Joindre vos forces. [Aegden]

Bàrkios, huitième jour de la troisième ennéade
An dix-sept du onzième cycle

Tu as passé beaucoup trop de temps sur cette lettre mais tu n’es toujours pas satisfaite et tu la reprends une énième fois en étant certaine que le même résultat t’attend. Tu as besoin d’un peu plus que ce qui est demandé d’habitude car pour une fois c’est ton expédition et tu en as l’entière responsabilité. Ton entreprise te mènera loin en Anaëh à la recherche de lieux qui pouvaient être aussi inoffensifs que dangereux et comme souvent tu ne veux laisser rien au hasard. Alors le support du Protectorat d’Alëandir te semble plus important que le reste de tes préparations et tu y passes un temps déraisonné après avoir délégué tout ce qui touche à l’Académie à aussi compétent que tu ne l’es. Tu as peur de prendre à la légère les dangers de l’Anaëh, tu as peur de demander trop pour les tenir à distance, tu ne sais pas trop où en sont les relations entre ceux au dessus de toi et les militaires dont tu as besoin, tu hésites beaucoup trop.

Puis tu décides que tes doutes sont idiots et pars rencontrer le commandant local pour présenter ton besoin.

***

On t’a redirigée vers son bureau, non sans penser un instant à t’envoyer sur le terrain d’entraînement à la place, mais quelqu’un confirme à ton interlocuteur hésitant qu’Aegden est bel et bien à l’intérieur à cet instant. Tu t’y rends le plus vivement possible pour être certaine de ne pas te résigner au détour d’une réflexion à revenir à ta lettre, ce serait juste perdre le temps de tout le monde et à terme retarder ton projet. Après une courte marche tu frappes à la porte du bureau en question et attends, drapée dans ton éternelle immobilité. Tu ne sais pas trop ce qui t’inquiète tant dans cette entrevue, prendre des responsabilités ne te dérange habituellement pas parmi les tiens et tu ne peux pas dire que tu n’as jamais apprécié personne parmi les plus militaire. Tu reprends vie quand tu entends une réponse et tu pousses la porte pour entrer. Aegden est là, concentré sur ton apparition, et tu n’imagines pas avoir interrompu quoique ce soit de très important. Ce doit être la politique qui te met mal à l’aise en fait.

« Bonjour commandant. »

Tes yeux se plissent légèrement, comme s’ils accompagnaient un sourire poli mais invisible.

« Je suis Uru Naravryn, de l’Académie, responsable d’une expédition de recherche magique dans le nord du Protectorat, j’aimerais discuter avec vous de la possibilité de la joindre à une de vos patrouilles pour la sécurité des mages que je guiderais l'ennéade prochaine. »

Lorsqu’on frappa à la porte, le commandant releva la tête, quittant des yeux le document sur lequel il annotait des informations depuis un bon moment maintenant. Un instant il ne réagit pas d’avantage car il n’attendait personne et puis il finit par ranger  avec précaution l’encre et la plume avec laquelle il écrivait avant d’autoriser l’inconnue à entrer.

Il ne connaissait pas la grande elfe qui apparue alors. Sans doute ne l’avait-il jamais vu et si d’apparence il ne montra rien, mentalement il était curieux de savoir ce qu’elle voulait. Il n’émit d’ailleurs pas un mot, se contentant d’un signe de tête répondant à ses salutations et d’un geste de la main lui proposant de s’asseoir en face de lui.

Un haussement de sourcil suivit ensuite la déclaration de celle qui se trouvait être une académicienne. Voilà qui expliquait pourquoi il ne l’avait jamais vue…

Ils se trouvait donc que les mages avaient une fois de plus besoin d’aide…Un instant le soldat se dit que les mages étaient bien ingrats d’encore demander l’aide de la milice alors que nombre d’entre eux perdus dans leurs recherches insensées ne tenaient pas le travail cette même milice en très haute estime, considérant par la même occasion que leur magie valait « mieux que cela »…

Cependant cette pensée agacée, Aegden la garda dans un coin de son esprit et se contenta d’un simple soupir. Cette Uru n’y était pour rien et il ne pouvait balayer sa demande du simple fait de sa position, c’était mesquin et ça n’en valait pas la peine.

-Il va me falloir plus de détail. Finit-il par répondre, prêtant toute son attention à son interlocutrice. Si vous pouvez le résumer simplement, en quoi consistent vos recherches ?  Et où exactement au nord ?

Cette dernière information l’intéressait particulièrement. Il y avait quelques temps maintenant, des événements peu joyeux l’avaient mené dans cette même direction. Y avait-il un lien ?

Ton regarde semble toujours souriant mais intérieurement tu te demandes si c’est une bonne idée d’avoir pris la charge de cette expédition. Il y a bien de la politique dans ce bureau, et tu ne peux faire autre chose qu’arriver à cette conclusion avec le haussement de sourcil, le soupir et l’emphase sur le mot simplement. Seulement la politique tu n’en as que faire alors la réponse d’Aegden te soulage, car il te semble qu’il est prêt, lui aussi, à la dépasser. Sans trop d’hésitation tu lui réponds et tentes de le rassurer. « Je vais faire de mon mieux, si quoi que ce soit va trop loin n’hésitez pas à me le dire. » Sa dernière réponse tu peux y répondre simplement alors tu tires un morceau de papier plié en quatre d’une poche extérieure de ton vêtement avant de le lui tendre. « C’est pour votre deuxième question. J’espère que ça suffira. » C’est une carte peu précise pointant vers l’endroit en question qu’il a dans les mains, c’est au pied du mont Telion, directement au nord d’Alëandir.

« Nous avons d’autres informations pour nous repérer une fois sur place. »

Tu choisis ce moment pour t’asseoir, alors que l’on n’attendait plus que ton explication.

Tu cherches pendant quelques temps tes mots et ton regard se perd vers le haut et vers la gauche, mais quand tu es satisfaite tu le reportes dans celui d’Aegden. « De ce que nous savons cet endroit n’a jamais été directement influencé par un quelconque Anedhel. C’est presque certain pour les Taledhels mais un peu moins pour les Ornedhels – et j’espère vraiment que nous ne trouverons aucunes de leurs traces une fois sur place… » Tu n’as rien contre eux, mais ils sont un paramètre qui ruinerait à coup sûr ton expédition. « Un lieu comme celui-ci n’est pas unique en Anaëh, vous vous en doutez peut-être, mais ce qui nous intéresse surtout c’est qu’autour de lui la Trame est supposément particulièrement active, c’est ceci qui lui donne toute sa valeur à nos yeux et pour une recherche à laquelle je suis associée menée à l’Académie. Elle est à propos de l’influence naturelle de la Trame sur la Symphonie ainsi que celle de la Symphonie sur la Trame. »

« C’est difficile de prédire à quoi s’attendre… »

Tu espères que ces zones d’ombres qui parfois t’immobilisent ne l’immobiliseront pas lui.

