Y'a-t-il un animal plus dangereux que le lapin adulte?

À la faible lueur des rayons de soleil d’hiver et d’une chandelle, prêtre Lambert retranscrit dans un livre un parchemin qu’il a étudié, les sourcils froncés de concentration. Le temps s'est égrainé depuis la prière du matin et ce, sans que le prêtre n’ait daigné arrêter son travail, lorsque trois coups à sa porte brisent l’épais silence enveloppant sa salle d’étude. Après avoir levé les yeux de sa calligraphie, il invite la personne à entrer. Un jeune moine le salue en inclinant brièvement la tête et lui annonce que quelqu’un aimerait s’entretenir avec lui à la chapelle. Lambert le remercie et laisse donc son travail en suspens pour s’y diriger. Peut-être est-ce une âme tourmentée demandant guidance; qu’on soit noble, bourgeois ou roturier, la sainte patronne soigne et apaise toujours sans discriminations, un précepte que le prêtre respecte plus que tout.

Arrivé à la chapelle, Lambert remarque une silhouette vêtue d’un manteau bien découpé, que les vitraux éclairent parcimonieusement de mille couleurs. Son regard s’attarde quelques instants sur le calice d’argent ailé que le jeune homme arbore; il ne reconnaît point ces armoiries, mais le message de piété dont elle émane arrache un sourire bienveillant au prêtre. Il glisse ses mains dans ses manches et s’avance.

-Bonjour à vous Messire. Que peuvent faire les Hospitaliers de Sainte Aliénor pour vous? Salue Lambert de son ton qui lui est si particulièrement serein.

Le prêtre peut sentir l’odeur de la route collée aux vêtements du jeune homme, quelque chose dont il a l’habitude. Les voyageurs en pèlerinage et désirant faire retraite entre les murs du fort ne sont pas choses rares. Patient, il attend tout de même la requête du jeune homme avant de lui proposer le gîte pour la nuit et un repas chaud.

Prêtre Lambert hausse les sourcils de surprise, mais pas sans un rictus bienfaiteur devant la fougue du jeune homme. Il suit son poing levé de passion de son regard perçant, mais doux et laisse les mots du jeune aventurier couler; avec ce talent d’orateur, il ne doute maintenant point de son éducation, qui dévoile un rang de noblesse. Ce n’est pas le premier chevalier qui souhaite dorer son blason, mais cette requête pique définitivement la curiosité du prêtre. De nombreux maux courent en péninsule et l’Ordre, encore effervescent de jeunesse, mais fort occupé, ne refuse tout de même jamais de tendre la main lorsqu’on leur demande. Pensif, Lambert hoche doucement la tête, faisant déjà le trie des candidats qui siérait bien à cette demande. Néanmoins, quelques lanternes devront encore être éclairées avant que le prêtre ne puisse arrêter son choix. Laissé sur sa faim, il lève donc un regard bouillant de questions sur le jeune homme.

-Ce serait un honneur pour l’Ordre de servir un pieu et dévoué fils de la Déesse Mère,dit-il en s’inclinant à son tour humblement.

Il montre ensuite un banc faisant face à une fresque de la DameDieu posant une main bienveillante sur l’épaule de Sainte Aliénor et l’invite, lui et son compagnon, à s’asseoir. Lambert n’est pas le plus vieux ici, mais le froid de l’hiver commence déjà à lui frigorifier les os, rendant son temps debout et l’écriture plus pénible pour ses mains et ses genoux. Il scrute ensuite, sans inquisition, le jeune noble:

-Vous trouverez en cet Ordre quelques lames, mais surtout des âmes justes. Parlez-moi seulement de ce grand mal qui a attisé cette soif d’aventure au nom de notre DameDieu. J’aimerais trouver chaussure à votre pied au mieux de mes capacités,lance-t-il, avec un ton dénué de tout jugement.

Il compte lui demander son nom, mais chaque chose en son temps. Pour l’instant, ce n’est pas ce qui intrigue le prêtre. Peut-être a-t-il là une occasion de faire briller davantage les Hospitaliers et espérer du nouveau recrutement. Loin d’être un opportuniste, il sait seulement à quel point les services d’un herbaliste ou vitaliste peuvent être précieux et bénéfiques pour tous, mais que pour cela, il faut que la mission de l’Ordre puisse se répandre et ainsi parvenir aux oreilles désireuses d’écouter.

