[Fernel] Indécisions et perte d'identité [Dante]

C’était un pari risqué de confier cet esclave à Dante, Louise en était parfaitement consciente. Il est imprévisible, sauvage et brutal, un tueur froid et méthodique, elle le sait. Elle connait son passif avec les Noirelfes, un passif que, dans une très très moindre mesure évidemment, elle partage. Louise le comprend, elle sait la souffrance que cela lui a occasionné et elle sait aussi à quel point il meurt littéralement d’envie de se fendre d’une chasse au Drow. L’occasion est belle pour lui de malmener cette petite chose fragile tombée à ses pieds tout à l’heure.

Pourtant, Louise sait au moins une chose : pour que Dante parte en chasse, il faut que la proie soit à sa hauteur. Un gibier d’exception. Elle l’a empêché de la suivre dans cette ruelle à Thaar, ignorant alors à quel point il en avait envie. L’explication qui a suivi, dans les offices sombres du manoir Rutsi, elle s’en souvient encore. Et pourtant, elle n’a aucun ressentiment envers lui. Il l’a cognée, frappée, il lui a même craché au visage mais elle ne lui en veut absolument pas. Quelque part, elle l’a cherché, en le provoquant avec des mots pleins d’amertume et de sel, en ignorant ses besoins. Une erreur qu’elle ne fera pas une seconde fois. S’il y a la moindre chance pour qu’elle lui offre une revanche, elle le fera mais avant toute chose, il faut faire parler ce malheureux garçon tombé sur bien plus fort que lui.

Lui envoyer Dante, c’est un peu comme envoyer le grand méchant loup qui fera passer la louve pour une agnelle tendre et pelucheuse. C’était l’effet escompté et elle ne doute pas un instant que Dante, avec sa finesse habituelle et ses méthodes qui n’appartiennent qu’à lui, fasse ce petit effet qu’elle recherche. La peur. La mise en garde implicite. Aussi, quand elle prend la direction de la bibliothèque, vêtue de son habituelle robe de laine bleue à larges galons aux manches et à l’encolure, la châtelaine n’est pas inquiète. Au contraire elle sourit. Elle entre dans la pièce et ferme la porte, se dirigeant vers une petite table ronde, disposée près d’une étagère remplie de livres.

- Je suis heureuse de voir que tu te portes mieux, Lince Sà.

Louise a un regard pour Dante, l’invitant silencieusement à la rejoindre avant de reporter son attention sur l’esclave de Kha’linas.

- A-t-on été aimable avec toi ? Je n’ai pas revu Anaëlle de la journée, je suppose qu’elle a du prendre soin de toi, c’est ce qu’elle fait toujours, cette petite, on dirait qu’elle ne vit que pour ça.

Louise est bien droite sur sa chaise, elle attend, elle l’observe, elle le regarde de la tête aux pieds, avec un sourire.

- Je suis heureuse de voir que Claude a pris soin de toi également. Voilà qui me ravit. Viens donc t’asseoir, s’il te plaît.

Elle lui montre la chaise juste en face d’elle. L’entretien va pouvoir commencer.

*:

- A la bonne heure, tu m’en vois ravie, Lince’Sà. Anaëlle est une petite perle, un petit trésor de gentillesse et de douceur, je savais qu’elle était la meilleure personne pour te rassurer et te mener au bon endroit pour que tu te sentes en sécurité.

La voix est douce, posée, tranquille. Louise ne le quitte pas un instant du regard. Dante est à ses côtés. S’il perçoit le moindre danger, il réagira dans la seconde, elle le sait mais elle sait aussi que ce petit être tout fragile ne représente aucun danger immédiat. Donc en l’état, elle est parfaitement à l’aise et en son élément.

- Je suis heureuse de savoir que Claude a été aimable également.

Un petit sourire amusé tord un instant ses lèvres, avant qu’elle ne se lève et qu’elle s’éloigne un instant de la table, laissant les deux hommes un instant en tête-à-tête, tandis qu’elle approche une étagère de bois sculpté, chargée de livres et de rouleaux.

