[Temple de Néera] On passe au plan B (Lucrétia)

début troisième ennéade du mois de Barkios, an 17 du XIe cycle
Au temple de Néera
après une consultation pas si privée.

Après la rencontre fort instructive avec le guérisseur adepte des sectes draconiques, au visage tatoué de Nisétien, Dante retourne dans la rue. S'il avait su la foi de Mehmet, il ne se serait pas pointé chez lui, remarque, son lien avec Irulan était aussi flagrant que les tatouages sur sa figures. Même s'il n'en avait pas parlé, sa curiosité est piquée au vif. Il l'aurait bien cuisiné un peu, mais les guérisseurs font partis de ces gens intouchables. Tout simplement parce qu'un jour il va peut-être devoir débouler sur son parvis... Dans tout les cas, il va avertir Claude de n'y envoyer aucun adorateur des dieux sombres.

Ca amène d'autres interrogations par contre. Est ce qu'il ne s'est jamais mêlé au monde de sa Ténébreuse volontairement ou bien est ce parce qu'elle lui en a tenu à l'écart? Et la prêtresse pirate..

Réfléchissant aux informations qu'il en a tiré, mine de rien, il continue son chemin, l'oreille alerte dans le brouhaha décroissant de la rue, Dante continue son chemin, sentant ses bandages commencer à se tremper... Saleté... Quand il s'est pointé, même s'il a atteint son but premier il y avait d'autres choses à traiter...

Ses pas le guident instinctivement vers le temple de Néera. Clignant des yeux, l'assassin réfléchis un court instant avant de s'engouffrer dans le temple, une odeur de sang frais dans son sillage.

« Et bien … voilà qui n’est pas banal … Je ne pensais pas vous voir blessé un jour »!

Le ton de Lucrétia était à la fois mêlé à la fois l’étonnement et l’amusement, mais cachait parfaitement son agacement. Revoir le mercenaire frapper à la porte de son temple et être ainsi allongé dans la salle où elle avait naguère soigné le drow que Nehril lui avait amené n’augurait rien de bon. La dernière fois que cette situation s’était produite, elle avait fini dans une ville assiégée, à contempler des cadavres de ses congénères qui s’amoncelaient sous les coups d’épée des Sombres. Elle n’avait du sa survie qu’à la présence du mercenaire et de son compagnon.

L’odeur était tenace : miel, lavande et gomme de pin … sans compter la puanteur du sang frais. Il ne fallait pas être devin pour s’apercevoir que des premiers soins avaient été appliqués sur l’assassin qu’elle avait autrefois engagé pour s’occuper du problème de contamination au Nid. Cependant … ils semblaient visiblement insuffisant.

Seule dans la petite salle de soins, la haute-prêtresse préparait lentement ses outils de travail, tout en observant les blessures de l’homme, cachées par ses bandages. Les prêtres du temple avaient pour consigne de lui amener dans la plus grande discrétion les gens qui semblaient dangereux ET blessés. Généralement, ces personnes avaient besoin de soins urgents et surtout d’une protection contre d’éventuels poursuivants. Le mercenaire semblait parfaitement entrer dans cette catégorie pour les employés du temple de Sainte Iselda, aussi fût-il amené promptement dans les espaces les plus reculés du dispensaire … pour sa protection.

« Bon … avant que vous ne vous vidiez de votre sang et ne tombiez dans les pommes, expliquez-moi ce qui vous arrive. Cela nous fera gagner du temps. »

Le ton était sec. Plus vite il répondrait et plus vite Lucrétia pourrait commencer ses soins. Elle avait saisi son pendentif pour se préparer à canaliser la magie divine. Dès qu’elle en saurait plus sur le mal qui affligeait son patient et plus vite elle pourrait le remettre dans les eaux de Thaar … où il irait encore se faire charcuter.