Lambert se rappelle alors des rumeurs qui se chuchotent parmi les quelques chevaliers de l’Ordre; un mal encore indéterminé rôde sur les routes de la péninsule, jusque là jouissant d’une paix comme maints péninsulaires n’en avaient encore jamais vécu. Le désir de guerroyer contre leurs voisins ne tiraille peut-être plus les cœurs des seigneurs, mais le prêtre sait très bien que la paix est une chose bien précaire. S’ils ne sont point à l’abri de leurs vices, les hommes ne sont pas non plus inflexibles devant un mal qui pourrait s’avérer bien plus dangereux qu’eux-mêmes. Lambert prend son menton entre ses doigts, pensif et pouvant sentir le trouble du jeune homme autant que le froid traversant sa toge. Le compagnon du jeune noble annonce alors quelque chose de fort troublant, qui lui vaut un regard perçant de la part de Lambert et peut-être un peu plus inquisiteur quant aux détails. Le prêtre remarque d’emblée les épées grises d’Othar et, avant qu’il ne puisse demander quelque chose, le jeune chevalier poursuit, répondant ainsi à cette question qui lui brûlait le bout des lèvres. Ses sourcils se froncent; si ce ne sont pas ces hérétiques, alors qui oserait?

-Votre père a vu juste quant à ces voleurs du Souffle et c’est pourquoi je partage votre tourment Messire. Vous pouvez donc compter sur l’Ordre dans cette quête. Puisse la Bienveillante nous protéger et nous éclairer, ajoute-t-il, en saluant la DameDieu sur la fresque en inclinant la tête.

Il reporte alors son attention sur le chevalier. Sachant que les Hospitaliers ont très peu d’effectifs armés et que la plupart des nobles lames de l’Ordre ont déjà des devoirs seigneuriaux, le visage balafré d’une de leur vitaliste lui vient en tête. Le danger n’effraie guère la prêtresse et Lambert ne doute plus depuis son pèlerinage de sa dévotion pour Néera et leur sainte patronne.

-J’ai bel et bien quelqu’un pouvant vous épauler, une arcaniste en magie vitaliste dont je n’hésite point à soumettre la candidature pour ce périlleux voyage.

Il prend une pause et sent une certaine crainte quant à leur future réaction lui étreindre l’être; Lambert sait combien ce peut être délicat, car beaucoup ne savent passer outre l’armure de prêtresse Zofia, une curiosité chez une femme qui en déroute et outre certains. Il espère avoir la confiance absolue de ce jeune noble et c’est pourquoi il commence à tâter le terrain en lui posant une question qui le titille depuis le début :

-Si vous me le permettez, j’aimerais m’enquérir de votre nom si possible, pour qu’il puisse être dans mes prières lorsque vous braverez le danger.

Cet hiver avait été des plus animé, et, sa fin approchant à grand pas n'y changera très certainement rien. Le printemps marquait la renaissance, voire la recrudescence des activités humaines que cette froide saison s'était permise d'entraver. Andran avait vu ses frères d'armes partir pour Missède, et voilà que, quelques ennéades plus tard, il quittait son nid douillet du Nord pour prendre le même chemin. À ce moment précis, il ne connaissait pas encore les raisons de son départ. Tout ce qu'il savait alors, c'est que ses partenaires avaient urgemment besoin d'un renfort, et qu'il avait décidé de partir seul. Nul nécessaire d'être un grand savant pour en déduire que l'Ordre, ou l'un de ses interlocuteurs, faisait face à un imprévu que l'on préférait toujours ne pas coucher par écrit, mais nécessitant son règlement immédiat.

Arrivé à Chiard, capitale du Rivage où il avait rendez-vous avec son frère d'armes et Grand Maître, il apprit alors qu'il devait passer son chemin jusqu'au port pour prendre la mer. En effet, le Fort Saint Aliénor était fiché sur une île au large des côtes de la cité de Gaël de Laval. En vérité, Andran n'apprit rien de plus sur la nature de sa venue, ni sur l'Ordre de Saint Aliénor portant donc le même nom que l'édifice où il s'abritait. Tout ce qu'il savait, c'est qu'il se composait de guérisseurs, tous fidèles de Néera. Pour ce qui est de sa mission, ce n'était visiblement pas à lui de la déterminer. Andran confia alors son cheval, son armure et son bouclier à ses frères d'armes Marcheurs Austères, et se dirigea, le dos enfin soulagé de son tourment, vers le port de la ville.

