Il aurait pu demander poliment [PV]

Le lendemain matin, c'est inconscients du terrible danger qui planait sur eux que nos quatre aventuriers valeureux et approximativement sans reproche se réunirent. Chacun avait profité de la nuit pour se détendre après les évènements de la veille, chacun à sa manière.

Liss'na semblait absorbée par l'ouvrage qu'elle tenait entre ses mains. Ses oreilles vivent et effilées semblaient s'orienter d'elle-même vers celui ou celle qui ouvrait la parole autour de la table, trahissant ainsi l'attention que portait leur propriétaire aux conversations malgré son occupation. A sa droite, une pile de livres terminés prouvait qu'elle avait passé une nuit studieuse. La mage de guerre adorait les romances péninsulaires. On y parlait de chevilles, de mains qui se frolent, et parfois de baisers sur les joues. Ce romantisme et cet érotisme si exotique fascinait la drow, laquelle vivait dans une société plus accoutumée à des récits disons plus… approfondis. Elle n'aimait pas moins la representation qu'avaient les auteurs des harems vaani et des noireauds dévoreurs de bébés et impressionnants au lit. Et la collection de l'archimage semblait sans limite. Certains ouvrage contenaient même des dédicaces personnelles (1) et sur la fin de la nuit, elle était parvenue à trouver un compartiment secret. Il contenait des romances naines. Elle s'en frottait déjà les mains. Pour ce qu'elle savait des petits bonhommes, ca s'annonçait particulièrement exotique.

De l'autre coté de la table sur laquelle Haldren avait fait emmener un frugal déjeuner principalement composé de saucisses imposantes et de boissons qui auraient tué la plupart des humains, Shyn'tae semblait quand à elle en partie absente, son regard rubis un peu brumeux après une nuit dont elle peinait à se souvenir de tous les détails. Il y avait eu de la souffrance, beaucoup de souffrance. Du plaisir aussi. Beaucoup également. Des drogues, très clairement, comme en témoignaient les efforts persistants auxquels elle devait consentir pour parvenir à se concentrer sur les conversations et ne pas faire office de potiche. A chaque fois qu'elle tentait d'y parvenir, Izz'na la serrait dans ses bras comme une mère protectrice pleine d'amour pour son enfant dissipé. Cette chaleur était étrangement agréable, apaisante, donnait rassurante, alors que l'idée de s'en détacher mettait la jeune sorcière mal à l'aise. Elle se redressa néanmoins par la seule force de son agacement en surmontant la sensation d'angoisse que la prêtresse avait apparemment réussi à placer là.

C'était terriblement dangereux et excitant, remarqua-t-elle intérieurement avec le détachement d'un érudit étudiant un insecte naturalisé.

En réacition au mouvement de sa "protégée", Izz'na caressa les longs cheveux de Shyn'tae. Pendant la nuit, aidée en cela de l'araignée qui avait décidé elle aussi de rejoindre le groupe en tant que personnage à part entière, elle les avait arrangé avec la patience dont était capable une prêtresse de Kiel. Le resultat était une complexe et assez impressionnante coiffure de soie qui exposait le cou et les épaules dénudées de la sombre.(2)

Sssh… petite chose se rend compte, mais ne peut rien y faire…" murmura aussi cruellement que tendrement la prêtresse à l'oreille de sa protégée. Les oreilles de Shyn'tae se tendirent et frémirent, ses yeux aux pupilles dilatés grand ouverts: Entendre être appelée de cette façon était beaucoup trop plaisant. Désirable même. Elle lui avait fait quelque chose.,

- Je m'appelle pas petite chose. Mais Shyn…tae... Répondit elle en lui adressant un regard qui avait clairement l'intention d'être mauvais mais qui se révéla plus hébété qu'autre chose. Son nom lui était instinctivement paru… désagréable. Si auparavant, elle était inquiète, elle se sentit terrifiée. D'autant plus lorsqu'il lui paru clair qu'elle trouvait ca sexy.

Comme satisfaite de la réaction de la jeune sorcière, Izz'na gloussa et se tourna vers Haldren, un grand sourire aux lévres. "Les dieux sont fiers de la petite chose, elle n'a rien dit, malgré mes efforts." On sentait à la fois un mélange de déception et de plaisir dans le ton qu'elle venait d'employer. Elle tenait une intéressante créature qui pliait pour ne pas briser. Une perle de volonté tenace jusqu'à l'absurde perdue dans un bloc de glaise qui ne désirait rien de plus qu'être modelée. Peut-être la petite chose aurait-elle fini par parler avec plus de temps. Oui c'était sûr, tout le monde finissait par casser. Mais son rôle n'était pas de briser les drows. Ils l'étaient déjà tous, avait elle compris depuis des siècles.

Elle mordit avec une étonnante élégance dans une des imposantes saucisse avant de continuer.
-Le prêtre d'Uriz qui vous recherche s'appelle Xar'zil'thovaknal. Il est rusé et cruel. La colère d'Uriz l'habite.
-Avec un nom pareil, moi aussi je serais en colère, intervint Liss'na sans lâcher son livre. Les regards se tournèrent vers elle. Comme elle les ignora, Izz'na poursuivit.
-Il est affirme que celui qui exaucera le souhait de notre Père deviendra son avatar, accueillera sa puissance, régnera sur le Puy d'Elda et brûlera le monde…"

Shyn'tae, prise d'une crise soudaine de fou rire, s'étouffa sur la saucisse qu'elle avait commencé à grignoter. Izz'na, dont le mouvement soudain de l'oreille gauche traduisit sans peine l'agacement d'avoir été interrompue dans sa tirade dramatique, piqua d'un geste vif à l'aide d'une fine aiguille qu'elle avait trouvé on ne savait où le cou de la demoiselle juste en dessous du collier d'acier qu'elle portait encore. Aussitôt, l'insubordonnée demoiselle fut prise d'impressionnantes convulsions et s'effondra sur la table. L'araignée fit retraite dans sa coiffure.

