De discussion en surprise | Marc-Aurèle, Alicia & Magnus

Marc-Aurèle ne réagit pas à mon trait d'humour. Il est trop tendu j'imagine... Moi qui espérait alléger un peu l'atmosphère... A moins qu'il n'ait pas d'humour ?... Nos moments ensemble s'avèreront bien tristes dans ce cas. Malgré tout, je lui réponds d'un sourire tandis qu'il m'assure qu'il m'épaulera aussi longtemps que nécessaire pour m'apprendre à jouer mon rôle en son absence. Il semble oublier que ce n'est pas lui qui décide de combien de temps il disposera à mes côtés après notre mariage mais je ne reviendrai pas sur ce sujet déjà abordé.

Les goûts du chevalier sont bien modestes et uniquement liés à son titre. Cela ne me tourmente guère, c'est tant mieux s'il aime ce qu'il fait. Il sera ainsi un bien meilleur précepteur pour moi. Alors que je l'écoute, mon regard s'attendrit quelques peu, surtout lorsqu'il évoque le champ de sa mère. Et puis, mon sang se fige et mes muscles se raidissent de façon tout juste perceptible. Son discours était touchant jusqu'à ce qu'il le conclue par l'assassinat de sa mère et me retourne ma question. Il a fait ce que j'attendais de lui mais au pire moment possible... Je sens mon cou trembler légèrement alors que je détourne le regard, déstabilisée. J'essaie de m'en cacher pour ne pas gâcher cette conversation, nous ne disposons que de si peu de temps. Néanmoins, me voilà gênée et obligée de prendre la parole sans la moindre transition. Mais je prends sur moi... La Malelande est une région très dure, je la connais même si j'en suis protégée depuis des années. Je me console moi-même en me disant qu'il n'a probablement pas voulu me déstabiliser et qu'il a parlé de la même manière que ses mots lui venaient.

-Eh bien... Entame-je pour reprendre un peu contenance avant de me racler la gorge. J'ai... assez peu d'activités, comme vous pouvez vous en douter.

D'aucun sait en Aretria que je suis confinée chez moi depuis l'accident. Les seuls trajets que je suis autorisée à faire sont pour me rendre du château de la Capitale du Comté jusqu'à la demeure de ma famille à Terresang. En dehors de cela, je ne puis jamais sortir. Et que je ne suis jamais seule. La présence de mes frères et sœurs à mes côtés a depuis longtemps éloigné tout de monde de moi. Sans parler de mes jambes qui m'empêchent de faire bon nombre de choses que je faisais autrefois.

-Je brode assez bien. Vous m'avez entendu jouer tout à l'heure et j'avoue que je ne vois pas le temps passer lorsque je tiens ma harpe ou mon luth. Je lis beaucoup, à défaut de pouvoir voyager. Et je vous déconseille de me défier à un jeu qui ne dépend pas du hasard. Conclue-je dans un sourire amusé quoi qu'un peu raide étant donné les dernières phrases que nous avons échangé. Thorus est un grand stratège et il a été un excellent professeur. J'apprécie assez le contact des animaux... même si je n'ai que rarement l'occasion d'en côtoyer. J'avais commencé à apprendre à monter à cheval, chose... que l'on m'interdit depuis l'accident. Et le fait que la roue de mon carrosse se soit brisée lors de mon dernier trajet depuis Terresang n'a malheureusement pas fait changer mon frère d'avis.

Je conserve mon sourire malgré ma déception. Je suis habituée à ce que l'on me dise "non" à présent. Je n'évoque pas cela devant mon fiancé dans l'espoir qu'il sera d'un avis différent. Je sais que mon infirmité ne facilite pas le contrôle d'une monture. Il faudrait un animal docile et qui réponde autrement qu'aux jambes pour avancer et s'arrêter, ce qui est assez difficile à trouver. Et même ainsi, je ne suis pas certaine de ne pas souffrir une fois en selle. Même si j'ai accepté mon état, cela ne m'empêche pas d'être frustrée parfois d'être aussi dépendante des autres.

Voyez-vous, le problème lorsque l’on vit de la terre et de l’épée, lorsque l’on met son corps, son âme, et sa vie, entre les mains de la terre bienfaitrice, mais parfois cruelle, et lorsque l’on fait face aux guerres qui meurtrirent tant et tant la Malelande, c’est que la notion de douceur et de tact deviennent étrangères… Pour ne pas dire parfaitement futiles. Ajoutez à cela une propension qu’à Marc-Aurèle à ne penser que par l’honneur et l’implication, et non par les sentiments qui peuvent unir un époux à sa promise… Et vous obtenez une discussion difficile, potentiellement choquante. Le sursaut à peine perceptible d’Alicia n’était donc pas passé inaperçu des prunelles de Marc-Aurèle… Qui ne comprit point pourquoi, d’ailleurs.

