[Essalia] Vois-tu le feu qui m'anime ? | Albael

An 18, 4e ennéade de Vermios, premier mois d’été,

Allongée sur son divan, elle soulève lentement le gobelet d’or rempli d’un vin pourpre. Elle plonge son doigt à l’intérieur, l’étale le long de ses lèvres avant de passer sa langue sur celles-ci. Elle penche sa tête en arrière, découvre ses dents, laisse la goutte tracer un sillon rouge dans son cou, respire de plus en plus fort. Sa poitrine se soulève, ses bras se tord. Le livre qui gît à ses côtés est ouvert, mais elle répugne à en poursuivre la lecture.

— Tout va bien, princesse ? lance la Belle en tournant ses magnifiques yeux dans sa direction.

Elle tend ses mains en avant, ses doigts se recroquevillant, un sourire éclaire son visage. Un furieux désir de s’emparer de ces joyaux bleus nait en elle, la fait soudainement frissonner d’envie et de plaisir. Mais l’expression de la Belle, soucieuse, l'empêche de plonger ses griffes pour en extraire ces yeux opalins. Elle décide plutôt de jouir de sa chair. Elle saisit son bras, le porte à son nez, laisse courir sa langue sur sa peau avant de la mordre, joueuse. La Belle à l’habitude, elle sent qu’elle en a envie également, mais retire son bras.

— Pas maintenant, princesse, proteste-t-elle gentiment en riant.

Pourquoi ? Pourquoi se refuse-t-elle à ses caresses ? Ne comprend-elle pas ? Ne voit-elle pas le feu ardent qui brille dans ses prunelles émeraude ?

— J’ai fait venir quelqu’un aujourd’hui ! annonce sa Belle avec coquetterie. J’ai ouï dire qu’il pouvait lire l’avenir !

Elle se détourne, elle ne veut pas écouter quelqu’un pavoiser. Pas maintenant. Elle veut s’emparer des richesses de ce monde, plonger dans un océan de merveilles aux reflets d’ors et d’argents, recouvrir son corps de ces beautés froides et brillantes ! Elle plonge longuement son regard dans celui de sa Belle. Elle finit par acquiescer. C'est naturel. Elle la comprend. Elle la comprend toujours.

Elle est étendue, la sueur perle le long de son front, les draps cramoisis tombent en cascade dans la pénombre de sa chambre. Elle se penche en avant, sa main courant sur celle de la Belle. La porte s’ouvre et laisse entrer une de ses servantes, une beauté exotique qui n’a rien à envier à celle de sa Belle.

— Il y a ici quelqu’un qui se dit se nommer Albael, annonce-t-elle d’une voix monotone, comme si la tâche de déranger sa maitresse lui déplaisait au plus haut point. Son regard flamboie de haine envers la Belle. Je l’ai fait patienter dans la pièce qui jouxte l’un des Balcons, juste après le Mur des Étoiles.  

— Oh ! réagit aussitôt la Belle avant de lâcher un rire cristallin. Allez, vient Lyna ! Allons l’accueillir !

Elle soupire puis hoche la tête. L’homme pourrait peut-être apporter davantage de soleil à sa journée. Peut-être est-il même digne d’intégrer sa Roue d’Or ? Sa langue passe lentement sur ses lèvres, l'excitation la gagne alors qu’elle s’extirpe des couvertures.

Elle s’allonge sur l’un des canapés qui parsèment le Balcon, sa Belle prenant place à ses côtés. La vue sur les jardins Or'Siandbel est saisissante. Le soleil brille de mille feux, sa chaleur pénètre sa peau, réchauffe son corps. Elle lève lentement la tête vers le haut, exposant tout son corps à l’astre brillant avant de pousser un long soupir d’aise. Ses vêtements sont simples, sa poitrine masquée par un tissu noir et une robe vaporeuse au niveau de sa taille suffisent pour accueillir le nouveau venu. Elle ouvre légèrement les yeux.

— Qu’il entre ! ordonne-t-elle alors que les portes pivotent lentement.

