Je veux voir la manager!

Deuxième jour de la 4e ennéade de Karfias - été.
Dix-septième année du onzième Cycle.
L'après-midi, après la réunion d'Etat-Major.

Lorsque Kerath prie pour lui c’est toujours seul qu’il le fait. Alors certes il ne ratait les prières communes pour rien au monde mais celles qui comptaient vraiment pour lui, c’étaient celles qu’il faisait à l’abris des regards, devant un autel aussi dépouillé que celui d’un esclave, tout au plus trônait le symbole ou une effigie du dieu dont il cherchait l’attention. Là où certains se servaient de leurs dévotions comme d’un spectacle, comme d’un moyen de montrer leur statut et leur pouvoir, ce n’était pas le cas du Senger et ils les méprisaient. Sa foi était sienne et en user comme d’un vulgaire outil politique le révulsait. Alors, dans le silence de plomb de sa tente il s’agenouillait et récitait des psaumes en espérant que la divinité qu’il appelait daignerait tourner la tête vers lui. Mais plus qu’une tentative d’entrer en contact avec quelque chose de bien plus grand que lui, ses prières solitaires étaient un test. C’était une façon pour lui d’affronter une de ses peurs les plus tenaces : celle de la solitude. Ces prières étaient souvent courtes, elles n’avaient de toute façon pas besoin d’être longues, quelques minutes suffisaient. C’était un exercice qu’il appréciait pour se fortifier mais aussi pour se contrôler, un exercice nécessaire pour tenter de garder le contrôle sur ses émotions, et sur lui-même, chose qu’il avait eu de plus en plus de mal ces derniers temps ; du moins depuis que le siège trainait douloureusement en longueur.

De retour dans sa petite forteresse après la réunion d’Etat-Major il retourna dans sa tente pour retirer son armure mais à l’entrée Kays lui demanda ce qui n’allait pas et le Senger l’ignora. D’ordinaire Kerath échangeait sans mal avec ses soldats, c’était nécessaire pour la bonne marche de son ost, mais il y avait des choses qu’il se devait de garder pour lui. Notamment lorsque ça touchait un triumvir. Il descendit de Murrpau, ordonna à ce que l’on mène sur félin à pointe chez les prêtres de Zhak’Bar et rentra dans sa tente sans se préoccuper de la surprise de ses troupes ni de celle de sa monture. Une fois à l’intérieur il déposa son marteau sur son râtelier et laissa les esclaves défaire les attaches de son armure avant d’en sortir, il les laissa également la remettre sur son mannequin. Ensuite il les congédia et se mit à réfléchir à ce qui avait été dit à la réunion mais il arrêta bien vite, ça l’énervait plus qu’autre chose et ça ne servait à rien. Enfin si ça servait, ça servait même beaucoup se rendit-il compte alors qu’il se souvenait de ce qu’avait tenté de lui apprendre un prêtre du Maître des Cataclysmes : dompter sa colère en la tournant vers quelque chose de productif. Il n’a jamais été très bon pour ça mais s’il y avait bien un moment où il en avait besoin c’était bien maintenant. Avannt qu’il ne parle à un de ses soldats et que la nouvelle de ce qu’il pensait se repende dans le camp nord, et dans son ost, ce qui ne serait bon pour personne.

Il devait faire quelque chose qu’il n’avait pas envie de faire mais qui était nécessaire alors il ordonna à ce qu’on envoie un message à Krish lui demandant de le rejoindre au camp nord pour qu’ils discutent. Ensuite il prit un moment pour choisir les soldats qu’aurait besoin L’Renor pour garder le nouveau Phord’ur, du moins l’ancien Phord’ur, à condition qu’il l’ait été un jour. Mais il s’agissait là des affaires du C’nros et Kerath n’avait pas envie de s’en occuper. Une fois cela fait il ne prit pas la peine de ranger les documents éparpillés sur son bureau, il se leva, attrapa un ceinturon d’arme, il y plaça une lame et sortit de sa tente en prévenant Kays et O’Shovah qu’il se rendait sur la berge de l’Oliya, qu’ils le disent à la triumvir lorsqu’elle arrivera.

En attendant il sortit du camp, suivit de Tiu’kor à qui il ordonna de rester à l’intérieur. Après avoir marché deux petites minutes il entendit un couinement venant de derrière lui.

