[MdO 2021] Ce n'est pas ainsi que j'espérais te retrouver... | Aegden & Neassa

4ème jour de la 7ème ennéade
Hiver, Verimios de l'An 17:XI

Il avait fallu qu'on le charge de ça... Ça allait que c'était Andrea qui le lui avait demandé. Il ne l'aurait pas fait pour n'importe qui. Et puis, ça avait l'air important pour lui. Cependant, il n'était pas très à l'aise à l'idée de devoir s'approcher de l'un des elfes d'Anaëh pour lui demander de le suivre sans lui donner beaucoup plus d'explications... Parce qu'il n'en avait pas beaucoup à sa disposition. Et le soir était tombé sur la cité... Histoire de ne rien arranger au côté glauque de l'affaire.

Asgëril avançait en direction des quartiers où logeaient les anedhels. A cette heure-ci, ils étaient soit couchés, soit en route pour... Voilà qui allait vachement l'aider... Arrivé dans le couloir où se trouvaient les officiers, l'archer chercha un signe quelconque d'activité et en trouva sous la forme d'un raie de lumière sous une porte. Pourvu que ça ne soit pas la chambre du Roi... Il aurait l'air de quoi ? Il s'approcha et toqua néanmoins. Il entendit alors quelques pas s'approcher et on lui ouvrit. La silhouette qui se présenta devant lui ne semblait pas être celle de l'homme qu'il cherchait. Il était censé être roux... Celui-là était blond.

-Bonsoir. Désolé de vous déranger. Je cherche un certain Aegden.

Le naélisien n'avait pas retenu les noms de tous ceux qui avaient débarqué. Il se souvenait seulement de quelques visages et avait identifié quelques grades mais c'était à peu près tout pour le moment. Une chance pour l'archer, il avait frappé à la bonne porte et un homme se présenta devant lui, ressemblant un peu plus à la brève description qu'on lui avait faite.

-Je suis Asgëril, membre de la garde de la Reine. Si l'anedhel avait une bonne mémoire, alors il se souviendrait peut-être l'avoir effectivement vu aux côtés de la souveraine en de multiples occasions. Mais ce n'est pas elle qui m'a envoyé vous trouver.

Le garde jeta un œil aux autres personnes présentes dans la pièces et recula d'un pas, invitant l'officier à le rejoindre dans le couloir, à l'abri d'oreilles indiscrètes. Il ne savait pas vraiment à qui il avait le droit de parler de ça ou non. Une fois que la porte fut refermée et qu'ils se trouvèrent seuls, il reprit.

-Vous connaissez une certaine "Lessie" ? Demanda-t-il, semblant ne pas être tout à fait certain lui-même de ce qu'il disait. C'était qu'il n'avait jamais vu la dame lui-même... Elle voudrait vous voir. Mais pour ça, faudrait me suivre hors du palais.

Et c'était là qu'il ne connaissait pas ce nom ou qu'il refusait de suivre un inconnu en ville... Il aurait l'air malin.

Aegden haussa un sourcil lorsqu’à la porte il entendit une voix à la porte demander à le voir. Le blond qui avait ouvert lui lança un regard auquel il répondit par un haussement d’épaule avant de finir par s’approcher non sans un remerciement à son camarade. L’autre fit mine de reculer, voulant visiblement échanger discrètement et le mainyth n’en fut que plus étonné. Que voulait-il le naëlisien qui impliquait tout ce mystère ?

Il eut un mot, un seul qui lui fit plisser les yeux. Son surnom, à elle.

Aegden resta un bref instant à rien dire, fixant l’étranger qu’il ne connaissait que de vue. Un étranger qui lui donnait un surnom qu’il n’aurait jamais cru entendre. Neassa-Lealla avait dit vivre dans une autre cité que Thaar, mais il était certain que ce n’était pas celle-ci…
Était-ce donc un piège ? L’homme était proche de la reine, il n’avait probablement que peux d’intérêt à s’en prendre aux alliés du petit royaume. Pourtant Aegden était d’un naturel méfiant et méfiant il resterait.

-Attendez moi.

Alors il rouvrit la porte et interpella celui qui avait ouvert en premier. S’adossant à la porte qu’il venait de refermer.

-Il voulait quoi ?

-Quelqu’un veux me voir. J’ignore pourquoi…

-Et tu vas le suivre ? Un autre le coupa avant qu’Aegden ne termine sa phrase.

-C’est peut-être important. Hésita-t-il.

-C’est surtout irresponsable, Aegden. Le blond vint se planter devant son camarade. On sait rien d’eux, il pourrait t’arriver n’importe quoi. On est en mission je te rappelle !

Il flotta un silence avant qu’Aegden ne réponde en soupirant.

-Je prendrais aucun risque si ça devient louche. Si c’est réellement important je peux pas me permettre de ne pas le suivre.

-Fait attention quand même…Finit par céder le blond avec un air pas franchement serein.

Aegden lui répondit avec un sourire et un hochement de tête. Il ne faudrait pas le lui dire deux fois…

-J’ai connu pire qu’un garde royal un peu trop zélé.

Lorsqu’il ressortit de la chambre, il lança un regard éloquent à l’autre soldat. Il le suivrait, même si c’était à contrecœur. N’aurait-il pas prononcé le surnom de sa compagne disparue qu’il ne l’aurait probablement pas suivi aussi facilement.

Et Le garde royal de prendre le chemin d’Aegden ne savait quoi… Au fond de son cœur il priait pour que ses espoirs insensés se réalisent. Neassa-Laella se trouvait-elle réellement au bout du chemin que l’homme lui faisait parcourir ?

Asgëril regarda l'anedhel disparaître à nouveau dans la chambre et refermer derrière lui pour le laisser comme un con dans le couloir. Seul face au vide, il se mit à parler à une figure imaginaire.

-Lessie ?! Oh mais oui, on se connaît depuis le jardin d'enfants ! Qu'est-ce qu'on a pu se poiler ensemble ! On se faisait des blagues, on se poussait dans les orties, on rigolait bien !

L'archer arrêta là son petit délire et soupira. Rire, ce n'était sans doute pas ce que cet homme devait faire le plus. Il avait l'air froid, presque austère. C'était peut-être sa tête qui ne lui revenait pas ? Bref, il croisa les bras et attendit que le rouquin ressorte.

-C'est bon ? Fit-il un peu contrarié lorsqu'il reparut.

C'était pour ça qu'il refusait de jouer les messagers d'habitude. Il n'avait pas la patience et n'aimait pas y mettre les formes. Surtout que cette commission-ci était pleine de mystère et, si l'elfe des bois ne le prenait pas pour un allumé comme il aurait pu le craindre, il ne lui faisait clairement pas confiance pour autant. Il avait bien fait de ne pas venir armé. Ce n'était pas terrible pour le guider dans la cité de nuit mais bon... Ils ne quitteraient pas la Ville haute après tout. Les chances qu'ils se fassent attaquer étaient donc minimes.

Asgëril conduisit alors Aegden à travers les couloirs et les cours du château. Il les fit sortir par la grande porte afin de détendre un peu plus le Commandant. C'était peut-être peine perdue, remarquez... Ensuite, il parcourut les rues de la ville sans vraiment avoir l'air d'y réfléchir. La route, il la connaissait par cœur. Ils passèrent par une ou deux ruelles un peu plus étroites mais il ne réalisa même pas que cela pourrait déranger celui qui le suivait. Il ne se retournait même pas pour le regarder, entendant à ses pas qu'il le suivait toujours.
Après avoir marché une bonne dizaine de minutes, il montra enfin son visage à l'anedhel.

-On y est.

Malgré l'heure qui s'avançait, une demeure semblait encore bien active. Là où la plupart des volets masquaient des fenêtres sombres, ceux de cette maison laissaient encore passer quelques filets de lumières sur les deux étages. Asgëril sortit une paire de clefs de sa poche en approchant de la porte et tenta de glisser l'une d'elles dans la serrure mais elle ne rentrait pas, visiblement bloquée par une autre restée sur le verrou depuis l'intérieur. Il tenta d'ouvrir mais non, c'était fermé.

-J'y crois pas... Pesta-t-il avant de frapper trois grands coups sur le pan de bois.

Une silhouette vint ouvrir presque aussitôt. C'était un être très fin au corps sec. Ses traits pouvaient laisser douter sur son sexe tant ils semblaient dotés de caractéristiques autant féminines que masculines. Si sa posture et sa robe faisaient pencher la balance en faveur d'une femme, son large décolleté sur son torse plat et glabre ne laissait pas de doute sur le fait qu'il s'agissait d'un homme. Asgëril l'accueillit avec une moue contrariée auquel le propriétaire des lieux répondit bien vite.

