[Mare Noire]Tendre la main ou le poing ?

Le visage du dément se tourne vers moi. Croise mon regard. Et je ne peux plus bouger le moindre muscle.

Cela ne se peut...

Les ennéades se sont écoulées. Les mois. Mes pas ont laissés derrière eux les murs immenses de cette ville à la vie distordue et les fautes de Faelwën ont finies par devenir des souvenirs fondateurs. Le regard d'Ambre qui se baisse sur la lame sans que je ne comprenne. L'homme qui se tourne, certain de pouvoir rentrer chez lui. Le soulagement. Il n'y aura pas d'effusion de sang aujourd'hui et le camp est en sureté.L'éclat métallique. L'odeur de sang mêlée à la boue et à la sève. l'Angoisse. La douleur. L'horreur dans les iris d'acier du grand guerrier au visage couvert de cicatrices. Et pourtant... C'est bien lui. Le semi-sang à la lance. L'homme qui était prêt à tout pour aider son camarade. Mais s'il est là alors l'autre... ?!

Les iris grises se détournent et mon cœur ne s'en serre que davantage.

J'ai changé. Il ne me reconnait pas. Mes cheveux en brosse et les tatouages ésotériques qui couvraient tout la moitié gauche de mon corps et de mon visage le prouvent déjà d'un coup d’œil, mais ce n'est rien par rapport aux décisions que j'ai du prendre depuis. Ou peut-être est-il simplement perdu au fond de ses délires ?

Je frémis lorsque sa voix, rauque et dur s'élève. Il s'adresse à moi. Accusateur. Fatigué. Son esprit était au bout de ce qu'il pouvait supporter. D'autres clans étaient donc à l'origine de tout ça ? Pourtant la Symhonie semble claire. Nous sommes seuls... Sans doute ont-il heurter des visions du sorcier et leur peur chronique leur aura trouver des coupables tout désignés... Et c'est probablement un peu de ma faute.

Blanc-Cornu, si c'est pour réparer ce qui a été brisé ce jour là que tu m'a mené jusqu'ici, je te jure que je ferai mon possible pour y parvenir. La Mère m'en soit témoin.

- Assumez vos actes.

Des mots qui résonnent en moi. Malgré moi. Je hoche la tête et soutient son regard jusqu'à ce que ses larmes coulent... Un hoquet de sanglot me remonte dans la gorge. Non ce n'est pas le moment. Je souffle pour contenir les émotions qui me montent aux yeux. Mes bras se croisent pour me retenir. Un mouvement désuet pour m'empêcher d'aller tout simplement le prendre dans mes bras. Cela n'aiderait en rien... Et lui expliquer que je ne suis pas une ennemis reviendrait à perdre un temps précieux. Un temps que l'homme allongé n'a pas. Alors peu importe.

Parle maintenant. Sans regret. D'une voix douce et assurée.

- Si vous voulez que ça s'arrête alors ne bougez pas. Vous m'entendez ? Quoi qu'il arrive, vous ne bougez pas.

Rien. Il continue à me fixer. Triste et perdu...

Par la Mère, mais bouge !

Je serre les paupières une seconde, souffle un bon coup et je me dégage fluidement des entrelacs de ronces.

Mon pied se pose sur le sentier, me dévoilant entièrement aux yeux de l'homme aux cheveux flamboyants recroquevillé sur le sol. Les centaines de perles de bois des colliers qui pendent de mon cou jusqu'à mon ventre s'entrechoquent à chaque pas au dessus de mes vêtements de cuir. Mes yeux ont repris leur teinte turquoise.

Trois pas et je suis à côté de l'homme inconscient sans oser baisser les yeux.

Quelques mouvements du guerrier, mais rien qui ne laisse présager une réaction violente.

- Ne bougez pas.

Un poids disparait de mes épaules. Merci. Par les dieux et les Ëalas, Merci ! Sans plus attendre je m'agenouille et laisse tomber mes sacs dans la neige à moitié fondue. Faire abstraction du visage. Regarder ailleurs. C'est ça. Regarder ailleurs. Dans le flou, je me baisse jusqu'à la poitrine de l'homme. Son coeur bat encore. Régulier mais lent et faible. Sa peau est pâle. Quelques plaques rouges apparaissent. Froid. Mauvaise circulation. Ma paume glisse sous son nez. Il respire... à peine. Tout ce corps semble être en léthargie. Une surdose ?

