S'expliquer de force [PV Brohan]

3e ennéade de Karfias
17e année du Onzième Cycle
Sur les lieux du spectacle, le lendemain.

Hier soir avait été une belle soirée. Intense. Effrayante par moments même. Mais une belle soirée. Hier soir aurait presque suffi à te donner envie de donner une nouvelle chance à Thaar et à ses habitants. Quelques personnes voulant mieux faire suffisaient. Quelques Souffles désireux de voir leur monde se débarrasser de la souillure dans laquelle il baignait depuis trop longtemps suffisaient. Le changement est une lente mécanique, mais c’est une mécanique inéluctable. S’ils n’abandonnaient pas, alors leur temps viendrait. Un jour. Du moins… à condition que ce désir leur survive.

Forcé de légèrement te baisser pour ne pas te cogner la tête, une épaule puis l’autre pour être certain de ne pas dépasser du cadre, c’est avec une inhabituelle légèreté malgré tout que tu pénétrais l’auberge qui vous avait accueilli la veille au soir, durant vos préparatifs. Tes salutations furent adressées au responsable et aux serveurs et cuisiniers de la cantine que tu croisas sur ton chemin vers une des tables de la taverne.
Aménagé comme il l’était pour son fonctionnement habituel, l’établissement n’avait pas du tout la même silhouette. Il avait quelque chose de plus crasse. De plus agréablement crasse. L’un de ses lieux où l’on venait partager un verre entre amis libre de rire à gorge déployée et de parler de tout et de rien. Encore quelque chose que tu devais accorder à Thaar. Thaar savait se donner l’air accueillante. Elle était comme le ver au bout de l’hameçon, mais au moins, elle était un ver de belle figure. De belle figure mais pas particulièrement juteux.
Ton regard parcourant la salle, s’arrêtant courtement sur les personnes présentes, juste le temps de faire acte de la présence de certaines, accordant un bref salut de la tête à d’autres visages plus hospitaliers, tu te rendais compte qu’aujourd’hui tu resterais très probablement debout. Peu de chance que tu arrives à confortablement reposer ton dos contre le dossier de l’une de ces chaises, et caser tes jambes sous l’une des tables sans avoir à reculer au point de gêner les espaces de circulation serait certainement une entreprise trop complexe pour ton humeur actuelle. Un sourire amusé au visage, tu t’en retournes vers le bar, demandant après avoir salué celle qui le tenait une pinte d’hydromel.

- Difficile de trouver une place ?

- Difficile de s’y installer plutôt !

- Il faut dire que jusque-là même nos plus grands clients passaient encore la porte !

- Et c’est toujours le cas vu que je ne suis pas un client.

- Et qu’est-ce que tu es alors ?

- tu soulèves les sourcils et prends une moue provocatrice L’invité d’honneur du jour.

- Eh… beau parleur ! elle te tend ta chope Tiens, c’est la maison qui offre !

Tes premières gorgées sont hésitantes, te servant à jauger d’à quel point la boisson était sucrée. Les deux suivantes sont deux grandes et agréables rasades. À observer tes précautions, celle qui venait de te servir roule des yeux. Sûrement un truc d’elfe. Y’a bien que des gens sortis des forêts pour se méfier d’une pinte d’hydromel.

- Alors c’est qu’on a un faible pour les femmes Thaaries on dirait. un homme trapu s’approche de toi et s’appuie contre le bar C’est qu’elles ont plus à offrir il porte ses mains à ses pectoraux que celles de chez vous hein !

Un rire gras se soulève au fond de la salle, auquel tu ne réponds que d’un sourire presque désolé.

- Plus n’est pas toujours mieux. tu hausses les épaules Et si ça peut vous rassurer, j’ai une magnifique épouse qui m’attend d’où je viens.

- Oh ! C’est juste pour jouer alors ! Ou bienil fait semblant de chuchoter c’est pour profiter des avantages… on séduit les nanas et on paie rien hein, c’est ça ?

- Je doute fort que la demoiselle ici présente soit aussi […]

- Mêle toi de ce qui te regarde Xav ! la serveuse t’interrompt Et si tu veux savoir, avec ce que leur spectacle nous a rapporté hier soir, j’peux largement me permettre de lui offrir un verre ou deux.

- Qu’il paie la tournée alors ! un sourire carnassier aux lèvres, l’homme te regarde

- Et bien pourquoi p[…]

- Et puis quoi encore ! Jamais qu’il aurait bu autant que la bande de trous que vous êtes ! la serveuse s’interpose Alors tu vas oublier ça, et vous allez tranquillement continuer d’aligner la monnaie.

L’homme se tourne vers elle d’un air agacé, avant de t’adresser un nouveau sourire forcé. Sa main se pose contre le biceps de ton bras droit – ses doigts bien incapable d’en faire le tour pour s’en saisir – dans une vaine tentative d’intimidation. Tu baisses la tête vers lui, les sourcils hauts, le visage s’appliquant à ne pas lui rendre le tout pour le tout. Tu restes calme. Tu ne veux pas de ça. Tu ne lui rends pas la tentative d’intimidation, et finalement, plutôt que de désengager il y prend insulte.

- Alors comme ça on vient chez nous faire le beau devant nos femmes… le badaud légèrement pompette hoche doucement de la tête pour appuyer son propos on s’amuse à se balader torse nu pour montrer comment qu’on est grand et beau et fort ; on prend plaisir à profiter de tout ce que la ville a à donner, mais quand faut rendre quelque chose, on s’plaint que l’endroit pue la merde, hein ?

- Je n’ai jamais dit que tout était mauvais ici. Au contraire. Mais vous n’allez pas me dire que Thaar est un modèle de…

- Ta gueule l’elfe ! il commence à hurler Fais pas comme si tu savais c’que c’était qu’de devoir te casser le cul pour deux miettes ! T’es là à profiter des couchettes de la Princesse pendant que…

- C’est justement avec ça que j’ai un problème ! tu hausses la voix, le coupant net, la vibration de tes mots s’ancrant jusque dans la charpente des lieux D’où je viens la misère que vivent certains d’entre vous n’existe pas, le volume redescend et croyez-moi, je serais plus qu’heureux de savoir que plus personne à Thaar n’ait à la vivre, seulement je n’ai pas le pouvoir d’effacer toute la misère d’Ithri’Vaan  en un claquement de doigt, et ce n’est pas parce que je la trouve malheureuse que j’ai envie de m’y soumettre.

- Ouais c’est ça ! Connard !

Le poing de l’homme se referme et s’écrase violemment sur tes abdominaux. Ton ventre par réflexe se gaine pour protéger tes entrailles. L’homme claque de la langue, secoue son poing endolori, et revient à la charge. C’est un bagarreur mais pas un guerrier. Ses mouvements sont lourds, patauds, et tu n’as pas de mal à éviter ou à dévier majorité d’entre eux. Tu le tiens en respect une dizaine de secondes d’assauts répétés, espérant qu’il finisse par fatiguer et abandonner, et qu’avec cela le calme revienne. Malheureusement ce n’est pas le cas. Il plonge vers toi, se rapproche beaucoup trop, tu l’empêches d’approcher, te prépare à reprendre les mêmes parades… mais il te surprend. Le crâne sous ton menton, il saute, et te claque les mâchoires l’une contre l’autre. Un frisson de douleur te traverse le squelette, et là tu perds patience. Tu t’écartes d’un pas rapide, tu écrases tes phalanges contre sa joue. Un frisson de douleur lui traverse le squelette, mais lui ne s’en relèvera pas avant un certain temps.

- Oh ! Tu t’crois fort ! un des camarades du premier s’exclame Les gars r’gardez c’qu’il a fait à Xav !

