Hommage du vieux barbu

Le spectacle qui s’offrit aux yeux des Nains médusés gardant fièrement et sans faillir le grand mur du Sud, et qui se reproduisit une nouvelle fois devant ceux qui gardaient farouchement l’unique entrée de la capitale des Nains, était aussi captivant que curieux. Qui était donc cet Umgi qui, vraisemblablement, chevauchait un moyen de transport que d’aucun qualifierait d’unique et d’à peine croyable : un tapis ! Animé par quoi ? Animé comment ? Nul ne le savait réellement. Il faut dire que la seule magie qui intéressait les Nains, et qu’ils respectaient, révéraient même, était la magie des runes.

Le vieillard descendit alors de son destrier au poil fait de tissu entrelacé, et se présenta aux cognards qui le toisaient, cachant sous leurs heaumes, la stupeur du moment. Le fait que l’Umgi parle un Khazalide parfait était une autre source de surprise, et peut-être même, de frustration. Rares étaient les non nains à pouvoir parler cette langue qui râpe, aux consones rendant le moindre mot difficile à exprimer. Un long souffle se fit entendre sous un heaume, le bruit, amplifié par le métal, résonnant comme le ferait une grotte caverneuse. Voyant le signe, le seul et unique signe capable d’empêcher la hache d’un Nain de s’abattre sur un étranger, fit réagir l’un des gardes, sans doute le plus gradé, ou le plus vieux, ou le plus expérimenté.

- Grumpf… Ip. Strolori Se contenta-t-il de dire, invitant, par ce mot, le vieux magicien à suivre le garde jusqu’à l’intérieur des entrailles de la capitale.

Quelle cité que celle de Kirgan. Elle n’était plus – ou point encore – le joyaux du passé, d’avant le Voile. A cette époque, la capitale souterraine des Nains était un bijou d’architecture qui régalait les yeux de toutes les races, et qui inspirait tous les architectes et ingénieurs de Miradelphia. Aujourd’hui, elle n’en était plus qu’un lointain souvenir, mais l’opiniâtreté des Nains, leur maîtrise de l’artisanat, leur excellente organisation et leur courage sans faille, se voyaient dans chaque centimètre reconquis de la cité meurtrie. Chaque étage de la cité était aussi grand qu’un palais. Les tunnels d’aération amenaient l’air frais de l’extérieur et évacuaient les fumées et l’air vicié de milliers d’âmes oeuvrant et vivant ici, sous terre. Les sculptures, les colonnes, les ponts, les grandes travées, étaient savamment ouvragées et finement ciselées. Partout, les bruits des marteaux, des burins, des pelles et des pioches, s’associaient aux sons des forgerons, des commerçants et des habitants. Seule une forte présence militaire, ainsi que la présence de cordons d’ouvriers crasseux qui vont et viennent, trahissent le chantier perpétuel qu’est Kirgan, qu’il faut creuser encore et encore, et protéger, toujours.

Le garde emmena le magicien jusqu’aux tréfonds des voies excavées et des salles creusées. Certaines étaient déjà là avant le Voile, et furent réaménagées, la roche magmatique, excavée et jetée au-dehors comme on frappe un tapis à la fenêtre. Le duo passa dans ce qui fut un ancien couloir qui menait jadis, à l’ancienne grande salle du trône, qui ne fus point creusée. On y avait en effet trouvé l’ancienne couronne de Garmin, faite en Mogarium. Hardrek décida que cette salle devait être laissée à la montagne, et qu’elle devait demeurer comme le lieu de repos du Grand-Roi Garmin le Vengeur. Une plaque de marbre gravée de rune en hommage à l’ancien souverain, indiquait la nature de ce lieu, et lui rendait hommage.

Et ils arrivèrent enfin à la salle du trône. Rectangulaire, grande et haute, elle disposait de deux entrées de chaque côté du trône, lui-même étant surélevé par rapport à la salle toute entière. Certains des murs étaient recouverts de bannières et de draperies portant les couleurs de Kirgan et celles du Zagazorn. Une tapisserie adoucissait les pas de ceux qui foulaient le sol.