-Désolé. Notre ami est quelque peu paranoïaque. Puis l'elfe aux cheveux et à la peau blanche tourna ses yeux d'un bleu très clair vers l'homme qui se tenait derrière l'archer. Il le détailla rapidement du regard de la tête aux pieds puis étira un doux sourire. Elle a bon goût. Dit-il en elfique, malgré un accent notable. Puis il s'avança vers lui et lui prit la main pour la saluer, semblant finalement le jauger au plus profond de lui, à travers ses seules iris. Je m'appelle Andrea. Mais nous peaufinerons les présentations plus tard, vous devez être impatient. Aussitôt, il l'attira à l'intérieur sans lâcher sa main.

Les trois éternels pénétrèrent alors dans un couloir qui servait également d'entrée. Il desservait une pièce sur la gauche et une autre en face, visiblement le salon, de ce que pouvait en voir Aegden malgré l'humain d'un âge certain qui se tenait les bras croisés dans l'encadrement de la porte. L'éphémère la toisa à son tour de haut en bas, visiblement moins sympathique que l'elfe blanc. Mais ce dernier s'intercala entre eux pour couper court à cette situation fort peu confortable et qui lui déplaisait grandement.

-Elle est à l'étage. Fit doucement Andrea en étendant un bras dans un geste tout féminin en direction des premières marches que l'on pouvaient apercevoir à gauche de l'humain. Deuxième porte à droite. L'androgyne le laissa alors s'éloigner mais il lui fit une dernière recommandation avant qu'il n'emprunte l'escalier. Allez-y doucement. Le voyage l'a fatiguée.

Pendant tout le temps que dura leur trajet, l’elfe n’adressa pas un mot à son guide, marchant un pas ou deux derrière lui. Il était perdu entre crainte et espoir et cela n’avait rien de confortable.

 Il voulait croire que cet homme disait vrai, il voulait être certains de revoir la femme qui lui manquait temps. Mais comment ? Comment faire confiance à cet inconnu ? Comment à l’aube d’une guerre ne pas craindre un piège ? Pourquoi Neassa se trouverait-elle ici ?

Il se contentait donc de le suivre et de darder sur son dos un regard par franchement amical… quelques passages de leur chemin semblèrent un peu plus inquiétants que d’autres mais le soldat elfique ne broncha pas, se contentant de rester sur ses gardes, peut être un peu plus que nécessaire mais certaines précautions valaient le coup…

Au bout d’une dizaine de minute, le naëlisien indiqua qu’ils avaient atteint leur destination. Rien ne distinguait le bâtiment des autres si ce n’était la lumière qui en émanait çà et là. Lorsque la porte s’ouvrit, l’air du Mainyth se transforma en un mélange entre étonnement et air perdu. Qui étaient donc ces gens ?

L’androgyne étrange se présenta et avant qu’Aegden n’ouvre la bouche pour lui rendre la politesse, ce qui était inutile étant donné qu’il semblait déjà connaitre son identité, l’autre l’entraîna à l’intérieur. Un autre homme le toisa dans l’encadrement d’une porte mais le dénommé Andrea ne le laissa une fois de plus pas réagir avant de lui indiquer l’étage.

Obtempérant et hochant la tête, il se retourna tout de même vers l’elfe pâle.

-Merci ? fit-il, un air toujours quelque peu perdu sur le visage, bien que son remerciement fut sincère.

Et il se dirigea vers cette fameuse seconde porte à droite. L’espoir commençait à effacer la méfiance. Tout ces gens ne pouvaient décidément pas être mal intentionnés, ce qu’il venait de se passer n’aurait eu aucun sens.

Il avait tellement de doutes lorsqu’il frappa doucement à la porte et attendit un quelconque signe l’autorisant à entrer. Tellement de questions. A quoi tout cela rimait-il ? Qui étaient ce petit monde en bas ? Qu’était-il arrivé à sa compagne pour la retrouver ici et maintenant après des ennéades de silence ? Ces questions trouveraient-elle vraiment une réponse derrière la porte ?

Andrea regarda l'anedhel disparaître dans l'escalier et un sourire attendri étira ses lèvres. Cet homme-là était parfait. Il était vaillant, fort et visiblement aussi épris qu'attentionné. Lessie avait su attendre celui qui non seulement raviverai la flamme dans son cœur mais aussi qui saurai lui apporter tout ce dont elle avait besoin et même veiller sur elle afin qu'elle puisse enfin baisser sa garde. En terme d'honnêteté et de droiture, quoi de mieux qu'un elfe de la grande forêt, doublé d'un militaire ? L’androgyne était véritablement heureux pour elle.

Dans la seconde chambre à droite, une bougie était posée sur table d'appoint et un feu brûlait dans l'âtre. Personne ne lui laissait jamais trop le temps de faiblir afin que la température de la pièce ne baisse pas. Il faisait plus chaud ici que n'importe où dans la maison, si bien que l'on pouvait y demeurer avec bien peu de vêtements. Néanmoins, la silhouette qui se trouvait là était bien couverte. Sa robe était faite pour sortir dans le froid et un épais châle venait recouvrir ses bras et ses épaules. Assise près du feu, la jeune femme aux longs cheveux noirs s'était assoupie en regardant danser les flammes. Cependant, son sommeil léger fut interrompu par quelques coups portés sur une surface de bois.
Dans une profonde inspiration, le corps de la presque éternelle se redressa et ses paupières s'ouvrirent. Combien de temps avait-elle dormi ? Elle ne saurait pas vraiment le dire. Son esprit hagard mit quelques secondes avant de se souvenir du son qui l'avait tirée de ses songes et à comprendre que quelqu'un avait frappé. Une nouvelle inspiration. Puis une seconde... Et ses bras s'écartèrent. Ses mains se posèrent sur les accoudoirs de son fauteuil et, lentement, elle laissa ses jambes -jusque là repliées contre elle- retrouver le sol. Elle se hissa avec précaution pour se mettre debout puis se retourna pour faire face à la porte.

Son visiteur n'avait visiblement pas eu la patience d'attendre qu'elle vienne ouvrir et elle trouva son visage dans l'entrebâillement. Neassa-Laella se figea en découvrant les traits d'Aegden. Elle eut un moment d'hésitation, se demandant s'il s'agissait bien de lui et non pas d'un rêve... Puis ses yeux s'humidifièrent... De joie mais aussi de honte. Quel triste spectacle elle lui offrait... Certes, elle était propre et bien habillée. Ses cheveux étaient coiffés mais laissés totalement libres. Sa peau ne portaient plus les marques de ce qu'elle avait enduré mais elle était encore tirée et creusée par la fatigue. Elle avait repris un peu de peu poids la faim qu'elle avait connue marquait encore ses joues et sa taille si frêle. Quant à son teint, il était toujours très pâle du fait de l'anémie.

-Je suis désolée... Commença-t-elle, combattant le nœud dans sa gorge qui tentait à venir étrangler sa voix. Je ne pensais pas qu'il chercherait à te faire venir si tôt. Je ne voulais pas que tu me vois comme ça...

Elle releva le menton même si son cou tremblait légèrement du fait de la tension que représentait ce moment. Elle aurait dû être folle de joie de le retrouver mais ce n'était pas ainsi qu'elle avait imaginé cet instant... Elle voulait attendre. Attendre d'être plus visible. Attendre de pouvoir lui offrir l'accueil qu'il méritait. Attendre d'être capable de rester debout longtemps sans faillir. Elle se sentait encore si faible... Andrea pensait sans doute que c'était une bonne idée qu'Aegden soit à ses côtés pour sa convalescence mais il avait bien d'autres chats à fouetter. Il se préparait pour une guerre. Il n'avait pas besoin que sa compagne l'entrave dans sa mission.

Une main effleura sa peau et elle ferma les yeux, laissant une larme perler sur sa joue. C'était si différent et si doux de ce qu'elle avait connu ces derniers temps. Elle avait craint que le contact de son compagnon en pâtisse mais pas le moins du monde... Cette larme, c'était une larme de soulagement et de joie, même si ses traits ne parvenaient pas à sourire. Elle rouvrit les paupières en entendant sa voix. Il pleurait... Bouleversé de la retrouver et de voir dans quel état elle était, il pleurait. Elle réalisait presque seulement le temps durant lequel elle ne lui avait plus donné de nouvelles. Un mois déjà... Sa dernière lettre devait encore être sur son écritoire, attendant d'être achevée. Il avait dû mourir d'angoisse. Et ses premiers mots en étaient la preuve flagrante. En tant d'ennéades, elle aurait pu mourir milles fois.