- Je n’aurais eu à le…

Deux autres buveurs en furie se lèvent, ne te laissant pas le temps de terminer ta phrase. Ils te forcent une position de combat. Ton corps ancré, prêt à réagir avec une vivacité que l’on ne t’imagine généralement pas à première vue. Le premier, c’est jambe tendue vers lui que tu l’accueilles, ton pied s’enfonçant dans son abdomen. Le second, c’est dans le même mouvement ton poing qui trouve son visage. Les deux se retrouvent l’un après l’autre propulsés dans la direction d’où ils sont venus, bousculant quelques tables et chaises au passage. Aucun des deux ne rejoint le tout premier dans les bras de Morphée, mais aucun des deux n’ose revenir à l’assaut.

Le dernier cependant, la manière dont il te jauge laisse à penser à un peu plus d’expérience que ses camarades. Et ce dernier, avant même qu’il ne se lève il a la main à la dague. Son arrière-train quitte son siège. Tu défourailles ton sceptre. La magie court à travers ton focaliseur. L’aiguille fait un tour de cadran entre tes doigts. Le pied du sceptre trouve le sol. Le doigt de ton autre main se tend vers ton assaillant.
Juste assez près pour que le bout de ton ongle ne fasse que lui frôler le front, tu souffles une vague d’arcanes sombres à travers son corps, et l’homme se fige. Ta paume s’ouvre et descend vers le sol, le forçant à plier les jambes. Tu recules d’un pas, sous les yeux grands ouverts de tous les autres clients des lieux, et tu souffles, relâchant l’emprise de ta magie sur le gusse.

- Je ne suis pas là pour ça. tu ranges ton sceptre dans son fourreau Je voulais juste passer un moment tranquille. tu souffles du nez Alors pourrait-on s’en arrêter là ? tu marques une courte pause S’il vous plaît ?

L’homme à la dague siffle entre ses dents, et ordonne d’un geste à ses sbires de lui revenir. Les deux s’approchent de toi pour ramasser l’instigateur encore inconscient et s’en retournent auprès de leur « chef ». Tu reviens à ta pinte d’hydromel, mais la liqueur a bien moins bon goût maintenant que s’y mêle celui du sang  de ta langue blessée.

- Je suis désolé.

- Je veux bien te croire. Xav et sa bande sont comme ça. la serveuse fronce les sourcils Mais la prochaine fois, au lieu de faire le spectacle, tu ramèneras la bagarre dehors avec toi s’il te plaît. elle t’accorde quelques derniers mots avant de se retourner vers le fond de son atelier Et même si elles sont pas cassées, considère que le ce que t’aurais dû avoir en boisson gratuite vient d’être dépensé en tables et en chaises.

Légende:

Tu soupires, déglutissant une mixture de salive et de sang dont tu aurais préféré ne pas avoir à connaître le goût de tout ton séjour à Thaar. Vous aviez réussi à éviter le pire jusqu’ici. Même lorsqu’il avait fallu libérer Vìrin, grâce à ton acolyte du jour tu avais réussi à éviter d’en arriver aux mains… et il avait fallu que ce soient des saoulards dans la taverne de votre spectacle qui mettent fin à cela. Ton humeur n’avait pas apprécié leur démonstration. Ta patience avait empêché que leur démonstration ne devienne la tienne. Parce que si seulement tu n’en avais pas fait preuve, ils n’auraient pas été trop de trois pour t’empêcher de les réduire en miettes.

Profitant que ta blessure semble prendre un peu de repos tu sirotes une nouvelle gorgée d’hydromel. Le sucre adoucit les humeurs, du moins, il adoucit au moins les tiennes, ou alors est-ce juste la manière dont il imprègne puissamment tes papilles gustatives qui te force à te concentrer sur lui plutôt que sur la bile qui te remonte. Tu soupires, opposant l’air comparativement frais de la Thaar d’été pourtant brûlante à ta gorge échauffée par l’alcool. Un coude posé contre le comptoir, tu te retrouves soudain à ressembler à l’un de ces humains aigris venus chasser leurs soucis.
C’est donc avec une moue d’avance agacée que tu accueilles cet humain de plus venu ouvrir la « discussion ». La mâchoire serrée, et un sourcil levé, tu attends silencieusement, de peur que tes mots ne rallument des braises encore fumantes, qu’il engage. Et quand il engage ! Oh quand il engage !

- C’est bon, je comprends l’oliyan ! tu réponds, un sourire désespérément amusé aux lèvres Pas la peine de te faire autant de mal.

Tu le regardes un instant, ne sachant pas réellement quoi penser de la situation. Etais-ce un effort fait en ton sens, ou juste une moquerie de bas étage ? Quoi qu’il en soit, un brin d’elfique, approximatif ou pas, faisait un bien fou au milieu des babillages gutturaux ambiants.

- Mais si tu as des… des questions c’est ça ? tes lèvres se pincent légèrement Je veux bien y répondre

En espérant qu’il choisisse de les énoncer en Oliyan, ou qu’il ait moins de mal avec ses prochaines phrases qu’avec son entrée en matière.

L’un de tes sourcils se soulève lorsque l’homme interpelle la serveuse, demande sa boisson, mais surtout et dans le même élan, t’offre sans donner l’air d’attendre quoi que ce soit – et tu t’en méfies, car tu sais comme les humains de Thaar tiennent à leur argent – un nouveau verre de la tienne. Suspicions mises de côté, tu te donnes la peine de rendre une moue reconnaissante à ses prunelles perçantes, t’autorisant une grande gorgée de liquide ambré en attendant que l’homme trouve ses mots.
T’interdisant d’être plus démonstratif que tu ne l’as déjà été, tu redoubles d’attention quand les premières syllabes révèlent un elfique approximatif. Au moins c’était signe qu’il comprenait. Peut-être qu’il ne pouvait pas répondre correctement, mais au moins il comprenait. Du moins il comprendrait à condition que tu ne te lances pas dans des phrases trop compliquées. Au final, sa situation actuelle n’était pas bien différente de celle qui était la tienne à ton arrivée à Thaar. Au final, l’immersion en Ithri’Vaan avait suffi à ce que de phrases extrêmement simples, tu deviennes rapidement capable d’en venir à réussir à tenir une véritable discussion. Sauf que ton pauvre compère, l’immersion en langue Anedhelle, ce n’est pas ici qu’il la trouverait.

- Je m’appelle Noruì. tu partages un hochement de tête entendu Je suis acrobate. De passage à Thaar avec ma troupe pour apprendre des arts d’ici et partager un peu du nôtre.

Tu t’autorises un sourire. Depuis combien de temps n’avais-tu pas autant fait attention à ton articulation ? Non pas que tu aies jamais baragouiné, mais avec l’habitude, les consonnes roulées étaient vite devenues des consonnes lapées, et certains sons dévorés et effacés par l’usage. Avec un peu de chance, un elfique un peu plus académique lui permettrait de mieux accrocher, et de même se reprendre lui-même. Après tout, de son histoire de voyage à son nom, tout laissant à penser qu’il vienne de Péninsule, et une fois n’est pas coutume, remercions Elenwë : certaines formes dans la langue des hommes de l’Ouest n’étaient pas sans rappeler les patois de l’Ouest d’Anaëh.