Mais ce soubresaut eut au moins le mérite d’attirer l’intérêt du seigneur de Terrefière, dans le sens où il voulut comprendre pourquoi la jeune femme – qui était sa promise – avait réagie de la sorte. Il écouta alors, disions-nous, et fut quelque peu surpris des paroles de la jeune femme. Il ne s’attendait point à une telle surprotection de la part des Terresang. Au contraire, il se serait attendu à ce que Magnus fasse d’Alicia une femme plus forte, l’obligeant à se lever, lui façonnant les des béquilles, des squelettes de jambières, la façonnant selon certains arts guerriers afin que le prochain bandit trouve une mort de la lame de la jeune femme. Mais non.

A la place, elle fut enfermée dans une cage dorée. Un sort qu’il ne lui envie point, lui qui était si bien au grand air.

- Votre esprit tactique, pragmatique, sera une bénédiction pour Terrefière, j’en suis certain. Je ne suis point mauvais moi-même quand il s’agit de manœuvrer troupes et ressources, mais sans doute ma vision est-elle plus étriquée que la vôtre. J’ai grand hâte d’en apprendre plus sur votre vision des choses, lorsque vous rejoindrez mon bourg. Après tout, ne dit-on point « derrière chaque grand homme, il existe une femme plus grande encore » ? Le fait de brosser Alicia dans le sens du poil était tout à fait voulu, quand bien même Marc-Aurèle s’inspirait cette fois de sa défunte mère, qui était une femme aimante, et une régente de fer. Peut-être pourrais-je parler à votre frère. Il me fait confiance, et cette confiance, mêlée à notre union future et à votre statut de sœur, pourrait peut-être lui permettre de lâcher du lest. Après tout, vous aurez besoin de vous déplacer seule par chez moi, aussi renouer avec un destrier pourrait être judicieux.

Et puis, sans crier gare, Marc-Aurèle se leva. Quittant cette assise aux côtés d’Alicia, il fit quelques pas en avant. Joignant ses mains derrière lui, bombant indirectement le torse, Marc-Aurèle réfléchissait avec intensité. Tous ces changements, cela commençait à lui embrumer l’esprit plus que de raison, et le besoin de repos commençait à se faire sentir. Inspirant profondément, il expira tout aussi longuement.

- Ma Dame, je vous ai déjà demandé de me pardonner, mais je me dois de demander votre clémence, une seconde fois, en cette journée. Malgré ma vie faite de missions, d’ordre, d’honneur, tous les changements ordonnés et offerts par votre frère, auront provoqué en moi une fatigue grandissante. Vous comprendrez maintenant, j’en suis sûr, pourquoi je parais si peu sûr de moi. J’ai voyagé durant plusieurs jours, et n’ai point eu de repos à cette heure. Je souhaite ardemment que du temps plus calme nous soit offert dans un futur très proche. En attendant, veuillez ne point me tenir rigueur, si je ne paraît point à la hauteur, ma Dame.

On ne pouvait parler plus à cœur ouvert qu’en cet instant, en tout cas, point du côté de Marc-Aurèle.

Marc-Aurèle trouve un intérêt dans mes paroles et, là où je pensais qu'il ne verrait que de ne futilité, il sait mettre en valeur mon coût pour la stratégie au bénéfice de ses terres. Me voit-il vraiment comme un atout ? Il a l'air de le penser... Depuis longtemps, je sais que j'ai bien peu à offrir à part un joli minois et la capacité à enfanter. Mais si mon fiancé m'a effectivement trouvée belle et qu'il a parlé de nos futurs enfants, il ne m'envisage pas uniquement ainsi. Tout au long de cette conversation, il a évoqué ma place de Dame à ses côtés. Il attend de moi que je l'épaule et que je le supplée. C'est bien plus que je ne pouvais l'espérer... Et lorsqu'il cite cet adage, je détourne une nouvelle fois le regard, un peu gênée mais souriante car j'apprécie ce que je prends pour un compliment.
Le Seigneur de Terrefière évoque la possibilité de parler à mon frère pour l'équitation mais je ne m'emballe pas. Je suis parfaitement lucide à ce propos... Tant que je serai sous la responsabilité de mes frères, la réponse demeurera inchangée.

-C'est mon statut de sœur qui le motive pour me refuser de monter à cheval ou... sortir de la citadelle. Ce ne sont que des exemples parmi tant d'autres. Il n'imagine pas le nombre de choses que je n'ai pas l'autorisation de faire. Je sais que je suis bien trop protégée mais c'est cela qui m'a rassurée après ma libération. Il serait ingrat de ma part de revenir dessus aujourd'hui, je leur dois beaucoup. A tous. Vous pouvez essayer de lui parler mais, tant qu'il aura l'autorité sur moi, j'ai bien peur qu'il ne continue à dire non.

Cela ne durera pas toujours. Une fois mariée, c'est Marc-Aurèle qui aura toute autorité sur moi. Il pourra alors se passer du consentement de qui que ce soit pour prendre les décisions qui me concernent. Et j'ai l'impression que cela va représenter un changement plus que conséquent dans ma vie. Je serais autonome et responsable non seulement de moi mais aussi des gens de Terrefière en l'absence de mon époux. Je vais passer de ma douce et paisible prison à des journées bien plus éprouvantes et j'ignore encore comme m'y préparer.