-C'est presque arrivé... Souffla-t-elle tandis qu'une seconde larme tombait sur l'autre joue.

Aegden l'interrogea sur les évènements de ces dernières ennéades. La question devait le hanter depuis si longtemps... Elle ne pouvait pas lui en vouloir. Mais comment lui annoncer cela ? Comment lui dire qu'elle avait échoué ? Comment lui apprendre que sa prudence n'avait pas suffit ? Mais, finalement, il n'y avait pas mille façons de le dire. Alors, elle prit une inspiration, et se força à parler d'une voix presque normale, quoi qu'enrouée par le chagrin.

-Sirène a été démasquée. Au sens propre comme au figuré... Et par les adversaires parmi les plus retors que j'ai eu à affronter. Ceux-la même qui étaient aux côtés du nécromancien, dans le cimetière.

Il n'avait certainement pas oublié le soir où il l'avait attendue chez elle et où elle était rentrée tardivement et épuisée. Elle lui avait confié plus tard qu'elle avait arrêté elle-même l'homme qui avait saccagé la dernière demeure de plus d'une trentaine de mortels. Certes, pas seule. Mais elle y avait plus que grandement contribué.
Sentant son corps défaillir légèrement du fait de la fatigue et de l'intensité de ce moment, Neassa prit le bras d'Aegden et le serra plutôt fortement pour se retenir, avant de se laisser lentement retomber sur le siège qu'elle venait de quitter.

-Mais ils ne voulaient pas que moi... Ils voulaient ceux qui m'ont aidé. Et même sans mon focaliseur, il en faut beaucoup pour qu'un mage de l'esprit parvienne à entrer dans ma tête. Alors, ils m'ont affaiblie... De toutes les façons qui étaient à leur portée.

Voilà pourquoi la faim. Voilà pourquoi la fatigue. Voilà pourquoi l'anémie. Ils l'avaient privée de tout en espérant que son mental finisse par flancher. Et ils y étaient parvenus. Elle avait beau tenter de garder la tête haute, elle avait perdu ce qui semblait la rendre si stable et si constante. Le souvenir de cette épreuve la faisait visiblement flancher, la mettant au bord des larmes qui débordaient parfois de ses yeux pour rouler sur sa peau.

Il réalisa alors l’ampleur de l’horreur qu’elle avait vécu. Il eut l’impression que son sang se figeait dans ses veines alors que les pires scénarios que sont esprit inquiet avaient put imaginer devenaient bien trop réels.

Lorsqu’elle retomba dans son fauteuil, il plia les genoux pour rester à sa hauteur, ne quittant pas son visage de ses prunelles inquiètes. Ses mains se retrouvant sur ses genoux.

-Regarde-moi, fit-il d’une voix aussi douce que son précédent geste. Il tendit son bras pour sécher ses larmes. C’est fini, d’accord ? Tout ça c’est fini. Tu es en sécurité maintenant, alors n’y pense plus.

Au fond de lui, à côté de la terreur et de la tristesse, enflait une colère sourde et brutale. Un feu qui ne désirait qu'une chose, ravager ce qui causait la souffrance de celle qu'il aimait.

Il en voulait à ces gens, il en voulait à ce pays. Il en voulait à cet extérieur de dégénéré qui ne semblait exister que pour mieux détruire. Si ça n’avait tenu qu’à lui, si l’Anaëh n’était pas mise en danger par ce geste, Aegden aurait déjà envoyé à la Tourmente absolument tout ce qui n’était pas la Prime-Œuvre. Mais cette colère, il la laissait grandir au fond de lui sans rien en dévoiler. Ce n’était pas de ça dont Neassa avait besoin.

Ses mains vinrent chercher celle de la prêtresse, ses pouces les caressant tendrement.

-Une fois cette guerre terminée, on rentrera tout les deux en Anaëh. Fit-il comme s’il voulait encore la rassurer. Quelque part, il se rassurait aussi peut être un peu lui-même. Il ne pouvait plus envisager de la savoir dans ce pays destructeur. Ce n’était pas possible. Ce n’était plus possible. Ça sera chez toi. Il eut un petit rictus. Chez nous, même, si tu le veux. Et tu reprendras tes forces. Et tout ça…ne sera plus qu’un mauvais souvenir. Je te promets qu’il ne t’arrivera plus rien tant que je serais là. Il exerça une légère pression sur ses mains appuyant sa conviction. Je te le promets.

Il aurait voulu la prendre dans ses bras, comme un enfant qu’on consolait mais sa position ne le permettait pas et il ne voulait bien entendu pas la déloger d’une quelconque manière.

A la demande de son compagnon, son regard perdu dans ses atroces souvenirs se releva vers lui. Tout était fini... Cela faisait déjà plusieurs ennéades qu'on l'avait extirpée de cette cave malodorante où elle était retenue. Mais tout ne semblait être réellement arrivé à son terme que parce qu'il était là. Aussi acquiesça-t-elle d'un faible sourire. Puis il lui offrit de la mettre définitivement en sécurité. Il lui offrit de la ramener en Anaëh. Il lui offrit de construire leur avenir, ensemble. Les milles autres doutes et questions qui l'avaient empêcher de songer à un tel projet jusque là lui semblèrent bien loin désormais. Elle y repenserait, c'était certain. Mais, pour l'instant, son besoin de parvenir à se relever et de pouvoir marcher sans avoir à regarder derrière elle était plus fort que tout le reste.

Neassa-Laella ferma les yeux et de nouvelles larmes coulèrent sur ses joues, comme si elle était soulagée et même heureuse de sa proposition. Désormais, elle resterait avec lui. La seule personne avec laquelle elle s'était sentie aussi bien depuis des décennies et des décennies. Elle savait qu'il ne pouvait pas réellement lui promettre qu'il ne lui arriverait jamais rien mais elle s'en moquait. Pour l'instant, c'était que qu'elle avait besoin d'entendre, même si c'était totalement utopique. Finalement, elle hocha la tête en guise d'acquiescement.
Puis ses yeux s'ouvrirent pour retrouver le visage d'Aegden. Il était réellement là... Elle peinait encore à y croire. Pourtant, elle avait encore la sensation de ses doigts sur sa joue. Elle sentait ses mains sur les sienne, diffusant une douce chaleur dans ses bras. Mais il lui semblait encore si loin...

La prêtresse se libéra de la tendre emprise de l'anedhel sur elle pour venir poser ses mains sur ses épaules et prendre appui. Avec précaution, elle descendit de sa chaise pour se mettre elle aussi à genoux... Elle se sentait si lourde... Chaque mouvement lui était pénible et s'en retrouvait considérablement ralenti. Une fois au même niveau que le Commandant, elle se blottit contre lui. Elle sentit alors ses bras l'envelopper et, sans le vouloir, son corps tout entier s'affaissa, les forçant presque à s'asseoir pour demeurer l'un contre l'autre. Après quelques instants, la voix de la jeune femme se fit de nouveau entendre, lasse et sincère à la fois.

-Tu étais avec moi, là-bas. Dans ce monde où le jour n'existait plus, tu étais la lumière lointaine qui m'aidait à ne pas sombrer. Chaque fois que la porte se fermait... Chaque fois que la Trame s'immobilisait enfin... Tu étais là.

Presque en boule contre le torse d'Aegden, elle posa sa main à plat sur son cœur. Enfermée dans le noir, elle n'avait alors plus conscience du temps qui s'écoulait. Les heures étaient des jours. Les jours des ennéades... Et alors qu'elle avait cru être restée prisonnière un an, on lui appris que cela n'avait duré qu'une poignée d'ennéades... Et elle avait eu de la peine à l'accepter.
Elle avait déjà vu la noirceur de ce monde. Elle s'était déjà approchée du bord de la falaise, hésitant à se laisser tomber dans le vide. Il était si aisé de simplement, lâcher prise... Mais alors, elle n'avait pas de raison de résister à cette facilité qui mettrait fin à tous ses malheurs. Mais il n'y avait plus seulement elle en jeu. Il y avait lui. Il y avait eux. Alors elle avait voulu vivre, pour lui et pour le temps qu'elle voulait encore avoir avec lui.
Au chaud et en sécurité contre le Commandant, Neassa-Laella fut soudainement envahie par une immense fatigue et ses yeux se fermèrent d'eux-mêmes. Elle ne chercha même pas à lutter. Elle s'en savait incapable. En deux respirations, elle dormait...