« Bien … C’est une bonne chose. »

Lucrétia avait autre chose à penser. Elle aurait pu être plus amène dans sa réponse, mais elle était fatiguée, aussi bien physiquement que mentalement. Elle avait besoin de faire le point sur sa vie et sur ses aspirations. Bien qu’elle ait voué sa vie corps et souffle à Néera, les récents évènements l’avaient passablement refroidi quant à la possibilité d’échapper à la violence et de mener les êtres humains vers un monde où l’on souffrirait moins.

Savoir que les enfants du Nid étaient désormais en sécurité aurait pu être une réjouissance, mais au final, ces gamins restaient dans la rue, sans éducation, sans famille et sans possibilité véritable de s’émanciper de leur condition. Il fallait que ces gamins aient accès à un apprentissage, qu’ils gagnent honnêtement leur vie, au lieu de vivre de rapines et de l’argent gagné par le mercenaire. Cette situation n’était pas pérenne. Au final, ils ne sortiraient jamais de la misère, ou, pour les plus chanceux, vivraient de bas métiers. Il faudrait des générations pour qu’ils puissent s’extraire de leur condition … mais ça, Lucrétia n’y pouvait pas grand-chose. Elle aurait pu proposer au mercenaire de prendre en charge les enfants, de leur apprendre à lire et à écrire avant de les placer chez des artisans pour qu’ils apprennent un métier … mais la haute-prêtresse était complètement perdue.

Depuis son retour de Sol’Dorn, Lucrétia fonctionnait de manière automatique. L’avantage de servir au dispensaire, c’était qu’il n’y avait pas à se poser trop de questions sur les tâches à accomplir : les malades arrivaient, elle les soignait, ils repartaient : fin de l’histoire. La haute-prêtresse s’était abrutie de travail depuis que Nehril l’avait ramenée chez elle. C’était le seul moyen pour elle de ne pas penser à ce qu’elle avait vu … et de penser à la DameDieu. Elle avait besoin de se réfugier quelque part, mais tout lui rappelait les corps entassés, le regard accusateur des survivants … sans compter les cauchemars incessants.

Elle faisait le même cauchemar depuis des ennéades.

Les landes désolées:

Ce cauchemar se répétait sans cesse depuis plusieurs ennéades. Elle ne pouvait échapper à la toundra et se réveillait au beau milieu de la nuit, frigorifiée. Néera ne répondait pas à ses prières, elle qui avait l’habitude de sentir sa présence à ses côtés. Lucrétia était perdue dans les méandres d’un phénomène qu’elle ne comprenait pas et que les personnes qu’elle avait consultées s’étaient révélées incapables d’analyser. On lui avait dit qu’elle avait besoin de repos … mais quelle forme de repos pouvait-elle trouver quand chaque nuit, elle s’effondrait épuisée dans les neiges désolées, transie de froid.

Elle devait aussi s’occuper de la petite qu’elle avait sauvé de Sol’Dorn. Depuis son retour, elle avait tout fait pour l’éviter. Chaque fois qu’elle la voyait, elle se rappelait de ce qu’elle avait vu et fait à Sol’Dorn et ces pensées étaient insupportables. Clairement, la haute-prêtresse était à bout. Entre ça, sa magie qui semblait de plus en plus incontrôlable et puissante et les cauchemars … elle était au bord de la crise de nerf. Seul le travail lui permettait de ne pas s’effondrer en pleur. Ca … et sa fierté de Péninsulaire.

« Vous ne me dérangez pas. Je dors très mal c’est tout. Ne bougez pas, je vais retirer les bandages. »

Elle passa ses mains dans une bassine d’eau pure et commença à défaire les bandages du mercenaire, sans poser la moindre question. Elle avait besoin de se concentrer sur le travail. Uniquement sur le travail.

Le sang se mit à tâcher ses mains à mesure qu’elle manipulait les compresses et les tissus ensanglantés. Rapidement, elle jeta les pansements sur un linge propre et examina les blessures.

Le mercenaire se laisse faire à mesure que Lucrétia l’examine. Les scarifications ne sont pas belles à voir, mais des scarifications se révélaient déjà plus encourageantes qu’un ventre ouvert libérant les intestins ou une lance plantée dans un poumon. Au moins, des balafres, mêmes saignantes, peuvent être soignées. Certaines saignaient peu, d’autres semblaient fraichement cicatrisées, mais fragiles. D’autres ne semblaient pas avoir été causées par des lames mais par des crocs.