Soudain, mon fiancé se lève et vient se poster devant moi, comme au garde à vous. Je suis assez surprise par son geste mais je l'écoute néanmoins. Lorsqu'il conclue son discours, mes traits s'adoucissent et je lui adresse un sourire. Peut-être que s'il n'est pas sensible à l'humour depuis tout à l'heure, c'est qu'il se met trop de pression sur les épaules. Nous sommes fiancés et je suis justement la personne à laquelle il devrait être capable de s'ouvrir.

-Monseigneur... Je lève un bras dans sa direction et je m'approche du bord de mon siège. Je pourrais me lever mais la chose n'est ni aisée ni confortable pour moi. Au lieu de cela, je l'invite à prendre ma main puis le guide pour qu'il s'abaisse à ma hauteur. La posture est bien moins formelle et c'est justement ce que je recherche. Vous avez été façonné par la terre et la guerre. Quant à moi... Eh bien, si j'ai été immergée dans les tréfonds de la Malelande durant de trop nombreuses ennéades et que je n'ignore pas que la vie ne se résume pas à celle que je lis dans mes livres... Je suis telle cette rose mise sous cloche dans ce conte pour enfant. Je la trouve confortable et difficile à supporter en même temps parce qu'elle me protège d'un nouvel incident mais elle m'empêche aussi de vivre vraiment. Je sais qu'en la quittant, je vais m'écorcher mais en ressortir à la fois plus riche. En comparaison, la vie s'est montrée si dure avec vous que vous ne sentez plus ces écorchures dont j'ignore tout. Nous sommes... très différents. Mais peut-être cela nous rendra-t-il complémentaires ?

Je ne lui demande pas de changer même si, de mon côté, je vais sans doute devoir le faire car la vie qu'il a vécue, je m'apprête à la partager. Je comprends ce qu'il voulait dire quant au fait qu'il craigne que je ne sois pas heureuse à ses côtés parce qu'il n'a ni armée ni murailles. Sa mère a été tuée par des ennemis et il sait que, tout comme elle, je serais à la merci des prochains adversaires d'Arétria. Il se soucie de moi et se soucie de ce que je ressens, il vient de me le prouver en me demandant une seconde fois pardon après avoir remarqué que j'ai mal réagi à une chose qu'il a dite. Il est maladroit mais il ne le fait pas exprès et c'est pourquoi je le toise avec autant de douceur.

-Vous parlez depuis tout à l'heure de ce que je serais pour Terrefière et ce que je lui apporterai. De ce que je serais amené à faire en votre absence. Mais vous semblez oublier ce que je serais en votre présence... Lorsque vous serez là, Terrefière n'aura plus besoin de moi mais j'aurais toujours un rôle à jouer... auprès de vous. En tant qu'épouse, je serais aussi là pour vous écouter et vous soutenir. J'imagine que c'est un concept assez nouveau pour vous étant donné que vous avez gérer vos activités seul jusqu'à présent... Vous m'avez promis le bonheur mais le vôtre se doit d'être tout aussi important à mes yeux ou je faillirai à ma tâche. D'une manière ou d'une autre nous devrons former... un couple et nous devrons pouvoir compter l'un sur l'autre. Tout du moins est-ce ainsi que je vois les choses et j'espère que vous les partagez.

Cette conversation m'a beaucoup rassurée quant à la place qu'il me réserve auprès de lui. Je me sens pleinement considérée et je n'ai pas de raisons de craindre mon avenir avec lui, bien qu'il reste naturel que j'appréhende ce que je ne connais pas encore. Mais je ne dis pas tout cela seulement pour parler de l'avenir. Car l'avenir se construit dès à présent... Et si j'ai assez bien cerné le Seigneur, j'aimerais pouvoir approcher l'homme qui se trouve sous cette carapace d'honneur et de droiture. Celui qui est effrayé par cette union et fatigué par son voyage.

-Je sais que les présentations entre fiancés sont très formelles mais je vous sens extrêmement tendu et mes quelques tentatives pour alléger l'atmosphère n'y ont rien fait. Vous vous êtes levé pour me faire une demande d'excuses digne de votre Comtesse. Je souris, un peu amusée. Je ne me moque pas, je veux seulement souligner le fait qu'il en a fait un peu trop étant donné les circonstances. Sauriez-vous... oublier la de Terresang et ne plus vous adresser qu'à Alicia ? Ne plus voir la Dame mais simplement... celle qui va passer le reste de sa vie à vos côtés ?