J'inspire en posant la main à la base de sa clavicule, à même sa peau. Mon pouce suit les gravures de mon anneaux. Les vaisseaux de sang ne sont pas si différent de ceux de sève. Là... Au creux de ce corps je sens encore la présence diffuse des spores. Certains réagissent à de plus faibles doses que d'autres. Je ne saurais dire si cela aurait pu suffire à provoquer un choc et de toute façon je ne peux les désactiver, mais au moins je peux ajouter une cause à son état proche de la catatonie : le délire.

Une idée me traverse l'esprit... Cela ne coute rien d'essayer... Presque rien.

J'arme le bras pour l'abattre à toute volée sur la joue de l'homme... Mais mon épaule bloque.

C'est pas la peine je vais me rater. En soufflant un grondement d'agacement contre moi-même, je me positionne plutôt au-dessus de lui.

D'une main je trouve le bord inférieur de sa cage thoracique et applique une soudaine pression remontante juste en dessous, pour obliger les poumons à se contracter un grand coup. En plus de le forcer mécaniquement à expirer et inspirer un grand coup, son esprit sortirait - peut-être - de la brume. Et puis c'était moins douloureux qu'une claque pour le stimuler. Enfin... Si ce n'était qu'un délire, cela aiderait sûrement.

Qu'il ouvre au moins les yeux...

Il avait pleinement embrassé l’abîme et voulait s’y perdre et pourquoi pas. Les ténèbres étaient doux, chauds, finalement assez réconfortants contrairement à ce qu’il avait pensé. Mais le noir complet ne dure pas même si ce n’est qu’une variante qui prend sa place. Au lieu de rester étendu en ne bougeant même pas une oreille dans une obscurité totale, Lyorindel se trouva bien vite engloutit par la brume. Alors il se leva enfin, du moins il essaya, à tâtons, posant les mains sur un sol calcaire sec, il en prit une poignée qui s’effrita entre ses doigts avant de se relever pour, de sa hauteur, ne plus voir le sol en question. Puis il fit quelques pas, en évitant tant que possibles les fourrés denses qui se mettaient sur sa route et qu’il ne pouvait voir qu’au dernier moment. Bien qu’il ne voyait pas bien loin devant lui, il pouvait tout de même observer la bruyère qui poussait çà et là, souvent accompagnés d’ajoncs jaunes, ou de genêts, qui étaient plus facilement visibles et qui s’agitaient au rythme du vent.

Il avançait sans vraiment savoir où il pouvait bien aller, enfin si, ça il le savait, ce qu’il ne savait pas c’était par où aller mais ça ne devrait pas être bien long, il était mort, et ses compagnons de voyages allaient s’occuper de lui fermer les yeux et la bouche, bien que ce soit probablement déjà fait parce qu’il se souvenait avoir eu des paupières de plomb et une bouche pâteuse. Toutefois l’épervier se doutait que le reste de la cérémonie ne serait pas possible, le temps pressait et même s’il aurait aimé que les traditions soient observées comme il se devait, il n’était qu’un Souffle et tous ceux qui se trouvaient à Alëandir comptaient sur eux même si l’écrasante majorité ne le sait pas. Son voyage jusqu’aux Terres d’Emeraudes seraient juste un peu plus longue qu’elles ne devraient l’être, il serait simplement enterré au bord du chemin, sous les racines d’un arbre mais ça empêcherait la capitale de finir comme lui ou du moins ça en réduisait les chances.

En attendant il n’avait qu’à marcher. Encore et encore bien que ses pieds commençait à le faire souffrir, quelques heures de douleur valaient bien une éternité de félicité alors il continuait. Jusqu’à tomber d’épuisement devant un arbrisseau, il rampa jusqu’à ce dernier pour s’y adosser et se reposer à l’ombre de ces quelques feuilles. Là, la brume se dissipa, un peu, il pouvait voir plus loin que le buisson à ses côtés et il lui sembla que ce dernier bougeait mais il devint vite claire que ce n’était pas le buisson lui-même mais une silhouette qui s’en détacha. Une silhouette fine qui émergea de la brume.