« Mais en chemin la poignée de mages que je mènerais ne sera pas en sécurité sans votre soutien. »

L’elfe passa un moment à observer la carte qu’on lui avait tendue, notant qu’elle n’était pas aussi précise qu’il l’aurait souhaité. Tant pis il devait faire avec. Il releva ensuit les yeux vers son interlocutrice enfin assise.

Il retint un rictus amer lorsqu’elle évoqua souhaiter ne trouver trace d’ornedhels là où ils iraient. A qui le disait-elle…  Aegden s’efforçait de les éviter autant qu’il pouvait lors des rondes en dehors de la cité. Il doutait fortement arriver à quoi que ce soit de positif si une énième fois des citadins devaient être confronté à eux au cours d’une expédition.

-Vous pensez qu’il y un lien entre la symphonie et ce que vous appelez trame ?

Il eut l’air perplexe. Ses sourcil se froncèrent. Cela l’intriguait particulièrement. Il se demandait même si les mages ne pourraient pas répondre à nombre de questions qu’il pouvait se poser personnellement, cependant il n’ajouta rien à cela changeant presque de sujet.

-Combien d’elfes est-ce qu’il vous faudrait et pour combien de temps ?

S’il ne finissait pas envoyer quelques hommes, il ne pouvait pas non plus se permettre d’en dépêcher beaucoup. Il avait besoin de savoir dans quoi la mage voulait les lancer exactement.

Tu ne t’es pas attendue à ce qu’il montre la moindre curiosité à l’égard de la recherche mais il te prouve que peut-être l’espoir existe, finalement. « Oui, au moins par un lien indirect. La Symphonie seule n’est qu’un vecteur à travers lequel au moins l’Anaëh et ses habitants communiquent. » Et les Ëalas ? Et les dieux ? « La Trame et l’utilisation que l’on en fait à travers l’Art l’impactera au minimum quand elle est significative auprès d’une de ses voix. Grossièrement, et c’est le cas le moins intéressant, si un arbre br… si un arbre malade est guéri par l’Art d’un des nôtres, l’influence se ressentira d’une façon ou d’une autre partout dans la Symphonie au moment où la souffrance sera remplacée par le bien être. » Tu ne sais s’il reste elfe à ne pas être conscient de ceci, mais dans le doute tu l’exprimes, avant de proposer plus intéressant. « Le lien pourrait être plus direct et ne nécessiter l’action d’aucun des nôtres, mais je ne m’avancerais pas à dire que la Symphonie est uniquement expression de la Trame. Il nous en faudra d’autres des expéditions pour arriver à ce genre de conclusion. »

Tu ne sais si tu as servi, tu es plus faite pour discuter avec ceux qui savent autant que toi, alors tu continues.

« Nous ne seront que quatre, mais personne n’est vraiment habitué à évoluer en terrain forestier. »

Tu penses surtout à toi avec ces mots.

« J’aimerais aussi avoir entre la demi-ennéade et l’ennéade complète pour étudier le lieu. »

Ça plus le temps de voyage, tu penses que si blocage il doit y avoir c’est ici.

Les doigts entremêlés du soldat vinrent soutenir son menton tandis qu’Uru expliquait ce qu’elle entendait précédemment. Au moins était-il soulagé de constater que son interlocutrice tentait bel et bien de vulgariser son sujet afin de le rendre un minimum compréhensible…Il y eut un moment de silence lorsqu’elle termina. L’elfe sembla réfléchir et puis ses mains se décroisèrent.

-Une ennéade entière c’est long. Si on compte le temps de trajet, Répondit-il en traçant d’un doigt ledit trajet potentiel sur la carte d’Uru, on en a facilement pour six jours de plus, aller-retours. Donc presque deux ennéades.

Dans l’état actuel des choses, il craignait ne pouvoir se permettre de lancer un certain nombre de soldats aussi longtemps. D’un autre côté, la mage comptait sur lui et c’était son travail de trouver un compromis qui ne soit pas simplement un refus.

-Tout le temps que dure votre expédition, c’est un temps perdu pour mes soldats. Fit-il d’un ton neutre. Point d'animosité, une simple exposition de fait. Je comprends le besoin d’avoir des hommes d’arme bien sûr et ça je ne vous le refuserais pas mais je ne pourrais pas vous donner plus qu’une moitié d’ennéade là-bas. Son regard passa de la mage à la carte, puis de la carte à la mage. Cependant si on pouvait  passer ici. Continua-t-il en indiquant de quoi il parlait sur la carte peux précise, et là...On créerait un détour, de quelques heures à peine, dont J’ai besoin de vérifier quelque chose dans cette zone. Pendant ce temps peux être que vos mages pourraient commencer à étudier vos…recherches  même si votre objectif n'est pas atteint ?

« Nous pouvons peut-être profiter d’une… pause… pour évaluer la situation dans les alentours avant de la comparer à celle de la zone magique, oui. »

Tu réfléchis à voix haute. Tu as déjà prévu une étude des environs les moins affectés par la magie et un de plus encore plus éloigné ne pourra faire de mal à personne. Tu es un peu curieuse aussi, curieuse de ce que l’elfe qui te fait face pourrait vouloir trouver à cet endroit. C’est assez personnel pour qu’il utilise le mot je mais pas assez pressant pour y avoir envoyé une patrouille de lui-même. Ton regard se plisse alors que tu sembles avoir une idée et il redevient neutre, comme tes gestes qui ne semblent pas exister, alors que depuis que tu t’es assise tu restes immobile, un bras posé de manière rigide sur ton genou et l’autre main t’enserrant ce premier juste au dessus du coude. Ce que tu veux essayer tu ne le maîtrises pas et c’est ta logique qui veut l’essayer, alors qu’en dévoilant son intérêt qu’il vient de dire ne pas exister il semble avoir ouvert une porte pour que la semi-ennéade qu’il t’accorde s’allonge. Ta voix maîtrisée l’y confronte.

