[Libre] La forêt pousse dans Thaar

Des rires qu’il t’arrache, l’enfant ne ressent que les légères secousses qui agitent ton poitrail et tes épaules. Tu n’aurais vraiment pas pensé que d’entre tous les sujets possibles et inimaginables, un enfant humain se passionne ainsi pour le mal de l’éternité. Quoiqu’après tout, c’était un concept alien, et c’était un sujet fascinant. La mort était au centre de bien des légendes, mythes et histoires et non sans raison. S’il était autant de contes jouant des limites entre la vie et la mort, ce n’était pas anodin… mais il semblerait qu’aujourd’hui ce soit à toi de devenir le conteur… sauf qu’un conteur tu n’es pas.

- Je ne suis pas tous les elfes Léréon ! tu ris Moi je ne m’ennuie pas ! Mais tu sais, parfois, même quand on a beaucoup de chose à faire, on s’ennuie. Certains elfes sont extrêmement âgés, et à force de vivre la même routine tous les jours, et bien ils n’y trouvent plus la même joie. ta bouche se pince dans un instant de réflexion Et bien, ces elfes-là, petit à petit, s’ils continuent de s’ennuyer, et bien ils deviendront vieux comme ton papy, et peut-être avec le même mal de dos aussi ! C’est pour ça que là d’où je viens, ceux qui rendent les gens heureux sont très importants ! tu dérobes l’enfant à sa place sur tes épaules pour le prendre contre un bras, qu’il voie ton visage Et c’est aussi pour ça que je n’ai pas beaucoup le droit de m’éloigner de chez moi. tu souris, le visage rayonnant mais mélancolique Tu sais, si j’avais été ici toute ma vie, ça aurait été très difficile de me cacher ! tu lui donnes une petite tape de l’index sur le nez Moi, je viens d’Anaëh. Une immense forêt très loin vers le Nord. tu tends le doigt en direction du Nord, légèrement vers l’Ouest, en plein vers Daranovar J’ai grandi dans les montagnes au milieu de la forêt, dans une Cité avec de grands châteaux de pierre blanche.

Ton regard se fait parallèle au sien, tes yeux portés vers ta demeure, bien trop loin pour observer quoi que ce soit d’autre qu’un ciel étoilé. Tu te perds un instant, à penser à ton chez toi, à tes frères et tes sœurs apprenant leur nouvelle vie dans de nouvelles Cités, à tes frères et tes sœurs sans Roi. Les Cités d’Anaëh n’avaient pas besoin de toi. Elles tiendraient aisément le temps qu’il faut, jusqu’à ce que tu rentres. Toi au contraire, tu avais besoin d’elles. Le combat que tu étais venu mener ici à Thaar était épuisant d’une insidieuse manière. L’omniprésente souffrance dans ces rues te serre le cœur. Et les sourires de tes frères et sœurs te manquent. Et les colères de tes frères et sœurs te manquent. Et les sourires de ta femme te manquent. Et même les pleurs de ta fille te manquent.

- Moi ma famille est restée là-bas. tu parles de plus en plus doucement Mon oncle, ma tante, mes cousins… tu déglutis et puis mon épouse et ma fille. J’ai une fille tu sais ! Et elle est toute petite, plus petite que toi ! tu souris, mais malgré tous tes efforts une larme te coule que tu chasses d’un coup de pouce… Donc tu vois, je ne suis pas près de devenir vieux, j’ai beaucoup de choses qui m’attendent moi ! …avant d’être remplacée par une nouvelle.

Ca veut dire quoi 'roue fine' ? s'interrogeait le petit, tout en écoutant. Les propos du grand n'elfe manquaient quelque peu d'histoire de partie de cache-cache incroyable, mais Léréon ne s'en agita pas moins quand il fut question de "La forêt mystérieuse !", qui fut piaillé avec grand enthousiasme, alors qu'il agitait encore le nez de se l'être fait tapoté par son grand ami. Cependant, là où le ton léger l'avait laissé libre d'espérer d'autres merveilles - l'enfant ne comprenait pas comment les elfes pouvaient s'ennuyer, s'ils avaient des amis qui les rendaient heureux -, le changement de poids dans le timbre de l'elfe l'atteignit, malgré son innocente excitation. Ce fut avec des yeux encore plus grands d'attention qu'il prêta l'oreille - les adultes disaient toujours des trucs très importants quand ils prenaient des voix comme ça -.

Le petit se plut à imaginer la cité resplendissante. Même qu'il se tortilla dans les bras de l'elfe pour regarder dans la direction que ce dernier regardait. Bon, il ne vit rien d'autres que les bâtiments rustres de Thaar, et les adultes qui se regroupaient comme se dispersaient, au milieu des bancs, donc il regarda à nouveau son compagnon... Mais plus il écoutait, plus il avait le coeur lourd, lourd comme une pierre qui coule, lourd comme sa mère qui s'asseyait et ne voulait plus se relever, après avoir tempêter avec son papa. Comment faire, quand on pèse lourd comme ça... ? Les mots se voulaient légers, mais ce n'était pas ce que ressentait le petit. Il voulait rencontrer la madame elfe, et leur petite fille ! Est-ce qu'elle pleure autant que ma petite soeur ? Cette question, Léréon ne parvint pas à la poser. Peu à peu, ses yeux s'étaient faits attristés, abandonnant leur vivacité de feu follet, pour devenir aussi humides que de jolis cailloux, humides de rosées.

Ce fut d'abord un simple hoquet, la bouche qui se tord un peu, les sourcils qui se recherchent encore plus. Puis ce fut un sanglot, suivi d'un deuxième. Lourd, si lourd, son petit coeur... ! Brusquement, le petit lâcha prise, et de grosses larmes dévalèrent ses joues encore rebondies, et sales, alors son torse frêle tressautait au gré d'une tristesse inconnue. Soudain, il avait envie que son père vienne le chercher, même s'il était fâché; que sa mère lui tire les oreilles pour s'être échappé; que ses frangines s'accrochent à ses jambes pour être parti sans elles. Il avait envie... Il avait envie... Pleurant à chaudes larmes, l'enfant jeta ses bras autour du cou de l'elfe, cachant sa figure dans sa nuque, qu'un peu de morve ne tarda pas à souiller. Léréon pleurait, pleurait...

