était vrai que là il ne savait pas où aller. Et si on oubliait la pique désagréable de la grise, elle n’avait sans doute pas tord. Il ne valait mieux pas qu'il se perde un peu plus, ça risquait de devenir dangereux et sa couverture ne lui permettait pas de porter d'arme sur lui. D'ailleurs depuis le début de cet étrange séjour il avait dû lutter plus d'une fois contre le réflexe de chercher la présence d'une épée à sa ceinture ou d'une lance dans son dos.

L’elfe pris quelques secondes de réflexion, plissant les yeux et fixant le duo haut en couleur devant lui, puis il  fini par lever les yeux au ciel. Soit. Il accepterais leur aide, et au moindre élément qui clochait il ferais demi-tour fissa et rentrerais en sécurité. Peux être qu'il aurait dû demander à un serviteur de leur hôte de le guider dès le départ au final...

-Bon d’accord. Il espérait qu’il n’aurait pas à le regretter. Oui je ne viens pas d’ici mais je crois que c’est remarquable. Je cherche…

De nouveau il hésita. Cette fois ce n'était pas par méfiance que sa phrase s'était interrompue. C'était plutôt par manque de vocabulaire. Comment pouvait-il leur dire ce qu’il chercherait alors qu’il ne savait même pas si ça existait ?

-Je ne sais pas comment vous dire ça. Il avait l’air perplexe. Un heu...Amphitéatre ? Il ne savait pas dire ce mot en Olyian. Il devait faire plus simple. Je fais partie d’un groupe de saltimbanques. Il y a un  endroit où on peut trouver des artistes comme ça d’ici ?

Ouh, que c'la lui coûte. S'amusa la demi-drow, tout en écoutant le 'saltimbanque' rendre les armes et accepter leur secours. Bon, par contre, ce qu'il demandait... La mère et la fille s'entre-regardèrent avec perplexité.

"Qu'est-ce qu'il a dit ? s'étonna l'humaine.
- Un amphithéâtre. répondit la Grise, non sans une certaine satisfaction d'avoir compris le mot elfique - tant qu'on ne lui demandait pas de le parler... -, avant de relever ses mires obscures vers l'elfe. A Naélis je vous aurais conseillé le temple d'Arcam, mais il n'y a rien de tel ici. Les... Artistes se trouvent en général un bon coin où il y a du monde, s'arrangent avec des commerçants, ce genre de chose... Elle jeta un oeil à Loa. Le Bazar couvert, qu'en penses-tu ?
- C'est une bonne idée ! J'y ai vu plusieurs jongleurs l'autre jour. Très doués avec des couteaux ! se remémora la vieille avec un sourire appréciateur.
- Et les gardes ont laissé faire ? fit la demi-drow, non sans un sourire en coin.
- Ho ho, t'en sentais qu'avaient la lame qui les démangeait... Mais y en a un qui s'marrait bien et qu'lui a filé sa prop' lame ! Et l'jongleur a pas moufté d'en avoir une en plus !
- Cela me semble donc un bon lieu où chercher, alors. fit la demi-drow, exagérant légèrement les mots tout en pressant subtilement le bras de sa génitrice, pour lui rappeler comment parler 'correct'.
- J'y ai vu Mehi aussi, il se débrouillait bien..."

La Grise insista un peu, avant de se tourner vers l'elfe. Non, elles n'évoqueraient pas Mehi. Cela valait mieux pour l'elfe. Non pas que le gars fut particulièrement dangereux, loin de là ! Il divertissait simplement les badauds avec beaucoup d'agilité et tout autant d'astuce, par de petits jeux qui lui servaient à mettre son public en confiance afin de lui faire perdre le plus souvent. Très agréable à regarder, mais les pièces avaient tendance à partir vite. C'est qu'il avait un sourire moqueur à croquer, le bougre. Donc non, évoquer ce jeune elfe-la n'était pas nécessaire.

"Qu'en dites-vous ? Cela se trouve dans d'autres quartiers, cela dit... Elle fit un clin d’œil amusé au saltimbanque à la chevelure flamboyante. Si cela ne vous effraie pas plus que ma frimousse.
- Roh, mais tu n'arrêtes jamais... la morigéna sa génitrice, sans parvenir à sembler tout à fait fâchée. Nous pouvons vous montrer le chemin et... Peut-être pourrez-vous nous parler d'où vous venez ? Ainsi que de votre spectacle ?"

Voilà qu'elle est tout miel maintenant... En tout cas, que l'elfe accepte et ils pourraient se mettre tranquillement en chemin... Et laissez derrière eux ces fichues Soieries ! Quoique M'ma f'ra marrer les copains s'ils la voient comme ça. Non pas que la vieille femme redoute encore le moindre on-dit...