-Je disais donc, continua Izz'na en caressant tendrement le dos de sa protégée qui était en train de baver en hoquetant sur la table, Xar'zil'thovaknal est puissant. Il est charismatique, devenu prêtre par Ordalie, et a de nombreux partisans à Thaar et dans l'Ithri'vaan. Et il n'est pas sombre à prendre des décisions stupides. Et il possède plus d'informations que nous tous. J'ai compris que la prophétie avait un rapport avec l'ancienne triumvir Viconia. La rumeur dit qu'elle aurait prononcé d'étranges paroles à la fin du siège de Sol'dorn, avant que son corps ne soit retrouvé…."

Elle fit une pause, les yeux posés sur ceux d'Haldren pour l'effet dramatique. Ce dernier remarqua Shyn'tae lever les yeux au ciel malgré son état inquiétant.
"… démembré par une créature inconnue. Mais ce ne sont que suppositions. Par contre, il y a quelque chose qui n'appartient pas à la supposition. Nous avons reçu une chauve souris. Le Puy d'Elda aussi a reçu l'appel. Le Triumvira, le temple d'Uriz et tout ce que le Puy compte de fanatique cherche ce que désire Uriz."

-Sans déconner…Pourtant c'est pas si compliqué. Il veut juste le corps de Krish…" haleta Shyn'tae en tentant de se redresser, appuyée d'un bras sur la table. Elle doutait vraiment que le Triumvira, entre tous, ne soit pas déjà arrivé à cette conclusion. Xar'zil'tho.. enfin machin, est-ce qu'il... L'aiguille frappa à nouveau tel le scorpion, renvoyant la demoiselle à sa table.
- Recommence petite chose, en prononçant correctement le nom de tes ainés cette fois." Au regard de ses interlocuteurs impatients, elle ajouta aussitôt "J'éduque petite chose, c'est important."
-...Est-ce... qu'il... était au temple... Teiweon quand la reine... ses obseques... reponds... Les oreilles d'Izzna se tendit, et, un grand sourire aux lévres, c'est à Haldren qu'elle répondit après avoir piqué à nouveau l'indisciplinée.

- Oui. Il a quitté le Puy peu après.

Shu(3) pensa Shyn'tae en reposant la joue sur la table. On était bien ici.

(1) On y trouvait des dédicaces telles que "Qui que soit celui qui lit ces lignes, sauvez moi, j'ai été kidnappé par un sombre psychopathe. Il me force à écrire.", et Liss'na adorait ce genre de mise en abîme.
(2) A ceux qui se demandent comment elle avait procédé, imaginez Cendrillons dans l'œuvre éponyme de Disney avec ses animaux mignons, mais avec une araignée au venin mortel à la place des petits oiseaux, et l'héroïne, enchainée, soumise aux plus sordide des traitements. C'est vrai, ca n'a aucun sens. Mais on peut, car on est dans Pandemonium.
(3) Drow pour "zut", "saperlipopette", ou "me***"

Haldren avait toujours eu un faible pour les grosses saucisses au petit déjeuner, quand bien même cette déclaration pouvait apparaitre comme tendancieuse et relancer les blagues vaseuses sur les gladiateurs dont il s'entourait. Ainsi donc se concentrait-il pleinement sur l'engloutissement de ces préparations porcines qu'il entrecoupait de généreuses rasades de bière, tel un dawi en plein orgasme alcoolique. Pour autant qu'il pouvait en juger, Izz'na et Shyn'tae avaient réussi à oublier leurs différents afin d'établir une pleine et entière collaboration. Cela le satisfaisait de savoir qu'aucun nuage ne demeurait à l'horizon et qu'elles entretenaient désormais une relation saine. Pardon ? Oui, saine au sens que l'entendent les drows. Evidemment que pour les races moins civilisées cela pouvait apparaitre comme une abominable perversion sadomasochiste. Arrêtez de m'interrompre, sinon nous n'y arriverons jamais. Bref, l'archimage s'enfournait justement une saucisse entière lorsque les paroles d'Izz'na le firent hoqueter et recracher sa bouchée.

Xar'zil'thovaknal ? Oh non pas ce casse-couilles ! Vous saviez qu'avant de devenir prêtre d'Uriz, il avait été étudiant au C'nros ? Oh il ne s'en vante pas, ce ne fut pas un épisode bien glorieux.

Le regard de vieux drow se perdit dans le vague, comme à chaque fois qu'il allait ressasser le passé et se mettre à radoter sans tenir compte des nombreux signes d'agacements de son auditoire. Un jour quelqu'un lui avait signalé qu'il s'agissait peut-être là des premiers signes de la sénilité. Nul ne sut jamais ce qu'Haldren lui a répondu, mais des morceaux de l'impudent furent retrouvés à plusieurs endroits de la ville après cela.

C'était en... oh, peut-être en 520 ou 521... je me souviens que Jarenesh Karlon venait récemment d'être nommé Ditronw Da're... Xarzou (c'était son surnom) était encore un jeune pyroman à l'époque... plutôt doué d'ailleurs, ses enseignants le recommandaient tout autant qu'ils s'en méfiaient... il aurait pu aller loin sans cette... sale affaire... des renseignements sur le déploiement de nos Osts volés et revendus à nos ennemis... le scandale éclaboussait une famille de Prima, un haut personnage de l'Etat... il avait fallu l'étouffer, donner un coupable en pâture à la vindicte populaire... Xar'zil'thovaknal et quelques autres furent accusés de négligence pour ce vol et rejetés du C'nros... bannis de l'Elda et envoyé en Ithri'Vaan... nous savions tous qu'il n'y était pour rien mais cela éliminait de nos rangs un mage trop ambitieux... après un temps dans l'ombre, il a réussi à intégrer le clergé d'Uriz et s'y est fait une place... le temps a étouffé l'affaire que nul depuis n'osa rouvrir au vu des intérêts mis en cause... mais il n'a pas pardonné à ceux qui l'ont banni... j'étais l'un de ceux qui le jugèrent à l'époque... et je n'ai jamais... jamais...

Etait-ce une once de regret qui perçait dans la voix de l'ancien Triumvir ?

Je n'ai jamais pris le temps de le tuer par la suite. Quelle erreur de ma part, la haine est le meilleur moteur qui existe et Xar'zil'thovaknal en est rempli.