« Lyo’… tu es enfin là. » La voix chantante, mélancolique, d’une douceur toute féminine, s’approcha. Elle était grande, plus que l’épervier, bien que ce ne soit pas un exploit. Les longs cheveux de la silhouette furent emportés par le vent et elle disparut aussi étrangement qu’elle était apparue, un nuage de fumée balayée par une bourrasque.

Avant de réapparaitre en face de l’elfe épuisé.

« Tu te souviens ? »
« Oui Thalanil. »
« Alors tu te souviens ce que tu m’as dit. »
« Oui ,je m’en souviens. »
« Pourquoi tu m’as menti ? » La voix douce qu’avait Thalanil jusqu’à présent se brisa en un sanglot monotone qui serra le cœur de l’elfe en face d’elle.

« Je ne t’ai pas menti, c’était vrai ! » Se défendit-il en criant, fermant les yeux et baissant la tête pour ne plus avoir à supporter la vision de Thalanil. Mais cette dernière ne répondit pas, une nouvelle bourrasque l’emporta et à ce moment-là, l’épervier osa rouvrir les yeux.

« Tu m’as dit qu’on partait pour protéger l’Anaëh. » L’elfe qui le hantait se trouvait maintenant dans ses bras, vêtue de son uniforme de l’armée royale, elle avait les yeux vides et un torrent de sang s’échappait des commissures de ses lèvres mais ça ne l’empêchait pas de parler.

« Tu m’as dit que tout irait bien. »  Lyorindel voulut la repousser, fermer à nouveau les yeux mais son corps ne lui répondait plus, tétanisé il ne pouvait que regarder. Regarder et pleurer. Des larmes tombèrent sur le visage de Thalanil, qui roulaient sur son regard vide avant de se noyer dans un flot de sang.

« Tu m’as dit que je n’avais qu’à fermer les yeux. » Elle eut un hoquet qui envoya une éclaboussure de sang balafrer le visage de l’éclaireur tandis qu’il sentait son uniforme détrempé l’alourdir, le clouer au sol. La voix de la mourante se faisait de plus en plus faible au point d’en être difficilement audible avec le vent.

« Tu m’as dit que tu m’aimais, Lyorindel. » Une nouvelle bourrasque de vent emporta Thalanil.

« C’était vrai… je le pensais. » Ayant de nouveau le contrôle de ses membres, l’épervier se leva pour courir le plus vite possible à travers la brume s’opacifiant un peu plus à chaque secondes.

« Regarde le résultat, est-ce qu’on a protégé l’Œuvre ? »

La voix de Thalanil semblait venir de partout et de nulle part à la fois, c’était un chœur qui traversait l’épais brouillard à la recherche du fuyard.

« Regarde où on est, est-ce que tout va bien ? »

Lyorindel ferma les yeux le plus fort possible en continuant de courir, tentant d’esquiver comme il le pouvait ce qui se tenait sur sa route, zigzaguant plus qu’autre chose dans le noir.

« Regarde où je me suis perdu, est-ce que j’aurais dû fermer les yeux ? »

Finalement l’épervier finit par se prendre les pieds dans des racines et s’écroula de tout son long en sentant un goût métallique prononcé se répandre dans sa bouche.

« Regarde ce que tu fais, est-ce que tu m’aimes ? »

Il voulut répondre mais le choc de sa chute avait vidé ses poumons alors il prit une grande inspiration avant de lever un bras vers la silhouette de Thalanil, il se trouvait à ses pieds.

« Oui, je t’aime, pardonnes-moi... »

L’elfe ne bougea pas lorsque l’ornedhel le lui ordonna. Il fallut qu’elle sorte de la pénombre et qu’elle parle pour qu’il la reconnaisse. C’était la petite Iarin'Dath. Celle qui ne voulais pas de toute cette violence et qui avait aidé la dernière fois. Celle qui avait accepté de vivre dans la cité blanche malgré ce que cela devait représenter pour elle comme sacrifice.