Alabel était au départ un peu tiraillé entre deux désirs contraires depuis qu’une cliente hors du commun s’était présentée à lui. Les gens auxquels il parlait étaient aussi nombreux que divers. Riches, pauvres, vieux, jeunes, de toute les ethnies et de toute les mœurs, Albael voyait de tout. Mais elle en revanche-t-elle sortait franchement du lot... Jamais il ne s’était attaqué à ces puissantes figures qu’étaient les princes et les princesses qui régnaient sur la ville. Ils étaient dangereux et retords, la manipulation était leur arme. Albael n’était personne pour leur tenir tête et le désir de rester loin des problèmes avait jusqu’à présent parlé le premier. Mais le bonimenteur était autant animé par le gout de vivre que celui du risque et il avait eu tendance à trop l’oublier dans sa petite masure. Il s’ennuyait ferme à vendre l’amour aux mal aimés et la richesse aux démunis. Il lui fallait plus alors il avait accepté la proposition de la servante et quelques temps plus tard il était sur les routes pour Essalia.

Le voyage fut long et pénible pour le doeben qui aimait tout de même avoir un certain confort et ne voyageait pas beaucoup mais par chance pas d’encombre ne vint le ralentir. Après un jour passé à se reposer afin d’apparaitre à son meilleur jour devant cette princesse, ce fut temps. Même là où il avait grandi il n’avait jamais vu tant de richesses et de luxe que dans le palais et le salon dans lequel il fut mené pour patienter et ses prunelles rubis ne cessèrent de se balader à droite à gauche durant toute l'attente.

Et puis finalement on lui fit comprendre qu’il pouvait entrer et il obtempéra sans broncher. Les mains dans le dos et le port de tête qui convenait à un tel décorum, Albael mettait en pratique le peu de chose qu’il avait appris durant sa jeunesse et gardait dans son attitude une certaine élégance malgré le petit frisson de trac qui parcourait son échine.

-Princesse. Albael ne put réprimer le léger pli amusé au coin de ses lèvres tandis qu’il se penchait en avant. C’est un honneur.

Il avait toujours eu une sainte horreur de ce genre de carcan et le voilà qui faisait courbette et rond de jambes. L’adolescent revêche qu’il avait été se serait moqué avec force s’il le voyait mais le temps lui avait appris qu’il fallait parfois jouer le jeu pour arriver au bout de la partie. Subtilement il scruta la jolie princesse qui lui faisait face. Elle n’avait certainement pas froid aux yeux c’était peu de le dire. Elle n’était pas vilaine loin de là. En fait elle était à l’image de son palais. Un raffinement certain transparaissait dans le moindre de ses recoins, et la princesse des arts semblait être une statue mouvante tout à fait à sa place ici. Difficile d'en attendre moins de toute façon.

-J’ai cru comprendre par votre délicieuse amie que vous aviez besoin des réponses de mes cartes ?

En revanche cela ne serait pas gratuit, ils le savaient tout deux. Entre le voyage et la prise de risque, il comptait bien y garder un confortable dédommagement que l'adrénaline ne comblerais pas seul. Il se demandait bien ce que pouvait dépenser sans compter une princesse comme celle-ci d'ailleurs...

Elle se penche en avant, l’observe longuement, sourit légèrement de ses lèvres rosées. L’émeraude glisse le long de sa silhouette, note les rubis enchâssés dans ses yeux, incline légèrement la tête, mord l’ongle de son index. Elle ne répond pas à son salut. À quoi bon ? Elle contemple son visage, décortique ses traits, y cherche beauté et perfection. Y cherche bijoux et brillance.

— Oh oui ! s’exclame sa Belle en guise de réponse au nouveau venu. J’ai entendu de nombreuses choses sur vous !

Ses joues rosissent légèrement. Rosissent-elles ? N’est-ce pas le soleil qui les brûle ? Elle tend une main vers son visage avant de l’abaisser. Cela attendra. L’émeraude scrute à nouveau l’homme.  

— Pouvez-vous nous faire l’honneur de tirer les cartes pour nous ? poursuit-elle en lui décochant un sourire éclatant. J’aimerais beaucoup connaître mon avenir...

— Un avenir de passion et de richesse, souffle-t-elle soudainement, ses yeux accrochant le rouge du Tireur de Cartes. Ses mains frôlent le creux de ses reins. Un avenir de fête et d’or.

Sa Belle sourit en guise d’encouragement. Elle le fixe avec espièglerie, contrastant avec son regard qui reste terne. Elle demeure silencieuse. Elle attend. Attends qu’il brille. Que de ses yeux jaillissent mille feux. Que de ses cartes jaillissent des éclairs d’ors et d’argents. Que de son monde... jaillissent beauté et musique.