- Et en réalité. tu termines ta première pinte d’un trait avant de reprendre C’est bien ma troupe qui a été invitée par Milynéa. tu croises les bras sous ta poitrine, l’un de tes deux avant-bras brisant à l’occasion le nœud pour rythmer tes mots Nous faisons un spectacle de danse acrobatique. Et comme je disais, je suis acrobate, je fais les tours de force et sert de pilier à mon ami danseur, au son de la vielle et des percussions de nos camarades musiciens. Nous avons aussi un mage de lumière qui s’est joint à nous, et qui nous fait profiter de ses talents pour rendre le spectacle un peu plus… dramatique. ton sourire s’élargit à cette idée. Si Lyo était doué pour une chose, c’était tout rendre plus dramatique Et toi ? Tu ne penses pas arrêter ton voyage en Ithri’Vaan j’imagine. Ils sont plutôt rares les humains qui se tentent à apprendre l’elfique.

Au moins aussi rare que les elfes se donnant la peine d’apprendre le Péninsulaire. De ce que tu en sais, les seuls Péninsulaires à s’être intéressés à votre langue l’avaient fait soit sous la pression de l’Œuvre elle-même, soit en tant que Haut-Représentants chez les leurs cherchant à se faire bien voir de vous pour quelque obscure raison. Sinon, pour le peu de contacts que vous aviez avec eux… la langue commune que l’on t’avait forcé à apprendre en tant qu’Aran était de recours.  

Tu n’étais pas étonné, ou du moins si tu l’étais, les premiers mots d’elfique avaient rendu la révélation suivante bien moins extraordinaire. Un hochement de tête de ta part vient ponctuer la révélation de l’homme comme quoi il désirait en apprendre plus sur la culture Anedhelle. Et sur place. Louables intentions. Les mortels gagneraient à en apprendre plus sur votre culture, à constater  sous quels modèles vous viviez, à s’en inspirer, au moins un minimum afin de se faciliter la vie. Et ton peuple serait certainement heureux d’accueillir des humains curieux en son sein, pour leur présenter vos voies… si seulement accueillir les hommes n’était pas si dangereux.
Même lorsqu’ils étaient peu, les humains suscitaient la méfiance, parce que ce que tu faisais à Thaar, on pouvait tout aussi bien les suspecter le faire chez vous. Ils vous avaient pris un Protectorat. Pour la terreur que sont les Drows, eux n’ont jamais réussi à ne serait-ce qu’arriver à la cheville de ce que les humains vous ont infligé. Et ils étaient si imprévisibles… Chez les Arïn, les informations restent, les politiques changent. Ce que l’un pourrait avoir appris par simple curiosité, le suivant pourrait tout aussi bien trouver un moyen d’en faire une arme. Surtout si effectivement cette vision d’une Anaëh non seulement sectaire, mais aussi violente était répandue chez eux. Tu ris avec lui, mais avec bien peu d’entrain, ton visage revenant à un doux sérieux au moment de reprendre la parole.

- Il n’a pas entièrement tort tu soupires Mais la réalité est plus compliquée que ça. ta joue gauche se tend dans un instant de réflexion En réalité, ce n’est pas tant que l’idée d’accueillir des membres d’autres peuples sur nos terres nous déplaise. Au contraire. S’il on pouvait se le permettre on ne se gênerait pas. Le problème, c’est que chez nous, cette idée effraie. tu marques une pause Chaque fois qu’un autre peuple a approché nos frontières, il y a amené la guerre. Alors il faut se l’avouer, les miens ont tendance à voir l’étranger comme un potentiel envahisseur. Mais au moins nous faisons des progrès ! En justifiant des raisons de leurs venues à la frontière, depuis quelques temps, les visiteurs ont leurs chances d’obtenir droit d’entrée. C’est comme ça que Dame Milynéa est venue à notre rencontre. c’est ainsi qu’elle est venue à votre rencontre… après y avoir été invitée Autrement, effectivement, sans autorisation, entre la faune, la flore, les flèches des Ornedhels et les lames des Taledhels… tenter de traverser la forêt est dangereux. Encore que dans tous les cas, il vaut mieux être intercepté par une patrouille Taledhelle. Disons que nous les elfes des Cités sommes toutes proportions gardées plus habitués à faire face aux étrangers que les Noss. tu offres un sourire mélancolique à ton interlocuteur Mais après tout, il faut bien protéger son foyer. J’imagine que ce n’est pas bien différent chez les humains.

Tu n’imagines pas. Tu le sais. Probablement les choses sont-elles pires chez eux. Après tout, Daenor s’était fait vicieusement attaquer et humilier par les mêmes humains qui l’avaient invité à se retrouver autour du feu pacte de l’Alliance de Lumière.

Une gorgée de la liqueur offerte clos ton intervention, et te prépare à entendre la sienne. Tu souffles un peu d’air frais, t’amusant à jouer des différences de température entre votre atmosphère et tes gorge et palais réchauffés par l’alcool. L’humain, lui, ne fait que confirmer sans plus sommairement sans plus poser de questions. Toute créature vivante protège son habitat. C’était une évidence. Du moins pour vous deux ça l’était.

- C’est beaucoup de responsabilité à prendre à chaque voyage. tu ris doucement, et descend une grande gorgée de boisson Mais c’est tout à ton honneur.

De ton côté, voyage ou pas, tu ne serais jamais loyal qu’à ta Mère Patrie. L’aurais-tu voulu, tu n’aurais de toute façon pas pu faire autrement. Être l’Aran est déjà bien trop de responsabilités pour que tu te permettes d’en accumuler d’autres une fois à l’extérieur, et parfois, surtout en temps de guerre, tu risques d’être amené à voir l’extérieur. Daenor s’y est trouvé forcé. Dyarque s’y est trouvé forcé. Aujourd’hui tu t’y es trouvé forcé à ton tour. Comme eux tu es parti explorer l’extérieur en tant que solution à la menace extérieure, seulement comme eux, tu n’as pu que constater la solution à la menace être peut-être aussi abjecte que la menace. Et bien sûr, la question arriva. L’inévitable question de ce que tu pensais de Thaar. Celle dont tous pensent vouloir connaître la réponse jusqu’à ce qu’ils l’aient entendue.

- Thaar… tu soupires, lève un instant les yeux au ciel, et cherches à appuyer un coude sur le comptoir… jusqu’à réaliser qu’au vu de la hauteur de la chose, il vaudrait mieux te contenter d’une main En réalité, le fond du problème est sûrement le fait que l’on n’ait pas de monnaie en Anaëh. ta main abandonne le comptoir pour trouver ta hanche Sans monnaie, il n’y a pas de valeur « fixe » posée sur les activités des gens de mon peuple, et donc pas d’échelle de valeur entre les rôles de chacun. Nous apportons tous notre pierre à l’édifice, et chaque pierre est importante à sa façon. ton regard glisse sur le « paysage » C’est quelque chose qui me manque beaucoup, ici à Thaar. La ville a énormément à offrir en culture, en artisanat et en sciences, mais parce que tout ça est gangrené par l’argent, les choses sont vite rendues inaccessibles, et à cause de ça perdent en richesse. Et ceux qui y ont accès, pour être certains de ne pas y perdre accès cultivent cette inaccessibilité… et à la fin, créent énormément de misère et de violence. tu souris tristement Ça paraîtra sûrement hypocrite venant d'un étranger sous la protection d’une Princesse-Marchande, mais Thaar aurait pu être une belle Cité… si seulement elle n’était pas vérolée par la cupidité. Et à la fin, ça en fait un endroit plutôt… triste.

Triste pour ne pas dire dégoûtant. Triste pour ne pas dire écœurant. Triste parce que tu avais mal pour tous ces Thaaris capables de leurs mains ou à la pensée affûtée qui pourrissaient dans un bidonville sous le seul prétexte qu’ils y étaient nés. Que parce qu’ils étaient mal nés, il leur faudrait déployer plus d’efforts que de raison pour s’extirper de la crasse dans laquelle on les maintenait. Là étaient les conséquences de l’entremêlas des voies des Drows et des Arïn. Les premiers prompts à écraser quiconque se mettrait en travers de leur chemin, les seconds prompts à oublier passé et futur pour assouvir leurs désirs de l’instant.

