Après le marteau, l'enclume | Myr

8e jour de la 1ere ennéade de Favrius ~ Automne
17e année du XIe Cycle
Camp Sud de l'armée eldéenne
1h00 du matin

Elle y avait cru. Elle y avait sincèrement cru. Mais cette journée particulière n'était pas prête à se laisser achever sans réagir.

En sortant de sa tente en laissant un Haut-Prêtre sur son tapis, elle n'avait pas de destination précise en tête. L'adrénaline lui battait aux tempes et le Brasier qui l'habitait ne faisait qu'augmenter la colère qui lui étreignait le cœur.

Ses pas l'avait portée jusqu'à la tente qu'occupait sa fille... Mais sur le point d'y entrer, elle avait renoncé. Sa main était restée sur le tissus. Un moment. Mais à quoi bon la jeter de suite dans les pattes de son père, ce n'était pas comme si elle s'en occupait particulièrement ces dernières années.

Alors elle avait fait demi tour, errant dans le campement endormit. Les sentinelles se mettaient au garde-à-vous ou lui lançaient un discret signe de tête lorsqu'ils finissaient par reconnaitre cette inattendue silhouette rouge. Elle avait suivit ainsi le tracé des palissades au pas de charge, les yeux dans le vague et l'esprit encombré. Elle ne voulait pas penser, et c'était bien à ça qu'elle pensait le plus. L'amertume et la colère. Jusqu'à ce que le temple de Kiel se dessine en noir sur fond gris, sa façade éclairé par un unique flambeau...

Elle n'y était pas revenu depuis... cette nuit. La nuit ou le sang et les flammes avaient coulés de concert pour mettre à genoux ceux qui résistaient au Père. Pour la mettre, elle, à genoux. Elle s'arrêta pour observer l'endroit, refoulant un frisson de répugnance. Elle détestait Kiel. Elle en détestait les adeptes et les prêtres, n'appréciant que l'utilité terrifiante qu'ils avaient pour la position qu'elle occupait à présent. Pourtant, ses préceptes, elle les connaissait sur le bout des doigts... Et ils lui avaient plus d'une fois sauvé la vie. Mais elle la haïssait. Et le fait que ce lieu soit associé à la punition du Père n'aidait pas à changer cet état de fait.

Pourquoi, alors, approchait-elle de cet endroit maudit ? Elle bouillait déjà de rage alors un peu plus, un peu moins... ? Mais il y avait autre chose. La douleur du jour lui donnait-elle des envies ? Non. Certainement pas.

Rendue jusqu'à la façade, Krish en caressa le bois. Rien a voir avec les temples du Puy ou ceux de Thaar. Des temples de campagnes, qui bientôt seraient démantelés. Alors l'eldéenne baissa la tête et porta le poing à son cœur en signe de piété.

- Puisse le Père m'accorder son Regard au plus haut de ma gloire et fermer les yeux sur mes erreurs. Haute et Claire brûle la Foi. " Puis elle hésita un instant à ajouter quelques mots qu'elle n'avait jamais prononcé... Plus depuis l'enfance... Mais se ravisa.

A la place, elle tourna les talons. Reprenant la marche, le cœur lourd. Elle aurait voulu que Myr'Hennis soit là. Lui parler. Ou simplement oublier cette journée moisie. Mais elle n'avait que ses épaules pour soutenir sa charge et ses bras pour tenir les drows unis. Elle n'avait que la colère en elle et la déception douloureuse d'une trahison qu'elle n'avait pas vue venir. Une trahison qu'elle ne comprenait pas et qui remettait tant en perspective. Une loyauté qui ne périclite pas au cours d'une vie, c'était donc trop demandé... Même une seule ?

En désespoir de cause, et sachant qu'elle ne trouverait rien à démembrer dans la Fosse, Krish se dirigea vers les ateliers des artisans. Les cahutes étaient fermées, les tentes gardées, les braises dormaient dans les fourneaux sous des couvercles de terre cuite. Mais l'odeur persistait. L'odeur de bruler, de cuir, de sueur, de métal chaud, d'acide et d'huile.