L’attitude d’Alicia changea tout d’un coup. Non point en gentillesse, non. Mais en hardiesse, d’une certaine manière. Elle qui s’était cantonnée à un rôle de future épouse, occupée à tenter jusqu’à l’impossible pour seulement quelques mots de la part de son futur époux… S’était emparée soudainement de la main de Marc-Aurèle. Caleuse, abimée, cornée, ses doigts épais aux jointures témoignant d’une vie de labeur, ressemblaient à d’épaisses baguettes de pain blanc tenues par les doigts agiles et fins d’une boulangère débutante. La puissance de Marc-Aurèle prenait alors toute sa mesure, tandis que cette fière pogne usée par la terre et le fer, était fermement tenue par celle d’une jeune femme douce et innocente, qui aurait besoin de toute sa main à elle, pour pouvoir tenir un seul de ses doigts à lui.

Mais cette douce autorité, cette étonnante fermeté, obligea Marc-Aurèle à ployer le genou. Alors, il s’exécuta. S’agenouillant, il s’approcha à nouveau de sa promise, qui lui tint alors un discours envoutant, et plein de bon sens. Et de philosophie. Oui, d’une certaine philosophie, définitivement.

Marc-Aurèle fut donc impressionné. Impressionné par la prestance de la jeune femme, sa sagesse, malgré sa jeunesse, et par cette façon qu’elle avait de faire preuve d’une fermeté adorable, et d’une autorité féminine. Une rose. Belle de visage, mais piquante à la saisie. Nul doute qu’elle saurait manœuvrer Marc-Aurèle, et lui permettre d’obtenir le meilleur de lui-même.

- Le bonheur d’un homme n’est point primordial. Sa mission est d’assurer toutes celles qui lui sont confiées, d’agir avec honneur et dignité, et d’être un époux attentif. Aussi, ne vous inquiétez point à ce propos. Nul souci à propos de ces écorchures… Que vous qualifiez. Je saurais être à la hauteur.

Marc-Aurèle était effectivement de ce genre : à faire passer la chevalerie, l’honneur et la dignité avant toute chose. Y compris sa santé, sa sécurité et, d’une certaine manière, son bonheur. Mais Alicia revint avec une question des plus… Difficiles.

- Ma Dame… Ce que vous me demandez relève d’une montagne à gravir sans piolet ni corde… J’y arriverais, assurément. Une fois mariés, sans doute. Mais en ce jour… C’est un exercice trop ardue pour que j’y arrive aussi rapidement… Je m’en excuse.

Je ne réalise pas l'effet que je produis sur le Seigneur de Terrefière. Lui si grand que je ne dépasse même pas son épaule. Lui si massif qu'il me paraît inébranlable. Lui si vertueux que rien ne semble pouvoir le dévier de son but... A ma demande muette, il a posé genou à terre sans discuter et m'écoute sans m'interrompre durant quelques minutes. Et je ne m'en rends même pas compte. Je veux seulement lui parler à cœur ouvert pour l'amener à en faire de même.
Je trouve la réponse de Marc-Aurèle bien triste et ne m'en cache pas. Pourquoi aurais-je droit à ma part de bonheur et non lui ? N'est-il pas terrible de s'infliger cela ? De se montrer dévoué à son Seigneur, sa terre, sa famille, au point de s'oublier totalement ? J'en suis désolée pour lui et l'espoir que j'avais de voir cette conversation s'égayer un peu s'évanouit totalement lorsqu'il m'avoue qu'il ne saura me voir autrement que comme la sœur de son suzerain jusqu'à notre mariage... Et peut-être même au-delà si je comprends bien. Je ne m'attendais pas forcément à ce qu'il m'appelle par mon prénom dès aujourd'hui mais je ne pensais pas que le délai serait aussi long... Je ne sais plus vraiment quoi lui répondre. J'ai juste envie de le congédier pour pouvoir prendre un peu de recul, réfléchir à tout ce que nous nous sommes dit et lui laisser le temps de respirer. Car j'ai l'impression que c'est notre mariage tout entier qui est une montagne à gravir pour lui... Et j'ai du mal à accepter le fait de représenter cela pour un homme. Je me suis préparée à tout mais je ne m'attendais pas à cela.

Alors que le silence s'est installé, quelques petits coups sont frappés à la porte de la cour restée ouverte. Je détourne enfin les yeux du chevalier et les oriente vers notre visiteur. Il s'agit tout simplement de ma sœur Elyanna. Elle nous regarde avec un sourire mi-tendre mi-amusé alors que Marc-Aurèle est toujours à genou devant moi et sur nos mains sons unies. Elle se fait des idées sur la nature de notre discussion sans doute mais elle ne cherche pas à en savoir plus. Pour le moment.

-Pardonnez-moi de vous déranger. Je voulais simplement vous faire savoir que nous avons fait ajouter un couvert à notre table pour ce soir, si le Seigneur de Terrefière voulait bien se joindre à nous. Et il en sera ainsi pour chacune de vos visites à la citadelle ou à Terresang dorénavant.

C'est une invitation formulée comme telle mais la politesse fait qu'il serait assez mal venu de la décliner. C'est un privilège obligatoire qui lui est offert alors qu'il rejoint notre famille, bon gré mal gré. Une fois de plus, mon fiancé n'a pas vraiment le choix et j'en suis peinée pour lui quand je vois toute la rigueur qu'il met dans nos échanges et dont il n'est pas près de se départir.

