Au départ d'Alëandir (solo)

2ème jour de la 2ème ennéade de Favriüs – 1er mois d'automne.
19ème année du XIème cycle.
Alëandir.

« Réveille-toi » chuchote Lynn à l’oreille de sa jument.

Elle secoue la tête doucement, sortant d’un de ces rêves que les animaux peuvent avoir, qui nous échappent. Elles s’observent un instant, avant que l’elfe ne la guide le long du chemin qui mène aux portes d’Alëandir. Le soleil n’était pas levé, et la ville dormait en silence. Il faisait froid, mais comme toutes les Longues-Oreilles, Lynn ne ressentait pas cette température. Elle avait choisi de laisser son armure royale ici, et s’était vêtue de vêtements légers, et de protections en cuir. Mieux valait privilégier le confort, qui sait combien de temps elle passerait sur les routes. Elle avait installé plusieurs sacs sur sa jument, et elle portait son arc sur son dos, ainsi que deux poignards à sa ceinture. Elle avait passé ces quelques derniers jours à faire ses préparatifs, et dire au-revoir aux plus concernés.

Le premier avait été son commandant, évidemment, Aegden. Lorsqu’ils étaient enfin rentrés de leur voyage en Annon, il ne lui avait pas fallu longtemps pour lui annoncer la nouvelle de son départ. Il ne l’avait pas mal pris, bien au contraire. Après lui avoir bien expliqué les raisons de son départ, Lynn avait été ravie d’entendre ses encouragements. Elle lui avait promis d’essayer de revenir indemne, et qu’elle ne manquerait pas de le tenir au courant de ses avancées. Après tout, elle avait prévu de passer par plusieurs grandes villes d’Anaëh. Si elle se présentait en tant que soldat de l’armée royale, on lui donnerait forcément la possibilité de contacter la capitale. Elle l’avait quitté avec un salut plein de respect, et lui avait souhaité bonne chance pour ces prochains mois.

Elle avait ensuite filé droit au temple de Tari, et elle avait passé deux jours, et deux nuits, auprès de Meldyn et de ses prêtres. Cette courte échappée lui permit de se recentrer sur elle-même, et elle écouta avec attention les conseils de ses guides, qui l’avaient accompagné pendant de si longues années. Elle les avait remerciés pour tout leur travail, et avait souligné l’amour qu’elle leur portait. On lui souhaita une nouvelle fois bonne chance.

S’ensuivirent quelques jours de préparatifs. Lynn avait choisi de prendre suffisamment de provision pour tenir deux ennéades. Même s’il ne lui fallait que quelques jours pour atteindre Ardamir, sa première destination, elle avait prévu de faire un court détour, et s’inquiétait de se perdre. Mieux valait être prudente. Elle avait pris suffisamment d’outils pour s’occuper de sa jument, et de quoi rafistoler ses habits et ses protections. Elle n’oublia pas également de charger un petit stock d’herbes médicinales, et une petite casserole pour préparer des boissons chaudes. Bref, elle partait avec tout ce qu’elle ne pourrait pas trouver facilement dans la forêt, et dont elle pourrait avoir besoin.

La veille de son départ, elle l’avait passée avec son père. Le magicien avait tenu à dîner avec elle, inquiet. Elle passa la soirée à le rassurer, et lui promit également de lui envoyer des nouvelles dès qu’elle le pourrait. Il fut le seul à lui dire de faire très attention à la solitude, et de chercher de l’aide quand elle sentait le contrôle lui échapper. Elle lui avait fait un sourire, lui disant qu’il n’y avait rien à craindre. Lynn se sentait apte à prendre la route, et elle n’avait pas peur de ce qui rôdait dans les ombres de son inconscience. Ils s’étaient quitté après un long câlin, et Ildrill lui promit qu’il viendrait la chercher en personne si elle se perdait. Amusée, elle lui avait conseillé d’en parler avant à Aegden, qui saurait sans doute quoi faire si elle ne donnait pas de nouvelles.

L’archère s’était couchée assez tard, et s’était réveillée en pleine nuit. La route l’appelait. Elle s’était habillée rapidement et avait filé droit à l’écurie. En passant la grande porte d’Alëandir, un garde la salua. Son masque cacha le sourire qu’elle lui lança, alors, elle lui fit un clin d’œil, avant de sauter sur sa jument, et de s’élancer entre les arbres, éclairée par les premiers rayons du soleil levant. Son long voyage commençait.

