[Termer] Au fond du trou... | Ama & Myo

4ème jour de la 6ème ennéade
Karfias, été de l'an 17:XI

Quelque part aux abords de Termer

La voix d'un jeune homme raisonna dans les galeries sombres de la mine, pestant alors qu'il éprouvait toutes les peines du monde à réussir ce qu'il voulait faire.

-Ne t'impatiente pas, Efren. Il faut que tu réapprennes à faire les choses différemment. Ça prendra du temps.
-Marcher, c'est une chose. M'orienter, c'est déjà plus compliqué. Mais bricoler... Je ne sais pas comment je peux faire ça sans y voir ! J'ai besoin de faire mes calculs, de faire un croquis pour concevoir mes idées... Et puis, je n'arrive déjà pas à faire une maquette ! Alors en taille réelle... !

Aaron soupira silencieusement. Oui, tout cela n'était pas simple mais ils n'avaient pas le choix. Il resta là quelques secondes à regarder son fils sans rien dire. Avec ses cheveux et ses sourcils teints, il était déjà méconnaissable. Mais le fait de ne plus voir ses yeux étaient plus perturbants encore pour lui. Cachés sous un bandeau de tissu, l'adolescent ne pouvait plus s'en servir et apprenait à vivre autrement. Ce qui n'était pas chose facile.

-Tu n'as jamais eu besoin de poser tes calculs par écrit. Tu les notais simplement pour ne pas avoir besoin de les refaire plus tard. Quant à tes idées, tu peux les imaginer dans ta tête. Et pour ce qui est du reste, ce n'est qu'une affaire de perception. De la même manière que moi avec la magie. J'ai appris à ressentir ce que je ne peux pas voir. Tu dois faire la même chose mais de manière plus tangible. Tu ne peux pas voir, mais tu as des mains, un nez, des oreilles... Tout ça, tu t'en servais déjà avant. Tu dois apprendre à les utiliser au maximum.

Efren soupira. Il savait que son père avait raison mais cela lui était si difficile... Il était encore triste après les derniers évènements. Ils avaient déjà quelques ennéades de route derrière eux et des centaines d'autres devant. Tout était allé si vite et semblait à la fois si loin... Finalement, il pivota pour faire à nouveau face au système de poulies qu'il essayait de réparer en aveugle. Aaron eut un sourire satisfait puis s'éloigna sans plus rien ajouter. Il se faufila dans une autre galerie de la mine pour retrouver la grande cavité dans laquelle ils s'étaient installés.
Ils étaient arrivés depuis plus d'une ennéade désormais et avaient pris le temps de se concocter un espace confortable. Ils avaient fabriqué des lits superposés -Aaron dormant en haut, bien sûr-, trouvé une table et deux chaises dont l'une avait eu besoin de réparation, fait quelques provisions afin de ne pas avoir besoin de ressortir de si tôt.

Termer était une région idéale pour deux péninsulaires qui avaient besoin de se faire discrets quelques temps. Si le plan initial avait été de marcher de ville en ville et déterminant leur destination au hasard, il avait quelque peu changé depuis. Efren avait besoin de temps pour s'adapter à sa nouvelle condition et tous deux devaient prendre le temps d'intégrer leur identité d'emprunt. Aaron avait alors décidé de les conduire quelque part où on ne viendrait pas les chercher. Il faudrait déjà avoir la présence d'esprit de se dire qu'ils n'étaient peut-être pas restés en Ithr'i'Vaan mais aussi de penser qu'ils pourraient se terrer dans un endroit où le jour ne perçait jamais, quelque part au milieu des collines boisées et des marécages de cette région de Merval.

Debout au milieu de ce qui était leur chez eux pour quelques temps, le mage retira sa veste en cuir et l'envoya sur un tonneau poussiéreux avant de fermer les yeux. Il se concentra, ouvrant son esprit aux flux qui l'entourait. Il chercha à ressentir la moindre pièce de métal qui l'entourait ainsi que les maigres filons abandonnés dans les parois. Il prit le temps de reconnaître la composition de chacun d'eux, admettant que le fer de si piètre qualité était celui de la vaisselle et des outils et le cuivre une partie des murs. Lorsque cela fut fait, il se concentra sur une toute autre sorte de métal, bien plus pur et plus résistant. Il plaça les mains devant lui, une paume vers le haut et l'autre au-dessus, paume vers le bas. Peu à peu, quelque chose apparut puis grossit entre ses mains. Une boule de métal aux reflets verdoyants prit forme alors qu'il s'attachait à la créer par lui-même. Lorsqu'il en eut suffisamment, il rendit le métal parfaitement liquide afin de le rendre extrêmement malléable et mieux le travailler.