Ce n’était pas plaisant à voir. La haute-prêtresse retira le reste des bandages sans se presser tandis que son patient semblait vouloir lui tenir la causette. Elle se stoppa net :

« Ecoutez, si ça peut vous faire taire ne serait-ce que cinq minutes, je vais vous raconter. »

Elle prit une grande inspiration et lui raconta comment son épopée à Sol’Dorn : de la première rencontre avec le drow empoisonné sur la table sur laquelle Dante se tenait à la fuite de la cité en passant par sa rencontre avec Nehril, Lyad, … Mais surtout, elle raconta ce qu’elle avait dû faire : tuer des gens, en sauver d’autres, en sacrifier le reste … Elle resta coite quant au sort de la petite Ada – le nourrisson qu’elle avait sauvé de la vindicte des survivants humains. Il n’était pas nécessaire d’en faire part au mercenaire. Elle décrivit les scènes de massacres avec détails, sans y mettre la moindre émotion. La force lui manquait pour instiller des effets dramatiques.

Tout cela lui pesait … mais surtout, l’absence de la déesse lui pesait. Cette dernière ne répondait pas à ses appels. D’ordinaire, elle trouvait le réconfort dans la prière et dans la méditation, les deux mamelles du dogme ; mais ces derniers temps, non seulement la déesse était absente – de la même manière qu’à Sol’Dorn – mais en plus, les pouvoirs de Lucrétia étaient de plus en plus difficiles à maîtriser. Cette absence avait considérablement affecté ses canalisations et une reprise en main semblait nécessaire si elle voulait éviter de blesser quelqu’un à l’avenir. C’était sans compter les cauchemars qui l’assaillaient et la laissaient sans sommeil. Canaliser en toute sécurité était de plus en plus difficile et la manière dont elle avait utilisé ses pouvoirs à Sol’Dorn avait déclenché quelque chose en elle qu’elle semblait de moins en moins maîtriser.

N’ayant jamais reçu de réponses à ses missives qu’il y a quelques ennéades, Lucrétia se sentait désespérément seule, avec des responsabilités de plus en plus chronophages et sans moyens de s’en sortir sans devenir un danger pour elle-même et pour les autres. Dans son état, il lui restait au mieux une ennéade avant de craquer complètement. Fort heureusement pour elle, Tiphaine et Amélie avaient été ordonnées à son retour de Sol’Dorn. Elles pouvaient tout à fait prendre son relais en attendant qu’elle se remette … mais il était hors de question qu’elle se confie à elles.

Ses explications terminées, elle se remit à se concentrer sur les blessures du mercenaire. Elle ne connaissait toujours pas son vrai nom – non pas que ça ait une quelconque importance. On la demandait pour des soins, pas pour faire la causette.

Machinalement, ses doigts firent tourner le médaillon d’argent et de saphir.

« Cela ne prendra pas longtemps. Par contre, ne vous attendez pas à faire peau neuve : je vais recoudre les blessures magiquement, mais par contre, pour le côté « esthétique », il faudra repasser. »

Elle sortit un bâtonnet de bois de la trousse de soins et le tendit à l’homme.

« Mordez dedans et pensez à quelque chose … de positif. Ca risque de piquer un peu. »

Le problème est que Lucrétia ne ressentait rien. Abandonner les réfugiés à leur sort après qu’ils aient menacé de la tuer et qu’elle ait passé du temps à les soigner ne lui avait fait ni chaud ni froid. Ils étaient déjà morts de toute façon. Quant aux deux sombres qu’elle avait tué à l’étage de la bâtisse pas si abandonnée, elle n’avait eu aucun remord ni aucune honte à leur faire frire le cerveau. Tout cela l’avait laissé de marbre. Et elle s’en voulait terriblement de ne rien ressentir à leur propos. Après tout, le Dogme était clair sur les questions liées au soin à apporter à l’autre, à la compassion, à l’altruisme … Mais dans une situation comme celle de Sol’dorn, Lucrétia avait découvert une facette d’elle que des années passées à répéter inlassablement les préceptes de Néera avait enfoui : elle pouvait être totalement impitoyable et sans aucune empathie avec son prochain.