« Dégage. » Grogna-t-il en se retournant à l’attention du bagron vert et ce dernier repartit au camp pour retrouver son ami le félin à pointe. Jusqu’à ce que quelques secondes plus tard il entendit un autre couinement. « Si tu restes fermes ta gueule. » Kerath n’avait aucunement envie de cacher son agacement, surtout pas à un bagron, Une fois devant l’eau claire de la rivière il dégaina l’épée, la planta dans le sol avant de s’agenouiller et de prier jusqu’à l’arrivée de sa supérieure. Une minute à peine après avoir commencé ses dévotions il sentit Tiu’kor se poser sur sa tête.

La journée avait été aussi chargée que Krish l'avait pensé en sortant de la tente après avoir secouer les membres du conseil. D'abord la Doth'Ka, puis Ssol. Au moins ils s'étaient bougés et rapidement... Elle n'arrivait pas à savoir si elle en était fière ou si c'était encore plus rageant de voir qu'ils n'avaient pas su se débrouiller sans elle... Et qu'ils venaient au rapport auprès d'elle encore une fois comme si elle était le seul point d'orgue.

Pour la Doth'Ka les choses étaient particulières et au vu de ce que lui avait raconté la garde silencieuse, elle avait pris sur elle de la garder près d'elle au moins jusqu'au soir. Mais les découvertes de Ssol'riss arrivant pile au bon moment... elle était presque sûre qu'il les gardait sous le coude depuis quelques jours si elles venaient à sortir une poignée d'heures après qu'elle lui ai publiquement dit qu'il fallait qu'il soit plus réactif. Entre lui, le Xy quelque chose et L'Renor, l'étau se resserrait étrangement.

Au courant de l'après midi, elle avait reçu une missive du Camp Nord la mandant pour discuter avec le Senger. Une moue dubitative sur les lèvre, elle hésita à lui envoyer un gentil mot lui faisant comprendre que s'il voulait lui parler, il n'avait qu'à se déplacer et éviter de partir comme un abruti en fin de conseil de guerre, mais après mûre réflexion, elle avait un sujet aussi important à abordé avec lui. Elle jeta un coup d’œil sur l'objet posé près d'elle et acquiesça. " Vous pouvez vous reposer. J'y vais. " lança-t-elle à l'estafette. " Garde. Avec moi. " ajouta-t-elle en sortant à la membre de la Doth'Ka restée près de sa tente. " Faites apprêter Yorn sans l'armure. "

L'énorme destrier aveugle était... bien trop placide pour elle. Elle ne l'aimait pas vraiment, mais elle avait décidé de changer sa première impression... Même si pour un destrier de guerre, c'était sans doute mieux. Quand il crèverait, elle ne serait pas vraiment triste, la selle pourrait être ajuster sur un autre équidé. Enfin... En attendant, elle essayait au moins. Et puis l'avantage, c'est qu'il était sacrément confortable, d'un galop lourd et régulier.

Au côté de l'unique membre de sa garde du jour, elle parcouru rapidement la distance qui la séparait du camp nord sous le soleil estival. A sa hanche une sabre fin en acier noir avait remplacé le marteau. Dans son dos, un long paquet de tissus soigneusement fermé semblait contenir une autre arme. Sans doute un arc.

Lorsqu'elle mis pied à terre, portant un corset d'acier et un pantalon de cuir noir, ses pieds nus la guidèrent vers la berge de l'Oliya, un soldat du IIe Ost la précédent et Dyvir sur ses talons.

Arrivée en vue du Senger du second ost, elle fit signe à sa Garde de tenir sa position, congédia son guide et avança seule, silencieuse, pour se placer à côté du grand homme. Souplement, elle s'agenouilla, posa les mains au sol et son front vint frôler la poussière pendant un long moment. Puis elle redressa le buste, yeux clos, pour tendre son visage vers le soleil, l'accueillant avec un sourire fier. Ses mains, paumes vers le ciel, étaient posées sur ses genoux. Elle ne prendrait pas la parole avant que le Senger ait finit ses dévotions.

Kays mena donc, comme le lui avait demandé son général, Krish jusqu’à l’endroit dont lui avait parlé le général en question, il fut soulagé de voir que le Senger n’avait pas bougé, il aurait détesté devoir expliquer à la triumvir que c’était bien là l’endroit qu’on lui avait indiqué. Alors, une fois qu’on lui donna l’ordre de partir, il salua la haute-prêtresse et s’en alla au pas de course reprendre son poste.

