Joindre vos forces. [Aegden]

Le soldat afficha une moue amusée. Il cessa de s’occuper de la corde de son arc pour fixer la mage.

-Si tu arrives à convaincre Aegden quand il a décidé de quelque chose, tu auras tout mon respect Commenta-t-il, avant de redevenir plus sérieux. Il veut, et à raison, que vous vous reposiez au maximum pour pouvoir supporter le reste du trajet donc je doute fortement que tu aie à garder le camps cette nuit. Il continua pourtant, se décidant probablement que ça ne coûtait rien de lui expliquer. Au final ça n’a rien de vraiment compliqué, il faut toujours qu’une personne reste éveillée pour éviter qu’un prédateur nocturne ne s’approche trop, même si le feu les éloigne en général. Il haussa les épaules. C’est mieux si celui qui garde le camps…

Le soldat tourna la tête, interrompu par ses deux autres camarades qui s’approchaient.

-Tout le monde est réveillé ?

Aegden ne se rendit pas compte qu’il venait d’interrompre une conversation. Il ne prêta pas attention au sourire un peu désolé de Faeldir envers Uru. S’il n’avait pas non plus l’air en colère, il n’avait pas l’air particulièrement de bonne humeur. Sa voix restait tout à fait neutre.

-On ne devrait pas trop tarder si on veut faire un maximum de chemin avant la nuit. Ajouta-t-il.

Machinalement il récupéra sa lance et rattacha la sangle qui permettait de la maintenir dans son dos. Il se demanda un instant si les mages avaient le même genre d’attachement aux objets qui leur permettait de faire de la magie ou si cela variait d’un elfe à l’autre. Il devrait sans doute demander au petit groupe à l’occasion…

Ton visage est resté aussi sérieux que ton regard est resté intense tout du long de la tentative d’explication du militaire de ce qu’on demandait des veilleurs. Au moment où il se laisse couper la parole, en réponse à son sourire gêné tu ne fais que hocher la tête pour le remercier. Il aurait fallu un peu plus de détails pour te satisfaire mais il t’a rendu évidente la prochaine étape de ton enquête. Alors qu’Aegden reprend les commandes de l’expédition tu ne fais rien pour réorganiser tes troupes, alors que depuis le début tu as rendu clair que si tu diriges tout ce qui est magique, ils devaient toujours d’abord respecter l’autorité de celui qui priorisait leur sécurité à tous. Tandis qu’ils finissent de se saisir de leurs effets personnels tu as pris un peu d’avance et rejoins le commandant, le saluant d’un geste de la tête. Finalement la troupe se met en marche et tu retrouves la douce monotonie de votre voyage en forêt. La nouvelle vie que tu avais refusée aurait pu commencer exactement comme ceci mais tu n’avais pas été assez courageuse, dix-sept ans plus tôt…

Elneris précède cette fois Irewe et Haertys n’est pas très loin de toi, désireuse de montrer qu’elle va mieux.

Toi, tu attends le bon moment avant de t’essayer à déjouer les pronostiques du militaire à qui tu jettes un regard en coin en te mettant à la hauteur d’Aegden. Il est bien sérieux aujourd’hui et ça ne va clairement pas t’aider, mais comme tu as déjà été curieuse une fois à ce sujet c’est plus facile de persévérer. La principale question que tu te poses est comment approcher ta requête sans qu’il ait l’impression que tu te moques de lui et que tu sous-estimes autant l’importance des tours de garde que l’entraînement éventuellement nécessaire pour savoir quand alerter toute une troupe ou quand faire le dos rond. Ils devaient être nombreux les militaires à avoir lutté contre leurs propres craintes pour laisser un prédateur nocturne rôder dans les ténèbres, opposant le savoir que le danger existait à celui que ne pas réagir le rendait moins probable qu’une réaction disproportionnée. Du moins c’est ce que tu pensais, il te manquait un certain nombre d’expériences pour en être sûre, et la théorie suffisait un temps.

Rompant un petit silence qui commençait à s’installer tu t’adresses à Aegden.

« Commandant Aegden, j’aimerais faire une requête. Puis-je avoir votre permission la nuit prochaine – si ce n’est de prendre seule un tour de garde – d’assister à celui d’un de vos hommes ? »

-Je ne préfère pas. Il répond sur le même ton neutre qu’il avait adopté quelques instants auparavant. Il secoua la tête. Ce n’est pas que je ne te fais pas confiance, toi ou tes camarades, mais si vous n’avez pas l’habitude de voyager comme ça, je n’ai pas envie que vous vous retrouviez épuisés avant même d’avoir atteint notre but.

Si Haertys ne s’était pas trouvé derrière lui, sans doute n’aurait-il pu s’empêcher de lui lancer un regard.

-Et honnêtement tu ne perds pas grand-chose.