Il n’avait pas forcément compris toute l’étendue du dialogue entre la fille et sa mère. Mais il en avait compris assez pour qu’un semblant de curiosité s’affiche sur son visage, la pointe de ses oreilles se redressant un peu comme celle d’un félin.

Il espérait juste qu’elles ne le mèneraient pas trop loin ni dans un endroit trop mal famé. Il était certes un militaire,il savait certes se défendre,il n’avait pas envie de prendre de risque au sein de cette étrange cité.

-Je vous en remercie, fit-il mine d’accepter leur proposition de le guider, oubliant sans y faire attention le reste de sa proposition. J’aimerais beaucoup voir.

Et ainsi le trio improbable se mit en mouvement. L’elfe hésitait toujours à se dire s’il avait fait le bon choix ou non. Mais au final, aussi bizarre étaient-elles, les deux femmes n’avaient montré aucun signe inquiétant, alors ça allait.
Pourtant une question subsistait toujours.

-Pourquoi est-ce que vous m’aidez? Demanda-t-il après quelques mètres. Je n’ai pas de quoi vous payer, ni rien à échanger…Il avoua dans un soupir tout en continuant de suivre leur rythme de marche.

 L’or, ce satané or qui obsédait tant les mortels, ici. Il ne pouvait pas s’empêcher de se demander si leur geste n’était pas simplement motivé par cela. D’un naturel méfiant, il l’était d’autant plus vis-à-vis de cette ville et de ces habitants. Il aurait beau faire tous les efforts du monde, il n’arrivait pas à mettre cette méfiance de côté.
Et puis avec la méfiance, il y avait une forme de curiosité aussi. Parce que justement, il était curieux de savoir s’ils étaient vraiment tous irrécupérables à n’en plus finir dans cette ville…

-Là d’où je viens, nous aidons avec joie notre...Il hésitât sur le mot, prochain,mais je ne crois pas que ce soit vraiment la mode ici…

Tout en avançant au rythme du saltimbanque - quoique, question longueur de gambette, c'était lui qui menait -, la mère la fille s'entreregardèrent avec un semblant de... Surprise. La question n'était pas si malvenue que cela, dans Thaar, la ville au mille palais & au mille tire-bourses, mais de là à sous-entendre que tout geste était forcément intéressé... J'fuis les Soieries et les gus qu'ma mère pourrait questionner, sinon, eh bien... Avec un sourire à la fois amusé et perplexe, la demi-drow se tourna vers l'étranger, et se fit devancer en moins de deux par le caquètement improbable de sa génitrice.

"Même les pires voleurs ont leurs moments de désintérêt, mon garçon ! fit Loa, avec un regard presque... Attendri, pour la sorte de méfiance naïve de l'elfe. Ou alors c'est qu'ils s'ennuient ! Mais ici, même si l'on paye beaucoup de chose, la main tendue suite à une simple rencontre n'exigera pas toujours une pièce, voyons !"

Et la Grise de rouler des yeux en entendant ces propos. Décidément, sa mère avait un don pour être rassurante. C'est toujours plus plaisant de détrousser des sales cons, plutôt que des gentilles gueules trop méfiantes. Et puis j'ai arrêté y a longtemps. J'tiens à mes mains. Bien sûr, ces propos-ci ne franchirent pas la barrière de ses lèvres, pour une fois.

"Il y a de tout ici. préféra développer la Grise. De ceux qui disposent de tout et vous regarderont à peine, ceux qui n'ont rien et qui seront tantôt poussés par le besoin comme des élans d'humanité et tantôt vous détrousserons, tantôt vous aiderons sans rien demander en retour. Et vous pouvez déclinez ces gens en autant de nuances que de couleur dans un arc-en-ciel, certains aident, d'autres pas, de manière désintéressée, ou pas... Nous pouvons dire que c'est tout bonnement un bon jour et que l'on aime bien votre tête, et cela suffit. fit la demi-drow. Et, c'était plutôt vrai, mais elle ne s'arrêta pas là. Ou alors, nous avons des amis cachés à l'angle de la prochaine ruelle qui vous détrousserons sitôt que nous vous aurons assommé. Vous avez une bourse cachée sur vous j'espère ? Cela dit avec un air on ne peut plus malicieux... Qui se pinça brusquement de douleur et de surprise. Aïe !
- Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre comme histoire sordide... marmotta sa mère, tout en remettant son pied au bon endroit, et non plus sur celui de sa fille. Mais dites voir, mon garçon, si Thaar vous inspire aussi peu de bien que nos figures, pourquoi donc y venir ?
- Pour un spectacle, sans doute... maugréa la demi-drow.
- J'y viens, j'y viens ! fit la vieille en agitant la main, tout en poussant sa fille pour éviter un badaud un peu empressé. Ah, d'ailleurs, comment vous appelez-vous ? Et votre troupe, a-t-elle un nom ? D'après ce que vous dites, je suppose que vous venez du royaume elfe ? Enfin, je ne vois pas quelle ville vous laisserait aussi perplexe devant l'idée d'être aidé ici ! Que c'est intéressant ! Et la mine fripée de sourire avec une humeur de bonne enfant.
- Tu pourrais le laisser respirer... Et pourquoi aurait-il une troupe ?
- Enfin, je lui fais la conversation ! Il n'y rien de mal à cela ! Penses-tu qu'un elfe irait voyager seul ?" s'offusqua avec légèreté la matrone.