Sans rien dire, le cognard laissa l’humain aux bons soins des gardes en faction dans la salle du trône, qui ne bougèrent point. Harald n’allait point tarder.

Il n’allait point tarder en effet, car il se trouvait dans une salle annexe de la salle du trône. Penché au-dessus des cartes précisant les tours et les contours de la fière cité de Molgrunn, Harald laissait libre court à son imagination et à l’organisation du plan qui visait à renforcer la cité Naine, vissée loin dans les montagnes du Nord. Un garde vint le prévenir.

- Baruk, Groman-Rik ! Un humain, qui possède l’signe d’un Ongrumthrong d’clan Poing-De-Fer, d’mande à vous voir dans la salle du trône.

Harald leva immédiatement le visage, interloqué, d’avoir entendu de tels mots. Un Umgi ? Ici ? Bénéficiant de la protection et de l’assentiment de feu Hardrek Poing-De-Fer ? Qui était-il ? Harald fouillait dans sa mémoire, et bien qu’il ne parvînt pas à mettre un visage ni un nom concret derrière cette information, quelque chose lui revenait en tête. D’un signe de la tête, il indiqua avoir compris, et abandonna ses plans pour se rendre dans la salle du trône.

Il était vêtu comme à l’accoutumé. Il revêtait sa fidèle armure de plate noire de jais, ciselée de runes et autres formes géométriques typiques des Nains. Le cliquetis des bottes de plate, et des pièces mouvant les unes les autres, était typique d’une armure naine savamment forgée. La couronne, toute d’or forgée et scintillante de pierres précieuses, contrastait avec la profondeur de l’armure inquiétante. Harald était de ces Nains guerriers dans l’âme, ayant passé toute une vie à combattre sans faiblir, et inspirant, même auprès des autres Nains, un respect profond ainsi qu’une crainte drapée d’honneur. « Barbe-Sanglante » n’était point le nom de son clan. C’était là une appellation gagnée sur les champs de bataille…

Il prit place sur son trône, autant pour afficher son statut à cet étranger ayant reçu les faveurs de son mentor, Hardrek, que pour figer la situation et prendre toute la mesure de celle-ci. Qui était-il ? Que faisait-il ? Que voulait-il ? Harald ne remettrait jamais en doute la confiance de Hardrek qu’il a placé en ce vieillard drôlement vêtu, mais il ne s’agissait pas pour autant de sa propre confiance à lui. Il était cependant un ami des Nains, et en cette qualité, Harald prit la parole le premier, d’une voix forte et brave.

- Baruk, Umgi ! Ongrumthrong du clan Poing-De-Fer, soit l’bienv’nu à Kirgan, dans la salle du trône. Je me nomme Harald Barbe-Sanglante, Groman-Rik du Zagazorn. Et toi, qui es-tu, et que viens-tu chercher ici, au cœur de la montagne ?

La confiance n’est point chose qui se transmet aisément.

Ainsi, voici le fameux Nakor, magicien du Sud du continent, sans doute le seul humain ayant reçu autant d’attention de la part des Nains, et de plusieurs suzerains, rien de moins. Harald n’avait jamais vu le magicien. Passant son temps à Lante, ou dans le Brissalion ou le Lörn, il n’était que très éloigné des us et coutumes du pouvoir, et des individus que l’on y retrouve de prêt ou de loin. Mais il avait entendu parler de ce magicien doté d’une puissance spectaculaire, qui, disait-on, était un ami sincère des Nains et un des rares êtres à ressentir une véritable connexion avec le peuple du Père, sans fioriture ni détournement. Sans doute devait-il tout de même avoir certaines idées, certains projets, certaines envies. On n’obtient pas une telle puissance magique sans chercher à l’obtenir, ni sans l’entretenir. Mais les questions éthérées n’étaient que peu maîtrisées par Harald, qui leur préféraient les haches, les lames et la guerre.

Harald était sans nul doute quelque peu stupéfait, et impressionné par les informations distillées par l’homme face à lui. En plus d’être vraisemblablement très vieux, il semblait sincère, et ses informations, authentiques et véritables. Harald se trouvait dans une situation délicate, car il avait face à lui le seul homme du continent ayant bénéficié des attentions et amitiés de trois souverains avant lui, y compris celui qui avait servi de modèle, de mentor : Hardrek. Ces mots étaient très forts, sans doute peu utilisés par un Nain, mais le fait est qu’il s’agissait de la vérité. Hardrek, tout comme Thorgrel, avait fortement influencé la vie du Barbe-Sanglante.

