Rentrer plus tôt que prévu [Diolando/Ethirëlon]

Bàrkios, neuvième ennéade
An dix-sept du onzième cycle

Nous faisions bonne route, bien aidés par cette route relativement récente et créée pour relier le Puy d’Elda à Esion.

C’était relativement humiliant de fuir quelque chose qu’on n’avait pas fait, mais parfois la raison l’emportait sur le cœur et sur les émotions. J’aurais préféré aller voir Krish Al’Serat, j’aurais préféré lui dire au revoir, mais on m’avait retiré ce droit et je me devais de penser à la suite. Heureusement mon cœur me guidait aussi vers la suite, il me guidait vers ce cadeau qu’elle m’avait fait et cette place au Conseil de Thaar qui ne dépendait plus que du Conseil en question. S’il ne me voulait pas tout de suite, il me faudrait attendre que la Corporation me devienne assez profitable pour qu’on ne puisse plus m’ignorer. La suite ne pouvait qu’être des bonnes choses, donc, mais je devais d’abord sortir de ce piège désertique et de ceux qui, peut-être, allaient rattraper les fuyards que nous étions. La raison me disait aussi que cette griffe d’argent ainsi que ce document ne me donneraient aucune chance de m’en sortir si l’on nous rattrapait, j’étais la coupable idéale.

Malgré cette pression qui écrasait et forçait des gens habitués au confort à se précipiter, il nous fallait du repos.

Des tentes avaient été déployées comme chaque nuit passée dans les terres stériles, formant un camp fonctionnel à défaut d’être confortable. Le Soleil de Geresh n’était pas majoritaire et était également loin de représenter le quart de têtes qu’il aurait pu représenter au milieu de la troupe d’Ethirëlon, de Diolando et des quelques eldéens qui veillaient à notre sécurité, fidèles à priori aux dirigeants qui nous avaient approché au départ de notre périple. J’avais personnellement laissé bon nombre de mes hommes derrière, et c’étaient Llari et Ehni qui les guidaient dans notre sillage, eux et les quelques Païms chargés de certaines de mes possessions. Llari et Ehni, la Zurthane et celle qui n’avait pas été prête à sacrifier son confort pour un voyage si long. Pendant ce temps j’avais chevauché avec Sashi et Kamis, qui, plus sérieux que les autres, pensaient à ma sécurité plus qu’à quoi que ce soit d’autre. Sashi m’avait d’ailleurs ce soir-là interdit de sortir de ma tente, mais j’avais désobéi et étais partie retrouver Kamis près du feu qui rougeoyait devant ma tente.

Cette partie du campement temporaire était autant réservée qu’elle pouvait l’être aux tentes des trois hôtes de marque Vaanis que nous étions mais je ne savais rien de leurs habitudes. Contrairement à d’autres voyages que j’avais effectués – et je ne pouvais pas ne pas penser à celui à dos de Païm avec Sauveur, celui qui avait tout commencé – quand je regagnais mes quartiers c’était uniquement pour me reposer, et la journée je n’avais pas assez de raisons d’échanger avec eux. Ethirëlon comme moi savions la teneur de nos rapports et je ne connaissais pas Diolando autrement que de vue. Mais là j’étais sortie, là je m’étais exposée, et je me demandais si j’aurais à faire à eux lors de cette soirée qui tombait bien vite. Le froid des nuits dans les Terres Stériles prendrait bientôt tout le monde et il n’y aurait bientôt que ce feu là pour l’empêcher de me saisir à travers cette fine robe blanche et de me forcer à me replier dans la tente où m’attendait Sashi.