La demi-drow fit la moue : sa mère marquait un point.

Il avait un peu de mal à suivre le rythme de conversation des deux thaaries…Sans parler de leur langue, elles enchaînaient les idées à tout vitesse et lui laissaient à chaque fois à peine le temps de respirer. C’était déstabilisant. Et la plupart du temps il se contentait d'essayer de capter des bribes par-ci par-là en attendant qu'elle ne s'adressent à lui directement et surtout intelligiblement.

Et puis il y avait eu cette pique de la demie-sang. Il s’était contenté de plisser les yeux avant que sa mère ne la stoppe dans son élan. Il comprenait bien que c’était là une moquerie, mais il n’avait pu s’empêcher de se décaler un peu sur le côté pour s’éloigner d’elle, avec un regard de travers. Enfin, c'était ironique de se dire que c'était lui qui s'éloignait alors qu'il était certain de pouvoir se défendre au cas où elle aurait soudain soif de violence (ou de ''richesse"" qu'il avait déjà dit ne pas avoir). Il était militaire depuis quelques centaines d'années après tout. Mais ça elle ne le savait pas, bien entendu. Elle devait le croire quasi inoffensif, la naïve hybride.

Il eut un petit soupir lorsque les deux étaient de nouveau repartie pour se pailler dessus, mais au final, la plus jeune se contenta d’une moue enfantine qui lui laissait tout le loisir de s’exprimer.
Enfin loisir c’était vite dit…Mais il voulait bien se prêter à ce jeu pour une fois. Il pourrait toujours considérer que cela faisait partie de son rôle.

-Je m’appelle Aithruïn. Ça faisait toujours bizarre de se présenter avec un nom qui n’était pas vraiment le siens. Il camoufla son léger malaise par un haussement d’épaule.Et dire qu'il n'avait jamais été très bon menteur...Il avait surement dû faire des progrès phénoménaux depuis qu'il était ici. Et oui je fais partie d’un groupe qui vient d’Anaëh. Comme si son accent et ses manières d’agir ne le laissaient déjà pas assez deviner… On voulait apporter notre art ici, et on y a été invité. Et à l’occasion pouvoir voir ce qui se faisait là aussi j’imagine. C’est ce que je cherchais aujourd’hui. Voir comment sont vos artistes. Enfin avant de me perdre. Il marqua une pause, passant sa main dans ses cheveux  d’un air à moitié agacé moitié gêné avant de continuer. Notre prochain spectacle est pour dans peu de temps.

Il eut à nouveau  un petit sourire en se remémorant les heures d’entrainement passées et à venir pour mettre tout cela en place. C’était une sacrée routine qui s’était imposée à lui et Artiön qui serait son coéquipier pour ce spectacle, mais c’était loin d’être la pire des routines qui puisse être.

-Peux être que s'inspirer d'ici pourrait être bénéfique. Ajouta-t-il, lui même assez peu convaincu. Si l'art était à l’image de la cité, il n'y aurait sans doute rien de bien à en tirer...

En parlant d’image de la cité, ils commençaient à en apercevoir une autre à force de marcher et se rapprocher de plus en plus des quartiers populaires. La population se faisait d’apparence moins aisée.  Les rues plus étroites.  Commençait à réapparaître plus forte la désagréable sensation de  malaise que l’elfe avait ressenti a peine avait-il mis un pied dans la ville.

Aegden suivit du regard un humain famélique portant une caisse presque plus grosse que lui, jusqu’à ce que ce dernier disparaisse à l’angle d’une autre ruelle. C’était sans doute un esclave. Le danseur ne comprenait pas. Ce besoin qu’ils semblaient tous avoir ici à toujours devoir écraser la vie des autres…

 
Il ouvrit la bouche pour demander à ses guides si elles cautionnaient ça et son attention fut soudain attirée autre part.