Avait-elle changé au point de participer à ce carnage ? C’était une membre du même clan qui avait tenté de tuer son ami la première fois  après tout…

Quoi qu’il en soit, il ne bougea effectivement pas et elle put s’approcher. Il fit mine de reculer mais son geste s’interrompis de lui-même. A quoi bon après tout ? Qu’elle en finisse donc. Alors il resta en place.
Elle se mit cependant à faire il ne savait quoi à son camarade. Au lieu de l'achever, elle prit sa respiration et tout ces geste que l'on faisait pour aider quelqu'un. Il la fixa un instant de nouveau interdit. Elle ne semblait pas agressive. Elle semblait aussi désespérée que lui... 

-je ne comprends pas…Souffla-t-il perdu, déboussolé. Ça ne fait pas de sens…Il secoua la tête. 

Était-ce une punition ? La mère lui faisait-il revivre un des pires instants qu’il ait vécu en guise de punition ? Mais Punition de quoi ? De n’avoir écouté la druidesse ? D’avoir trahis un secret ? D’autre chose plus ancienne?

Ses mains tremblantes se fermèrent. Il les fixa, toujours posées sur ses genoux comme si elles renfermaient la réponse qu’il avait tant de mal à saisir.

Lyorindel se mit soudain à parler et à tendre le bras vers la petite elfe. Aegden les observa alors tout deux. Certes, le diplomate n’était probablement pas encore tout à fait sortit d’affaire, mais le voir réagir provoquait un énorme soulagement. Soulagement cependant toujours mêlé d’incompréhension vis-à-vis de leur supposée sauveuse…

Il expire... Et l'inspiration qui suit est digne d'un noyer crevant la surface. Je souris bêtement. Sans m'en rendre compte j'ai pris ma respiration en même temps que lui. Merci. Le soulagement et l'adrénaline forme un cocktail détonnant, mais tout mon corps se tend d'instinct en le voyant commencer à gesticuler.

Ma main attrape fermement la sienne. L'autre paume s'appuie sur son épaule, prête à y mettre tout mon poids pour le retenir au sol... Mais non. Il tend seulement le bras.

« Oui, je t’aime, pardonnes-moi... »

... Je cligne des yeux.

Un souffle. Un murmure rauque. Des mots qui ne me sont pas destinés. Mon sourire revient, doux amer. J'avais raison. Il délire. Et un délire qui n'a pas l'air agréable. La main qui a attrapée la sienne prend son pouls au poignet. Il me semble moins fuyant. Régulier. Sa respiration est également un peu plus forte.

- Par tous les dieux et les Ëalas... Merci...

La main que je serre, je la ramène sur mes genoux. Il vivra. Et si son corps flanche à nouveau, je pourrais toujours... Mais je préfère ne pas y penser. Pas pour le moment.

- Tout va bien. Je... " j'hésite une seconde avant de reprendre doucement. " Tu es pardonné. "

C'est dans ces moments que j'aimerais pouvoir faire entendre clairement les chants de notre Soeur à nos frères des cités. Sa bienveillance, son soutien en toute circonstance... C'est un amour si grand, comment pourrait-il y avoir de la place pour la rancune, la haine, ou tout ce qui sépare les êtres et les choses ? Alors au moins, je peux être là... Un peu.

- Revient vers nous, Lyorindel... Tu es pardonné. Tes amis comptent sur toi. "

Je n'ai pas de pigment sous la main. Tant pis. Je trace sur le front du chasseur les symboles des rêves et de la protection. Puisse la Mère l'aider à vivre ce qui se passe en lui, quoi que ce soit... Puis je lève le regard vers son camarade aux cheveux de feu.

- Aegden, vous ne vous souvenez sûrement pas de moi... J'ai changé, je le sais, mais je vous jure que je ne suis pas ici pour vous nuire. Je ne suis pas avec ceux qui vous ont fait du mal. Je ne sais pas si vous êtes en état d'assimiler ce que je dis, mais si c'est le cas, approcher s'il vous plait. La voix des proches aide les esprits perdus à retrouver le chemin... Lyorindel a besoin que vous soyez avec lui... Vous comprenez ? "

Le regard qui soutint celui de la noss se fit aussi triste que le soldat était soulagé de voir son ami en vie.

-Ceux ‘’qui nous ont fait du mal’’ nous ont expliqué exactement la même chose et mes amis sont mort sans aucune pitié. Une larme roula sur sa joue. Ses propres mot lui faisaient mal. Il y eut un silence et puis il continua. Pourquoi est-ce que tu nous aide maintenant ? 