Après une heure et quelques passé seul à prier, un temps qu’il avait mis à profit pour méditer via ses prières, un qui lui avait permis de ruminer des pensées sombres, qui donnait un terreau ô combien fertile dans lequel la graine du doute n’aurait aucun mal à germer. Ce qu’il voulait éviter à tous prix car s’il savait une chose c’était que le doute était bien plus destructeur que la colère. Surtout chez lui. Alors il avait demandé à en discuter avec Krish. Sa supérieure. Comme ses soldats le faisait avec lui lorsque quelque chose n’allait vraiment pas. C’était peut-être stupide de croire qu’elle allait accepter de faire ce qu’il faisait d’ordinaire avec ses drows mais si Kerath était un piètre comploteur c’était aussi parce qu’il tentait de déterminer ce que ferait les autres en ne se basant que sur ce qu’il ferait dans une situation donnée. Ce qui était d’autant plus étrange qu’il ne le faisait pas pour la guerre ; mais cette partie-là pouvait être aisément expliquée : le Senger ne voyait pas la politique comme un champ de bataille. Du moins il refusait de voir la politique comme un champ de bataille. Ses talents guerriers ne devaient servir qu’à une chose : honorer les dieux et les aider à triompher. Pas à avancer sa position.

C’était, entre autres, pour ça qu’il avait fortement douté que Krish allait venir, il s’attendait en effet à ce qu’elle lui dise de venir la voir s’il voulait lui parler, que c’était à lui de se déplacer. Ce qu’il aurait compris, c’est probablement ce qu’il aurait fait à la place de la triumvir alors il fut surpris d’entendre quelqu’un s’agenouiller à côté de lui pour prier. Mais ce fut une surprise bienvenue car s’il avait choisi un endroit isolé c’était aussi pour s’assurer que personne n’entende leur conversation. Déterminer qui  se trouvait à côté de lui n’était donc pas difficile. Il fut content qu’elle ne l’interrompe pas, du moins tente de l’interrompre, car ce n’était pas avec son autorité de triumvir qu’il aurait arrêté ; à moins que la Prime Flamme ne fasse intervenir le Père il aurait patiemment terminé ses dévotions. Les deux mains posées sur ses genoux, le visage tourné vers le ciel, le Senger termina de murmurer la dernière phrase qui lui permit d’achever sa prière. Puis il prit une grande inspiration avant d’expirer lentement. Malgré son manque d’activité physique lié à sa prière il sentait son cœur battre puissamment dans sa poitrine, comme s’il voulait fracasser les côtes qui le retenaient, à croire qu’il était impatient de sortir de sa prison d’os. Ça arrivait toujours lorsqu’il priait seul pendant un long moment, mais aujourd’hui ce n’était pas tout, alors il prit près d’une minute pour se calmer. Une minute durant laquelle il baissa la tête pour ne pas avoir le soleil dans les yeux lorsqu’il les rouvrirait.

« Merci d’être venue. »

Il ouvrit les yeux mais ne tourna pas la tête pour regarder la triumvir à côté de lui. A la place son regard se posa sur la lame plantée en face de lui dans le limon fertile que déposait l’Oliya sur les berges. L’eau toute proche chantait tranquillement, paisiblement, ce qui l’amusait toujours depuis qu’on lui avait dit qu’il y avait des Raie Naénite dans le coin, n’attendant qu’un imprudent pour mettre un pied le fleuve au mauvais endroit et au mauvais moment. Ces histoires ne faisaient rien pour calmer sa peur de l’eau.

« J’ai demandé à ce que tu viennes car j’apprécierais grandement qu’au moins tu essayes de cacher ta partialité. Elle ne t'aide, et ne t'aidera, pas. »

Comme chaque jour à son réveille, les prières lui étaient venues sans mal. Enfin la prière puisqu'elle avait opté pour quelque chose de court afin de ne pas devoir s'interrompre quand Kerath jugerait bon de parler. Si elle n'associait plus un dieu à chaque heure comme elle avait pu le faire par nécessité pour ne pas devenir folle, certaines choses devaient rester inchangées. Certaines chose étaient suffisamment bonnes pour cela, surtout quand le reste tanguait dangereusement.

Certaines races priaient leurs dieux pour obtenir du soutien, de l'aide ou une simple oreille attentive. Ces dernières années elle avait souvent prié pour une chose bien particulière. Depuis quelques jours, elle commençait à entrevoir que ce n'était pas nécessaire et qu'elle pouvait de nouveau prié comme elle le faisait avant. Avec respect et fierté.

Cela faisait déjà quelques instants qu'elle profitait simplement de la sensation de brûlure sur sa peau d'encre, le dos toujours barré par le long étui de tissus, lorsque le Senger prit la parole... Pour la remercier d'être venue. Elle n'aurait pas cru qu'il était capable de ça... Et cela ne la rendait que plus intriguée d'entendre ce qu'il avait à dire, même si elle se doutait que cela avait un rapport avec ce qu'elle avait fait le matin même.