Il s’excusa brièvement auprès des deux dames, oubliant au passage de s’exprimer en oliyan, et s’approcha d’un chien-ours couché dans un coin. La pauvre bête avait l’air de s’ennuyer à mourir là où elle se trouvait. Mais ce qui avait attiré l’attention de l’elfe c’était la corde à son cou. Serrée au point de certainement blesser l’animal.

-hé  toi ! Vire tes mains de ce corniaud !

Il eut à peine entrepris de l’en détacher, pensant que le limier se trouvait coincé ainsi par accident que son supposé propriétaire à quelques pas de là protesta vivement en remarquant la scène. Ce dernier, le genre de personne d’arrière fond auquel on ne prête jamais attention, avait jusque-là semblé en grande discussion avec une tierce personne ayant tourné les talons devant le grabuge.

Aegden lança un regard éloquent à ses accompagnatrices. L’homme en face avait beau s’être approché, gesticuler et hurler dans la ruelle heureusement quasiment vide, il ne comprenant pas un traître mot, pas plus qu’il ne comprenait la raison de la colère de l’homme….

Eh bien, c'est qu'il deviendrait loquace ! s'amusa la demi-sang, se faisant cette fois silencieuse... De même que sa mère, les dieux soient loués ! Enfin, elle acquiesçait à la moindre information. Sans doute eut-elle renchérie avec de nouvelles question si le dénommé Aithruïn n'avait pas soudain pris la tangente, alors qu'ils atteignaient les quartiers des quartiers moins riches. Je croyais qu'il était perdue ? S'étonna la Grise, faisant un pas dans sa direction avec un "He !" de surprise, sa génitrice s'étonnant à son côté de ce changement de comportement. Peut-être en avait-il eu assez de leur compagnie ? La Grise ne lui en eut pas tenu rigueur, elle-même espérant souvent être délivrée de sa mère. Mais les dieux se plaisaient à garder cette dernière bien vive. Toute à ses interrogations, la demi-drow regarda avec une certaine stupeur l'elfe s'approcher d'un corniaud... Et se faire enguirlander par le supposé propriétaire. Mais c'est qu'il nous regarde en plus ? que la gnôle lui crève la panse, qu'avait-il en tête ?

Sa mère, elle, n'avait pas hésité.

Lâchant sa fille qui semblait peu dégourdie, la vieille femme, toujours dans sa fausse tenue de bourge péninsulaire ayant abusé de la dentelle, s'approcha à grand pas du gaillard, telle une furie protégeant un oisillon. En retrait, la Grise la regarda faire en se mordant la lèvres. M'man, qu'es-tu fiches !?

"Dis-donc m'gars, ça s'fait pas d'héler l'garçon comme ça !
- M-mais de quoi j'me mêle la gourdasse ? fulmina les gaillard, tout en écarquillant les yeux face à la tenue détonnant un peu.
- J'me mêle qu't'as une d'trogne d'sale môme qu'connait pas la politesse, morpion !
- Tu t'entends mémère ?! Dégage avant qu'j't'en colle une !
- Viens-donc, j'en ai déculloté des plus hargneux qu'toi alors qu'tu tétais ta morveuse d'mère !"

Et la matrone de tempéter en coeur avec l'homme, ce dernier agitant le poing sans oser mettre sa menace à exécution, sous le regard des badauds vaguement intrigués par cette prise de bec. A vrai dire, cela ressemblait davantage à une bataille de verve et de pif qu'autres chose, mais la Grise gardait un oeil sombre sur le gaillard... Tout en tirant Aithruïn un peu en arrière, lui opposant une figure contrariée.

"Qu'est-ce qu'vous prend, par l'cul d'Arcam ? pesta-t-elle un instant... Avant de se rappeler à qui elle avait affaire. Attendez, c'est le chien qui vous embête ? Mais... Vous... Elle s'étrangla un instant, cherchant quels mots apporterait un peu de bon sens thaari dans la caboche elfique. Vous comptez faire quoi ? Aider toutes les créatures de cette putain de cité ? Vous aurez besoin de plus d'une éternité ! Ou vous comptez les racheter à tous les propriétaires un peu brutaux ? Hein ? Vous voulez faire votre spectacle tranquillement ou énerver la moitié de la ville en vous mêlant des affaires des autres ?"

L'agacement rendait sa prononciation un brin plus rude, bien que la demi-drow tâcha de demeurer compréhensible, sans faire usage du patois dans lequel sa mère était retombée sans hésitation afin d'engueuler l'homme au chien, ce qu'elle continuait de faire avec énergie, l'homme se montrant pour l'instant aussi buté qu'elle, sous le regard de l'animal couché leurs pieds. Et puis, entendre sa mère s'agacer après quelqu'un donnait à la demi-sang l'impression d'être la suivante sur la liste. Ce que cela l'agaçait !