Perdu, il voulait comprendre. Pourquoi les noss voulaient tant leur mort ? Pourquoi, elle, voulait tant les aider ? Y avait-il seulement une vrai raison? Était-ce un énième piège dans lequel il ne pouvait s’empêcher de tomber encore et encore ?

Il s’approcha quand même sans vraiment attendre de réponse. Il avait l’air infiniment fatigué, les larmes avaient presque cessées mais la peine était toujours là.

-Je me souviens de toi. Ajouta-t-il soudain alors qu’il reportait son attention sur son camarade. Ungwë.

Il se souvenait aussi de ce qu’elle avait fait pour eux, du comportement qu’elle avait adopté jusque-là. C’était la raison pour laquelle il ne l’empêcherait pas de s’occuper de son camarade. Il ne lui ferait cependant pas totalement confiance. Jamais plus. En tuant une partie des siens, l’auteur de ce carnage avait brisé le mince fil qu’était le crédit qu’il portait encore aux paroles des elfes des bois.

Il hésita à reposer sa main sur l’épaule de son camarade dans un geste amical qui calmerait peut être ce dernier mais renonça bien vite. Il avait peur que ce geste provoque de nouvelles images effroyables. Alors il se contenta de rester près de son ami, se demandant si il pouvait vraiment être utile à quoi que ce soit dans la difficile épreuve que le diplomate menait.

Il cligna frénétiquement des yeux, tentant à la fois de dégager les larmes qui amoindrissaient sa vision et pour tenter de se persuader que ce qu’il voyait, ce qu’il entendait, était réel. Une nouvelle bourrasque avait emporté la silhouette de Thalanil et il se retrouva allongé sur le dos, cette dernière étant de retour mais elle tenait la main de l’épervier. Elle se trouvait non pas devant mais à ses côtés. Comme avant. Et il buvait ses paroles, le moindre mot. Alors c’était tout ce qu’il avait eu à faire pour obtenir son pardon ? Il suffisait de le demander pour l’obtenir ?

Lyorindel tenta de s’asseoir, en tirant un peu sur la main de Thalanil pour l’aider, et grâce à son autre bras il s’empêcha de retomber en arrière. La brume l’entourait à nouveau et il regarda de partout autour de lui, en vain, pour voir où se trouvait Aegden pour qu’elle lui parle ainsi, comme s’il était présent. Mais il entendit rapidement la voix du commandant même s’il ne pouvait pas le voir.

« Aegden ?... » appeal-t-il dans la vague direction d’où il avait entendu le soldat roux. « Si tu es là alors qui va s’occuper des rites ? » Il tourna à nouveau la tête pour peut-être y voir la petite noss qu’il n’avait plus vu depuis… depuis la cérémonie pour la fille d’Artiön, à Alëandir. Lyorindel savait les sauvages cruels mais de là à tuer une des leurs… et pourquoi ? Parce qu’elle avait aidé des citadins ? « Aegden, les autres vont-ils nous rejoindre ? »

Sa voix s’était faite de plus en plus faible à chaque mot qu’il prononçait. Il espérait que son ami lui réponde non mais il se doutait de la vraie réponse.

Je prend une inspiration pour rassurer le guerrier. Ses amis ne sont pas morts ! Mais... ! Mais ce n'est pas le moment. Il ne doit pas s'agiter ou tenter de les retrouver seul alors qu'il est encore mentalement et physiquement fragile. Alors je me contente de répondre à sa seconde question, puisqu'elle est d'une évidence rare.

- Parce que je l'ai toujours fait.

Et il se souvient ? Je relève la tête pour croiser son regard épuisé, remarquant au passage son geste de sollicitude avorté. Doucement, je pose ma main libre sur les siennes. Un mouvement caressant, apaisant, et mes doigts se glissent sous les siens en une étreinte compatissante.

- Vous ne mourrez pas aujourd'hui et lui non plus.

Un sourire de plus. Une conviction profonde. Mais déjà Lyorindel s'agite. Mes mains restent ou elles sont et mon attention se focalise sur celui qui tente de se redresser. Il s'accroche. Il tient bon... étrangement bon vu son état. Le simple fait qu'il arrive vaguement à s'asseoir est un exploit en soi. Et déjà il s'adresse à son compagnon. Ça ne ratte jamais. Le meilleur des remèdes pour la Mémoire est de résonner avec celles qui nous connaissent mieux que nous même.

