Histoire
- Timeline:
820:X - 0 an : Naissance
824:X - 4 ans : Enfance (Knublstubi)
836:X - 16 ans : Adolescence (Garaz)
849:X - 29 ans : Âge adulte / Kumenouth (Gnutrommi)
925:X - 105 ans : Fin de formation (Altrommi)
942:X – 122 ans : Pacte de Fidélité
999:X - 179 ans : Voile
19:XI - 198 ans : Aujourd'hui
« –
PAR LES MÂNES DES MILLES ANCETRES ! UN FILS ! »
Au pied du mont RinnDok, Celle-Qui-Veille, on célébra comme il se devait la naissance d’un nouveau dawi du clan Sage-Pierre, auquel les fiers parents prophétisaient déjà un grand destin. Même le Thane était venu honorer le petit de sa présence, ainsi que le prêtre, venu de l’Almion lointain. Dignes Altrommi du clan runiste, Tunk et Thurma Sage-Pierre veillaient scrupuleusement à ce que chaque jour, l’honneur du clan grandisse de leurs actes et de leur travail acharné. Il était vrai qu’il n’était pas peu ardu de se réclamer des Sage-Pierre, qui inspiraient le respect chez les khazad du Nivor à la Virnée, selon leurs propres dires. C’était que, s’il n’était pas l’un des plus grand, le clan possédait l’un des savoir les mieux gardé du Zagazorn. Si, des runistes aux artisans des forges, le silence avait valeur de loi chez les nains, il avait été élevé en institution chez les Sage-Pierre ; ils étaient parmi les seuls à maîtriser à la perfection l’extraction du pigment bleu de Yaron des entrailles des colossales Karaz naines. S’attirant de leur artisanat de la Yaronite égard, considération, richesse et convoitise, c’était un temps où l’on reconnaissait et estimait le clan Sage-Pierre. Les Anciens du Thryng racontaient même aux plus jeunes Knublstubi aux oreilles avides de légendes, que du temps béni d’Ankorong, l’un des Grand-Roi portait le nom de leur illustre clan, qui comptait alors trois fois plus de Braise-Vies qu’aujourd’hui.
« –
Il a les yeux du Deuxième Fils… »
Ils virent bientôt les pattes du tout jeune Wyrgar, nommé ainsi du mot qui désigne les neiges des plus hautes montagnes de leurs contrées qui jamais ne fondent, s’allonger pour permettre de le porter. Il marcha, courra bientôt, connu ses premières explorations des Karaz sous l’œil vigilant d’un père attentif et d’une mère aimante. Il connut une enfance en tout point heureuse, élevé selon la plus pure tradition naine. On lui enseigna le respect des aînés, la dévotion à l’égard du Père des Batailles et des Fils de la Forge, la ferveur pour les Ancêtres et la crainte du jugement d’Heidum.
Il se souvenait très bien du premier jour où il descendit dans les tripes du monde, dans les cavernes dont les
Guzdur ont fait leur foyer. Échappant à la dure poigne de Thurma, il s’y glissa avec d’autres courte-jambes, quelques Altrommi sans doute complices à l’insu des jeunes dawi d’une petite escapade formatrice sans grand danger. Ils approchèrent à quelques pieds de ces lézards aveugles et nus, au jet de bile redoutable qui anéantissait même la pierre et de métal ; les nains sont faits d’acier, selon les Anciens, aussi la peur retint les derniers pas qui les séparaient des Mange-Pierre.
Vint le temps du grandir, des premiers poils de jeune barbe et des premières gorgées de bière. La Voie du Clan lui ouvrit ses bras ; Wyrgar l’embrassa tout entière. On lui inculqua d’abord la science des runes, leur sens, leur tracé, et il recevait avec gratitude ces savoirs ancestraux reçus de Yaron lui-même. Marchant dans les pas gigantesques d’innombrables aïeuls, il grava ses premières runes dans l’argile et entreprit d’en libérer la puissance, d’en faire pouvoirs. Les échecs furent cuisants ; les khazad ne s’ouvrent qu’avec lenteur et patience aux nouveaux savoirs.
Il fallut maintes années et maintes désillusions pour que les défaites ne se muent en victoires et que le jeune dawi ne puisse enfin commander au feu et ordonner à la terre. Force de rigueur et de ténacité entretinrent les ambitions à son égard de ses professeurs bienveillants mais non moins autoritaires. Plus tout à fait Garaz mais pas encore Gnutrommi, il maîtrisait déjà les plus simples des runes et s’attaquaient aux plus complexes avec avidité. Sa douzaine d’hivers à peine passée, qu’il suivait les Langktrommi au plus profond des boyaux des Karaz pour y observer au plus près ces sauriens mangeurs de pierre, en apprendre le métabolisme et comprendre leur vitale utilité.