« Mais nous n’avons pas vraiment besoin de cette pause, et si cette expédition a un intérêt pour vous consentirez vous à nous laisser deux ou trois jours supplémentaires sur place ? »

Ton regard s’abaisse avant de remonter plus rieur après un clignement d’yeux contrôlé. Tu as eu l’impression de vouloir lui jouer un tour et quelque part ça te dérange. Alors au lieu de continuer sur cette voie tu lui montres plus précisément pourquoi tu verrais ces quelques jours d’un bon œil. Si un jour tu as voulu vivre dans ces bois avec ceux qui savent le faire, tu sais que tous ne sont pas partants pour ces expéditions, tu sais que ceux qui le sont le font parfois avec cette impression de se sacrifier, tu sais que les faire revenir n’est pas une évidence. Tu pourrais collecter ce qu’il te faut en une seule semi-ennéade mais s’il vous fallait revenir ce serait trop de complications et il vous faudrait réapprendre l’endroit. Deux jours dans un environnement maîtrisé pendant les cinq précédents avait presque la valeur d’une de ces expéditions dans le futur, et tout le monde y gagnerait, Académie comme Milice d’Alëandir.

« Voyez ça comme un investissement de votre temps, nous pouvons trouver ce qui nous intéresse en une semi-ennéade mais un peu plus et l’Académie aura besoin d’autre sortie de ce type en moins. »

Et puis, si trouvaille exceptionnelle tu faisais, tu ne viendrais plus demander une patrouille à Aegden.

Aegden retint un claquement de langue agacé. Il n’aimait pas ce genre de marchandage, surtout de la part d’une civile qui ne connaissait sans doute rien au fonctionnement de la milice et qui la considérait par la même occasion comme d’une denrée disposable à volonté. Il se força à rester professionnel et garder un visage et un ton neutre.

Il donnait déjà beaucoup à la mage mais celle-ci voulait plus…

-Je trouve effectivement mon intérêt dans une expédition au nord du protectorat, oui. Confirma-t-il.Mais l’intérêt y est quand même limité. Un coin de ses lèvres se plissa. Il eut l’air de peser un pour et un contre avant de continuer. J’ai besoin de vérifier l’état de la zone par laquelle nous ferons un détour, rien de plus.

Il ne précisa rien de plus, considérant qu’il en avait déjà assez dit. Si la mage avait raison sur certains point, il s’agissait toujours de réquisitionner des elfes pour sans doute bien peu de choses.

-Pourquoi est-ce que vous pensez que ça prendra autant de temps ? Et, si vos recherches prennent effectivement plus, en quoi ces quelques jours changeraient suffisamment la donne pour ne pas réitérer votre expédition?

Y avait-il quelque chose dont l'académicienne ne parlait pas ? La milice serait-elle là pour autre chose qu'intimider bêtes et noss et aider les civils dans leur déplacement forestier ? Peux être était-ce là questions infondées mais Aegden préférait savoir parfaitement dans quoi il impliquait sa milice, quitte à vexer la mage par un exès de prudence.

« Je ne sais pas combien de temps cela va durer, je ne peux prédire le résultat de nos recherches. Tout dépend des théories vers lesquelles les résultats de nos expériences nous mèneront. »

Au moins il ne pourra te reprocher d’être malhonnête, même si tu n’arranges pas tes affaires avec ces mots.

« Ce qui va être long, en fait, c’est de prendre la mesure de l’environnement en question, un jour ou deux à ne pas pouvoir lancer la moindre expérience. Pour l’instant c’est raisonnable, mais les éventuelles prochaines fois ce temps d’adaptation sera aussi nécessaire, avec au minimum une journée de plus pour confirmer que l’environnement n’a pas été altéré entre temps. Au final, deux ou trois jours de plus maintenant équivaudrait à lancer une nouvelle expédition en ne mobilisant qu’une fraction des ressources d’une véritable seconde expédition, pour l’Académie mais aussi pour vous. »

Et c’est le cœur de ta demande, tu veux l’effort de plus pour faire gagner du temps et de l’énergie à tout le monde, plus tard. Ta voix est assez posée pour ne pas être perçue comme une plainte lancinante à laquelle personne ne souhaiterait être confronté. Tu ne t’arrêtes cependant pas à cette explication, car déjà tu cherches un compromis à lui proposer, quelque chose qui ne le force pas à te faire confiance tout de suite, qui lui laisserait le temps de voir comment les choses avancent avant de se décider et de trop dédicacer des ressources des armées du protectorat. Tu cèdes à moitié, donc, mais tu ne perds pas espoir qu’il trouve ta demande raisonnable et y accède. C’est une dernière chance, tu le sais bien, et tu reprends en pensant ouvrir les possibilités plutôt que de les refermer, laissant ton regard revenir dans celui d’Aegden.

« J’aimerais simplement que ma demande soit considérée et que vous vous laissiez une chance de changer votre décision même si ce doit être après une nouvelle discussion sur place. Bien évidemment, si ces jours supplémentaires ne sont pas nécessaires, je m’engage à vous le communiquer aussitôt. »

-Je préfère que les choses soient décidées en amont à vrai dire. Moins nous aurons de questions à nous poser sur place mieux ça sera, surtout si vous ne connaissez pas vraiment l'endroit.

Aegden préférait largement avoir tout prévu à l’avance que se retrouver devant la désagréable réalisation de devoir improviser face à l’imprévu. De plus il trouvait qu’il y avait déjà beaucoup d’incertitudes et de flou dans le discours de l’académicienne. Les plans de cette dernière lui semblaient encore trop vague pour qu’il puisse prendre une telle liberté.

-Je peux vous donner une journée de plus, pour vous habituer au terrain...ou peu importe comment vous appelez ça. Avec le détour dont je vous ai parlé, ça fait une demie journée au maximum. Donc un jour et demis de plus que ce qui était proposé au départ. Je ne peux pas faire plus.

Quand le climat se serait calmé, si cela ne suffisait vraiment pas à l’académicienne, elle pourrait réitérer son expédition si elle y tenait tant, mais en ce moment les troupes avaient trop de chance d’être sollicitées pour qu’il laisse partir des elfes dans une expédition qui ne faisait pour lui toujours pas grand sens.

Les militaires, tu penses, rompant cette promesse que tu t’es faite en venant ici de ne pas arriver à ce genre de conclusion à la moindre incompréhension. Tu soupires un peu plus profondément que tu ne le fais à chaque respiration mais c’est assez discret pour que personne ne s’en rende compte, puis tu te dis que tu n’en sais pas assez de son fonctionnement pour pouvoir obtenir des concessions. Peut-être qu’il a ses raisons de ne vouloir laisser le moindre point d’interrogation en place quand il y en a déjà beaucoup trop, et si tu penses avoir présenté ce point d’interrogation sous sa forme la moins contraignante tu n’as pas assez d’information pour savoir s’il peut le percevoir de cette façon. C’est plus facile de s’écarter de cette pensée parasite pour toi une fois que tu as accepté ne pas connaître assez pour juger, et heureusement tu as la capacité parfois de le reconnaître sans problème. S’il avait été un de tes collègues, par contre…

Tu as obtenu une petite concession d’ailleurs, tout n’est peut-être pas perdu pour lui.