Il me répond poliment, je ne peux lui retirer ça, alors que les trois autres m’ignorent tout simplement. Mais il ne dépasse pas la politesse, il reste à la limite, celle où il est sûr de ne pas m’antagoniser, et je suis habitée par tellement de frustration qu’elle manque déborder à chaque mot. Et quand il parle des autres, quand il me propose de m’en aller pour quelque chose d’autre que la réalité je ressens chaque mot comme un coup de couteau, et chaque phrase comme une attaque soigneusement orchestrée pour que j’en souffre. C’est injuste. Je leur offre une occasion de dire la vérité, je leur offre une occasion d’admettre que je ne suis pas là au bon moment, je leur offre une occasion d’avouer que je suis trop insistante, je leur offre une occasion de me confirmer que je les mets mal à l’aise… Non, ils ne s’en servent pas, ils me blessent plus avant, ils servent le Menteur mieux que je ne le puis en cet instant. Mais c’est injuste, je suis comme eux, mon sang est aussi pur que le leur, ce n’est que le hasard qui les sépare de moi, nos positions auraient pu être inversées… Père a peut-être raison.

Et l’intolérant que j’avais cru ouvert, celui qui plus tôt avait choisi une danseuse dans le public, celui qui avait eu droit à une étreinte un instant avant que je n’arrive là, il me demande d’entrer dans cette auberge et de me dévoiler dans toute ma vulnérabilité à d’autres comme lui, d’autres qui n’ont pas eu d’interaction avec la foule, d’autres qui m’effraient maintenant que mes semblables m’ont déjà rejeté une fois. Il y en a un qui ne m’a pas rejeté mais joue-t-il lui aussi la comédie ? Est-il juste assez bon pour que je ne m’en rende pas compte ? A-t-il fait semblant simplement parce qu’il m’a choisie pour son spectacle et que la politesse lui impose de ne pas se rétracter ?

Mon regard rendu brillant par des larmes naissantes rencontre le sien, je hoche de la tête, tourne les talons, et me rends partout sauf dans cette auberge qu’il m’a indiquée. Je vais vers la place, je crois, un pas lent après l’autre, ralenti par ces ruelles tout autour qui m’invitent dans toute leur noirceur à disparaître – et j’aurais juré qu’il y en avait moins en arrivant – mais je résiste, comme si ce chemin plus illuminé est le seul qui me donne une possibilité de retrouver les miens, et qu’il s’oppose à Tesso pour l’instant, qu’il s’oppose à ce message que cet Aithruïn m’a envoyé, qu’il mène plutôt à celui de Noruì. C’est un pari, un qui peut autant me confirmer que je ne pourrais jamais me retrouver en eux que me confirmer qu’il reste une chance. Je ne sais pas si Tesso frémit en me voyant si proche de la lumière de l’honnêteté, je ne sais pas s’il prépare quelque action pour me garder auprès de lui, je ne sais pas s’il a peur de me voir confier ma mission à ceux même qui devaient en souffrir. Et je n’ai aucune réponse à lui fournir à ces questions, ni de réponse honnête, ni de mensonge.

S’il frémit en tout cas, il doit frémir encore un peu plus quand j’arrive devant ce qui avait été la scène et que je vois en relevant la tête le colosse Anedhel enserré par les bras du petit Léréon. Si le deuxième pleure sans aucun doute, une démonstration de tristesse que les enfants seuls sont capables de produire, les traits de Noruì ont changé, et ils m’assurent que je ne dois pas douter de lui. Je ne sais pas si j’ai réellement observé ça ou si c’est seulement la réponse que mon cœur pas complètement corrompu veut être vraie. Mais dans les deux cas j’en suis satisfaite pour le moment.

Je ne fais aucun mouvement, j’attends, simplement.

Miresgal n’eut rien le temps de dire. Seulement de répondre d’un hochement de tête concernant le spectacle. Ils y avaient assisté mais elle cacha le fait qu’elle était autrement plus préoccupée pour en avoir réellement profiter. Quant à la petite elfe, ce genre de choses ne lui faisait hélas pas le moindre effet…
Zaahrian posa finalement une question qui attira bien vite l’attention des deux jeunes femmes qui pourraient enfin avoir une perspective quant à leur retour en Anaëh. La réponse leur apporta un véritable baume au coeur. Miresgal contint sa réaction tandis que Macabre resta la même en apparence.

Ainsi, d’ici une ennéade, elles seraient sur la route… Ciryië se sentait remplie d’émotions différentes et opposées. La seule qu’elle était capable de reconnaître, c’était la crainte… La Noss quant à elle se laissa enfin aller à une discrète exclamation de bonheur lorsque la vaanie fut suffisamment loin. Il lui tardait tant de retrouver les siens. Elle étira un bras vers le Commandant pour poser une main sur lui.

-Nous devrions peut-être nous en aller d’ici…

Si Aegden ne se sentait pas à son aise dans ce pays, il ne pouvait imaginer le mal-être que la jeune femme éprouvait en permanence lorsqu’elle se retrouvait hors du cadre sécurisant de la maison de Zaahrian. Elle ne comprenait pas les moeurs d’Ithri’Vaan et n’avait finalement connu de l’extérieur d’Anaëh que la souffrance en grande majorité. Certes, elle y avait aussi rencontré des gens qui compteraient toujours pour elle car ils l’avaient soignée et accompagnée mais l’intrusion de cette étrangère dans leur conversation lui rappelait l’insécurité dans laquelle elle se trouvait et rendait la situation très inconfortable. Ciryië avait manqué de s’enfuir... et elle préférait que plus rien ne vienne les perturber, l’une comme l’autre.

