Une dévotion de circonstance [Lucrétia]

Le serviteur n’insista pas et laissa la porte se fermer devant son nez. J’avais tout entendu, forcément, car contrairement à ce qu’elle avait affirmé à Tadeo je ne dormais pas. Je crus à une nouvelle ruse pour l’écarter assez longtemps pour qu’elle reste à mes côtés, mais ce n’était pas aussi simple, et malgré la tendresse qu’elle me montra au début je savais qu’elle allait s’en aller. Les mots s’allièrent à mes impressions pour me décevoir, et elle me confirma qu’elle s’en allait et qu’il faudrait que je fasse un certain effort pour la ramener auprès de moi. Je ne comprenais pas pourquoi elle devait s’en aller, mais il restait beaucoup de la confiance des dernières heures pour que je ne la questionne pas. Il n’y avait que la peur pour aller contre cette confiance, la peur qu’une fois seule je me laisse submerger par les ténèbres. J’étais bien entourée, je ne pouvais me plaindre, mais ils ne sauraient assez me divertir.

Mais je n’adresserais pas encore cette question, il y en avait une autre. Je levai les yeux vers la prêtresse qui me caressait les cheveux, je la laissai faire, je la laissai rassembler ses affaires, je la laissai m’embrasser, puis je la laissai se relever. Mes mots étaient doux, comme toujours avec elle. « L’oreille, c’est pour ne pas oublier… Ne pas oublier que le drame aurait pu être évité… » C’était facile de dire ça à cet instant, tant qu’elle était là, tant que je savais que la décision n’était pas irrévocable, mais j’avais tendance à me rapprocher de ce qui était facile. En vérité le fait que je n’avais pas fait la paix avec l’événement était une certitude et j’avais comme une intuition que ça pourrait me servir quelque part, alors que j’avais beaucoup trop tendance à balayer d’un revers de main ce qui me déplaisait. Cela n’allait peut-être pas émouvoir Lucrétia mais j’avais tenu à le lui préciser, répondant à la place d’un Tadeo qui n’en avait eu aucune idée.

« Lucrétia, arrête avec le vous, s’il te plaît, même quand je n’ai pas le ruban. » Je marquai une pause avant de fermer les yeux et de reprendre. « Et si tu as besoin de quelque chose et que je peux t’aider viens me voir, tu le mérites. Merci de m’avoir changé les idées, en plus des soins… » Je souris faiblement avant de m’assoupir à nouveau, plus fatiguée que je ne l’aurais pensé. Eventuellement elle partirait, éventuellement elle me laisserait seule, éventuellement le monstre reviendrait avec l’ombre qui me recouvrirait, éventuellement quelques larmes couleraient, éventuellement quelques pleurs suivraient, et éventuellement je me réveillerais avec la main de Tadeo contre ma peau nue, puis la voix d’un ancien eldéen à la peau d’argent qui donnait quelques directives avant de murmurer doucement quelques mots que je distinguai clairement.

« Elle en avait besoin. »