« C’est déjà bien assez. »

Ton ton est trop neutre pour qu’il puisse savoir si tu le penses vraiment, même si c’est le cas. Ça te joue des tours parfois d’ailleurs, et tu espères qu’il ne le prendra pas mal même si avec ta façon de marchander il peut avoir l’impression que les deux jours te tenaient très à cœur. En réalité tu te devais de le faire mais tu n’en as pas tiré réelle satisfaction. Tu te rends alors compte d’être encore en train de trop réfléchir et au lieu de rester là à laisser les pensées tourner en boucle tu essaies de conclure et d’agir sur ces pensées. Tu ne te lèves pas encore, tu ne sais pas à quel point il a besoin de toi encore, même si tu sais ne pas pouvoir le guider sur son propre travail. Alors tu cherches un moyen de ne pas trop le frustrer et de réparer cette impression d’avoir trop insisté. La neutralité dans ta voix n’aidera peut-être pas.

« J’ai une confiance entière en les décisions que vous allez prendre concernant l’escorte, Aegden, et je suis à votre disposition si vous avez besoin de plus. »

Un sourire satisfait s’afficha sur le visage du soldat. Ils arrivaient finalement à quelque chose à force de discussion… La mage avait pris un ton neutre un peu étrange mais c’était le cadet des soucis d’Aegden alors il ne le releva pas, préférant s'attarder sur les derniers préparatif qu'il pouvait obtenir d'elle.

-J’ai une dernière chose à vous demander et je pense que nous serons bon. Fit-il toujours aussi calmement. J’aimerais savoir, si votre équipe est déjà constituée, si certains d’entre eux ont déjà aidé la milice par le passé ou non.

Cela l’aiderait à savoir de son côté quels elfes étaient les mieux à même de participer à cette expédition et ce qu’ils auraient tous à faire pour pouvoir collaborer. Quelque part il espérait tout de même que les mages dépêchés par Uru n’étaient pas non plus complètement dépaysés dans une mission de ce type ou ils partiraient de vraiment loin…

« Le groupe que je mènerais est déjà établi, oui, mais je ne sais pas si quelqu’un a travaillé avec votre milice. Autre que moi, je veux dire, c’est la première fois que je mène une telle expédition mais vous en avez déjà supporté certaines auxquelles j’ai participé. »

Cette dernière réponse donnée tu tombes d’accord avec le commandant que tout a été clarifié et en lui promettant de rester en contact tu lui assures que tu feras ton possible pour éclaircir tout questionnement ultérieur.  Tu t’attends à ce qu’il te retourne la pareille et alors vous vous séparez enfin. Tu avais des doutes avant de le rencontrer, mais s’il ne t’a pas tout donné tu ne peux dire qu’il n’est pas parfaitement raisonnable. En ignorant tout de la politique présente entre les deux partis tu as réussi à passer outre et tu en es satisfaite autant que tu ne comprends pas pourquoi ça ne se passe pas toujours ainsi. D’autant plus que tu as l’impression de l’avoir poussé plus que tu ne l’aurais dû. Tu portes un léger sourire sur le retour vers l’Académie, tu as l’impression d’enfin pouvoir voir cette entrevue comme un acquis et d’enfin te focaliser sur ton travail. Tu devrais être capable à ton âge et avec ton expérience de gérer plusieurs chantiers en parallèle, mais tu es toujours plus confortable quand tu fermes chaque tâche les unes après les autres.

***

Bàrkios, sixième jour de la quatrième ennéade
An dix-sept du onzième cycle

C’est avec ta fine équipe que tu rejoins le commandant au lieu de rendez vous décidé au courant de l’ennéade. Il y a avec toi Irewe, mage élémentaliste, comme toi, un elfe à la chevelure d’or qui te surplombe légèrement. Puis vient Elneris, dont l’héritage Noss n’est pas gardé secret, une petite vitaliste particulièrement sensible à la Symphonie qui semble garder son entrain et son sourire en toute occasion. La dernière c’est Haertys, votre mage de papier, sur qui vous pouvez compter pour tout consigner dans ses écrits quand vous vous perdez dans l’euphorie de vos expériences. La jeune elfe blonde semble aussi avenante que tu ne l’es au premier abord mais elle a moins de mal que toi à s’ouvrir. Tu as pu travailler avec chacun d’entre eux et tu leur voues une confiance très importante. Tes liens avec Elneris sont plus informels puisqu’elle ne t’a qu’aidée lors de la conception de ce liquide te permettant de plonger plus rapidement dans tes transes, mais tu t’attends à ce que l’existence de ce secret entre vous deux renforce vos liens et facilite cette mission.

« Commandant Aegden, j’espère que vous vous portez bien depuis notre dernière entrevue. Je vous présente Irewe, Elneris et Haertys, les trois mages de l’Académie qui nous accompagneront lors de cette expédition. »

Un hochement de tête, un sourire et un signe de la main, c’est comme ça que tes collègues se signalent.

Il s’était posé la question à plusieurs reprises. L’expédition de la mage valait-elle le coup qu’ils s’implique personnellement dedans ? La situation actuelle lui aurait probablement faire dire que non. Avec la décision de mobiliser des volontaires pour répondre à un potentielle menace drow aux portes de Naëlis, il aurait probablement été plus sage qu’il reste en Alëandir.

D’un autre côté il n’allait pas rester planté dans son bureau dans l’attente d’un événement qui n’était même pas certain d’arriver. En plus de cela, il avait déjà établi un chemin avec la chercheuse qui passait proche d’un lieu qu’il voulait surveiller depuis un moment. C’était l’occasion de le faire. Il avait d'ailleurs réussis à recruter un des soldats avec qui il avait combattu les mages de Leetha la dernière fois.

Ainsi donc il se retrouvait le jour décidé à attendre les expéditionnaires. Ils étaient cinq miliciens au total. Deux étaient des archers et éclaireurs, l'un était un porteur de bouclier. Les archers discutaient placidement ensemble lorsque la mage apparu enfin.