Le chevalier embarqua sur un petit bateau, car il était peu nécessaire (voire impossible) d'occuper un galion pour un trajet aussi court et sécurisé. Bien qu'il ne savait pas à quoi s'attendre, il avait l'esprit tranquille et la mine confiante, le dos courbé, les avant-bras appuyés sur ses genoux d'un air détendu. Que pouvait-il bien craindre de fidèles de Néera ? Plusieurs marins lui avaient décrit brièvement les guérisseurs de Sainte Aliénor, pour ce qu'ils en savaient en tant que non-initiés, mais cela se cantonnait surtout à des anecdotes sur telle ou telle blessure, guérie par tel ou tel guérisseur, ou racontant la bienveillance de prêtres ou prêtresses avec qui ils ont pu échanger.

Une fois sur l'ilot, Andran remercia les marins d'une pièce et d'une formule pieuse avant de tracer sa route, non sans observer les lieux d'un œil attentif. Une main posée sur le pommeau de son épée rangée dans son fourreau, le chevalier bombait légèrement le torse d'un air probablement trop militaire pour un tel endroit. Une telle attitude ne passerait pas moins inaperçue que sa tenue aux couleurs d'Othar si son épais manteau noir ne cachait pas les couleurs plus enflammantes du Dieu Coléreux. Seuls ses brassards et ses jambières, deux pièces d'armures qu'il n'enlevait que rarement car plus aisées à porter que le reste, se distinguaient de ce surplus de noir par son métal luisant à la lumière des torches ou du soleil. Fort heureusement, son accent nordien n'avait pas encore résonné dans ces lieux comme le coup de grâce d'une visite surprenante.

Dans ce fort régnait une réelle aura cléricale, religieuse, et, fidèle à la Déesse qu'il vénère, un sentiment de protection. Ce sentiment était renforcé tant par les chevaliers qui protégeaient les lieux que par la résistance supposée du fort. Ici encore plus que dans un temple, on ne devrait pas craindre grand chose. Du moins, c'est ce que ressentait Andran à mesure qu'il découvrait cet endroit. Pour sûr, il changeait des forts nordiens qui, eux, pourraient certainement abriter Othar en personne. Était-ce un bien ou un mal ? Tant de questions… parmi elles planait toujours celle de la raison de sa venue ici.

Parmi tous ces espoirs, celui de ne pas être venu pour rien devenait lisible dans son regard. Après moult aiguillages offerts amicalement par les initiés des lieux, Andran sut à qui s'adresser, même si certains avaient évoqués des visiteurs arrivés plus tôt, bien que le motif leur échappait. Peu importait, il n'était pas venu jusqu'ici pour tourner les talons illico. Il continua sa route jusqu'à arriver aux portes auxquelles on l'avait mené, puisque les noms n'avaient pas grande importance pour une personne venant de si loin. Après quelques secondes d'hésitation, il cogna doucement à la porte…

Galyn ne put s’empêcher de sourire à la réponse du prêtre. En effet son frère avait vu juste, il avait vu les abominations des noirelfes dans le nord de la Péninsule et même s’il se doutait qu’ils n’étaient pas de retour il ne trouvait pas absurde d’imaginer que la nécromancie marchait de la même façon qu’elle soit faite par des humains ou non ; quand bien même il était indéniable que ces longues oreilles sombres étaient meilleures que n’importe quel sorcier noir que le prêtre d’Othar ait eu le loisir de voir à l’œuvre. Pourtant ce n’était pas le cas de Théodoric qui hocha à nouveau la tête aux dires du représentant du monastère. A la mention de Néera, le jeune chevalier joignit ses mains, les plaçant sur son torse, l’une sur l’autre, les doigts tendus formaient les plumes des ailes tandis que ses pouces, qu’il sépara, représentaient le calice de la DameDieu.

« Puisse-t-elle nous protéger et nous éclairer. » En répétant ces mots il baissa la tête devant la fresque. Puis lorsque le prêtre lui raconta avoir quelqu’un en tête le visage de Théodoric s’illumina, il s’illumina d’autant plus lorsqu’il entendit un rapide résumé des compétences de la prêtresse en question. « Candidature qui est bien évidemment acceptée, mon père, je n’oserais refuser l’aide que vous daignez m’accorder ! »

Et puis vint la question qu’il redoutait un peu, celle de son nom. Si jusque-là il avait accepté de l’aider bien qu’il fut resté anonyme, est-ce qu’il continuerait de le faire s’il ne donnait pas son nom de famille ? L’ordre aidait tout le monde, du roturier de la plus basse extraction au sang le plus bleu qui soit mais Théodoric ne demandait pas un simple soin.