Ce n’était pas comme si Zaahrian ignorait la spectatrice excitée – impossible vu la façon dont elle s’était imposée dans leur conversation — mais l’assassin avait d’autres choses plus importantes en tête. « Si tôt? Ah! » Zaahrian était un peu triste quand même de devoir dire au revoir aussi rapidement, mais Ciriyë devait être impatiente de rentrer tout comme sa compagne. Il avait pris soin d’elle du mieux qu’il pouvait, mais le reste de la guérison devait se faire ailleurs. « Je suppose qu’il vous faudra certaines choses pour le voyage. Ça nous laisse peu de temps pour préparer tout ça. » Il se gratta le menton. De son côté, la nouvelle venue finit par réaliser qu’elle était peut-être de trop et prit la fuite avec son estime blessée. À sa défense, elle n’avait pas tout le contexte de leur conversation et si elle avait su, elle se serait peut-être abstenue d’intervenir, mais bon, ce n’est pas Zaahrian qui irait s’excuser. « Si vous voulez rentrer, nous pouvons y aller maintenant. Ce fut une petite escapade fructueuse, non? » Il lui offrit son sourire le plus rassurant avant de tourner son attention vers l’elfe. « Si jamais ça vous intéresse et que vous voulez voir Ciriyë avant le départ, je vis dans le quartier des Soieries. Vous n’avez qu’à demander, tout le monde me connaît dans le coin. » Un peu trop peut-être, mais bon, il l’avait un peu cherché.

Qu’est-ce que j’ai dit ? Aegden haussa un sourcil devant la réaction de la spectatrice. Elle aurait eu l’air de douter de ses paroles, il aurait compris, mais là on aurait carrément dit qu’elle venait de recevoir une claque... Il avait fait un effort pour se montrer courtois pourtant. Elle avait même les larmes aux yeux alors qu’elle tournait les talons. Là il ne comprenait pas... 

Il eut l’air sincèrement gêné d’avoir provoqué une telle réaction, mais d’autres choses venaient à faire passer cela en second plan. Il haussa alors mentalement les épaules et prêta alors toute son attention sur les trois qui étaient restés.

Il était d’accord avec la noss qui proposait de partir d’ici. Il n’avait pas envie d’être à nouveau dérangé. Et mine de rien la fatigue commençait doucement mais surement à se faire ressentir alors que la nuit avançait. Les paroles de Zaahrian l’intriguèrent, cependant. Il fronça légèrement les sourcil.

-Je ne veux pas vous paraître impolis, et je vous remercie à nouveau pour avoir pris soins d'elles, mais je pense que ce serait une meilleure solution si Ciriyë et Miresgal restaient avec nous. 

Après tout elles étaient venues pour cela. Il fixa son interlocuteur puis les principales intéressées. C’était à elles de décider au final. Malgré tout il ne voyait pas vraiment de raison de les laisser à nouveaux toute deux errer dans Thaar alors qu’elles avaient enfin retrouvé l’espoir de revoir Anaëh et les leurs… Il n’avait pas non plus de quoi réellement prêter sa confiance à son interlocuteur si ce n’était les dires des uns et des autres.

- Oh non ! Léréon ! un gloussement étranglé ponctue ta phrase Tu vas pas me faire ça quand même !

Ton étreinte se referme sur l’enfant. Tes yeux se ferment. Et tu le berces doucement, en même temps que tu te berces toi-même. Vous étiez aussi ridicules l’un que l’autre, à être pris de tristesse juste après un spectacle qui se voulait transmettre une forme d’émoi totalement différente. Seulement les sentiments sont des entités difficiles à dompter. Les sentiments ne font jamais que s’enchaîner les uns aux autres de manière à ce que les plus lourds finissent toujours par tirer vers eux ceux que l’on s’évertue à présenter en surface. Tu es triste, voilà tout. Tu as le mal du pays. Tu te languis de retrouver tes frères, tes sœurs, tes amis, ton épouse et ta fille. Tu en as eu assez de marcher sur la misère d’un monde qui n’est pas le tien à peine y avais-tu posé le pied. Et tout ça… tout ça est bien trop difficile à dissimuler. Surtout à un enfant, dont l’innocence et la naïveté creusent les vérités mieux que ne le pourraient les mensonges de n’importe quel manipulateur.

- Allez… ton pouce caresse le crâne de l’enfant, et les larmes arrêtent de couler Il se fait tard. Il est temps que je te ramène chez toi.

D’un regard entendu, tu écartes de votre chemin les derniers spectateurs toujours présents, t’excusant des yeux de ne pas pouvoir leur accorder plus de ton temps. Certains sont confus, d’autres attendris, mais pour la majorité ils ont compris. Tu fatigues, l’enfant fatigue et la soirée avance. Alors après t’être rapproché de lui, et sans apparemment sans parents dans la danse, il était logique que tu t’assures que pour lui tout se passe pour le mieux.
Pour le mieux, pour lui. Pour le pire, pour elle. Tes pas étaient censés te mener en direction d’Aithruïn. Tes prunelles rencontrèrent un obstacle à ton chemin avant même que tu ne le prennes. Tristes à deux, tristes à trois. L’attitude de la danseuse d’un soir ne trompait pas. Et au lieu de compatir, tu ne pus t’empêcher de sourire, parce qu’il était aisé de deviner ce qu’il s’était passé. Aithruïn n’est pas toi et tu n’es pas Aithruïn, seulement sans le savoir, il y avait tout à parier qu’elle s’était approchée de lui comme elle s’était approchée de toi. Et quand tu accueilles aisément, lui il se referme. Le roux n’est pas facile à approcher, et à tous les coups, sa délicatesse l’aura vexée.

- La discussion ne s’est pas bien passée ? la question est rhétorique, et tes yeux joueurs cachent un gloussement Ça arrive, Aithruin n’est pas le plus facile à aborder. Il faut savoir le prendre du bon côté. tu reprends la marche, caresse la tête de l’enfant de plus belle S’il y a des questions que tu voulais lui poser, je peux essayer de te répondre, mais pour ça il faut me suivre. tu fermes les yeux un instant J’ai un petit bonhomme à ramener chez lui.