Harald ne baisserait pas sa garde tout de suite, ni totalement. Si Harald se voulait ouvert, plus que Hardrek, il demeurait tout de même suspicieux envers les êtres humains, connus de tout temps comme des créatures fourbes, parfois cruelles, adeptes des complots, des poisons, et des tractations secrètes. Cependant, le discours de Nakor avait réussi à gagner l’esprit du Groman-Rik, sous son épaisse couronne d’or et de joyaux.

Alors, il se leva, simplement. Ses bras ne se balançaient point, signe qu’il contrôlait autant ses mouvements que ses sentiments. L’heure était vraisemblablement solennelle pour cet être venu de loin, et Harald faisait face à sa première entrevue en tant que Grand-Roi, face à quelqu’un d’inconnu et qui, pourtant, avait fait sa part à n’en point douter. Ainsi devait-il exercer son rôle, assumer ses responsabilités. Ainsi devait-il être un souverain. C’est sans haine, mais avec l’aura due à son rang et l’autorité qui lui était conférée, qu’il s’adressa à Nakor :

- Vous êtes assurément restés loin des montagnes du Nord pendant longtemps, pour oublier que les Dawis observent le Dawi et l’honneur derrière une responsabilité, et non seulement le titre. Il n’est point utile de me donner du « monseigneur », maître magicien. Je suis le seigneur de personne, je n’ai la couronne que parce que les miens m’ont accordé leur confiance sans faille. Il marqua une pause, durant laquelle il descendit les quelques marches qui élevaient le trône au-dessus du sol de roc, se plaçant face au magicien qui le dépassait forcément de quelques centimètres. Mais il leva la tête. Votre réputation vous précède. Il est mention de vous dans certains vélins rédigés par feu Hardrek Poing-De-Fer. Vous aviez sa confiance, mais vous ne bénéficiez point encore de la mienne. Cependant, votre réputation, encore une fois, vous précède. Suivez-moi.

Harald fit volte-face, et prit le chemin de la porte qu’il avait emprunté pour prendre sa place sur le trône. Ainsi passèrent-ils tous les deux dans la salle mitoyenne, qui n’était qu’une arrière salle destinée à préparer ce qui devait avoir lieu dans la salle du trône. Quelques couloirs, et ils débouchèrent sur un niveau légèrement plus profond – sans réaliser un étage souterrain supplémentaire grâce aux différentes strates d’un même étage mais cela relève de l’ingénierie – et bien plus large, où les Dawis pouvaient avancer à 5 ou 6 de front. Ainsi se mêlèrent-ils au flot de Nains, de travailleurs, de mineurs, d’ingénieurs, jusqu’à arriver dans une coursive intérieure beaucoup moins fréquentée. Un escalier descendant un peu plus profond, et ils tombent sur une double porte épaisse et grande, taillée dans un bois solide et précieux.

Description de la crypte et du tombeau

Harald ouvre la porte sans grand soucis, et la voici, la crypte royale. Devant eux, à quelques mètres, une autre porte de bois précieux, large et épaisse. Au-dessus, des runes indiquaient « Le Grand-Roi unificateur ». Là encore, il ouvrit la porte, et la lumière des braséros permit aux deux âmes en peine de scruter la moindre parcelle de ce tombeau digne des plus grands.

- Voici le tombeau de Hardrek Poing-De-Fer.

Introduction sobre, mais efficace. Mais le vieux magicien devait être habitué à la franchise des Nains.

Le scène était à la fois unique, singulière et… Emouvante. Pour un nain, l’émotion était vécue d’une manière bien unique, bien spécifique, comparativement aux Humains. Ils ressentaient la tristesse, évidemment, la fierté, assurément, la joie, le bonheur, la douleur. La différence réside en leur façon de l’assimiler, de la vivre, de se comporter face à cela.