Son regard transperce sa chair, détaille ses muscles, tente de l’imaginer dépourvu de ses vêtements. Ses yeux sont avides. Ses mains se recourbent. Elle lève un doigt. Des serviteurs jaillissent et apportent des rafraîchissements au nouveau venu. Plusieurs chaises sont installées devant elle. La Bête reste à la porte, gigantesque femme de métal au visage dissimulé sous son heaume de corbeau.

— Que nous réserve l’avenir, Tireur de Cartes ? le questionne-t-elle en mordant sa lèvre inférieure. Sa voix est langoureuse. Lui promet mille plaisirs. Dis-nous... dis-nous ce que voient les rubis de tes yeux...

Le doeben pencha la tête sur le côté, cachant sa surprise derrière son habile sourire. Elle était …réceptive la princesse. D’un habile jeu de mains, un épais paquet de carte fut soudain entre ses doigts fins. Il s’amusa à les battre sans jamais révéler autre chose que leur dos identique.

-Un avenir de fête et d’or ? Le bonimenteur émit un rire léger. Non !

Ses yeux brillaient d’un amusement véritable, tandis qu’installé sur une des chaises qu’on avait apportées, il se pencha un peu vers l’avant rivant ses rubis aux émeraudes de la marchande.

-Non ce n’est pas cela que vous voulez voir Princesse. Cet avenir est déjà entre vos mains. Vous, vous voulez bien plus.

Ils voulaient tous plus. Tout le monde voulait toujours plus. Telle était la vie en itrhi vaan, oscillant constamment entre pulsions et désirs insatiables. Elle ne l’avait certainement pas fait venir pour la pluie et le beau temps. Une personne de cet acabit avait forcément une obsession, un désir lancinant qu’il voudrait voir exhaussé à n’importe quel prix.

-Dites-moi, ce que vous voulez vraiment voir. La question qui vous obsède au point de me faire quérir depuis Thaar. Cette question-là, contre quelques pièces, je vous en montrerais en la réponse.

Cessant de battre ses cartes, il en dépose une sur un petit guéridon à sa portée. Rien ne se passe physiquement mais le moindre mage aux alentours peux percevoir une action sur la trame, comme l’air qui vibre juste avant de s’embraser.

Elle étire ses lèvres, lentement, calmement. Observe le Drow aux Yeux de Rubis. Cherche à discerner le feu qu’ils abritent. L’émeraude se fait plus joueur. Ses jambes se soulèvent, son pied nu se dépose sur le sol. Sa Belle à ses côtés se détache lentement d’elle. Elle sent que la situation commence à éveiller son intérêt.

— N’est-ce pas vous qui devez nous prédire notre avenir ô Tireur de Cartes ? l’interroge celle-ci en reprenant sciemment le nom dont elle l’a affublé.

Son sourire est enjôleur. Elle lui jette un coup d’œil, cherchant son approbation. Elle continue de sourire, détaillant les cartes. Elle sent la trame qui se tord, qui vibre sous les battements. Elle comprend finalement à qui elle a affaire. Mais l’émeraude est toujours aussi joueur. Elle se redresse, se rapproche à quelques centimètres du Tireur de Cartes.

— Dis-moi… dis-moi où se trouve le trésor qui m’obsède…

Elle se lève, fait lentement courir sa main sur ses épaules en tournant autour de lui. Sa Belle sourit toujours, cherchant à attraper les rubis dans les siens. Quant à elle... Elle le met à l’épreuve. Sera-t-il capable de deviner cet objet qui l’obsède ?

Albael se sentit doucement pris au piège mais il ne se démonta pas. Jamais il ne devait lâcher prise, le risque était trop grand. Et puis ça rendait la partie plus intéressante lorsque l’adversaire avait aussi tout un paquet de cartes dans sa manche. Jouer sans risque n’avait rien d’enivrant.

-Je prédit l'avenir, madame, je ne devine pas les désirs de ceux qui me consultent.

Alors à la place de paniquer, il maintint son sourire joueur et releva le défi de la princesse. Sous ses apparences elle était tout aussi dangereuse qu’on le disait. Possessive, il n’avait pas manqué la multitude de petits gestes de ci de là pour tenter d’obtenir le moindre objet brillant des environs. Il n’avait pas manqué son regard qui ne lâchait pas le sien.