Tes pas s’allongent sans se faire pressés,  et t’emmènent jusqu’à portée de vue et de voix de ton collègue et ami. Et ce que tu vois te laisse un instant pantois. Elle tu la reconnais. Eux non. Mais qu’est-ce qu’elle fait ici ? Et qui sont-ils eux ? Aegden doit le savoir, Aegden leur a parlé et leur parle encore… mais toi, t’y intéresses-tu ? Oui. Tu veux le savoir. Seulement pas maintenant.

- Aithruïn ! tu les interromps l’espace d’un instant Ses parents ne sont pas là. Je le ramène.

Et sans demander ton reste, tu t’éloignes, laissant cette affaire à celui qui l’avait déjà en mains. Plutôt tu t’appliques à la tienne de mission. Retrouver le chemin du foyer de Léréon.

- Alors… de tes mains dans son dos tu attires l’attention de l’enfant C’est toi le guide Léréon. Elle est par où ta maison ?

Inconscient de bien des évènements autour de lui, Léréon est occupé à laisser mourir ses larmes, cette tristesse inconnue, en cachant sans hésitation sa frimousse dans la nuque du grand elfe. A vrai dire, plutôt que de lutter, l'enfant se laisse davantage aller à la somnolence qui s'en suit, ainsi tenu avec assurance.

Pourtant, il lui faut revenir au présent quand son ami l'interroge. Un temps, ou le petit fait 'non' de la tête, yeux fermés. Finalement, il se résout à relever le nez... Découvrant, non sans surprise, la dame qui avait dansé plus tôt. Rougissant, le petit garçon crasseux regarda plutôt où ils allaient, un peu bougon. Il était temps de rentrer, le spectacle était fini... Fatigué, l'enfant montra le chemin, reniflant encore un peu, tout contre l'elfe. Dans cette ruelle-ci, puis celle-la... Les éloignant de la place illuminée où avait eu lieu le spectacle, les menant petit à petit dans des quartiers bien moins élégants.

Là, des travailleurs s'en retournaient bras dessus, bras dessous, le pas vacillant. Là, des femmes se pressaient, tenant leurs jupons et leurs marmots de leur mieux. Des esclaves ne trainaient pas non plus, sous l'oeil sombrement curieux de ceux qui semblaient attendre une occasion... De quoi ? Rien de fâcheux, répondraient-ils sûrement. Nullement perturbé par cette atmosphère quelque peu oppressante et obscure, le petit guidait son ami, sans davantage de mots, fatigué après tant d'émotion. Qu'il était doux de se faire porter...

Les discussions s'enchaînaient et on en ignorerait presque la petite elfe qui se tenait muette au milieu des trois autres protagonistes. Ciryië assistait à la conversation sans afficher la moindre réaction ni prononcer le moindre son. Cela ne surprit personne, évidemment, mais l'anedhel n'en oublia pas pour autant de poser son regard sur elle pour la consulter. La mage des ombres ne dit rien au début et se contenta de se tourner vers Zaahrian et Miresgal, les observant tour à tour sans savoir ce qu'elle devait faire. Elle voulait rentrer avec eux, oui, mais elle ne se sentait pas mal chez son neveu. Elle n'avait pas peur des taledhels mais elle ne verrait bientôt plus le fils d'Halandarin...

La Noss avait moins d'hésitations que sa compagne mais elle ne pouvait pas laisser Ciryië maintenant. Elle n'envisageait pas de se séparer d'elle avant d'avoir passé la lisière d'Anaëh. Avant de la savoir aussi en sécurité qu'elle. Elle était suspendue à sa décision mais elle l'en trouvait incapable... Finalement, elle s'accroupie devant elle et lui prit la main.

-Toi aimes Zaahrian. Te manquera bientôt. Mais eux... Elle désigna Aegden du doigt. ... ramener chez nous. Eux pas bienvenue par tout le monde ici. Te souviens ? Lancé nourriture ? Pendant spectacle ? Besoin de partir bientôt, peut-être... Si nous avec eux, plus facile.

Miresgal se tourna vers le Commandant pour s'assurer qu'elle ne disait pas de bêtises et celui-ci lui confirma que son analyse de la situation était la bonne. Certes, la Noss voulait se retrouver à nouveau parmi les siens mais elle n'aurait pas menti à celle à qui elle devait d'être encore là pour arriver à ses fins. L'anedhel semblait avoir de bonnes raisons de vouloir les garder toutes les deux à leurs côtés et ce n'était pas uniquement pour éviter de les perdre à nouveau... Et il était facile de comprendre ce qui l'inquiétait de la sorte lorsqu'on avait assisté au spectacle.
Les choses n'étaient pas aussi simples dans l'esprit de la jeune fille qui fronça légèrement les sourcils. Elle releva les yeux vers Zaahrian et réfléchit un petit moment avant de se tourner enfin vers Aegden.

-Est-ce qu'il pourra venir nous voir jusqu'à ce que l'on parte ?

Je ne réponds pas au colosse. J’aurais pu, mais il semble être beaucoup trop conscient de ce qu’il s’est passé, il semble beaucoup trop amusé par ce qu’il s’est passé. Je peux aller plus loin, je peux lui répéter, je peux lui expliquer pourquoi l’autre n’est pas seulement difficile à aborder, de lui clarifier qu’il ne voulait juste clairement pas de moi, mais je me tais. D’autant plus que quand il reprend sa marche, guidant Léréon, auquel je n’avais pas réellement adressé de regard, il se rapproche d’Aithruïn. Je le suis mais me fais petite quand il interpelle son ami, la blessure trop vive encore, l’impression qu’il me repousse trop dans mon esprit. Peut-être étais-ce involontaire, mais est ce que c’est si important que ça, du moment qu’il m’a blessé ? Mais je n’ai toujours pas trouvé sous quel angle le présenter à Noruì et je continue de suivre en silence alors que personne ne semble vouloir parler.