A moitié à califourchon sur une branche, un adolescent androgyne se reposait à l'ombre. Le reste de ses camarades étaient étendu par terre. Il portait un pantalon de toile grossière, maculés de terre. Sa large chemise n'était pas de meilleure facture et elle était également souillée de sueur et du travail de la matinée. Contrairement aux autres, il ne cherchait pas à montrer ses muscles et maintenait son col fermé. Il s'était simplement offert le luxe de relever ses manches.

- Hey ! Ros'mary ! T'en veux ?

Le jeune homme tendit élégamment le bras pour récupérer l'outre tendue.

- L'est où Laurel ? V'la un certain temps qu'il coure la gueuse…
- Ros', t'es en r'tard…

S'essuyant la bouche sur sa manche, il rendit le contenant allégé en eau, légèrement teintée d'un vin aux herbes.

- En retard pourquoi ?
- Ben… ton menton l'est moins fourni que c'lui ton jumeau…
- Ha… Il est p'tre en avance, lui. Répondit il pas du tout à l'aise sur le sujet. Mais sur la route, il y avait une silhouette qu'il reconnaissait que trop. Et elle n'avait rien à faire là.

Avec souplesse et grâce, il descendit de sa branche sans un mot et se mit à courir vers la route.

- Ah… V'la la Amarillys.
- Ch'avais pas qu'il en pinçait pour elle… faut pas touch'. Sont tous fou dans l'château
- L'en a p'etre dans l'pantalon, final'ment…

Les jeunes se désintéressèrent rapidement de leur camarade et reprirent un sujet plus intéressant : qui inviter au bal cette année.

Rosemary, ou plutôt Myosotis, se faufila parmi les cultures qui s'épanouissait sous les rayons chauds du soleil. Elle faisait bien attention à éviter les nids des alouettes qui venaient d'avoir leur petits. Et arriva assez rapidement à la hauteur de la blonde jeune fille.

- Combien de fois t'es tu mariée aujourd'hui ? Le sourire qui étirait du coin de ses lèvres était légèrement moqueur. Désolée… j'ai préféré aller au village, on a tenté de sécher une parcelle pour agrandir les champs avant qu'il ne fasse trop chaud. Et toi, où vas-tu d'un air si décidé ?

La jeune demoiselle n'eut pas besoin de réfléchir longtemps pour répondre à la question de sa sœur.
- Ce matin, je me suis mariée 17 fois avec Hesperis devant la dame blanche. 31 fois hier. Elle est désappointée par ton absence. C'était factuel, le ton d'Amaryllis ne laissait paraître nulle critique. Mais cela n'empêcha pas la frimousse de l'ainée se froisser un peu.
- Elle dit que tu fais un meilleur prince charmant. Elle voulait continuer cet après midi, alors je suis sortie faire un tour.

La petite blonde marchait gaiement d'un bon pas. Sortir faire un tour était l'expression qu'elle employait en général pour dire "s'enfuir discrètement à l'insu de tous".

- Je ne m'en fait pas pour elle, elle trouvera bien des détails sur sa robe ou sa coiffe à modifier pour que tout soit parfait.  

- Je vais explorer les mines !
Ses yeux pétillaient. Comme d'habitude lorsqu'elle parcourait son terrain de jeu.

Le garçon manqué soupira. Elle n'aimait pas trop que sa sœur aille se promener dans les mines abandonnées. Elle craignait qu'elle ne se perde (chose qui n'était jamais arrivé) ou qu'il n'y ait des éboulements (et donc de rester bloquée). Cependant, elle ne chercha pas à l'en dissuader. Il y avait des combats qui étaient perdus d'avance.

- Si je peux contribuer à ton effort de recherche, je suis tienne.

Sur le chemin qui leur restait à parcourir Amaryllis présenta à sa sœur ses avancées ainsi que la méthodologie à suivre pour cartographier au mieux les galeries.