- Mais tu en as peut-être une autre expérience. Non ?

Si. Certainement. Parce qu’au moins contrairement à toi, la notion d’argent ne devait pas lui être inconnue. Et à partir de là…

Toujours rendu légèrement perplexe par les difficultés de l’humain à s’exprimer dans ta langue, il te semble malgré tout comprendre que sa vision des choses… n’était pas si différente de la tienne. Que l’on te reprenne si tu te trompes, mais aux yeux d’Aysse Berg aussi le peu d’importance donné à majeure partie de la population Vaanie était inacceptable. À ses yeux aussi Thaar regorgeait de savoirs utiles à ramener chez soi, mais insuffisants à valoir à la capitale la réputation idyllique que certains – en dehors de ton peuple – lui prêtaient. Thaar n’était pas plus riche que n’importe quel autre territoire. Thaar avait simplement concentré toute sa richesse en un point pour en donner l’illusion. Alors c’est finalement l’inattendu point de vue de ton interlocuteur plus que ses choix aléatoires de mots qui te surprend cette fois-ci.

- C’est bon. J’ai du temps libre aujourd’hui. Marcher un peu me fera du bien comme pour appuyer ton propos, tu termines de descendre ta boisson, et entame immédiatement d’étirer ta nuque et tes épaules, pressant par la même occasion ensemble tes énormes pectoraux Mais ce ne sera que moi. Mes amis ont tous leurs propres occupations aujourd’hui.

Ton regard glisse dans le dos de ton interlocuteur à la recherche de ceux que son attitude d’il y a quelques instants avait désigné comme ses amis. Tu essaies rapidement de jauger de leur état d’ébriété, et – certes ce n’est pas la meilleure indication, mais c’en est une quand même – de quelconques signes distinctifs, attitudes, mots lancés à la volée, qui pourraient traduire des personnalités moins aisées à côtoyer que celle du voyageur.

- Par contre tu termines de t’étirer, passant coudes vers le haut tes mains dans ton dos, pour dévoiler ainsi tout aussi « innocemment » contractés de colossaux biceps, puis une fois tes bras étirés à presque en toucher le plafond, des triceps encore plus titanesques peut-être qu’il faudra penser à revenir à l’Oliyan pour tes amis non ?

Tu laisses retomber tes bras contre tes flancs, et la musculature de ton torse à nouveau correctement irriguée roule entière en réponse au mouvement. Et ce sont tes pectoraux en retombant lourdement à leur place de repos, qui terminent cette parade faussement anodine.

PNJ:

Un dernier regard vers la serveuse t’accorde le constat de sa satisfaction devant l’espèce sonnante et trébuchante… et de soulagement à l’idée de voir simultanément s’écarter un appât à pauvres râleurs et un Zurthan éméché. Moins de personnes pompettes dans l’établissement, c’est moins de raisons pour ceux encore sobre d’être dissuadés de se payer le verre de plus. Un elfe géant quittant l’établissement, c’était un moyen comme un autre d’attirer l’attention dessus. Les yeux de la demoiselle roulèrent cependant lorsqu’à un pas de la porte, le mouvement s’arrêta. Il faut croire que sur le moment, vous ne vous étiez pas rendu compte que faire les présentations juste à l’entrée de l’établissement et en plein milieu du chemin risquerait d’être gênant. Et avec ton gabarit, peut de chances que quelqu’un ose tenter de vous bousculer hors du passage.

Heureusement les choses furent vite réglées. Aysse joua son rôle d’entremetteur en prenant le parti de l’efficacité, et en retour même le poète ne s’attarda pas en jeux de mots lorsqu’il fut présenté. De ton côté un court hochement de tête quand ton nom d’emprunt fut signifié suffit à faire marque de ton respect. Un sourire amusé te sert de réponse lorsqu’Antonio s’excite de partager un moment avec un confrère artiste, et un froncement de sourcil finalement, assombrit tes traits alors que tu t’extirpes littéralement de la taverne.

- Pas vraiment. tu lèves les yeux un instant J’avoue que ce que j’en ai déjà vu m’a suffi, donc je vous laisse guider la marche… tu soupires mais s’il on pouvait juste éviter de traverser le marché aux esclaves.

Hommes et bêtes maltraités par d’autres Hommes, orgueilleux au point de croire quelque somme d’argent suffire à s’en faire les propriétaires. Hommes et bêtes maltraités par d’autres Hommes qui s’octroyaient le droit de les réduire à moins qu’ils n’étaient. C’était certainement là plus que dans la misère qui y régnait la laideur de Thaar. Qu’une créature soit réduite à la misère était une chose. Qu’une créature parce qu’elle a été réduite à la misère ne soit plus regardée comme une créature mais comme un vulgaire objet en était une autre.
Cette propension à se projeter comme étant de manière inhérente supérieur à un autre, c’était là tout ce que vous reprochiez aux peuples mortels. L’égo des éphémères était la source de tous leurs maux. Et paradoxalement, c’étaient eux qui vous reprochaient sans cesse votre orgueil. Mais quel orgueil ? L’orgueil d’un peuple dont chaque membre se considérait comme au service des autres ? L’orgueil d’un peuple qui ne reprochait jamais rien d’autre à ses voisins que leurs attitudes destructrices ? L’orgueil d’un peuple qui n’avait jamais fait que subir des voisins accordant plus d’importance à leur vanité qu’aux vies Sylvaines ?

Ta mâchoire se serre un instant. Tu déglutis. Ton visage se détend à nouveau. Ça n’avait été la réflexion que de quelques fractions de secondes, et pourtant tu avais comme revécu un éternité de conflits.

- Désolé. un rire amer agite ta poitrine d’un soubresaut Pensées sombres.

La course effrénée des servants, les hurlements des marchands à la sauvette, les odeurs mêlées des épices, du métal, des sueurs et des liqueurs, tout cela s’évaporait lentement alors que vous vous écartiez des quartiers d’échange à la faveur des quartiers de vie. Des quartiers populaires, ni riches ni pauvres, aux habitations modestes et fonctionnelles. Des décors sans grande histoire, qui s’ils n’étaient pas aussi immaculés que ceux des soieries, étaient loin des amoncellements de fanges du plus profond des bidonvilles. C’étaient probablement ces quartiers-ci les plus agréables de Thaar à tes yeux. Ceux qui te rappelaient qu’une forme de relativement saine interdépendance pouvait exister ici. Mais cette idée, tu n’aurais pas le temps de plus l’explorer avant d’être renvoyé à des réalités plus sombres.

- Pas le moins du monde. tu fronces les sourcils, presque vexé à l’idée que l’on puisse penser une telle chose Les Eldéens sont un peuple de conquérants vivant par et pour la guerre, au point de s’entredévorer pour que seuls les plus forts d’entre eux aient le droit de respirer. tu souffles En Anaëh nous vivons pour apprendre et pour créer. Et là où les Drows dévorent leurs plus faibles, nous élevons les nôtres jusqu’à ce qu’ils soient forts eux aussi. Et je n’irai pas jusqu’à dire que la violence n’existe pas en Anaëh… ce serait mentir, mais nous ne sommes pas un peuple d’agresseurs. Toutes les guerres que nous avons combattu ont été amenées à nous. tu regardes ton interlocuteur avec un sourire las au visage C’est d’ailleurs pour ça que nous frontières sont aussi fermées.