J’essuie les débuts de larmes qui ne sont jamais allées glisser sur mes joues et regarde le petit Léréon. Je ne sais pas pourquoi il était aussi triste, mais il a fait l’effort de passer outre et d’aller de l’avant, lui. Mais où est mon avant quand je suis aussi perdue que je le suis ? Lui se rend dans sa maison, je m’en éloigne, lui va retrouver la morosité après la joie, je m’y enfonce encore plus, lui va retrouver la réalité de son existence après le mensonge du spectacle, je vais retrouver le mensonge de Tesso après la vérité des elfes. Peut-être que… non… je n’ai pas le droit à ça, je me suis perdue trop loin… mais peut-être qu’elle y aurait droit ? Une idée germe dans mon esprit, et je ne pense pas un instant qu’elle puisse être soufflée par Tesso. Plusieurs pas plus loin, plusieurs rues plus loin, j’ose rêver et regarde le colosse. « Noruì ? »

« Tu sais, de quoi je t’ai parlé, des miens… c’est pour ça que j’ai souffert du rejet d’Aithruïn. » Ce n’est pas clair le moins du monde, mais j’ai du mal à être plus directe. « Vivre ici pour un elfe est assez terrible, une éternité à côtoyer la… » Ne dis pas misère, Léréon pourrait t’entendre. « …tristesse… qu’on aurait pu éviter, juste parce qu’un père a décidé de forcer celle qu’il considérait sienne à le suivre. » Je marque une pause, hésitant sur les prochains mots, puis hésitant sur si je peux vraiment lui demander ça. « C’est injuste, et on s’attend à ce que tous les elfes partagent ça, et c’est le cas. » Encore une pause alors que je m’en rapproche, c’est trop tard pour me détourner, non ? « Puis viennent des elfes qui ne le partagent pas, des elfes de loin d’ici, et ils vous repoussent, comme si vous n’étiez pas vraiment eux. » Maintenant c’est trop tard, et ma voix marque un faux départ un peu trop aigu. « Mais vous avez envie d’être eux, il n’y a rien d’autre en les rencontrant qui vous ferait plus plaisir. Enfin, c’est impossible pour moi, je ne suis pas vous, je n’ai jamais été vous, mais tu penses… que ma mère peut rentrer en Anaëh avec toi et tes amis ? »

Là, ma voix se tait, je suis bien incapable de rajouter un autre mot, je suis bien incapable de faire autre chose que de trembler comme une feuille. Si lui me rejette, Tesso a gagné. Je ne suis pas sûre d’être convaincue par une logique si simple, mais… pourquoi pas ?

Zaahrian aurait dû s’en douter. Après tout, pourquoi repartir avec lui quand les autres sont déjà prêts à les accueillir? Mais même s’il le savait, ça ne l’empêcha pas d’être un peu surpris, voire déçu de voir les au revoir arriver aussi brutalement. Son visage le trahit peut-être pendant une fraction de seconde, jusqu’à ce qu’un sourire fleurisse sur ses lèvres. D’un signe de tête, il acquiesça.

« En effet, c’est sans doute la meilleure chose à faire. »

Il parlait d’un ton enjoué, affichant une fois de plus le masque de l’elfe exubérant. Il était sincèrement heureux de savoir sa parente et son amie entre de bonnes mains. C’est naturel de vouloir rentrer à la maison et à sa place, il ferait exactement la même chose. Pourquoi traîner un peu plus avec Zaahrian alors qu’elles peuvent partir maintenant? Cela dit, il ne pouvait nier être un peu amer, de la même manière qu’on peut l’être quand on a une idée déjà faite dans notre tête, mais que les choses ne se passent finalement pas comme prévu. On est toujours un peu déçu jusqu’à ce qu’on se rende à l’évidence que c’est probablement mieux ainsi. Zaahrian recula d’un pas, sans se départir de son sourire. Il n’avait plus aucune raison de traîner ici plus longtemps.

« Vous allez me manquer aussi, vraiment. Je suis heureux de vous voir à nouveau bien. Qui sait, on se reverra peut-être un jour. Vous serez toujours les bienvenues chez moi. »

Il recula d’un autre pas, les salua d’un signe de la main et, avant qu’un mot de plus ne soit prononcé, il tourna les talons et s’en alla. Et si on essaya de les rattraper, Zaahrian avait déjà disparu parmi la foule. Sa tante n’était pas la seule à pouvoir disparaître bien que sa technique ne soit pas tout à fait la même. Il avait l’impression de fuir comme un voleur, mais il détestait les au revoir, car trop souvent dans sa vie, ils avaient été définitifs. Il pressa le pas. Zaahrian savait que sa déception n’était que passagère. Sa tante était sauve. Il lui restait un bon bout de chemin à faire, mais elle était maintenant avec les siens qui lui donneront certainement plus que ce qu’il était en mesure de faire. En marchant, il porta une main à son torse, là où il gardait la cicatrice laissée par la lame qui faillit le tuer. Elle lui rappelait jusqu’où il était prêt à aller pour protéger les siens. Zaahrian ne regrettait rien et s’il devait recommencer, il le ferait sans hésiter.

Un enfant humain et un étrange couple d’elfes. L’un plus grand et plus large que ne l’acceptait la raison, et pourtant profondément amoureux du monde dont son apparence l’éloigne. L’autre dans son élégante finesse ayant tout des enfants de Kÿria, mais se refusant catégoriquement le pardon de La Mère pour un crime qu’elle n’avait pas commis.
Un enfant humain et un étrange couple d’elfes tous trois marqués par une tristesse étrange, que les obscures ruelles de Thaar semblaient hésiter entre entretenir et emporter. Etouffés par une lourde légèreté, vous trois vous étiez murés dans le silence, seulement brisé par les indications du petit. Quelque chose de pesant, mais quelque chose de beau. Les larmes qui vous ont coulé, à Léréon et toi sont des larmes libératrices. Les larmes qui accompagnent les souvenirs d’aimés, les larmes qui vous rappellent à votre devoir, les larmes qui vous rendent au droit chemin plus forts que vous ne l’aviez quitté. Mais celles de votre accompagnatrice, elles étaient les pesantes chaînes d’un malaise dont elle n’avait pas encore été libéré.