S'ébrouant comme un chien qui se débarrasse de ses puces, Haldren revint à la situation présente et médita quelques instants sur ce que venait de lui révéler Izz'na, ainsi que sur les commentaires dont Shyn'tae avait gratifié sa maitresse. Cela confirmait que l'appel divin se révélait beaucoup plus puissant qu'il ne le soupçonnait au départ, ne se limitant pas à l'Elda ou à l'Ithri'Vaan mais embrasant un maximum de territoires pour trouver des fanatiques aptes à accomplir sa volonté. Rien d'étonnant qu'un ambitieux comme Xar'zil'thovaknal soit sur les rangs, car la récompense du divin pourrait de nouveau chambouler toute la structure politique dirigeant l'Elda. La place d'Avatar d'Uriz allait aiguiser les appétits et la compétition serait féroce, y compris au sein même des clergés.

Ainsi donc Uriz veut récupérer le corps de Krish ? Au vu du tumulte que tu nous décris, je devines que ce n'est pas aussi simple... il n'a pas suffit aux prêtres d'ouvrir son tombeau et de l'en sortir, n'est-ce pas ?

A la question de Shyn'tae sur la présence de Xar'zil'thovaknal lors des funérailles, Haldren se demanda si la Sombre ne le soupçonnait pas d'avoir enlevé le corps de la reine défunte. Une telle pratique se révélait peu courante et blasphématoire, mais de tels cas étaient connus dans l'histoire lorsque le cadavre d'un personnage ayant eu un rôle politique majeure pouvait devenir un atout lors des conflits suivants. Comme toujours dans la société drow, l'acte le plus abject qui soit pouvait être encensé si son auteur gagnait finalement la partie, les Dieux Sombres appréciant ceux qui osaient prendre des risques. Bien évidemment l'échec se trouvait alors sanctionné tout aussi douloureusement, mais cela n'empêchait pas les ambitieux de continuer à tenter leur chance dans la lutte éternelle pour le pouvoir.

Toutefois un point ne collait pas dans ces révélations. Les appels dataient déjà de plusieurs jours puisqu'une chauve-souris avait eu le temps de rejoindre Thaar depuis l'Elda, or tout laissait à penser que le corps de Krish demeurait encore introuvable.

Pourquoi Uriz a-t-il besoin d'aide pour récupérer le corps de Krish ?

N'en aurait-il plus la force ? murmura Umbarion dans son esprit, soulevant une hypothèse encore plus redoutable que toutes celles évoquées jusque-là. Une hypothèse qu'aucun drow sain d'esprit n'aurait jamais évoqué, mais force est d'admettre que les drows sains d'esprits évitent de se mêler des affaires d'Uriz.

"C'était en... oh, peut-être en 520 ou 521.."

Sitôt l'ex Ditrown Dare, ex Triumvir, ex dieu du chaos(1), ex avatar de Kiria(2) mais pour le moment encore Archimage avait prononcé ces mots, sitôt les yeux de Shyn'tae s'étaient levé un instant vers le plafond, joliment accompagnés par le mouvement synchronisé de ses adorables oreilles effilées. Certains drows, en vieillissant, se mettaient à radoter leurs exploits et leurs trahisons sans que cela n'ait le moindre intérêt pour la conversation en court. Elle avait remarqué que la durée de la logorrhée verbale qui s'ensuivait était statistiquement directement corrélée avec le nombre de titres du drow en question. Elle s'attendait donc au pire bien qu'elle aurait certainement du réserver ce qualificatif à la punition que le regard noir d'Izz'na laisser présager pour l' intolérable manque de respect envers Haldren dont faisait preuve sa pupille en pleine crise d'adolescence (3). Shyn'tae écouta distraitement la suite. Elle nota que Liss'na, elle, continuait à lire d'un œil en en approuvant régulièrement les paroles de l'archimage comme si elle l'avait vraiment écouté. Peut-être le faisait elle, la mage de guerre avait développé un réel talent pour avoir l'air intéressée par ce que racontaient ses supérieurs hiérarchiques. La sorcière s'attarda ensuite sur le désir charnel indéniable que la perspective d'une punition par la prêtresse éveillait en elle, et sur l'anormalité de ce développement. Si cette dernière avait vraiment voulu qu'elle cesse de se comporter ainsi, pourquoi la pousserait elle à rechercher les conséquences d'une transgression? Peut-être réfléchissait elle trop tout simplement, il s'agissait d'une prêtresse de Kiel après tout, ces dernières n'étaient pas là pour faciliter la vie de quiconque interagissait avec elles.

Soudain, Haldren enfourna goulument une impressionnante saucisse, signe incontestable qu'il avait terminé son récit. Shyn'tae dut bien reconnaitre que c'était un domaine où il excellait.

-Hmm.. Intéressant." enchaina Liss'na avec le ton pénétré de celle qui intégrait encore les paroles profondes de leur leader naturel.
- Pour résumé… Vous avez laissé filer un coupable, puni un innocent. Donc il vous en veut. On m'a déjà fait ce coup et… IiîHh! Shyn'tae du s'interrompre, trop occupée à convulser sur la table en se demandant si ce qui l'emportait était la douleur ou le plaisir qu'elle ressentait.
-Merci pour la synthèse, petite chose, mais le Triumvir(3) n'a pas terminé. On n'interrompt pas les adultes." précisa Izz'na avant de faire signe à Haldren de continuer. Liss'na opina.

- Ainsi donc Uriz veut récupérer le corps de Krish ? Au vu du tumulte que tu nous décris, je devines que ce n'est pas aussi simple... il n'a pas suffit aux prêtres d'ouvrir son tombeau et de l'en sortir, n'est-ce pas ?" continua-t-il
- C'est pas faux." confirmèrent d'un commun accord Izz'na et Liss'na pendant que leur jeune disciple était occupée à reprendre ses esprits.
- Pourquoi Uriz a-t-il besoin d'aide pour récupérer le corps de Krish ?
- Xar'zil'thovaknal l'aurait pris?
- Il sait qu'elle a disparu… Les regards, comme les oreilles pointues, se tournèrent de concert vers Shyn'tae. Liss'na passa à la page suivante. A quel point la sorcière pouvait elle leur dire la vérité ? Ce qu'elle avait fait était peut-être la pire des offenses que quiconque pourrait commettre au Puy, et surtout parce qu'elle n'avait rien gagné ni désiré en échange. Enfin cette dernière partie était certainement fausse. Jamais Elghinn lui aurait laissé occupé le palais d'argent si elle ne l'avait pas aidé à soustraire le corps de sa mère à son destin nécromantique, puis à quitter le Puy. Elle profita de l'attention qu'on lui prodiguait pour boire une gorgée de bière et faire ainsi durer le suspense, avant de poursuivre.

