Tandis que le prince s’en va avec son capitaine, Efrey a pour mission de poursuivre l’enquête auprès des gens de mer du pays.
Elle retrouve Inviktor à l’intérieur du boutre, toujours au château arrière. Ses paupières se plissent lorsqu’elle constate l’état dans lequel se trouve le drow. L’oiseau moqueur se penche sur lui.
« Tu sais qu’on est à quai ? Debout. » L’autre lève un regard noir, une moue dégoulinante de bile sur les lèvres. Il se lève bon gré mal gré et repousse Efrey qui tente de lui attraper le bras.
« Grognon. » Sur le pont, Inviktor en prend plein les yeux. La lumière d’Ashaï l’agresse et il place sa grosse main d’ébène en visière. Derrière lui surgit sa partenaire qui l’effleure, volte et lui plaque sa double hache contre son torse.
« J’en reviens pas qu’tu l’ai oublié en bas. Vraiment pas bon pour toi la mer hein ? » Inviktor souffle des naseaux et se passe la langue sous la lèvre inférieure, la faisant enfler avec un regard intensément colérique.
Une heure passe. Efrey interroge toutes celles et ceux qu’ils croisent dans le port. Ces gens ressemblent aux qiryotes, beaucoup. Mais le soleil est encore trop haut, la majorité des marins sont à la tâche, sur l’eau. Il va falloir attendre son déclin pour que les estaminets se remplissent et que nos deux gladiacteurs trouvent matière à causer dragon et tragédies en mer olienne.
Et c’est accompagnés de Raztac et Milsèn, deux membres de l'équipage, qu'ils poussent les portes des bouges d’Ashaï une fois le soleil chassé par la lune.
Tout près des quais,
Le Narval Dardant est leur deuxième adresse et Raztac le crochu indique rapidement à ses nouveaux partenaires celles et ceux dont la langue est fiable. Efrey se réjouit, elle est fatiguée des bonimenteurs. Inviktor grimace, il aime détruire le nez des menteurs. Raztac le sang-mêlé est en confiance avec le drow, lui qui est quotidiennement brocardé par les racistes de la mer, il est en position de force avec le colosse Inviktor. Vilement, il tend furtivement sa jambe et accroche un grand brun aux yeux tout aussi bruns qu’il connait très bien pour sa jactance. Celui-là se ramasse dans toute son horizontalité et quand il se redresse en fulminant il croise le regard du noirelfe avant de considérer le sourire sardonique du crochu. Et il dégage honteux, contenant l’incident entre ses poings serrés et ses nerfs en boule. Raztac l’observe s’éloigner d’un œil luisant.
A leur table se succèdent celles et ceux qui ont quelque chose à raconter à propos du grand serpent de la mer Olienne. Dans le doute, Inviktor pulvérise le nez de celui-ci qui claque bien trop fort sa grande gueule enrobée. Dès lors, les histoires qui sortent des bouches se font moins romanesques. Plus rares aussi. La soirée avance et la bourse de la maison Vega s’amaigrit. C’est que chaque témoin, chaque rapporteur, se voit gratifier d’un souverain si ses paroles pèsent le poids de l’or.
Troisième adresse,
l’Écume des Nuits, établissement qui ferme tard. Là-bas on trouve surtout d’anciens marins débarqués ou de jeunes louveteaux désoeuvrés. Il y a le nom d’une caravelle qui arrive sur la table : Le Vol d’Or. Inviktor renifle et son sang afflue dans les veines de son cou. Mais Efrey pose une main sur son avant-bras volcanique, elle perçoit du vrai dans ce que raconte ce mousse embrumé.
« Tiens mon mignon, va te prendre une dose avec les remerciements du prince Diolando Vega. » Le garçon quitte la table sans demander son reste et Efrey se tourne vers le colossal noiraud.
« Trop joli pour que tu l’esquintes ce p’tit gars. Et puis je l’sens bien. » Milsèn surenchérit.
« Moi aussi. » Inviktor suit le "p’tit gars" du regard, les paupières lourdes de perplexité.
« Pas moi, femmes. » Empruntant l’expression qu’il détaille sur le visage du gladiacteur, Raztac opine de sa tête pointue, accompagnant le geste d’une reniflade glaireuse.
Non loin de leur table, seul et silencieux, un fumeur d’opiacées s’intéressent depuis le début aux questions que les étrangers posent aux locaux. Il est assis dans le dos des quatre enquêteurs et a cette capacité de passer pour inexistant et inoffensif. Certains ne trouveraient que drogues et faiblesses dans son regard, d’autres y puiseraient un profond mysticisme.