Il eut beaucoup de peine à retenir de nouvelles larmes alors qu’elle avouait à mi-voix que c’était son souvenir qui l’avait aidé à tenir. En fait il n’y parvint pas et se mit à fixer le feu qui crépitait par-dessus l’épaule de la presque éternelle. Il sentait l’eau qui dévalait les creux de son visage mais il se refusait de le faire ressentir à sa compagne. Il pleura en silence.

Même au milieu de la souffrance la plus brutale, elle n’avait cessé de l’aimer et de penser à lui et cela lui avait servit de phare dans la nuit sans fin.

Dire qu’Aegden était bouleversé par tout ce qu’il venait de vivre ou d’entendre sans y être une seconde préparé était un euphémisme.

En tant que soldat, il avait au fil du temps développé une certaine armure pour ce genre de situation. Les gens autour de lui étaient gravement blessés, Les gens autour de lui mourraient parfois. La guerre ça n’était jamais aussi beau que certains récits pouvaient le dépeindre. Mais les gens qui souffraient avaient tous conscience des risques qu’ils avaient pris. Les gens qui disparaissaient aussi tragique cela pouvait être, ne disparaissaient pas en vain.

Neassa n’aurait jamais du vivre ce qu’elle avait vécu. Neassa n’était qu’une victime de plus de la pourriture du monde extérieur. Neassa était trop proche de lui pour qu’il ne parvienne à garder cette armure et ce sang froid requis sur un champ de bataille. Là il n’était plus un soldat, il était simplement un anedhel amoureux et inquiet.

Il la sentit s’affaisser un peu contre lui et une seconde d’inquiétude plus tard il se rendit compte qu’elle s’était simplement endormie.

Alors, dans ces larmes et cette douleur, Aegden sourit timidement. Elle semblait soudain en paix, assez en tout cas pour lâcher prise et s’endormir. Tendrement l’elfe caressa les cheveux sombres de sa belle, un geste réconfortant de plus. Prenant soin de ne pas réveiller la dame endormie, il fit tout de même en sorte de s’asseoir pour de bon sur le sol, gagnant en confort et en équilibre que n’avait pas leur précédente position.

Il ne bougea plus après cela, sa compagne toujours dans ses bras. Quitte à rester la nuit entière s’il le fallait, il ne briserait pas cette douce quiétude dans laquelle elle s’était enfin réfugiée.

Quelques coups doucereux frappèrent le bois de la porte d'entrée après une long moment. Sans attendre de réponse, le visiteur actionna le mécanisme de la poignée. Andrea apparut alors dans l'entrebâillement, se penchant tel un enfant curieux, sa longue chevelure blanche pendant dans le vide. Il trouva bien vite les tourtereaux installés à même le sol et étira un sourire attendri. Sur la pointe des pieds et avec une démarche quelque peu efféminée, il s'approcha à pas de loup. Une fois arrivé à leur hauteur, il s'accroupit, pliant ses bras afin qu'ils se trouvent entre ses jambes et son torse. Il observa la jeune femme dormir et pencha la tête sur le côté d'un air nostalgique.

-Cela fait bien longtemps qu'elle n'a pas dormi aussi paisiblement. Déclara-t-il à voix basse, ses souvenirs remontant bien plus loin que le mois qui venait de s'écouler.

L'elfe blanc releva ensuite les yeux vers le Commandant et il fronça brièvement les sourcils en découvrant ses joues plus pavées de sel que celle de Lessie. L'émotion provoquée par leurs retrouvailles avait visiblement été plus forte que ce à quoi il s'attendait. Sans ajouter quoi que ce soit, il se leva et se dirigea dans le coin de toilette dissimulé derrière un paravent. On entendit alors un peu d'eau s'écouler dans une bassine avant que l'androgyne ne paraisse de nouveau. Il reprit sa position précédente et étendit un bras en direction du roux afin d'essuyer ses joues avec un linge légèrement humide. Son geste pouvait paraître étrange, surtout venant d'un homme doublé d'un étranger, mais il se voulait paternel plus qu'autre chose. Cependant, Aegden ne sembla pas totalement apprécier son initiative, peut-être gêné par cette proximité. Plutôt que de se laisser faire, il tandis une main pour lui demander de lui confier le linge et le laisser se débrouiller, se mettant par la même occasion dans une position un peu plus bancale avec sa bien-aimée endormie contre lui. Andrea suspendit son geste et le sermonna du regard un instant mais il n'insista pas. Il n'avait nulle envie de l'offusquer. Alors il lui confia le bout de tissu puis replaça son bras contre lui.
Toujours à vois basse, il poursuivit.

-Elle a de la chance de vous avoir. Observa-t-il, un doux sourire aux lèvres. Peu de personnes parvenaient à trouver un amour aussi sincère que celui qui semblait unir ces deux êtres. Lorsque le militaire eut terminé, l'elfe blanc détailla son visage d'un air satisfait puis baissa les yeux sur la prêtresse qui dormait toujours à poings fermés. Vous allez l'emmener, n'est-ce pas ? Demanda-t-il d'un air plus triste après quelques secondes de silence. Cela lui demandera un temps d'adaptation mais elle a le cœur d'une anedhelle. Depuis la mort de sa mère, elle a toujours été triste ici. Elle est persuadée que sa place ne se trouve nulle part en ce monde. Elle a appris à s'en cacher à travers la chasse et la prêtrise mais elle se sent seule... Il porta à nouveau son attention sur le Commandant, étirant un sourire sans joie. Ce n'est pas faute de l'avoir invitée à vivre auprès de moi.

Lorsque des coups retentirent à la porte, les oreilles de l’elfe se haussèrent et il tourna la tête dans la direction de l’androgyne qui s’approchait doucement. Si ce n’était évidemment pas la grande joie, il avait cessé de pleurer depuis un moment, se laissant porter par ce même calme qui berçait le cœur de l’endormie.

Il ne répondit pas à son commentaire. Pas par méchanceté ni impolitesse, mais parce qu’il ne savait pas quoi répondre…Il ne l’avait jamais observée endormie jusqu’à maintenant.

L’autre s’éloigna avant de revenir avec un tissu humide et voulu l’aider mais Aegden l’en empêcha, soutenant Neassa d’une main et tendant l’autre pour obtenir le morceau de tissus. Il rendit un regard contrit au regard réprobateur de l’elfe blanc. Il n’arrivait tout simplement pas à s’y faire et les bonnes intentions d’Andrea n’y changeraient rien. Il préférait le froisser et lui demander l’objet plutôt que de risquer un mouvement de recul incontrôlé alors qu’il tenait encore la prêtresse dans ses bras.

-Oui. Répondit-il simplement à sa première question. C'est le seul endroit où elle sera heureuse et en sécurité. Un vague sourire vint éclairer son visage abîmé. Vous auriez dû la voir la dernière fois. Elle avait l’air si…épanouie.

Il se tut et Andrea enchaîna. Aegden suivis sont regard vers sa bienaimée, caressant encore une fois ses cheveux avec tendresse. Et il se rendit compte qu’il ignorait encore pas mal de chose à propos d’elle. Chose qu’Andrea semblait, lui, connaitre.

Il lui lança un regard du coin de l’œil, hésitant puis finissant par le fixer pour de bon.

-Qui êtes-vous ? Demanda-t-il. Je veux dire…Pour elle.

C’était assez intrusif comme question, et Aegden avait un peu honte de lui demander ainsi mais il ne pouvait s’empêcher de se demander quels pouvaient être leur lien pour qu’il lui ait proposé de vivre avec elle.

-Je n'en doute pas un seul instant. Répondit Andrea concernant le fait qu'elle serait plus heureuse en Anaëh. Les complots, les crimes, la pauvreté... Sans parler de la mort. Elle est pleine de bonté mais il y a trop de souffrance et de violence dans ce monde pour son cœur bienveillant. Tout cela l'épuise et l'affaiblit, je le sais. Elle est bien moins solide qu'elle veut le faire croire.

Il ne la voyait que rarement mais il savait cerner les gens avec rapidité et justesse. Il la connaissait par cœur... De la même manière, il vouait déjà une confiance infinie à Aegden. Le peu qu'il avait pu voir de lui lui avait suffit pour être certain de l'amour qu'il portait à Neassa-Laella. Un amour qui le rendrait aussi loyal que dévoué envers elle. Un elfe de la grande forêt, c'était certainement cela dont elle avait besoin... Et il était de plus en plus curieux de savoir comment ils avaient bien pu se rencontrer.

