[MdO2021] Conseil de Guerre

Le moment était finalement venu. Diolando avait finalement convoqué le conseil pour parler d’une possible armée commune aux Princes Marchands. Un projet ambitieux, mais qui ne venait pas seulement de lui. Maralina lui avait sagement demandé de convaincre les autres Princes. La raison? C’était simple – jamais elle ne ferait briller cette médaille seule. Cela attirerait des regards sur elle et maintenant qu’elle avait crée des liens avec les eldéens ce n’était pas le moment de les attaquer de plein front. Elle n’était tout simplement pas prête à cela. Maralina replaça doucement le voilage de sa robe pour laisser libre cours à sa main, avant de la poser délicatement sur son ventre bien arrondi. Maintenant à mi-terme de sa grossesse, il était inutile de cacher sa condition, bien qu’elle n’avait pas révélée qui était le père deses jumeaux, comme à son habitude.

« Princesse d'Uldal'Rhiz. »

La Vaanie déplaça doucement son regard azuré pour rencontrer son homologue qui venait de l’interpellé en la sortant de ses pensées. Elle lui rendit un sourire séducteur. « En effet. Cela fut une expérience bien enrichissante, qui m’a fait réaliser plusieurs choses. Des félins à pointes, aux machines de guerre, ils semblent que tous les moyens sont de leur côté pour la guerre. Que cela soit un siège comme à Sol’Dorn ou une attaque de plein front comme à Erlem. Qui plus est, ces derniers n’ont aucun scrupule à utiliser les maladies en tous genre pour arriver à leurs buts. Bon nombre de Naélisiens sont tombés malades durant le court siège qui s’est passé au Nord. Qui plus est, nous savons maintenant leurs points faibles. » Elle s’arrêta un moment, avant qu’un léger sourire n’orne ses lèvres. « Leur convoi de ravitaillement. Cela fait plusieurs ennéades déjà que notre cher confrère… » Son regard se tourna vers Diolando avant de continuer; « Leurs a permis de passer par les Sept-Monts sans briser l’entente politique que nous avons. » Que dire de plus? Devrait-elle réellement révéler à tous pour la maladie? Peut-être devrait-elle attendre d’en savoir plus sur cette dernière, étant donné que la seule piste qu’elle avait pour le moment était le fait qu’elle infligeait beaucoup plus les elfes que les humains… « Cela me semble un résumé des événements, si vous avez des questions supplémentaires, il me fera plaisir d’y répondre. Mais pour le moment, je me tarde d’entendre l’opinion de tous et surtout de la façon que vous vous réalisez ce plan, Diolando. » Elle eut un sourire amusé avant de porter son regard vers ses homologues. Bien entendu, Marzaban avait entendu parler de la rencontre entre les deux princes marchands, c’était bien l’idée de la Princesse d’Uldal’Rhiz de convoquer le conseil pour réclamer une armée Thaari, mais ce n’était pas elle qui aurait les contrecoups de cette décision. Après tout, elle savait que trop bien comment le Karliik Glenn réagirait quand il apprendrait qu’une armée se formait sous son nez… et mieux valait ne pas être la victime de sa rage encore une fois.

Un nouveau conseil requérait ma présence. Un conseil, commandité et présidé par Diolando de la maison Vega. Le fameux Diolando, aux projets facétieux, au caractère indescriptible, à la personnalité insaisissable. Par Heidum, que j’apprécie bien peu le fait d’être à ses côtés. Sa folie le rend incompréhensible, difficile à cerner, à comprendre, et à deviner. Nul doute que l’individu devait être surveillé… D’ailleurs, plusieurs espions se relayaient régulièrement, pour m’avertir de ses faits et gestes.

Assis à ma place, je prends le temps de regarder l’environnement, les yeux mi-clos. Mon assise est ô combien confortable – j’y ai veillé personnellement. Portant une magnifique soierie mêlant un bleu couleur azur à des tissus de couleur sable, je réajuste d’un petit geste les deux fibules en or qui maintiennent ma cape. Sur mon côté de la table, trônent une bouteille d’un précieux élixir hors de prix, aux côtés d’un verre en cristal. Et tandis que j’écoute les propos de Diolando, et de Maralina, je tisse en mon esprit la trame de mes réflexions.