Quand les jeunes sœurs pénétrèrent dans l'excavation, Myosotis constata que sa cadette était extrêmement bien organisée. Elle avait caché une lampe tempête qu'elle avait allumé avec un silex qu'elle conservait dans la sacoche dont elle ne se séparait que pour dormir.
Après quelques mètres, la puinée commença un laïus sur les différentes techniques d'étayages et s'aida des marques sur la parois pour appuyer ses propos. Elle mimait les gestes supposés des ouvriers avec des outils imaginaires.  Elle parlait de la répartition des forces, de la résistance des matériaux, de leur corrosion et d'un futur probable, incertain et irrémédiable.
Silencieuse et fascinée, Myosotis l'écoutait, certaine de ne retenir un quart des explications, mais heureuse de voir la blonde enfant s'épanouir dans ces ténèbres.

Sans pouvoir utiliser ses yeux, il était bien plus difficile pour l'adolescent de parvenir à déceler le problème de ce système de poulies et de cordes. Il avait passé au moins une heure à s'en imprégner, suivant le chanvre pour comprendre son cheminement, essayant de tirer aux abords de l'une des roues pour voir si elle tournait encore. Peu à peu, il était parvenu à dessiner le mécanisme dans sa tête et à identifier trois poulies grippées et une totalement bloquée par la rouille. Il s'évertuait à présent à les démonter afin de les graisser et la chose n'était pas des plus aisées là encore. Il fallait trouver l'outil adapté selon la taille et le type d'attache de chaque poulie, ce qui se révéla tout aussi long que le reste.
Alors qu'il tentait de forcer un des pignons, Efren laissa échapper la pince qu'il tenait dans la main dans une faible exclamation de surprise et de contrariété. Il posa alors un genou sur le sol et se mit à la chercher avec peine. Se faisant, il remarqua que des sons se répercutaient sur les parois et il y prêta un peu plus d'attention, oubliant temporairement sa quête de la pince égarée. Il reconnut alors des éclats de voix qui ne pouvaient être ceux de son père. Il se releva rapidement et, s'aidant d'une main sur le mur, il prit la direction qu'il se souvenait être celle de la "salle" qu'ils avaient aménagé. Il avança aussi vite que son handicap le lui permettait, malheureusement, la nuit permanente dans laquelle il vivait ne lui permit pas de déceler la présence d'une pioche abandonnée contre la paroi et que son père lui avait fait soigneusement éviter à l'aller.

Un grand bruit retentit lorsque le corps de l'adolescent frappa le sol accompagné de l'outil qui lui barrait le passage. En quelques instants, son père fut dans la galerie et l'aperçut au sol grâce aux lampes tempêtes qu'ils avaient installé dans cette zone.

-Il... Efren ! Se corrigea Aaron alors qu'il rejoignait son fils d'un pas pressé.
-Je t'ai entendu. Se moqua le jeune homme avec un ton pourtant dépourvu d'espièglerie alors qu'il essayait déjà de se redresser. Une fois à ses côtés, le quarantenaire l'aida tandis qu'il poursuivait. Mais je crois qu'elles aussi...
-"Elle" ? Demanda-t-il, interloqué.

Amaryllis s'était interrompue brusquement en entendant le fracas qui venait de resonner plus loin dans le réseau de galeries obscures. D'un bon, l'ainée se plaça devant la bonde enfant pour la protéger de ce qui se tapissait dans les profondeurs de la mine.

-Ama, il y a quoi comme créatures dans ces ruines ? chuchota t'elle, en avançant avec précaution à la recherche d'un outil oublié.
-Des rats, des araignées, certaines magnifiques, des chauves souris, de nombreux types d'insectes… chuchota la jeune fille avant d'arrêter son énumération. "Je suppose qu'il pourrait aussi y avoir des ours, mais c'est une éventualité peu probable, surtout si profondément et en plein été. Amaryllis avait levé sa lampe tempête et fit quelques pas inaudibles dans la direction du bruit. La sœur de Myosotis savait être particulièrement silencieuse quand elle le décidait.
Ensemble, la lanterne à demi recouverte, elles avancèrent prudemment dans les boyaux étroits au devant du bruit. Myosotis n'avait jamais entendu parlé de la présence des ours dans la région. Il y avait bien trop de marécages par ici, en tout cas pas aussi près des habitations.

Mais alors qu'elles progressaient avec prudence, une voix masculine s'éleva derrière les demoiselles de Termer.

-Vous seriez-vous égarées mes demoiselles ?