D'un signe de tête, elle salua le garde de l'atelier le plus proche et en poussa la porte, lui signalant au passage qu'il pouvait continuer à garder le périmètre mais qu'elle ne voulait pas être déranger... Puis elle réfléchit un instant de plus et lui demanda d'aller plutôt à sa tente, et lui rapporter le coffret nacré sur son bureau, ainsi que l'encens qui se trouvait sur l'autel à droite. Elle poussa en suite la porte. Les larges fenêtres permettaient à la lumière de la lune et à l'air de la nuit de se mêler aux outils endormis.

Les doigts rêches de Krish courraient sur l'établit, les baquets aux couvercles fermés. Les outils. Comme sur autant de reliques sacrées. Une moue désapprobatrice se forma sur ses lèvres lorsqu'elle remarqua certaines erreurs dans l'organisation général de l'endroit. Les trois artisans qui travaillaient là auraient pu être beaucoup plus productif et moins se gêner s'il avaient inverser la position de certains étendoirs et de certains baques de trempages. Et puis symboliquement aussi leurs décisions étaient bancales. Les maîtres de la Forge de Lave en auraient fait une jaunisse.

Le soldat ne mit pas longtemps à déposer quelques objets pour lesquels il avait été missionné, précisant que les gardes d'ébènes et l'homme au masque d'argent devant sa tente avaient été mis au courant de son emplacement mais qu'il leur avait transmis le fait qu'elle ne voulait pas être dérangée. Elle ne lui accorda qu'un bref hochement de tête et referma la porte avant d'allumer l'encens et de soulever le couvercle du fourneau. Du charbon. Quelques coups de soufflet et le feu repartait. Avisant l'enclume la plus massive, installée à un peu plus d'un mètre de là, elle s'assit pour préparer et allumer sa pipe. La fumée mauve s'élevait en longs volutes pendant que ses yeux restaient perdus dans les flammes.

Combien de temps ?

Grande question à laquelle elle n'avait pas envie de donner une réponse.

Mais au bout du compte, elle se releva d'un bond, posa ses affaires sur l'établis le plus proche et jeta son peignoir par-dessus. Puis elle tressa rapidement sa longue crinière blanche, ramassant une languette de cuir servant à tenir ensemble plusieurs mines de plomb pour serrer le tout. Une barre d'acier, un mètre ruban. Quelques marquages faits sur le métal avec la nonchalance d'une vieille habitude. Et elle s'emparait de pinces pour mettre la barre au feu.

Un frisson de dégoût lui remonta le long de l'échine lorsque le contact de l'outil lui paru étranger et son maniement pénible. La dernière fois, elle n'était pas aller plus loin. Ce simple détail était trop insupportable. Il lui faisait trop mal pour qu'elle ose massacrer plus avant l'art auquel elle avait consacré sa vie durant si longtemps.

Mais ce soir, elle n'avait rien à perdre. Le Père lui avait rendu son libre arbitre. Il l'avait libérer des P'leiks... Pour ses faits passés du moins. Elle avait perdu la confiance de son plus vieil ami. Elle voyait les Prima détruire la perspective de son bonheur au côté de Myr'Hennis. Elle avait mal. Elle était fatiguée. Elle avait chassé une alliée, tolérer un traitre, combattu un frère d'arme et dominer un ami.

Elle était Reine et n'avait personne avec qui fêter ça.

Alors, quelques minutes plus tard, ce furent les coups acharnés d'un marteau sur de l'acier qui s'échappèrent de la cahute. Lorsque le soldat en faction jeta un regard par dessus son épaule, il ne vit qu'une silhouette à contre jour frapper et frapper encore avec une vigueur acharnée.