Vous continuez vous errances d’un pas mesuré, sans particulièrement vous presser, et au gré de vos discussions, au grés de vos pérégrinations, tu te laisses aller à la pulsation des passants. Exercice de routine que celui de l’affûtage de tes perceptions magiques. Exercice obligé lorsque tu ne sais que peu de choses de tes accompagnateurs. Les gens passent, vous dépassent et vous croisent, chacun d’entre eux une signés d’une essence vitale différente. Des différentes relativement faibles, qui force d’exercice te paraissent parfois immenses. Le doeben n’a rien à voir avec le nain. L’enfant n’a rien à voir avec l’adulte. Mais parfois deux horloges sont comme une seule à des heures différentes. Une mère et son fils, un père et sa fille, rendus semblables par le lien familial.
Thaar est un océan de pendules, dont le temps fuit en toutes directions… et pourtant le cliquetis de certaines trotteuses se refuse à s’éloigner. Celles de tes accompagnateurs, bien sûr, officiels comme officieux, mais aussi ceux d’hommes qui ni d’Iben ni d’Alm ne t’étaient connus. Et si tu en crois le rythme des voyageur plus que les mots d’Aysse Berg, lui non plus ne voyait aucune innocence dans leur présence. Le ton ne dit rien, les mots disent tout. Tu ne sais pas les raisons, s’il t’attire ou s’il fuit, mais tu es curieux, alors comme lui tu deviens acteur. Reste à découvrir de quel côté du piège est ton accompagnateur.

- Le port ? tu souris C’est par-là que je suis arrivé. Mais j’avoue que je n’ai jamais vraiment pris le temps de visiter.

Ce qui tous jeux considérés, restait entièrement vrai.

Complètement silencieux, les traits de ton visage toujours égaux à eux-mêmes, incapables de succomber à des craintes que tu n’as pas, tu observes les réactions d’accompagnateurs certainement plus au fait des « traditions » Thaaries que tu ne l’étais. Héler un bandit au coin d’une rue, défier un harceleur se croyant discret de sortir des ombres, et se préparer au combat, ce n’étaient pas des choses qu’il vous était souvent donné d’expérimenter en Anaëh. Peut-être parfois tout de même arrivait-il que vous ayez à vous adresser aux Ornedhels de cette façon. Il n’était pas bien rare après tout que les sentinelles des clans vous suivent au cours de vos rondes… mais passées les premières fois, vous appreniez vite à les ignorer. Les enjeux n’étaient pas les mêmes. Loin de là. Vos frères sauvages surveillent. Les bandits Thaaris rôdent à la recherche de proies… seulement il semblerait qu’ils ne soient pas des chasseurs assez doués pour reconnaître quel animal au sein du troupeau leur est accessible.

Tu refuses de sourire, mais la scène se jouant devant toi t’est d’un triste amusement. À moins que vous ravisseurs ne soient plus nombreux, beaucoup plus nombreux, ils ont les yeux bien plus gros que le ventre. Et ils le savent. Du moins, ils s’en doutent. Ils ne réalisent juste pas à quel point.
Tes yeux voguent d’un protagoniste de la scène à l’autre, portant avec eux une presque provocatrice assurance. Ton regard refuse de se laisser intimider par les perspectives de ces petites gens. Tu as connu bien pire. Au cours de ta vie, tu as eu l’occasion de ressortir victorieux de batailles contre l’élite de l’armée Eldéenne. Qu’étaient quelques racailles Thaaries à côté ?
Tu défourailles ton sceptre, pour le planter au sol, signe que tu tiendrais ton terrain. Oui tu sais te battre, et Aysse en a eu ne serait-ce qu’un aperçu. Peut-être y avait-il dans ces répliques un jeu de la part du voyageur, une insoupçonnée machination… mais là où fuir était une option, ton égo se refusait à ainsi te laisser te courber devant ces gens.

- Nous ne sommes pas à prendre. tu lances avec le plus grand des calmes Et je préfère n’avoir à blesser personne. tu fais un léger pas en arrière, les aurores commençant à danser autour de ton sceptre Nous avons tous tout à gagner à ce que vous nous laissiez tranquillement partir.

Lentement, entre tes mains ton focaliseur fait un tour. Lentement, entre tes mains ton focaliseur fait un second tour. Et son pied se pose au sol, et le geste semble anodin, mais tes yeux voient autrement maintenant. Tes sens sont alertes, ton corps est prêt à réagir au quart de tour. Tu es en position de combattre s’il le faut. Tu ne le veux simplement pas.

Si tu n’avais pas mis l’intégralité de ton attention à la bataille en passe d’éclater, tu aurais probablement ri en même temps que le demi-drow. La manière dont ton accompagnateur venait de se défendre être sous la protection d’une Marchande dont il ne connaissait même pas le véritable nom était presque enfantine. Ce qui ne l’était pas cependant, c’était les intentions derrière cette intervention. À la guerre, gagné au prix du ridicule ou pas, le temps était du temps, et en quelques mots, du temps, Aysse venait d’en gagner. Cinq. Quatre. Trois. Un. Aux presque deux mains s’affrontant au grand jour, s’ajoutait le pied dissimulé dans l’ombre.

Là où le regard trouve sa limite, ton septième sens fait sixième perçoit des essences aussi agitées que celles vous faisant face. Elles sont ce qui lui autorisent son audace, et par la même occasion celles qui le perdront. Pour avoir durant presque l’intégralité de ta vie été membre d’une milice dont l’archerie est la fierté. Pour avoir durant presque l’intégralité de ta vie compté sur la précision de flèches. Tu sais à quel point il est démoralisant de les voir échouer. Et tu sais à quoi ressemble une situation propice à un tir. Deux des trois pulses se dévoilent, deux carreaux sont tirés, un vers toi, un vers lui. Les projectiles sifflent, jusqu’à terminer leur course.
Ta mâchoire se resserre. La cale accumulée au cours des années ne suffit toujours pas. La friction du bois contre la peau à cette vitesse est toujours aussi désagréable. Ton regard se tourne immédiatement vers Aysse, et dans un geste à la fluidité hurlant l’habitude, tu inverses ta prise sur ton focaliseur. Les aurores sont traversées d’un ruban de rouge sang, le ruban se saisit du bras porteur de l’une des arbalètes. La foudre traverse les nerfs du tireur, et le force à lâcher son arme. Les Cinq cependant, galvanisés malgré l’échec de leurs camarades, enragés peut-être même par cet échec, décident de vous lancer l’assaut.

Tu gardes ta gauche, recules lentement, cherchant une position confortable d’où livrer bataille. Et les secondes passent, et vos adversaires se rapprochent, et ton esprit en veut toujours aux essences les plus distantes, mais tes yeux te forcent à réaliser qu’à l’instant, là où tu es, elles ne sont plus le prime danger. C’est bien la seule raison pour laquelle tu hésites à plus reculer, de peur que l’une ou plusieurs des vies voguant à vos arrières ne soient – à défaut d’être ennemies – neutres mises en danger.

- Gardez votre gauche. ta prise sur ton sceptre se modifie une nouvelle fois Ils couvriront les carreaux.

Tu frappes le sol, marquant par la même occasion ton dernier sort avec l’avantage de la distance. Les aurores s’épanouissent en des fleurs d’arcanes pâles autour de tes trois camarades, et comme il en avait été des tiens, leurs yeux s’ouvrent. Leur nez s’aiguise, leur sang pompe, leurs oreilles s’affinent, leur langue même hume l’air comme elle ne l’a jamais fait. Leurs sens sont au paroxysme de leur sensibilité, ou du moins ils en étaient aussi proches que ce que tu pouvais leur offrir. Le corps des hommes n’est pas le corps des elfes. Le corps des hommes tu le connais moins bien… mais ce que tu en sais devrait largement suffire.