-Merci Elyanna.

Ma sœur s'éclipse assez rapidement, nous laissant de nouveau seuls. Nous avons encore un peu de temps avant le dîner mais je ne suis pas certaine de savoir comment je veux le passer. Finalement, je reporte de nouveau mon attention sur Marc-Aurèle.

-Si vous voulez prendre le temps de vous reposer, je pense que c'est le moment ou jamais.

S'il me tient encore la main, alors je la récupère. S'il est toujours genou à terre, alors je lui fais signe de se relever. Je suis un peu déçue et j'ai sans doute du mal à m'en cacher totalement. J'en attendais peut-être trop de ce premier échange et de lui. Il se préoccupe de moi alors j'espérais qu'il accepte que nous nous rapprochions mais, s'il n'y est pas opposé, il n'y est pas prêt. Je peux le comprendre mais j'ai plus de mal avec le délai dont il pense avoir besoin. J'ai l'impression d'être une situation de plus à gérer pour lui. En plus de ses terres, en plus de son titre... Je crains soudain de l'étouffer en le forçant à poursuivre cette conversation alors qu'il éprouve certaines difficultés à la tenir sans me froisser. Il a besoin de temps et je peux bien le lui accorder. Et pour éviter qu'il refuse un nouvelle fois, j'ajoute.

-Je crois que j'en ai besoin, moi aussi.

Après le départ de Marc-Aurèle, je suis restée seule dans la cour pendant un moment. Je ne sais pas s'il a remarqué que sa réponse m'a déçue. Je ne crois pas en vérité car il n'a pas formulé de nouvelles excuses... Dès qu'il a passé la porte, je me suis réinstallée au fond de mon siège pour m'y adosser dans un soupir. J'ai la gorge nouée et j'aurais presque envie de pleurer. Ces fiançailles sont très différentes de celles auxquelles j'aurais pu m'attendre. Jamais je n'aurais pensé avoir besoin de me faire moi-même ma place auprès de mon futur époux. Les hommes n'ont jamais rien contre le fait de prendre femme en général... Je n'aurai ni à lutter pour faire valoir la noblesse de mon sang ou ma liberté d'expression... J'aurai à lutter pour être simplement voulue à ses côtés. Il ne me rejette pas mais, à travers la façon dont il me voit, il place une distance de titre entre nous que j'ai du mal à supporter. D'autant qu'en vérité je suis bien peu de choses...

Finalement, je reprends mes béquilles et je me lève. Je rejoins ma chambre à l'étage, l'esprit ailleurs. En chemin, je croise à nouveau Elyanna et ne lui adresse pas un mot. Cependant, une fois que nous nous sommes dépassées, elle s'arrête et m'observe avant de me héler.

-Alicia... Tu n'es pas avec ton fiancé ?
-Non. Je l'ai congédié avant le dîner. Nous n'avions plus grand chose à nous dire pour aujourd'hui.
-Oh oh... Ma sœur se rapproche de moi. Elle lit vite sur mon visage que quelque chose ne va pas. Viens. Dit-elle en reprenant avec moi le chemin jusqu'à ma chambre.

La porte de mes appartements se referme derrière nous et elle m'entraîne jusqu'à l'assise au pied de mon lit.

-Raconte. Ça s'est mal passé ?
-On ne peut pas vraiment dire cela. Il a de la considération pour moi, ce qui est le mieux que je pouvais espérer. Il se préoccupe de mon bonheur, de celui de nos enfants. Il tient à ce que j'occupe une véritable place à ses côtés en tant que Dame de Terrefière mais... Je marque une pause, le temps de parvenir à mettre des mots sur ce que je ressens. Il ne veut pas de moi. Ni d'aucune autre femme d'ailleurs. Je ne sais pas combien de questions je lui ai posé avant qu'il ne m'en retourne une. Et il était si tendu... Parce que la seule chose qu'il voit en moi, c'est la petite sœur de son suzerain. Je lui ai demandé d'oublier la Dame et de s'adresser à la femme et il m'a répondu qu'il lui faudrait du temps.
-C'est un peu normal, tu ne crois pas.
-Il m'a fait comprendre que je pourrais attendre au moins jusqu'à notre mariage, sans pouvoir m'assurer qu'il aurait passé le cap d'ici-là. Complète-je.
-Je vois... Fait Elyanna après avoir marqué un temps d'arrêt. Ecoute... Nous avons tous approuvé le choix de Marc-Aurèle de Terrefière. C'est un homme droit et soucieux de ses gens, nous n'avons pas le moindre doute quant au fait qu'il veillera bien sur toi. Mais c'est un indécrottable célibataire.

Je souris tristement devant cette expression qui m'amuse un peu malgré mon tourment, je dois bien l'admettre.

-Il m'a avoué que Magnus lui a forcé la main.
-Et cela ne me surprend pas une minute que notre frère s'y soit pris ainsi. Il a simplement besoin d'un peu de temps pour digérer la nouvelle. Et je te le dis d'avance, la nuit qui vient n'y suffira pas.