De mémoire de Nain, aucun être humain n’avait jamais été autorisé à poser un seul pied dans la grande capitale, Kirgan. Nakor, lui, avait posé les deux, et venait même de se retrouver, en une seule soirée, face au souverain des Nains, face au trône, et face au tombeau du Grand-Roi, dans la crypte royale. Harald ne savait pas si Nakor comprenait, ou se doutait de quoi que ce soit, mais il venait d’aller plus loin dans les terres Naines qu’aucun autre être humain avant lui, qu’aucun autre être non Nain.

Harald écouta attentivement les propos du mage Humain, non sans se rendre compte furtivement de l’état tremblotant de la pogne du vieillard aux pouvoirs démesurés. Au début, ses propos aussi semblaient trembler, mais il se ressaisit bien vite. Et le Roi sous la montagne s’était assuré de comprendre et assimiler chaque parole du vieux magicien. Pour simple réponse, il offrit à l’ongrumthrong un signe de tête, acquiesçant face à la proposition du vieil humain. Mais il serait bien naïf de croire que les Nains, et leur Roi de surcroit, demanderaient le concours de qui que ce soit au-delà de leurs frontières. Mais, encore une fois, l’humain avait eu la confiance de trois grands souverains. D’un signe de tête, Harald indiqua le gisant tenant une hache de pierre entre des mains de granit.

- Si cela peut atténuer votre souffrance, maître magicien, sachez que le Grand-Roi fut veillé pendant 8 jours et 8 nuits, et qu’un maître forgerune aura forgé pour lui une hache forgerunée lui assurant l’ouverture du monde du Dessous. Cette hache est enterrée avec lui. Il marque une pause, regardant à son tour le gisant sur lequel il se recueillait très régulièrement depuis quelques ennéades déjà. Vous pouvez rester ici, et vous recueillir le temps qu’il vous plaira. Je me rends dans mes appartements. Vous y serez le bienvenu.

L’invitation était sincère. Harald n’aurait jamais décemment pu renvoyer ce magicien aux portes de la ville après l’avoir autorisé à présenter ses respects à Hardrek. Cela aurait été bafouer sa qualité d’ami des Nains, ainsi que les choix de trois anciens souverains. Aussi, Harald s’assura-t-il de la décision du magicien avant de reprendre la route de ses propres appartements.

Ainsi donc, le mage humain ressentait véritablement de la peine. Il ne s’agissait point d’une quelconque comédie, ou d’une farce comme seuls les Umgis en ont le secret. Il faut dire que leurs manigances et manipulations ternirent leur réputation auprès des autres races, aussi bien qu’entre eux. Nés de scories, obtenant la vie sans que le Père ne l’ait désiré, il n’était point possible d’imaginer autre destin pour une espère issue des déchets d’une forge.

Talonnant le Roi dans un silence de mort, l’humain arriva dans la loge royale juste après que Harald y soit arrivé. Machinalement, Harald plaça sur la table de granit, deux chopes qu’il ne tarda pas à remplir de bières. Le vieux mage aura sans aucun doute goûté au moins une fois dans sa longue existence, à l’alcool Nain, connu pour sa forte teneur en alcool, à son grand degré de maturation, et à son goût si prononcé et si amère.

Attrapant sa chope, il la tendit en direction du magicien tout en l’autorisant à s’asseoir d’un signe de tête accentué par sa couronne. Puis, il écouta attentivement la question du magistère, question à laquelle il ne vit aucune raison de ne point y répondre. S’asseyant confortablement face à son invité, Harald planta son regard acéré dans celui du magicien. Il ne voulait pas le mettre mal à l’aise, il n’en avait pas besoin. L’invité avait été poli jusqu’ici, et il bénéficiait de la protection du clan Poing-De-Fer.

- Ne vous inquiétez pas maître magicien. La couronne demande beaucoup de temps et de sacrifices. Partager un verre en cette nuit de souvenir m’est agréable. Le souverain du Zagazorn prend une gorgée de ce délicieux breuvage distillé il y a plusieurs années, et reprend son discours. Le royaume se porte bien mieux que lors de votre dernière visite, et assurément mieux encore d’jours en jours. Nos frontières sont sûres, not’ peuple travail dur, les assiettes sont pleines et l’avenir est radieux. Les affres du Voile sont loins.