- Vous évanouissez pas.

Le corps des hommes tu le connais moins bien, mais les chances étaient fortes que les hommes eux-mêmes ne connaissent pas leur corps.

Les hostilités sont lancées, la si tristement ordinaire scène de l'embuscade dans les petites rues de Thaar se joue. Ce qui l'est moins, ordinaire, est peut-être la manière dont elle se joue. Le regard argent de l'humain qui se dit voyageur passe rapidement sur leurs adversaires, et une lueur étrange capte son regard. L'un des deux arbalétriers tout juste apparus fait tomber son arme, et bien que cela n'est pas pour déranger le chevalier il y a quelque chose de suspect dans cette bénéfique maladresse.
"Gardez votre gauche." Intime l'elfe, dont le ton naturellement ferme pique l'intuition du nordien.
Entre cela et le calme remarquable dont fait preuve le mastodonte sylvain, le nordien a l'impression que l'accrobate a l'habitude de se retrouver dans ce genre de situation critique. Pour que les réactions de l'artiste soient aussi vives, la troupe dont il a la charge doivent avoir reçu nombre d'attaques... S'ils ne sont bien que de simples artistes.

La gauche, soit. Ils verrons bien. Lame dégainé, Aysse fait deux pas de coté pour se rapprocher du mur. A sa gauche l'elfe recule quelque peu, il fait de même : il ne faut pas que la ligne soit de trop rompue. A sa droite son compagnon a d'ors et déjà député ses habituelles excentricités, et si l'oësgardien se retient de ce taire c'est bien parce qu'il sait la lame de l'original aussi agile que sa langue. Quand au zurthan, celui-là n'est plus dans son champ de vision.

Face à celui qui le charge, le digne poète ne se démonte pas. Faisant glisser sa rapière hors de son fourreau avec élégance, il exécute un non moins beau salut de noble duelliste suderon.
"Ainsi, voilà, mon opposant !"
D'un souple mouvement du poigner le bretteur pointe sa lame vers celui qui sera son adversaire.
"Ce pauvre ère, venu brigand ?"
Continuant son mouvement le suderon passe sa lame à la verticale devant lui puis se met en garde.
"Fort bien, maraud, entends mes rimes."
Tout à coup, l'homme se revigoré, comme si l'esprit des grands héros venait de s'imprégner en lui. Ses sens s'affûtent, son corps devient plus léger, et la présence de ses adversaires comme de ses alliés lui semble plus précise.
"Moi, Antonio, Poète de l'escrime."

Le thaari attaque, le drôle pare et dévie son arme.
"Chante, danse, vole !"
Le maraud revient à la charge avec plus de puissance, le bretteur esquive avec grâce.
"Oiseau hardi couleur vermeille."
Le suderon feinte, son adversaire recule d'un pas.
"En cette journée chaude d'été,"
L'escrimeur tente un coup d'estoc qui surprend le bandit sans pour autant le toucher.
"Ton chant, joli, nous émerveille,"
Grognant d'énervement, la brute s'avance pour abattre son arme sur la tête de son adversaire.
"En nous offrant joie et gaieté."
L'agile esquive entaille le bras du bourrin du tranchant de sa lame.
"Chante, danse, vole !"
Antonio sourit, le combat lui paraît plus aisé qu'à l'habitude. C'est véritablement comme si les grands héros possédaient son corps et le rendaient plus fort dans ce combat.

Quand l'ivresse brouille les sens, les intensifier ne le rend pas forcément plus précis. L'humain à la peau sombre n'était déjà pas dans un état des plus optimal au sortir de l'auberge, et la subite montée d'adrénaline n'est pas pour aider à son ivresse. Dernier à réagir, le zurthan s'y prend à deux fois pour s'armer de son épée bâtarde. Le temps gagné par le voyageur lui sert au moins à organiser ses idées, faute de le rendre plus réactif. Des trois compagnons d'arme Kaddo est par ailleurs le seul à ne pas avoir compris le conseil du grand elfe, faisant de lui le plus exposé. Et lorsque les vapeurs d'alcool lui font voir une drôle de lueur colorée, le zurthan se fige. Un vertige, une remontée acide ; Le premier résultat du renforcement des sens de Kaddo une perte soudaine de ses repères. L'homme se sert alors de son épée pour empêcher une chute qui ne l'est que dans son imagination, attendant fixement que la sensation de tanguer ne s'atténue.

C'est la voix sifflante du suderon qui ramène l'esprit du zurthan à l'urgence de la situation. L'ivrogne cligne des yeux, et sa vision se fait moins trouble. Une silhouette approche, une masse sombre s'abat dangereusement vers lui. L'homme ivre claudique à droite, évitant de peu un coup dangereux. Il frappe à son tour, mais manque de peu sa cible. Commence alors une danse étrange entre un thaari armé d'une masse et un zurthan quelque peu alcoolisé. Une danse bien moins élégante que celle de l'escrimeur poète. Et bien que les réflexes de l'ivrogne soient diminués de par son état actuel, il semble que le soudain éveil de ses sens ait équilibré ses compétences pour ce combat.

Aysse Berg, de son coté, ne peut s'accorder le loisir de surveiller ses compagnons d'arme. Face à lui deux des sbires thaaris armés chacun d'un sabre courbe entrent au contact, et malgré toute l'expérience de ses combats le chevalier ne peut que les contrer l'un et l'autre. Leur manoeuvre permet ainsi à leur chef de se rapprocher de celui qui, depuis le début, semble être leur cible principale : à savoir l'elfe massif. Une esquive, un sabre paré, un coup de pied bien senti, et le nordien force l'un des deux à reculer d'un pas. Le second attaque aussitôt et, plutôt que de s'enfoncer vers l'ennemi sonné, le chevalier pare le coup porté.

Le demi-drow, quant à lui, ne compte pas ménager sa cible. S'il le veut vivant, amocher l'elfe ne semble pas poser de problème au vaurien. A l'entrée de la ruelle le malheureux arbalétrier au bras endolori récupère aussi prestement que possible son arme, échappant maladroitement son carreau par deux fois. Son comparse quand à lui parvient à tirer un second trait, effleurant cette fois l'ivrogne à peau d'ébène en lui arrachant quelques gouttes de sang. A ce moment le chevalier parvient à se défaire de l'un de ses adversaire, l'assommant d'un revers d'épée, gagnant ainsi le temps de visualiser rapidement l'état de chacun.
"Kaddo !" Tonne le nordien. "Les tireurs ! Antonio !"
"Oh là ! Canaille ! Je pique !" Réagit le poète bretteur, comprenant immédiatement l'ordre du voyageur.
Et d'une estoc l'élégant distrait l'adversaire du zurthan. A ce dernier il prend cependant une seconde pour comprendre, puis il s'exécute. Bousculant sauvagement le maraud, l'ivrogne charge ainsi le tireur. Profitant du temps de recharge de l'arme, le zurthan espère atteindre les deux malandrins avant qu'un autre trait soit tiré, à force d'une charge hasardeuse.

Plan de combat:

Ton sceptre ne fait qu’un tour. Ton regard lui est partout. L’ennemi se sépare en une charge et en ses soutiens, tes alliés se préparent à dignement accueillir l’assaut, le plus efficace des soutiens perd contrôle de son arme pour le temps où il aurait été utile, l’assaut vous arrive en face, providentielle barrière entre les flèches et vous. Restait cependant maintenant à s’assurer que les lames ne suffisent pas à vous submerger.
Vétéran de guerre qu’il est, Artiön n’a aucun doute sur sa capacité à vaincre, mais Noruì lui s’inquiète de ce qu’il pourrait advenir de ses camarades. Les voyageurs ont accepté de faire volte face, preuve s’il en est qu’ils ne sont pas partis sur les routes incapables d’y survivre… mais s’il était une pègre expérimentée, c’était bien celle de Thaar. Les inciter à se battre était un risque, un risque que pour le coup, voyant les premiers échanges, tu étais content d’avoir pris.

