Le mois de Favriüs éait presque terminé, et Harald, contrairement à tous ses projets, n’avait rien eu d’autre à faire qu’attendre. Eloigné de son trône au tout début du mois par la nécessité de rendre la justice à l’encontre du Mogarite Nimir Le Rouge, et celle de dispenser ses ordres à sa liée, à ses soldats et à ses enfants, il avait dû rentrer rapidement à Kirgan, attendre que les Humains daignent faire ce qu’ils avaient promis : rendre la justice à l’encontre du Marquis de Langehack.
Le souverain sous la montagne était assis sur son épais trône de pierres réhaussées de fourrures confortables et incrémenté de gravures stylisées, de runes liturgiques et rendant hommage aux 11 000 années d’existence du Zagazorn. L’œil avisé – de l’artiste ou de l’érudit – repérerait bien rapidement les runes traduisant le nom de l’antique cité d’
Ankorong, première capitale de tous les Nains, née des efforts de ceux-ci dès qu’ils purent fondre jusqu’aux confins du monde. C’est ici que sont nés, et qu’on régnés les tous premiers Rois et Reines Naines, jusqu’au terrible effondrement de ladite cité, voilà plusieurs cycles.
Le souverain était pensif. Bien qu’il ait toujours été un guerrier, il avait appris à apprécier la valeur de l’héritage et la force des souvenirs et des symboles à force de les utiliser. Ce trône n’était pas qu’un simple trône : il était le symbole de la force retrouvée et de l’unité reconquise, après des années et des années de souffrances, de destructions et d’efforts communs.
C’est alors qu’apparut le Leominis qui fut offert par Braähm Main-Ferme en cadeau de serment. Fier, fort, majestueux, son pelage blanc semblait aussi beau qu’il était propre, bien que le froid qu’il dégageait témoignait de sa provenance de ces derniers jours. Sauvage, le Leominis avait besoin de sa liberté et de préserver ses instincts, aussi Harald avait-il juré de lui laisser toute l’autonomie et la liberté du monde, tant qu’il en ressentait le besoin. Approchant de son maître, le félin lui offrit un accueil chaleureux : de ses nasaux et de son larynx, il émit un son grave et quelque peu retentissant, loin d’un ronronnement et plutôt proche d’un soupir saccadé. D’après le dompteur, Guldir, ce soupir saccadé et impressionnant correspondait à une marque d’affection que les Leominis s’offrent lorsqu’ils ressentent le besoin d’être rassurés, ou lorsqu’une femelle retrouve ses petits.
Acceptant cette offrande avec humilité, le souverain de tous les Nains offrit son visage, visage contre lequel
Gordrekrik vint se frotter, donnant de petits coups, évitant soigneusement de blesser son maître avec ses grandes cornes.
C’est alors que des bruits familiers se firent entendre dans le couloir. Des bottes d’aciers marchaient à un rythme régulier, trahissant une escorte royale, et donc, une annonce importante. Présentant que quelque chose d’important venait d’arriver, Harald garda sa main sur la tête du Leominis, et ce dernier, sans invitation aucune, se coucha juste à côté du trône.
C’est alors qu’apparue Valma Flanc-d’Acier, émissaire Naine dépêchée en Péninsule pour suivre de près les débats et le simulacre de justice qui devaient se jouer dans cette partie du monde. Derrière elle se trouvaient plusieurs soldats royaux qui l’encadraient, étendards au clair, et qui avançaient l’air triomphant.
Valma se plaça à quelques mètres devant Harald, et lui offrit en lieu et place d’un coup au poitrail et d’un tonitruant Baruk, un signe de tête, trop occupée qu’elle était pour tenir entre ses pognes une étrange draperie.
« Harald, je suis revenu il y a quelques jours sur les terres de nos ancêtres, après avoir accomplie la mission que tu me confia. »
Commença-t-elle avec aplomb, un sourire naissant sur le visage alors qu’elle indiqua d’un signe de tête à droite et à gauche, qu’il était temps de révéler le contenu de ce qu’elle portait à deux bras. Deux gardes se présentèrent, allégés qu’ils étaient par l’absence de leurs haches et hallebardes. L’écrin tomba, et révéla une hallebarde d’acier que Valma s’empressa de manœuvrer de sorte de la tenir à une main, le bout du long pommeau touchant le sol. Dans sa main droite, Valma tenait l’écrin qui portait les armoiries de Langehack.
« Les Umgis ont rendu leur justice, conformément à leur enquête. Le Marquis félon, Griffon de Langehack, a été reconnu coupable d’avoir agi contre les intérêts du royaume Péninsulaire, contre les lois de leur fausse divinité, et contre son devoir de seigneur. Il fut passé au fil de l’épée, et son corps incinéré. Voici sa cape, et la hallebarde qui terrassa le runiste. Ce sont des cadeaux en gage de paix. »
Harald posa un regard curieux sur la scène qui se jouait devant lui. De toute évidence, l’ignominie Péninsulaire n’avait pas eu d’emprise sur la thane du clan Flanc-d’Acier, qui était restée la même : loyale, féroce et fière. Toutefois, l’issu n’était pas des plus agréables pour le souverain des Nains. Il aurait préféré que soit respectée sa volonté, à savoir que l’exécution dudit Marquis ait lieu sur les terres Naines. Voir la tête rouler de ce prétentieux félon aurait été une satisfaction en soi.
Alors que faire de tout ceci ? Garder la hallebarde serait un message des plus mauvais goûts sachant que cette lame fut l’arme qui ôta la vie d’un runiste. Et quid de la cape du félon ? La mettre au feu serait une satisfaction suffisante, mais le geste serait-il intelligent sur un point de vue diplomatique ?
Harald s’avança, couronne ceignant son front, et posa une pogne réconfortante mais néanmoins forte sur l’épaule de son émissaire. Personne, ici présent, ne pensait voir un souverain heureux ni même satisfait. Mais on l’aurait toute de même cru soulagé de voir que justice avait été rendue… Même s’il s’agissait d’un simulacre de justice.
« La hallebarde sera remise au clan du défunt runiste. Ils choisiront sa destinée. La cape, quant à elle… Demeurera en la possession de la couronne. J’aviserais de son destin plus tard. Valma, tu m’as fait honneur en réalisant cette mission au milieu des mal-faits. Je te suis reconnaissant pour ta loyauté. Puisse Heidum attester de ta valeur en ce jour ! »
Ainsi, la paix était maintenue. Le commerce allait pouvoir reprendre, grâce à l’ajout conséquent de six comptoirs Nains financés par la couronne Humaine tout le long de la Route d’Or. La conquête de ces lieux par le commerce était en bonne voie… Mais Harald n’oublierait jamais qu’il aura fallut risquer une guerre pour que la justice puisse s’exercer.