Harald n’était pas tout à fait sincère. Les affres du Voile mettront encore quelques décennies à être totalement oubliés, ne serait-ce qu’au point de vue des naissances et du nombre de Nains peuplant le royaume du Nord. Assurément, il n’y avait plus autant de Nains que par le passé, mais ceux-ci travaillaient au moins deux ou trois fois plus que leurs ainés afin de retrouver cette puissance du passé.

- D’grandes choses sont accomplies sur nos terres, comme vous avez pu l’constater en entrant dans la capitale sous la montagne. C’la dit, en tant qu’Ongrumthrong, j’vous confit ces informations en espérant obtenir d’vous d’les garder pour secrète. J’connais des runistes d’Molgrunn qui seraient outrés par qu’vous soyez juste dans c’te cité. Et que se passe-t-il plus loin au Sud dernièrement ? Que pouvez-vous m’apprendre ?

Bien qu’il n’en douta que très peu, Harald fut tout de même agréablement surpris de cette discussion avec le magicien humain, lequel, d’une certaine manière, se comportait à la fois comme un humain et comme un Nain. Une sensation étrange en soi, alors qu’Harald reconnaissait cette espèce d’amour, d’intérêt, de compassion même, avec les souffrances et les tourmentes subies par les Nains, et le renouveau qui s’installe depuis plusieurs années pour devenir avenir flamboyant. Quelque part, Harald comprit qu’une pensée subtile se cachait sous le léger sourire du magistère, mais les compétences de Harald en analyse sociologiques s’arrêtèrent ici, et le pourquoi du comment de ce petit sourire du vieillard ne parvint pas jusqu’à l’esprit du Roi des Nains. Au moins ne l’avait-il point prit comme une insulte, ou un manque de respect. Le visage des Nains est si impassible, que le moindre sourire ou rictus nerveux peut-être interprété de la pire manière qui soit.

- C’est bin’ vrai magistère ! Mon peuple aura souffert plus qu’aucun autre, que ce soit lors d’l’Ire d’Mogar, ou les années d’instabilités qui s’en suivirent. Mais les Dawis sont fiers et forts, et travaillent comme Holwern dans une grotte au centre du monde ! Quoi qu’il arrive à l’avenir, les Nains sont prêts, et nous r’lèverons les défis, et r’trouv’rons une puissance plus grande qu’celle d’nos aïeux.

Sans doute s’était-il légèrement emporté, point dans la voix ni l’intonation, mais dans l’espoir et la vision du futur. Mais les Nains étaient une race fière, forte et tournée aussi bien vers les valeurs du passé que vers les projets d’avenir, et si, autrefois, les projets de Harald regardaient surtout Lante et ses régions, aujourd’hui, il planifiait pour tout le royaume, sans exception.

Cependant, l’intérêt manifeste du magicien pour les runistes de Molgrunn était pleinement prévisible et prévu par le souverain. Bien qu’il ne connaisse point les mœurs et les coutumes et les désirs des autres races et nations, il savait pertinemment que les runes, et ceux qui les manipulent, étaient convoitées par tous les mages du continent. Alors, un mage aussi ancien et puissant, et ayant de telles responsabilités comme celles de Nakor, devaient être plus enclin encore à s’intéresser aux runes. Reprenant un peu de sa retenue et de sa garde, Harald répondit :

- Ip ! Les runistes s’sont r’joints à Molgrunn, mais beaucoup sont encore loin d’s’y r’trouver. Une nouvelle Grandsalle existe, et j’ouïe dire qu’un vieux forg’rune s’rait sur l’point de recrée un conseil de runiste, ou d’archirunistes. C’pendant, les travaux d’Kirgan visant à r’trouver l’ancienne Grandsalle sont toujours en cours.

Un peu de nouvelles informations, mais rien de croustillant pas même pour ce magicien. Pourvu qu’il ne tente jamais de se présenter dans la cité, Ongrumthrong ou pas. Les runistes toléraient déjà à peine l’Elfe Noire responsable de la redécouverte de cette cité antique, et pourtant, elle était elle aussi Ongrumthrong.