Le poète se rit de son adversaire en lui assénant moqueuse strophe sur insupportable vers.
La danse de l’homme saoul est maladroite, mais imprévisible et violente elle suffit à rendre coup pour coup au malandrin qui en a imposé le rythme.
Cantonné à la défense Aysse pare et esquive, mais ce-faisant vous épargne le poids d’un épéiste trop libre.
Et toi tu as le commandeur. Le demi-drow enragé par l’inattendue efficacité de votre opposition, et bien décidé, quoi qu’il lui en coûte, à te soumettre. Mais grossière est son erreur s’il pense que tu lui laisseras la liberté de dicter ses ambitions. Ton sceptre fait un demi-tour. Son pied devient sa lame, sa tête son pommeau, et le focaliseur devient une arme contondante à l’impressionnante allonge, que ta puissance physique t’autorise à manier avec une étonnante rapidité. Et c’est en essayant de rentrer à portée de son cimeterre que le découvre le malheureux. De larges demi-cercles décrits de la pointe de ton arme, tu cherches d’abord sa poitrine, puis son menton, mais ton adversaire est rapide, et tes coups faute d’atteindre leur but, ne font que le maintenir à distance. La barrière offensive suffit malgré tout à faire fulminer ton adversaire, forcé à plus de prudence dans ses déplacements. Prudence qui si elle pouvait lui obtenir une touche par le futur serait à regretter dans l’immédiat.

Une brèche. Tes alliés venaient de percer une brèche. Celui à la peau sombre comptait s’y engouffrer. Sauf que s’y engouffrer seul serait pure folie. Jamais il ne serait au coup de l’arbalétrier avant que l’arme ne soit rechargée… à moins que... tes gestes sont toujours calculés. Aucun de tes coups n’est jamais porté sans motif extérieur. Si les circonvolutions de ton focaliseur semblent autant d’atteintes au corps de tes adversaires, elles sont aussi une part importante de tes incantations.  À chaque coup tu as arraché à la trame un peu plus des arcanes qui la constituent. Avec chaque coup a avancé la complétion d’un sort, que ce dernier aurait dû destiner à ton adversaire, mais qu’il te faudrait finalement détourner en urgence, de peur que les deux autres ne transpercent le Zurthan avant que sa charge n’ait abouti.

Lenteur.

Tu fais un bond en arrière, et dans un violent estoc, le bout de ton sceptre frappe l’épaule du demi-drow. Ton regard par contre va vers l’arrière, loin vers l’arrière. De sombres aurores dansent autour de ton sceptre. Les veinules de pierre de Yutar tremblent en son fort. Le métal de l’arme lui-même semble s’assombrir l’espace d’un instant en réponse à la magie qui le traverse. D’obscures lueurs pénètrent la peau des tireurs. Pour eux il n’y a que ça. Mais pour toi il y a explosion, puis constriction. Pour toi il y a un large battement, puis deux pulsations qui peinent à se déployer.

Leurs corps sont lourds. Incroyablement lourds. Chaque mouvement est une corvée digne de la punition de Calimenthar, et malheureusement pour eux elle risque d’être parachevée avant qu’ils n’aient pu en voir le bout.

- Kaddo ! ta voix résonne sans effort en direction du Zurthan, espérant qu’il donne suite à ta requête Pas de morts !

Plan de la ruelle:

Pas le temps de te concentrer sur le devenir du Zurthan. Ce que tu avais dépensé comme engagement pour le soutenir, c’était autant d’énergie qui n’était pas donnée à affronter ton adversaire direct. Par chance – s’il on pouvait véritablement qualifier de chance le fait qu’il se conforme à la majorité – c’était sa main droite la main armée du demi-drow. Fragilisée par la force de ton estoc, sa poigne avait failli flancher, et forcé au recul, il s’était retrouvé la lame trop loin de toi pour répliquer dans l’instant. Ce qui ne voulait pas dire qu’il n’essaierait pas.
L’épaule du sang-mêlé glisse sous le manche de ton arme, son bras affaibli se déplie avec véhémence, cherchant ton ventre alors que ton sceptre est trop haut pour le parer. Le temps d’un furieux sourire, ton adversaire déguste une victoire future, une victoire qui lui sera dérobée par un souffle coupé net et des yeux exorbités. La plante de ton pied s’enfonce contre le sternum du pauvre bandit, dont les poumons heurtés abandonnent en même temps que la conscience.

Ton regard se tourne vers la droite en même temps que ton pied d’attaque trouve un appui. Là tu constates l’état des hostilités pour tes camarades. Aysse pare de nouveaux coups. Antonio enchaîne de nouveaux vers. Ton attention se pose sur un tournant dans vos affrontements. Immobilisé par son propre coup, le bretteur a besoin de l’assistance du voyageur. Le voyageur est heureux d’offrir son aide. En cela il s’expose à un bandit bousculé titubant mais décidé à mettre ses dernières forces dans une frappe décisive. Ton sceptre s’écrase avec une force toute mesurée contre le crâne du dernier agresseur. Avec lui s’écroule votre dernière menace immédiate.

Pour autant vous n’êtes pas encore tirés d’affaire. Les pulses qui vous approchent sont sans équivoques. Elles ont flairé le sang et en sont avides. Elles s’excitent déjà à l’idée de se jeter dans la bataille. Elles auront des preuves, avant de s’y lancer, du véritable poids derrière tes premiers mots.
Tu te saisis par le col du corps inerte de celui s’étant présenté comme un chef  et le soulève comme une plume, comme un prix, comme un avertissement en direction des bruits de pas et des pulsations folles. Le sceptre dans ta main gauche d’un preste jeu de doigté a été refait bâton, et les lueurs qui l’entourent se sont intensifiées. Elles sont mixtes, reflet de ton état d’esprit, reflet des deux routes que tu es prêt sans la moindre hésitation à emprunter. Partagées entre de sombres tendons et de rayonnantes aurores.

- Arrêtons-nous là, tu tonnes, d’une voix ferme voulez-vous ?

Mis face au regard éteint de leur apparent dirigeant, comment réagiraient des renforts qui n’en étaient plus ?

L'adversaire de Aysse tombe sous la frappe de l'elfe, offrant au groupe d'étrangers la maîtrise complète de la situation. Bien qu'un peu frustré de voir ainsi son adversaire dérobé, le chevalier nordien se tourne plutôt vers le dernier combattant thaari encore debout.
"Chante, danse, vole !"
Le rimeur duelliste reprend son élégante garde tandis que son adversaire change son arme de main.
"Ô noble oiseau aux plumes de feu."
Le bras ballant, le regard apeuré, le sabreur recule avec hésitation. Ses comparses sont tous tombé, même son chef n'a pas tenu.
"Ta douce mélodie nous berce,"
Affaibli et trop hésitant pour réagir à temps, le vilain est mis à terre par un coup du nordien.
"Pour que s'endorme ce malheureux."

Près de l'entrée de la ruelle, l'arbalétrier parvient in extremis à parer la lame du zurthan. Seulement le fin filou doit user de ses deux mains pour maintenir le fil loin de son visage, et le bougre à la peau sombre a beaucoup de force malgré son ivresse. Un violent coup de genou au ventre tort le malandrin, à peu de choses près ses parties auraient pris cher. Le thaari aurait pu se compter chanceux si un second coup, à l'oreille cette fois, n'avait pas envoyer son front rencontrer le mur avec trop d'empressement. Le zurthan claudique et cligne des yeux, pas vraiment certain d'avoir réussi le coup qu'il voulait faire. Mais le gredin est au sol et n'a pas l'air de bouger, alors ça ira.