Je soupire. Je sais bien qu'elle a raison... C'est seulement que j'espère ce jour depuis si longtemps... Tout en angoissant à l'idée de découvrir ce qui m'attendra lors de la première discussion avec mon fiancé. En parlant avec lui, j'ai nourris beaucoup d'espoirs beaucoup trop vite et maintenant... je déchante et la chute est un peu rude. Elyanna comprend tout cela rien qu'en me regardant mais son optimisme reprend vite le dessus. Elle pose une main sur la mienne et continue avec un entrain nouveau.

-Tu sais quoi ? Il ne s'en va que dans deux jours et Arianna m'a dit que tu t'étais enfin décidé à quitter ton deuil. Cela nous laisse le temps de lui faire une surprise. Au moment de son départ, il te verra telle tu es : une jeune femme belle, douce et disposé à cette union. Il doit partir avec cette image de toi en tête et revenir de son voyage dans de meilleures disposition pour vous deux ! Alors je vais aller chercher ta servante et la couturière, nous allons retirer toutes tes frusques sordides de ton armoire et ressortir toutes tes anciennes robes. Certaines ne t'iront plus et d'autres feront trop enfant mais nous en trouverons une que l'on peut adapter pour faire de toi la femme la plus magnifique de tout Arétria et lui faire passer l'envie de trop traîner sur la route.

Je souris à ma sœur. Cela ne règle pas vraiment le problème mais je veux bien me prêter à son petit jeu. Cela aura au moins le mérite de me distraire avant le dîner et la nuit qui vient. Alors j'acquiesce afin de lui faire savoir que je participerai volontiers à sa manœuvre plutôt que de la subir... Parce que je sais de toute manière que je ne pourrais pas y échapper.

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Deux jours plus tard

Il est bien tôt mais c'est l'heure à laquelle partent ceux qui s'en vont pour un long voyage. Je me suis levée avant l'aurore et je ne dormais déjà plus de toute façon. Nous avons passé les deux dernières soirées avec Elyanna, Magdeleine et la couturière à préparer ma tenue pour aujourd'hui. J'ai même ressorti ma boîte d'épingles à cheveux qui prenait la poussière depuis le décès de ma mère. Ensemble, nous avons préparé la tenue que je porte actuellement. Il s'agit d'une robe à la coupe simple mais ajustée, quelque chose d'à la fois féminin mais d'élégant dans la façon dont elle dessine ma silhouette. Pour la couleur, nous avons opté pour un bleu clair. Cette teinte fait ressortir mes yeux mais c'est aussi une note paisible, à l'image de ce qu'il se dégage de moi. C'est également une façon discrète de sortir de mon deuil, bien plus adaptée qu'un rouge qui aurait été vulgaire ou un violet que rappelait encore trop la mort. Quant à ma coiffure... Par Néera, j'avais plus que l'embarras du choix. Mais après deux mois à porter des chignons serrés, j'ai décidé d'opter pour quelque chose de plus relâché. J'ai évité tout ce qui avait tendance à rappeler une couronne afin que Marc-Aurèle oublie celle qu'il m'imagine porter dès qu'il pose les yeux sur moi, gonflant le buste comme un soldat devant sa reine, imposant une distance là où nous sommes censé nous rapprocher. J'ai donc également mis de côté ce qui semblait trop riche ou trop extravagant. Je me suis rabattue sur quelque chose de plus floral, puisqu'il semble apprécier la nature. C'est bien l'une des rares choses personnelles que j'ai pu apprendre sur lui.

En ce tout début de matinée bien fraîche, j'atteins donc le parvis de la citadelle ainsi apprêtée pour dire au revoir à mon fiancé, comme le veut la tradition. Plutôt que de rester en haut des marches, je prends la peine de les descendre pour me retrouver humblement au même niveau que le Seigneur de Terrfière qui achève de préparer sa monture. Je m'arrête respectueusement à quelques pas de lui et confie mes béquilles à Magdeleine. Elle recule de manière à faire oublier sa présence tandis que je joins les mains devant moi, attendant avec dignité que Marc-Aurèle puisse m'accorder un peu de son attention. Comme Elyanna l'avait prédit, nos discussions de la veille ne nous ont pas beaucoup apporté. Je suis même restée assez distante afin de le laisser respirer, mettant de côté mon désir de nous voir sympathiser. Nos échanges ont été très formels et je suis... toujours aussi déçue de la tournure que prennent les choses, bien que je m'en cache afin de me montrer patiente envers lui. J'espère de tout cœur que cette petite cérémonie de départ orchestrée par ma sœur lui permettra de partir avec une meilleure vision de moi et ainsi revenir en étant plus ouvert à l'idée de nous voir unis prochainement.