"Xarzou sait aussi que Vaarg était le nom du chien de la Triumvir Viconia. Il pense que j'ai un rapport avec tout ca. C'est peut-être parce que j'occupe le Palais d'Argent, qu'un nombre certain de Thaari pense que je suis la réincarnation de Krish - j'avoue tout faire pour les conforter dans cette idée -. Peut-être aussi parce que je suis arrivée à Thaar juste après la disparition du corps et que j'étais une des rares amies intimes de Viconia. Il pense que je sais quelque chose qui pourrait l'aider à trouver Krish…"

Shyn'tae se redressa, satisfaite, elle tenait son auditoire en haleine, sauf Liss'na qui continuait à lire bien sûr. En l'expliquant comme ca, elle se demanda pourquoi personne n'était venu jusqu'à présent l'interroger à ce sujet. Peut-être tout simplement parce que vu le bordel qui avait du régner au Puy, personne n'avait voulu remuser cette affaire. Maintenant qu'Uriz râlait, ce serait bien sûr diffèrent. Soudain un éclair de douleur et de plaisir si intense qu'elle eut l'impression qu'il dura une éternité la secoua.
-Ne fais pas attendre tes ainés, petite chose. Il faut l'excuser Triumvir, elle ne sait pas se tenir." entendit elle finalement expliquer Iss'na d'une voix égale.

(1) Autoproclamé, mais tant qu'il existe des idi.. Hm, des gens pour y croire, ca compte.
(2) Shyn'tae l'ignorait, mais il aurait été bien dommage d'omettre cet épisode particulièrement glorieux mais légèrement malaisant au curriculum d'Haldren.
(3) Une fois qu'on a été Triumvir, il est de coutume de conserver ce titre honorifique à vie, car aucun Sombre n'avait imaginé qu'on puisse partir du poste autrement que les pieds devant.

Haldren hocha poliment la tête en direction d'Izz'na, appréciant les efforts méritoires pour ramener Shyn'tae dans le droit chemin de l'obéissance et du respect envers ses aînés. Un peu folichonne sur les bords (voire complément tarée au milieu), elle avait bien besoin que lui soit imposé un cadre de règles plus rigoureuses. Après tout il s'agissait là d'une sorte de dressage, comme ceux donné aux purs-sang destinés aux cours princières. La douleur du mors et du fouet inculque de saines valeurs morales aux animaux comme aux hommes, et trop souvent le rôle bénéfique des prêtres de Kiel en la matière se révélait sous-estimée par les drows.

Votre éducation porte déjà ses fruits, prêtresse. Je ne doute pas qu'après quelques ennéades avec vous, Shyn'tae aura appris à se tenir convenablement.

Quoi qu'il en soit, les révélations de Shyn'tae avant qu'elle ne remettre à baver sur la table ne manquaient pas d'intérêt. D'ailleurs pourquoi personne ne semblait-il surpris qu'elle se retrouve en plein cœur de cette intrigue ? A croire qu'à chaque fois qu'un panneau "Attention danger ! Ne pas ouvrir ! Sinon ce sera la fin du monde !" se trouvait sur une porte, Shyn'tae ne pouvait pas s'empêcher de l'ouvrir juste pour vérifier de quoi il s'agissait et si la situation se montrait à ce point catastrophique. Spoiler, ça l'est à chaque fois ! Avec un brin de nostalgie, le vieil archimage se dit qu'il aurait été fière d'avoir une fille aussi inconsciente que cela.

Mais la nostalgie allait devoir attendre.

Shyn, mon amie... tu nous fais languir. Je suis certain que cette chère Izz'na saurait t'arracher tous tes petits secrets, mais les mots risquent d'être insuffisants au vu de la gravité de la situation. Il nous faut des images, des sons, des odeurs... bref, il nous faut revivre tes souvenirs.

Des regards surpris le fixèrent face à cette évidence plus facile à énoncer qu'à réaliser. Attrapant sa chaise, Haldren vint s'installer devant la drow qui reprenait peu à peu ses esprits et lui saisit le menton pour la forcer à tourner le visage vers lui.

REGARDES MOI, SHYN'TAE

Il ne s'agissait pas d'une demande mais d'un ordre. Un ordre prononcé tant à haute voix que dans les tréfonds synaptiques du cerveau, un ordre qui fouaillait les chairs et les esprits, un ordre auquel seuls les plus forts esprits en pleine possession de leurs moyens pouvaient résister... ce dont Shyn'tae se révélait difficilement capable après sa longue et éprouvante nuit auprès d'Izz'na. Tandis que le vieil archimage incantait à voix basse, ses yeux se mirent à briller d'une intense lueur rougeâtre dont l'éclat allait crescendo tel le soleil émergeant de l'horizon. Simple spectacle luminescent au début, ils devinrent peu à peu si brillants qu'Izz'na et Liss'na durent détourner la tête pour ne pas être aveuglées.

Un dernier mot de pouvoir pour achever l'incantation, et les lieux devinrent...

...ailleurs...