Myr’Hennis aimait tellement les entrées grandiloquentes, celles qui empêchait quiconque de l’ignorer, qu’il ne put résister à la tentation d’en faire une comme ça. Alors certes c’était pour voir sa chère et tendre et elle n’y était peut-être plus sensible, du moins bien moins que d’autres étant donné qu’elle avait eu le temps de s’y habituer, mais il ne résistait pas à la tentation. Qui plus était, la gravité de la situation s’y prêtait très bien. Alors le Grand Architecte ne fit pas attention aux repentis qui gardaient leur tente, aucun ne tenta d’ailleurs de l’arrêter et il entra justement dans la tente en lâchant à son occupante, de façon la plus dramatiquement théâtrale qui soit :

« Krish il faut qu’on parle. En privé. »

A cette phrase, ô combien lourde de sens et qui avaient poussé bien des hommes à craindre l’arrivée prochaine d’une apocalypse divine, Myr’Hennis s’était attendu à bien des réponses venant de son aimée, la nonchalance en tête de liste. Mais il ne s’était pas attendu à un manque de réponse, au silence, aussi froid et angoissant que Teiweon. Pour la défense de Krish, elle n’était probablement pas sans cœur mais voilà, lorsque l’on est pas là, force était de constater qu’il était bien plus difficile de réagir à une telle déclaration. Mais ça, l’architecte mit quelques instants à s’en rendre compte cependant une fois que ce fut fait, il sortit de la tente pour demander aux repentis de garde où se trouvaient leur maîtresse. Ne sachant pas du tout où se trouvait le quartier des artisans, car il ne s’était en rien intéressé à l’agencement du camp sud, et encore moins des autres, il demanda à ce qu’on l’y guide, quand bien même la triumvir ne voulait être dérangé. Non seulement on le lui refusa mais en plus il apprit, de façon assez sommaire, qu’elle était désormais reine.

Il lança un rapide regard désaprobateur au repentis avant de descendre la pente pour arriver dans le camp lui-même, il prit une direction au hasard et, finalement, il se décida à demander son chemin, du moins à ce qu’on l’amène, jusqu’au quartier des artisans. Il s’approcha donc au bruit des impacts et une fois proche du seul atelier gardé. Il fit signe au garde en faction de se taire alors qu’il approchait, il savait qu’elle ne voulait pas être dérangé et il ne comptait pas la déranger. Il entra simplement, sans prêter grande attention à sa discrétion, les coups de marteaux couvrant sans aucun mal le bruit de ses pas. Alors il s’adossa et il l’observa avec un sourire amusé puis, très vite, attendris. Il l’observait avec une certaine fascination mais surtout une joie qui lui avait fait oublier ce pourquoi il était revenu à la base. Lorsqu’elle eut terminé, il s’éloigna du mur en avançant lentement et, à quelques pas, les bras dans le dos, dressé de toute sa hauteur il la salua.

« Heureux de te revoir mon amour, une coupe de Serren pour fêter ça ussta Valsharess ? »

L’écho du métal contre le métal lui montait à la tête. Ce qui était bien avec l'acier c'était que même chauffé, il fallait une bonne dose de muscle et d'acharnement pour l’aplatir en un vague début de lame. Et si les coups de marteaux de l'eldéenne ne tombaient pas exactement ou elle le voulait, avec l'angle et l'intensité qu'elle voulait, et qu'ils laissaient des marques disgracieuses dans le matériaux qu'elle travaillait, elle ne manquait ni de muscle ni d'acharnement. Elle cognait plus durement qu'elle aurait frappé sur un champ de bataille. Elle cognait avec toute la rage et tout le dégoût que lui inspirait l'ultime révélation de Ssol'riss. Elle cognait avec toute la hargne que lui inspirait la proposition des Primas. Elle cognait les décisions du jour, l'indolence de Viconia qui aimait tant se positionner en victime et l'insolence de Ranaghar qui n'avait pas plus de jugeote que de couilles. Elle cognait par colère, pour tenter de fatiguer son corps et son esprit de façon à pouvoir grappiller une heure ou deux de sommeil. Elle cognait chacune des pensées qui menaçaient la paix de son esprit, l'anéantissant d'un échos retentissant.