À l’occasion, ton regard abandonnait l’enfant pour se porter sur elle, cherchant à te rendre accessible. Tu le sais, tu le sens, elle serait la première d’entre vous à parler, parce qu’elle est la seule à en avoir besoin. Son mal-être, elle te l’avait exprimé une fois, sans véritablement l’assumer. Son mal-être, elle l’avait exprimé une fois, à travers les mots durs trahissant une colère silencieuse plutôt qu’en acceptant la fragilité de la tristesse. Chercher un coupable est simple. Essayer de réparer les torts ne l’est pas. Surtout lorsque l’on se trouve forcé de le faire seul.

- Les choses ne sont pas si simples. Si c’était juste le fait que tu sois d’ici, Aithruïn n’aurait pas été le seul à te repousser. tu lui souris Et pourtant, nous faisons le chemin ensemble non ? À ce que j’ai pu voir, notre danseur n’était pas seul. S’il partageait déjà un moment avec d’autres, alors il aurait fallu le laisser t’inclure selon ses propres termes. Voilà tout. l’un de tes bras se libère pour entourer les épaules de l’ellyn I Ëmel, La Mère, jamais n’oublie ni ne se départir de son affection pour ses enfants. Elle a voulu que nous ayons le pouvoir de nous séparer d’elle, mais qu’importe à quel point nous pourrions nous séparer d’elle qu’il suffit de le désirer pour qu’elle nous reprenne. et d’expérience, tu aurais même tendance à dire qu’il suffit parfois de bien moins Tout ça pour dire que si ta mère le désire, nous serons ravis de la ramener aux siens… ta main glisse le long de son épaule jusqu’à son visage, où ton pouce lui caresse tendrement la tempe mais il en est de même pour toi. Tu portes notre sang, et notre sang est lié à l’Anaëh. Tu n’as pas à vouloir être nous. Tu es l’une des nôtres.

Et les voyeurs sifflèrent ton geste, inconscients qu’ils étaient de sa signification. Et les voleurs de leurs yeux de martre guettaient la distance entre vos poches et vos regards, espérant non seulement qu’elle se creuse, mais que vos poches, elles, soient pleines. Et les prostituées s’attristèrent de ce que ni elle ni toi ne sembliez avoir besoin de servir vos corps. Mais au fur et à mesure de vos pas tous ceux-là se firent plus rares, car vous quittiez les lieux où les pauvres travaillent pour ceux où ils vivent.

Je l’écoute mais je ne réponds pas. Je ne réponds pas non plus à ses gestes, et je ne réponds pas à ce qu’il se passe autour de nous. Non, je suis tourné vers moi, vers l’intérieur, vers mes envies, vers ce que je peux me permettre. C’est pour éviter ça que je n’ai parlé que de sauver ma mère, pour éviter ce conflit intérieur, pour éviter que quelque part en moi quelque chose décide que j’ai le droit de faire de ce rêve le mien. J’ai trouvé ma place pourtant, là où je suis, Il m’a laissé une place là où personne ne voulait le faire, il a remplacé ce que je n’ai pas eu, il m’a apporté tellement. Et là, avec quelques mots, je me retrouve à douter, à vouloir prendre cette main tendue par le géant, à être pleine d’espoir, et surtout, à redouter de ne plus être aux côtés de l’Anedhel, à craindre les ombres qui étaient jusque là des alliées. Noruì ne m’a pas rejetée, Tesso n’a pas gagné, mais pourquoi je n’arrive pas à me décider sur ce que ça m’inspire ?

J’ai besoin de temps, j’ai besoin de temps pour réfléchir, je ne peux pas lui dire oui maintenant, et après tout, je ne peux même pas lui assurer que ma mère souhaite retrouver les siens. J’ai vraiment besoin de temps, de réfléchir sans qu’il ne soit là, à me toucher, à me regarder, à essayer convaincre un cœur qui ne sait pas où il en est. Mes lèvres s’entrouvrent et je ne peux qu’essayer de gagner ce temps. « Jusqu’à quand ? » J’hésite, je ne sais pas comment formuler cette question, je ne sais pas quoi lui dire. « Ma mère ne sait pas, je dois la convaincre. » Je dois me convaincre. « Où est ce que je peux te retrouver dans les prochains jours ? » Pas assez précis, je me laisse dépasser par l’enjeu et ne trouve plus les mots. « Je veux dire, comment je t’apporte ma réponse ? Comment je rejoins votre groupe ? Comment je… » Je m’arrête net, pas de raison de passer tant de temps à reformuler, il a sûrement compris.

Je tourne la tête, mes yeux se fixent vers une allée où pas une lumière ne filtre, mon esprit se laisse embarquer si bien que je manque le début de la réponse du colosse. L’allée me hurle qu’Il ne m’oubliera pas, elle me hurle que je dois cesser de croire aux mensonges de Noruì, elle me hurle que je dois la rejoindre, elle me hurle que je dois revenir dans les bras du Menteur. Mais je ne peux pas la rejoindre, pas maintenant, elle m’engloutirait pour se venger, pas alors que je considère le choix. Car après tout, un tel choix ne ferait-il pas d’au moins deux ombres parmi les ombres mes ennemies ? Je voix les deux masques dans mon esprit, je les vois me regarder, je vois Deux me déchiqueter, je vois Un ne pas s’interposer, j’imagine des sourires sous les masques…

Comme si avoir été exposé une seule fois à la lueur de l’espoir me donnait la peur du noir.

Défendre sa propre valeur aux yeux d’une elfe avait quelque chose de profondément triste. Voir une elfe douter de l’affection que lui vouaient ses frères, et pire, de l’affection que lui vouait La Mère avait quelque chose de non seulement profondément triste, mais de révoltant. Quelque chose, quelqu’un l’avait emmené jusque-là. Quelqu’un avait manqué à ses devoirs auprès d’elle, l’avait trahie, et par la même occasion brisé sa confiance en l’intégralité de ceux venant de son monde. Mais il restait une chance. Vous aviez une chance de la ramener à bon port. Vous aviez une chance de guérir sa douleur, et de la voir accepter ce qu’elle a toujours désiré. Ce qu’elle a toujours mérité.