A vrai dire, elle se serait attendu à de lourdes remontrances ou à un violent désaccord, mais ce qu'elle entendit... ça elle ne s'y attendait pas.

Toujours détendue, le soleil dans les yeux sans que ça ne la gêne de trop, elle ouvrit enfin les paupières pour regarder le profile du large drow à ses côtés.

- Tu peux être un peu plus précis ? De quel partialité tu parles ? "

« Est-ce vraiment nécessaire ? » Etant difficilement capable de questions rhétorique, Kerath se posait réellement lui-même la question. Mais si elle lui avait demandé c’était qu’elle devait aussi se poser la question. « J’aimerai savoir pourquoi est qu’on se fait engueuler pour notre manque de communication alors que le C’nros n’a rien communiqué, même pas la disparition de la Phord’ur. J’aimerai savoir pourquoi est-ce que l’on s’est tous fait engueulé mais que le C’nros a eu droit à une tape dans le dos. J’aimerai savoir pourquoi est-ce que tu trouves normal que la Ditronw Da’re se permette d’arriver vers la fin du siège alors que la présence des Senger est demandée depuis le début. J’aimerai savoir pourquoi tu passes sous silence le fait que la Ditronw Da’re n’arrive pas à contrôler ses subordonnés... ou qu’elle n’arrive pas à les protéger pour ce que ça change de toute façon. J’aimerai savoir pourquoi ça n’a pas l’air de poser de problème que le remplaçant de Shyn’tae se permette d’arriver en retard. Et tant que j’y suis : tu sais sans doute que nous n’allons pas la retrouver en une ennéade. As-tu besoin qu’on te donne des noms pour nous remplacer ? Ça irait plus vite et ça serait plus simple. »

Voilà qui était davantage conforme à ce qu'elle imaginait comme discussion. Il pensait qu'elle favorisait le C'nros. Elle n'aurait pas pensé que son discours pouvait ressembler à ça, mais s'il s'était fait cette idée, d'autres devaient avoir la même, ce qui n'était pas plus mal.

- C'est marrant, pendant un instant j'ai cru que tu allais me reprocher d'avoir été trop trop ouvertement douce envers toi. " commença-t-elle sans se risquer à faire du second degré. Kerath avait beaucoup de qualité et de défauts... Mais l'humour ne figurait ni d'un côté ni de l'autre. Il ne savait tout simplement pas que ce genre de chose existait.
- J'ai engueuler tout le monde parce qu'il y a eu un réel problème de communication et que si le C'nros peut garder secret  la disparition d'une personne qui participe tous les jours aux réunions diplomatique et toutes les ennéades aux réunions opérationnelles, il y a un problème général. J'ai aussi engueulé tout le monde, Doth'Ka compris, car personne ne m'a prévenu pour le lancement de ton ordalie contre Kyorlin, celle avec Shyn ou même ton refus d'en parler d'abord aux diplomates. Soit ils sont demeurés, soit leur confiance en toi est criante et dans tous les cas, j'ai encore été particulièrement douce. Si je n'avait pas mis le hola publiquement, je ne me donnerais pas deux jours avant qu'on me plante un couteau dans le dos pour avancer ta promotion. " Elle tenta de s'appuyer en arrière sur ses bras mais l'objet dans son dos l'en empêcha. " Et j'ai engueuler tout le monde parce que cela me donne une ennéade pour faire le tri entre les traitres, les imbéciles et les gens capable d'agir et de coopérer quand ça s'imposent, même s'ils ne s'apprécient pas entre eux... Ce qui pour l'instant est très mal barré étant donné qu'au lieu de vous organisez pour me ramener des résultats vous demandez tous à me voir en priver les un après les autres. Enfin tu es le seul qui m'ait demandé de venir sur son terrain. Et dans  l'optique que je viens de te décrire, le fait que je me soit pliée à ton exigence pourrait encore me valoir des ennuis. " Elle passa la gangue de tissus par dessus sa tête pour la poser à côté d'elle et se réinstalla en tailleur. " Et enfin, je n'ai pas engueuler le C'nros tout de suite parce qu'il est forcément coupable et que je veux savoir à quel point ses membres, ses officiers et sa dirigeante sont impliqués ou incompétents. Plus ils penseront qu'ils ont de latitude parce que j'apprécie L'Renor, plus ils prendront leurs aises.
L'Renor est resté au Puy pour s'occuper d'un problème commun mais son utilité là bas aurait put être facilement remplacée il y a plusieurs mois déjà. Cela ne justifie pas qu'elle soit laver des problèmes de ses subordonnés, surtout en étant allé contre la méritocratie. "
- Autant pour moi, j'ai oublié de dire que j'aimerai que tu ne reformule pas les questions comme ça t'arrange afin que tu ne répondes qu'à ce qui t'arranges. Et j'aimerai que tu n'ignore pas ce à quoi tu ne réponds pas.
- Si tu veux que je réponde de façon précise, pose moi des questions précises et pas une succession de vagues 'pourquoi'.
- La précision n'est pas le problème. Le problème c'est que tu ne réponds qu'à moitié. Quand tu réponds. Ce que tu viens de refaire.

