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 La Trinité Nouvelle

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Ascanio Vossula
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MessageSujet: La Trinité Nouvelle   La Trinité Nouvelle I_icon_minitimeMar 8 Oct 2019 - 14:56


En la 17ème année du 11ème cycle,
3ème ennéade de Favrius (1er mois d'automne),
Le cinquième jour...


Ce matin-là comme les précédents, une petite population d'humbles citadins s'aglutinait dans les bas-fonds de la cité de Thaar. Ils se mêlaient aux traîne-misère, aux vagabonds et aux orphelins, pataugeant dans la boue infâme qui s'agglomérait sous les fenêtres et maculait les chemins ; ils jouaient des coudes pour se frayer un chemin au milieu d'une foule chaque jour plus dense. Dans cette cohue où régnait un brouhaha intense, le brave citadin devait prendre garde à ses poches ; cet amas de curieux faisait le bonheur des jeunes vauriens qui sévissaient dans les bidonvilles, attirés par tous ces visiteurs un peu trop bien vêtus.

La raison de ces attroupements matinaux était l'imposant chantier de construction qui avait débuté, quelque temps plus tôt, dans ce quartier pauvre de la ville. La construction avançait bien ; on élevait déjà quatre murs sur des fondations grossières, et il était à peu près certain que le bâtiment fini serait assez laid ; mais la taille de la bâtisse dépassait allègrement toutes celles du voisinage immédiat, quand bien même, dans cette partie de la ville, cela ne serait guère un exploit. On ignorait au juste à quoi la bâtisse allait servir, mais elle bouleversait déjà le quotidien du voisinage, à plus d'un titre.

Il faut dire que les travailleurs étaient nombreux ; la plupart provenaient des quartiers pauvres, car le commanditaire des travaux avait promis d'embaucher tout volontaire. Les faubourgs de Thaar regorgeaient de désoeuvrés sans qualification, si bien que le chantier se trouvait déjà engorgé par une main d'oeuvre excessivement nombreuse. Cela ne semblait nullement déranger le commanditaire des travaux, puisqu'un quignon de pain suffisait à payer un ouvrier à la journée ; chacun y trouvait ainsi son compte. Le plus malheureux dans l'affaire était probablement le maître bâtisseur, sur qui reposait la lourde charge de conduire ces ouvriers inexpérimentés et de remédier aux multiples problèmes que pouvait poser un tel chantier. La sécurité n'était qu'un point parmi tant d'autres ; trois ouvriers avaient trouvé la mort dès le premier jour, et la proportion n'avait depuis cessé d'augmenter. La veille, tout un pan du mur est s'était écroulé, causant encore de nombreuses pertes. On se consolait en affirmant qu'ils n'étaient pas morts en vagabonds, en voleurs ou en mendiants, si bien qu'ils partaient plus dignes dans la mort qu'ils l'avaient été pendant toute leur vie.

« Chacun peut se rendre utile », avait clamé le Prince-Marchand Ascanio Vossula, le commanditaire des travaux. Celui-ci s'était déjà rendu deux fois sur le chantier. L'odeur ambiante avait manqué le faire dégobiller, mais il avait tenu bon, et sa notoriété auprès des petites gens en était sortie grandie. Qu'un Prince-Marchand se souciât d'employer des pauvres avait de quoi surprendre ; on s'accordait à penser que le sort des vagabonds n'intéressait guère ceux qui se goinfraient dans le luxe tapageur de leurs immenses manoirs, là-bas, dans ces quartiers où le commun des mortels n'était même pas admis à s'essuyer les pieds. D'ordinaire, les maîtres bâtisseurs préféraient faire appel à une main d'oeuvre encore plus bon marché : celle des esclaves, qu'on disait moins chère que gratuite. Ascanio Vossula avait insisté. Ce qu'on appelait désormais le "chantier d'Ascanio" était devenu la curiosité du coin, tant il était rare qu'une construction d'ampleur prenne forme entre les masures difformes et insalubres qui s'enchevêtraient dans ces ruelles sordides, à deux pas des bidonvilles.

Ce matin-là, une scène particulière bouleversa le quotidien du chantier. Alors que tout un chacun s'apprêtait à retourner à ses occupations - ou à son oisiveté - après avoir observé l'avancement des travaux, une petite procession d'hommes à la longue barbe blanche fendit la foule, transportant un étrange coffret. Ils étaient revêtus de longues robes couleur saumon, et sur le tissu était brodé, en motifs d'or, trois espèces de longues tiges gonflées surplombant deux petites sphères à leur base. Un petit homme chauve les précédait, écartant les importuns, tandis qu'ils pénétraient sur le chantier. « Place ! Faites place aux reliques de Saint-Coloscopus ! »

Les jours suivants, une nouvelle rumeur se mit à circuler en ville quant à la nature du bâtiment que construisait Ascanio Vossula. C'était, disait-on, un temple. Mais en l'honneur de quel dieu ?
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MessageSujet: Re: La Trinité Nouvelle   La Trinité Nouvelle I_icon_minitimeMar 8 Oct 2019 - 19:59


En la 17ème année du 11ème cycle,
5ème ennéade de Favrius (1er mois d'automne),
Le sixième jour...