...la lueur décrut dans les yeux de l'archimage tandis que les trois drows se retrouvèrent toujours assis sur leur chaise, mais dans une pièce ne ressemblant en rien à la cuisine où ils venaient de déjeuner. De riches tentures couvraient des piliers dorés à l'or fin se perdant dans l'obscurité d'un plafond massif couvrant une immense pièce dont nulle extrémité ne semblait être visible. Le sol du marbre le plus rare brillait, sauf aux endroits où de magnifiques tapis moelleux le recouvraient. Quand à Shyn'tae, elle avait disparu et ne semblait présente nulle part... si l'on exceptait les centaines de statues ou de tableaux la représentant un peu partout, en général dans le plus simple appareil en train de s’adonner aux plaisirs de la luxure dans toutes les positions et avec toutes sortes de partenaires (y compris un dawi, un âne, et un être à tentacules rappelant le croisement raté d'une pieuvre avec un elfe). Par endroits les représentations de sexe laissaient la place à des scènes plus routinières où l'on voyait Shyn'tae en train de manger, de dormir, de soigner une crise hémorroïdaire, de combattre ou tout simplement d'observer un paysage. Se redressant, Haldren s’épousseta et désigna les lieux qui les entouraient.

Nous sommes dans l'esprit de Shyn'tae. Toute sa vie, son histoire, ses expériences, tout ce qu'elle a appris ou mémorisé un jour se trouve ici. Plus nous nous éloignerons de notre point de départ, plus nous remonterons dans le passé.

Izz'na s'était levée et admirait avec intérêt une sculpture en taille réelle la représentant avec Shyn'tae en train de... de faire des choses assez audacieuses. Force était d'admettre que la prêtresse de Kiel se trouvait très régulièrement représentée sur les tableaux ou statues les plus proches d'eux et cela semblait la faire frétiller de satisfaction.

Ne traînons pas, le sortilège a une durée limitée.
"Dans quelle direction allons-nous ?" demanda la prêtresse en cessant ses observations
Peu importe, l'espace n'a aucun sens ici. Concentrez-vous sur l'Elda et sur Krish, cela forcera les souvenirs de Shyn'tae a nous y emmener.

Sujet: Re: Il aurait pu demander poliment [PV] Mer 18 Jan 2023 - 17:26

La société drow, un véritable phare de civilisation à l'échelle de Miradelphia tout entier, consacrait de gros efforts à l'éducation de ses enfants pour les préparer aux dures réalités de la vie. A l'aide de techniques éducatives innovantes comprenant la violence physique psychologique, la manipulation, l'injustice et le harcèlement élevés en valeurs systémiques, les petits drows développaient très tôt un reflexe indéniable à repérer les ennuis avant même qu'ils ne se manifestent, en plus de divers traumatismes et des tendances paranoïaques et sociopathiques qui font le charme pittoresque du Puy d'Elda.

Ainsi, il avait suffit à Shyn'tae d'entrapercevoir Haldren qui se levait pour être certaine qu'il allait se produire quelque chose d'affreux (1). Lorsqu'il parvint à coté d'elle, elle était parvenu à regagner un minimum de contrôle sur ses membres, du moins ceux qui étaient censés obéir à sa volonté et, encore haletante, en sueur, son corps entier soumis à des crampes infernales, la drow presque nue mobilisa toutes ses forces pour échapper à la main qui s'approchait d'elle. Elle sentait le frisson si particulier de la magie la parcourir, puissant.

- J.he… non balabéne… La bouche pâteuse, Shyn'tae tenta de reculer, jusqu'à ce qu'un main d'Izzna se pose sur son épaule, l'autre sur sa tête pour la maintenir fermement. Ses yeux rubis grand ouvert, ses muscles tremblant, elle ne put que fermer les yeux lorsque la magie la frappa. La volonté de l'archimage la frappant de plein fouet la fit manquer son souffle.

Non elle ne pouvait pas ceder. Elle expliquerait tout. Selon ses propres termes. Les battements de son cœur résonnaient dans son esprit, plus rapides à chaque instant. Son vertige s'intensifia, menaçant de lui faire perdre sa concentration. Elle n'avait jamais fait ça. Il suffirait de s'abandonner. Et tout se passerait bien… Elle se surprit à se laisser aller, et banda son esprit à nouveau. Cela aurait pu faire une seconde, des heures, des jours. Elle avait la nausée, le vertige devint une migraine, la pire qu'elle avait jamais senti, sa bouche s'ouvrit en un cri silencieux.

Non. Non… NON!

Ses yeux s'ouvrirent malgré elle, et la lumière l'aveugla. Comme un barrage fissuré, sa volonté céda devant le sort. Cela n'eut pas lieu en un instant. Ce fut un processus, des morceaux plus ou moins imposants emportés par un tsunami magique… irrésistible.. Comment aurait-elle pu avoir l'audace de croire qu'elle pourrait s'y opposer frontalement ? Son corps ne répondait plus, elle sentait la pression de cet esprit étranger s'insinuer dans le sien, comme un ver qui creuserait dans le fruit, des images, des sensations, des odeurs, des idées défilèrent en un éclair sans qu'elle n'y puisse rien.

Shyn'tae laissa s'écouler les pensées un instant, Contrôler sa panique. C'était le plus important. Le sort fouillait plus loin, toujours plus profondément. Honte, colère désespoirs. Il y avait tant de choses qu'il ne fallait pas qu'il voie...

***

Les pas des trois drows étaient comme étouffés alors qu'ils arpentaient la galerie surchargée de dorures et de riches étoffes. Qui que soit la personne qui avait aménagé cet endroit avait à la fois très mauvais goût et trop de ressources à dépenser.

-C'est un peu comme si… ah.. Zut.. Ce marchand humain, là, celui un peu débile avec son perroquet… Oh je déteste les humains, ils se ressemblent tous. Ne me faites pas croire que c'est lui qui a fait la décoration de l'intérieur de Shyn'tae, Haldren?" demanda Liss'na en contemplant, dubitative, une des "œuvres"(2) qui peuplaient l'endroit. Sa voix, contre toute logique, se répercuta en milles échos dans la longue pièce.
-Je ne crois pas qu'il y ait ce qui vous interesse ici, Triumvir. Est-ce qu'on peut toucher pour changer des choses? Continua Izz'na alors qu'ils progressaient. A cette suggestion, Haldren crut voir le regard de Liss'na se focaliser sur la nuque de la prêtresse comme l'aurait fait un assassin entrainé. Mais un clignement d'œil plus tard, sans que sa camarade ne se soit doutée de quoi que ce soit, la mage de guerre avait repris son attitude nonchalante.
-il y a une porte là bas, se contenta t-elle de glisser en pointant du doigt la chose surchargée d'ornements et de pierres précieuses. Les distances étaient trompeuses ici. Les statues s'enchaînaient, ils crurent voir une statue de la drow au milieu de livres.