Un soupire d'agacement passa les lèvres de l'eldéenne.
- Je répond ce qui me semble vrai et nécessaire. Ne me prend pas pour plus intelligente que je le suis. Si je te demande d'expliciter, ce n'est pas par jeu. J'aime m'amuser avec ceux qui m'entourent mais j'ai eu le temps de m'apercevoir que tu n'avais aucun humour, alors je m'abstiens avec toi. Dit moi ce que tu veux savoir au lieu de tourner autour du pot et de me dire que je sais pertinemment de quoi tu parles.
- Krish, sur un champ de bataille tu serais morte. Tu m'as laissé dicter le terrain ainsi que les termes de l'engagement et tu m'as même laissé l'initiative sans même combattre. Et tu ne fais rien pour que ça change, tu viens même d'admettre ta défaite. Tu me laisses t'interroger comme si j'étais un prêtre de Meingal à ton procès. Tu es une triumvir Krish. Tu peux me voir comme une menace et vouloir me remplacer mais si tu ne changes pas mon remplaçant ne t'aidera pas."

Le regard rouge et or se posa sur la surface de l'eau et l'agacement se transforma en un sourire plutôt... soulagé ? Amusé ? Aigre ? Elle-même n'en était pas totalement sûre. Enfin...

- Six ans. " souffla-t-elle.

Dire qu'elle l'avait attendu pendant six ans serait un mensonge car elle avait beaucoup trop douté, essayé et lutté contre elle-même pour que ce soit une certitude. Pourtant il y avait de ça. Ce qu'elle avait essayé d'avoir en traitant ses collègues triumvir en égaux et en les laissant prendre leur marque, ce qu'elle avait espéré des premières personnes qu'elle avait pressenti à ce rôle...

- En revenant à Elda avec les Repentis, je voulais me mettre au service du Haut-Prêtre d'Uriz et lui prêter mon bras pour virer les incompétents qui empêchaient Elda d'avancer. Le triumvirat était sensé être composé du Haut-Prêtre de Teiweon Vlos'Veldruk, du Haut-Prêtre d'Uriz Velkyn de la maison Xaran et du Haut-Prêtre de Zhak'Bar Urgoll'Ven en attendant que le prochain Karlik Glenn soit nommé. Le premier est mort bêtement juste avant de prendre ses fonctions. Le second a été assassiné avant de me donner ses ordres. Quant au troisième... " Elle eut un rire mauvais. " J'ai fait un pari en prenant ce que j'avais sous la main. J'espérais que Viconia et Urgoll'Ven instaureraient leur propre autorité et qu'après les Purges je pourrais me retirer. Mais non. La jeunette s'est accroché à un titre à la con et n'est rien d'autre qu'une bonne exécutante. Urgoll'Ven, lui, a tenté de se suicider quand le Père l'a mis à l'épreuve par ma main. Il n'a jamais réussit à se remettre et a fini par disparaître avec sa honte.

Elle avait parfaitement conscience que Kerath risquait de prendre ces explication comme des excuses pour se dédouaner de ses responsabilités et de son comportement à la fois sec et changeant. Mais elle se moquait de paraître méprisante envers les autres Triumvir cette fois. Elle voulait qu'il saisisse bien la portée de ce qu'il venait de faire.