La main qui tient celle du guerrier demi-sang tire ses longs doigts jusqu'à les poser sur la main encore inerte du mage, l'encourageant du geste et du regard à la prendre. Mais je reste silencieuse. L'homme qui émerge est encore troublé et peu importe ce qu'il voit en moi, je ne suis certainement pas le genre de personne qui pourraient lui permettre de s’accrocher à des souvenirs salvateurs. Tout comme je ne suis pas la personne qui pourrait aider le guerrier demi-sang à retrouver pleinement le sens des réalités.

Silencieuse, j'observe et j'écoute sans lâcher la main de Lyorindel. Je la serre même aussi fort que je le peux tant que je le sens s'y accrocher. Et laissant les deux amis renouer, je me glisse au trois-quart dans le dos de Lyorindel pour lui servir de dossier au moindre signe de faiblesse.

Son attention se porta presque exclusivement sur son ami lorsque la petite noss lui pris la main et la posa sur celle du diplomate. Il constata d’ailleurs avec soulagement et étonnement l’absence de quelconque apparition macabre. Point de sang, de bruit dans les arbres ou de quelconque silhouette.

Aegden était tout de même inquiet ; cependant lorsque l’autre se tourna vers lui il s’efforça d’afficher un air rassurant. Seul la pointe de ses oreilles plaquées contre son crâne et couchées vers l’arrière trahissaient les émotions qui lui enserraient douloureusement le cœur.

-Oui je suis là Lyorindel. Il exerça une pression sur la main de son ami, comme si ce contact physique achèverait l'autre de le convaincre. Je ne sais pas de quels rites tu parles. Il hésita. Mais peu importe. Tout va bien. Il faisait de son mieux pour poser sa voix afin que l’elfe déboussolé revienne doucement à lui sans devoir affronter l’angoisse d’un autre.  

Le soldat ne répondit pas à la dernière question. Il n’en avait pas le courage actuellement.

Comment avouer à un elfe visiblement perdu qu’ils avaient échoué ? Comment lui répondre que les autre ne les rejoindraient plus ? Qu'il n'entendrais plus jamais les joyeux emportements de Malgelir, le ton doux et maternel d'Oreleth, le silence méthodique de Silivren ni les notes de l’instrument de musiques d' Ildilyntra ? 

Ce n’était pas le moment. Cette peine il devait la garder pour lui alors il se tût simplement.

-Reste avec nous maintenant. La voix du diplomate semblait si lointaine. Aegden avait peur que Lyorindel s’évanouisse à nouveau. Il voulait lui parler pour qu’il reste conscient, mais que dire ? Le cauchemar est terminé, tu es sain et sauf à présent. Il avait tout de même l'impression d'essayer de s'en convaincre lui même en plus de son interlocuteur.

Là où quelques instants auparavant la brume s’était rapproché de lui, s’était épaissit même si ça ne avait pas semblé possible, désormais elle reculait et sur son passage apparaissaient de l’herbe, remplaçant au fur et à mesure la lande. La brume avait aussi dévoilé Aegden et une poigne glacée enserra le cœur de Lyorindel. D’une façon ou d’une autre il avait manqué à son devoir. Mais il ne serait pas tous les deux, du moins tous les trois maintenant, bien longtemps car il ne doutait pas une seconde que d’autres allaient les rejoindre. Après tout s’ils s’étaient arrêté là alors leur mission était un échec. Avec toutes les conséquences que ça impliquait. Mais pour le moment ils étaient ensemble et ils auraient tout le loisir de se lamenter sur leur échec, ainsi que ce qu’il impliquait. Plus tard. En attendant il serra la main de son ami, il s’y accroche de toutes ses forces car Thalanil a disparue ce qui fait du commandant la seule personne qui le sépare d’un abysse de solitude, qui le condamne à trouver son chemin seul.