 L’homme sembla décontenancé une demi-seconde par la matrone en furie. C’est que même à Thaar, ce genre de vieille bonne femme ne devaient pas être monnaie courante.

-hé ho…heu…Bon La vieille tu baisse d’un ton maintenant ! L’homme sembla soudain reprendre son courage, envolé à cause de la surprise. Il pointa un doigt accusateur vers la dame. Ce chien allait rapporter un paquet de fric que ton pote viens de me faire perdre ! Vous êtes quoi ? Un groupe de voleurs à la tire ? Vous arnaquez les gens en vous faisant passer pour…pour quoi d’ailleurs ?! Il avisa un à un ses trois interlocuteur, ne prêtant même pas attention au fait que les deux autres s’étaient reculés. C’est que ces trois là n’avait en fait rien en commun en fait…

De son côté, Aegden avait beau ne pas être bilingue, il comprit les accusations de l’homme. Et ce qui ne devait être que la frustration d’être pris pour un idiot ou un enfant par la fichue grise se transforma en réelle exaspération.

-ça commence à m’agacer. Il libéra sèchement son bras de l’emprise de la dénommée Mleshka. J’ai pas besoin que vous me fassiez la leçon ! Gronda-t-il à son attention. L'homme en colère passerait après sa guide. Comment je pouvais savoir que dans cette satanée ville, étrangler un chien revient à se…l’approprier ? Il pinça l’arrête de son nez entre son pouce et son indexe. Par la Mère ! C’est quoi le problème ici ?

Le problème ? Oh ce n’était qu’une question rhétorique. Il savait parfaitement où il était ledit problème. Il était omniprésent ici le problème. Entre la suffisance des éphémères, leurs prétendus droits et les pouvoir qu’ils s’arrogeaient…

Le chien quant à lui s’était recroquevillé au pied de son propriétaire. Sans doute pouvait-il sentir la colère de ce dernier. En revanche lui aussi grondait. Sans doute avait-il été dressé dans un autre but que servir de compagnie à l’homme aux traits déformés par la colère et un soupçon de paranoïa...

Telle une vieille chouette, la matrone sembla gonfler de contrariété, reniflant bruyemment face à la tirade accusatrice du badaud. Il osait lui pointait un doigt, hé ? Il osait les traiter de VOLEURS ? Oh non, cela ne se passerait pas ainsi, oh que non ! Faisant un pas vers l'homme, nullement décontenancée, la vieille répliqua avec plus de verve encore.

"Qui donc ? Mais d'honnêtes gens, tudieu ! Pas comme toi qu'veux r'filer c'sale bête qui m'grogne d'sus ! La matrone ne lâcha pas le marchand du regard.
- Qu'est-ce t'as à r'dir sur m-
- Qu'ton corniaud a l'oeil mauvais, j'te l'dis ! Qu'si l'gus est parti, c'est qu'il l'a vu ! Qu'ta bête, t'la crèves à moitié 'vec ta corde ! Et la vieille d'avancer encore, de sa stature rabougrie emmitouflée dans des dentelles ridicules.
- Qu'est-ce tu m'chantes !? Une bête pareille, si elle vaux pas d'l'or...!
- Et ma main dans ta trogne, ça t'f'ra un souv'rain ?!"

La tenancière de bordel n'en démordait pas, attaquant la défense du gars par la moindre interstice, affirmant haut et fort qu'elle avait raison et lui tord, que c'était une bête dans un sale état, que cela ne devait pas être le premier acheteur à se débiner, que... De vérité, il n'y avait que celle qu'elle clamait haut et fort, cela, elle l'avait appris de longue date ! Pas de pitié en commerce !

La Grise, elle, atterrée, fixait l'elfe énervé. De quoi l'cordage ? Pour sûr qu'le gus détient l'bestiaux ! Peut l'frapper, l'étrangler, l'bouffer s'ton piffe qu't'aurait pas à braire ! Par l'cul ma pute d'mère, où donc qu'tu t'crois nigaud ?! Cela, elle le lui aurait bien cracher au visage, à cet artiste venu de loin, défenseur des bêtes opprimées. Qui était-il donc pour se pointer à Thaar et pleurer sur le devenir de la moindre bestiole ?!