« Je me nomme Théodoric, mon père. » Puis on toqua à la porte et le chevalier tourna la tête dans cette direction. « Serait-ce là la prêtresse dont vous m’avez parlé ? »

Tel un vrai fils de Néera, le jeune homme salue en bonne et due forme la DameDieu, faisant sourire le prêtre qui ne peut définitivement pas douter de sa bonne foi. Le visage du jeune homme s’éclaire ensuite à la mention de prêtresse Zofia. Le jeune chevalier lui semble reconnaissant, calmant ainsi légèrement son angoisse et rassurant un peu Lambert qui préfère éviter un incident diplomatique. Enfin, il ne peut affirmer tout de suite si c’est le cas, mais le chevalier lui fait bonne impression. Quant à son compagnon, plutôt silencieux jusqu’à maintenant, le prêtre ne saurait dire. Le jeune homme mentionne ensuite son nom sans lui dire celui de sa famille. Lambert en comprend qu’il ne peut obtenir de réponse pour l’instant et avant qu’il ne puisse ajouter quoi que ce soit, on frappe à la porte. La hâte de rencontrer la prêtresse semble s’emparer de Messire Théodoric puisqu’il s’empresse de demander si ce peut être celle-ci. Un léger rictus retrousse les lèvres du prêtre et il se lève pour aller ouvrir. La surprise se peint sur son visage lorsqu’il remarque l’homme armé à l’air bien militaire se tenant dans l'embrasure de la porte. Un simple coup d’œil suffit à Lambert pour comprendre que ce chevalier aux couleurs d’habits sombres doit être un de leur compagnon. En effet, le prêtre ne reconnaît pas les traits bien du nord de cet inconnu. Il s’écarte donc pour le laisser entrer.

-Bienvenue au fort de Saint Aliénor Messire, lance-t-il, avenant et assumant que le nouveau venu est déjà au courant de la demande. Vos compagnons d’armes m’ont déjà fait part de la requête et soyez assuré que l’Ordre accepte de prêter main forte.

Il s’incline un moment et décide qu’il est temps d’aller retrouver prêtresse Zofia pour lui annoncer son nouveau pèlerinage, mais surtout pour qu’elle puisse se faire elle-même une idée de cette demande. Libre à elle ensuite d’accepter cette mission dangereuse, mais Lambert doute qu’elle refuse. L’Ordre n’oblige jamais ses membres à quoi que ce soit, si ce n’est que de remplir leur devoir de soignant. Il reporte son attention sur Théodoric et l’informe de son intention de leur présenter prêtresse Zofia. Prêtre Lambert s’excuse donc et après une dernière marque de politesse à l’égard des chevaliers, il s'éclipse.
 

***

Un pot rempli d’écorce de saule coincé entre le bras, Zofia soulève ses jupes et grimpe l’escalier de la chambre froide jusqu’à l'apothicairerie, là où Célestin et elle s’occupent, pour aujourd’hui, de faire le compte de l’inventaire. L’hiver tirant à sa fin, les Hospitaliers peuvent maintenant penser à préparer leurs jardins simples pour qu’ils puissent planter de nouvelles pousses médicinales. Après un rapide coup d’oeil par la petite fenêtre, Zofia remarque que le soleil commence lentement sa descente, signe qu’il doit être déjà la fin d’après-midi. Et l’heure de la tisane contre la douleur pour prêtre Lambert. Zofia pose le pot d’écorce sur le comptoir, déjà plein à craquer de jarres scellé contenant diverse plantes, sirop, herbes ou épices, que Célestin comptabilise et vérifie depuis plusieurs minutes. Voyant sa collègue avec l’écorce de saule, il tend celui avec les bâtons de cannelle, se doutant de ce qu’elle s’apprête à préparer. Depuis la tragédie de leur premier pèlerinage, l’herbaliste et elle sont inséparables, ayant ainsi créé au fil du temps un quasi-pouvoir de télépathie qui n’existe qu’entre eux. C’est ce que leurs collègues ne cessent de leur répéter à chaque fois qu’ils font équipe.

Alors qu’elle se penche pour alimenter le feu de la cheminée et faire bouillir l’eau, on frappe à la porte et prêtre Lambert entre.

-Juste à temps pour votre tisane. Je fais bouillir l’eau, lance Zofia avec un sourire.
-Merci, mon enfant, mais cela devra attendre, réplique le prêtre, les traits visiblement tirés de fatigue, mais le regard brillant. Des chevaliers attendent présentement à la chapelle avec une requête qui m’a fait tout de suite penser à vous. C’est pourquoi j’aimerais que vous m’accompagniez et que vous les rencontriez.