-Enfin pas tous.

Doucement, il récupéra sa carte, se releva avec grâce. La frôlant à peine une demie seconde il riva son regard loin des deux femmes, sur le lointain au-delà de ce balcon. Il appuya finalement son dos contre la rambarde, se retourna et regarda à nouveau les deux femmes.

-Oh je crains qu’en obtenant cet..."objet" il ne s’éteigne à jamais Princesse. Le doeben pencha un peu la tête sur le côté, son sourire découvre à nouveau ses dents blanches. Il s’exprima sur un ton faussement nonchalant. Et après tout, que vaut un rubis quand il a perdu tout son éclat ?

Il n'était pas certain de savoir où ce petit jeu le mènerait, lui qui pensait au départ simplement baratiner une experte en la matière mais il lui semblait plus faire office de funambule que de voyant à l'heure actuelle.

— Rien, claque sa voix en réponse tout en s’approchant au plus près de son visage. Il ne vaut alors… strictement… rien.

L’émeraude et le rubis ne sont espacés à présent que de quelques centimètres. Dans ses pupilles brille un feu dément, de passion et d’avidité, d’envie et de désir. Sa Belle l’observe avec une mine inquiète. Elle se demande si elle doit intervenir. Doit à nouveau la faire asseoir auprès d’elle. Mais il n’en sera rien. Pas tant que le jeu était aussi amusant. Car en devinant juste, le Tireur de Cartes avait gagné le droit de conserver ces joyaux rougeoyants. Et cela...cela était terriblement amusant...

— Nous aimerons…, commence sa Belle avec hésitation avant de reprendre d’une voix plus forte, j’aimerais alors que vous me disiez quel sera mon avenir.

Elle s’écarte lentement, effleure doucement la paupière du Tireur de Cartes, comme pour en capturer l’image, puis s’éloigne d’un pas léger. Elle contourne sa Belle, gagne la balustrade qui borde son balcon et s’y assoit. Ses cheveux d’ébène flottent sous le vent, le soleil caresse sa peau.

— Prédis donc l’avenir de ma Belle Camélia, lui demande-t-elle en soutenant son visage entre ses deux mains. Tire donc tes belles cartes…

Ses yeux restent rivés sur lui. Son sourire se fige. Elle attend. Attends de voir ce dont il est capable.

-Comme il vous plaira.

Albael n’insista nullement et acquiesça à la requête de la princesse marchande. Il était là pour cela après tout. Alors avec une tranquillité méthodique il vint se replacer devant la dénommée Camélia, le petit guéridon entre eux.  A nouveau il posa une carte, cette fois ci face visible. Il s’agissait d’une femme grande et forte, à la peau de divers reflets. Un lion de braa se couchait à ses pieds, tête incliné vers le sol.

La trame se remit à onduler doucement. Un instant le visage du drow se ferma en observant la carte, comme concentré ou réfléchissant puis son sourire revint et il tendit la main à la femme devant lui.

-Contrairement aux centaines de menteurs qui ne se contenterons que de mots creux appris dans je ne sait qu'elle foire, moi je peux vous montrer ce que je vois et ce que j’entends vraiment.

Il y allait doucement sur sa magie, ne sachant pas à quel niveau de perception magique étaient l’une et l’autre et sachant par contre la folie qui animait la princesse. La seule chose qu’il fit, faisant simplement mine d’animer la trame, c’est de suggérer une présence quelques part parmi eux. Il laissait l’esprit de Camélia décider d’où et de comment elle la percevait. Etait-ce une ombre là dans le coin ? Ou bien ce parfum jusqu’alors inconnu qui flottait dans l’air ?

-Les dieux m’ont donné un don que je ne peux que partiellement partager. Parfois… Il eut l’air d’hésiter, mordant ses lèvres une seconde avant de se raviser. Ce n’est pas important. Sa voix se fit murmure avant de revenir à un volume normal et d’une voix douce il demanda :  Puis-je ?