Nue devant le fourneau, elle sentait l'aiguillon des étincelles qui s'élevaient du métal qu'elle remettait - trop - régulièrement au feu. La douleur vive mais fugace, fusait comme une vieille connaissance. Son cœur battait au rythme de ses coups. Elle y mettait tellement de rage... Elle lâchait peu à peu toute cette journée merdique sans que son visage ne soit tendu vers autre chose que la cible de ses efforts. L'impacte répété remontait dans son bras moins habitué que jadis sans qu'elle ne consente à relâcher son effort. Elle semblait perdu dans cette sorte de concentration absolue qu'elle n'avait jamais connue que les outils à la main... Et pourtant rien d'intéressant ne sortirait du métal qu'elle éventrait. Les dents serrées, la sueur commençait à empoisser son corps et sa respiration à concurrencer les soufflets.

Elle n'avait pas vu le nouvel arrivant, pas plus qu'elle ne l'avait sentit. Elle avait simplement continuer, jusqu'à ce coup plus violent que les autres. Jusqu'à ce coup ponctué d'un cri rageur et d'une flambée d'étincelle. Elle avait serrer les paupières en sentant les brûlures sur sa peau et spécifiquement son nez encore un peu gonfflé. Puis, penchée sur la barre d'acier aplati, elle était restée appuyée sur sa masse, le souffle court.

Après tant de bruit, le silence lui sifflait au oreilles.

Sans même prendre la peine d'utiliser la pince, la main de la Prime Flamme se referma sur le long corps métallique pour le jeter dans les braises d'un mouvement tout sauf professionnel. Un seul mouvement, qui la fit se redresser... Et attraper du coin de l’œil un autre mouvement près de la porte.

Sa prise se raffermit sur le marteau et son corps vrilla pour faire face à l'intrus, mu par un réflexe bien plus rapide que n'importe quelle pensée consciente.

Mais l'intrus... Sa taille... Son attitude... Son port altier... Les traits du visage dans la pénombre.

Le temps fluctua un instant. Une inspiration à plein poumons et une expiration aussi ample.

Et enfin le visage de la nouvelle Reine s'illumina.

- Myr'Hennis ! "

Posant le marteau sur l'enclume et laissant la barre de métal recuire dans son fourneau, Krish fut près de son fiancé en deux enjambée. Elle aurait du s'en faire. Il n'aurait pas du être là. Mais elle n'avait plus la force de se poser des questions ou de s'en faire. Il était là, et les dieux ne pouvaient pas lui faire plus beau présent pour le moment.

Les bras de l'eldéenne enlacèrent le haut personnage avec les réflexes qu'elle avait pris au fil des mois pour ne pas lui faire mal au dos, enfouissant le visage dans sa toge avec un abandon peu commun. Il sentait le cheval et la poussière. N'était-il pas parti en calèche ? Y avait-il eut un soucis ? Peu importait puisqu'il n'était pas blessé. Sa posture était droite et ferme, il n'y avait pas la moindre odeur de sang.

- Merci pour cette faveur. Puissiez-vous tous être glorifiés. " murmura-t-elle encore contre le tissus, le cœur plein d'une reconnaissance des plus sincères pour les dieux qui avaient bien voulu ramener les pas de son amant vers elle en cette heure particulièrement difficile. Elle irait faire un sacrifice à Uriz avant l'attaque du lendemain et donnerait une obole à chaque temple.

Un sourire plus amusé étira enfin les lèvres de la noire-elfe lorsqu'elle releva le visage vers celui du grand drow sans s'écarter de lui.