La demi-sang eut pu l'enguirlander derechef, au lieu de quoi elle se plaqua la main sur la figure, expirant un grand coup. C't'un nigaud, mais un nigaud qu'a un bon fond. L'est paumé, c'pas son genre d'ville, y connait pas... Dire qu'elle avait échappé aux questions ridicules de sa génitrice pour ça. Quoique... J'préfère encore ça. Lui j'peux lui en coller une, pas à ma mère. Cela lui tira l'ombre d'un sourire.

"Je... Disons que crier servira pas à grand chose, d'accord ? Je m'excuse. dit-elle, ravalant une injure d'agacement. Ecoutez, cette bête est à lui, il peut en faire ce qu'il veut. C'est Thaar, c'est comme ça. Si vous avez à y redire, allez en parler avec les Princes Marchands. Ils vous accueilleront gentiment - peut-être - puis vous renverront avec de gentils mots, parce qu'ils n'ont rien à faire de votre avis. Ici, c'est leur loi qui règne, la loi de l'argent. Et ce n'est pas avec de belles intentions que vous y changerez grand chose."

-Ce corniaud l'est dressé par les meilleurs. Au doigt et à l'oeil y m'obeït, et y a pas une bestiole qui peux le battre. Il vaut une fortune, pas question de le vendre. Vous y connaissez rien ça s'vois.

L’homme renifla bruyamment en ayant l’air de mépriser la vielle femme comme si elle n’était rien de plus qu’une fourmi. Il ne semblait guère intimidé par cette vielle bique. Son chien grondant et montrant les dents à ses pieds n’y étant surement pas pour rien.

-Ecoute j'ai une idée. J'oublie ça, si on m'rembourse l’argent que j’aurais pu m’faire si ton…ami m’en avait pas empêché. Il lança un regard assassin vers le duo en retrait. Et puis un rictus mauvais, plus qu’en colère, il semblait surtout avoir trouvé un moyen de tirer avantage de la situation... Si z’êtes aussi honnêtes que vous l’dite ça devrais pas poser d’problèmes.

Evidemment de son côté l’elfe regrettait son geste. Mais comment aurait-il pu réagir autrement ? La grise lui faisait des reproches stupides. ‘’C’est Thaar c’est comme ça’’. Dieux que  a l’exaspérait. Ses paroles à la limite de la condescendance un peu plus encore.

-Oh, j’ai bien compris à quel point cette ville était…pourrie merci ! Explosa-t-il, ne faisant au passage plus autant d’effort pour effacer son accent. Inutile de me prendre pour un idiot ! J’ai bien compris la leçon ! Si vous trouvez ça normal, je ne peux rien pour vous. Il avait l’air profondément dégoutté et la fragile confiance envers sa guide, envolée. 

Quant aux revendications de l’homme, même s’il avait voulu les accepter –et ce n’était pas le cas- c’était impossible pour lui. Et c’était probablement la seule raison pour laquelle il était encore là. Il ne savait pas trop comment s’en sortir mais il ne pouvait pas non plus délibérément se résoudre laisser les deux femmes dans cette galère. Pourtant il commençait à sérieusement envisager cette solution…

Un sourire narquois aux lèvres, le propriétaire du chien semblait attendre que les deux cessent leurs chamailleries et qu'on lui donne son dû. Ou du moins ce qu'il considérait être son dû...

On oublie le bon fond, c'est qu'un nigaud. Les mains sur les hanches, la demi-drow haussa les épaules, l'air soudainement ennuyé par ce qu'elle avait sous les yeux. Y veut pas s'calmer ? Qu'y s'énerve contre l'ordre des choses si ça lui chante ! On d'vait qu'le conduire auprès d'artistes. Avec un peu d'chance, p'tète qu'eux, il leur dira pas qu'ils marchent sur la tête... ! Quoique, si c'est leur gagne-pain... Alors que les paroles orageuses de l'elfe se dissipaient à ses oreilles, la Grise lui adressa un sourire qui ne montait pas jusqu'aux yeux.

"Vous ne sortez pas beaucoup de votre forêt, n'est-ce pas ? dit-elle avec une tranquillité aux échos mordeurs. Enfin, puisque vous êtes si motivé... Pourquoi pas ?"

Brusquement, elle s'approcha, et lui asséna une accolade sans douceur dans le dos.

"Si vous voulez faire quelque chose pour cette pauvre bête, je ne vais pas plus vous retenir..." lâcha-t-elle, comme rendant les armes.

Là, la demi-drow poussa l'elfe vers le marchand. C'est qu'il était grand le salaud, mais elle y mit ce qu'il fallait d'agacement et d'énergie pour au moins lui faire faire un ou deux pas pour le rapprocher, suffisamment pour accrocher le regard des deux énergumènes, tout en évitant de marcher sur l'animal qui montrait les dents.