Sa Belle tourne son regard vers elle, s’attend à un signe de sa part, mais n’en obtient aucun. Ses yeux fixent le Tireur de Cartes, intensément, brûlants, le feu vert détaillant les cartes, tentant de lire son jeu. Tentant d'arracher le masque. Elle sait. Connaît. Ressent. Mais attends. La curiosité est la seule raison pour laquelle elle n’a pas quittée les lieux. Ses lèvres se plissent en un sourire. Qu’il la divertisse.

— Je… je sens quelque chose, fait soudainement Sa Belle en fixant l’un des canapés inoccupés qui parsèment le balcon. Une… une présence !

Elle met sa main devant sa ravissante bouche. Ses yeux sont légèrement écarquillés. Surprise ? Crainte ? Quelle félonie ose troubler l’expression parfaite de son visage ? Elle se redresse, le sourire disparaît. Elle sait. Connaît. Ressent. Mais l’attente devient douloureuse.

— Comment est-ce…, reprend-elle en saisissant la main du Tireur de Cartes, oh oui, montrez-moi !

Ses yeux se plissent, sa bouche se tord. Son regard est fixé sur la main qui s’accroche à celle de l’Homme aux yeux rubis. Elle sait. Connaît. Ressent. Mais commence à être fatiguée d’attendre.

Albael eut l’air surpris lorsque Camilla évoqua la silhouette, mais n’ajouta rien. Ce qu’il tentait était gros, très gros, mais On n’avait jamais rien sans rien et ce petit jeu il l’avait déjà fait mille fois. Ses doigts virent faire tourner une carte cette fois ci au centre du paquet. Petit à petit il imprimait divers discrets mouvements à ses cartes au fur et à mesure qu’il incantait. Au lieu de forcer à nouveau l’esprit de la suivante, il l’invita dans son esprit à lui, lui permettant ainsi de briser le rituel à n’importe quel moment.  Ce sort permis par ailleurs d’atteindre aussi la princesse, qui elle aussi, verrais et sentirais si elle le souhaitait. C’était un paris risqué Albael en avait conscience, il avait aperçu le petit rictus impatient de la princesse. C’était quitte ou double.

Concentré à la fois sur son sort et sur ce qu’il disait, son visage se ferma. Au deux femmes, il suggéra dans un premier temps une myriade de reflets d’elles même, dans tout leur état : riant, dansant chantant, pleurant, parlant. Partout autour d’elles elles se verraient de toutes les manières qui le leur plaisait.

-Nos avenirs sont composés de milliers d’embranchement, certains lointains, d’autres tout proches. Chaque choix de chaque individu que nous croisons s’entremêle à nos avenirs respectifs. C’est ce que je perçois : des embranchements. Constamment je vois ces possibilités, mais elles sont floues, diffuses. Ce ne sont que des images et des sons qui n’ont pas de sens. S’il n’était pas concentré un rictus aurait à nouveau animé ses lèvres. Mais il s’avère que par mes cartes, j’arrive à…disons, catalyser ces possibilités, à en extraire un sens, et à en comprendre l’essentiel, ce qui arrivera sans aucun doute, comme une image à travers une loupe. Cela tant qu’Arcam me le permet bien entendu.

Sans vraiment la voir, il reposa un doigt sombre sur la carte à plat sur la table. Les images et les sons se muèrent. Ce fut leurs propres idées de la force qu’elles virent ou ressentirent.

-Vous Camilla, je perçois une constante dans ces flux : la force. Où que vous sembliez aller, elle est toujours là sous une forme ou une autre. Vous êtes une femme dévouée, votre force d’esprit est toute tournée vers celles que vous suivez.

Il tira une autre carte : Une femme au voile lui couvrant le visage, lanterne à la main, le plat de sa paume recueil une larme. Apparait alors la suggestion d’une forme de danger. La crainte. Camilla . Le danger se fait plus intense. Il peut s’agir pour elles d’une image d’un fauve ou bien la sensation d’être épiée. Elles sont les seules à le déterminer.

-Mais il y a aussi une ombre qui vous suit. Quelque chose ou quelqu’un vous en voudra. Un danger qui rôde même déjà. Un proche, un concurrent jaloux peut être ? Ou bien...une concurrente? Ce danger viendra, Camilla.

Avant qu’elles ne paniquent, une forme de soulagement apparait. Le bonimenteur leur suggère une forme de calme après la tempête.