Vint alors le temps du Kumenouth, celui de la maturité qui vient avec l’âge mais de la barbe encore juvénile. Ce fut un moment de réjouissance, à l’instar de celui que connurent les premiers fils en le Mogankordum lorsque vint le temps pour eux de conquérir le Monde du Dessus. On invoqua Girdon, le Ripailleur ; bière, champignons, sangliers et herbes s’attablèrent alors avec les Sage-Pierre en son honneur. Les Anciens du Thryng se réunirent alors autour du doyen Zagazkroni et l’on tendit une plume d’
Ornsmotzan au jeune Wyrgar qui put inscrire son nom sur les pages du mythique Livre Secret. Le Thane s’approcha et posa une main paternelle sur l’épaule du jeune dawi. Sa voix forte tonna et imposa le silence aux oraisons du clan scandées avec ferveur.
« –
Wyrgar Sage-Pierre. Tu as inscrit ton nom dans notre Thrynaz-Kron, et, ce faisant, tu as gravé ton nom dans l’histoire de notre clan. Sous l’œil du Premier Forgeron, l’Ardent Mogar, notre Père, tu as juré mettre bras, couenne et caboche au service de son Thane, de respecter les Anciens et de louer les mânes de tes Ancêtres. Tu le jures à nouveau ? »
Les prunelles emplies de la fierté de se voir dédié un tel rituel devant le clan et ses aïeuls, Wyrgar acquiesça. Sa voix, singeant la puissance et la dignité de celle du Thane, cria un « –
Oui ! » triomphant. Quelques rires et des acclamations explosèrent dans son dos ; la bière aidait à faire les épanchements flamboyants. Le silence se fit soudain, rendant son ton solennel à la cérémonie. La plus longue barbe sortit du cercle. Sa démarche était chancelante mais son regard glacial vrilla celui du jeune dawi. Il lui tendit une lame de la taille d’un avant-bras à la garde portant ostensiblement une rune d’Yaron. Le Zagazkroni recula, cédant sa place à l’un des Langtrommi. Le silence se faisait pesant, laissant entendre la Braise-Vie de Wyrgar frapper son thorax en son intérieur. Le dawi vénérable s’avança et lui tendit sa main gantée d’un cuir épais, enserrant fermement la mâchoire d’un Guzdur rageur. La poigne était ferme, inflexible, la prise, assurée. Le petit reptile se débattait sauvagement, sans parvenir à se libérer du poing qui empêchait même ses lancers de bile malfaisante. Wyrgar savait ce que l’on attendait de lui. La Karaz sembla retenir son souffle alors qu’il exécutait la bête d’un geste encore maladroit, extrayant ses premières pincées de Yaronite des entrailles du Mange-Pierre, sous l’œil infiniment fier de son père.
Naquit avec le Kumenouth le temps du long apprentissage à peine entamé, celui du Gnutrommi qui prend alors toute la mesure de ce qui lui reste à connaître. Sa première Takalrhun, la rune-bleue, fut une occasion de plus pour se heurter aux difficultés qu’imposa la Père des Batailles au peuple khazad en le forgeant dans l’acier. Il y parvint pourtant, fort de la persévérance qui leur avait été accordé dans le Prime Brasier.
Sa barbe se fit estimable, puis honorable, et put se parer de quelques bijoux ; vint alors le temps du voyage. Le cœur complet de la sagesse de Yaron, de la flamme de Mogar et du savoir des ancêtres, c’est quand elle fut enfin considérée « pleine » qu’il partit prendre l’habit des prêtres du Deuxième Fils de la Forge. Ses pas l’amenèrent pour la première fois bien au delà de son vallon natal, dans le lointain Kirgion. Wyrgar foula Kadrinin, le Sentier des Cols, qui serpentait entre les pics enneigés en toute saison. Les portes de Kirgan, la Souterraine, s’ouvrirent à lui ; la cité des Rois-Sous-Les-Montagnes jetait ostentatoirement à sa figure ses immenses richesses issues de ses fertiles galeries. Dans ses entrailles, la GrandSalle des Scriberunes recelait de nombreux secrets qui n’attendaient que ses yeux avides pour les percer. Les prêtres de Yaron saluèrent son entrée tardive dans leur ordre, répondant au besoin impérieux de placer au centre de ses runes sa Foi en l’Ancien. Cinq années dans le Joyau de la montagne ne furent assez pour assouvir sa soif de savoirs, d’érudition et de sagesse, qui jamais ne semblait vouloir s’étancher.
Lorsqu’arriva le moment du retour, vint le temps de l’adversité, de la terrible épreuve qui grave dans le granit la trempe d’un dawi. Ils furent dix, cent, innombrables, à déferler sur la caravane depuis les horizons assombris par la nuit. Les éclats des runes zébrèrent la noirceur du ciel d’éclairs ravageurs, sentences de mort. La vermine verte embusquée s’en trouva déroutée, mais forte du nombre, parvint à arracher plusieurs Braise-Vies avant l’aurore.
Au cou, une rune de l’éther signe de prêtrise, Wyrgar retrouva le regard de RinnDok et la chaleur des siens. Alors porté par la force de l’âge mûr, il s’attira, par son travail acharné, le respect de ses pairs et la considération des anciens. Opiniâtreté et entêtement à arpenter, jusqu’à perfection atteindre, la voie du Clan, ne furent sans doute pas étranger à la conquête de Sa Braise. Elle était une forte et fière bavette ; celle de Wyrgar Lui fut vite acquise et ils gravèrent leur Pacte de Fidélité dans le roc de la falaise. Naquit de leur foyer une nouvelle tête joufflue, fille de la montagne dont on célébra la naissance dans l’opulence d’un banquet nain. Il La chérissait et Elle L’aimait tout autant, cette petite qui avait gardé les yeux de son père et la noirceur du cheveu de sa mère.
Mais vint le temps de la MaleNuit, et le monde s’obscurcit.
L’Ire de Mogar se déchaîna lorsque, loin des siens, Wyrgar conduisait la richesse du clan Sage-Pierre entre les forteresses de la lointaine Thanor, qui en avait fait le commerce. L’ordre dans le royaume du Vengeur Garmin fut balayé par le chaos ; la défiance succéda à l’esprit du Clan et au creux des Falaises d’Arkan furent abaissées les herses. Nombreux furent les dawis tentés par la prière lorsque les colonnes en déroute de nains, bavettes et marmots se massèrent au-dedans puis au-dehors de la Cité, contant comme le Père des Bataille avait avalé Kirgan sous le feu de la terre et arraché Almis à ses prêtres par les lances de la vermine gobeline. Ils furent tous déçus par leur piété aveugle et sombrèrent dans la haine et la rancune contre Celui qui leur donna la vie dans le Prime Brasier.
Il était tard, bien trop, lorsque Wyrgar se jeta avidement sur les routes du Septentrion pour regagner ses terres natales, alors que l’aube réveillait le Zagazorn meurtri. Il aurait voulu les sauver, Elles qui étaient son cœur et sa chair, mais ne parvint qu’à jeter un lointain regard implorant à RinnDok, qui surplombait cette vallée de la mort dont, même d’approcher, il lui était interdit. Sous la pâle lueur d’une seconde lune qui n’avait apporté que douleur et destruction, il veilla tout un mois, espérant déceler la flamme d’une présence. Mais ne discerna que l’obscurité.
Vint le temps du deuil et de la colère, et jamais plus il ne pût prononcer Leur nom.
Cultivant sa rancœur entre les murs de la méridionale Lante, il se tint loin des affaires qui déchiraient ses semblables, rendus fous par la traîtrise de Mogar et la perte de tous les vénérables Karumgrothi. Le modeste temple de Yaron, épargné de la fureur du thane Poing-de-Fer, devint, face à la hargne fratricide des dawis, son abri. Longtemps, ils furent aveugles et sourds à l’agonie du Grand-Royaume qui, sans Groman-Rik, sans l’ancienne sagesse ni Joyau-sous-les-montagnes, n’était plus que stérile lande de monts enneigés.
L’ouïe leur revint peu à peu, colportant les rumeurs des Karaz. A son oreille désabusée, on lui conta les conquêtes des traitres mogarites sur Almis la Perdue. Il vit partir les Poing-de-Fer vers le Kirgion, extraire sa cité de sa gangue. Seul, sans jamais partager à quiconque les alphabets et les secrets Sage-Pierre, il nourrissait ses runes d’un fiel inépuisable. Le Cri du roi Valek, compromis par les races du Sud, ne parvint à le faire sortir. Ce ne sera finalement que le ralliement des Deux-Cités qui lui fit s’engager à nouveau sur les sentiers du Nord, bouffi d’un espoir malsain et naïf de reconquête totale. Mais la frénésie des dawis s’arrêta aux profondeurs d’Almis la Mogarite, car nul autre n’ambitionnait la reprise des terres septentrionales, pas même le Groman-Rik Poing-de-Fer, élu de l'Althinkalan.
Almis l’Insoumise se souleva, sous l’influence des prêtres restés dans la servitude, sous le joug tyrannique de Mogar. Guerre nécessaire, auquel il ne participa pas. Vivant de l’hospitalité marchandée des clans gardiens des Contreforts des Hautes-Terres, Wyrgar mit ses runes au service de la protection de ce qu’il restait du peuple dawi, contre la vermine grobi et la démence des engeances de Brisséa. La redécouverte de Molgrunn, qui apporta à tant de ses semblables une nouvelle espérance crédule, ne trouva en son cœur qu’un faible écho.
Vint enfin le temps du retour.
Kirgan, la Meurtrie, vit les premiers pas de Wyrgar à l’aube de l’automne de l’an dix-huit. Dans ses ruines il rechercha les trésors perdus des Archirunistes et des prêtres de Yaron, attendait le temps, prochain, où la reconquête des terres de ses ancêtres repentira l’ultime humiliation du denier survivant du clan Sage-Pierre.