C’est avec un bref hochement de tête qu’ Aegden salua Uru et ses camarades. Il n’avait jamais vu les elfes qui l’accompagnait d'ailleurs. Ils étaient très certainement tous de ''simples'' chercheurs.

-Bien, si votre groupe est au complet Heri, je pense qu’il est temps d’y aller. 

Son ton était tout à fait neutre. Aegden n’avait juste vraiment pas envie de perdre de temps. Ils auraient le temps de faire les présentations en chemin de toute façon.

Tu ne sais à quoi tu t’es attendue, mais tu le trouves particulièrement direct, et tu ne sais pas vraiment comment répondre autrement qu’avec un hochement de tête. Tes pas suivent les siens quand il se lance sur un sentier qui te mènera sûrement dans bien longtemps exactement où tu veux déjà être. Ce n’est pas très amusant, de voyager, et tu sais que toutes tes forces tu devras les garder à cet effet, mais peut-être qu’Aegden ou un autre des siens se réchauffera à ta présence ou à celle des tiens. Les tiens, tu y es tellement confrontée tous les jours que pour l’instant tu les laisses s’organiser, avec comme seule contrainte qu’Elneris reste à tout instant devant Haertys pour que cette dernière puisse la remettre en route si elle en vient à s’égarer, ou plutôt, si elle en vient à s’arrêter au bord du sentier pour observer la moindre plante qu’elle ne connait pas. Enfin, qu’elle en connaisse l’espèce ou pas n’a aucune importance, elle est si douée pour entendre la Symphonie que ce qui lui importe est si elle les connait personnellement ou non.

C’est ce qu’elle semble répondre quand on le lui demande, en tout cas.

Tu t’intéresses alors plus amplement à ton voisin de marche et tu lances un regard dans sa direction. Il est l’expérimenté qui dirigera le voyage, tu es l’inexpérimentée qui dirigera les recherches, et tu te dis que si tu fais attention tu peux apprendre, même si tu ne te fais pas d’idée et que cette mission ne doit pas être la plus difficile ou la plus technique qu’il ait eu à mener. Mais il est là, il t’accompagne, et il aurait pu faire beaucoup d’autres choses de son temps, surtout avec cette réticence à se trouver trop loin, trop longtemps, de votre cité. Au lieu d’espérer que lui et ses miliciens servent pendant le voyage tu te prends à espérer que tes recherches vaillent le coup de l’investissement qu’il fait. Quelques secondes de distraction et tu es déjà là, souriante, à t’imaginer quelques ennéades plus tard porter à Aegden des nouvelles de résultats particulièrement probants dont il n’aurait particulièrement rien à faire. Ton ton calme ne montre pas assez de ta curiosité mais si ta prochaine question a pour but de mieux le comprendre lui, en les posant tu t’ouvres forcément un peu plus que tu n’en as l’habitude.

« Ais-je le droit de vous demander ce qu’il s’est passé, là où vous voulez faire un détour ? »

Aegden s’était montré silencieux dans ce début de voyage. Pas qu’il se trouvais particulièrement de mauvaise humeur pour le moment, le mainyth était juste ainsi. Il y avait des moments où si rien ne venait à le perturber, il ne soufflerait mot. Il ne se rendait pas toujours compte que certain de ces interlocuteurs pouvaient mal interpréter ces silences. D’ailleurs les quelques soldats qui, eux, discutaient paisiblement à mis voix semblaient ne pas en prendre ombrage et pour cause ils en avaient l’habitude.

C’est donc sans animosité aucune que le soldat aux cheveux flamboyants détourna son attention d’un Raspattë fuyant quelques mètres sur leurs droite pour fixer son interlocutrice.

-Des sombres. Des adeptes d’une de leurs idoles ignobles. Ils ont tenté de répandre leur souillure sur Anaëh.

Et par-dessus tout, ils s’en étaient pris à un enfant. Un innocent qui n’avait jamais demandé qu’a vivre. Ils avaient arraché une vie pour tenter d’en faire une de leur ignominie.  Rien ne qu’a y penser, Aegden en avait encore le cœur serré.

Se forçant à ne pas faire resurgir les mauvais sentiments, il mit un temps avant de continuer, soufflant discrètement.

-La zone à été purifiée bien entendu, mais j’aimerais en être certain pour de bon.

Tu as froid dans le dos en l’entendant te répondre. Tu t’attendais à tout sauf ça et tu n’as pas besoin de savoir quelle idole, tu n’as pas besoin de savoir comment il s’y sont pris. Tu connais assez ton monde pour être surprise que des sombres se soient trouvés si près de chez toi, tu connais assez ton monde pour comprendre ce que cela signifie, tu connais assez ton monde pour comprendre pourquoi Aegden veut être certain qu’il n’y ait plus rien en cet endroit. Et en plus de toutes ces considérations, une autre vient. C’est si proche de là où tu veux aller, c’est si proche de cette endroit que tu veux inhabité, si en lieu et place d’une influence elfique c’est une influence daedhelle que tu y trouves, c’est une toute autre recherche à laquelle tu seras mêlée, une à laquelle tu n’es pas préparée, une à laquelle aucun de vous quatre n’est préparé. Malgré ceci tu souris d’un sourire compréhensif, première émotion que le commandant doit apercevoir sur ton visage depuis votre rencontre. Si seulement il est attentif.

« Je suis désolée, trouver des sombres en Anaëh doit être une expérience affreuse. Si proche d’ici. »

Il y a en toi un conflit entre la curiosité et l’envie de le laisser tranquille, l’eau gagne.

« Je ne pousserais pas ma curiosité plus loin, je n’imagine pas ce que ça peut être. Si vous souhaitez en parler, maintenant ou plus tard, je peux vous prêter une oreille. »

Tu aurais peut-être dû le pousser un peu plus, ses réponses pourraient changer beaucoup de choses et plus tu les aurais tôt plus tu aurais la chance de te préparer. Tu envisages même de t’arrêter quelques instants jusqu’à ce qu’Irewe soit à ton niveau pour lui demander ce qu’il en pense, mais tu es poussée vers le respect de son manque de détails. S’il est convaincu que tu ne dois pas en savoir plus et que ça n’aura aucune incidence sur ton travail tu es tentée de lui faire confiance, même si dans le même temps tu sais qu’il n’a pas une compréhension très poussée de tes problématiques. Au-delà de tes questionnements il y a une réalité qui te tracasse. Si tu n’oses pas lui poser de question maintenant, si tu les retiens, le voyage ne va-t-il pas être particulièrement long ? Tu ne penses pas à ton impatience, ni à celle d’Irewe, ni à celle d’Haertys, tu penses surtout à celle d’Elneris et à toute l’énergie qu’elle aura à dépenser à chaque fois que vous ferez des pauses.