-Mais par votre force vous en épargnerez votre princesse et vous. Il ne s'agira qu'un nuage noircissant le soleil un court instant. Vous tiendrez bon et vous en sortirez toute deux plus fortes que jamais. vous n'en serez même pas éclaboussée. L'ombre ne vous atteint jamais.

Rayonnantes. Alabel leur suggère ce qu’elles peuvent associer à la passion et la richesse qui accaparait tant la maitresse des lieux.  Il met une petite seconde à reprendre, laissant par la même occasion aux deux femmes d’intervenir si elles le souhaitent, par des questions ou autres.

Elle écoute attentivement ses mots, décortique leur sens, en mesure la portée. Son corps est penché, ses mains croisées sur ses cuisses sont inertes. Sa Belle ouvre des yeux ronds, ses cils tressaillent légèrement, d’excitation et d’impatience devant ces paroles. Elle sent. Sent qu’il les amène dans son esprit. Mais se laisse faire. Que va-t-elle y voir ?

Dans un premier temps, elle. Parfaite, belle et rieuse. Des yeux aussi clairs que l’eau des sources pures. Une silhouette fine et galbée, une peau légèrement bronzée pour être demeuré sous les rayons de l’astre chaud. Des lèvres envoûtantes, des dents blanches et éclatantes. Son corps se meut avec grâce, se déhanchant sur une musique sourde, sur une piste de danse invisible. Son regard croise le sien. Une créature parfaite, une beauté sauvage. Ce qu’elle aspirait à être. Non. Ce qu’elle était déjà.

Sa Belle dandine légèrement la tête sur les côtés, semblant également être bercé par les paroles du Tireur de Cartes. Il est talentueux, elle en convient. Et tant qu’il lui montre ce spectacle sublime, elle le laisse poursuivre.
Aux premières paroles sur la force, la silhouette dansante se substitue à une autre, plus grande, plus terrible, faisant apparaître une nouvelle femme, de lourdes parures de diamants tombant de ses cheveux, des yeux brillants d’un feu dément. Son sourire est à faire se damner l’âme des hommes les plus humbles au plus riches. Elle en a la conviction. Cette femme a assouvi tous ses désirs, tous ses rêves. Elle a dévoré tout ce qui a attiré son attention. Elle est à la fois magnifique et terrifiante.

Lorsque le Tireur de Cartes aborde le danger qui plane sur elle, elle ne voit qu’une chose. Un tableau représentant une femme sublime lacérée. Les pans de la toile tombent au sol dans un triste craquement. Elle manque de se lever. Ses poings se ferment. Sa Belle pose une main sur sa bouche avec un air terrifié, en proie à sa propre vision.

Enfin, quand il conclut par leur avenir rayonnant : bijoux et ors se matérialisent sous son regard d’émeraude. Elle voit nombres richesses entre ses mains ouvertes. Elles ruissellent, tombent à ses pieds pour rejoindre le monticule brillant qui s'y étale.

Le Tireur des Cartes cesse de manipuler ses cartes. Il semble attendre leurs questions. Chose qui ne tarde guère.

— C’était…, commence sa Belle en agitant ses mains devant elle comme si ce mouvement pouvait l’aider à trouver ses mots, c’était stupéfiant ! J’ai vu… je me suis vu en train de danser avec Lyna, puis des assassins au visage de tigre ont voulu se jeter sur moi ! Ensuite, j’ai ressenti un grand calme, comme un… bateau qui me berçait lentement et j’ai vu un immense banquet auquel j’assistais avec Lyna. Sa bouche se ferme un moment, ses joues rosissent légèrement avant qu’elle ne reprenne. Je pense comprendre ! Lyna nous allons être attaqués par des monstres assassins mi-hommes mi-bêtes qui vont nous capturer pour nous emmener sur un bateau et nous…

Elle cherche des yeux son regard.

— Non ?

— Peut-être, répond-elle simplement en lui souriant avec tendresse. Qu’en pensez-vous Tireur de Cartes ? Vais-je être kidnappé par des assassins mi-hommes, mi-bêtes ?

Son ton est joueur. Ses yeux se plissent.

— Pour ma part je n’ai rien vu, prétend-elle. Aurais-je dû voir quelque chose me concernant ?

Son ton est joueur. Ses yeux se plissent. Elle mord sa lèvre inférieure. D'Impatience et d'excitation.