Maralina m’aura en effet informée de sa précédente rencontre avec Diolando. Les menaces à peine voilées qui furent prononcées par le Prince-Marchand à l’esprit dément. Il était aussi fou qu’il était une menace… Décidemment, ce conseil promettait d’être intéressant. Alors, quand il fut question des opinions des membres du conseil, je levais ma main, prenant la parole.

- Comment cette armée serait-elle financée ? Qui en assurerait le commandement ? Qui paierait son entretien ? Et surtout… Quid de l’opinion des ressortissants du Puy qui, refoulés depuis un mois-et-demi, abattus par l’alliance des longues-oreilles et des Naélisiens, verraient se former une armée sous l’égide de Thaar ? A votre avis, conseiller Diolando, n’auraient-ils point l’idée d’envoyer sur nous les reliquats de leur armée qui, bien que reliquats, resteraient toujours mille fois compétents, et mille fois plus nombreux et équipés, que nous ne le serions jamais ? Et puis… Qui pourrait garantir, en tout temps, qu’une telle armée ne puisses servir aux intentions d’un seul conseiller ?

Beaucoup de questions, bien-sûr… Bien que Diolando et moi-même avons échangé par le passé sur une question similaire, lorsque j’étais encore émissaire du Sombre, nul doute que mes premiers mois de maître des Caves, et de Prince-Marchand, m’auront permis de faire le tour de la question, et de m’en faire une opinion.

« De la préparation. Tout simplement. Pouvons-nous réellement étonner des capacités défensives de Naélis? Je vous rappelle que Glenn Hereon était un guerrier. Qu’il a conquis Naélis. Ses capacités ne sont pas à sous-estimer et la Reine a probablement apprit de ce dernier…  » Et ce même savoir était transmis à ses propres officiers dus à un contrat bien négocier il y a quelques années, mais cela personne ne semblait s’en souvenir. Dommage… La Princesse suivit du regard Diolando alors que ce dernier reprenait la parole.


Et puis plus rien.


Le silence semblait avoir tombé dans l’énorme pièce alors que le Prince des arènes vidait son verre d’un coup sec. Ses propos étaient si… disons direct, que cela prendrait forcément un moment à avaler. Au bout de quelques secondes, ce fut un rire qui vint briser le silence. Un rire cristallin, comme si le Prince avait dit la plus fantastique des blagues. Maralina s’essuya le coin de l’œil alors qu’elle reprenait finalement le contrôle avant de prendre la parole; « Dites-moi que vous blaguez, Diolando…. » Un sourire amusé vint orner son visage alors qu’elle se leva de son siège avant de commencer à marcher à travers de la pièce, prenant de nouveau l’attention qu’elle aimait tellement. « Votre argumentaire laisse fort à désirer. Comment souhaitez-vous convaincre le conseil avec de si piètre affirmation? » Elle arriva finalement derrière Diolando et déposa doucement ses mains sur ses épaules avant de reprendre la parole, « Plusieurs milliers de soldats, pas moins entraîner dans le sud… Oui définitivement tant qu’à cela, laissons-les s’entraîner à Esion! N’oubliez pas que chaque jour des eldéens se promènent librement en Ithri’Vaan. Que cela soit en traversant avec des convois de ravitaillement ou tout simplement par envie. En faisant cela vous nous exposer. » Elle enleva doucement ses mains, non sans laisser une douce caresse dans son cou avant de reprendre sa marche. « L’Elda a déjà ses yeux braqués sur nous, attendant avec impatience la moindre preuve qui briserait notre fragile alliance. » Elle continua sa marche, le pas léger et les soieries virevoltant derrière elle, savant pertinemment qu’elle avait beau porter des jumeaux, elle était toujours la reine de la chair. Retournant finalement vers son siège, elle déposa doucement ses mains sur le dossier, plantant ses prunelles azurées dans celui de son homologue; « Qui plus est vous nous demander un quart de nos bénéfices. Cette demande est facile pour vous. Votre fortune n’est pas similaire a d’autres qui sont autour de cette table. N’est-ce pas? » Elle faisait bien entendu référence au fait que ce dernier n’avait même pas de palais à Thaar, semblant aimer mieux les bordels et les édifices pouilleux.