-C’est comme vous voulez. Il secoua la tête. Ça ne me dérange pas d’en parler. Un rictus mi-figue mi raisin plissa un coin de ses lèvres. Pas que je raffole du sujet mais en parler ou pas ne changera pas ce qui s’est passé. C’était des prêtres de Leetha. Leur…dieu, déesse…idole, je ne sais quoi de la maladie entre autres. Ils ont créé un poison, une corruption atroce et je pense que leur but était de le répandre sur Anaëh. 

-Mais ont les as arrêtés avant ! Fit l’un des archers qui avait laissé ses oreilles traîner.

-Mais on les a arrêtés avant, oui. Acquiesça son supérieur. Malgré tout, entre leurs expériences ignobles, la nécromancie et le poison, Aegden fronça les sourcils, la forêt en aura gardé une trace pendant quelques temps. Même si nous avons fait brûler leurs toxines, enterré les cadavres, rétablis ce qu’on pouvait rétablir…

Il détourna vaguement le regard, comme se concentrant à nouveau principalement sur son chemin. Si quelqu’un fixait le soldat, on pouvait facilement deviner qu’il réfléchissait. Cela dura un temps. Temps durant lequel seul le bruit de leur pas et celui de la faune se faisait entendre.

-Vous pensez que...qu’Anaëh peut encore en être marqué ? Demanda-t-il finalement. Est-ce que si quelqu’un qui entend passait par là-bas, il ressentirait la souffrance, la colère et tout ce qui à put être vécu dans ses lieux ?

Comme cela avait été le cas ailleurs. Les drows avaient-ils par leur perversion, même si elle était moindre que la destruction du Linoïn, manquée de créer un second Aduram miniature?

Il t’aide bien en t’expliquant tout de même, et tu comprends l’ampleur de la menace sur laquelle ils sont tombés. Tu es rassurée par ses mots, tu es rassurée par les mots de l’autre militaire, mais tu savais de toute façon déjà qu’il n’aurait pas attendu ton expédition pour y retourner si la menace était toujours entière. Tu sais qui est Leetha, tu connais un peu de son pouvoir supposé, tu sais que la corruption dont elle est capable est ravageuse, tu sais qu’il n’y a pas une seule des mesures dont il te parle qui est inutile ou une surréaction. S’il t’a ouvert la voie en te parlant aussi facilement de quelque chose d’aussi grave, par contre, tu n’es pas prête à poser d’autres questions. Les plus importantes de toute façon il n’en aura pas les réponses, et peut-être qu’Elneris pourra t’aider avant que vous ne vous retrouviez confrontés à la réalité. Surtout tu ne veux pas l’inquiéter en lui dévoilant que c’est possible que votre expédition se dirige vers un objectif qui n’existe plus. Tu ne veux pas l’inquiéter, ou tu ne veux pas t’inquiéter en prononçant ces mots, ce n’est pas évident.

Toi aussi tu te concentres, sa question est aussi simple que la réponse mais tu veux en dire légèrement plus.

« Oui, l’Anaëh peut se souvenir. Mais je ne l’espère pas, j’espère que l’Anaëh a été assez forte pour que tout ce qui n’a pas été confronté à ces horreurs rassure – si je peux utiliser ce mot – ce qui l’a été. »

Tu tournes la tête dans sa direction, une nouvelle fois, ayant retrouvé cette fois ta neutralité usuelle.

« Si vous voulez, Elneris et moi-même pourrons vous guider dans la Symphonie une fois que nous seront arrivés en ce lieu. Je ne sais ce qu’on trouvera, mais les deux issues les plus probables ne pourront être ignorées. »

Aegden grimaça légèrement. Ses sourcils se haussèrent en un air emplis d’une tristesse teintée d’amertume. Il ne pouvait en vouloir a la mage, il avait amené lui-même le sujet sur le tapis après tout…

-A moins que Kÿria ne vous ait transmis un don exceptionnel, vous risquez d’avoir beaucoup de mal. Soupira-t-il. La voix des arbres m’est inaccessible. Un sourire tout aussi triste étira ses lèvres.

Il faisait partie de ces elfes qui horrifiaient tant les si sages ornedhels. Ces sourds si éloignés de la Mère et ses préceptes selon certains, qu’ils ne percevaient plus les chants de la forêt. Le Voile n’y avait rien fait, l’éloignement n’y avait rien fait. Les prières n’avaient rien fait.

Pire encore, il n’était pas de ces sourds qui n’entendaient pas et qui n’entendraient jamais. Non. Il était un qui avait entendu. D’abord la dissonance et puis la symphonie tels que les légendes la décrivait, lorsqu’il avait été un dragon. Elle avait bercé son souffle pendant quelques instants et ces quelques instants resteraient à jamais gravés dans sa mémoire, pour le meilleur comme pour le pire. 

Il savait parfaitement à quoi elle ressemblait cette symphonie, et ça faisait d’autant plus mal de ne plus jamais la percevoir.

Elle est bien utile ta neutralité usuelle, mais quand tu es sincèrement désolée d’avoir fait une telle proposition, même si tu ne pouvais savoir, elle doit te faire paraître bien distante, bien inconsidérée. Inaccessible. Tu dois être la personne la plus à même de comprendre Aegden, en réalité. Quand il t’a fallu désapprendre ton Art pour le reconstruire tu t’es retrouvée coupée de lui pour bien trop longtemps. Pas une vie, certes, une vie c’est long, surtout pour vous, mais tu essaies de te rassurer en te disant sans prendre le temps de le confirmer qu’au moins il ne l’a jamais entendue, sans savoir que c’est aussi un point commun entre ces deux situations. Tu te souviens aussi ce qui t’a aidé, quand tu étais sourde à la Trame, tu te souviens aussi que c’est cette exacte Symphonie qui t’a aidée à tenir, et tu te sens mal pour lui, à nouveau. Alors tu sors un peu de ton silence, tu sors un peu vers lui, et tu essaies de paraître désolée par tes mots si tu ne peux le faire par le reste.

« Je suis désolée, je ne… »

Il sait, tu n’as pas besoin d’en dire plus, et tu redeviens silencieuse.