- Il doit même en rester une bouteille à peine entamée dans notre tente, ussta Valuk. "

La menace ne fit pas siller l’architecte, elles ne le faisaient jamais de toute façon, pas les menaces physiques. Après tout il était le premier à se menacer physiquement alors il fallait bien le plus tordus des adeptes de Kiel pour le faire trembler. Il resta donc imperturbable, de toute façon il était certain qu’elle n’allait pas le frapper, même s’il était revenu, contre la volonté de sa chère et tendre. Alors il resta là, attendant de voir s’il serait chassé ou non car même s’il était à peu près certain qu’elle ne le frapperait pas, il n’était pas catégorique quant à l’accueil qu’il recevrait. Il avait fini par apprendre qu’être certain de l’humeur de Krish était un pari risqué qu’il n’était pas toujours certain de vouloir prendre car la récompense n’en valait pas toujours le risque.

« A ce point ? » Demanda-t-il en l’enserrant à son tour après une seconde de surprise. Le murmure qu’il entendit ensuite répondit à sa question et il se garda de dire quoi que ce soit d’autre, profitant simplement de cette étreinte.

« Tu veux dire que tu n’as rien bu? » Demanda-t-il, l’air faussement choqué. « Je ne sais si je dois m’en indigner ou m’en réjouir. »
« Réjouit-en, on va pouvoir trinquer ensemble. » Elle ajouta après une seconde d'intenses réminiscences. « Enfin j'ai bu deux verres avant le conseil de guerre de ce soir, et j'ai finit par menacer tout l'état major de perdre un doigt. J'imagine que c'est bien mieux que je n'ai pas bu plus. »
« Tu es certaine que c’était du Serren ? Si c’était bien le cas il te fait un drôle d’effet. »
« Sûre. » Elle tordit le nez. « Tu me semblais un peu moins loin comme ça. » Elle l'observa par en-dessous et il se dégagea pour l’embrasser.
« On y va ? »

Pour toute réponse, elle s'éloigna de deux pas pour passer son peignoir tout en étouffant les flammes du fourneau d'un geste de la main. Le mouvement lui était venu, instinctif, si bien qu'elle ne s'en aperçut réellement qu'une poignée de secondes plus tard. Elle s'apprêtait à parler de nouveau à son fiancé lorsque ce fait anodin la percuta de plein fouet. Son regard criblé d'or se tourna vers le charbon qui brasillait encore une seconde plus tôt et son pouce passa sur la pulpe de ses autres doigts. Un fin sourire allégeait son expression lorsqu'elle se tourna à nouveau vers le grand drow pour rejoindre leur tente.

Au bout du chemin, Eshk'Oroth se mit au garde à vous en moins d'un battement de cil. Krish eut le déplaisir de constater qu'il tenait toujours le bâton de Ssol'riss dans la main gauche et utilisait son bras droit comme un porte manteau pour la cape et le masque du Haut Prêtre. Elle lui fit cependant signe de ne pas bouger et avança sans se formaliser du drôle de spectacle. Une fois entré sous la tente il alla chercher sa coupe favorite pour y verser ce précieux liquide qu’il aimait tant puis il tendit la première coupe qu’ils avaient partagé à la soirée suivant les purges.

« Je quitte une triumvir et je retrouve une reine. Ais-je aussi retrouvé une adepte du Serren ? »
« Même pas en rêve. » Un sourire charmeur aux lèvres il fit quelques pas pour se retrouver contre elle, il connaissait déjà la réponse mais ça ne faisait rien. Cela n'empêcha d'ailleurs pas la belle de prendre une gorgée lorsqu'il la lui proposa. « D’ailleurs racontes moi ta prise de pouvoir et, tant que j’y suis, est-ce que tu vas ressortir la couronne des anciens souverains du Vatna ou est-ce que tu vas en forger une nouvelle de tes propres mains ? »

L'alcool glissa dans la gorge de Krish de façon moins amère que prévue, mais sa mine joueuse restait la même malgré une mince fluctuation. Doucement, elle l'attira au bord du lit, pour s'y asseoir avec lui.