- En réalité, aucun de nous ne sait vraiment quand nous repartirons. Tout dépendra de nos caprices au final. et de ceux des Princes-Marchands avec qui vous deviez tenter de vous entretenir Mais tous les matins au moins, si tu te lèves assez tôt tu peux nous trouver chez la Princesse-Marchande Milynéa Lythandas.

Ton bras s’affirme autour de ses épaules, et la soutient dans votre marche. Tu te veux l’accompagner à travers ces ruelles, sous les yeux de Vaanis vous ayant déjà associés. Ton regard lorsqu’il la quitte elle, lorsqu’il quitte votre petit guide somnolant, guide celui de la prêtresse en direction des yeux du petit monde de Thaar. Qu’elle voie qu’à leurs yeux, elle et toi n’étiez pas différents. Qu’elle voie qu’elle était elfe, et que si Thaar était capable de la voir comme elfe, il en était de même pour les Sylvains. Qu’elle voie que rien ne la retenait ici sinon la peur.

- Et s’il y a un endroit particulier où vous trouver, nous pouvons nous venir vous chercher au jour de notre départ. tu souris, taquin, en direction de la prêtresse Mais dans tous les cas, tout ça serait peut-être plus facile avec un nom.

Tu laisses échapper un court gloussement, prenant seulement à cet instant conscience du paradoxe de la situation. Elle s’était confiée avant de s’être présentée. Elle détestait Thaar avant de simplement être. C’est là à quel point souffrance et confusion la définissaient. Du moins, c’est ce qu’il t’y paraissait. Mais maintenant, tu te demandes si après avoir été arrachée à l’Anaëh, elle a reçu un nom qui en soit toujours le reflet. Tu te demandes aussi si elle porte toujours le nom de sa lignée. Pas de Cérémonie du Choix ici à Thaar, mais peut-être s’était-elle attachée d’elle-même au nom de l’un de ses parents. Et si c’était le cas, qui de son père ou de sa mère avait-elle choisi en dirait probablement long.

Son nom. Ce serait certainement les dernières choses que le petit Léréon entendrait d’elle. Tu berces un tantinet l’enfant, l’aidant à retrouver une position plus confortable après qu’il se soit agité, l’air de dire que votre destination était proche. La soirée prendrait bientôt fin. Et elle aura été riche.

Aegden n’eut pas le temps de répondre à la question de la jeune elfe qu’une fois de plus Zaahrian le coupa. Après un dernier adieu, ce dernier disparut parmi la foule sans que personne ne puisse rien faire. Aegden grimaça un instant. C’était relativement brutal comme au revoir… Puis il se tourna ensuite vers les deux autres.

-Rentrons. Fit-il simplement.

S’il guida les deux jeunes femmes vers l’auberge, il se doutait que Ciriyë n’était probablement pas des plus à l’aise dans ce lieu et dans cette ambiance et très rapidement après avoir prévenu les quelques camarades encore à l’intérieur, ils regagnèrent le palais de Milynéa. 

La fête était terminée, ils avaient gagné un repos bien mérité, la nuit fut-elle déjà sur le déclin,  en plus de la promesse d’enfin revoir les leurs pour les deux anciennes fugitives.

Bien sûr que je sais qu’il réside au palais de Milynéa Lythandas, bien sûr que je sais qu’ils en sortaient régulièrement assez tôt, même si je ne peux pas le lui avouer. Mais il ne m’aide pas grandement sur comment le contacter discrètement sans en faire l’affaire des voisins, et je dois beaucoup trop en dévoiler à mon goût. Je me suis déjà exposée sans masque, donner un nom m’effraie quelque peu, et s’il se doute de quoi que ce soit, si ce bras autour de mes épaules est là pour m’empêcher de m’échapper, si il veut que quelque chose s’écroule, il s’en servira. Et s’il n’a que de bonnes intentions, s’il est honnête, il pourrait éveiller les soupçons et faire arriver une alerte aux oreilles de mon père. Mais je suis devant une impasse, et je veux permettre cette évasion de Thaar, donc j’entrouvre mes lèvres et souffle un nom. « Lirunwen Erunielyn. »

Là, une barrière s’est effondrée et je prends une décision en un instant, libérée du poids de l’anonymat, libérée d’un masque qui fait de moi autre chose qu’une elfe. « Tu sais quoi ? Je viendrais, même si je ne parviens à convaincre ma mère, même si elle ne veut pas le fuir. » J’ai moins peur et j’ose un sourire, avant de finalement oser regarder autour de moi, là où il voulait que je regarde un instant plus tôt. Il n’y a rien qui m’intéresse, il y a Thaar, la face hideuse de Thaar, et je veux en partir. Il reste Tesso aussi, mais Tesso peut prendre bien des formes, et je peux même en emporter une avec moi, là où je vais, même si ça non plus je ne peux le partager. Il me faudrait du temps pour abandonner tous les secrets, mais j’avais confiance.

« Votre protectrice saura sûrement où nous habitons, elle saura vous guider, mais ne lui expliquez pas, je ne pense pas qu’elle soit intéressée par quoique ce soit qui déplaise à un de ses partenaires, aussi cruel soit-il. » L’honnêteté est un peu effrayante, mais on n’y prend vite goût, et pour la première fois je désigne à ce point mon père comme le problème. C’est avec un sourire que je me laisse entraîner par Noruì sans un mot de plus, car tout semble se régler petit à petit.

Une maman... Rentrer... Les pensées de Léréon s'égaraient au rythme du pas ample de son ami, sans prêter vraiment attention à ce que lui et l'autre elfe disaient. Guidant par de rares mots, de quelques gestes, alors que ses paupières se faisaient bien lourdes, le petit réalisa cependant petit à petit les regards qu'ils attiraient. S'il en fut d'abord content, voir des visages un peu familiers se faire plus sombres à la vue des elfes lui noua légèrement le ventre, sans qu'il ne se l'explique. Quand il réalisa qu'ils approchaient de chez lui, l'enfant s'agita en marmonnant, sans la moindre politesse, aussi bien pour avertir son ami que pour se réveiller tout à fait. Ses yeux accrochèrent de vieux volets auxquels il venait souvent toquer, puis un muret qu'il longeait pour rentrer chez lui... Bientôt, ils verraient sa maison. Sa mère s'y trouverait sûrement, son père aussi, ses sœurs, peut-être sa tante... ?