- J'ai pris les choses en main, seule. Et j'ai laissé Viconia au Puy avec le titre de Triumvir et une place à faire miroiter à ses détracteurs pour avoir le champ libre à Sol'Dorn. Pendant le siège, j'ai eu la chance d'avoir Myr'Hennis pour me conseiller et me faire changer quelque fois d'avis sur ce qu'il convenait de faire. Mais à part lui qui n'est hélas pas expert en stratégie, ces six dernières années, j'ai été à la fois chef religieuse, chef politique et chef de guerre alors que je n'ai pas une once d'expérience en ces domaines. J'ai essayé d'être et d'agir comme je pensais qu'il était de mon devoir d'être ou d'agir pour le bien d'Elda. J'ai essayé d'être ce que je pensais qu'Il attendait de moi en retenant mes coups de façon stratégique pour penser au long terme. J'ai envisager le futur d'Elda comme un empire avec des gouverneurs, des terres pour nos soldats. Et après avoir massacrer les hérétiques chez nous et galvaniser les Flammes de nos frères, j'ai retenus mes instincts... nos instincts et notre honneur de guerrier, jusqu'à l'excès. Pendant un an tout entier.

Et les dieux savaient que l'année avait été longue et ennuyeuse. Pour tous. Elle avait maintenu le statut quo encore et encore. Elle pensait uniquement à la suite... Mais elle voyait depuis quelque jours à quel point il avait été question de ses propres peurs face au Père, aux P'leiks et à la perspective de devoir abandonner totalement ce qu'elle avait été.

- Et dans tout ce merdier il a fallu attendre six ans pour qu'une seule personne ose ouvertement me contester sans que ce ne soit par pure orgueil personnel. "

Les traîtres du Ier Ost ne comptaient pas. Il n'y avait parmi eux aucun homme de valeur. Seulement des fanatiques plus agressifs qui n'avaient pensé à aucune stratégie avant de bouger. Aucun chef, aucun Senger, aucun Haut-Prêtre n'était venu lui dire que ses décisions étaient stupides. Aucun n'était venu lui proposer ses services pour la conseiller, pour se placer. Et ceux qui l'avaient attaqués l'avaient toujours fait par des intermédiaires.

- Je ne te considère pas comme une menace, Kerath. Depuis notre combat et notre discussion à propos des Dorniens, tu es un espoir. L'un des seuls qui me permettent encore de croire qu'Elda peut tenir sans que je ne la tienne à bout de bras. C'est en cette qualité que je te laisse dicter tes règles. "

Elle ne lui en voulait pas d'avoir commencer toute cette histoire d'ordalie. Elle lui en voulait davantage de s'être lancer dedans sans avoir la certitude de pouvoir la mener à son terme. Cela prouvait qu'il devait être canaliser, mais cela montrait également qu'il n'était pas un intriguant. En fin de compte, cela ne demandait qu'un réajustement d'organisation.

Elle se tourna de nouveau vers le Senger à son côté, parlant toujours avec sérieux.

- Je n'ai pas besoin d'un Karlik Glenn qui se mêle de royauté ou de diplomatie. J'ai besoin d'un expert militaire. Je sais que tu es capable d'agir, d'assumer les conséquences de tes actes et de parler franchement. J'ai besoin de savoir si tu peux travailler avec des gens qui ne fonctionnent pas comme toi et obéir à des ordres contraire à ta volonté si tu ne parviens pas à faire changer d'avis tes supérieurs.

« Je peux obéir à des ordres qui vont contre ce que je crois. A condition que la personne qui me l’ordonne le mérite. Je ne sais pas pourquoi le Père t’as choisi, et je ne veux pas le savoir, mais je suis certain qu’il a une bonne raison et s’il t’as jugé digne qui suis-je pour dire le contraire ? Mais si Viconia me donnait le même ordre je n’obéirais pas. Toute triumvir qu’elle est, ma petite fille ne l’a pas mérité. Ce que j’ai dit à Na’ri à était à propos de Shyn’tae mais s’applique à tout le monde, de l’esclave qui s’occupe de ranger ma tente au triumvir : mon respect se mérite mais une fois qu’il est mérité il n’est plus nécessaire. Ce matin tu voulais que je respecte Shyn’tae mais je ne peux pas. C’est ma fille et je l’aime mais L’Renor a tué le début de fierté que je ressentais pour elle lorsqu’elle l’a propulsé au rang de Phord’ur. Elle aurait dû refuser le poste. »
- La faute est moins à la jeunesse qui veut s'élever plus vite qu'à la vétérane qui estime pouvoir choisir qui est méritant avant qu'il ne le prouve. Mais je comprends que tu en aies attendu davantage de ta descendance. La seule chose que je te demande c'est de ne pas l'insulter à longueur de phrase.

Son regard toujours posé sur la lame lui renvoyait un visage soucieux. Les sourcils froncés, le jaune qui cerclait ses yeux s’était fait tout petit, les poings crispés sur ses genoux, la tête légèrement baissée Kerath déglutit.