Aaron laissa la lumière de la torche l'atteindre sans bouger, les bras croisés devant lui. Aux indications de son fils, il avait rouvert ses sens à la magie pour percevoir des métaux qui n'avaient rien à faire dans une mines. Il avait décelé la présence de matières plus précieuses que le fer utilisés pour faire les outils et les lanternes ou les particules de cuivre présentes dans les murs. Empruntant un autre boyau, il avait pu les contourner pour arriver derrière elles et les identifier avant de décider de ce qu'il devait faire : se cacher ou se laisser voir. Ne voyant aucune menace en elles et, craignant pour leur sécurité, il avait opté pour la seconde option et leur adressait un visage plutôt amical, orné d'un sourire discret mais chaleureux.

Amaryllis s'était retournée subitement pour pointer sa lanterne dans la direction du nouvel arrivant. Si elle avait été surprise, elle n'en avait rien montré, si ce n'est ces yeux bleus à la fois intenses et curieux qui le dévisageaient maintenant. Vêtue de manière pratique mais singulièrement inadaptée aux voyages, elle devait être du coin.
Alors qu'elle se pensait devant sa sœur,  par devant le danger, Myosotis se trouvait à l'arrière.

- C'est plutôt vous qu'êtes peldu m'sieur. C'te mine l'est pas à vous. Elle avait parlé avec l'accent "local" en tentant d'assourdir sa voix pour la rendre plus… masculine ? En tout cas, plus en adéquation avec sa tenue, espérait elle. Et puis… y a les oulrs. C'est la Malgot là, qu'a l'a dit ça.
Myosotis n'avait pas confiance en un homme… d'autant plus si c'était un inconnu souriant. Cela sentait les ennuis à plein nez. Alors, elle raffermit sa prise sur le manche cassé, bien qu'elle aurait préféré sa pertuisane ou une faux.

La fameuse Malgot jeta un coup d'oeil furtif à son camarade, fronça les sourcils, son air celui de la plus totale stupéfaction, puis finalement s'écarta sensiblement en baissant la lampe.

Aaron haussa un sourcil devant le jeu de la plus âgée. Même s'il ne les avait pas entendu parler avant de décider de leur faire part de sa présence, il aurait compris que sa voix était forcée. Et, malheureusement pour elle, il les avait entendu. Aussi savait-il non seulement qu'il ne s'agissait pas d'un garçon mais que son accent n'avait pas sa place ici. Il fit cependant mine de ne pas le savoir pour l'instant et réagit simplement aux paroles de l'adolescente.

-Les ours ne s'aventurent pas aussi loin dans les profondeurs. Et, s'il y en avait, cela poserait d'autant plus de questions sur votre présence. Et je doute que vous soyez les propriétaires de cette mine, je me trompe ? Le quarantenaire baissa le regard pour voir ce que la jeune femme avait dans les mains et regarda la pioche. Intérieurement, il fut amusé mais point moqueur. Qui pourrait se douter qu'il ne craignait pas les armes en métal ?Vous n'en avez pas besoin. Si j'avais voulu vous faire du mal, je l'aurais fait au lieu de vous faire savoir que j'étais là.
- Oh si, mais seulement en hiver lorsqu'ils hibernent. Et on a le droit d'être ici tant que nos parents ne le savent pas." s'empressa d'ajouter la plus jeune.

- Ben vieux l'a oublié c'que peut faile un gars et une fille dans l'noil ? La rouquine prit un air de défi. Tant qu'à jouer un rôle autant le faire jusqu'au bout !

- Ah bon, que font-ils donc?  lui répondit la blonde, la mine profondément interrogative. Elle s'était tournée vers sa congénère, la main sur la hanche. Son regard s'éclaira soudainement. Je sais. Ecouter le bruit des insectes et des animaux!

- Je…je… je… oui ! Et voilà les cailloux qu'ils blillent dans la loche. Le visage de la jeune fille était cramoisi.

Aaron soupira brièvement et décida de mettre fin à ce petit jeu.

-Un homme et une femme, oui. Deux jeunes filles, en revanche... Et abandonnez donc cet horrible accent, il ne vous va pas du tout. Commanda-t-il sur un ton doux.
- Deux jeunes filles aussi peuvent le faire ! Mais il a raison. Je te l'ai dit plusieurs fois pourtant. Ta voix normale est bien plus agréable à entendre. Manifestement Aaron avait gagné l'appréciation de la plus jeune des filles et cela le fit sourire en coin.