Izz'na cligna des yeux.

Avait-elle fait erreur? A la place se trouvait un scène ou la sorcière, à genoux, extatique, offrait son corps à la vue de tous, à moins qu'elle ne soit en train de se doucher dans le cadre d'une publicité pour riches Vaani.

Ils firent quelques pas de plus. Shyn'tae, discutant avec…. Avant même qu'ils puissent s'y attarder la drow était en train d'embrasser à pleine bouche l'inconnu dorénavant impossible à reconnaitre, qui elle-même étant en train de…

-Ca change." fit remarquer avec la plus parfaite neutralité capitaine évidence(3), car c'était ainsi qu'on surnommait parfois Liss'na. C'était la manière passive agressive de la mage de guerre de signifier à un superieur hierarchique sa désapprobation d'avoir été envoyée sans crier gare et surtout en plein milieu d'un paragraphe dans ce qui ressemblait à la pire idée de cette aventure.

Izz'na posa la main sur la poignée. S'ils sortaient d'ici, qu'ils allaient plus profond, il était probable que la locataire des lieux aurait plus de difficulté à opposer une résistance, et à transformer tout en sujet de fantasmes d'adolescent.

La sensation d'être observée l'arrêta. Ils se retournèrent tous trois. Devant eux, un drow immense, aussi musclé qu'imposant, habillé d'une armure aussi imposante et spectaculaire que rouge, les observait d'un air navré. Son marteau de guerre si gros qu'on aurait pu se demander s'il avait quelque chose à compenser s'appuyait sur le sol en brique dorées.

-Izz'na…" soupira l'apparition, "… Je ne suis pas vraiment surpris de te retrouver ici."
-Karliik Glenn ? " Les oreilles d'Izz'na se dressèrent sous l'effet de la surprise.
-D'abord on t'envoie amuser des humains à Thaar… Puis ca…" La capacité du drow à insuffler du dédain dans ses paroles étaient sans égale. "Te soumettre aux désirs d'un vieux traitre… Tu suscites au mieux la pitié des dieux, Haldren. De Triumvir, réduit à élever des gladiateurs… A jouer les dieux de pacotilles pour briller devant de vulgaires éphémères. Quelle déchéance. Tu transpires l'échec."

(1): Tout ce qu'elle savait d'Haldren aurait d'ailleurs suffit. Il se produisait toujours des choses affreuses autour d'Haldren, en particulier à ceux plus faibles que lui, mais pas seulement.
(2): Celle avec le poulpe, laquelle semblait violer allégrement plusieurs règles de géométrie dans l'espace.
(3) Miradelphia a des règles très strictes en matière (de non) utilisation des langues étrangères.

Sujet: Re: Il aurait pu demander poliment [PV] Jeu 26 Jan 2023 - 13:42

Les deux charmantes (sic) drows qui accompagnaient l'archimage émirent des questions fort pertinentes sur le lieu où ils se trouvaient et sur les effets que pourraient y avoir leurs actions. Sans doute l'expérience les avaient-elles fortement traumatisées, car habituellement un drow commence par tout casser ou tout bidouiller avant de réflechir à ce qu'il devait faire. Néanmoins, Haldren entreprit de répondre à leurs interrogations sur la nature de ce qu'ils voyaient ainsi que sur les effets de leurs éventuelles actions.

Non en effet. Les souvenirs sont bien ceux de Shyn'tae mais le cadre dans lequel nous nous déplaçons est simplement un effet du sortilège. Sans lui notre santé mentale n'y résisterait pas. Par contre évitez de toucher à quoi que ce soit, cela modifierait la mémoire de Shyn'tae, de tels changements sont redoutables et la conduirait aux portes de la folie.

L'archimage n'expliqua pas comment il savait cela, mais sans doute Liss'na se souvint-elle des containers marqués "expériences ratées" qui s'entassaient en bas de la tour du Ditronw Da're lorsqu'il régnait sur le C'nros. Personne ne savait vraiment ce qui se trouvait dans ces containers dont le nombre faisait pâlir les nouveaux arrivants, mais cela devait faire un bon engrais car les champignonnières du coin donnaient d'excellents rendements.

La curiosité d'Izz'na sur l'effet qui se produirait en touchant quelque chose semblait avoir attiré l'attention de Liss'na. Haldren se demanda si la sorcière souhaitait éviter à sa compagne de voir une prêtresse à moitié folle lui triturer les méninges ou juste s'assurer que personne ne ferait de bêtises qui pourraient les mettre eux-mêmes en danger. Sans doute la seconde option, jaugea l'archimage, qui comprenait fort bien l'importance de ne pas prendre de risques pour eux-mêmes. On notera qu'Haldren se posait souvent de telles questions après avoir plongé tête la première dans des situations toutes plus inextricables les unes que les autres.

La prise de risque en ce qui concerne Shyn'tae est autorisée contractuellement.

Ce fut alors qu'un nouveau larron intervint. Grand, baraqué, tout de rouge vêtu... non, pas Flash... mais le maitre de guerre du Puy d'Elda qu'ils reconnurent sans hésiter. Sa présence en ces lieux ne manquait pas d'intérêt et aurait du donner lieu à d'intenses réflexions si Haldren n'avait pas explosé dans un violent clash envers l'intrus.

L'échec de tes morts, Sagar ! Le Puy de tes morts tu vas manger ! Le gladiateur de tes morts ! Moi j't'attends là ! J'ai pris des coups de couteau, des sortilèges, des flèches, tu crois que tu vas me faire peur ? J'te prends quand tu veux toi et tes petites catins ! J't'ai proposé de te battre à Thaar, t'es jamais venu ! T'as jamais osé faire mille kilomètres pour venir te battre de drow à drow ! Un vrai drow ca castagne net !
"Qu'est-ce..." tenta d'intervenir Izz'na
Ta gueule ! Vas y dis lui à ce Karlikk de ses morts qu'il peut bouffer sa calotte.
"Mais..."
Ta gueule !