***

Le soir tombe bien vite en cette fin d’automne, et si tu es particulièrement endurante tu vois Haertys commencer à fatiguer alors tu en fais rapidement part au guide de cette procession si particulière. Vous trouvez un espace idéal pour monter le camp et tu sers autant que tu le peux avec Irewe, montrant du mieux que vous le pouvez que tous les mages ne sont pas incapables d’aider, effort complètement défait par Elneris qui s’est mise à explorer le monde des plantes qui vous entourent. Tu sais que quand vous vous rapprocherez de votre destination tu ne pourras pas te permettre de la laisser se comporter ainsi, alors tu la laisses faire tant que tu le peux, prévoyant tout de même de lui rappeler que ce qui fait de l’endroit que vous cherchez un endroit unique est exactement l’absence d’elfes pour discuter avec la végétation environnante. Elle le sait, tu lui fais confiance, mais ce n’est pas quelque chose qui ne mérite d’être rappelé. Quand tout est prêt, les soldats et les mages sont confondus et tu apprécies le spectacle.

Il est si différent de ce que tu as craint en entrant dans le bureau d’Aegden la première fois.

Elle s’excusa et il fit mine que ce n’était pas grave alors elle se tût. Le silence retomba tandis qu’Aegden resta perdu dans des pensées plus amères que celles de son départ.

Au bout d’un moment, Uru lui fit comprendre que l’une des mages commençait à fatiguer et il hocha la tête. Il fallait qu’il prenne vite l’habitude de faire attention aux elfes peux habitués à tant d’efforts…
L’expédition s’arrêta donc quelques minutes plus tard lorsque les soldats furent satisfaits de l’endroit et se mit une place une parfaite organisation presque mécanique. Chacun se désignant pour une tâche sans rechigner une seconde.

Leurs affaires, leurs armes et tout ce qui ne leur servirait pas immédiatement avait étés rassemblés au creux des racines d’un gros arbre. Aegden avait brièvement sourit en s’apercevant que les mages voulaient aider autant qu’ils pouvaient.  

L’archer qui laissait trainer ses oreilles en avait réquisitionné deux et leur montrait patiemment comment nouer racines et autres éléments naturels pouvant faire office de cordes entre elles afin de créer des hamacs de fortune. Il leur expliqua que dormir à même le sol pouvait être dangereux autant que désagréable au beau milieux d’Anaëh.

Un second soldat s’était éloigné dans le but de vérifier une dernière fois l’absence de tout danger autour du camp temporaire.

Aegden rassemblait des pierres et du bois quand il aperçut l’une des mages, visiblement désœuvrée errer à droite à gauche sans qu’il ne comprenne ce qu’elle faisait. Il avait haussé un sourcil mais n’avait rien dit puisque Uru était partie lui parler. Ça ne devait pas être important…

Lorsque le dernier soldat revint, un feu crépitait tranquillement au milieu du petit camps improvisé alors que l’obscurité envahissait peu à peu les environs, et répendait une douce chaleur sur les quelques elfes rassemblés autour.

-Alors vous avez jamais voyagé et dormis à la belle étoile comme ça ? Le soldat tendait à chacun des elfes un peu de viande séchée ainsi que des tranches d’une sorte de pain épais de couleur ocre-brun.

-Ah...ça doit faire quelque chose la première fois. Ris gentiment une autre nommé Alarca qui avait l'air de rêvasser un peu.Ne vous inquiétez pas pour les bruits, les branches qui s’agitent ou que sais-je, on gardera un œil.

-D’ailleurs, il est bien évident que vous n’aurez pas à participer à la garde du camps cette nuit.Vous avez besoin de repos. Précisa Aegden avant de mordre dans son morceau de pain au méroca.

S’il semblait particulièrement apprécier ce dernier, il avait poliment refusé la viande que son camarade lui avait tendu et l’autre n’avait pas insisté.

-Je prend le premier tour !

Aegden ne réagit pas à l’invective du soldat. Ils se débrouilleraient et le commandant prendrait le tour qui resterait. Il leur faisait confiance pour arriver à finir par s'entendre. A la place il tourna son attention sur l’elfe qui avait fatigué le plus vite. Elle était assise à sa droite.

-Est-ce que ça ira demain, tu tiendras le coup ? Lui demanda-t-il calmement alors que deux des soldats commençaient à se chamailler amicalement pour savoir qui prendrait le fameux premier tour de garde.

Tu laisses tout ce beau monde se retrouver au coin du feu et discuter de ce qu’ils veulent discuter, imaginant qu’il y a des conversations de la journée à terminer, tous n’ayant pas été aussi muets que toi ou Aegden. Si tu es présente avec eux physiquement tu hésites à t’absenter quelques instants dans la Trame, consciente que chacun des mages percevrait ton voyage. Ce serait si simple pour toi et tu n’aurais pas besoin de boire ce liquide que tu gardes dans une poche de ton vêtement pour méditer. La fatigue aide en général, même si, si tu n’es pas attentive, elle peut à la place te guider vers un sommeil plus compliqué à cacher de ceux qui t’entourent. Ton calme et ton visage d’une neutralité totale ne convainquent pas le soldat que tu n’es pas là et comme il le fait pour tous les autres il te tend ce qui sera ton repas. Tu forces un petit sourire et hoche la tête pour le remercier, mais très vite il passe à autre chose, alors qu’autour de ce genre de feu de camp la muette n’est jamais l’attraction principale.

Sans surprise, celle qui attire, c’est Elneris, et après qu’Irewe ait secoué la tête c’est la seule à répondre à la question posée.

« Avec mon père, parfois, quand j’étais plus petite, mais jamais accompagnée par des militaires… »

Elle baisse les yeux comme pour chercher à retrouver quelque chose dans ses souvenirs, mais Irewe intervient.

« Elle refusait de dormir à l’intérieur quand elle est arrivée à l’Académie. Ça a commencé par des jardins, puis elle partait dormir juste à l’extérieur de la cité. Si on n’avait rien fait on l’aurait retrouvée toutes les nuits dans les branches de l’Estel. »

Tu ris doucement, ces histoires sont nombreuses quand on côtoie de près la petite et espiègle végétaliste, et tu sais qu’elles sont celles qui la rendent incontournable. Elle ne réfléchit pas comme toi, loin de là, mais c’est comme ça que tu l’as rencontrée, et c’est comme ça que tu l’as convaincue pour qu’elle t’aide. Elle et toi êtes les deux seules personnes à connaître la recette de ton petit secret, mais vous êtes aussi les seules à savoir comment tu l’as aidée à se hisser sur une des plus basses branches de l’Estel, justement. Leurs deux rires font écho au tien, finalement, et bien malgré toi tu te retrouves assez happée par ce qui se dit pour oublier la Trame. Même ce jeu entre les deux soldats te voit être une spectatrice assidue, et tu es à rien de te proposer de prendre un tour de garde juste pour participer. Tu le pourrais si c’était le premier tour, tu es assez réveillée pour tenir un petit bout de temps encore, mais au final tu restes silencieuse.