- C’est le bureau de mon Intendant. Un homme charmant, raffiné et sage, qui sait tant de choses…Quel dommage qu’il soit absent, il aurait probablement aimé…te rencontrer. Ha je vois qu’il fait venir les livres de Diantra…

Elle se saisit de l’un d’eux et l’ouvre, avant de cligner des paupières et de retourner le livre dans tous les sens, cherchant le sens approprié aux dessins qui illustrent des textes sulfureux. La chatelaine a un regard pour Dante. Oui, Elazar l’aurait fait parler. Il l’aurait même chanter, si ça se trouve, en lui prodiguant ses meilleurs soins. Et les meilleurs soins d’Elazar valent bien une heure au Puy, elle en est certaine. Elle dépose le livre, quelque peu troublée par ce qu’elle vient de voir puis passe son doigt sur les couvertures, toute en lenteur et en nonchalance, pour tenter d’oublier cette abominable représentation qu’elle vient de contempler.

- Donc, tu souhaites des informations à propos du siège d’Amblère et d’un Drow masqué, c’est bien cela ?

Elle s’arrête, s’empare d’un énorme volume qu’elle rapporte sur la table et qu’elle dépose avec d’infinies précautions.

- Claude, à ton avis…Quels Drows portent des masques hormis cette…Kha’linas, qui nous occupe, présentement ? C’est courant chez eux, ou c’est réservé à la Haute Prêtresse de Kiel ?

Elle commence à tourner les pages, très doucement. Cet ouvrage est vieux et s’il y a des informations, c’est probablement dans ce livre-là.

Louise écoute Dante sans l’interrompre. Elle ne connait pas les subtilités qui ont trait à la religion des Drows. Bien sûr, depuis cette rencontre de Thaar, elle s’est un peu plus intéressée à la chose, elle en sait nettement plus qu’avant son voyage mais faute de renseignements de premier plan, il est difficile de savoir ce qui est pertinent et ce qui ne l’est pas, en tout cas pour une conversation telle que celle-ci. Elle esquisse un rapide sourire en entendant l’assassin évoquer Zhak’Bar puis toussote un peu avant de tourner les pages, le plus tranquillement du monde.

- Lysandre…C’est donc ton vrai prénom. Si je puis me permettre, je préfère celui-là.

Elle sourit, avant de tomber sur une représentation ancienne, une ville en flammes, des trébuchets, des soldats partout. Voilà ce qu’elle cherchait. Elle lit rapidement deux ou trois lignes avant de soupirer et de poser ses moins jointes sur la table.

- Claude, Amblère n’est pas un bled paumé du Nord. C’est même tout le contraire, c’est une ville d’importance, autant par sa taille que par son histoire. Regarde la carte…

Elle lui montre, du bout du doigt, l’emplacement précis de la ville, en bordure du fleuve.

- Elle a un emplacement stratégique de premier plan et dans les chroniques, c’est là que l’armée Drow a subi une défaite cuisante dont le Duché est sorti grandi. Si je puis dire…Les Drows étaient assiégés, ils ont subi une très lourde défaite là-bas. Mhhh…

Elle continue sa lecture d’un air totalement concentré alors qu’en réalité tout un mécanisme de pensées se met en place. L’histoire est toujours écrite par les vainqueurs, c’est une constante avec laquelle il faut manœuvrer. Il est bien entendu hors de question de donner quelque information à cette Sombre. Quoique…Un léger sourire apparaît sur son visage, avant qu’elle ne reprenne un air pensif.

- Il y a bien eu cette histoire de prêtre Drow tout près de Montvélin. Une obscure histoire d’enlèvement et de viol, un grand Drow masqué, juste après le siège d’Amblère…Cela concernait Madame de Clairssac, si je ne m’abuse. Je me rappelle que cela avait grandement effrayé Mère.