Mais ce que dit le commandant en question n’est pas cohérent. Tout le monde est sauf ici, le danger n’est pas physique, il ne risque pas de mourir une seconde fois alors pourquoi lui dire ça ? Mais voilà que la brume continue à reculer et qu’une grosse silhouette se profile. C’est un arbre, un vrai, pas les arbustes ou arbrisseaux qu’il a pu voir jusque-là et qui peuplaient ce paysage désolé. Il est même énorme pour un arbre et la brume en découvre d’autre, permettant au regard de Lyorindel de passer de l’un à l’autre. Puis son regard s’abattit bien vite sur le chemin, chemin qui n’était pas là auparavant, ça il en était certain sinon il l’aurait suivi. Alors il leva la tête.

« Aegden où sommes-nous? On est enfin arrivé dans les Terres d’Emeraude? »

Il n’ose y croire, comme le laisse penser sa voix légèrement tremblante. Comment serait-ce possible sans les rites, sans tout ce qui est nécessaire pour trouver son chemin ? Ils n’ont pas pu y arriver, pas après si peu de temps.

« Aegden, où sommes-nous ? »

Demanda-t-il en se tournant comme il pouvait dans l’espoir d’identifier la scène dans laquelle il se trouvait et ce fut à ce moment qu’il pu voir la noss dans son dos ; une peau cuivrée dans son dos, un mélange suffisant pour laisser sa peur prendre le dessus sans qu’il n’ait ne serait-ce qu’une chance de la contrôler. Alors il s’agita, tentant de s’en aller le plus loin possible comme un animal qui a un éclat de lumière faire reluire la lame d’une couteau.

Aegden ne sut retenir l’air choqué qu’il afficha lorsque l’autre posa sa première question. Il avait l’air à la fois triste et horrifié.

-Quoi ? Non…Lyo on n’est pas…Sa voix vacilla un instant avant qu’il ne se reprenne. On est en vie… Sur la route de Wyslena tu te souviens ?

Il ne sut pas si l’elfe l’avait vraiment écouté. Alors qu’Aegden tenait toujours la main de son ami, ce dernier tenta de reculer pris de panique à cause de la présence dans son dos.

Le commandant lui lâcha la main. Si c’était relativement flou, il se souvenait avoir eu l’exact même réaction il n’y avait quelque instants. Comme dans un rêve. Il se souvenait tout autant qu’il aurait détesté être retenu de force dans cet instant de panique.

Il lança un regard vers la petite noss ne sachant que faire. Rassurer le diplomate en lui expliquant que l’autre ne leur voulait pas de mal ? Il n’était plus certain de rien… Chasser de force la jeune femme alors ? Piètre façon de remercier l’aide qu’elle avait l’air de vouloir apporter...

-Tu es peux être quelqu’un de bien Ungwë et tu veux peux être nous aider mais il faut que tu partes. Lui lança-t-il finalement, désespéré par l’état de son camarade. Les tient-nous-on fait trop de mal…

Elle n’y était peut-être pour rien, il n’en savait rien mais ça ne changeait pas grand-chose. Elle ravivait malgré elle de douloureux souvenirs. Elle représentait malgré elle un peuple qui s’était montré bien trop de fois imprévisible et dangereux. Lyorindel ne pourrait pas se calmer dans ces conditions.

A nouveau il se rapprocha de son ami de toute façon pas bien loin, reprenant doucement sa main. Faire acte de présence lui semblait la seule chose à faire pour aider l’elfe en panique à se calmer. Il aussi en sorte de s’interposer, se plaçant entre le diplomate et la noss.

-Tout va bien lyo. Calme-toi. Tout va bien. Lui répéta-t-il à nouveau.

Je hoche la tête.

La main de Lyorindel venait de lâcher la mienne en catastrophe.

A quoi bon me battre sur un point encore si douloureux Ce n'est pas de moi dont il est question... Mais je ne peux empêcher mon cœur de me faire mal. Il leur faut du temps pour expurger les spores et se reprendre totalement leurs esprits. Leur expérience n'en est pas moins traumatisante. Pourquoi l'un des miens les auraient mis dans un tel état ?

La gorge serrée, je regarde le diplomate s'éloigner instinctivement de moi et le regard accusateur de son compagnon. Il pense vraiment... être mort ?

Je me relève, ramassant mes affaires pour faire quelques pas en arrière. J'aurais voulu les laisser reprendre pied tranquillement, mais l'omission leur ferait plus de mal que de bien à présent... A la lisière des fourrés, aussi loin que possible sans risque de perdre définitivement l'attention vacillante du demi-sang, je lance d'une voix forte.