Son regard balaya soudainement la table, s’arrêtant sur chaque Prince Marchand avant de finir sur Diolando. « Qui plus est, pourquoi Uldal’Rhiz payerait encore une fois pour les autres. Nous n’avons certes rien demandé lorsque nous avons déployé nos hommes au Nord pour reprendre le contrôle de la frontière. Chose qu’aucun autre d’entre vous outre mon confrère des Milles-Caves à participer! Et maintenant nous devons non-seulement contrôler notre frontière mais en plus reconstruire cette principauté qui a été plongé dans le chaos que par votre décision, Diolando. » Elle lui fit un sourire, avant de continuer; « Mais ne revenons pas sur ce reproche, puisque je vous l’ai déjà mentionné en privé. Tout comme le fait que les eldéens n’ont guère apprécié votre spectacle. » Maralina retourna son regard vers ses homologues avant de continuer; « Le Karliik Glenn n’a pas apprécié ce spectacle d’ailleurs. Pour lui ce fut le plus grand acte de provocation. Remuer le fer dans la plaie si je peux me le permettre. Sa colère était-elle qui m’a violemment agressé et menacé de me sacrifier a Tesso avant de brûler notre principauté. » Elle perdit son sourire avant de continuer, l’air sérieuse; c’était disons – un demi mensonge. Certes elle avait failli mourir aux mains du Karliik Glenn mais du a une toute autre raison… « Inutile de dire, que j’ai réussi à le calmer en lui donnant des informations sur Naélis, mais le regard des eldéens est tourné vers vous, Diolando, alors laissé notre armé me parait être la plus mauvaise des décisions. » Elle avait été clair, elle ne laisserait pas le pouvoir de cette armée dans les mains du prince des arènes.

Diolando et moi sommes deux parfaits opposés. Là où je prône la machination secrète, la froideur, l’impassibilité, la raideur rocailleuse, l’absence de quelconques émotions et sentiments, lui, prône l’exubérance. L’intempérance, la réaction, l’émotion, la flamboyance et l’exubérance. Toutefois, lire dans son jeu demeurait une chose difficile. S’il était incroyablement démonstratif, son fil de pensée était tout bonnement illisibles, tant sa folie et son imprévisibilité étaient… Insupportables. Aussi n’ai-je eu besoin d’aucun effort pour demeurer parfaitement froid et impassible, alors qu’il me regardait d’un air dévorant, le regard irradiant d’une incompréhension emprunte de trahison, et l’attitude transpirant la colère… Peut-être même la vengeance ?

Moi ? Je reste de marbre, comme je viens de le dire. Les avant-bras à plats sur la table du conseil, paumes contre le bois du mobilier, mon visage suivant les mouvements du Prince-Marchand à la santé mentale inquiétante. Il n’y eut aucune réaction, pas même un clignement de paupières, alors qu’il s’approche, se sert généreusement dans mon élixir, et repart.

Et je n’ai point plus de réaction lorsqu’il annonce à voix haute ses intentions. Et pourtant, ce n’est pas le cas de mes confères et consoeurs. Maralina, surtout, s’esclaffe et rie d’un rire trahissant toute l’absurdité de cette proposition. Moi, je ne fais que lever une main, et mon index, et un de mes Barbesable s’avance.

- Oui, votre Stoïcité ?

Aucun mot, aucune réponse, sinon ma main droite s’aplatissant et le garde enturbanné qui y pose délicatement un écrin de cuir dans lequel reposait une plume, et un petit encrier. Recevant le tout, je les pose délicatement sur la table, et enfonçant ma main droite – la même – dans mon vêtement, j’en extirpe un petit carnet de cuir rouge brodé d’or et d’argent. L’ouvrant, plusieurs pages couvertes de runes Khuzdul s’offrent à mes prunelles, écrite préalablement par ma main. Codé, ce recueil n’est autre que mon propre relevé financier, où je gère tous mes revenus, et ceux des Mille-Caves. J’ai alors quotidiennement un aperçu, mis à jour plusieurs fois par jours, de l’état des finances des Mille-Caves.