Cela contrastait grandement avec la personnalité compatissante et avenante qu’elle se donnait au quotidien. Lucrétia avait toujours été quelqu’un de particulièrement dévoué à la cause de Néera mais ces derniers temps, au contact des Estreventins et au vu des difficultés quotidiennes à gérer un hôpital, elle avait dû troquer sa bonne humeur naturelle pour devenir ce que l’on attendait d’elle : une haute-prêtresse capable de représenter le culte de Néera. Piégée entre son rôle, son métier et l’impossibilité de demander conseil à ses coreligionnaires, la jeune femme ne savait plus où donner de la tête.

Ce n’est qu’après avoir passé des mois tiraillée entre ses envies, son rôle de haute-prêtresse et son métier de guérisseuse, qu’elle se rendait compte de ses propres failles. Elle était bien loin d’être le parangon de vertu qu’elle s’imaginait être. Malgré sa volonté de bien faire et d’être toujours capable de combler les attentes des fidèles, son absence de remords quant à ce qu’elle avait fait à Sol’Dorn aurait été jugé inacceptable par ses pairs. Après tout, elle était sensée incarner ce qu’il y avait de meilleur dans le Dogme de Néera et elle se révélait bien loin de ce standard.

« Je n’ai rien ressenti. Aucune haine, aucune compassion. Seulement un profond détachement … Comme si au fond, rien de ce que j'avais fait n'avait d'importance. »

Lucrétia prit le temps de faire maturer sa réponse. Le mercenaire marquait un point.
« En fait … que les gens offensent la déesse ne me pose pas de problème en soi. Néera se fiche cordialement des gens qui ne croient pas en elle. Elle n’est pas vexée, elle n’est pas en colère : elle EST, tout simplement, qu’on le veuille ou non. Néera est une déesse profondément détachée de l’humanité qu’elle a créé. »
Elle marqua une pause :

« Néanmoins, vous avez raison sur un point … Néera est la déesse du libre-arbitre. Elle laisse l’humanité choisir sa propre voie et n’intervient pas dedans. Elle a donné aux hommes le Choix et des règles de vie toutes simples à suivre pour vivre en société. Le hasard a fait que la somme de mes choix m’a permis de sortir vivante de Sol’Dorn … au prix de la vie d’autres personnes. Mais ma survie permettra sans doute de sauver d’autres personnes à l’avenir. C’est le mieux que je puisse faire. »

Il était vrai qu’au final … elle avait réussi à sauver plusieurs vies et qu’elle avait été elle-même sauvée par Nehril. De tous les choix qui avaient été faits durant cette journée, l’issue était peut-être la moins terrible. Il fallait qu’elle fasse le clair dans son esprit. Après tout, elle était la haute-prêtresse de Néera. Elle se devait d’incarner ce qu’il y avait de mieux dans les enseignements de la déesse : c’était son rôle, son sacerdoce. Qu’importe ses états d’âme … ou son absence d’états d’âme. Et le détachement dont elle avait fait preuve n’était-il pas la marque de Néera au quotidien ?

Lucrétia n’avait rien ressenti à la disparition de ceux qui s’étaient retournés contre elle et elle avait abandonné une partie des survivants. Et bien soit. Elle avait fait ce choix en toute connaissance de cause et elle devrait vivre avec. Elle ne ressentait pas la culpabilité qui aurait dû être la sienne en tant que haute-prêtresse … et bien soit ! Elle ferait le maximum pour que cette situation ne se reproduise plus jamais et faire en sorte d’améliorer la vie du plus grand nombre. Qu’elle se sente coupable au fait de ne rien ressentir … C’était une affaire qui ne concernait finalement qu’elle et dont elle était la seule à pouvoir traiter. Elle avait un devoir envers ceux qui plaçaient leurs espoirs dans ses compétences. Qu’elle doute était finalement très humain … mais c’était son problème : pas celui des autres.