- Aegden, vous devez m'écouter encore juste un peu... Deux de vos compagnons attendent sur la route un peu plus loin. Vos chevaux ne sont pas en assez bon état pour que je vous les ramène.

Un sourire et je ne perds pas plus de temps, m'éloignant sous le couvert pour courir sur le chemin en sens inverse. Agir pour ne pas penser. Pour ne pas ressentir.

A peine la noss avait-elle fini sa phrase qu’Aegden avait bondit sur ses pieds. Etait-ce vrai ? Etait-ce un piège ? Une fois de plus il n’en avait aucune idée mais ça ne faisait aucune importance. S’il y avait ne serait-ce qu’un infime espoir de retrouver ses camarades, il se devait de le saisir.

Après tout peu être la mère avait-elle entendu ses prières…

Ainsi à l’instar de Lyorindel qui semblait miraculeusement tenir sur ses jambes, il se mit à courir sans plus réfléchir dans la direction indiquée, (récupérant par réflexe et rengainant dans son dos son arme laissée à terre quelques instants plus tôt) Le monde n’était encore pas tout à fait stable mais il ne tanguait plus comme les instants précédents c’était déjà ça.

Ungwë n’avait cependant pas précisé dans qu’elle était-il trouverait ses compagnons. Toujours persuadé de leur disparition, Aegden s’attendait au pire. Et puis la jeune femme avait parlé de deux compagnons…Où étaient alors les deux autres restants ?

Lyorindel, Aegden,

Vous courez jusqu’à en perdre haleine, ou du moins vous en avez la sensation. Ce à quoi ressemblait réellement votre course, vous n’en aviez pas la moindre idée, et vous en aviez cure. Tout ce qui comptait à vos yeux, c’était retrouver les autres. Il n’y avait qu’une seule solution, une seule direction possible : Wyslena. Vous en étiez tous les deux sûrs et certains. Convaincus par d’étranges pressentiments, comme si la traînée de dévastation laissée derrière lui par l’élémentaliste ne suffisait pas. Sauf que la traînée s’est arrêtée. Et qu’il n’y avait personne au bout. Ni mage, ni archère, ni épéiste, ni épervier. Juste vous deux.

Ce n’était pas possible. Vous deviez les retrouver.

Alors Aegden a coupé court à votre route vers Wyslena pour les chercher. Malgelir au moins ne pouvait pas être bien loin. Pas après avoir inhalé la même substance que vous. Pas après un tel déchaînement de puissance. Et pourtant, s’écarter de la route ne servit qu’à vous infliger de macabres découvertes.

 Le corps d’un cheval, les pattes brisées comme du petit bois, mort. Une des bêtes que vous aviez amené jusqu’ici.

Un cadavre écorché, à la forme humanoïde. Ce qui lui reste de peau coulant dans des chairs rendues flasques par d’autres agresseurs que le temps. Rongé. Quelque chose l’a rongé, celui à côté de qui brille l’insigne des miliciens d’Ardamir

D’occasionnelles flèches, perdues dans une lutte contre des moulins, d’occasionnels ossements récents, mais brisés par les animaux de passage. Des victimes de la nature folle qui vous entoure.

- Difficile de ne pas céder à la colère, hein ? une voix grave interpelle le roux Ne t’inquiètes pas, tes compagnons ont eu plus de chance. le soldat Wyslenan s’approche, offrant au Lëandrin de le rejoindre sur le dos de sa monture On les a trouvés à temps. Allez, monte.

Lueur d’espoir au milieu du chaos. Le fort Wyslena se dévoila enfin. Enfin l’équipe Taledhelle entière serait réunie. Soldats Lëandrins comme explorateurs Wyslenans. Seulement dans les ombres de vibrantes paires d’yeux observaient. Les traîtres parmi ceux des bois garderaient maintenant les ombres, de peur de s’être fourvoyés, et de voir la trame déchirée quand leur mission était d’en assurer la stabilité.

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Lareless,

Tu appelles, encore et encore, mais il n’y a jamais que la Sylve pour te répondre. Valao n’est pas là. Il est loin, trop loin pour t’entendre. Et c’est à ton tour d’être seule avec toi-même. Seule avec ton totem. Seule face à ton œuvre.