Et à mesure que Diolando énonce les informations, je les imprime dans mon esprit, et pose les plus importantes. Plusieurs milliers de soldats… Selon la qualité, les qualifications, et l’équipement et l’armement, de tels soldats pouvaient coûter plusieurs souverains chaque mois, à l’unité. Des milliers, cela signifiait des milliers, peut-être même une ou deux dizaines de milliers de souverains, et cela, mensuellement.

Mais voilà, Maralina enchaîne, après son rire exclamé. Et son argumentaire demeure implacable, quoi que tinté d’un profond dégoût pour l’individu. Diolando semble se décomposer, devant ce qui ressemble à lui, désavoué en public par la Princesse de la chaire. Et lorsque son argumentaire se termine, c’est moi qui prends la parole.

- Un soldat compétent et correctement équipé, coûterait entre un souverain mensuel – pour les simples soldats, traqueurs, ou tâches indélicates – et une dizaine de souverains, par mois, pour un chevalier, un bretteur ou un arbalétrier compétent. Ramené à la quantité espérée, cela créer une facture s’élevant au bas mot à plus de dix mille souverains chaque mois. A cela s’ajoutent les frais d’entretien, de formation et de stationnement, ainsi que l’équipement puisqu’il s’agirait d’une force officielle, et non de mercenaires ou de reitres achetant leurs propres outils. Mettons donc vingt-cinq pourcent du tarif énoncé, ce qui gonfle la facture pour atteindre prêt de la vingtaine de milliers de souverains, et cela mensuellement. Et je ne compte pas les approvisionnements en munitions, vivres et logistique, tel que les fers des chevaux, les forgerons, les éleveurs de chevaux, entre autres choses. Je m’arrête, reposant doucement ma plume, prenant mon petit carnet, le portant à mes lèvres et soufflant doucement sur l’encre afin d’en accélérer le séchage, avant de le reposer, et de le refermer, posant ma main gauche dessus comme pour le protéger. Je relève enfin mon regard vers l’assemblée, Diolando en particulier. S’il est plausible d’espérer que quelques-uns d’entre nous puissent satisfaire à une partie de ces dépenses, je doute très sincèrement que ce soit le cas pour la plupart, y compris vous. Un quart de vos revenus, et un quart des miens, ne posent finalement point le même chiffre sur la table. Dès lors, si l’armée est effectivement financée dans les mêmes proportions, statistiquement parlant, le prorata, lui, met en valeur une cruelle différence financière. Nous serions alors en droit de nous poser une question : quid de la plus grosse fortune, qui, d’après votre réflexion, injectera bien plus de capitaux que la plus petite fortune, et quid de sa légitimité sur le commandement et l’utilisation de l’armée ? Qui finance le plus l’outil, en devient légitimement plus propriétaire, c’est comme cela que fonctionnent les investissements. Posséder quarante pourcents d’une structure, là où d’autres investisseurs possèdent dix, cinq, ou même seulement deux pourcents, fait de vous l’actionnaire et propriétaire principal. Possédez cinquante pourcents de cette même structure, et vous voilà propriétaire majoritaire ! Avec tous les avantages que cela implique. De plus, la remarque de son Altesse Irohivrah quant aux mouvements Drows, aux potentiels espions, me paraît un grain de taille dans ce rouage rouillé qu’est votre réflexion. Et j’ajouterais aussi que votre idée d’envoyer au quatre coins des provinces, des parties de cette armée, pour l’entraînement, la station, et la couverture, en ferait plutôt une armée provinciale. Ainsi, n’aurions point moins de difficultés à nous armer individuellement, puisqu’il s’agirait de payer selon nos revenus, et de garder ces troupes sur nos propres territoires ? Après cette question, je porte à mes lèvres asséchées mon verre de cristal contenant ce doux élixir, avant de reprendre une dernière fois. Et enfin, cher confrère, bien que votre pièce de théâtre fut un délice, autant à mes yeux qu’à mes oreilles, le fait que vous ayez attiré le courroux de l’implacable Karliik Glenn, et que soyez à la fois le commanditaire et l’organisateur de ce… Projet, m’inquiète au plus haut point. Je pense ainsi que les ressortissants du Puy n’attendront plus une seule seconde pour prendre d’assaut notre cité et nos provinces. Et son Altesse d’Uldal’Rhiz et moi-même nous efforçons déjà à rétablir la paix plus au Nord, et à reconstruire cette terre qui fut si fertile et si productive, que celle des Sept-Monts. Ainsi, cher collègues, ce projet ne me semble aucunement viable.