Elle repousse le livre et regarde Dante. Les dates ne correspondent pas du tout, mais peu importe, tant que cela paraît crédible.

- L’armée Drow était en pleine débâcle et ils ont fui comme ils ont pu, à travers Oesgard puis par ici, forcément. On raconte que ce grand Drow là a été arrêté après avoir enlevé la Dame de Clairssac, emmené par les troupes de soldats arétans venus prêter main forte et en route pour rentrer chez elles, en Arétria. Une espèce de trophée. J’ignore ce qu’il est advenu de ce prêtre – probablement rien de bien positif, à priori – mais peut-être que ce tu cherches est en Arétria, Lysandre. Après tout, c’est bien possible. Je n’ai toutefois aucune certitude.

L’assassin saura, lui qui la connait si bien, qu’elle raconte n’importe quoi pour brouiller les pistes. Il n’empêche que cette histoire, des bribes piochées ici et là dans des récits tout à fait véridiques, est pratiquement impossible à vérifier sauf en se rendant là bas, sur place. L’important est d’éloigner le danger de Fernel et de Serramire tout en permettant à ce gamin de donner à sa maîtresse de quoi la satisfaire au moins pour éviter quelques coups. Se donner bonne conscience à moindre prix, c’est ça aussi, la politique. Protéger les siens. C’est tout.

Le ton, la position adoptée et l’air tout à fait inquiet, soucieux, de la châtelaine en font une habile comédienne. Insoupçonnable et tout à fait crédible pour qui la connaît peu. Si Dante ne tombera pas dans le piège, Lysandre, lui, ne pourra que s’y engouffrer.

- Je regrette de ne pas pouvoir plus t’informer, Lysandre…Je n'ai pas envie que cette créature te fasse plus de mal encore...

Ecrire tout cela hein ? Louise reste bien droite sur sa chaise de bois, les mains jointes, à regarder fixement Lysandre. La châtelaine inspire profondément, en songeant à cette rencontre dans la ruelle. Kha’linas Do’ath ne parle pas la même langue que la jeune femme. Elle avait eu recours aux services de cet homme du Nord, enchaîné à ses pieds, qui traduisait scrupuleusement toutes ses paroles sans oser regarder personne. Or, si elles ne parlent pas la même langue, il y a donc de fortes chances que cette créature ne parvienne pas à lire le moindre mot. Sans compter que son traducteur, un homme du peuple, n’a probablement pas les connaissances qui permettraient de lire les phrases qu’elle s’apprête à poser sur un parchemin.

Louise glisse un regard vers Dante, en le regardant fouiller sans ménagement dans les tiroirs.

- Remets tout en place, s’il te plaît. Il n’aime pas tant qu’on dérange ses affaires.

Alors ? En Péninsulaire ? En Vaani ? En Eldéen ? Louise se lève et tend la main vers le parchemin, saisissant la plume de l’autre. Elle est proche de l’assassin, si proche qu’elle sent son souffle sur son front. La jeune femme relève alors la tête et esquisse un sourie que Lysandre ne pourra pas voir. Là, elle dit, de sa même voix douce et tranquille, ordinaire :

- Quand on ne parle pas la même langue, il faut bien trouver un moyen de communication commun, tu ne crois pas ?

Elle a un petit rictus amusé avant de s’asseoir au bureau d’Elazar, loin du regard de Lysandre. Dante, par contre, pourra tout voir, lui qui est tout près et qui la domine de toute sa taille. Louise plonge donc la plume dans un petit flacon d’encre bleu clair et réfléchit un instant.