Il ne comprenait pas vraiment l’intérêt que pouvais y trouver la mage. Si eux soldats le faisaient c’est que cela faisait partie de leur devoir, mais elle, civile habituée à l’intérieur confortable de l’académie, que pensait-elle accomplir ?

Après avoir eu l’impression d’avancer avec lui voilà qu’il se referme derrière ce qu’il a compris de la situation. Tu ne demandes pas à ce qu’Haertys participe à un tour de garde, tu veux le faire toi, par curiosité principalement, et parce que tu sais que ton avenir n’est pas pour toujours derrière les pierres blanches de ta cité. Si ton avenir y était lui aussi le serait, il serait à l’Académie, il enseignerait aux autres comment être le feu, pas exactement comme il te l’avait enseigné à toi, mais tous profiteraient de son savoir. Tu ne trouveras pas de ce feu égoïste qui ravage tout dans la cité d’eau, il te faudra sortir. Lui te veut trop sage, lui te veut respecter l’idée qu’il a des mages, lui te veut partout sauf en travers de son chemin, mais si tu évites son chemin tu ne pourras faire ce que tu rêves et ta transformation s’arrêtera là. L’idée de juste l’écouter, l’idée d’obéir, elle t’es insupportable, au point où tu veux t’opposer à lui plus violemment que tu ne l’as fait.

Et pourtant tu hoches la tête et tu détournes le regard en ralentissant ton pas pour rejoindre la mage de papier.

Elle n’est pas idiote et elle te connaît assez pour savoir que si c’est totalement ton genre d’abdiquer ainsi, tu souffres, et tu préfères souffrir en silence que de l’admettre. Tu préfères garder ton visage impassible, tu préfères disparaître en toi-même. Si elle sait que tu es comme ça, si elle a entendu l’échange – ou la tentative d’échange – elle ne comprend pas non plus ce qui t’intéresse dans le principe du tour de garde. La vérité est que le tour de garde ne t’intéresse pas le moins du monde, la vérité est que comme les couleurs dont tu es parée tu dois faire les choses différemment pour te sentir vivante. La couleur ou la mort, la vie ou le noir et le blanc. Tu as besoin du vert autant que la forêt autour de toi, et tu es frustrée de voir que celui que la nature a affublé d’autant de couleur soit incapable de le percevoir. Mais les couleurs que tu portes ne sont qu’un subterfuge, la vie tu ne l’as pas et en étant l’eau tu es plus proche de la mort.

Tu ralentis encore ton pas, t’éloignant de plus en plus, mais Haertys remonte et parle au commandant.

« Vous savez, Uru n’en est pas à sa première expédition, je ne sais pas pourquoi elle vous a demandé ça mais je n’ai jamais entendu personne remettre son endurance en cause. Je vous en parlais hier soir mais la magie, ça épuise, peu sont capables de faire ce qu’elle fait et encore moins aussi longtemps. »

Elle ne comprend pas mais elle a décidé que tu méritais un peu d’aide et c’est un véritable effort qu’elle fait.

Comment les mages faisaient-il pour réussir à accomplir le moindre progrès dans leur domaine s’ils passaient leur temps à remettre en question la moindre décision prise par des elfes qui en savaient mieux qu’eux ?

Aegden retint un grognement d'exaspération trop impoli et se contenta de soupirer mentalement avant d’accorder une partie de son attention sur sa nouvelle interlocutrice.

-Ecoute, j’ai déjà dit non à Uru. Répondit-il sur un ton qui s’il restait calme contenait une certaine pointe d’irritation. On se rapproche d’une zone où sont passés les drows, j’aimerais rester attentif et je n’ai pas envie d’avoir à gérer un problème supplémentaire.

Il se rendit compte lui-même que ça phrase pouvait paraître brutale mais c’était trop tard pour faire marche arrière. Il adoucit ses propos en ajoutant simplement :

-On verra ça une fois notre première étape rejointe, mais vous ne savez probablement pas ce que vous demandez. Il n'y a rien d'agréable à rester éveillé et guetter. Vous devriez prendre le sommeil qu'on vous donne.

Elle se tait et après quelques minutes de marche elle a laissé Aegden prendre de l’avance sur elle, probablement sans même s’en être rendu compte. C’est un effort qu’elle a fait, et tu sais qu’elle regrette, qu’elle regrette de s’en être mêlé, surtout que l’argument du commandant est bon, en ce qui la concerne, elle a frissonné en entendant le mot, elle a frissonné en entendant parler des daedhels. Tu ne peux pas particulièrement lui en vouloir, tu n’as même pas essayé de t’opposer à sa décision, est ce que tu mérites d’avoir quelqu’un qui le fait à ta place ? Ton esprit s’est bien assombri et tu t’en veux un peu, alors quand Haertys te regarde tu esquisses un petit sourire. Le sourire te rappelle que l’intégralité de cette situation est idiote, mais si tu t’en veux de prendre tout ça à cœur tu gardes quelque part en toi cette blessure qui ne veut pas se refermer. Tu n’es peut-être vraiment qu’un problème supplémentaire, et peut-être que tu devrais rester obéissante pour diminuer ton impact sur les autres.

Si les pensées ne se dissipent pas tu arrives à les refouler au fond de ton esprit.

Le temps passe et tu n’as rien dit au commandant depuis cet échange, tu n’as rien dit à personne concernant ce qui t’a blessé. Tu te perds dans ton esprit, te fermant particulièrement au voyage, suivant par automatisme, jusqu’à ce que finalement tu ne puisses plus ignorer le comportement des soldats. Vous vous rapprochez de l’endroit, tu le sens dans leur attitude, mais est ce que tu en as quelque chose à faire maintenant ? Tu ne prends pas d’initiative, tu attends qu’ils réagissent, et quand il te dira que vous êtes arrivés tu communiqueras tes directives aux tiens. C’est quelque chose que tu sais faire, de fermer tes émotions, et quand tu es ainsi tu es la plus douée de ceux qui t’entourent. Tout le monde s’arrête, vous n’avez jamais été aussi près d’un endroit affecté par les daedhels, et surtout pas Elneris qui est à tes côtés et qui semble commencer à trembler. La Symphonie ? Tu l’entends aussi, elle est peut-être différente, tu ne sais pas. Tu poses ta main sur l’épaule de la jeune elfe, et tu sais que c’est exactement ceci.

« A quelle distance d’ici ? »

La question est pour Aegden, les premiers mots depuis un moment, ils semblent froids.

Les deux mages semblèrent se terrer dans un silence amer que le mainyth ignora profondément. Si ça les vexait, tant pis pour elle se disait-il, elles n’avaient qu’a pas lui demander de faire son travail.

Et puis Au bout d’un long moment, Uru sembla se décider à sortir de sa bouderie et Aegden ralentit un peu le pas.

-Pas très loin. répondit-il comme si la mage n'avait pas semblé glaciale. Faites attention et si vous trouvez le moindre signe qui vous semble anormal dites le. Je préfère que vous donniez une fausse alerte que passer à côté de quelque chose.

Les soldats cessèrent eux aussi leur bavardage à mis voix, reprenant leur sérieux et guettant le moindre indice d’ancienne présence drow. A première vue au moins, il ne semblait pour l’instant ne plus rien avoir. Plus de trace de l’horrible poison, plus de cadavres.  La forêt semblait tout aussi paisible que si rien n’avait eut lieu des mois auparavant.

Tu aimerais bien pouvoir aider mais tu ne sais comment tu pourrais te rendre utile, alors tu ne fais rien d’autre que de prêter attention à celle que tu surplombes avec toute ta bienveillance. Les tremblements ont rapidement cessé, comme si la surprise était passée, comme si finalement ce qu’elle avait vu n’était pas si terrible. Ça te rassure un peu, et ça va avec cet empressement qu’Aegden n’a pas montré, ça va avec cette impression qu’il aurait retardé sans le moindre problème cette expédition, ou plutôt cette visite, si tu avais trop demandé de lui. Les tremblements ont rapidement cessé et Elneris te regarde avec un petit sourire, comme si elle t’enjoignait à retirer ta main, à faire confiance à sa solidité. Alors tu la retires, et tu la regardes se rapprocher encore un peu d’Aegden. Elle n’a pas attendu son signal pour percevoir ce qu’il y avait autour, pour écouter la Symphonie, et elle peut répondre avant n’importe qui ici.

« Je sens qu’il reste quelque chose… elle n’oublie pas… mais elle se remet… merci d’avoir été là. »

Elle incline la tête, comme si assez proche de l’Anaëh pour pouvoir remercier le commandant en son nom propre.

Toi, tu laisses les tiens se poser des questions, tu laisses les tiens observer quelques minutes, mais tu ne veux pas gâcher leur temps et on ne te fait remonter aucune particularité dans la Trame. Tu aimerais que pendant que le commandant et ses hommes fouillent la zone Haertys commence son travail avec Irewe et Elneris, mais tu ne sais pas trop si ça vaut le coup. Le seul paramètre qui pourrait te dissuader est celui du temps, l’autre ne t’importe pas, que l’influence soit apportée par des elfes ou non ne changerait rien au questionnement de ta recherche, ce serait juste un paramètre de plus. Tu te rapproches comme Elneris l’a fait avant toi et tu lui poses une question, sans qu’il ne reste dans ta voix le moindre vestige de ta frustration précédente. « Ça fait combien de temps, que vous avez débarrassé cet endroit de ce poison ? Je ne peux demander à mes mages de prendre cet endroit comme référence si c’est trop proche ou si c’est trop lointain. » Tu t’arrêtes un instant, comme pour réfléchir à une autre option. « J’attendrais peut-être que nous nous soyons éloignés. »