Puis je range mon carnet, et reprend une allure neutre, droite, et froide.

Ces frêles efforts étaient… décevants. Elle lui avait donné le bénéfice du doute. Lui avait donnée l’opportunité de rebondir. De lui prouver qu’il était un dragon, mais le soi-disant Prince des arènes venait de lui prouver qu’il n’était qu’un enfant. Car tel un enfant gâté ce dernier faisait une scène au conseil. N’hésitant pas à monter sur la table et à menacer ses homologues, qui eux, pliaient sous la folie de l’hybride. Maralina se calla dans son siège, un sourire amusé aux lèvres alors que ce dernier menaçait du regard un de ses collègues. Elle n’attendait qu’une chose. Qu’il ose venir lui cracher au visage comme il venait de faire. Mais évidemment il n’osa pas et qui aurait pu le blâmer? Dans sa folie il savait pertinemment qui était les personnes les plus dangereuses dans ce conseil. C’était tout simplement pathétique. Il n’avait qu’une idée en tête et refusait de voir quoique ce soit. Ce genre de comportement mènerait définitivement à sa perte. Oui, car tout le monde savait que vos limitations seraient la cause de votre chute.


Les autres princes marchands se mirent finalement à voter et les résultats étaient délicieux… Quatre votes contre, deux votes pour… Si Maralina votait contre cela fermerait définitivement le sujet et tuerait ce projet dans l’œuf. Elle se calla légèrement dans son fauteuil, ses perles bleutés fixées sur Diolando; « Ce spectacle était au mieux médiocre. Maintenant vous n’avez joué qu’avec la vulgarité. Inutile de mentionner que votre stratégie est bancale et manque de variété. Si elle était mieux étoffée peut-être aurais-je donner mon accord, mais pour le moment je suis contre. » Un demi sourire, elle fit un clin d’œil à Diolando, prenant un malin plaisir à le narguer avant d’ajouter; « Si je peux me permettre Diolando, ne mendiez pas l’attention. Un jour vous en trouverez que vous ne vouliez pas. » Oh elle n’avait pas fini avec lui… elle ne venait que de commencer.

Les chiffres. Contrairement aux mots, ceux-ci ne peuvent être usités, détournés, masqués par ce que d’aucun nomme la « langue de bois ». Pour quiconque aurait un minimum de conscience mathématique, une fois les variables établies et les paramètres calibrés, les chiffres ne disent que la vérité. La vérité brutale, franche, qui ne souffrirait d’aucune contradiction. Encore plus lorsque ces mathématiques sont appliquées au champ strict de l’économie, des finances et des spéculations de quelques natures que ce soit. Cela demeure moins vrai toutefois, lorsque les chiffres sonnent aux côtés d’affirmations politiques, religieuses, ou sociales. Là, alors, ils peuvent être déformés, sortis de leurs contextes. L’art et l’usage de la propagande, ou de la démagogie. C’est selon.

Et je dois dire que je ne suis pas peu fier de voir le Qiryote sortir de ses gonds. Ce poing s’écrasant sur le marbre de la table, est ce que se rapproche le plus de la personnification du suicide politique. S’en est dorénavant fait du Qiriote, pour ce conseil du moins. Car alors ne se rangeront à son avis que les plus faibles, les moins fortunés ou les plus influençables. Des moins que rien, en somme. Qui ne s’élèveront jamais, sinon sur les cendres du premier qui chutera autour de cette table. Quelle serait l’ironie que de voir un de ces faiblards s’élever en lieu et place du flamboyant feu follet foudroyé de frustration ? Sur celui-là même dont l’esprit retord se repait sans remord des relents rances d’une folie qui lui est propre ? Ironie, douce ironie.

Je ne perds rien de ce manège, de cette pièce de théâtre devenue pathétique. Qu’espère-t-il, en plongeant ses prunelles dans les miennes ? A me déstabiliser ? De toute évidence, il ne me connait point suffisamment, le Qiryote. Et une fois les autres exprimés, et l’avis tranchant de Maralina exposé, c’est à mon tour de conclure. Que je sois pour ou contre, de toute manière, ce conseil est d’ores-et-déjà éventé.