L'air outrée, la mère de la demi-drow les regarda d'une manière peu amène, visiblement on ne peut plus agacée... Cependant, elle reporta bien vite son attention sur son vis-à-vis.

"On est honnête mon salaud, mais c'veux pas dire qu'tu peux nous pigeonner ! glapit la vieille femme. L'autre t'l'a pas achetée, ta bête, escompte pas nous la r'filer comme ça...
- Attend voir, M'ma, on peut s'arranger. intervint la Grise, avant de se tourner vers le marchand, le regard dur et le sourire aimable. Elle articula soigneusement la suite pour que l'artiste n'en manque pas une miette. Ecoutez,votre chien, il grogne sur tout ce qui bouge, c'est étonnant qu'il n'ait encore mordu personne; si vous l'étranglez ainsi avec la corde, c'est que vous ne devez pas savoir le tenir autrement; la personne qui nous a précédé n'a pas été dupe et a préféré esquiver votre affaire douteuse. Votre animal, je ne sais pas où vous l'avez récupéré, mais vous ne savez pas quoi en faire. C'est que cela boulotte beaucoup de viande, les chien-ours, pas vrai ? Votre bourse se porte-t-elle bien ?"

La demi-drow ne lâcha pas l'affaire, souriante, poursuivant avec une certaine allure, imperturbable face aux différents regards se posant sur elle, y compris sa génitrice, qui fronçait visiblement les sourcils. La Grise tenait bon. Le gars l'énervait, l'elfe l'énervait, sa mère l'énervait... Mais qu'importait, au fond ? Ils pouvaient s'entendre. A partir du moment où elle trouvait les bons mots...

"Vous voulez vous débarrasser d'une bête dont vous ne savez que faire, et mon ami ici présent s'y est vraisemblablement attaché. Nous pouvons faire d'une pierre deux coups... Si vous y mettez du vôtre. Qu'en dites-vous ?"

Assurée, la demi-drow attendit la réponse. Sa main avait quitté les omoplates de l'elfe bien avant, et s'était posée tout naturellement sur garde à sa ceinture. Un tranquille sourire aux lèvres, ses mires obscures dévisageaient le maître du bestiau.

Aegden lança un regard outré à la sang-mêlé lorsqu’elle le poussa vers le propriétaire du chien. Comment osait-elle ?!  Le prétendu marchand sembla s’amuser de la scène un instant avant de revenir à ce qui le préoccupait le plus. Elfe, demi-drow, humaine, il se fichait bien de qui lui parlait tant qu'on lui rendait son dû.

-Mais évidemment qu’il grogne sur tout c’qui bouge. Répondit-il d'ailleurs. Il est fait pour ça ! Et je sais parfaitement quoi en faire ! Il fixa la grise comme si elle venait de dire une chose incroyablement stupide. Ça règle absolument pas l’souci. Je veux mon argent. Il n’était visiblement pas question de se débarrasser de la bête. C’est pas compliqué. Peu importe qui d’entre vous paie. Y a pas d’arrangement qui tiennent, et l'reste c’pas vos affaires.

L’elfe croisa les bras en fixant en biais la demi-drow. Comptait-elle payer ? Dans ce cas elle se retournerait probablement contre lui après. Il n’avait pas l’intention de donner quoi que ce soit de toute façon, il n’avait rien. Et dire qu’il était dans cette ville depuis à peine une ennéade…

 

-Donnez lui ce qu'il veux et partons d'ici. soupira-t-il dégoutté à l'intention des deux femmes. Il n'y a que ça qui fonctionne ici.

Le serpent... Songea la Grise, en réponse aux propos du marchand. La bêtise de l'elfe lui agaça l'oreille : donner ce qu'il voulait à cette arnaqueur ? Quelle idée ! Ce n'était pas comme si les poches de quiconque débordait de pièces à donner au premier couillon de même ! Ni celles de la demi-drow, ni  celles de sa mère ! Cette dernière foudroyait la marchand du regard, s'étouffant d'indignation. Ne tenant pas à faire durer cette conversation ô combien déplaisante, la Grise prit les devants, avant que sa génitrice ne dise ses quatre vérités à cet sale gueule-la.

"Pas de marché, ni avec celui qui nous a précédé, ni avec nous... Et bien, pas de pièces, mon cher. Susurra la Grise. Le jour où l'on achètera du vent, les Princes Marchands feront la charité. Gardez votre corniaud mal dressé, et vendez-le à qui a envie de se faire mordre."

Faisant signe à sa mère, la Grise voulut simplement faire demi-tour... Mais une main se referma sur son bras, alors que le chien-ours grondait toujours.

"Mon argent... grogna l'homme.
- Et mon poing dans ta gueule." conclut la Grise, joignant le geste à la parole.