Les informations sur la situation du Sud, elles, étaient intéressantes. Bien-sûr, Harald ne disposant pas de toutes les informations nécessaires à la compréhension de tous les détails, mais il comptait bien les garder en tête et les inscrire encre sur vélin, afin de les garder pour plus tard. L’espace d’un instant, Harald s’imaginait sa couronne sur le crâne, penché au-dessus de vélins, écrivant des heures durant afin d’augmenter la portée de sa bibliothèque ainsi que sa diversité. Il avait compris que s’il désirait s’ouvrir sur le monde – toute proportion gardée, l’autarcie n’étant point abrogée - il lui fallait regarder autant son royaume que celui des autres, et user autant du vélin et de la plume que de la hache et du bouclier.

De plus, Harald comprenait un peu mieux encore pourquoi Artiön, le Roi des Elfes, tardait à répondre à ses missives et à se présenter sur le territoire Nain. S’il était vrai que les oreilles sombres tentaient de sombres manœuvres et s’apprêtaient à recouvrir certaines terres de leurs sombres menaces, les Elfes de l’Anaëh devaient s’y préparer. Sans doute Artiön serait encore absent pendant quelques temps.

- Je vous r’mercie d’ces informations. Vous aurez compris, sans doute, qu’l’information est importante, autant qu’une bonne hache et qu’une bière brassée ! Les frontières du Zagazorn doivent rester sûres, l’ouverture ne doit point créer d’menaces pour les Nains. Aussi, j’dois savoir c’qui s’passe au-d’là d’mes frontières. Merci d’votre honnêteté ! J’bois à la santé des Nains, et à la mort d’ces Drows. Qu’Ikthor les foudroient !

Harald avait beau être sensible aux propos du vieux magiciens, propos qu’il tenait de manière claire et forte, cela ne le détournait point de son idée, ni de sa politique, instaurée déjà par Hardrek. Oui l’isolationisme et l’autarcie permet un replie sur soi-même, mais également, une exclusion du monde. Mais le monde n’avait point besoin de connaître l’état exact de la population Naine, ni son niveau de vie, ses richesses, et encore moins ses besoins. Fermer les frontières du Zagazorn avait été une idée très judicieuse, car si le monde entier avait-eu vent de l’existence du Voile chez les Nains, nul ne pu jamais réellement comprendre l’étendue des conséquences de cette folie destructrice sur les Nains et leur société. Oui, ils avaient sans doute des amis au-delà des frontières, mais ceux-ci devaient être sans aucun doute moins nombreux que leurs ennemis. Aussi, filtrer les informations, et créer l’image d’une nation plus puissante qu’elle ne l’est réellement, aura été judicieux.

- Magistère, les Nains n’ont qu’peu d’amis au-d’là d’ces frontières, et beaucoup d’enn’mis. Combien d’humains s’raient capable d’vendre leurs père et leurs mères, pour obt’nir l’moindre gis’ment d’minerais d’chez nous ? Combien d’vos seigneurs, donn’raient leurs couilles gauche pour obtenir un objet runé ? Qu’ek-ils auraient fait ces gens-là, si les Nains s’t’aient pas r’fermés ? Y s’raient v’nus avec leurs armées, et y auraient tenté leurs chances ! Neh, c’point possible magistère, point possible.

La discussion ne pouvait être poursuivie plus avant sur ce point, car Harald, nouveau souverain, ne ferait jamais infléchir la politique autarcique autant que ce que le magicien espérait dans ses propos. Il était déjà peu évident de faire accepter à son peuple, le renouveau des ententes entre les Nains et les Elfes. Quant à la question de son insigne d’ami des nains…

- Ip, magistère ! Gardez le. C’t’attribution n’est point révolue avec la mort d’feu Hardrek Poing-D’Fer. Vous restez un ami des nains. Peut-être un jour r’deviendrez vous ami du Roi.

Et sur ces mots, Harald indiqua qu’il libérait le magicien, tendant son bras vers la sortie qui, au terme de plusieurs couloirs, mènerait le magicien vers la sortie de la cité, et vers les lointaines terres du Sud.