- Apprenez, cher confrère, qu’il est une place dédiée à votre flamboyante théâtralité, et qu’il en est une autre dédiée à votre sérieux glacial. Ne les intervertissez point, sans quoi, vous serez votre propre bourreau. A l’image de mon estimée collègue d’Uldal’Rhiz et de Sept-Monts, les Mille-Caves et les Sept-Monts se prononcent contre cette proposition. Je pense, pour ma part, qu’une armée pérenne adviendra comme essentielle, tôt ou tard. Mais en l’état, cela serait signer notre arrêt de mort. Et je n’y suis point disposé. Ainsi ai-je parlé.

Oh la pauvre petite créature…


À croire que les paroles de la Princesse Marchande avaient touché juste. L’hideuse petite créature s’était recroquevillée comme une bestiole en danger. Il se pensait tellement comme l’homme de la situation, mais il n’était rien. Il ne pensait pas. Il était trop téméraire, trop arrogant. Jamais la Princesse d’Uldal’Rhiz ne se serait allié à ce dernier. Qui plus est, elle savait pertinemment que ce dernier avait déjà envoyé des espions pour savoir ses moindres secrets et ses prochaines actions. « Oh… » Commença-t-elle en prenant un air faussement triste. « Il faut croire que la journée est devenue terriblement mauvaise pour toi. » Elle mit la main à son cœur, comme par sympathie avant qu’un sourire amusé s’éclaire sur ses lèvres. « Je ne suis pas comme nos homologues ici présents, si tu veux nous intimider c’est par les actions qui faut commencer. Les enfantillages n’ont pas leur place dans ce conseil. Tu aurais pu être au moins civilisé dans tes actions. Tout ce qui en vaut la peine doit être fait de la bonne façon. Ton plan était bancal et irrationnel. » Des murmures s’élevèrent dans la pièce, signe que certains de ces semblables étaient d’accord avec elle. Mais la Princesse d’Uldal’Rhiz n’avait pas terminé pour autant; « Ne le prend pas personnel, tu as simplement été surclassé. » Elle se releva doucement, posant ses deux mains sur la table alors que son regard azuré était fixé sur l’énergumène qui avait tenté de l’insulter. « C’est une chose de parler des dragons. Cela en est une autre de leur faire face. » Une insulte? Oh oui, définitivement. Bien qu’elle ait deux tranchants et plusieurs façons d’être interprété, Diolando comprendrait rapidement ce que la princesse de la chair voulait dire. Elle était un dragon, un vrai. Protégerait son entre avec la plus grande force destructrice imaginable. Si le Prince des arènes voulait jouer à ce jeu, elle le jouerait avec lui et ferait même les règles. Mais cela serait probablement la pire idée qu’il n’ait jamais traversé son esprit. Il avait encore une chance de se rétracter et de prendre son trou, mais le connaissant, c’était très peu probable.


La Princesse se redressa soudainement avant de tourner son attention vers le greffier. « En effet, moi et mon confère des Milles-Caves avons rétabli la paix dans les Sept-Monts. Moi et mon confrère avons commencé la reconstruction de la ville et avons restructurer leur milice. Mais soyons honnête, la principauté est dans un sale état. Déjà que les semences avaient été réduite dû à notre froid hiver, les bandits qui ont tenté de prendre le contrôle n’ont pas à hésiter à détruire le reste. Nous avons commencé à travailler sur ce plan, mais j’ai bien peur que les Sept-Monts ne soient guère indépendant pendant encore un certain temps. Moi et le maître des Milles-Caves travaillons pour le moment à un plan de relance économique, qui devrait fortement aider cette partie de notre territoire. » Mais oui, le territoire était totalement dépendant de leurs deux dirigeants.

Je ne ressens ni pitié, ni tristesse, ni compassion, ni empathie, à l’encontre de Diolando. D’ailleurs, je ne crois pas avoir jamais ressenti de telles… Choses, depuis ma naissance. De tout temps, et d’aussi loin que ma mémoire me le permet, l’on m’a toujours comparé à la pierre, le foyer des miens. La froideur, le calcul, le pragmatisme, la méticulosité. Aussi répondis-je très simplement à la petite pique du mal avisé Diolando :

- N’en soyez point troublé, conseiller Diolando. Je suis certain que votre mémoire saura se souvenir de mes conseils et de mes mots, jusqu’à-ce que vous puissiez les coucher sur papier.