Perplexe, Zofia le fixe. Elle se rappelle alors avoir croisé des inconnus, visiblement de carrière militaire, arpenter les corridors de l’abbaye. Occupée et voyant qu’un moine les dirigeait déjà vers la chapelle, elle n’avait pas porté attention plus longtemps. Célestin leur fait signe qu’il se débrouillera et après avoir essuyé ses mains sur son tablier, elle le retire et suit prêtre Lambert jusqu’à la chapelle. En chemin, ce dernier lui explique la situation, extirpant un air surpris à la guérisseuse; des disparitions? Et ils ont besoin de l’Ordre? Faisant confiance à son supérieur, elle ne pose pas davantage de questions et entre avec lui dans la chapelle. 

Zofia remarque d’emblée le manteau foncé de l’un et les épées d’Othar se croisant sur l’habit de l’autre. L’un des trois chevaliers détonne toutefois de par son manteau arborant un calice d’argent ailé sur fond blanc. Habillée de ses robes grises et de sa surrobe bleue très pâle, une ceinture tressée d’un cuir rougeâtre à la taille, la seule chose brillante sur Zofia est son amulette de Sainte Aliénor pendouillant à son cou. Tout aussi sobre, sa coiffure n’est en fait qu’une tresse entortillée en un chignon bien en place sur sa tête. Après les avoir détaillés pour quelques secondes, elle penche la tête poliment :

-Messires.

En voyant le chevalier rentrer Théodoric fut surpris de voir qu’il n’avait ni les traits ni la carnation d’un suderon mais ses sourcils se froncèrent lorsqu’il vit que ce dernier avait toujours son arme à la hanche. Surtout qu’il se déplaçait plus comme un otharite qu’un néerite alors qu’ils étaient dans un sanctuaire de la DameDieu ce qui, contrairement à Galyn, ne plaisait pas du tout à son neveu. Ne peut-il pas, comme tout le monde, déposer son épée dans son fourreau contre le mur du monastère avant d’entrer ? Se demanda le jeune homme qui avait facilement tendance à oublier que c’était un geste qu’il trouvait au final bien trop rare et pour cause il avait dû longuement ennuyer son oncle avant que ce dernier ne cède ; il en était d’ailleurs fier, le fils du marquis, d’avoir réussit à réformer son oncle et il se prenait parfois à rêver qu’un jour il partirait de l’autre côté de l’Olienne pour convertir ce puit sans fond de corruption qu’est l’estrévent, par les armes s’il le fallait. Penser à cette terre de perdition si proche de chez lui arracha un frisson de dégoût au chevalier, se dire qu’à quelques jours à peine de voyage on vénérait ouvertement Arcam lui était insupportable.

Il salua à son tour le prêtre qui s’en alla et se mit à faire les cents pas.

Lorsque la prêtresse tant attendu se présenta, Théodoric dut admettre qu’elle n’était pas du tout ce à quoi il s’était attendu. Bien loin des stéréotypes auxquels il était habitué, elle était aussi grande que lui et aussi large sauf qu’il était en armure et pas elle. Croisant les bras sur son torse pour se rendre un peu plus imposant, ses bonnes manières se rappelèrent bien vite à lui et il s’inclina pour la saluer.

« Bonjour, mère... » il laissa sa phrase s’étirer en se rendant compte trop tard qu’il ne connaissait pas son nom. « Enchanté de faire votre rencontre. Je suis Théodoric et voici Galyn, de la maison d’Othar. »

Il se mit de profil pour désigner son oncle qui était en train de se lever pour les saluer à son tour, souriant parce qu’il n’avait pas l’habitude d’être présenté ainsi et pourtant c’était la façon correcte de le présenter étant donné qu’il était supposé abandonner son nom une fois entrée dans la prêtrise.

« Je vais d’ailleurs vous laisser, Théo me semble être entre de bonnes mains. Je vous souhaite bonne chance et prierais pour que le Constant vous accorde sa bénédiction. »
« Prenez bien votre épée cette fois. » L’otharite étreignit son neveu en ajoutant une tape dans le dos pour lui donner du courage avant de s’en aller.
« Ne t’inquiète pas, je suis sobre. » Répondit-il en riant alors qu’il passait la porte. Théodoric se retourna ensuite vers l’autre chevalier et la prêtresse pour entreprendre de leur expliquer la raison de sa venue au monastère de Saint Aliénor : sa quête.