La gène était déjà visible sur les joues de Myosotis, alors un peu plus ou un peu moins, les effets de la remarque de l'homme ne se virent pas immédiatement.
- Que l'accent soit ou non présent, Messir l'inconnu et peut être voleur, votre présence en ces lieux n'est ni souhaitable, ni autorisée. Il se peut que nous connaissions le propriétaire. Et, fait marquant, il ne vous ressemble point. De paysans, l'accent passa à aristocrate. Sa voix était bien plus fluide et plus naturelle ainsi.

- Ah! Tu sais donc à qui papa l'a vendue? Pour toute réponse, la blonde enfant eut droit à un regard incendiaire. L'intéressée se fit toute petite.

-Un voleur ? Dans une mine tarie et désaffectée ? Vous devriez vraiment réfléchir avant de parler, Mademoiselle. Conseilla gentiment Aaron avant de décroiser les bras et de passer à côté des jeunes filles et d'avancer dans la direction d'où provenait le bruit de tantôt. Nous profitons simplement d'un logis gratuit. Acheva-t-il en s'éloignant.
- Tarie ? Ce n'est pas du tout ce qu'a déclaré l'ancien propriétaire ! Comment le savez-vous ? La blonde demoiselle avait entrepris de suivre l'homme d'un pas aussi léger que silencieux sur le sol inégal du boyaux. Ce dernier lui semblait suffisamment mystérieux pour présenter un intérêt.
- Nous ?... mais la puinée poursuivit le cours de sa pensée.
"Mais vous ne devriez pas loger ici. C'est très humide, et la structure est affaiblie à maints endroits. Nous avons des chambres libres.
- Et le bouillon sera chaud. Mais je parle trop. Je vous en prie. Restez. Myosotis abaissa sa pioche et la fit glisser dans sa main jusqu'à ce qu'elle touche le sol. L'homme semblait retourner dans les profondeurs.

Tandis qu'il avançait vers les galeries éclairées par quelques lampes tempête laissées là, Aaron éluda volontairement la première question et se concentra plutôt sur l'invitation lancée à la volée par la petite blonde. L'explication du "nous" viendrait bien assez vite.

-Je doute que vos parents seraient ravis d'accueillir des inconnus qui préféraient résider dans les boyaux d'une colline plutôt qu'à l'auberge du coin. N'ai-je pas raison ? Demanda-t-il sans pour autant attendre de réponse. Ayant le dos tourné, il ne put voir la grimace de Myosotis. Sa sœur faillit répondre quelque chose, mais s'interrompit lorsque la première claqua des doigts. C'était leur signal. Efren ? Ça va ?Lança-t-il en direction d'une excavation d'où provenait une plus grande lumière.
-Je crois... Répondit la voix d'un jeune homme.

Le quarantenaire entra dans la pièce. C'était bien plus grand qu'une chambre et relativement sec comparé au reste des galeries. Là se trouvait le minimum de mobilier requis pour permettre à deux personnes de cohabiter sans problème. Un lit superposé faisait office d'espace nuit. Un drap étendu dissimulait le coin de toilette. La table et les chaises au milieu délimitaient la salle à manger. Quelques étagères contenaient ce qui constituait leur garde-manger dans des caisses pour les mettre à l'abri de l'humidité.
L'adolescent était assis sur le lit bas. Ses yeux recouverts par une bande de tissu, il cherchait à tâtons à côté de lui une petite boîte ouverte contenant tout le nécessaire pour les soins. Une jambe de son pantalon était relevée, mettant à jour son tibia que la pioche avait égratigné dans sa chute. Un bleu et une bosse apparaissaient déjà en-dessous.

-Attends, je vais t'aider.

Efren tourna légèrement la tête vers l'entrée. Il lui semblait entendre plus qu'un seul froissement de vêtements...

-Tu as amené des invitées ? Plaisanta-t-il.
- Bonjour ! Enchantée... La plus jeune des deux était entrée la première et observait les lieux avec curiosité, un sourire aux lèvres, appréciant les trésors d'ingéniosité que les deux occupants des lieux avaient déployé pour leur installation.
- Oh, vous avez profité du puit d'aération. C'est bien choisi. Ça a du vous demander beaucoup de travail. réfléchit-elle tout haut en admirant l'installation.
- D'après les plans, il devrait y avoir un puit pas très loin, vous l'avez trouvé ? Il n'a pas dû être facile de descendre le lit ici. Elle s'approcha plus près. Ah ! vous l'avez assemblé sur place évidemment.
Elle ne s'arrêtait plus.