Mais la suite, elle, à le don d’être dichotomique. D’une part, j’apprécie le spectacle de la joute verbale qui se joue entre le Qiryote et Maralina, alors qu’à la frustration et l’impulsivité du prince aux lèvres bleutées, se superpose la répartie et la vindicte de la princesse de la chaire. Il nous apparaît alors – à moi comme aux autres conseillers, même les moins avisés – que la flamme de la rancœur brûle de mille-feux, et qu’entre Diolando et Maralina, la discorde n’en deviendra que plus violente encore. Dichotomie disais-je, car ce spectacle me donne un goût amer… L’emportement ici bas pourrait être un risque direct et indirect pour moi, et pour Maralina.

Apparaître comme désunis auprès de la population, risque de raviver des tensions et de créer des problèmes que ma fortune ne pourrait point solutionner. Je n’oublie point, je n’oublierais jamais, que l’amende qui fut imposée au maître Salfaryl, aura prélevée une quantité ô combien conséquente de la fortune des caves, et de ses ressortissants. Moi-même, j’ai été obligé de puiser dans la fortune de mon clan pour pouvoir recouvrir cette amende, en partie.

Mais cette discorde pourrait aussi provoquer une menace indirecte, dans le sens où il m’apparaît de plus en plus évident que le Qiryote pourrait, dans un avenir proche, tenter une ou plusieurs actions vengeresses contre Maralina, et/ou contre moi. Des actions qui pourraient nous coûter cher. Des actions qui pourraient même mettre en péril notre emprise sur les Sept-Monts. Et cela, je n’y suis point disposé.

- Vous avez effectivement raison d’apporter un nouveau sujet constructif sur cette table qui est celle de notre conseil. Les velléités nées de frustrations infantiles, ou d’orgueils blessés, n’ont point leurs places ici. Dis-je tout d’abord, tentant de poser la situation non sans rappeler à Diolando, et à Maralina, que la flamboyance de leurs griefs devra être atténuée ici, et maintenant. Chose que Maralina aura commencé à faire, en répondant d’abord à la question de la principauté intéressée. Comme mon estimée collègue vient de vous le dire, la principauté des Sept-Monts jouie enfin d’une paix retrouvée. Au travers d’un plan économique, nous permettons aux marchands de revenir, et aux habitants de reconstruire. Pour ce faire, outre l’aspect économique, nous avons été investis par les membres survivants du conseil dirigeant la principauté, des rennes de la cité et de sa région. Ceux-ci nous offrirent en effet d’en prendre le contrôle, et d’en devenir les Princes-Marchands. Ainsi, mon estimée collègue et moi-même sommes tous les deux Prince-Marchand et Princesse-Marchande des Sept-Monts, en plus de nos titres respectifs de Princes-Marchands de Thaar, de Maître des Caves et de Princesse d’Uldal’Rhiz. Et cela, en tout légalité, comme vous l’avez compris. Une petite pause, histoire de m’humecter les lèvres. Et enfin, nous avons, en collaboration avec les milices de Hanning placées sous nos ordres directs, réalisé un maillage du territoire. Nos enquêteurs ont pu identifier, traquer et solutionner la source principale des tensions au sein de la province : des compagnies de mercenaires. Beaucoup de compagnies. Nous n’avons pas réussi à identifier les commanditaires, mais des éléments nous permettent d’assurer que, pour une certaine quantité de ces compagnies, ce sont les tensions diplomatiques, l’instabilité et le manque de pouvoir local, qui les auraient attiré. L’appât du gain, donc, l’attrait du pillage, sans réels employeurs ni commanditaire. Des porte-dagues attirés par des gains faciles, en somme. Ces compagnies ont été emprisonnées, et attendent leurs jugements. Mais il faudra encore plusieurs mois, plusieurs années même, avant de qu’Hanning et sa principauté ne puissent être pleinement relevés.

Que voilà un exposé rondement mené. Et, au cas où certains n’avaient point compris : oui, nous sommes les princes-marchands des Sept-Monts et ce, pour longtemps.