Tu vois Haertys tourner lentement la tête vers le commandant à qui elle n’a toujours pas adressé un mot.

« Oui, ça ira, il ne faut pas que je tarde trop, mais ça ira. Ils ont besoin d’être endurants comme ça, ils pratiquent leur Art beaucoup plus que je ne le fais. »

Elle sourit, jetant un petit regard dans ta direction avant de reprendre.

« Je préfère écrire. Je sais que c’est justement pour ça qu’ils m’ont choisie, mais je ne suis jamais sortie d’Alëandir. C’est… éprouvant… »

Ils n’ont pas vraiment besoin de toi, tous, dans ce genre de moment, alors tu essaies de cesser écouter chacun d’eux, tu essaies de les laisser se raconter des histoires et rire ensemble sans surveiller. Tu l’as peut-être rêvée, cette politique, parce que quand tu les regardes tous ainsi, tu ne comprends pas comment il pourrait y avoir la moindre tension. Cela te met de très bonne humeur, car tu vis le moment agréable à travers eux, même si toi tu n’es pas comblée. C’est ce moment que tu choisis pour finalement faire ce que tu essaies de repousser mais qui te comblera d’une bien étrange façon, et fermant les yeux tu choisis ton ouïe, simplement ton ouïe, pour évoluer dans cette soirée bien étrange sous les hauts arbres d’Anaëh. Tu passes entre les deux soldats qui ont cessé de se chamailler, tu te glisses sous la voix d’Elneris, tu viens dans le crépitement du feu, consciente qu’il ne te faudrait qu’un souffle pour le rendre fou, et finalement tu les survoles tous.

Tu ne le vois pas, mais les trois mages lèvent la tête à l’unisson, ils te regardent, ils t’ont sentie, tu souris.

Aegden hocha la tête. Il comprenait que la dénommée Haertys, si elle fatiguait dès le premier jour de voyage, allait devoir être la plus épargnée pour qu’elle tienne la cadence. Peut-être les soldats devraient-il même porter quelques-unes de ses affaires ? Seulement eux non plus ne pouvaient se permettre de gâcher leurs forces. Le mainyth soupira mentalement. Quelle idée de lancer des elfes qui n’avaient jamais mis les pieds hors d’Alëandir dans une telle expédition…

-Repose toi le plus possible dans ce cas, et dorénavant n’hésite pas à le faire savoir quand…

Il s’interrompis en remarquant qu’elle avait levé les yeux au ciel. Dans son champ de vision, il put apercevoir qu’un autre des mages avait eu le même réflexe. Alors à son tour il fixa le ciel et n’apercevant rien, il reposa son regard sur l’elfe préposée à la rédaction.

-heu...Tout va bien ?

-Ce n'est rien, j'ai cru entendre quelque chose.

-c'est sans doute une chouette rien de plus.

Aegden resta silencieux, visiblement peu convaincu mais assez polis pour ne pas insister. De leur côté les deux soldats semblaient s’être finalement mis d’accord. Bien vite ils en informèrent la troisième ainsi que leur commandant qui hocha la tête.

La soirée avançant, Aegden finit par se lever.

-Bon il est temps de se coucher. Demain va être aussi intense qu’aujourd’hui alors reposez-vous.

Et contre toute attente c’est lui qui prit le premier tour de garde. Ça avait semblé aux deux énergumène un compromis satisfaisant alors ils étaient vite tombés d’accords.

La nuit sembla bien calme cette fois-ci. Rien ne sembla venir troubler la tranquillité des dormeurs. Les rayons de soleil n’étaient pas bien haut dans le ciel lorsque le soldat nommé Faeldir réveilla les mages et leur dernier camarade. Aegden et Alarca semblaient aussi être debout depuis un moment et ils discutaient un peu plus loin.

Ta première préoccupation en te levant est de t’intéresser à Haertys. Tu t’attendais à la voir dormir encore, mais c’est surtout son sourire que tu remarques alors qu’elle échange déjà quelques mots avec Irewe. Tu la sais si inquiète de nature et tu te demandes si elle n’a pas passé la moitié de la nuit précédente à craindre que ce voyage se déroule mal, tout en espérant qu’elle n’ait pas passé le reste de sa nuit à s’attaquer à un compte-rendu qui pouvait attendre votre retour. Mais au moins, là, privée de toutes ses distractions usuelles, celles qui l’avaient privé de maintes nuits, là elle n’avait eu d’autre choix que se reposer. Elle avait passé un premier test, tu notais dans un coin de ton esprit, mais il fallait voir si cette petite victoire porterait ses fruits et si elle endurerait une plus longue marche avant de trop se fatiguer et de forcer le groupe à s’arrêter. Toi, par contre, tu as échoué, et comme trop souvent tu passes ton temps à te soucier de ceux à ta charge au lieu de te soucier de toi.

C’est ce que tu fais alors, et un petit miroir en main tu te préoccupes autant de ta chevelure que de ton visage, passant une dizaine de minutes à reproduire des gestes que tu connaissais par cœur et que tu pouvais faire les yeux fermés. Récemment tu t’étais amusée à faire la même chose avec ton Art, mais le résultat était trop peu satisfaisant pour le faire en public. Tu penses avec légèreté que tu as une réputation à préserver, après tout, autant auprès de tes collègues que de ces militaires qui permettaient tout cela. En vérité cette pensée est à moitié ironique, et une image parfaite est loin d’être ce qui t’intéresse le plus, d’autant plus que ces visages là tu n’es pas sûre de les voir pendant longtemps encore. Quand tu es prête et rassasiée tu te lèves et tu suis le mouvement, t’approchant d’un des deux soldats qui s’étaient chamaillés la veille concernant le premier tour de garde, celui qui t’avait réveillé. La veille, quand Aegden avait décidé que tu n’aurais pas à te concerner par la garde du camp, tu avais failli t’opposer à lui.

« Admettons, je demande aujourd’hui à ce qu’on me confie un tour de garde et j’en obtiens un cette nuit… est-ce que vous avez des conseils pour une débutante ? Il faut faire attention à quelque chose en particulier ? J’imagine que les menaces – et autres particularités de l’Anaëh – sont nombreuses, mais serait-ce à ma portée d’identifier quels sons sont des dangers et lesquels n’en sont pas ? »

Tu es curieuse et cette fois tu n’hésites pas, très concentrée sur la réponse.