Bien sûr qu’ils me regardaient tous. C’était la première fois que je sortais de cette tente avec une autre intention que de me remettre en selle et repartir dans le désert, je ne m’attendais pas vraiment à autre chose. C’est Diolando le premier être important à qui j’accorde un regard, j’ai compris depuis un moment que les autres sont comme les miens. Qiryah, je ne suis pas sûre d’y avoir déjà mis les pieds, je m’en souviendrais. Peut-être plus petite, mais je n’avais plus de géniteur à qui je pouvais poser cette question, et même s’il ne s’était pas éteint la réponse était trop peu intéressante pour que je garde en mémoire la question. Il n’était pas loin de ce que j’avais été jusqu’à cette entrevue avec Krish Al’Serat, mais j’étais bien plus désormais, et si j’avais pu le signifier peut-être l’aurais-je fait. Sûrement pas. En tout cas, je ne l’avais pas plus croisé au Puy que pendant cette poignée de jours de voyage, et il avait le mérite d’être intriguant dès le premier coup d’œil. La réponse vient sans un mot, un unique sourire qui laisse entendre une innocence qui pourtant n’existe pas.

Lui n’en sait rien.

« Je vous ai observé, un peu, pendant la journée. Vous n’avez pas l’air trop inquiet ? »

Je ne savais pas trop pourquoi je lançais la discussion de cette façon, mais après tout j’ignorais tellement de lui que n’importe quelle approche serait hasardeuse, n’importe quel sujet pouvait être le mauvais. C’était pour ça qu’il m’avait appris à être curieuse du monde qui m’entourait et de ceux qui le dirigeaient. Je n’étais pas allée assez loin avec les Princes Marchands, alors forcément je n’étais pas allée assez loin avec ceux en dessous. Je ne savais pas vraiment rien de lui, les hommes et particulièrement Kamis s’étaient exprimés à son propos au fil des jours et son adresse au combat avait même donné des idées à Sashi, seulement je m’en étais souvenue trop tard, et je me rendis compte que suggérer qu’il devait être inquiet n’était pas la meilleure idée que j’avais eue dans la journée. Il ne me fallut pas longtemps pour trouver avec quoi répondre, et je ne fis aucun effort pour cacher la maladresse. Ç’aurait été malhonnête… ou trop honnête… vu comment j’avais l’habitude de me servir de cette naïveté.

« Je ne veux pas dire que vous devriez avoir peur ou quoi que ce soit… »

Peut-être un peu en fait. La mort de Krish Al’Serat était un événement énorme et peut-être grave pour l’Ithri’Vaan.

J’était particulièrement de mauvaise humeur cette soirée. Comme toutes les soirées depuis que nous étions en fuite au final. Je détestais la situation. Elle m’effrayait car elle m’était ma vie bien trop précieuse en danger.  Elle mettait aussi en péril quelques uns de mes plans et je ne comprenais pas ce que j’avais pu faire aux dieux pour les contrarier à ce point.

J’avais la reine d’Elda comme alliée, son roi consort comme client et sous contrat. Mais non il avait fallu qu’un déséquilibré assassine la première. Il ne pouvait pas faire joujou avec un autre haut placé ?

Enfin ce n’était plus le temps d’y penser de toute façon…
Nous étions maintenant coincés aux milieux du désert, et j’essayais de garder la face au maximum, après tout il y avait deux autres vaanis importants avec moi. 

Pourtant je ne pouvais m’empêcher quelques élans de mauvaises humeurs. Dans un caprice que je regrettais instantanément j’avais envoyé valser les quelques esclaves qui me tenaient compagnie dans ma tente et maintenant je m’ennuyais ferme à fixer les tentures. Pik’sou était roulé en boule confortablement installé sur des coussins et je n’avais pas le cœur à le réveiller pour passer le temps. 

Je décidais donc de sortir un moment. Même mon sang elfe, honnis fut-t-il, ne suffisait pas à ne pas grelotter un peu dans le froid du désert. Je n’avais malheureusement que bien peux d’affaires avec moi, et aucune d’assez épaisse.

C’est donc tout naturellement que je m’approchais du feu. Je n’étais pas très étonné d’y voir mes deux compagnons de route. Une seconde une horrible pensée me vint. Et si un jour l’un d’eux décidait de se débarrasser du troisième ? Et s’ils étaient en train de comploter pendant que je ne regardais pas?