A la question du Commandant, l'androgyne releva des yeux étonnés vers lui puis son expression se radoucit aussitôt. Il n'était pas étonnant qu'elle ne lui ait jamais vraiment parlé de lui. Il la connaissait si bien, pourtant il ne faisait pas partie intégrante de sa vie. Et cela n'était pas de son fait. Elle se tenait éloignée de lui autant qu'elle le pouvait cependant la nécessité l'avait conduite dans sa maison quelques jours plus tôt.
Andrea baissa le regard pour observer encore la belle endormie. Ses yeux se teintèrent de tendresse et de nostalgie. Une affection sincère se lisait sur ses traits, mais bien différente de celle que l'anedhel avait pour elle.

-Je revois un peu de sa mère lorsque je la regarde. Elle a ses yeux et ses lèvres. Elle était belle, elle aussi. Elle est venue me trouver à une époque où elle avait besoin d'attention, et je lui en ai donné. Puis elle m'en a réclamé de plus en plus, allant jusqu'à me demander d'arrêter de travailler. J'ai refusé et pas seulement parce qu'on ne peut vivre sans emploi ici. J'aime mon travail. Cela l'a rendue jalouse et en colère, alors elle est partie en l'emportant avec elle. Lessie ne me voit que comme sa mère m'a dépeint. Égoïste. Plus préoccupé par ses désirs et ses clients que par sa famille. Elle n'est venue me trouver que parce qu'elle avait besoin de soins et d'un endroit où se cacher et que je pouvais lui offrir les deux. Personne ne peut faire le lien entre nous parce que personne dans sa vie ne sait que j'existe. Pourtant, je ne lui en veux pas. Ce n'est pas sa faute si elle m'a toujours rejeté. Quant à moi, j'ai veillé sur elle bien plus qu'elle ne le croit au fil des siècles.

Andrea ne faisait montre d'aucune rancœur quelle qu'elle soit. Tout en lui n'était que douceur. Son expression, son attitude, sa voix... Il leva à nouveau les yeux vers Aegden. Nul doute qu'il avait compris qui il était à présent. Et, s'il observait bien ses traits, il y retrouverait certainement quelques uns de sa bien-aimée. Les pommettes saillantes, la mâchoire fine et anguleuse, le nez très légèrement retroussé...

-Chose que je ne pourrais plus faire si vous l'emmenez. Mais quelque chose me dit que je n'aurai plus besoin de m'assurer qu'elle va bien désormais.

-Oh…

Aegden fixa l’androgyne. A bien l’observer c’est vrai qu’il lui ressemblait un peu…

Les propres pommettes du soldat et le bout de ses oreilles pointues virèrent au rouge, contrastant vivement avec le reste de sa peau pâle. Il avait pensé à un ami proche, un frère, un ancien amant peut être. Mais ce qu’il venait de comprendre il ne l’avait pas imaginé une seule seconde.

Il y avait beaucoup de façon d’imaginer la manière de rencontrer les parents d’un être aimé. Assis à même le sol dans une chambre aux beau milieu d’un pays étranger bientôt en guerre n’en faisait pas partie.

Et il venait littéralement de lui confirmer qu’il comptait emmener sa fille loin d’ici, loin de lui par la même occasion…

-Je…Il afficha un air contrit alors que son visage retrouvait lentement sa teinte naturelle. Je suis désolé. Je n’avais pas l’intention de vous rappeler de mauvais souvenirs.

Il était difficile pour lui, Anedhel, de concevoir une relation entre un père et son enfant autrement que ce qu’il avait connu, même brièvement et par conséquent il ne pouvait qu’imaginer qu’Andrea aurait du mal à vivre ce genre de séparation totale. Quand bien même semblait-il serein et confiant envers lui.

-Je prendrais soin d’elle, soyez sans crainte. Fit-il à mis voix en posant une nouvelle fois ses prunelles sur l’intéressée.

Était-ce encore à prouver à quel point il l’aimait ? Si ce n’était ses précédentes larmes, pas un geste ne laissait envisager du contraire il en était lui-même conscient mais ne pouvait s’empêcher de vouloir rassurer l’elfe blanc.

Andrea étira un sourire pour signifier à l'anedhel qu'il n'y avait pas de mal. Il avait fait le deuil de cette relation depuis bien longtemps déjà. Et il lui en restait l'essentiel : ses souvenirs et Lessie.

-Tout va bien. Il regarda sa fille. C'est ce qu'elle me reproche d'ailleurs. Je vis ma vie pleinement et je ne connais ni le regret, ni le chagrin. C'est une chose qu'elle n'arrive pas à concevoir.

L'androgyne aurait eu tellement de choses à dire. Contrairement à la jeune femme, il était assez bavard et parlait aisément de sa vie, de ses expériences, de son passé, de ses épreuves. Celles que Neassa-Laella avait traversé semblaient plus difficiles que les siennes mais c'était parce qu'elle les abordait différemment. Il avait toujours su trouver l'espoir, même quand tout semblait perdu. Elle, il avait fallu le lui montrer pour qu'elle le trouve et s'y raccroche coûte que coûte. Mais peut-être Aegden ne savait-il pas tout cela. Andrea en était même presque certain. A sa connaissance, leur idylle était tout récente et, même s'ils étaient profondément épris l'un de l'autre, il n'était guère aisé d'aborder un sujet aussi douloureux et inquiétant avec l'élu de son cœur. Quoi qu'il en fut, ce n'était pas à lui de l'évoquer avec le Commandant.

Les derniers mots du Taledhel lui étirèrent un nouveau sourire. Il avança son bras mais, cette fois, pour venir poser sa main sur celle de son... gendre ? C'était peut-être un peu tôt pour l'appeler ainsi. Puis il planta son regard assuré dans le sien.

-Je n'en doute pas une seule seconde.

Nulle menace dans ses paroles. Seulement de la confiance. Il avait perçu son inquiétude à son arrivée. Il avait décelé l'espoir dans ses yeux lorsqu'il lui avait indiqué le chemin vers sa bien aimée. Il avait vu la preuve de son affection sur ses joues en venant vérifier qu'ils ne manquaient de rien. S'il devait confier son enfant à quelqu'un, il était heureux que ce soit lui.

-Je n'aurai pu espérer mieux pour elle.

Il lâcha alors la main de l'anedhel, lui reprenant le linge humides. Puis il les observa dans leur posture actuelle et Andrea s'interrogea rapidement sur leur confort. Aegden faisait tout pour que sa compagne soit au mieux mais lui ne finirait pas la nuit dans un bon état. Ses membres s'engourdiraient et son dos deviendrait vite douloureux. Il indiqua alors la large couche d'un rapide regard.

-Vous savez qu'il y a un lit, juste là ? Il serait si facile pour un homme tel que lui de la soulever et de la porter sur quelques pas. Elle en serait à peine dérangée, à part au moment où il tenterait de se remettre debout. Cependant, elle était si épuisée qu'il serait aisé d'imaginer qu'elle bronche à peine. Mais il se trouvait peut-être tout simplement bien ainsi, en ayant Neassa-Laella dans ses bras. A moins que vous ne souhaitiez la garder contre vous. Interrogea l'elfe blanc d'un air légèrement amusé.

Mine de rien la sollicitude de celui qui se trouvait être le père de sa bien aimée toucha Aegden. L’elfe blanc semblait lui vouer une réelle confiance et se montrait bien intentionné à son égard alors même qu’ils ne se connaissaient que depuis très peut.

Un instant, la curiosité le poussa à se demander ce que l’androgyne avait bien put apprendre de lui de la part de Neassa, puisqu’il savait visiblement déjà qui il était et une part de leur histoire avant même de le rencontrer pour de bon. Cependant il n’osa pas verbaliser cette interrogation. Cela aurait été probablement trop gênant pour tout deux.

Et puis Andrea lui fit remarquer la présence d’un lit dans la pièce. Sous entendant qu’il n’était pas obligé de passer la nuit dans la position qu’il avait tant bien que mal adoptée. S’il ne ressentait encore pas de gêne malgré le temps qui avait passé, il savait qu’il risquait fort quelques courbatures lorsque le matin finirait pas apparaître et ce n’était pas le moment de mettre son corps à l’épreuve.

Cependant…

-J’avais peur de la réveiller. Elle a l’air à son aise comme ça. Un nouveau sourire étira ses lèvres. Et...j’en avais aussi besoin. Ajouta-t-il un peu plus timidement avant de fixer à nouveau son interlocuteur. Mais je crois qu’elle dort trop profondément pour se rendre compte du déplacement et elle sera sans doute mieux allongée confortablement…

Alors il raffermit doucement sa prise pour secouer le moins possible l’endormie, et posa ses pieds contre le sol, forçant sur ses longues jambes pour se retrouver debout. Comme quoi, on trouvait des utilités insoupçonnés à un entraînement aussi régulier que celui du soldat danseur…

Et avec toute la délicatesse dont il pouvait faire preuve, il déposa la prêtresse sur le matelas, veillant à la couvrir avec les diverses couvertures présentes, puisqu’elle semblait avoir besoin de chaleur.