« Pourtant j’ai travaillé avec elle malgré nos nombreux désaccords, désaccords que tu as pu observer. » Il attendit quelques secondes avant de reprendre. « Je pense que tu n’es pas exempte de reproche concernant le manque de communication. Sais-tu pourquoi les osts sont organisés ainsi, pourquoi l’escouade est le cœur de nos armées, pourquoi est-ce que je donne à mes kyorls une certaine autonomie et latitude pour accomplir les objectifs que je leur fixe et que je leur explique ? Ça les rend flexible. Ça leur permet de s’adapter facilement aux changements chaotiques d’un champ de bataille. Ils peuvent improviser des solutions à des problèmes que je n’aurai jamais pu anticiper. Mais ça ne sert à rien si tu n’expliques à tes kyorls que ta tactique. Tu dois expliquer ta stratégie dans son ensemble. Tu es notre meneur à tous. Tu ne peux pas prendre toutes les décisions. Tu dois déléguer et tu dois expliquer pourquoi afin que l’on puisse s’adapter en cas de changements imprévus. Que tu ne sois pas d’accord avec l’ordalie, soit, mais tant que je ne sais pas pourquoi et ta stratégie je vais immanquablement répéter mon erreur. »

Pendant un moment il n'y eu pas de réponse. Krish regardait le soleil miroiter sur les vaguelette, sa crinière blanche cascadant librement dans son dos jusqu'au sol poussièreux. Quant à Kerath il leva les yeux de son épée pour regarder l’eau de l’Oliya.

- Je veux que nos soldats vivent pour mourir contre des adversaires qui en vallent la peine. " commença-t-elle doucement, l'articulation presque pâteuse. " Et je veux créer un empire eldéen qui permette aux méritants et aux talentueux de monter jusqu'au sommet dans l'Honneur de la Vrai Foi. Je veux que nous révellions ce monde dans sa beauté la plus glorieuse et la plus sauvage et que les insectes qui n'aspirent qu'à leur propre grandeur soient balayés. " Elle s'arrêta encore pour réfléchir quelques instants. " La vérité c'est que j'ai changé plusieurs fois de stratégie au cours des trois dernières années. J'ai même sincèrement envisager le pardon et la réintégration des fidèles et la reformation du IVe Ost. La durée de ce siège en est la résultante. Mais ce que j'ai appris tout le long de se siège et ce dont je me suis souvenu en règlant mes problèmes à Thaar, m'ont fait comprendre que c'était une erreur. Alors voilà où j'en suis aujourd'hui. " Elle se pencha vers l'avant, faisant rouler ses épaules. " Que Sol'Dorn tombe ou non, je veux que nos armées s'occupent de l'intégralité des Seingeuries qui n'ont pas jurée fidélité et obéissance. Toutes celles pour lesquelles il reste le moindre soupçon d'influence Thaarie. C'est l'ordre que je pensais donner ce matin en fin de réunion. Pour la suite, si Ssasha ose encore exiger davantage pour faire traîner les choses, nous cesserons tout approvisionnement pour deux ennéades. Si elle persiste et que les Dorniens ne lui règle pas son compte, nous la ferons tuer par les membres de son propre conseil maintenant que nous avons assez de points de pression pour ça.

Une fois la ville prise, nous fêterons ça comme il se doit, je placerais quelqu'un qui mettra en place les infrastructure administrative et répartir les terres morcelées pour doter nos combattants les plus valeureux. Le IIIe Ost sera appelé à commencer des roulements pour s'occuper de l'ordre de la ville, tout comme le gouverneur. Les religieux seront envoyé au Puy et remis aux mains de leur hiérarchie respective tandis que les Haut-Prêtres décideront des nouvelles affectations.

Puis nous stabiliserons notre présence en avançant vers Naélis. Ce ne sera pas une position facilement défendable au début mais si nous parvenons à la stabilisé, nous pourrons jouer sur tous les tableaux, et elle est suffisamment isolée pour qu'aucun allié ne vienne rapidement à son secours. A partir de cette position centrale, nous pourrons aviser. Que ce soient les Sept-Monts, l'Anaëh, la Péninsule, les Wandres ou l'Aduram. "

Après avoir attentivement écouté il hocha la tête.