« Il est vrai que je ne pourrai jamais sauver tout le monde. Je ne suis pas sotte au point de me surestimer … vous avez certainement raison sur le détachement. »

Elle se releva et déclara :

« Assez parlé de moi et de mes problèmes. Il y a des blessures à soigner. »

Elle passa sa main dans ses cheveux bouclés pour écarter une des mèches brunes. Il y avait du travail. Elle prendrait du repos la prochaine ennéade pour faire le point. Cela devenait nécessaire, de même qu’un entrainement magique sérieux. La méditation aiderait … et elle avait besoin d’aller au bout du rêve qu’elle faisait toutes les nuits.

Les cicatrices étaient bien vilaines. Quelques journées de plus à suppurer et il était clair que l’infection s’installerait. Fort heureusement pour le mercenaire, Lucrétia pouvait intervenir rapidement sur ces plaies et les réparer sans trop de problèmes. Ce n’était pas un défi très intéressant … Ce n’était même pas un défi du tout.

« Franchement … j’ai vu pire … »

Elle avait vraiment vu pire …

« Vous avez déjà essayé de rattacher la peau du visage d’un homme en train de hurler après qu’il se soit fait découper par un fou furieux ? Ne vous inquiétez pas, ce ne sont pas quelques cicatrices qui vont me rebuter. »

La haute-prêtresse fit jouer son pendentif de saphir et d’argent entre ses doigts et commença à incanter pour canaliser les flux magiques. Il s’agissait d’une simple prière à la Damedieu qui, une fois concentrée au travers de son focalisateur, parviendrait à diriger la magie divine directement dans ses doigts pour réparer les blessures.

L’incantation ne prit pas longtemps à réaliser et sentant l’énergie affluer au bout de ses doigts, Lucrétia commença à appliquer ses soins sur les cicatrices encore vives. La magie progressa rapidement au sein du corps du mercenaire et les chairs commencèrent à se refermer. L’opération ne prit qu’une dizaine de secondes : Lucrétia était devenue une experte en la matière et il ne s’agissait pas d’une opération complexe.

Les chairs refermées laissèrent place à des cicatrices bien propres. Elle avait veillé à ce que la peau soit moins fragile et plus épaisses que celle des cicatrices ordinaires, de sorte qu’il ne se vide pas de son sang en continuant à se scarifier la prochaine fois. A mesure que la magie quittait le corps de son patient, Lucrétia finissait de vérifier avec un rapide diagnostic magique qu’il ne présentait pas de lésions internes qui auraient pu lui échapper. Visiblement … tout allait bien : il ne présentait rien d'inquiétant que l'oeil n'aurait pu déceler. Elle retira bien vite la magie de son corps et arrêta de canaliser.

Satisfaite du résultat, Lucrétia se recula avant de déclarer d’un ton pince-sans-rire :

« Voila. La prochaine fois, essayez de venir avec un bras ou un os en moins … cela sera un défi plus intéressant que quelques cicatrices. »

Elle sortit de sa sacoche de médecin un onguent à base de valériane qu'elle lui tendit.

"Vous en profiterez pour appliquer ça sur les blessures que je viens de refermer. C'est un léger anesthésiant. Ca vous évitera de vous gratter à cet endroit et de rouvrir par mégarde vos cicatrices. J'ai fait en sorte que la peau reprenne son épaisseur, mais si vous voulez que cela tienne correctement, le mieux reste de ne pas y toucher pendant quelques temps."

La haute-prêtresse sentit aussitôt dans le regard du mercenaire l’envie de meurtre. D’instinct, elle recula d’un pas et se prépara à incanter. S’il esquissait le moindre geste menaçant envers elle, son cerveau se mettrait à bouillir.