-En revanche, j’aimerais rester encore un peu auprès d’elle. Demanda-t-il à moitié à Andrea.

La laisser seule pour cette nuit, n’était à vrai dire que difficilement envisageable pour Aegden. Elle avait souffert, et notamment de solitude. Il voulait que même endormie elle n’en souffre plus. Et au moindre problème il serait là pour veiller sur elle comme il l’avait promis autant à elle qu’à son père.

Tandis que le Commandant se levait, Neassa-Laella avait légèrement froncé les sourcils, se blottissant un peu plus contre son bien-aimé comme si elle craignait de se voir arrachée à un cocon protecteur. Puis elle ne bougea plus, le militaire faisant preuve d'une grande douceur dans ses gestes. Elle se laissa recoucher sans la moindre réaction. Sa respiration était paisible, quoi qu'un peu plus rapide que la normale du fait de son état de santé général. Andrea préférait la voir ainsi. Même si la jeune femme avait toujours mis de la distance entre eux, cela ne l'empêchait pas de l'aimer comme un père et de souffrir de la voir en si mauvaise posture et de savoir ce qu'elle avait enduré.

L'androgyne regarda Aegden alors qu'il venait de lui demander à pouvoir rester. Il se dégageait de lui une aura à laquelle sa fille était visiblement sensible. Elle qui jusque là avait dormi d'épuisement plutôt que réellement pour se reposer, elle semblait apaisée par sa simple présence alors que ses souvenirs d'horreur étaient encore vivaces dans son esprit. Alors ce n'était certainement pas lui qui lui demanderait de partir...

-Lorsque je lui ai dit que le Roi des elfes était à Naelis, elle a immédiatement su que vous aussi. C'est là qu'elle m'a annoncé votre existence, pour que je trouve un moyen de vous contacter. Mais elle souhaitait attendre pour vous voir. Elle ne voulait pas que vous ayez à vous préoccuper d'elle en plus de la guerre en marche. C'est moi qui est pris la décision de vous faire venir parce que je savais que si vous l'aimiez vraiment, vous ne la laisseriez pas s'en sortir seule et que votre présence serait bénéfique à son rétablissement. Il s'approcha alors et posa une main sur son épaule. Restez aussi longtemps que vous le voudrez. Vous serez toujours le bienvenu chez moi.

"Chez lui", et non pas "ici". Car ici, ce n'était que sa maison. Il y avait aussi ses établissements, que ce soit en cette cité, à Baaz'Hima ou à Thaar à présent. Certes, un anedhel ne s'y sentirait sans doute pas à son aise mais il saurait toujours y être en sécurité. Andrea ne connaissait pas le compagnon de sa fille depuis bien longtemps mais il en savait désormais assez pour décider s'il l'acceptait dans sa maison et dans sa famille.

-Si vous vouliez bien nous rapprocher ce guéridon et ces chaises... Demanda-t-il en désignant les fauteuils qui se trouvaient devant l'âtre et entre lesquels le couple était assis la minute d'avant. Je vais nous faire un peu de thé.

Andrea sortit alors et revint au bout d'un petit moment, les bras chargés d'un plateau de bois. Il le posa sur la commode et servit deux tasses. Puis, saisissant les coupelles, il vint les poser sur le guéridon installé entre les fauteuils. Il rapprocha enfin une petite assiette de biscuits et vint s'asseoir aux côtés du militaire. Il releva ses jambes pour les replier contre lui, posant ses pieds sur l'assise. Enfin, il prit sa tasse de ses deux mains et tourna son regard vers l'anedhel.

-Je suis curieux de savoir comment vous vous êtes rencontrés. Est-ce pendant le séjour qu'elle a effectué en Anaëh il y a quelques mois ?

Pour un homme que sa fille rejetait, il savait bon nombre de choses à son sujet mais ce n'était certes pas elle qui lui avait parlé de ce voyage. Il avait trouvé d'autres moyens de veiller sur elle sans qu'elle le sache afin qu'elle n'en prenne pas ombrage et même elle ignorait comment il faisait pour savoir tout cela.

Un pli amusé apparut sur le coin des lèvre du soldat tandis que des fossettes se creusaient sur son visage. Andrea semblait bien loin d’imaginer la véritable histoire de sa rencontre avec sa fille. Qui pouvait bien envisager un tel enchaînement d'événements après tout ?

-Non, on se connaissait déja à ce moment là.

Aegden ne se sépara pas de son sourire mais une étincelle de tristesse apparu une demi-seconde dans son regard. Il n’avait pas très envie de se rappeler de cette période que ce fut pour les pénibles retrouvailles qui eurent lieu autant que parce qu’il n’était pas revenu si indemne que cela de la mission qui l’avait empêché de désamorcer l’un des pires quiproquo de sa vie.

Alors bien vite, il mit cela de côté et expliqua à Andrea :

-J’ai été missionné en Ithri’vaan il y a maintenant quelque temps. Pour des raisons que je peux difficilement évoquer. Précisa-t-il en espérant qu’Andrea comprendrait. Et je me suis retrouvé dans une situation compliquée. Des gens en voulaient à moi et mes compagnons, d'être...Nous. Des anedhels. Des être animés par autre chose que la soif de violence et de domination. Il haussa les épaules, relativement indifférent à la bêtise qui avaient été celle des Thaaris. Neassa à voulu nous protéger. 

Les yeux du commandant brillaient alors qu’il se souvenait au combien elle avait été spéciale cette soirée. 

-Je ne pouvais pas me permettre de la laisser prendre un coup, alors je l’ai emmenée loin du danger. Elle pensait que je n’était qu’un danseur. Expliqua-t-il. Alors nous avons dansé.

Maintenant encore il se souvenait de chaque pas, chaque mot, chaque regard qu’ils avaient échangés. Il se souvenait avoir l’espace d’un instant oublié l’existence même du reste de la foule. Il s’était perdu dans sa propre danse comme rarement.

-Je ne pensais pas la revoir après ça. Son regard se tourna encore vers l’endormie. Mais la volonté d’Arcamenel est imprévisible.

Andrea eut un sourire amusé puis rêveur en écoutant le discours d'Aegden. Il ne lui en voulait pas de ne pouvoir tout lui révéler, il n'avait pas besoin de savoir pour quelle raison ses pas l'avaient conduit en Ithri'Vaan la première fois. Tout ce qui l'intéressait, c'était son histoire avec Neassa-Laella. Et il finit par avoir sa réponse. Son récit le toucha. Qu'elle prenne leur défense ne le surprenait pas le moins du monde. Cela faisait partie de la femme qu'il avait décrite un peu plus tôt. Le cœur généreux et plein de bonnes volontés. Prête à se mettre en danger pour protéger les autres. En revanche, ce qui les avait attiré l'un vers l'autre l'étonnait davantage.

-Eh bien... Une danse suivie d'une seconde rencontre impromptue... Pour quelqu'un qui n'apprécie guère Arcam, elle s'est aisément laissée portée par ses jeux. Peut-être que votre rencontre lui aura offert une autre vision de ce Dieu si malicieux.

Il observa sa fille quelques instants avant de se tourner à nouveau vers Aegden. S'il s'était fait passer pour un artiste, alors c'était sans doute qu'il en avait la capacité sans quoi il n'aurait pu tromper personne. En revanche, il n'avait pas connaissance des compétences de Lessie en la matière. Il n'avait jamais pu lui enseigner quoi que ce soit, lui qui était versé dans toutes les activités de la divinité des arts et des passions.

-Et comment s'en sort-elle dans vos bras ? Demanda-t-il, la tête tournée vers le côté et le regard aussi curieux que malicieux. Il avait bien conscience que sa question pouvait prêter à confusion mais il se tenait prêt à apporter quelques précisions afin de dissiper le malentendu. Il demeura là, les yeux rivés sur le jeune homme, attendant avec une impatience luisante dans ses prunelles. C'était une facette de sa fille qu'il ne connaissait pas du tout. Dès qu'Aegden lui eut répondu, il ajouta. J'aimerais beaucoup la voir danser un jour. J'espère que l'occasion se présentera avant que vous ne partiez sinon j'ai bien peur de ne jamais pouvoir admirer Lessie ainsi.