Je fis en sorte de cacher absolument toute trace de mon exaspération et de mes soupçons et optait pour un sourire tout à fait charmant en m’approchant d’avantage. Si j’était parmi eux, ils ne pourraient plus comploter.

-Puis-je me joindre à vous en cette froide soirée ? Fis-je d’une voix agréable.

Ce n’était là qu’une forme de politesse bien entendu. Ils n’étaient pas en position de refuser, alors tout aussi gracieusement que le reste, je m’installais parmi eux. 

Ce chaos, j’avais bel en bien l’intention d’en faire une force, même si cette force ne ferait que bien peu de sens si le Puy d’Elda souhaitait se tourner vers Thaar. Je ne lui répondis pas pour autant, préférant fixer mon attention sur un unique point quelque part devant moi. Il y avait quelque chose d’intriguant en lui, pas forcément ses mots, pas forcément son calme, pas forcément les couleurs qu’il offrait au regard, mais peut-être tout ça à la fois. Il y avait son entourage, aussi, qui semblait suspendu au moindre de ses gestes, au moindre de ses mots, au moindre de mes mots, c’était légèrement déconcertant, de se sentir épiée ainsi alors que Kamis n’avait réagi à strictement rien. A croire qu’il avait bien profité déjà et qu’il était déjà parti loin. Je ne savais pas si c’était possible, j’avais après tout un train de retard sur beaucoup de choses qui semblaient naturelles aux gens comme nous, même si je refaisais ce retard bien rapidement. Il me pensait toujours être une héritière, d’ailleurs, l’information du changement n’était pas allée aussi loin que je le pensais.

La réponse à sa question s’imposa, chaleureuse mais presque désintéressée en l’instrument qu’il me tendait.

« Non. »

Le corps, lui, semblait communiquer tout autre chose, et il se tendit pour se pencher en avant et récupérer le don. Comme très souvent la théorie ne m’échappait pas, je pus imiter ce que j’avais déjà vu bien des fois, mais il fallait un peu de pratique, et je manquai de m’étouffer, gloussant doucement de cette nouvelle maladresse. La deuxième fois s’avéra être mieux vécue mais je ne savais toujours pas où j’étais censée aller avec ça. Heureusement, ou malheureusement, cet instant que j’avais vécu comme un instant de relative liberté allait s’arrêter avec un son de pas et une voix qui sembla refroidir la soirée simplement en soulignant qu’elle l’était, froide. L’apparition d’Ethirëlon était sûrement une aubaine pour tout le monde autour de ce feu mais personne n’avait vécu cette expérience, et personne n’avait de souvenirs pour venir les hanter. Le monde changeait si vite, ce n’était pas il y a si longtemps que j’aurais obéi à chacune de ses volontés. Mais j’avais quelque chose dont il ignorait tout, il ne gâcherait rien.

« Un plaisir de vous avoir parmi nous, Prince Ethirëlon. »

Et, toujours un peu trop servile, je lui tendis le don de Diolando sans un autre mot.

Mon regard se planta dans celui d’Aerianna. Un peu trop longtemps sans doute car Dio le remarqua à en croire sa remarque.
Cependant je n’étais pas prêt à dévoiler toute mes histoires justes pour les beaux yeux de Dio… Les miens étaient bien plus élégants d’ailleurs. A la place je lui offris un sourire amusé.

-Je ne vois pas de quoi tu parles cher Dio. Rien ne nous lie si ce n’est d’être tout deux au coin de ce feu perdu aux milieux de ce désert. J’ai plus de lien avec toi, cher camarade qu’avec n’importe qui d’autre ici.
 
J’avais ignoré le fait qu’il m’avait appelé demi-sang. Il m’avait profondément vexé mais je lui faisais l’immense honneur de passer outre. Rester à espérer pour lui qu’il en fasse de même. Pour lui.

-Je vous en prie, reprenez la conversation que j'ai dû interrompre.