Coiffure:

La suite de la soirée, et de la matinée, fut des plus simples pour Marc-Aurèle. Invité à dîner, il fit ce qu’on attendait de lui. Il se présenta, mangea, répondit lorsqu’on lui parlait, ou lorsqu’on lui posait des questions. Et puis, l’heure du coucher était arrivée. Et le seigneur de Terrefière, épuisé par une telle journée et par toutes ces nouvelles, s’endormit comme un roc. A peine sa tête s’était-elle posée sur l’oreiller de plumes, que ses yeux se refermèrent… Et il sombra dans un profond sommeil.

Au matin, le réveil fut des plus… Bizarre. Marc-Aurèle était heureux de partir en mission, heureux à l’idée que son honneur l’appelait à une mission diplomatique du côté de Fernel, et plutôt satisfait à l’idée d’être le Premier Conseiller du Conseil Comtal, ordonné par Magnus. Puis, revint l’idée du mariage, et cette idée lui fit froncer les sourcils, et se poser une myriade de questions. Comme la veille me direz-vous. Oui, à ceci prêt que, cette fois, Marc-Aurèle trouvait parfois ses propres réponses à ses propres questions, là où, quelques heures avant, il ne ressentait que des questions… Sans aucune réponse.

Se levant, s’habillant, se restaurant, Marc-Aurèle accueillit les domestiques et servants qui venaient l’aider à préparer sa folle épopée. On l’aide à mettre son armure de plate, et à harnacher dans son dos, sa très grande claymore. Son cheval fut prêt, et on le lui apporta dans la cour… Où une étranger procession semblait s’être levée bien plus tôt que lui encore. Il y avait du monde… Il y avait Alicia.

Se détournant d’elle au tout début, Marc-Aurèle rassembla ses esprits. Vérifiant les unes après les autres les lanières de cuir qui attachaient sa selle, ses sacoches de cuir, ses couvertures, et son paquetage de vêtements ainsi que le nécessaire de campement, le seigneur de Terrefière tentait de gagner du temps… Et de reprendre contenance. Mais il dû se rendre à l’évidence : tout était vérifier, contre-vérifier, et tout était prêt. Alors, il était temps de… S’adresser à Alicia.

Et il trouva une jeune femme tout à fait différente. Tenue là, à bonne distance, et debout, habillée de couleurs, sa chevelure attira immédiatement le regard du petit seigneur. Chez les femmes, c’était là une des choses qu’il appréciait : des cheveux longs, volants au vent, et une bouche charnue et pulpeuse. Et, bien-sûr – mais cela doit être universel – des yeux magnifiques.

Quelque peu… Chamboulé – ou dirions-nous surpris – Marc-Aurèle se stoppa un instant. Un court instant, mais qui voulait sans doute tout dire, ou s’en approcher du moins. Puis, il fit les pas en avant qui le séparaient de sa promise. De sa main droite gantée d’acier, Marc-Aurèle vint prendre la main gauche d’Alicia. S’agenouillant avec une apparente difficulté – liée à cette armure de plate de bonne facture mais bien moindre que celles forgées par-delà les frontières du Zagazorn – il mit finalement genou à terre, et releva le visage vers Alicia… Avant de le rabaisser, et de déposer un baiser de ses lèvres charnues sur la peau douce de cette femme surprotégée. Et puis, il se releva, et tenta de masquer cette gêne que l’on ressent lorsque l’on saute dans le grand bain, celui-là même que l’on refusait d’approcher depuis des années et… Des années.

- Ma Dame… Alicia… Dit-il finalement, faisant un énième effort sur lui-même pour sortir des gonds du protocole et de la bienséance. Pardonnez-moi encore pour notre première rencontre, qui n’a pas été à la hauteur. Sur les ordres de votre frère : je pars. Je reviendrais assurément, mais je repartirais encore, et encore, car tel me l’impose l’honneur. Mais si vous acceptez cela, et si vous acceptez les futures responsabilités qui seront vôtres… Alors je vous promet un mariage magnifique, et une vie heureuse.

Et il resta là, devant elle, durant deux ou trois secondes. Il prit une grande inspiration, et attendit une réponse, verbale ou non verbale.

Je regarde le Seigneur de Terrefière se préparer. Il me semble qu’il m’a vue mais il s’est assez vite détourné. Pour l’instant, le stratagème d’Elyanna ne fonctionne pas. Ou bien n’a-t-il pas remarqué ? Je n’en sais rien et je sens l’anxiété monter et s’installer dans mon ventre tandis que les minutes passent. N’a-t-il pas déjà vérifié ses étriers ? Ou les sangles de son paquetage ? Je commence à croire qu’il essaie de gagner du temps ou qu’il m’évite. Je partirai bien pour lui laisser l’espace dont il semble avoir besoin mais ce serait assez remarqué et on chuchoterait dans notre dos sur l’état de ce mariage qui n’a même pas encore été conclu.
Finalement, le chevalier se tourne pour me faire face et il se fige. Je crois lire la surprise et une forme d’appréciation dans son regard et je ne peux que difficilement tenter de réprimer un sourire heureux. Je crois que je lui plais ainsi… Il s’approche après un instant de battement et je redresse légèrement le menton pour reprendre contenance dans une grande inspiration. La montagne qu’il est me prend délicatement la main et s’abaisse jusqu’à poser le genou. C’est une impression assez étrange de vivre une telle chose. D’autant que, dans son armure, il est plus impressionnant encore que durant les jours précédents.