Si Andrea savait que Neassa-Laella avait pu se rendre jusqu'en Anaëh, il doutait pouvoir en faire autant un jour. Il n'était pas irrespectueux envers les anedhels et leur culture mais plutôt curieux. Cependant, il faisait partie d'Ithri'Vaan bien plus que sa fille. Il aimait la vie qu'il menait, faite de plaisirs en tout genre, et paraîtrait dissident aux yeux des elfes de la forêt.

-Quand a-t-elle découvert que vous n'étiez pas ce que vous prétendiez être ?

La question de l’elfe blanc, Aegden n’y perçu pas une seconde le moindre potentiel sous entendu. Peut être était-ce le si chaste mode de vie elfe en comparaison aux terres vaanies ou bien le fait qu’il n’y avait aucune raison pour que la discussion prenne ce genre de tournant, toujours est-il que cela ne vient absolument pas à l’idée de l’elfe qui répondit alors sans aucun problème après avoir finalement goûté le breuvage apporté par son hôte.

-A vrai dire, le contexte faisait que je m’attendais à devoir guider une parfaite débutante. Mais elle s’en est très bien sortie. Elle à une grâce naturelle mais je ne vous apprend rien.

Et la réaction de l’androgyne de refaire sourire l’elfe danseur. Il reprit une gorgée du thé que mine de rien il semblait apprécier avant de répondre.

-Au cas où ça ne se devine pas, j’aime danser.Fit-il avec une pointe d’amusement. Je ne sais pas si l’occasion se présentera malheureusement mais si elle venait à l’être ça me fait toujours plaisir.

Le silence retomba un court instant avant que l’androgyne ne pose une autre question qui fit bien moins sourire Aegden. Celui-ci sentit à nouveau la honte l’envahir alors qu’il se penchait pour reposer la petite tasse sur son plateau.

-Trop tard, Il soupira. Il ne voulait pas y repenser. J’ai été forcé de lui cacher la vérité, pour les même raisons qui m’ont poussé à me retrouver missionné. Elle ne l'a appris qu'à son voyage dans nos terres. Et ça à été un moment...difficile.

Il fixa un point invisible derrière les flammes qui s’élevaient mollement et se tut. Difficile de continuer. Difficile d’avouer qu’il avait failli lui briser le cœur et le siens avec.

Andrea ne sut si Lessie savait ou non danser avant de rencontrer son compagnon. En revanche, elle semblait avoir un don naturel et l'androgyne releva le menton, à la fois satisfait et fier. Elle tenait peut-être enfin quelque chose de lui. Car il avait quelques dons lui aussi... Il ignorait qu'elle aussi savait assez bien jauger les gens. Certes pas avec autant d'aisance que lui mais elle se trompait rarement malgré tout. Cependant, les arts, c'était la dernière chose dans laquelle l'androgyne espérait la voir exceller.

Aegden évoqua ensuite son aveu quant à son identité. Il regretta d'apprendre que cela n'avait pas été une simple discussion emprunte de surprise et de confidences. Il voyait à travers le regard du jeune homme que cela avait été bien pire et qu'il ne lui disait pas tout. Et il n'irait pas chercher à savoir ce qu'il n'avait pas besoin de connaître. Car il y avait une autre chose qui lui semblait évidente et qui transparaissait dans le fait qu'elle avait évoqué son existence à son père et qu'il lui apportait tant de réconfort en cette période difficile.

-Mais un moment que vous avez manifestement surmonté. Et qui n'a fait que rendre votre couple plus fort, j'en suis certain.

L'elfe blanc étira un sourire doux et apaisant. Chaque geste, chaque regard que le militaire avait pour Neassa-Laella était plein de tendresse et d'affection. Elle était venu s'endormir dans ses bras et il l'avait gardée contre lui alors qu'il n'aimait manifestement pas qu'Andrea se montre trop proche physiquement. Certes, le visage semblait avoir été un geste de trop mais il demeurait malgré tout plutôt distant, visiblement peu habitué à la proximité physique. Pour qu'il partage un lien aussi "intime" -pourrait-on dire- avec sa fille, c'était que leur relation avait dépassé cette épreuve du mensonge pour aller plus loin encore.

-Et vous ? Saviez-vous pour sa double vie avant ce soir ? Questionna-t-il, un peu curieux de connaître la réponse.

-Elle m’en a parlé au moment où nous nous somme...expliqués. Confirma-t-il. Il se recala dans son siège, et fixa à nouveau son interlocuteur. Je ne peux pas le cacher, ça m’a mis un coup. Je m'inquiétais déja beaucoup pour elle.

Un nouveau rictus sur son visage ne laissa pas l’ombre d’un doute sur ses pensées. Il ne s’était pas inquiété dans le vent et ça le contrariait.

-Je n’avais aucun reproche à lui faire à propos de ça, pourtant. Continua-t-il. C’était son choix, sa vie et je n’avais pas à essayer de lui faire changer d’avis. Elle m’a fait confiance pour partager avec moi, c’était déja plus que je n’avait l’impression de mériter…

Elle avait choisit d’accepter de l’entendre puis de le croire. Et cela déjà Aegden ne s’y attendait pas lorsqu’il avait vu la colère et la douleur dans son regard. Et puis après que l’orage soit passé  elle lui avait confié un secret qu’elle ne partageait qu’avec de rares personnes. Pouvait-on trouver plus forte preuve de confiance ?

En cela le père de sa compagne avait raison, cette épreuve ils l’avaient bel et bien surmonté, même si Aegden s’en voulait encore en y repensant.

- Et puis je suis soldat. Elle aurait eut exactement les même choses à me dire.

Ils avaient tout les deux choisit une vie de risque et cela aurait fait partie de leur relation que de se faire mutuellement confiance quand à leur capacité à pouvoir se débrouiller l’un sans l’autre.

-Mais je crois que cette vie sera derrière-elle maintenant. C’est pour le mieux.

Et au fond il priait tout les dieux de ne pas se tromper. Il priait pour que Neassa soit réellement heureuse là bas avec lui. Pour qu’elle ne regrette pas ce qu’on lui forçait d’abandonner.

-Je lui avais déjà proposé de rester à l’époque d'ailleurs. Il ajouta pensif. Mais les choses étaient différentes.

Blotti sur sa chaise, les mains couvant sa tasse qu'il vidait tout doucement, Andrea écoutait Aegden lui expliquer comment il avait su pour "Sirène" et comment il avait réagi aussi. Qui ne se serait pas inquiété pour la jeune femme en tenant un tant soit peu à elle ? Cependant, il ne semblait pas tout à fait comprendre ce qu'elle perdrait en l'accompagnant en Anaëh. Il souhaitait que tout danger reste derrière elle mais elle n'abandonnait pas que les risques de la chasse.

-Je sais que les profanes ne comprennent pas bien la magie mais vous aimez la danse paraît-il. Remarqua-t-il d'un air doux et amusé. Alors voyez la magie comme un art de plus. Une passion. Et celle de Lessie ne peut s'exprimer qu'en présence d'autres mages...

Avec délicatesse, il voulait lui faire comprendre un point essentiel de la vie de sa fille. Si elle s'était engagée dans la prêtrise avant de commencer les chasses, c'était bel et bien la traque qui lui avait le plus redonné le goût de vivre après la mort de sa mère. Elle aimait les défis et n'était pas dénuée d'orgueil lorsqu'il s'agissait de ses capacités. Et, étant donné ses talents, elle n'avait pas tout à fait tort d'être aussi fière d'elle. Même si cette dernière mésaventure devait sans nul doute l'assagir sur la question, il doutait qu'elle parviendrait à mettre tout son passé de chasseuse de prime dans une boîte à et l'enterrer au plus profond d'elle-même.

-La prêtrise est une vocation, elle lui permet de venir en aide à son prochain. Mais il y a d'autres moyens de se montrer bienveillant et je ne doute pas qu'elle saura se rendre utile auprès des vôtres et s'intégrer au mieux. Mais en ce qui concerne la magie...

En acceptant de le suivre, Lessie perdrait tout. Ou plutôt, elle devrait renoncer à tout. A ses biens, à ses amis, à sa ville, à ce qu'il lui restait de famille, à Tyra... S'il y avait une chose à laquelle elle pourrait se raccrocher, alors elle le ferait. Comme elle l'avait toujours fait. Et rien ne l'empêchait de continuer à être une mage.
Andrea étira un sourire qui se voulait rassurant.

-Continuez à lui faire confiance. Au moins, il y aura toujours quelqu'un pour assurer ses arrières désormais.