Au même moment, un groupe de gredin apparaît du fond de la ruelle. Ils ne sont plus des renforts, cependant, mais plutôt une nouvelle vague d'opposants.
"Et que pas plus de sang ne se..." Entendant les bruits de pas et des armes le bretteur se retourne, et sa voix s'affaiblit. "... Verse..."
Les victimes n'ont pas fuit à la première, ils ne font pas plus mine de vouloir s'échapper à celle-ci. Et pendant que le grand elfe tente d'intimider leurs nouveaux amis, soulevant l'inconscient demi-elfe avec une aisance déconcertante, Aysse s'enquiert rapidement de la situation de son compagnon à la peau sombre. Ce dernier se tient debout, encore chancelant d'ivresse, le regard incertain porté sur sa blessure. Une main posée sur son flanc, il regarde le carreau puis le sang d'un air de se demander s'il est vraiment blessé.

Les malandrins s'arrêtent dans leur course, découvrant avec surprise leur chef ainsi exposé tel un trophée. Leurs regards interrogateurs se croisent puis se tournent vers le plus massif, qui lui se contente de fixer l'elfe confiant. Si les deux mètres de muscles massifs du drow ne lui donnaient pas un air mauvais, son visage et son crâne chauve, tous deux abîmés et parcourus de multiples blessures, suffiraient à effrayer le citadin moyen. Le molosse ne réfléchit pas longtemps avant que ses lèvres épaisse ne s'étirent en un sourire mauvais et qu'un rire sardonique ne retentisse.
"Il a perdu, il est faible. Je gagne, je prends sa place !"

Sur ces mots, le chauve toise brièvement ceux qui l'accompagne. L'un des sbires au visage masqué par un ruban est d'accord avec le géant, l'autre semble acquiescer plus par peur que par loyauté. Quand à l'arbalétrier, il est déjà en train de préparer sa visée. Le molosse n'a pas de doute, ses compagnons le suivront. Il s'élance donc et fonce vers le mage elfe, armé d'une lourde massue tenue à deux mains, visiblement confiant en ses capacités à contrer la magie de l'Elfe. A coté de lui sbire peureux charge aussi, armé pour lui du même cimeterre que ses comparses qui juchent le sol. Quand au second enturbanné il n'a avancé que de quelques pas, restant à mis distance des cibles et de l'arbalétrier. Ne portant pas d'arme, il tient en main un étrange sceptre et commence à psalmodier d'une voix basse ce qui pourrait être le rituel d'un sort. Quand au dernier venu, son arbalète pointe déjà vers une cible et il s'apprête à tirer.

"Oh, mais que voilà de nouv" Commence le poète avant d'être coupé.
"Antonio ! Pas le temps !" Presse le chevalier, dont l'échine frissonne. "Celui du milieu, au plus vite !"
Sitôt que l'oësgardion a perçu l'homme sans arme sortir son outil son instinct s'est alerté, et sa poigne s'est resserrée sur le manche de son épée. Le thaari est certainement un mage, et le chevalier ne tient pas à découvrir quelle sorte de sort ce vilain leur prépare.
"Souffle le vent, et vole l'oiseau !" Déclare le bretteur d'un ton contrit et avec un fort accent suderon, tout en se lançant lui aussi vers sa cible.
Aysse pour sa part vise le malandrin qui charge, laissant le plus massif à la charge de l'elfe. Nécessité fait loi, le nordien va devoir se fier à l'acrobate dont il a pu observer les compétences.

A l'avant devenu arrière, c'est à dire l'entrée de la ruelle, un autre bougre montre le bout de son nez. Arbalète tenue négligemment dans une main, il apparaît avec un air précipité sur le visage.
"Attention ! Y'a la milice qui..."
Le guetteur se fige, les yeux ronds de surprise, en découvrant un zurthan ivre là où il pensait trouver son comparse. Cet soûlard le fixe, lui-même interloqué, pensant que l'arbalétrier qu'il avait déjà mis à terre s'est relevé. Premier à réagir, le guetteur lâche son arbalète pour dégainer une longue dague. Un ivrogne blessé, il put en finir rapidement. Du moins, c'est ce que pense le thaari.

Carte:

Victoire passagère. Malheureusement.

L’arythmie de ton allié ivre se fait de plus en plus marquée. Juste un instant, le temps qu’il arrache le corps étranger et que tu reconstitues ses tissus, tu aurais aimé avoir au moins ça, mais le destin en avait décidé autrement. Sans la moindre considération pour leur ancien chef, pire, se réjouissant de le voir tombé au combat, les nouveaux venus prennent position et te forcent à lâcher ta prise. Ton sceptre s’embrase de plus belle, et ta cible toute décidée, tu défies du regard celui que tes arcanes dévoreront. Tu as assez confiance en tes alliés pour gérer le reste du petit groupe. Vous veniez de remporter une bataille bien plus difficile que celle qui s’annonçait… pour peu que les sifflements captés par ton oreille n’annoncent pas de complications.

Entre tes doigts ton sceptre fait trois tours à une vitesse impressionnante. Sa basse frappe le sol. Tu frappes l’air du dos de ta main droite. La charge du chauve est violemment interrompue. Les lueurs qui t’entourent se font menaçantes, et celles qui courent le long de l’épiderme du chauve, s’y glissant teintées d’or pour en ressortir empourprées trahissent l’origine de son affliction. Douleur. Lui la foudre ne l’aura pas traversé qu’une fois. La foudre aura élu domicile en son corps. Lui tendant cruellement les muscles, lui brouillant la vue, lui faisant siffler les oreilles et lui brûlant littéralement les nerfs. De la torture. C’est une véritable torture que tu infliges à ton adversaire, et si ce n’est pas quelque chose qui te plaît, cela te semble nécessaire.

Mais c’était au moins plus enviable que la mort.

Faire des tares de l’un celles de tous n’est pas juste, seulement les Thaaris ne t’en laissent que peu le choix. De la même manière que les bêtes en Anaëh s’arrachent leurs territoires aux crocs et aux griffes, c’est par la violence que ceux-là s’appropriaient le respect. C’est par la douleur que tu forcerais ton chemin vers la position de dominant.
Tes doigts bougent. Les muscles de ton prisonnier répondent. Son corps lutte contre lui-même, lui infligeant des mouvements dont il n’est pas le maître. Prostré qu’il est face à toi, tu essaies de le forcer à se relever, mais le bougre est têtu, jaloux de son corps. Le bougre te résiste, et tu n’arrives pour l’instant pas à plus qu’à lui imposer quelques soubresauts l’amenant jusqu’à l’accroupissement avant qu’il ne retrouve sa position défensive au sol. Il s’épuiserait avant toi. Longtemps avant toi. Et là, si ses camarades n’avaient pas déjà été mis hors de combat, alors tu te servirais de son propre corps comme d’un bélier.

Mais le temps. Le temps viendrait certainement à manquer avant que tu n’en arrives là. Les huit pulses. La milice, de ce qu’avait confié leur propre éclaireur, approchait. Et à moins qu’ils ne se soient dotés d’éclaireurs sans raison, ou qu’il ne s’agisse-là que d’une manœuvre de diversion, fort est à parier que leurs visages ne soient pas inconnus de la-dite milice. Les faux gardiens de la tranquillité de Thaar, tu aimerais bien les voir remplir leur rôle, pour une fois. Peut-être que là alors tu retrouverais un peu d’espoir en cette Cité de fous.