"Je... Je veux descendre..." fit-il à voix basse en se trémoussant.

Une fois de nouveau sur ses jambes, il se tint coi, se balançant légèrement d'avant en arrière, tout en s'accrochant à l'une des pognes du grand elfe. Son regard cherchait, plus loin dans la ruelle obscure, s'attendant à ce qu'une frimousse surgisse, ou encore, un grand gaillard. Se devinait une maigre lueur dans l'habitation miteuse, au milieu de biens d'autres. Se retournant, non sans un coup d'oeil incertain vers la dame elfe, l'enfant leva les yeux - haut, haut, haut ! Si haut ! - vers le visage du grand elfe, sa figure un peu sale s'éclairant au souvenir... De tout.

"Dis, je pourrais te revoir ? Vous allez faire d'autres spectacles ?" demanda-t-il d'une petite voix.

Extérieurement tu souris. Intérieurement tu jubiles. Peu de choses te sont aussi exaltantes que l’idée d’une elfe perdue retrouvant un foyer qu’elle cherche depuis de longs siècles déjà. Rassembler les tiens, leur présenter un monde dans lequel ils peuvent pleinement s’épanouir, c’est la mission de ta vie. C’est cet esprit protecteur qui tu le penses, t’a rendu sensible aux arcanes vitales. C’est cet esprit protecteur qui t’as poussé à rejoindre l’armée. C’est finalement cet esprit protecteur qui t’as poussé à prendre plus encore sur tes épaules, et à te proposer en tant que Roi. Et c’est ta passion pour cette mission qui a fait que l’on t’ait accordé la couronne.

Aujourd’hui tu découvrais que ton Royaume s’étendait par-delà la forêt. Tu découvrais que de Sylvains l’ayant quittée, même il y a de nombreuses générations, ont continué d’en cultiver l’amour. Tu découvrais que l’étranger ne corrompt pas si aisément vos Souffles, et que ce que les parents ont abandonné, par choix ou par contrainte, les enfants le désirent immanquablement. Lirunwen serait la seconde, sa mère serait peut-être la suivante, mais tu es convaincu qu’elles ne sont pas les seules. D’autres se cachent dans les terres mortelles attendant une main tendue. Il existe d’autres Eraïos en cet immense monde. Et tu ne peux que souhaiter que le futur finisse par les ramener à bon port.

- Nous serons là en temps et en heure.

L’agitation du petit homme dans tes bras devient trop pour que tu le gardes contre toi, et quand il finit par en faire la demande, ton bras quitte l’épaule de la danseuse d’un soir pour accompagner ton passager au sol. Comme il y a de tes frères et sœurs perdu à l’étranger, il y a des étrangers égarés dans leur propre monde. Des Souffles purs, dont les choix ont été bons, luttant tant qu’ils le peuvent contre la corruption des terres mortelles. Ton cœur espérant que Léréon grandisse l’un de ceux-ci, mais ton esprit ne pouvait que pleurer la souffrance qui viendrait avec.

- Nous allons essayer, mais je ne peux pas te promettre que l’on puisse faire un autre spectacle public. tu te baisses, portant ton visage le plus près possible de sa hauteur Par contre, je te promets qu’on se reverra ! tu te relèves Maintenant, allez ! Va ! Les fais pas attendre !

Et tu attends, non loin, posté en gardien, que l’enfant ait retrouvé les siens avant de t’en retourner vous les tiens.

A la promesse d'une nouvelle rencontre, le gamin eut un grand sourire. Il reverrait son grand ami ! Et ils pourraient jouer, et il pourrait lui demander comment c'est dans la forêt mystérieuse, puis il pourrait lui montrer comme il faisait pour... ! L'esprit emballé de Léréon fut rappelé à l'ordre par la douce 'poussée' de l'éternel. Non sans un dernier sautillement enthousiaste, l'enfant fit volt-face, prenant la direction de la maison. Son pas se fit plus prudent alors qu'il s'approchait de la porte. Il eut un dernier regard pour son ami... Avant de toquer et de s'engouffrer dans l'humble cahute, non sans un lourd grincement de porte, au cœur du calme nocturne.

Des éclats de voix surprises se firent entendre, puis le murmure d'un monologue autoritaire. Les volets, entrouverts pour laisser passer un peu de lumière, furent définitivement clos. Le silence revint, alors que les petits étaient à présent couchés, tandis que leur mère veillait encore un peu. Sans doute son homme était-il allé se perdre dans quelque taverne... Non sans un pincement au coeur, la femme se décida à aller trouver un peu de repos.

Les lunes disparurent à l'horizon, et le ciel s'éclaircit.

Dans les rues de Thaar, la vie reprit son cours. Au petit jour, quelqu'un vint tambouriner furieusement à la porte d'une maison. Des mots furent échangés. Un silence... Puis une longue plainte déchira le silence matinal. Le cri d'une épouse désormais veuve, d'une mère esseulée, qui posa sur ses enfants un regard noyé de détresse et d'incertitudes.

Dans les bouibouis, les rumeurs allèrent bon train. C'est que les morts y étaient bien connus, leur disparition aussi soudaine que brutale ne laissa pas indifférent. Sans doute avaient-ils énervé les mauvaises personnes. Non, ils avaient des ennemis ? Sûrement, sûrement... Parait qu'ils se sont fait vider leur bourse ! Vider ? Pourquoi pas chaparder les bourses avec, elles étaient pas vides avant ? P'tète qu'ils revenaient d'être allés boire... Mais non, t'sais bien, ils avaient voulu remonter les bretelles aux elfes... Les esprits s'échauffèrent, l'alcool, le choc et les rancœurs firent le reste. Certains oublièrent, d'autres pas, nourrissant le maelstrom d'histoires qui couvaient, dans les tréfonds de Thaar.