Un sentiment de gène généralisé se produisit, Sagar lui même raclât le sol du pied d'un air embarrassé. Déjà que l'aventure ne brillait pas dans le domaine épique, Haldren venait de réussir à la rouler encore plus dans la boue et le rouge au front il s'en excusa.

Hmm... navré... je crois que le sortilège a un effet secondaire fâcheux... la frontière entre notre monde et un autre multivers s'affaiblit, vous risquez de vous mettre à vous comporter comme la personne que vous y seriez.

"Allô ! Non mais allô, quoi !" déclara Izz'na en se passant la main dans les cheveux avant qu'une expression horrifiée n'apparaisse sur son visage, comme si la prêtresse venait de vivre une expérience bien plus terrifiante que les rituels secrets du clergé de Kiel. Sa foi allait-elle chanceler en réalisant que les pires séances de torture que les esprits barbares de l'Elda pouvaient inventer demeuraient des jeux pour enfants comparé à l'univers dont ils commençaient à dangereusement s'approcher.

Il faut aller vite au plus profond des souvenirs de Shyn'tae. Si nous nous attardons trop, les Dieux seuls savent ce que nous risquons de devenir.

"Euh, vous n'oubliez rien ?" hasarda le Karliik Glenn qui tentait vaillamment de maintenir son aura menaçante face à une telle bande de bras cassés.

Le temps était apparemment compté pour les valeureux aventuriers. Ils le savaient déjà bien sûr, un sortilège dont l'existence avait disparu de la réalité de Miradelphia ne pouvait rester sans conséquence néfaste.

Non content de mettre la santé mentale de Shyn'tae en danger -une sorcière de deux cents ans, trois cent tout au plus était tout à fait sacrifiable-, non content de mettre la vie d'une prêtresse de Kiel et d'une Maitre mage de guerre en danger -il faisait ca chaque semaine, les jeudis en général- , non content de mettre sa vie en danger - En tant que héros de l'histoire, il supposait que les auteurs ne le tueraient de toute manière pas avant la fin, et que lorsqu'elle arriverait, les lecteurs seraient tellement attachés à sa charmante personnalité que personne n'oserait le retirer d'une possible suite.-, Haldren, par son usage d'une sorcellerie aussi puissante qu'impossible, mettait en danger le tissu même de la réalité (1). S'il perdait le contrôle, tout pourrait arriver, même le pire, même l'impossible. Peut-être même que quelqu'un recruterait une compagnie de danseuses vaani pour se produire en péninsule. Fort heureusement, à ce stade, cela ne dépendait plus de l'archimage, sinon il aurait été probablement tenté de laisser faire.

Le petit groupe franchit la porte, pour déboucher sur un couloir rectiligne dont aucun d'entre eux ne voyait le bout. Une infinité de portes y étaient disposées de chaque coté, mais aussi, remarquèrent-ils bientôt, au plafond, et sur le sol. Liss'na fronça des sourcils. Elle venait de tourner la tête, et, brièvement, adoptant une géométrie qui aurait pourtant du être impossible, elle avait entraperçu d'autres rangées de portes.
- Mais allo quoi… " lança Izz'na à la cantonade avec la tonalité d'une dinde, confirmant ainsi à Liss'na qu'elle avait constaté le même phénomène. "Elle est trop chelou dans sa tête, quoi." ajouta-t-elle sans pouvoir se retenir. Liss'na se tourna vers elle, une oreille haussée, et eut la distincte impression de voir la prêtresse gênée.
-Faut trop qu'on en finisse vite, c'est trop la honte, allo quoi."

Alors ils progressèrent à trois dans le couloir. ouvrant les portes une à une, puis celles qui y étaient liées, ne jetant qu'un œil aux souvenir figés qui ne les intéressaient pas. Les scènes réservées au plux de dix-huit ans se firent peu à peu moins nombreuses alors que leur volonté commune prenait le pas sur celle de leur hôte, devant eux, le couloir paraissait toujours plus long, le temps distendu alors qu'ils plongeaient plus profondément.

Une mince couche de cendre recouvrait le sol, soulevant de fins nuages gris à chaque fois qu'ils ouvraient un passage. Des craquelures défiguraient la pierre du couloir. Des grondements lointains se firent entendre. Puis le couloir fut parfois secoué de tremblements, des briques chutant parfois.

Ce fut, par le plus grand des hasards, Izz'na qui découvrit la porte. Elle était cadenassée déjà, ce qui immédiatement suscita leur intérêt. Ils firent sauter le verrou. Elle grinça lorsqu'ils l'ouvrirent avec difficulté.

Derrière, il y avait une salle, une crypte du temple de Teiweon, une table censée accueillir le corps d'une reine, vide. Une couche de cendre épaisse recouvrait tout et étouffait le son de leur pas. Des étincelles emplissaient l'air.

Au milieu de la salle, une grille était ouverte, et trois drows, deux enfants et une adulte, une femme au visage impassible, y descendaient le cadavre de la reine. Et Shyn'tae dansait. Une dague filait vers l'escalier, le manche en avant.

Mais quelque chose d'autre attira le regard du vieil archimage.

Dans ce monde de gris, de noir et de feu, une tache de couleur dénotait. Sous la danseuse dont les pieds nus ne touchaient pas le sol, et dont la lame polie reflétait si bien les braises qu'elle semblait faite de flamme, une jeune pousse aussi verte que la plus resplendissante des forêts perçait de la cendre.

De la pousse, une fine vigne s'était élancée et s'enroulait autour du pied nu de la sorcière figée dans le souvenir.

(1) C'était un habitué. L'archimage était connu pour s'être mouché à plusieurs reprises avec ledit tissu. Dans la mesure où rien de beaucoup plus grave que le décès prématuré de milliers d'individus n'était advenu, il avait toutes les raisons de continuer.

Le Comité Unifié du Lore s'était réuni en séance plénière suite aux précédents posts pour analyser l'état du quatrième mur dont seules quelques briques perduraient après le passage d'Haldren dans le monde des gitans et de la téléréalité. L'archimage ayant clairement dépassé les bornes, une Proposition d'Eviction Nominative de l'Individu Susnommé fut émise à son encontre, à laquelle il opposa fermement un Pourvoi d'Extinction des Tribunaux qui fut promptement validé par le Comité Ouvert à l'Intelligence et à la Logique Lénifiante Etendue.

Suite à ce paragraphe, le rédacteur a été viré malgré les appels à la clémence venues de l'Assemblée Nationale des Amateurs de Loufoqueries.

Suite à cette phrase, le deuxième rédacteur a été viré.

Et par sécurité le troisième aussi, à titre d'exemple pour ses successeurs qui vont vaillamment tenter de remettre cette histoire sur les rails de l'héroïsme et du sérieux.

Ils ont du boulot.

Bref.

Reprenons.

L'obstacle Sagar ayant été brillamment surmonté, les trois drows laissèrent un Karliik Glenn tout penaud et s'enfoncèrent plus profondément dans la mémoire de Shyn'tae. Les scènes salaces laissèrent peu à peu la place à des sujets plus sérieux, ce qui démontrait une avancée dans la bonne direction puisque leur hôte involontaire devait couvrir d'une épaisse couche stupre tout ce qu'elle souhaitait réellement cacher. La poussière de cendre qui voletait sous leurs pieds et une odeur âpre dans l'air pouvait presque leur faire ressentir le sentiment d'oppression permanente des tréfonds de l'Elda que peu de races pouvaient endurer. Soit que le sortilège fasse parfaitement son effet soit que les intrus aient une force mentale remarquable, ils finirent par arriver exactement là où ils souhaitaient se rendre : les souvenirs liés à la défunte reine du Puy.

Lorsqu'ils entrèrent dans la pièce verrouillée repérée par Izz'na, ils tombèrent face à une scène pour le moins surprenante qui arracha un cri de colère à l'archimage.

Shyn ! Espèce de pintade à cornes ! Elle a piqué le corps et elle ne nous l'avait même pas dit !

Pourquoi était-ce la colère et non pas la surprise qui prédominait ? Sans doute parce que Shyn'tae les avait habitué a être une digne adepte involontaire du Chaos et qu'elle adorait se jeter dans des situations absurdement dangereuses pour des raisons parfois assez obscures. Dès lors, la voir participer au vol du corps de Krish en plein milieu du temple de Teiweon n'avait rien d'illogique. Dans l'échelle des risques de notre Shyn adorée nous sommes sur un niveau de sept sur dix, le niveau neuf n'ayant été atteint qu'en une seule occasion dont cette aventure n'est pas l'objet. Par contre cela expliquait d'un coup la colère d'Uriz et l'incapacité de ses fidèles à lui amener ce qu'il désirait. Ses prêtres et autres affiliés n'étaient donc pas des crétins finis incapable de trouver leur cul avec les deux mains, mais le sang avait du sacrément couler en Elda lorsque le caveau avait été ouvert pour y constater une absence de corps.

Toutefois la colère ne dura pas.

Peu de mortels pouvaient prétendre avoir vu Haldren pâlir, et moins encore avaient survécu pour s'en vanter. Mais c'est pourtant ce qu'il se passa lorsque le regard de l'archimage se posa sur la jeune pousse qui florissait juste sous le pied de Shyn'tae.

Non ! C'est impossible !

Cette unique tâche de couleur dans un monde où elle paraissait tellement anachronique ne manqua pas son effet et Haldren recula jusqu'à se coller au mur, comme s'il se trouvait face à un spectacle aussi terrifiant qu'une biquette de guerre naine qui aurait abusé de la bière.

Pas Elle ! Pas ici ! Maudite, maudite, MAUDITE !

Alors que le vieux drow se recroquevillait comme un enfant pris en faute, des fissures commencèrent à apparaitre sur les murs et le sol se mit à trembler sous leurs pieds. Ni Izz'na ni Liss'na ne pouvaient même supposer en quoi une fichue plante permettait un tel effet, mais les blocs qui commençaient à tomber du plafond pour s'écraser violemment au sol en renversant les acteurs figés du souvenir constituait une toute autre préoccupation si elles voulaient éviter de finir à l'état de crêpes. Certes leur corps charnel se trouvait toujours en sécurité dans la cuisine au milieu des restes du petit-déjeuner, mais nul ne pouvait dire avec certitude si une blessure subit en ce lieu se répercuterait dans la réalité. Selon les préceptes fondateurs de la magie qui s'apparentent le plus souvent à la loi de Murphy, la réponse avait hélas de forts risques d'être positive.

Soudain pourtant, Haldren se releva sans plus paraître être affecté et tendit la main tout en prononçant quelques paroles dans un dialecte que nul ne reconnut. Comme apaisés, les murs cessèrent de se trémousser et les fissures cessèrent de s'étendre.

Le sortilège est en train de faiblir, nous devons retourner rapidement à notre point de départ. Gravez attentivement chaque détail de cette scène dans votre mémoire et suivez-moi. Dépêchez-vous car je ne pourrai plus maintenir cet endroit stable bien longtemps (*)

La première surprise était de voir des paroles sensées et pondérées sortir avec douceur de la bouche d'Haldren, dont ce n'était pourtant pas la qualité première et d'autant moins après la crise d'hystérie qu'il venait de traverser. La deuxième surprise pouvait venir de ses yeux qui ne brûlaient plus du beau teint rougeâtre habituel et se voyaient remplacées par un superbe vert émeraude du plus bel effet.

Mais la véritable surprise provenait de la langue utilisée : Haldren s'exprimait dans un elfique parfait (**)

~~~~~

(*) à ce stade tout le monde semblait se ficher joyeusement des effets secondaires que la rupture partielle du sortilège pouvait engendrer sur Shyn'tae. Cette attitude est normale.
(**) tout drow militaire ou religieux comprend correctement l'elfique, à défaut de le parler. Cela est parfaitement logique, car torturer des prisonniers de l'Anaëh sans comprendre leurs gémissements et supplications n'aurait eu aucune saveur (***).
(***) un ancien Obok Senger avait proposé d'apprendre le drow aux prisonniers avant de les torturer. Après maintes réflexions au sein de l'Olath Blada, sa proposition resta finalement au stade de projet.

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