Par la force des choses, mais surtout par la curiosité insatiable de sa sœur, Myosotis arriva avec un temps de retard. Silencieuse, elle observa les lieux en croisant les bras et put comprendre que le nous devait inclure le jeune homme blessé. Des lits. Ce mobilier anodin dans une chambre était tellement frappant au fond d'une mine. Des lits. Cela voulait dire qu'ils n'étaient pas de passage mais véritablement installés en ces lieux. Cela voulait également dire qu'ils n'étaient que deux. Des lits. Bien que pauvres pour chercher un logement gratuit, ils n'en boudaient pas leur confort. Des lits. Où les avaient ils trouvé ? Sa sœur avait eut plus ou moins le même cheminement, et cela la fit sourire. Sans un mot, elle observa les deux hommes.
Aaron s'agenouilla près de son fils et observa la blessure. Ce n'était rien de bien méchant mais il valait mieux nettoyer et bander pour éviter la maladie, que ce soit à cause de l'outil responsable de la plaie ou leurs conditions de vie actuelles. Il prit dans la petite boîte une fiole imbiba un morceau de linge propre avec le contenu avant de venir l'appliquer sur la jambe de l'adolescent. Pendant ce temps, Efren reporta son attention sur la jeune pipelette qui monopolisait la parole depuis son entrée dans la pièce.

-On l'a trouvé. Je réparais le mécanisme de poulies quand je vous ai entendues.

La jeune fille hocha la tête et s'assit sur le coin du lit, droite, jambes serrées, dans une attitude noble que son regard pétillant brisait avec allégresse.
- Il doit être usé. Je voulais l'examiner… L'endroit lui plaisait. Il était à la fois simple, pratique, impeccable de propreté. Ses yeux observateurs notaient tout ce qui les entouraient. Il lui rappelait une autre occasion… Si semblable et si différente en même temps.
- Êtes-vous des alchimistes ?

Tandis que sa sœur avait investi les lieux, Myosotis quant à elle était restée sur le seuil de la "porte", n'ayant pas été invitée par leurs hôtes. Tout dans sa posture marquait sa volonté de ne pas vouloir échanger, parler. Elle n'était plus agressive. Elle observait et écoutait, dans une attitude légèrement hautaine par contre.

Tandis qu'il achevait de bander la jambe de son fils, Aaron rit doucement à la question de la jeune blonde. Efren, quant à lui, sourit, amusé tant par l'attitude que l'interrogation apparemment sincère de la demoiselle.

-Qu'est-ce qui te fait penser ça ? Demanda l'adolescent.

Sa réponse l'intriguait vraiment car il n'y avait rien autour d'eux qui pourrait laisser suggérer une telle chose. Lui était vêtu simplement avec chemise, pantalon, chaussures et gilet pour se protéger de la fraîcheur que procurait l'immobilité dans un tel endroit. Son père ressemblait davantage à un aventurier portant des bottes et une veste en cuir. Son épée était sagement rangée dans son fourreau, accroché à l'un des montants du lit. Lorsqu'il eut fini de soigner le tibia d'Efren, il se redressa, emportant la boîte de premiers secours avec lui et laissant son garçon abaisser la jambe de son pantalon. Il s'avança vers une étagère qui se trouvait près de l'entrée pour la ranger et porta son regard sur l'aînée des deux filles. Il fronça des sourcils interloqués.

-Pourquoi restes-tu là ? Je sais qu'il n'est pas commun mais il ne mord pas tu sais. Dit-il avant de glisser un regard en direction de son fils puis de revenir vers l'adolescent, son visage orné d'un sourire malicieux.

La demoiselle décroisa ses bras et fit quelques pas.
- Je ne me suis pas avancée, car je n'y ai pas été invitée. Votre protégé ne me donne pas l'effet d'avoir la rage, mais plus maladroit. Il a piqué la curiosité d'la Malgot alors je lui laisse…

Amaryllis haussa un sourcil en direction de sa sœur, puis haussa les épaules. La malgot. Était-ce Laurel qui l'appelait ainsi ? Ce nom en valait un autre, mais la demoiselle avait du mal à élaborer une relation logique entre "La Malgot" et "Amaryllis". Il devait pourtant y avoir quelque chose ! Elle en était certaine, sinon sa sœur ne ferait pas ça.