« Doucement, ce ne sont que des soins. Si vous n’êtes pas capable de serrer les dents et de supporter la douleur, je vous mets à la porte. »

Le ton de la haute-prêtresse était dépourvu de toute compassion. Si le mercenaire n’était pas satisfait de la manière dont elle réalisait les soins, qu’il aille se faire soigner ailleurs ! Tout le monde n’avait pas la chance de pouvoir être soigné magiquement et si Lucrétia se gardait bien de faire étalage de son don, elle savait pertinemment que des gens seraient prêts à payer des monceaux d’or pour s’arroger ne serait-ce qu’une heure de ses services.

Néanmoins, la magie n’était pas à distribuer comme des petits pains. Lucrétia savait pertinemment que si elle montrait à tous les passants ses pouvoirs, son dispensaire n’en finirait plus de se remplir. Le mercenaire devait donc s’estimer heureux qu’elle accepte de le soigner d’elle-même et avec le don que Néera lui avait fait.

« Suivez mes instructions et nos rencontres se feront de plus en plus rares, je puis vous l’assurer. Cela nous sera profitable à tous les deux. Je ne tiens à pas à ce que vous soyez devant ma porte à chaque fois que vous avez un problème.»

L’idée n’était pas qu’il revienne tous les quatre matins. Lucrétia avait mieux à faire que de rafistoler des tueurs et des assassins. Mais elle se sentait quelque peu redevable de cet homme qui lui avait évité de finir découpée dans une fosse à purin du Nid. Cependant … elle se sentirait largement mieux s’il évitait de lui sauter dessus et s’il prenait rapidement ses affaires avant de déguerpir.

Lucrétia ignora superbement les conseils du mercenaire sur la valériane. Elle n’était pas dans les bonnes dispositions pour en avoir quoi que ce soit à faire de ses palabres en matière d’herboristerie. De toute façon, elle avait déjà un herboriste compétent. En revanche, sur la question du paiement …

« Vous ne me devez rien. Considérez ça comme un remerciement pour m’avoir écouté, même si je vois bien que ça vous passe par-dessus la tête. Repassez me voir dans deux ennéades : nous verrons si la magie a tenu et nous aviserons à ce moment-là. »

La haute-prêtresse commença à rassembler ses affaires et à jeter les déchets poisseux de sang dans une corbeille prévue à cet effet. Il faudrait rincer la table pour être sûr que le sang ne contamine personne dans les prochains jours. Elle ferait faire ça par les aides. Quant aux instruments qu’elle avait préparé, il allait falloir les passer au feu pour être sûr que rien de dangereux ne reste dessus.

Mais à peine avait-elle commencé à réfléchir aux différentes étapes de nettoyage que le mercenaire revenait déjà à la charge avec ses plantes et ses recettes. Lucrétia n’en avait rien à faire, mais se dit qu’il valait mieux garder un profil aimable afin de ne pas gâcher cette séparation qui ne se terminait pas dans un bain de sang au milieu des immondices cette fois-ci.

« Si vous avez quelques recettes intéressantes, vous pourrez les partager avec notre herboriste du dispensaire. Il n’est là que cinq jours par ennéade mais si vous demandez dans le hall, on vous indiquera ses horaires de présence. »

Elle remballa le reste du matériel et le posa à côté de l’entrée. L’utilisation de la magie n’avait pas drainé ses forces : le sortilège était resté d’une simplicité enfantine. Avec un peu de chance, le mercenaire lui ramènerait une blessure plus complexe pour la prochaine fois. Lucrétia avait besoin de s’entrainer et elle pouvait difficilement justifier le fait d’aller découper elle-même des corps pour les rafistoler.

D’une main, elle ouvrit la porte. C’était étrange d’espérer revoir quelqu’un comme cet homme et en même temps … d’espérer ne plus jamais le revoir mettre les pieds dans son établissement. Il y avait des gens comme ça, qui gravitaient autour de sa vie et étaient attirés comme des mouches par ses talents. Le mercenaire en faisait partie. Elle n’avait aucune sympathie pour lui, tous les opposaient … mais qu’elle le veuille ou non, les deux étaient liés par quelque chose de ténu … mais de présent.

« Vous pouvez y aller. A dans deux ennéades. »