« Ce que tu as vu tout à l'heure c'est une femme énervée massacré un bout de métal. Pour forger, il me faudra beaucoup - BEAUCOUP - plus d'application... mais peut-être que ce n'est pas totalement impossible. »

La question de Myr'Hennis aurait pu paraitre mesquine ou miner définitivement la nouvelle reine, mais à la place, elle venait de lui remettre en tête le plus grand exploit de sa journée : elle avait perdu. Elle avançait. Elle pouvait être autre chose qu'un fantasme de guerrier ultime. Et des choses changeaient en elle, alors pourquoi pas cela ? Un sourire plus frais et timide qu'à l’accoutumé vint chatouiller ses traits si facilement goguenards. Elle vint chercher un baiser et elle en obtint deux puis elle posa la tête sur les genoux du grand drow avant de lui raconter la journée par le menu.

Comment elle avait prié pour perdre l'ordalie et comment elle avait perdue. Comment elle avait puni Valsrik'Hrae. Comment elle avait obtenu le soutien de Kerath et comment les dieux les avaient poussés bien étrangement à un lien de sang des plus... improbables. Ce passage lui fit hausser un sourcil, peut-être ferait-il quelque chose pour ce triste lien. Mais c'était peu probable, après tout il avait été fait devant les dieux sur un terrain consacré et tout mégalomane qu'il était il n'en était pas au point de revenir sur les décisions divines. Pas encore en tout cas.

Elle poursuivit en expliquant comment elle avait publiquement annoncer Kerath comme nouveau Karliik Glenn et Valsrik'Hrae comme Prime Sorcier temporaire malgré la marque de traîtrise encrée dans sa joue au fer rouge. Comment elle avait eu l'occasion de parler avec la prêtresse Na'ri et de mesurer sa dévotion et son honneur. Comment d'ailleurs la prêtresse et le Karliik Glenn semblaient plus que proche. Comment les réunions d'état majors avaient tous été des fiascos à leur façon. Comment Ranaghar l'avait poussée à bout et comment Viconia s'était ridiculisée avant de se laisser évincer. Il haussa à nouveau un sourcils mais, encore une fois, il ne fit aucun commentaire. Dire qu'il connaissait ou que Viconia était une amie était beaucoup dire mais malgré tout ça l'étonna.

Elle continua en expliquant comment Na'ri l'avait prévenue par missive que Viconia avait blasphémé et comment les autres prêtres avaient corroboré la thèse de son instabilité mentale. Ce qui répondit aux questions qui étaient apparues dans la tête de Myr'Hennis et qui disparurent progressivement alors que sa chère et tendre arrivait au terme de son récit de cette journée interminable. Ensuite vint le tour d'expliquer comment ils avaient prévus leur assaut du lendemain et qu'elle avait cru la journée terminée. Comment Ssol'riss était venu la voir - omettant pour seul détail qu'il était entièrement nu - et qu'il lui avait révélé être une vieille connaissance.

« Vaerian. Mon plus vieil ami et le père de Driz'na. Cela fait plus de trente ans que je ne l'avais pas vu et plus d'une décennie qu'il me ment et qu'il reste à graviter autour de moi en me voyant me débattre sans faire un signe. Il m'a laissé porter son deuil alors que j'aurais donné ma vie pour la sienne ! »

Myr'Hennis resta interdit, et muet, quelques secondes, ses doigts glissèrent de moins en moins rapidement dans la chevelure de son aimée jusqu'à s'arrêter complètement.

« Krish, est-ce que le bâton et la robe que tient le repenti dehors appartiennent au haut-prêtre de Tesso? » Il parlait d'une voix froide, lente et claire en baissant son regard sur sa reine qui ne trouva rien de mieux à lui offrir qu'un soupire. Inutile de nier, ce serait encore pire...

« Si. Il est venu s’agenouiller sur mon tapis en laissant tout son attirail à l’entrée. Cet abruti m’a joué sa grande scène tragique en me dévoilant son visage sans dire un mot. Il m’a serré dans ses bras comme si on s’était simplement quitté hier. Alors je lui ai foutu un coup de genoux dans les couilles, je lui ai dit de foutre le camp et je suis partie. » termina-t-elle avec un certain abattement. La voix du daedel, comme son visage, se réchauffa en apprenant la nouvelle.

