[La Cahute] Survivants / Cécilie Shyn Urgoll

La drow penche la tête de coté aux derniers mots de l'humaine, son attention attrapée. Son oreille opposée frémit. Elle n'a jamais eu le genre de majesté de la petite humaine si pâle devant elle. Sa posture souple et gracieuse, ses mouvements sont ceux d'un félin.

Son regard croise celui de Dante. A-t-il compris ce qu'elle venait d'essayer de lui transmettre? Mais sans un mot, il se retourne vers la petite cahute, le seau encore à moitié plein à la main. Est-elle déçue?

C'est peut-être ca que Cécilie ressent aussi.

Elle le suit du regard jusqu'à ce qu'il se soit assez éloigné. Il y avait des raisons de craindre qu'il attaque. N'avait-il pas promis? Mais elle doute qu'il le fasse.

C'est absurde, réfléchit la sombre. Il avait peur qu'elle se mette entre eux deux. Et au final, c'est lui seul qui l'y met. Certainement pas le genre de développement qu'elle avait prévu, ni même imaginé. Elle ne l'avait pas souhaité non plus, et si elle doit bien reconnaitre qu'elle n'a jamais vraiment réussi à comprendre l'origine de la séduction si forte que l'un exerçait sur l'autre...

Shyn'tae ne peut pas se targuer d'y connaitre grand chose en amour. Pour ce qu'elle en a vu jusqu'à présent, c'est surtout la meilleure manière de découvrir toutes les misères du monde.

Bientôt, lorsque Sol'dorn serait tombé, Krish Al'serat exaucerait le souhait de son père. Un souvenir aussi clair que s'il avait eu lieu hier. Les drows rechercheraient Dante pour sa folie. Qu'ils ne les cherchent pas elles serait une bonne chose.

Peut-être avait-elle fini par apprécier les qualités de ce mâle si maladroit, si sûr de lui et si souvent égoïste au point de s'en blesser lui-même. Elle pouvait même dire qu'elle le supportait, même dans ses éclats.

Cela restait un con. Il fallait bien admettre que factuellement son absence serait aussi un soulagement. Ce n'était pas à elle de les défendre l'un et l'autre. Déjà parce qu'elle était incapable de trouver les mots pour défendre Dante, ensuite parce qu'elle n'était pas certaine que Cécilie l'accepte. Enfin parce qu'elle n'en avait pas le courage.

Un cœur brisé.

Son regard se posa sur la belle et redoutable dame qui lui faisait face. Un autre cœur brisé? C'est bien possible, même s'il y avait peu de chance que Cécilie reconnaisse une chose pareille. Mais ca pourrait expliquer bien des choses si c'était vrai. Les mots qu'elle avait employé étaient pour certains conçus pour aller droit au cœur.

Alors que d'autres auraient du être si simples. Mais le chagrin n'aide pas à voir clair.

- Je vois." La sombre ferme les yeux un instant pensive, le feu toujours brûlant en elle. Elle les réouvre alors lentement, son sourire devenu malicieux. La drow se déhanche. Cette dernière phrase est dangereusement séduisante. Il y a tant de choses à découvrir. La drow a tant de choses à apprendre.

Un potentiel vertigineux. Elle n'est pas absolument certaine que l'humaine n'ait pas changé, mais n'est-ce pas intéressant à découvrir? Elle est toujours prodigieusement énervée par ce qu'elle vient de lui faire subir. Mais en même temps, elle réalise que c'était terriblement énivrant. Ce qu'elle propose? C'est une liberté grisante. Dangereuse, c'est surtout la promesse de pouvoir parler à son amie sans peur de déclencher sa colère.

- Merci pour tout ca. Tant de frustration, de colère qui voulait se libérer, qui se transformait en autre chose. D'un pas félin, sensuel, elle s'approche un peu plus.

- En réalité. Je connais déjà la réponse. C'est oui. Oui tant que ca devient pas un fardeau. Malgré la douleur, elle sourit, malicieuse, grande devant la dame glaciale.

- Je crois m'être négligée. Il va falloir arranger ca. Et j'ai tant de questions à te poser." Elle s'immobilisa et posa un doigt sur sa lèvre, innocente, joueuse.

- Mais dis-moi, que veux tu faire maintenant. Toujours faim je suppose?

Et bien voilà qui est plus sympathique. La drow mainte fois blessée se glisse jusqu'à moi avec souplesse, comme elle le faisait si souvent à Frontière. Elle est toujours laide, mais au moins elle n'est plus perdue dans ses idées de drame romantique et semble ouvrir les yeux sur ce que je lui montre sans se braquer, contrairement à l'assassin. Sans présumer de l'horreur que la grande méchante magie est en train de me faire.

- Tant mieux. "

Un sourire posé se dessine délicatement sur mes traits juvéniles. La sérénité d'un cœur égal aux manières nobles et orgueilleuses. Elle est si proche que l'odeur du sang chatouille mes narines. La blessure de sa joue à du se rouvrir. Mais elle n'y porte pas attention, alors moi non plus. La légèreté qu'elle offrait enfin par ses manières et son jeu sont exactement ce dont j'avais besoin. Les murmures à mon oreille renforcent mon sourire et mon pouce vient écraser une gouttelette d'encre juste sous mon nez, sur l'épaule de la noiraude.

- J'aimerais surtout finir de me laver et de me changer, mais le bougre a commis la mesquinerie de nous prendre le seau... Tu n'aurais pas vu une rivière ou une mare quelque part alentours ? "

Elle penche la tête et lève les yeux, pensive. A quoi réfléchit-elle sous ses courtes boucles blanches ? A-t-elle eu la moindre occasion de tendre l'oreille lors de leur arrivée ? Avec leur sujet d'étude, rien de moins sûr.

- J'ai entendu de l'eau courante plus haut sur la route, lorsqu'on est venus. Pas si loin." La cahute était lovée dans un vallon dont les escarpements rocheux aiguisés avaient au fil des siècles accueilli une végétation luxuriante typique de ce coin d'Ithri'vaan, et qui, s'élargissant, débouchait sur d'anciens pâturages au centre duquel était juché la cahute. Logique qu'il y ait quelques cours d'eau alentours.

Mais la noiraude aurait pu me répondre que ce n'était pas le cas, je l'aurais cru par principe. Mon pouce remonta le long de son cou. Un frisson me suit de près sur cette peau aussi sombre que la nuit qui nous entoure.

- Et, aurais-tu l'obligeance de m'y accompagner ?
- Avec joie. Allons découvrir cet endroit. Je n'ai pas eu le temps de faire le tour avant ton réveil." Un doigt d'ébène effleure la peau de mon bras pâle, et l'eldéenne s'anime souplement. Elle me frôle, joueuse. Je me détourne un instant pour récupérer mon baluchon sur le sol avec la même grâce noble et rigide. Je passe mes pieds dans les chaussures de cuir qui se trouvaient à l'intérieur. A peine me suis-je relevée qu'une main fine rejoint la mienne. Nous nous avançons au travers des herbes souples.