- Oh, je ne le pense pas encore, c'est seulement une hypothèse... Parce que vous êtes en train de vous cacher au fond d'une mine de la région la plus perdue de Merval qui ne soit pas remplie d'ours ou de bagrons, donc vous cherchez à échapper à quelque chose. Je note que vous êtes bricoleurs, attentifs à votre propreté. Votre vocabulaire est solide, ce qui suppose une bonne éducation. Tout cela exclut un certain nombre d'hypothèses, mais il vous faut donc des raisons d'autant plus solides pour abandonner votre foyer et vous réfugier ici. Vous semblez souffrir d'un handicap visuel. Que votre compagnon, votre père peut-être, vous ait conduit ici témoigne également d'une certaine détresse. Dans cette région en ce moment, la plupart des individus souhaitant se cacher cherchent à échapper à l'inquisition, parce qu'ils sont adeptes des sectes draconiques et, ou alchimistes. Cela ne prouve bien évidemment rien, d'où ma question. Oh, vous pouvez également être des mages, mais aussi plein d'autre choses. Le fait que je ne voie aucun matériel ne prouve rien. Si vous êtes en fuite, vous n'avez pu emporter que ce que vous aviez sur le dos."

La demoiselle se tut un instant. Après cette longue tirade, un charmant sourire empreint d'une sincère innocence ornait son visage juvénile.

La réplique de la plus âgée amusa Aaron mais son attention fut bien vite détournée par le déluge de paroles qui se déversait dans son dos. Efren aussi était surpris mais leur réaction ne trouvait pas tant son origine dans le nombre de mots employés par la jeune fille que le contenu de ses dires. Une chose était sûre : elle était très perspicace. Mais son analyse amenait à se pose d'autres questions.

-Donc tu penses qu'on se cache et tu nous invites chez toi ? As-tu pensé au fait que nous pourrions être des criminels en fuite ?

Le rire cristallin de Myosotis se répercuta sur les parois rocheuses, sa plus jeune sœur se tourna vers elle, l'air étonnée par la soudaine éruption de joie. Il s'agissait de joie, n'est-ce pas ? Mais pourquoi Myosotis était-elle joyeuse ?

-Qu'avez vous dit tantôt Messire ? Que si vous souhaitiez nous faire du mal, vous l'aurez fait plutôt que vous montrer et nous invitez ici…
-Hmm…Vous êtes des criminels en fuite alors ? Ajouta-t-elle, curieuse et avec autant d'aplomb et de neutralité que si elle leur demandait l'heure qu'il était. Il semblait que l'idée ne la gênait pas le moins du monde, ce qu'on pouvait interpréter de bien des façons.
-Ma grande sœur a toujours beaucoup d'histoires sur des héros en fuite pour de "bonnes raisons". Ses œuvres de fiction ne sont pas un échantillon représentatif de la réalité -Et heureusement d'ailleurs-. Mais vous avez pour l'instant été de bonne compagnie.

Efren resta un instant silencieux devant la réponse de la jeune fille. Elle était vraiment en train de prendre cette hypothèse en considération ? S'il était vrai que certains les considéraient comme des criminels, ce n'était pas ainsi qu'ils se définissaient eux-mêmes. Mais impossible pour eux de le leur faire savoir sans mettre leur sécurité en péril à tous les quatre.

-Sachez seulement que nous ne sommes pas dangereux. Intervint le quarantenaire en s'adressant aux deux jeunes filles. Et que nous ne voulons de mal à personne. Mon nom est Aaron Kolhe et Efren est bien mon fils. J'ai comme l'impression que vous vous entendriez bien tous les deux. Dit-il en montrant alternativement les adolescents assis sur le lit. Efren est inventeur. Vous voulez boire quelque chose ?

- "Non merci, pas de boisson pour moi. " La rousse n'en dit pas plus, mais elle approuvait les dire du père, le garçon et Amarillys avait l'air de bien s'entendre. Et elle en fut heureuse pour sa puinée.

Il n'y avait aucune raison de prendre ce que l'homme disait pour argent content. Mais, tout comme l'avait dit Amaryllis, criminels ou non, toutes les observations tendaient à indiquer qu'ils n'étaient pas dangereux, en tout cas beaucoup moins que de nombreuses personnes de son entourage.
- Enchantée ! Inventeur ? Des étoiles s'étaient mises à briller dans ses yeux sitôt le mot prononcé. On avait parlé de boire quelque chose, mais c'était secondaire. Les yeux bleus de la demoiselle s'étaient posés, intenses, sur Efren, devant lequel elle vint se placer en un instant, comme attirée par la lumière, tendue comme un ressort.