Je ne voulais pas non plus que Diolando soit au courant de la moindre des choses de ce mois qu’Ethirëlon taisait, mais la façon avec laquelle il avait donné sa réponse me perturba quelque peu, assez pour que ma réponse attende qu’il ait totalement fini de parler. Il aurait pu être un peu moins direct, laisser un peu plus de doute, m’envoyer un autre message à travers une réponse un peu plus ambigüe. Mais non, il faisait comme si je n’existais pas, comme si je n’avais jamais existé. Je fis alors comme si lui n’existait pas, je lançai un regard en coin à Diolando, ne répondant pas tout de suite, laissant un petit sourire s’afficher sur mes traits, laissant un petit silence planer. Je savais que je n’avais pas d’autre choix que de démentir mais si je décidai d’aller dans le sens d’Ethirëlon je rajoutai tout de même mon interprétation des mots de Diolando, je n’étais pas dupe.

« Si vos soupçons étaient fondés nous n’aurions eu besoin que d’une seule chambre et non de deux. »

Puis je relevai le regard devenu rieur vers celui du nouveau venu.

« Je montrais simplement à Diolando que je ne mentais pas en lui disant ne pas fumer. »

C’était étrange d’être à ses côtés avec un témoin qui n’était pas un serviteur. La tension existait toujours mais je me sentais quand même plus libre, chacun de mes mots ne participait pas au jeu étrange qui se jouait depuis si longtemps, j’étais légèrement moins attentive et je pouvais glousser de ma remarque. Il était un peu moins intimidant et j’étais plus en sécurité, peut-être que cela suffisait ? Il y avait toujours quelque chose qui se passait, je ne pouvais tout ignorer, mais j’arrivais à oublier ses derniers mots, j’arrivais à oublier les miens. Je ne revenais pas vraiment vers lui, c’était lui qui venait à moi, c’était lui qui essayait de me convaincre que je n’étais rien mais qui venait tout de même à mon contact. Il ne pouvait pas vraiment se passer de moi en fait. Alors je repris mon jeu et commençai à détailler du regard l’unique autre femme qui se tenait près du feu, ignorant tout le reste.

Mon air affable restait tandis qu’Aerianna enchaînait sur ce mensonge commun et au fond de moi j’était bien satisfait. J’avais la sensation de détenir quelques choses contre elle. Une arme, un moyen de pression qui me donnait une position de pouvoir que j’appréciait particulièrement.

-Vous avez bien tord, je ne connais que peu de loisir plus agréable. Répondis-je sur le ton de la conversation. J'hésitai à ajouter quelque chose mais cela me sembla manquer de subtilité et je m'abstint.

Alors  mon attention se détourna vers Diolando et sa compagnie.

-Tu as raison cependant, la soirée est parfaite pour apprendre à se connaitre. Nous n'avons pas grand chose à faire d'autre de toutes manières.

Comme si l’un d’entre nous avait envie de dévoiler la moindre miette dont les autres s’empresseraient de se servir… Était-il idiot ou particulièrement naïf ?Ou simplement jouait-il le même jeu que nous tous. Comment savoir ?

-Comment se nomment tes charmants compagnons ? demandais-je alors avec toujours ce sempiternel sourire irrésistible.

La réponse de l’hybride que je n’avais jamais rencontré avant ce séjour au Puy me confirma qu’il ne croyait pas un mot de notre mensonge. Je m’attendais à ce qu’il insiste un peu plus, vraiment, et fus quelque peu déçue de ne pas pouvoir jouer un peu plus. Surtout qu’apprendre à se connaître était généralement plus amusant. Il y avait trop de monde autour de ce feu, et il aurait fallu se débarrasser au minimum de Kamis et de ce Zurthan, peut-être même d’Ethirëlon qui m’empêcherait de me sentir libre, à raison. Non, il pourrait rester. Peut-être même qu’être sous son influence rendait tout plus amusant ? Peut-être qu’exposer à Diolando cette relation très étrange aurait pu m’aider à mettre des mots dessus, peut-être que son regard aurait pu m’aider à mieux la comprendre, à savoir si elle était plus de liberté ou moins, car en si peu de temps j’avais pensé les deux. La seule personne à qui j’en avais parlé n’avait jamais vu le Prince de Baaz’Hima, ça ne rendait pas la discussion plus aisée.

Je souris au clin d’œil, mais mon regard ne changea en rien, comme si j’avais déjà identifié ce qui m’intéressait, comme si rien ne pouvait vraiment m’en détourner. J’avais peut-être instinctivement compris ma place, du moins ils pouvaient le croire alors que la réalité était bien différente, bien plus logique, un vestige d’une ancienne peur. Restait que la personne qui m’intéressait le plus autour d’un tel feu de camp ne détenait sûrement pas une miette du pouvoir des deux autres, et ça ne me dérangeait pas le moins du monde. Mon pouvoir je n’avais à le prendre de quiconque, je le détenais déjà, et il prenait la forme temporaire de lettres sur du papier. Je réfléchissais déjà à ce que j’allais faire en rentrant, à qui j’allais parler, de qui j’allais m’entourer, et peu à peu je m’étais mise à ne plus voir celle qui accompagnait. La voix d’Ethirëlon me ramena au moment, il avait l’air d’un ennemi désormais, avec les pensées qui m’habitaient, mais je ne devais pas devenir folle.

La réponse à sa question m’intéresserait beaucoup, avec un regard toujours fixé sur elle je la vis à nouveau.

Je l’entendis mentionner Ethirëlon mais avec son regard j’eus l’impression qu’elle s’adressait un peu plus à moi, et à moitié inconsciemment je commençai à me mordiller la lèvre inférieure. Je n’avais pas eu besoin de présentations pour avoir l’œil attiré mais il fallait dire qu’elles ne faisaient qu’ajouter au personnage, que ce soit quand c’était elle qui le faisait avec une relative sobriété ou Diolando avec un peu plus d’entrain. Les présentations dérivèrent mais je ne les écoutai qu’à moitié, c’était amusant de constater ce qui pouvait se passer quand un contact visuel était aussi soutenu, qu’il était ponctué de sourires ou clins d’œil. Enfin, j’aurais trouvé ça amusant si j’avais complètement contrôlé le moment, au final je me retrouvais piégée plus que je ne l’avais voulu, je me retrouvais dans une situation de relative faiblesse qui était toujours intéressante, qui avait toujours mené vers de belles choses, plus belles en tout cas que ce que fumer m’apportait, alors que je me rendais compte toujours tenir l’objet qu’Ethirëlon avait superbement ignoré malgré son commentaire.

Puis vint la question, et je me tournai vers Diolando, laissant mon esprit se concentrer sur ses lèvres.

Cette question, toujours, qui ravivait une vieille blessure. Je voulais toujours ne pas y répondre, je voulais toujours faire comme si je n’avais pas été là pendant les Grands Jeux, je voulais toujours le taire, parce que ce n’était pas assez bien. Mais peut-être trouverais-je quelqu’un pour partager mon avis, un jour, et peut-être que, si quelqu’un comme Diolando venait à le partager, je pourrais me dire que c’était bien de la faute de celle dont j’avais voulu la mort, un temps. Alors, en passant à travers ces pensées là, je répondais toujours, je rappelais toujours qu’on oubliait que j’étais celle qui avait amené un humain à la victoire, ou que je l’aurais fait si on n’avait pas rajouté un autre combattant à cette finale. Je souris, il n’y avait pas de cette frustration dans ce que je voulais montrer, il y avait une pointe de fierté mais le savoir aussi que ça n’avait pas suffit. La seule chose que je ne contrôlais pas et que je montrais tout de même, c’était que j’essayais de me rattraper aux branches en tombant, et de rendre meilleur un résultat qui ne le méritait pas.

« Si on n’avait pas donné pour une quelconque raison une seconde chance à la drow, vous seriez en présence de celle qui a amené un humain jusqu’à la victoire aux Grands Jeux de Thaar. »

Il y avait un autre lien qui me liait aux arènes, mais celui-là devait rester secret.

« Vous avez déjà vu ça ? Un troisième combattant dans une finale à deux ? »

Je me mordillai la lèvre inférieure en observant sa réaction surprise, comme pour ne pas répondre directement, alors qu’encore une fois on m’avait oublié. Toute cette mascarade pour rien ? Je ne pouvais pas dire que je n’avais pas pris plaisir à voir certains combats, mais c’était comme si la seule chose qui avait motivé mon investissement n’avait jamais eu la valeur que je lui apportais. On ne m’avait pas vraiment vue pendant tous ces jeux, on avait dû voir ma Sombre voisine, on avait dû voir ce baiser qu’il avait envoyé à la future reine, et personne ne m’avait vue moi. Ce n’était jamais agréable de voir un investissement se perdre ainsi mais c’était ça, aussi, la vie qu’on avait choisie pour moi. Il ne pouvait y avoir que des victoires, comme on me l’avait si souvent répété, même si c’était un enseignement que j’avais eu du mal à assimiler. Aujourd’hui encore, c’était la seule défaite qui avait le moindre poids, et je portais sur moi la plus grande victoire.

Et elle avait coûté une ennéade de plaisir, une soirée de frustration, et ça…

Mon visage se détendit en l’entendant se prononcer sur la trahison qui m’avait tant blessée. Il n’avait pas laissé l’attente se développer trop et il ne me fallut que l’entendre parler quelques instants pour comprendre qu’il me donnait raison. La frustration se ravivait, forcément, alors que jusqu’à maintenant je m’étais sentie seule au monde au point de la laisser perdre en vivacité. Mais cette frustration était inutile et j’avais appris à ne pas la laisser me dévorer, avec l’aide indirecte d’un autre combattant, l’ancien gladiateur avec qui je voulais tant partager. Il y avait en parallèle un soulagement, celui de torts enfin reconnus, celui qui me rassurait en me laissant croire que tous n’étaient pas comme Mamba, qu’il y avait de l’espoir. Si celui qui m’attendait à Thaar n’y voyait rien à redire, peut-être que je pourrais m’investir à nouveau dans ce genre de jeux ? Il faudrait qu’ils soient ceux de Diolando, forcément, mais ce n’était pas une contrainte bien contraignante.

Puis il surprit le jeu qui avait lieu entre les regards des deux seules femmes présentes, et à sa voix répondit l’autre…

J’aurais pu répondre bien des choses, je ne savais pas exactement quoi même si les excuses étaient simples à servir, mais elle m’avait suffisamment charmée pour que je lui sois tout acquise pour le moment, alors je souris d’un tout petit sourire, même si l’espace d’un instant c’était l’incompréhension qui s’était imposée sur mon visage. Je tournai la tête en direction du dit fourreau, posant la main gauche sur le manche de l’arme, celle qui savait s’en servir, et tirant lentement pour l’en déloger et la tenir droit devant moi. La lame était parfaite, m’avait-on dit, et au fur et à mesure des années j’avais conclu qu’elle l’était beaucoup trop pour l’utilisation que j’en faisais. Aucun véritable combat n’avait ébranlé cette lame, seulement des entraînements, qui s’étaient soldés en de plus ou moins conséquents échecs. Si j’avais déjà vu le sang d’un ennemi ce n’était pas elle qui l’avait versé et de toute façon, de combat il n’y avait même pas eu. Ce que j’allais répondre n’était pas un mensonge, et on ne pouvait voir aucune maladresse dans ma façon de la tenir, ni dans les quelques mouvements que je fis avec.

« Je sais m’en servir. »

Le sourire était énigmatique, et ma relation avec cette épée sans garde restait un petit mystère à élucider.