La forêt l’accueillait dans son intimité. Le vent frais de cette matinée d’automne venait caresser son visage radieux, illuminé d’un grand sourire. Puis, la pluie se mit à tomber. Elle ne se détourna pas de son chemin pour autant. C’est deux jours plus tard, après deux nuits à la belle étoile, toujours sous l’eau, qu’elle arriva au pied de cette sombre clairière.

Elle la reconnut instantanément, et dans son être, elle ressentit une émotion profonde, indescriptible. Le temps est redoutable, et finit toujours par vaincre, et changer tout ce qu’il touche. Pourtant, ici, l’endroit n’avait pas changé. Rien n’avait poussé sur cette terre brûlée. Sa jument avançait sur le sol mouillé, presque rocailleux, et se dirigeait droit vers l’arbre mort, au beau milieu de la clairière.

Chacun de ses pas faisait frissonner Lynn, et ses souvenirs ressurgissaient un à un. Une course avec son frère. Une chasse avec son oncle. Une prière avec sa mère. Un Chant avec le clan. Une larme coula sur sa joue, se mêlant à l’eau de pluie sur son visage. Pourtant, elle continuait à avancer. Plus de trois-cent ans s’étaient écoulés depuis le massacre, et pourtant, elle avait l’impression que ces souvenirs étaient si proches.

Arrivée près de l’arbre, Lynn mit pied à terre, et s’agenouilla devant ce tronc brûlé. Elle se courba et posa son front sur le sol, se prosternant ainsi pendant plusieurs minutes. Elle ne bougea pas, même lorsque sa jument vint frotter son museau à son dos. Lorsqu’elle se releva enfin, ses larmes coulaient toujours, mais sa prière était terminée.

L’Ëala l’avait-elle entendue ? Pouvait-elle toujours se recueillir en ce lieu abandonné ? Quelqu’un avait-il seulement mis les pieds ici depuis son départ ? La Symphonie ne lui donnait aucun indice, se contentant de chanter une complainte triste, sans parole.

Lynn posa alors sa main sur le tronc, et elle cria. Au même instant, un unique éclair retentit, coup de tonnerre se répercutant entre les arbres de la forêt. Elle revoyait le regard de cet être vil qui avait assassiné son frère, qu’elle avait exécuté quelques secondes après. Elle entendait le cri abominable de sa mère, interrompu par une lame en travers de la gorge. Elle ressentait la prière de la druide, qui implorait l’Ëala de leur venir en aide, avant d’être frappée par deux traits mortels. Et la vision s’estompa, comme elle était venue.

Lynn replia ses doigts et frappa le sol de toute son impuissance. Pourquoi était-elle revenue ici ? Pourquoi s’infliger cette souffrance ? Elle s’était laissée guider par la Symphonie, mais avait-elle eu raison ? L’elfe se recroquevilla sur elle-même en s’allongeant sur le sol, et se mit à sangloter de plus belle.

Au bout d’un certain temps, une voix lui parvint, douce, qui reprenait la mélodie de la Voix des arbres. Une nouvelle vision s’offrit à Lynn, celle d’une elfe aux cheveux bruns, jouant de la lyre, tout près de ce grand arbre qu’elle devait autrefois protéger. Elle interrompit son chant et sa musique pour observer l’archère, et lui accorda un sourire. Un sentiment de sérénité, de plénitude, envahit alors Lynn, qui sentit comme une boule dans son ventre. L’Ëala recommença enfin à pincer ses cordes, et sa voix emplit de nouveau l’atmosphère.

Lynn ouvrit les yeux en baillant. Elle avait dû s’endormir, car lorsqu’elle se relevait enfin, la nuit était tombée. La pluie s’était arrêtée un moment, mais reprendrait bien vite. Sa jument veillait sur elle, visiblement inquiète. Sans un regard en arrière, l’elfe repartit sur le dos du cheval. Le passé appartenait au passé. Elle irait de l’avant, guidée par I Emël, et Neerim, qui vivrait toujours, à travers elle, et toute la Sylve.