« Je ne sais pas quelle relation vous avez entretenu mais elle me semble avoir été forte alors je ne vais pas te dire que je comprends, même si j'ai pu vivre une expérience similaire, il se trouve que Nahala est morte dans mes bras, ce qui facilite les choses j'imagine. Quoi qu'il en soit tu devrais peut-être lui demander pourquoi il a fait ça.. Avec un peu de chance il laissera de côté son sacerdoce le temps de te répondre, qui sait, peut-être qu'il sera sincère. »

« Lui demander ? »

Si la première réaction de l'eldéenne avait été de serrer un peu plus le bras de son amant lorsqu'il avait reparlé de Nahala, la fin du discours n'avait clairement pas été à son goût. Elle était incrédule. Pire. C'était du dégoût qui pointait le bout de son nez sur ces traits si prompts à se moquer de tout. La seule raison pour laquelle elle ne jurait pas encore ses grands dieux qu'elle ne poserait jamais plus les yeux sur le visage de ce connard de traitre se résumait facilement : comment pouvait-elle se plaindre de retrouver son plus vieil ami tandis que la condisciple de Myr'Hennis était morte dans ses bras ?

« Oui, lui demander. Même si c'est pour lui mettre un nouveau coup de genoux une fois la réponse obtenue. Tu as la chance de le revoir... » sa voix baissa alors que la main qui passait dans les cheveux de sa chère et tendre était lente. « Profites-en. J'aurais aimé pouvoir dire des choses à Nahala mais c'est trop tard. Ce n'est pas ton cas. Je ne te dit pas de te réconcilier avec lui ou de lui pardonner sa disparition. »

Après un moment d'hésitation, Krish se redressa et vint de nouveau enlacer sa moitié. Elle n'avait pas envie d'adresser la moindre phrase à ce traitre... Mais d'un autre côté...

« Est-ce qu'elle t'a trahi et manipuler ? Est-ce qu'elle a attendu le jour ou tu serais le plus vulnérable pour essayer de te mettre à sa botte ? Qu'est-ce que je pourrais bien lui dire après ça »

« Manipulé en un sens oui mais j'ai mis un moment avant de me rendre compte que ce n'était pas malveillant. Quant à me mettre à sa botte, c'était ce qui m'a toujours fasciné et que j'essaye d'émuler sans succès: Nahala avait tout le monde à sa botte. Souvent sans qu'on ne s'en rende compte. Je ne peux pas te souffler tes réponses, de toute façon je suis certain que tu ne voudrais pas, mais tu n'as même pas à lui dire quoi que ce soit. Tu peux aller le voir, rester muette et attendre d'entendre ce qu'il dit. »

« Très bien ! » gronda-t-elle après un grommellement mécontent. « J'y réfléchirai demain, quand Sol'Dorn sera notre. »

D'un mouvement ample, elle se leva pour aller se chercher un gobelet d'eau, le vida d'un trait, laissa tomber son peignoir en tapon sur le sol et se laissa tomber sur le lit sans même le défaire. Quelques secondes s'écoulèrent encore avant qu'elle se roule sur le flanc pour tendre la main vers son compagnon en un appel silencieux. Main qu'il saisit en s'approchant et une fois qu'il fut suffisamment proche il scella les lèvres de son aimée d'un baiser.

Allongé, les yeux clos, Myr'Hennis les rouvrit subitement en serrant Krish dans ses bras, se souvenant finalement de pourquoi est-ce qu'il était revenu.