Le message à faire passer est important. Il requiert de la finesse, de la subtilité et beaucoup, beaucoup de tact. Envoyer un message à un ennemi, c’est signe que les choses vont très mal, en règle générale, soit parce qu’on est en position de faiblesse et qu’on désire négocier une trêve, voire une reddition, soit parce qu’on a juste envie de lui rappeler que non, son adversaire ne laissera rien passer et que la guerre va donc continuer, malgré ses manœuvres douteuses. C’est donc avec un naturel tout à fait déconcertant que la plume glisse sur le papier, tandis qu’elle parle, concentrée, adressant ses mots à Lysandre, resté à sa place, à la table là bas :

- Je ne doute pas que tu retiendras bien ce que je t’ai dit, Lysandre, parce que c’est de la première importance et que ta qualité de survie va en dépendre, impitoyablement.

Un trait, un autre, une arabesque, un autre trait.

- Je me charge de faire parvenir un message circonstancié et détaillé à ta…maîtresse, puisqu’il faut l’appeler ainsi. J’en ai pour quelques instants.

La châtelaine est appliquée, consciencieuse et Dante pourra voir alors que non, Louise n’écrit pas, elle dessine. Un dessin qui annonce la couleur et qui donne le ton, rapidement exécuté mais sans équivoque. Brutal. Sans aucune finesse, ni tact, ni subtilité. Un message qui a besoin d'être passé...

Aussitôt le dessin terminé, Dante s’octroya d’office le document et la plume avant de retraiter plus loin, hors de leur regard . Quand il revint, il tendit le document pour approbation de la châtelaine. Un petit dragon de zhak’Bar, en encre de sang, signe le dessin. Un sourire de Louise avant d'approuver d'un léger signe de la tête.

Un peu de sable jeté sur le parchemin fera sécher les encres, avant qu’elle ne plie avec le plus grand soin le message, un message qui sera ensuite scellé à la cire rouge, sans que le moindre signe imputable à Fernel ne soit repérable. Louise a un sourire pour Dante avant de se relever, digne et droite, pour approcher Lysandre et lui tendre l’enveloppe.

- Tu lui donneras ceci. Je ne doute pas qu’elle comprenne mon message, tranquillise-toi sur ce point.

Le message destiné à Kha'linas:

La châtelaine a un sourire aimable pour Lysandre et opine doucement de la tête :

- Va te reposer. Je vais demander à Maximilien de te faire parvenir de quoi manger dans ta chambre. Va.

Elle attendra qu’il soit dehors, qu’il se soit éloigné de quelques pas dans le corridor avant de se tourner vers Dante et de lui sourire, une lueur étrange au fond des yeux.

- Toi et moi…Le sang n’y est peut-être pas, nous ne sommes pas forgés dans le même métal mais là…

Elle pointe son index sur le torse de son frère, au niveau du cœur et murmure :

- …nous sommes pareils.

Louise lui fait un clin d’œil avant de s’éloigner et de se diriger vers la porte.

- Il se fait tard, tu as faim ? ça sent la viande rôtie, Maïethé a sûrement ajouté quelques épices de chez toi, vu l'odeur délicieuse que je perçois. Tu viens ?

Elle est déjà dehors, apaisée. Dessiner lui a fait du bien. Elle ira sans doute chercher ses planches pour les retravailler cette nuit, tranquillement installée dans son bureau, au milieu des voiles de Thaar.

- Toi et moi…Le sang n’y est peut-être pas, nous ne sommes pas forgés dans le même métal mais là… …nous sommes pareils.


Quand elle pointe le menu index sur son coeur, l'homme ne peut s'empêcher de gronder férocement. Il n'aime pas être pointé, mais prends un plaisir certain dans cette situation de chaos. Louise cependant sait que ce n'est pas personnel ni dirigé contre elle.

- Il se fait tard, tu as faim ? ça sent la viande rôtie, Maïethé a sûrement ajouté quelques épices de chez toi, vu l'odeur délicieuse que je perçois. Tu viens ?


Dante lui emboite le pas sans attendre.

Si tu me prends par les sentiments. Je vais surveiller Lysandre ensuite jusqu'à ce qu'il ait quitté Fernel. Je vais patrouiller le long des frontières ensuite un peu. Ca va être quitte ou double, dame.