La façade de grès de l'imposant édifice dégoulinait d'eau de pluie. Le vent s'engouffrait au travers d'ouvertures béantes qu'on avait pratiquées dans les murs nus afin d'y tenir lieu de fenêtres. Une petite foule se massait à l'intérieur du temple, au milieu d'un chœur long et vide, dans un décor minimaliste. La plupart étaient des ouvriers, à qui le Prince Ascanio Vossula, commanditaire des travaux du temple, avait offert une journée de congé payé à condition que chacun vienne assister à la première messe. Le jour semblait fort mal choisi : il manquait toujours un toit pour parachever la lubie d'Ascanio Vossula, et la pluie tombait drue, martelant les dalles du temple, mettant à l'épreuve la patience et le courage de tous ceux qui assistaient à l'office. Mais le Prince Marchand avait refusé de l'ajourner ; il était urgent, disait-il, que son dieu favori dispose enfin d'un lieu de culte à Thaar. Il avait fait lui-même le déplacement et assistait à l'office au premier rang, ses propres cheveux et son manteau trempés de pluie.

Sur une estrade de fortune, un vieux prêtre procédait à la lecture du texte sacré.

« Au commencement, il y eut Gourdinax le Primordial, celui qui régna avant le commencement de toute chose ; Gourdinax le Primordial ensemença la terre, et de la terre naquirent les trois Membres de la Sainte-Trinité. Il les baptisa Mandrinus, Zboubitos et Braquemarion. Les trois jeunes Membres grandirent tant et si bien qu'ils finirent par se quereller comme le font tous les frères ; ce que voyant, Gourdinax le Primordial, dans sa sagesse, décida qu'ils seraient liés tous les trois, de sorte qu'ils formassent un ensemble parfait, et qu'ils n'aient d'autre choix que d'agir de concert.

Les trois Membres durent s'habituer à cette cohabitation forcée. Ils le firent, et de cette alliance imposée découla un pouvoir décuplé ; car chacun était fort, mais l'union de leurs forces dépassait tout ce que Gourdinax avait imaginé. Alors tous trois fusionnèrent en un être en apparence unique, mais qui conservait les caractères propres aux Trois Membres ; et cet être qui était tout à la fois Trois et Unique prit le nom de Oukilâm'i sak'ekêth, ce qui signifie, dans le langage des anciens, Celui Qui A Trois Verges, et que nous appellerons, nous, Triphallicus.

Il survint ce qui devait advenir : Triphallicus attaqua son Créateur ; il assomma Gourdinax le Primordial à l'aide de ses trois énormes appendices, et lui déroba les deux Saintes Bourses, source de tout pouvoir. Il précipita le Primordial dans le Néant, et son règne dès lors commença.

Devenu le maître de l'univers, Triphallicus répandit sur la terre, dans le ciel et dans les mers le contenu des Saintes Bourses ; la Sainte Semence féconda le monde, et la vie apparut.

Mais Gourdinax le Primordial, depuis sa prison du Néant, n'avait pas perdu tous ses pouvoirs ; les Saintes Bourses lui avaient été volées, mais il en restait le propriétaire légitime. Épuisant ses dernières forces pour se venger, il décréta que tout ce que les Saintes Bourses avaient créé devraient un jour lui revenir. Ainsi apparut la Mort ; et toutes les créatures de la terre, du ciel et des mers furent condamnées à le rejoindre un jour dans le Néant. Toutefois, le sort ne toucha que partiellement les créatures elfiques, car celles-ci avaient conclu un pacte secret avec Gourdinax.

Ce que voyant, Triphallicus prit pitié des vivants. Afin de compenser cette terrible malédiction, il décida de donner à chaque être le pouvoir de se reproduire. Et il décréta que pour chaque race, plus la vie serait brève et plus la reproduction serait aisée et rapide. Toutefois, il ne serait conféré à chaque individu mâle qu'un seul organe reproducteur, afin que les mortels ne soient jamais tentés de se retourner contre leur créateur comme Triphallicus lui-même l'avait fait. Par soucis d'équité et parce qu'il avait refusé aux femelles de posséder un phallus, il leur fut accordé le droit de posséder deux seins aux propriétés nourrissantes. Ainsi jugea Triphallicus, et depuis ce jour, les vivants perpétuent l'existence de leurs races en usant du pouvoir qu'il leur conféra en des temps immémoriaux. Loué soit le Dieu aux Trois Verges pour son inestimable présent.

Les cycles s'écoulèrent, et les vivants, riches du cadeau de leur créateur, finirent par oublier à qui ils devaient leur bonne fortune. Il y a plus de cinq cent ans, le prophète Saint Coloscopus, dont les ossements sont conservés au sein du temple, retrouva ce savoir perdu et consacra sa vie à prêcher la bonne parole. Mais les vivants s'étaient détournés du dieu véritable pour adorer de nouvelles idoles ; et Saint Coloscopus fut persécuté par ces esprits inférieurs. Or, avant son trépas, Saint Coloscopus prononça ces paroles : Triphallicus allait un jour offrir au monde un nouveau présent, et ce jour, chacun se devrait d'être prêt ; car la face du monde s'en trouverait bouleversée à tout jamais. »

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