Cela dit, elle ne lui laissa pas le loisir de reculer, faisant aussitôt un pas pour le saisir par le col et lui coller le visage près du sien. Autour, certains regardaient avec plus d'insistance... La demi-drow n'aimait pas cela du tout, mais puisque l'autre faisait la sourde oreille, elle devrait bien le lui faire comprendre, d'une manière ou d'une autre. Sa mère sursauta, alors que le chien se jetait en avant, s'étranglant sur sa corde, aboyant agressivement.

"Va pigeonner quelqu'un d'autre..."

Mais sa mère la tirait en arrière... Pour conclure correctement, la drow ajouta un coup de tête à l'affaire, achevant d'exploser le nez du gars, et de se donner un bon mal de crâne. Trébuchant à moitié en arrière, elle s'appuya sur sa mère qui marmonnait des imprécations tout en l'emmenant à l'écart.

"Ram'nez vous... marmonna-t-elle à l'attention de l'elfe, tout en luttant pour voir autre chose que trente-six chandelles.
- Par ici mon garçon, il ne faut pas traîner !" renchérit sa mère.

Ayant déjà oublié l'imbécile sonné au sol et son clébard furieux - heureusement attaché -, la vieille femme vêtue de dentelles grossières s'empressa d'emmener sa fille dans une ruelle proche, pressée de disparaître à la vue du plus grand nombre. Des querelles de marchandages, c'était une chose plutôt commune, mais elle ne comptait pas s'expliquer devant les gardes.

Elles étaient complètement folles, il en était maintenant persuadé. Un instant il fixa l’homme inconscient au sol, puis les deux énergumènes qui commençaient à partir comme des voleuses. Non il n’allait pas les suivre. Elles étaient dangereuses. Dangereuses et visiblement totalement imprévisibles. Il ne pouvais pas se risquer à se laisser embarquer dans leurs histoires.

Bien sûr, d'un autre côté, l’homme méritait ce qui venait de lui arriver. Il était bien évident qu’il n’était pas quelqu’un de recommandable. Cependant Aegden doutait que l’assommer à la manière de la Grise fût une solution acceptable.

Il recula d’un pas. Son regard tomba sur le chien qui montrait toujours les dents. Il comprit qu’il n’y avait rien à faire pour lui à présent. Et quand bien même, ce n’était qu’un grain de sable dans l’océan immonde qu’était la ville. Un chien de libéré, c’était dix autres qui subissaient le même triste sort.

Dans un soupir de résignation l’elfe tourna les talons. Aux lieux de suivre les deux mégères, il fit demi-tour, ignorant toute potentielle protestation. Il fallait qu’il rentre avant de s’attirer d’autres problèmes.

Avançant vaille que vaille avec sa mère, tout en reprenant ses esprits, la Grise retrouva bientôt la tranquillité des petites ruelles. Et aucun garde ne les y suivit, si ce n'est pas merveilleux ! Par contre, la demi-drow réalisa bientôt que l'elfe non plus n'avait pas suivi. Aurait-il été pris au dépourvu... ? Embêtée, la Grise ralentit le pas, tout en regardant derrière, le front pulsant encore d'une légère douleur.

"Dis M'ma, on a perdu l'autre ? dit la Grise en clignant des yeux.
- Quoi ? Ho, non. Il nous a pas suivi l'garçon. lâcha sa mère.
- Mais... Il était perdu ?" La tête douloureuse, la fille se sentait, elle aussi, un peu égaée.

Réalisant la confusion de sa progéniture, la vieille femme cessa de la tirer vers l'avant, lui inspectant la figure sous toutes les coutures tout en marmonnant.

"Il a pas voulu v'nir, il a pas voulu v'nir, hein ! C't'un grand garçon.
- Tu crois ?
- T'es vraiment ailleurs, ma fille ! râla la vieille tout en roulant des yeux. Bon, t'as mal que'que part ?"

Veillée comme une gamine revenant le genou écorchée, la Grise répondit docilement tout en se demandant où Aithruïn pouvait bien être passé. L'agacement semblait être parti avec le coup de tête offert gracieusement à l'autre emmerdeur, à présent ne restait plus que cette interrogation. Certes, le gaillard était un peu nigaud, mais il n'était pas chez lui... Songeuse, la demi-drow n'en finit pas moins par lâcher l'affaire, s'en retournant avec sa génitrice qui déplorait les dommages sur sa tenue. Le chien y avait même bavé, par les dieux ! Sa fille, quant à elle, appréciait de laisser derrière elle les questions gênantes auprès des badauds. L'elfe disait qu'il avait rien, d'vrait s'en sortir...