« Mes compagnons … ? »

Quels compagnons ? Andran était venu seul, et s'il avait entrepris ce voyage, c'est justement parce que ses “compagnons” avaient d'autres chats à fouetter. Le prêtre fila sans lui accorder les réponses à ses questions, et entra dans son office pour les chercher lui-même. À l'intérieur, il rencontra deux personnes très différentes l'une de l'autre certes, mais surtout très différentes de lui-même. Pour sûr, ils n'avaient absolument pas la carrure d'un nordien. On avait parfois tendance à oublier que les différences entre ces deux pans du Royaume se différenciaient tant par leur coutume que par leur apparence.

« Messires… » se contenta-t-il de formuler de son accent rugueux, n'ayant aucune information sur ces personnages et leurs titres respectifs. « Est-ce vous qui faites face à plusieurs problèmes dont certaines personnes ont tant de mal à expliquer la teneur ? »

Après dix jours de voyage, Andran aurait certainement préféré ne pas se contenter de personnes disparues. Qui ? Par qui ? Quand ? Comment ? En voilà des questions importantes. Et pourtant, les réponses lui échappaient encore, comme beaucoup d'autres sur ces terres qui lui étaient inconnues, à commencer par ces deux personnages à qui il faisait face. Son incompréhension se fit plus lisible sur son visage lorsqu'arriva une femme et que l'homme plus âgé accompagnant le jeune noble décida de partir. Celle-ci lui paraissait grande pour une femme, qui plus est du Sud. Ce dont il était sûr, c'est qu'elle était plus jeune que lui.

« Pour ma part, je suis Andran Straggen. » se présenta le chevalier après Theodoric, en s'inclinant gracieusement à son tour. « Ce sont mes frères d'armes qui m'ont évoqué des problèmes secouant la région, bien que je ne sache toujours pas ce qu'il en est. »

Observatrice, Zofia remarque l’attitude du jeune chevalier changer dès qu’elle se présente à eux. Malgré le croisement de ses bras, il reste au moins polit et invitant. La prêtresse a l’habitude et c’est pourquoi elle garde tout de même un air avenant, tout en se présentant et en tentant de se faire aussi petite qu’elle le peut. Après que le chevalier d’Othar ait quitté, prêtre Lambert sert doucement l’avant-bras de la prêtresse et les salue à son tour. Il demande ensuite à Zofia si elle peut venir le voir dès que leur entretien est terminé. Elle lui sourit pour lui faire signe qu’elle a compris et lui sert amicalement la main aussi, avant qu’il ne disparaisse. Dès que la porte se referme, la voix grave du plus vieux chevalier résonne dans la chapelle, trahissant un accent nordien; bien qu’elle partage la pâleur de cet homme et peut-être la carrure à un certain degré, c’est probablement à peu près ce qu’ils ont en commun. Si Zofia a le physique de ses arrières grands-parents du Nord, son attitude évoque bel et bien la chaleur du Sud, saupoudré d’une touche de sérénité dévoilant son rôle de prêtresse.  

Messire Straggen est donc là lui aussi pour les disparitions qui sévissent sur les routes? Elle est toutefois surprise de savoir que quelqu’un d’aussi loin s’est déplacé jusqu’ici pour cette mission. Sa curiosité est aussi piquée quant à son réel rôle dans cette quête puisqu’une prêtresse de l’Ordre n’est habituellement pas le premier choix des chevaliers.

-Prêtre Lambert m’a aussi fait part de votre requête Messire Théodoric.

Un sourire affable illumine son visage:

-Bien qu’il ne m’a pas exactement éclairé sur mon réel rôle dans cette affaire, je me sens déjà rassurée de voyager en compagnie de deux chevaliers qui me paraissent bien capable de manier la lame, lance-t-elle de son ton de voix très doux, malgré sa grandeur.

Habituellement, c’est Zofia qui défend ses compagnons lorsque l’Ordre ne peut se permettre d’envoyer des chevaliers les escorter, mais comme son oncle lui a si bien dit durant ses entraînements: « Certains hommes ont été damné d’un bien fragile égo, ce qui peut être extrêmement dangereux pour toi si tu ne sais pas quand laisser ta place ». Comme elle ne les connaît point, elle préférait donc éviter de noircir la réputation des Hospitaliers et se contentera d’user de sa magie vitaliste. Prêtre Lambert lui a aussi dit que Théodoric n’a pas mentionné le nom de sa famille, mais qu’il le soupçonne d’être un noble, quelque chose que Zofia n’oubliera pas.