Je sais qu’un baise main est une tradition. Habituellement, les lèvres ne touchent pas les doigts mais cela se peut entre fiancés et époux. Et c’est ce qu’il fait… C’est la première fois que je sens ce contact et le sentiment qu’il me procure est assez étrange. Je ne saurai le décrire si je devais le faire…

La montagne se redresse et je dois lever le regard pour le maintenir dans le sien. Et c’est alors que ce que je ne pensais pas entendre avec de longues ennéades quitte les lèvres qui viennent de me baiser les doigts. Mon prénom… Je ne peux cacher ma surprise, ouvrant des yeux plus grands et laissant mes lèvres s'entrouvrir. Il l’aurait fait lorsque je le lui ai demandé, deux jours plus tôt, cela n’aurait probablement pas eu le même effet sur moi. Mais de savoir que l’exercice lui était si difficile qu’il pensait en avoir pour plus d’un mois avant de s’y essayer rend son geste d’autant plus important à mes yeux. Je mesure la portée de son geste bien plus que je n'aurais pu le faire s'il n'avait pas commencé par me dire non. Qu’est-ce qui l’a fait changer d’avis ? Je n’en sais rien du tout… Et c’est le cadet de mes soucis pour l’instant.
Je l’écoute me redemander pardon pour ces premières heures passées ensemble. Il semble vraiment s’en vouloir pour toutes ses faux pas, alors même que j’ai déjà accepté toutes les excuses qu’il m’a présenté jusqu’ici. Je ne l’interromps cependant pas alors qu’il me rappelle encore qu’il sera souvent absent et je fais bien… car ces derniers mots font s’envoler en moi l’anxiété que j’ai ressenti en attendant qu’il ait fini ses préparatifs. Et cette joie que j’ai éprouvé en l’entendant prononcer mon prénom n’est rien en comparaison de celle qu’il me procure à présent. Un mariage magnifique… Et une vie heureuse. Ses mots gonflent mon cœur de bonheur et je ne peux réprimer mon sourire. Je baisse brièvement les yeux en me pourléchant les lèvres pour reprendre le dessus sur mes émotions. Il sait la peur qui était la mienne de finir seule au point d’accepter un mariage avec le pire des hommes qui soit. Et il a compris peut-être que sa réticence à notre union me peinait d'autant plus. Alors ce qu’il m’offre juste avant de partir est inespéré. Je relève la tête et plonge à nouveau dans son regard avec une certaine assurance malgré tout.

-Nous vous en souciez plus. Cet entretien est ce qui rend votre déclaration… et l’effort que vous venez de fournir… d’autant plus beaux.

J’ai une hésitation sur la façon dont je souhaite répondre à sa requête. Celle dans laquelle il me demande si j’accepte sa condition qui le forcera à être souvent absent et moi à endosser le rôle qu’il souhaite m’attribuer… Mais il y a une chose… Une autre tradition à laquelle j’ai pensé mais que je ne comptais pas mettre en œuvre aujourd’hui afin de ne pas lui imposer ma présence et le laisser respirer en mon absence. Mais après ce qu’il vient de me dire… C’est peut-être le bon moyen de lui répondre.
Ma main libre se porte au poignet de celle qu’il tient encore. Mes doigts s’immiscent sous le tissu et en retirer un carré d’étoffe de la même couleur que ma robe : bleu clair avec quelques fils d’argent. Je récupère ma main prisonnière et je passe le linge de qualité autour de son poignet pour l’y attacher avec un double nœud, assez serré pour qu’il tienne mais pas trop pour qu’il puisse le retirer si nécessaire. Ainsi font les Dames pour faire valoir à qui va leur préférence dans un tournoi ou pour qu’un homme garde le souvenir d’elle en son absence. Et je souhaite que cette étoffe remplisse ses deux rôles pour moi aujourd’hui.
Lorsque ma tâche est achevée, je conserve sa main dans les miennes avec douceur et je retrouve ses yeux.

-Je respecte votre sens du devoir, il vous honore. Et tandis que vous accomplirez le vôtre, je remplirai le mien. A partir d’aujourd’hui, vous pouvez être certain qu’il y aura toujours au moins une personne pour espérer votre retour. Faites attention à vous. Et revenez vite… Marc-Aurèle.

Prononcer son prénom me fait une drôle de sensation… C’est étrange et agréable à la fois. Et je lui souris d’un air heureux et un peu complice alors que je me suis plié à ce même exercice que je ne pensais pouvoir exécuter avant longtemps. Je n'aurais jamais espérer que le début de nos fiançailles aboutissent à ce moment seulement deux jours plus tard et je ne saurais être plus heureuse. Je voudrais qu'il reste encore un peu mais cet au revoir, cela n'aurait plus aucun sens...