- De quelles inventions es-tu l'auteur ? As-tu un domaine de prédilection ? Sa voix claire et enthousiaste résonnait dans l'espace aménagé par les deux hommes.
-Hm... Disons que, pour l'instant, je me suis surtout attaché à résoudre les problèmes des autres.
-Et pour ça, il a inventé quelques systèmes de poulies, de levier, de balance... Compléta son père qui ne cachait pas sa fierté tandis qu'il achevait de sortir des verres propres pour les poser sur la table.
-Oui... C'est... Un petit peu plus compliqué de visualiser tout ça sans mes yeux...
- Oh, je vois. De la mécanique, pour résoudre des problèmes précis, plutôt qu'une invention réutilisable. En effet, cela devait-être difficile de visualiser, voire même de construire sans ses yeux. Qu'on la prive de son regard qu'elle serait malheureuse de ne pouvoir ouvrir les yeux sur toutes les merveilles du monde. Le jeune homme devait vivre un cauchemar. Mais en contrepartie, ils étaient dotés de bien des autres sens que la vue.

Aaron s'interrompit dans son geste alors qu'il saisissait une bouteille de jus de pommes sur une étagère. Dos au reste de la pièce, son attitude pouvait passer pour de la tristesse ou le rappel de l'évènement qui avait placé ce bandeau sur les yeux du jeune homme. C'était un peu le cas mais c'était aussi tellement plus compliqué que cela…

- "Vous comptez partir bientôt ?" La question avait été posé à brule-pourpoint. La rousse ouvrit à nouveau la bouche mais aucuns sons n'en sortit. Elle ne savait pas si elle devait proposer d'aider ou simplement les laisser vivre. De plus, la bouteille de jus de fruit présumait qu'ils avaient l'air de bien s'en sortir.

Ils discutèrent encore un certain temps de tout et de rien, jusqu'à ce que la rousse demoiselle sonne la fin de la récréation.
- "Mal'got ? Je pense qu'il est temps de rentrer ? J'aimerai éviter que l'on soit trop en retard. Par contre tu pourras revenir demain matin, s'ils le veulent bien."

Les paroles de sa sœur la sortirent de la rêverie dans laquelle Amaryllis s'était elle-même plongée. "Ah? il faut y aller ?"

La déception de la jeune fille était palpable, mais elle s'inclina néanmoins, il était vrai qu'on risquait de les chercher, ce qui pourrait provoquer tout un lot de complications. Elle risquerait de devoir à nouveau crocheter la serrure de sa chambre par exemple. "Je reviendrai ! Avez-vous besoin de quelque chose ?"

La discussion avait été plaisante. Puisqu'ils n'avaient pas assez de chaises, Aaron avait rapproché la table du lit sur lequel se trouvaient déjà Efren et la jeune blonde et avait offert la seconde assise à... son amie ? En vérité, s'ils avaient parlé de bon nombre de choses, ils ignoraient toujours qui étaient ces deux filles. Alors, au moment de se dire au revoir, l'adolescent ne manqua pas de le faire remarquer.

-C'est ton vrai nom ?! Margot ?
- A ton avis ? La rousse avait répondu au tac o tac avec un petit air de défi. Elle ne voulait pas que leur nom, le vrai ne soit mentionné.

- En effet, c'est Amaryllis. Mais Myo aime beaucoup m'appeler Margot. La jeune et charmante demoiselle ne sembla pas relever l'incongruité du surnom, et avait répondu à l'homme avec un sourire d'une infinie sincérité.
- Je peux revenir demain? Elle posa un doigt sur la bouche, les lèvres entrouvertes, le regard perdu au loin.
[color=#ffccff]- Je vous apporterai quelque chose de bon, et on discutera de vos voyages !|/color]

Car vu qu'ils venaient de s'installer ici, ils avaient forcément voyagé avant. Elle espérait seulement que lesdits voyages se révéleraient riches en récits passionnants.

Et elle tint promesse. Le lendemain, elle revint visiter les curieux et discrets visiteurs, guidée par la curiosité et le désir d'en savoir plus. Ce fut un bon moment, et ce d'autant plus lorsqu'elle finit par cesser de les interroger sur leurs voyages, à propos desquels ils étaient à peu prés aussi évasifs qu'un prêtre à qui on demandait des détails concrets.