« Je ne vais pas en discuter maintenant. Ça ne servirait à rien et je n’ai pas ce qu’il me faut pour le faire de toute façon. Ce qui est important c’est qu’avant je ne pouvais faire que ce que tu me disais. Plus maintenant. Avant de terminer cette discussion j’ai deux conseils à te donner. Premièrement ne récompenses pas l’inactivité. Tu ne l’as pas fait directement ce matin mais tu as puni ceux qui avaient fait quelque chose sans rien dire à ceux qui n’avaient rien fait. Lorsque tu punis un comportement ça en encourage un autre. C’est selon moi une mauvaise leçon à donner et c’est ce dont je parlais en partant ce matin.
- Mis à part toi, personne n'avait fait quelque chose ce matin, mais je m'en souviendrai.
- Et deuxièmement ne passe pas tant de temps à t’expliquer. Lorsque tu te défends tu répètes les accusations et ce qui est répété est retenu. Que ce soit vrai ou faux. Toutefois, et j’aurai dû le faire plus tôt, je te félicite sur la façon dont tu gères le problème du Karliik Glenn. Mais c’est là que ne pas exposer ta stratégie a été un problème. Un problème qui aurait pu être bien plus grave si Shyn’tae n’avait pas été là. » Il prit une grande inspiration pendant que Krish hochait la tête, avant de reprendre la parole. « C’était tout ce que je voulais te dire. Merci encore d’être venu, si tu veux une escorte pour rentrer il y en a une qui t’attend au camp nord. »

Il se leva et se dégourdit les jambes, envahies de fourmis qu’elles étaient.

- Inutile. Nous parlerons sérieusement de cette stratégie à la prochaine réunion opérationnelle. " répondit-elle sans se lever. " Mais j'ai encore à te parler, moi. " Plutôt que de s'étendre, elle ramassa la longue gangue de tissus et la plaça en travers de ses genoux. Elle en ôta les différents liens et finit par l'ouvrir, pour en dégager une épée longue dont la lame renvoyait la lumière aussi finement qu'un miroir. Une épée qui était facilement reconnaissable. Celle là même que Shyn'tae avait l'habitude de brandir. " Je suppose que tu la reconnais. Elle a été découverte dans ta tente il y a plusieurs jours. La Doth'Ka me l'a remise ce matin. " laissa seulement tomber la triumvir, placide, en relevant les yeux vers le Senger.

Il haussa un sourcil en écoutant l’explication.
« Maintenant on sait que Shyn’tae n’a pas disparue toute seule. »
- D'après la Doth'Ka et les membres du culte de Tesso, le Ier Ost est hors de cause. Pour le reste...
« Je suis un suspect, n’est-ce pas? A condition que je ne le sois pas depuis le début.  »
- Par sécurité, j'ai ordonné que tu soit mis sous haute surveillance en même temps que L'Renor, mais je ne pense pas qu'une disparition de la sorte soit ton style. Même en mettant de côté le fait qu'elle reste ta fille, tu aurais eu tous les droits de l'abattre dans l'arène.
« Je comprends. Dois-je rappeler les soldats qui la recherchent ? »
- Au contraire. Si des soldats du Ier ou du IIe pouvait la retrouver à la place du C'nros j'en serais même ravie. J'ai quelques autres information qui pourraient t'être utiles. Les trois mages avec lesquel Shyn'tae était au moment de sa disparition en plus de notre nouveau Phord'Ur : Top'kek, Fieran et Ke'ishan. Visiblement, l'un d'eux a été retrouvé mort. Son corps sera ramené au campement ce soir.
« On sait ce qui l’a tué ? »
- Pas pour l'instant. Et tu as parlé de Na'ri Yisfi tout à l'heure. Tu la connais bien, n'est-ce pas?
« Je la connais moins bien que je l’aimerais mais elle est dans mon ost depuis plus longtemps que moi alors oui je la connais. »
- C'était une grande amie de ta fille. Elle s'est occupée de toute sa rééducation et de tous ses soins concernant votre ordalie. Elle a disparue la veille de la disparition de Shyn'tae, dans la nuit, sans laisser de trace. Exactement le même schémas. Tu sais quelque chose ?
« Pas autant que j’aimerai. Elle a pris son chameau, ses armes et son armure donc il est fort probable qu’elle soit partie toute seule comme une grande. Ça coïncide avec le départ de mercenaires qui ont eu deux morts et deux blessés en trois jours à Frontière, ils sont arrivés ici vers la fin de la seconde ennéade. Je sais aussi que des mercenaires ont justement été aperçus avec un chameau parmi leurs montures et j’ai des soldats sur leur piste. »
- Parfait. " Elle remballa doucement l'épée de la Phord'ur manquante. " Merci pour ton temps et ta franchise, j'espère qu'elle sera toujour au rendez-vous quand nous parlerons stratégie dans une ennéade... Et au fait, pour la liste de Senger potentiels. Commencer à travailler dessus ne serait ppeut-être pas une si mauvaise idée. "