« Mon amour, est-ce que les primas sont venus te voir pour le mariage? »
« ... Hmmm... » gronda l'intéressée après un bref sursaut, se cramponant autant à son amant qu'au sommeil qu'elle avait trouvé pour à peine deux ou trois heures.
« J'imagine qu'ils t'ont proposé la même chose qu'à moi... il y a un an de cela je t'ai proposé de les écraser. Il se trouve que ma proposition était littérale et que j'ai justement un plan de prévu à cet effet. »

Il continuait sans la moindre pitié pour le cerveau embrumé de sa moitiée. C'est donc après une journée de vingt heures, une heure de sommeil, une ordalie, un match de catch officieux avec un ancien du C'nros, deux verres d'alcool et de nombreuses séances de soin par les prêtres de Kiran que Krish du aligner suffisament de neuronnes pour comprendre les longues phrases qu'alignaient le Grand Architecte.

« Hmmm... Tu veux pas parler de conspiration demain ? Tout ce qui compte c'est que tu aies dit non. » Un frisson remonta soudain le long de l'échine de l'elfe noire, la sortant d'un coup de sa torpeur. Elle se redressa sur un coude. « Tu as dis oui ou non ? »

« Bien sûr que j'ai dit non! » S'exclama-t-il, indigné qu'elle pose la question et à demi étouffer par l'étreinte qui s'en suivit. « Mais soit,nous en reparlerons demain. »

« Attend attend. Cette proposition, c'est ton entrée chez les prima. Et par la grande porte. L'occasion d'effacer l'explosion de la Champinionnière. D'être lier au culte d'Isten. Tu es certain que tu ne le regretteras pas ? »

« Et alors? Je te l'ai dit: qu'il me déteste, pourvu qu'ils me craignent. S'ils ne veulent pas de moi je n'ai pas le choix: je dois éradiquer les primas. De toute façon ils ont fait leur temps. »

« Mais... Ils veulent de toi. »

« Non. C'est toi qu'ils veulent Krish, c'était une tentative pathétique d'acheter mon silence et leurs menaces n'étaient qu'à peine voilées. On ne peut pas se permettre de les garder. »

Quelques instants de réflexion, puis Krish chercha de nouveau son regard. Un sourire félin sur les lèvres.

« Et puis-je savoir ce que tu as exactement en tête ? » La question fit naître un sourire carnassier sur les lèvres de l'architecte qui jouait distraitement avec une mèche de son aimée.

« Peut-être as-tu remarqué que j'ai fait sculpter mon diminutif directement dans la roche au dessus du Prime Quartier. Il n'est pas impossible que Myr écrase les primas une bonne fois pour toute... »
« Tu es vraiment sérieux ? »
« On ne peut plus sérieux. »

L'annonce était folle. Elle aurait sans doute mériter un refus, une mise en garde. Un mot de tempérance. Mais à la place - après quelques secondes passées à le jauger le plus sérieusement du monde - Krish se glissa au-dessus de son amant. A cheval sur son torse, son sourire carnassier flamboyant jusque dans ses iris, elle se pencha pour lui donner un baiser fougueux. Ses mains le caressaient, avides, mais l'une d'elle s'encra tout de même sur sa joue, leurs regards puisant l'un dans l'autre. Le passage des secondes se suspendit de nouveau, tendre et tendu, avant de dégringoler en même temps que quelques mots puissants.

« Alors puisse ton nom embraser le ciel, mon Amour. Puissent le Père et le Vengeur te prêter attention et t'offrirent leurs faveurs lorsque tu prendras ta revanche sur ceux qui t'ont sous-estimés. » Myr'Hennis accueillit ces doux mots en reformant son sourire avant de le briser à nouveau d'un autre baiser passionné.

« S'ils t'ont adressé le même discours qu'à moi ils ont probablement vanté les mérites de leurs réseaux... nous verrons si leur fameux réseau survit à leur mort et si c'est le cas peut-être pourrons nous en prendre le contrôle. »

Un rire étouffé par un baiser fit vibrer la gorge de l'eldéenne.

« Rusé et Rancunier. Si je n'avais pas déjà un Bara, je te nommerai sans hésiter... »
« Ne me tente pas, je risquerais de former une seconde Doth'ka. » Répondit-il avec un sourire moqueur.
« Certains ont déjà essayé. Ils ont eu des problèmes. »