Que ce soit lui ou un autre de ses compatriotes, l'androgyne savait que les elfes se comportaient comme une famille très soudée. Sa fille n'était peut-être pas entièrement de sang elfe mais il ne lui manquait que quelques détails pour pouvoir se proclamer des leurs. Elle avait toutes les qualités pour faire une excellente anedhelle, il n'en doutait pas un seul instant.
Finalement, Andrea posa sa tasse à moitié vide. Son thé était tiède et il le trouvait pratiquement imbuvable ainsi. Cependant, plutôt que d'aller se resservir depuis la théière encore fumante, il posa ses pieds au sol et plongea son regard clair dans celui d'Aegden.

-Lessie ne le fera sans doute pas. Mais si vous aviez l'occasion de me tenir informé des évènements majeurs qui ponctueront sa vie... Je vous en serais infiniment reconnaissant.

Il n'évoqua pas ses pensées à voix haute mais il en avait beaucoup. Il songeait à leur maison, à son nouveau métier, à leurs fiançailles, à leurs enfants... Autant de sujets auxquels le militaire ne songeait peut-être pas encore et Andrea ne voulait pas que ces idées germent dans son esprit alors qu'il n'y était pas encore prêt. Leur histoire était trop belle pour qu'il vienne l'entacher d'une quelconque manière.

********

La nuit touchait à sa fin. Les nuages couvrant le ciel n'empêchaient en rien la lumière de poindre, fortement aidée par les toits tapis de neige. La maison était silencieuse et sombre à présent. Le second fauteuil près du lit de Neassa-Laella était vide et froid. La discussion avait continué encore un moment avant que l'elfe blanc ne sorte en suggérant à Aegden de se reposer un peu. Alors que le sommeil de la jeune femme était habituellement ponctué de cauchemars, elle semblait dormir à merveille, la présence de son compagnon n'étant sans doute pas étrangère à cette amélioration.
Sous les couvertures, la frêle silhouette de la prêtresse s'anima très légèrement. Elle plongea un peu plus sa tête dans son oreiller. Son esprit encore dans les brumes de la nuit, elle avait temporairement oublié sa visite de la veille. Et elle aurait eu du mal à croire qu'elle avait été réelle si elle n'avait pas finalement ouvert les yeux. Clignant quelques fois des paupières pour humidifier ses cornées asséchées, elle finit par y voir suffisamment net pour deviner les contours de la silhouette affalée sur la chaise juste en face d'elle. Elle reconnut ses cheveux roux, les contours de son corps et ces fines cicatrices sur sa joue faiblement éclairée. Elle étira un tendre sourire et se risqua à extraire un bras de son cocon de chaleur. Elle l'étira jusqu'à atteindre la main la plus proche. Ses doigts caressèrent sa peau avec douceur, telle une plume effleurant une surface quelconque. Il était resté... Et il ne pouvait imaginer la joie que cela lui procurait.

Le temps avait passé et la conversation avec Andrea avait continué un moment avant qu’elle ne finisse par se tarir et l’elfe blanc s’était éclipsé. Aegden n’avait lui pas bougé, veillant sans relâche sur sa belle. 

Bien vite il s’était perdu dans ses pensée, ressassant un peu tout ce qu’il venait de se passer. Mine de rien la soirée avait été chargée en émotion et en surprise… Et puis vint le moment où son corps décida que s’en était assez. Sans vraiment s’en rendre compte l’elfe avait piqué du nez et s’était finalement endormis dans le fauteuil.

Lui qui trouvait aussi difficilement le sommeil depuis quelques temps ne se réveilla pas une seule fois non plus de ce qu'il restait de la nuit. Les rayons du soleil éclairant une partie de son visage lorsque le matin vint ne le dérangèrent pas plus. Sa main s’agita pourtant, lorsque des doigts féminins virent y déposer une douce caresse. Quel que fut le rêve qu’il était en train de faire, il sentait ce nouveau contact au travers.

Il s'écoula quelques seconde sans que rien ne se passe... et puis, ses oreilles s’agitèrent et, une respiration plus profonde que les autres plus tard, l’elfe ouvrit finalement les yeux. Il eut l’air perdu un bref instant avant d’émerger pour de bon et un doux sourire similaire à celui de sa compagne apparut alors sur son visage.

Il se redressa un peu dans le siège. En s’endormant il avait légèrement glissé. En revanche il ne laissa pas filer la main aventureuse, pas tout de suite, la prenant doucement entre les siennes.

-Bonjour... Fit-il tendrement.

Il était soulagé de voir qu'elle était éveillée. Il savait qu'il ne pourrait rester éternellement mais il ne souhaitait pas disparaître comme un voleur sans lui dire un mot. Quoi que de toute façon, il avait encore un peu de temps sans doute. Il ne s'en irait qu'à la dernière seconde et jusque là il comptait bien profiter de la présence de sa bien aimée.

Étirant un peu ses épaules en arrière pour se débarrasser de l'engourdissement dû au sommeil, il se leva ensuite, non sans garder la main de sa compagne dans la sienne. Il vint simplement s'asseoir sur le bord du lit, plus près d'elle.

- Comment vas-tu ce matin ? La nuit à été bonne ?

Si il posait sincèrement la question, une pointe d'amusement apparu tout de même dans son regard car il lui était difficile de douter du sommeil paisible qui l'avait bercée étant donné le temps qu'il avait passé à s'en assurer.

-Bonjour. Répondit-elle doucement, les yeux certes fatigués mais pétillants d'un bonheur certain.

Le voyant se lever pour se rapprocher, elle lui sourit d'autant plus. Une vague de bien-être se diffusa en elle à travers la chaleur de ces mains qui emprisonnaient tendrement la sienne. Elle se sentait mieux, rien que par sa seule présence. Comme si tout ce dont elle avait réellement besoin depuis le départ, c'était de lui... Pourtant, lui aurait-il apporté autant de bonheur s'il avait été là le jour où on l'avait sorti de cette cave, à peine en vie ? A bien y réfléchir : oui, sans doute. La lumière qu'elle s'était elle-même créée dans l'ombre serait devenue réalité, alors-même qu'elle ne l'attendait pas. Elle n'espérait même pas que quelqu'un vienne la délivrer. Elle croyait que ses jours se termineraient ainsi... Et elle en aurait eu tellement de regrets...

-J'ai de bonnes raisons d'aller mieux. Dit-elle en lui lançant un regard qui ne pourrait lui laisser de doutes quant à ce qui lui procurait tant de bien.

Il faudrait encore du temps à son corps pour se remettre de cette épreuve en reconstituant le sang qu'on lui avait retiré et qui nourrissait un sous-sol de Thaar. Elle avait également un peu de poids à prendre et, enfin, du muscle à reconstituer. En revanche, les blessures faites à son esprit seraient bien plus longues à refermer. La personnalité de Neassa-Laella allait sans doute subir quelques changements mais Aegden agissait sur elle tel un baume apaisant. Elle étira un sourire à son attention, léger mais bien réel. Le premier depuis son enlèvement.

-Merci d'être resté. Déclara-t-elle avant de marquer une courte pause et de continuer, toujours douce plus sérieuse. Mais je ne veux pas te détourner de la raison pour laquelle tu es revenu en Ithri'Vaan. Tindisil n'aurait pas dû te faire venir...

En s'engageant dans le début de leur idylle, elle ignorait qui il était. Elle ignorait tout des armes qu'il savait manier et du devoir qui était le sien. Mais aujourd'hui, c'était parfaitement assimilé. Et accepté. Si elle ne pouvait réellement comprendre ce qu'était la vie de militaire, elle savait ce que c'était que d'avoir des obligations et d'en faire sa priorité. Il devait protéger son Roi et se préparer à la guerre à venir. Sa vie était en jeu, ainsi que celles de beaucoup d'autres. Elle ne voulait pas le détourner de ses responsabilités alors elle ne tarderait pas à l'inviter à retourner auprès des siens. Pour sa plus grande tristesse...

-Cela va être d'autant plus difficile pour moi de te voir partir tout à l'heure...

Elle étira un sourire qui se voulait rassurant. Elle ne disait en aucun cas cela pour le culpabiliser. Elle était prête à assumer le fait qu'il ne puisse revenir la voir avant un moment. Cependant, ils s'étaient jurés d'être toujours honnêtes l'un envers l'autre. Le savoir si proche... et en même temps hors d'atteinte allait être difficile pour elle. Et sans doute aussi pour lui qui avait besoin de se concentrer. Mais elle estimait que c'était sans doute ce qu'il y avait de mieux à faire.

Traduction: