Raviver le passé - Soufflent les vents

Cilastiel écoute le récit et les explications des deux ornedhels. Elle est évidemment touchée par leur récit et la tragédie dont à été victime celui qui se trouve sur sa tête. Levant le bras, elle lui propose de venir s'y poser afin de pouvoir mieux l'observer. Une nymphe ?... Elle n'en avait encore jamais vu. Pourtant, Kÿria sait le nombre de surprises et de créatures qu'Anaëh lui a montré depuis qu'elle erre dans ses bois. Elle le regarde d'un œil nouveau, plus tendre encore que le précédent. Elle approche sa main pour le caresser, non sans s'assurer au préalable de recevoir sa permission. Ses gestes témoignent d'autant de respect que de précautions, comme si elle manipulait le plus fragile des objets.
Cependant, si elle est attentive au malheur qui a frappé cet être fantastique, elle n'est pas d'accord avec la démarche des Noss qui ne sont sortis de l'ombre que pour attaquer. Elle relève enfin les yeux vers eux et, en réponse à la question du vieil elfe, elle en a une autre à poser.

-Si l'un de vos enfants faisait une bêtise et s'enfuyait, puniriez-vous son frère à sa place ? Demande-t-elle d'une voix douce.

Elle ne les juge pas. Elle entend leur méfiance et elle est légitime. Cependant, elle a plus de mal avec l'idée de mettre toutes les personnes semblables dans le même sac. Elle est et a toujours été différente des autres. Cela lui a été difficile à supporter pendant un temps. Mais aujourd'hui, elle veut utiliser ce regard qu'elle porte sur le monde qui l'entoure. Là où les autres voient la différence, elle voit la complémentarité. Alors certes, certains son excessifs, dans un camp comme dans l'autre, mais cela ne doit pas les empêcher de cohabiter pacifiquement.

-Ils sont aussi différents l'un de l'autre. Continue-t-elle, parlant toujours des deux enfants qu'elle évoquait. Autant que vous l'êtes l'un de l'autre. Dit-elle en alternant son regard entre les deux Noss. Que chaque membre de votre clan l'est de moi. Ou qu'ils ne le sont de celui qui a commis ce crime. Finit-elle en regardant Aegden, choisissant son dernier mot avec soin afin de signifier qu'elle a autant en horreur qu'eux les actes de cet individu qu'ils ont décrit.

Mais, sur le militaire, elle pose des yeux qui témoignent de sa confiance. Elle ne doute pas un seul instant des intentions de son ami et du fait que, s'il n'avait pas trouvé ce qu'il cherchait, il n'aurait pas remué ciel et terre pour y arriver. Après tout, ils ne sont même pas sûrs que cette arme existe, ils l'ont dit eux-mêmes.
La petite elfe revient sur le vieux Noss. Son attitude est paisible, non pas parce qu'elle n'aurait plus la force de s'emporter mais plutôt parce qu'elle veut simplement s'expliquer. Expliquer pourquoi elle les accompagne et pourquoi elle tient à eux.

-Je comprends vos motivations. Mais vous vous trompez sur tellement de points... que je ne sais pas par lequel commencer. Je connais Aegden depuis longtemps. Son rôle est de protéger... Les Taledhels. Les Ornedhels. Anaëh... Pas comme nous, certes, mais jamais il ne ferait de mal à ce qu'il est chargé de protéger. Je lui ai déjà confié ma vie et je recommencerai sans hésiter.

Elle fait bien évidemment référence à ce jour où elle l'a abordé dans les rues de Thaar et où elle lui a demandé s'il pouvait la ramener chez elle. Il n'a même pas pris le temps de réfléchir avant de lui répondre... Avec ce que l'on savait d'elle, on aurait pu le lui refuser mais il n'en a jamais été question. Elle l'a suivi sans se poser la moindre question et, non seulement ils l'ont ramené, mais en plus ils ont tenté de la soigner alors qu'ils n'avaient aucune raison de le faire. Simplement parce qu'elle était une elfe.
Mais ces mots sont avant tout logiques. De la même manière qu'un père veille sur ses enfants ou qu'un chef assure la sécurité de son clan, le Commandant ne s'en prendrait pas à ce qui est sous sa responsabilité. Cependant, elle se doute qu'il en faudra bien plus pour les convaincre. Ils ont besoin d'un argument qui leur parlera davantage.

-Et si Anaëh souffrait, il souffrirait avec elle. Ces mots prennent forcément un sens pour eux. Ceux qui entendent la Voix des arbres savent. Ils savent ce que l'on ressent quand il y a un danger ou qu'un malheur survient au milieu de cette forêt plurimillénaire. Alors lui faire du mal, ce serait s'en faire à soi-même et qui serait assez fou pour cela. Il était sourd. La Symphonie s'est ouverte à lui récemment. Dans son cœur. Anaëh a jugé qu'il en était digne.

Cilastiel marque une pause. Pour elle qui connaît Aegden depuis plusieurs années, elle n'a pas besoin d'autant de preuve de sa bonne foi. En revanche, s'il avait fallu la convaincre qu'il était inoffensif, la décision de la Prime Oeuvre aurait été un bien meilleur argument pour pencher en sa faveur car elle lui voue une confiance aveugle. Et les Ornedhels sont si respectueux de la nature qu'ils n'iraient pas à l'encontre de sa volonté... Elle a néanmoins autre chose à leur proposer... Quelque chose de plus intéressant. Une situation pérenne, voire définitive.

-Leur motivation n'est pas l'avidité. Juste... De la curiosité. Un intérêt pour leur histoire perdue. Ils ne recherchent que la vérité. Mais s'ils repartent comme ils sont venus, d'autres viendront... D'autres bien moins respectueux... Alors je vous demande de laissez-les aller jusqu'au bout. Laissez-les retirer cet objet de convoitise de la forêt où elle n'a pas sa place, ou s'assurer qu'elle n'existe pas. Ils répandront l'information et plus personne ne viendra.

Les deux ornehdels restèrent un instant silencieux, comme évaluant chaque mot de leur nouvelle congénère. Le plus vieux, surtout, gardait un visage fermé, hésitant. Alors, Aegden soupira et intervint d’une voix lasse. Il était profondément touché par la confiance que lui prêtait Cilastiel. Honoré même. Mais il devait rester sur le droit chemin, et être honnête avec eux autant qu’avec lui-même.

-J’ignore si je suis vraiment digne d’entendre. Mais j’essaie. Et je sais qu’essayer, parfois ne suffit pas. Son regard, cette fois-ci dénuée de toute rancœur, se reposa encore sur l’ornedhel. Vous savez quoi. ajoute-t-il sans hésitation dans sa voix. Détruisez ces foutues pages, détruisez la carte de Malgelir, le carnet. Que la lance reste où elle est. Il secoue la tête. Je ne tiendrais jamais une arme pour le simple but de détruire, je ne détruirais pas pour obtenir ‘’un bout de métal’’, la Mère m’en soit témoin. Il marqua une très légère pause, son regard retournant à son amie, lui offrant un très bref sourire comme s'il se voulait soudain rassurant. Vous n’avez aucune raison de me croire quand je dis que je partage votre souffrance et quand bien même… Je ne suis qu’un citadin parmi des milliers. Si la meilleure façon de vous aider est de faire demi-tour, alors soit.

-Ce sont de jolies paroles. Mais elles sont vides. Dans trois ennéades ils reviendront.

-Peut être…L’ornedhel semblait plus tempéré cette fois ci, probablement plus touché par les paroles de Cilastiel qu’il ne veut bien le laisser paraître. Nous avons un moyen de nous en assurer. Je veux qu’ils voient.

Alors, il vint subitement dans le dos du Taledhel qui sentit ses liens se détendre l’espace d’un instant. Hésitant, il ne bougea pas, cherchant à comprendre s’il s’agissait d’un piège ou non. La grande noss claqua la langue, contrariée, mais s’éloigna à son tour d’un pas encore un peu chancelant. Elle revint ensuite, accompagné d’un Malgelir oscillant entre peur et colère à leur encontre. Un bâillon lui fut finalement retiré et il eut l’air de recommencer à respirer. Son poignet droit était nu, signe qu’on lui avait lui aussi retiré tout moyen de défense.

-Venez.

L’orndehel ne prit que le temps de ramasser les quelques objets çà et là tournant les talons et s’attendant à ce qu’on le suive. La grande noss, moins confiante, se plaça en retrait du groupe, sans doute pour s’assurer que personne ne chercherait à fuir.

Aegden se releva alors et avant d’emboiter le pas au désormais chef du groupe, tendis sa main vers Cilastiel.La nymphe timide se changea en une minuscule gerbille qui se faufila dans les plumes de sa coiffe.

-Je suis désolé de t’avoir embarqué là-dedans. Et touché par ta confiance Cilastiel. Merci.

Cilastiel pousse un discret soupir de soulagement tandis que le vieux Noss libère son ami. Elle accueille avec joie son aide pour se remettre debout. Tendant ses bras vers lui, la corneille se métamorphosa pour lui permettre de se lever avec le soutien de son ami. Elle se sent un peu mieux, même si un bon repas et une nuit de repos ne lui feront pas de mal.

-Je te dois ma vie, Aegden. Dans les deux sens du terme. Tu m'as aidée malgré ce que j'étais. Tu as cru en moi. Alors il est normal que je crois en toi, moi-aussi.

Elle était un être sans Souffle, incapable de faire preuve de sentiments, objet manipulé par un drow de la pire espère. Il n'a pas la moindre idée de ce qu'elle a subi et de ce qu'elle a fait subir à d'autres. Pourtant, lorsqu'elle lui a demandé son aide, il la lui a apporté sans rien demander en retour et sans conditions. Il a eu confiance en elle et, à daté de ce jour, elle a eu confiance en lui.

Cilastiel se tourne vers Malgelir et lui adresse un sourire qui signifie bien des choses. A travers lui, elle veut s'assurer qu'il va et lui assurer que tout va bien. Ils n'ont pas encore récupéré leurs affaires mais ils n'ont plus d'entraves. Les Ornedhels se méfient un peu mais il est normal qu'ils ne les croient pas encore tout à fait. Les dissensions entre les deux factions d'Anaëh existent depuis trop longtemps. Les surmonter ne sera pas aisé mais c'est un objectif qu'elle s'est fixé. Cela doit commencer par de petites choses, comme celles-ci. Avec les bons interlocuteurs des deux côtés, les choses peuvent changer.

Elle laisse les deux Taledhels suivre le vieux Noss tandis qu'elle reste un court instant en arrière. Son regard fixe la grande elfe. Elle se souvient vaguement de sa réaction dans les ombres et elle l'a vue prostrée dans son coin pendant un moment tandis qu'ils discutaient. Elle lui a fait du mal et découvre une émotion qu'elle ne connaissait pas encore.

-Pardonne-moi... J'ai cru qu'ils étaient en train de mourir. J'ai eu peur... Je voulais les emmener dans les ombres pour les protéger mais je ne maîtrisais plus ce que je faisais... Je ne voulais pas voyager aussi loin, et encore moins t'effrayer.

-Comment ils font… Répond simplement la noss en se tenant les bras. Pour pas entendre sans devenir fou… ?

Elle ne semblait même pas réellement attendre de réponse de la part de Cilastiel, mais plus se poser la question à elle-même, à haute voix. Elle jeta un regard hésitant à sa jeune interlocutrice, ayant l’air de vouloir dire quelque chose sans que ses lèvres n’aient pourtant la force de le formuler. L’ornehdelle ne semblait pas en vouloir le moins du monde à Cilastiel. Elle avait simplement été secouée plus qu’attendue par l’expérience et n’était pas tout à fait remise.

Au même moment, la gerbille sauta et retrouva sa forme originelle d’elfe au corps allongé animal et végétal à la fois. Il ne semblait pas tenir en place à osciller d’une forme à l’autre, se tourner vers un elfe puis un autre, observer et chercher à comprendre son environnement. Sa queue serpentine battait l’air avec la régularité d’un métronome et de temps à autre son regard venait chercher son compagnon, qui lui adressait quelques signes des doigts.

Remarquant le regard fixe de Malgelir à son sujet, dans un coin de son regard, le vieux noss eut un bref sourire. Le premier depuis leur face à face.

-Il cherche à comprendre ce qui se passe. Son groupe ne se comporte pas comme il en a l’habitude depuis quelques jours, ça le perturbe. Il est rarement entouré d’autant de monde.

La Noss ne répond pas à ses excuses mais la petite elfe comprend que cette histoire ne compte déjà plus dans son esprit. Enfin... Le passage dans les ombres noires et silencieuses l'a marquée mais elle n'a pas de rancœur à son égard concernant cet incident. Alors elle se penche sur sa question et... elle est mieux placée que quiconque pour y répond.

-On ne peut pas être en manque d'une chose que l'on ne connaît pas. Et c'est très perturbant lorsqu'on reçoit ce don tardivement.

Cilastiel a eu la chance d'être malléable à ce moment-là. Tout avait changé subitement, toute sa perception du monde et sa façon de l'appréhender. Alors un changement de plus... Elle n'était plus à ça près.

Elle sent du mouvement sous son masque et, soudain, la nymphe apparaît sous sa forme originale. La jeune Noss s'arrête et le regarde avec émerveillement.

-Tu es... magnifique... Lui souffle-t-elle.

Elle porte bien plus son attention sur lui que sur leur destination qui n'a pas la moindre importance pour elle. La curiosité et l'excitation de la créature l'attendrissent et l'amusent tour à tour. Quelques doux éclats de rires lui échappent parfois alors qu'elle observe les réactions de ses compagnons et que la nymphe la détaille sans se soucier de ses limites personnelles. Contrairement à Macabre, cela ne dérange pas Cilastiel qui est passé d'une jeune femme parlant avec éloquence à une jeune fille qui s'amuse d'un rien. Instable est le mot qui pourrait la décrire d'un point de vue émotionnel. Lunatique diront les plus modérés. Aussi changeante qu'Anaëh penseront certains.

-Est-ce qu'il comprend lorsqu'on lui parle ?

Du fait de sa forme presque elfique, on serait tenté de penser que oui mais on pourrait évidemment s'y tromper. Ce qui l'intéresse, c'est de savoir s'il avait une raison de répéter ces mots tout à l'heure. En l'écoutant, elle s'est demandé s'il parlait de lui quand il disait "seul" et si c'était elle qu'il appelait "sœur". A moins qu'il se redire ce qu'il entend sans que cela n'ait le moindre sens... Auquel cas, elle lui aura répondu pour rien.

-Il comprend partiellement certains de nos mots. Par habitude. L’ornedhel acquiesça. Et j’imagine que certaines de nos phrases ne lui sont plus si étrangères. Mais il ne parle pas. Son langage est celui d’anaëh et non celui de nos mots artificiels. En revanche…

Il marqua une pause hésita, puis faisant signe aux Talehdels de continuer tout droit sans lui, il s’approcha de Cilastiel. Il lui prit doucement la main, guidant ses doigts dans quelques gestes simples mais suffisamment précis pour provoquer une réaction sur la créature en face. Celui-ci soudain aussi immobile qu’attentif, se percha sur une branche basse, puis répondit en frottant sa main en rond contre son torse. Il avait l’air satisfait.

-Tu viens de lui dire que tout va bien. Et il te répond qu’il est heureux.

Les deux ornedhels échangèrent alors un regard plus serein que n’importe laquelle des expressions qu’ils avaient eu jusqu’à présent. Il était évident qu’ils tenaient particulièrement à la créature qui s’était attaché à eux.
Aegden ne dit rien en les observant tout les deux, mais lui aussi se permit un fin sourire, un peu en retrait et appuyé contre son mathandil. Leur attitude lui rappelait ce qu'il avait pu voir chez pas mal de parents, et ce que lui même avait déjà pu expérimenter à chaque fois qu'Elben faisait un progrès aussi miniscule fut-il. Même si la créature n'était pas leur enfant et qu'il n'étaient peut être même pas liées l'un à l'autre, il trouvait quelque chose de touchant chez ces deux ornehdels et soudain, il se rendait à nouveau compte à quel points ils se ressemblaient tous, les anedhels.

Cilastiel demanda ensuite comment signifier à la créature sa beauté et le noss eut un petit moment de réflexion, avant de lentement désigner la nymphe, puis, sa main se porta sur sa bouche avant de mimer des cornes sur sa tête. La créature se redressa, pencha la tête sur le côté, puis eut l’air de bien prendre le message, mimant les mêmes gestes un peu maladroitement.

-Nous ne prêtons pas attention à la beauté physique, alors nous ne lui avons pas appris ce concept. Par contre, tu peux lui dire que tu l’apprécie. Ça, il le comprend.

Et puis la marche finit par reprendre, peut-être un peu plus légère grâce au spectacle touchant du duo que formaient la nymphe et Cilastiel. Plusieurs fois même, il osa venir près des citadins, d’abord très timidement, puis un peu plus franchement lorsqu’il comprit qu’aucun de leur geste n’avait d’intention malveillante Malgelir eut même droit à la compagnie d’un iguane aux couleurs rappelant celles de la nymphe sur son épaule pendant une bonne partie de leur trajet.

S’ils ne se sentaient plus si prisonnier, les deux talehdel ne purent pourtant pas l’oublier car, lorsque le soir vint, ils purent sentir le lourd regard des sentinelles à chacun de leurs gestes. Bien entendu, ni l’un ni l’autre n’eut droit de récupérer leur armes…

Aegden ne faisait aucun commentaire, faisant même de son mieux pour tempérer Malgelir qui vivait d’autant plus mal la frustration de perdre non seulement son moyen de défense, mais surtout un lien précieux avec sa façon de voir le monde. C’était difficilement supportable pour lui et le maintyh voyait à quel point il faisait des efforts pour se contenir, principalement par confiance en lui, plus que tout autre chose...

Et puis finalement, le voyage sembla toucher à sa fin lorsque le groupe d’anedhel se trouva sous des frondaisons de plus en plus éparses, jusqu’à marcher à découvert sur une plaine battue par le vent. Là, ils pouvaient voir la fin de la terre. Les falaises déchiquetées par Tyra en personne semblait-il, brunies par le temps étendaient leurs immenses ombres sur l’océan  qu'y s'y éclatait comme un fou quelques mètres en contrebas.

-« Soufflent les vents »… « en les a-pic et les falaises embruinées »… Marmonne Le soldat lëandrin pour lui même, en observant le paysage incroyablement différent de là d’où il venait

Au même moment, la nymphe commença à s’agiter, perdant de sa joyeuseté au fur et à mesure qu’ils évoluaient. Oscillant d’une forme à l’autre, souvent des oiseaux qui battaient leurs ailes sans logique et manquaient de s'envoler sous le coup de trop fortes bourrasques, il n’avait plus l’air aussi doux et curieux ici. D’ailleurs, Aegden avait lui même l’impression de ressentir une légère tension qui grandissait doucement et qui ne lui appartenait pas entièrement.

Cilastiel penche légèrement la tête sur le côté. Accorder de l'importance à la beauté est une chose mais cela ne les empêche pas de trouver quelqu'un plus ou moins beau, non ? Cependant, elle ne relève pas cette observation à voix haute et la garde pour elle. Elle est bien trop fascinée par la nymphe pour se préoccuper d'autre chose. Rien que pour cette rencontre, elle est ravie d'avoir pu accompagner les deux Taledhels. Même si, sans sa présence et son intervention, les Ornedhels ne les auraient peut-être pas aidé à passer, ou pas aussi facilement. Ainsi, c'est avec une petite escorte qu'ils poursuivent leur voyage. Elle a parfois pu apercevoir une silhouette dans l'ombre pendant le trajet. Elle en a vu deux bien plus distinctement une fois la nuit tombée. Se croyant à l'abri dans le noir, ils se sont montrés moins vigilants mais, à l'aide de sa magie, ils ne pouvaient pas se cacher d'elle.

Finalement, les oreilles de la petite elfe se dressent lorsqu'elles perçoivent un bruit qu'elle n'ont plus entendu depuis longtemps. Elle se précipite vers la limite de la canopée et le bord de la falaise. Assez pour voir en bas mais pas trop pour ne pas risquer une chute à cause de la fragilité de cette section de terre. La mer... Elle ne l'avait plus vue depuis son retour de Thaar et elle n'a jamais eu le loisir d'en profiter de toute sa vie. Evidemment, elle patientera avant de laisser libre cours à son envie nouvelle car le lieu et le moment sont très mal choisis mais... elle y pensera. Néanmoins, elle doute que Serythil acceptera de venir se baigner avec elle cette fois. Mais seule, c'est moins amusant...

L'attention de Cilastiel est captée par l'agitation de la nymphe qui a la mauvaise idée de se transformer en l'animal le moins à son aise dans un tel environnement. N'importe quelle bourrasque pourrait l'emporter. Il est très agité et presque incohérent dans son attitude, est-ce qu'il a peur ? La petite elfe tend vers lui deux mains tendres, l'invitant à venir se loger dans ses bras pour le mettre à l'abri autant que pour le rassurer.

Avançant encore sur quelques mètres, le petit groupe put voir de longues balafres dans un sol pierreux dont la végétation battue par le vent peinait à retrouver sa place. Soudain, la nymphe corneille poussa un cri et s’envola sans prêter attention aux protestations inquiètes de son compagnon de voyage. Elle se battit un instant contre le vent et dans un nouveau croassement paniqué, une nouvelle bourrasque plus forte la frappa et elle disparut parmi une épaisse formation rocheuse.

La grande noss cria à son tour, terrifiée par le spectacle. Les deux citadins, eux, se lancèrent un regard entre stupeur et l'oubli soudain de la raison de leur venue au profit de celle d'aider la créature.

-Rendez-moi mon focaliseur. Le ruban bleu. Lança immédiatement Malgelir.

-Non ! Tout ça c’est  encore de votre faute! On est ici à cause de vous, on aurait jamais dû le ramener ici.C'est comme la première fois !Hurlait la femme, prise entre la peur et la colère qui semblait régner aussi dans les airs.

L’autre ornehdel sembla franchement hésiter tenant le fameux ruban entre ses doigts.

-Je veux vous aider. Regardez là-bas, si je calme le vent et fait baisser la brume on pourra peut-être passer et le retrouver.

D’un geste rapide il désigna un passage de pierre un peu plus bas, inégal, trempé par les embruns, mais qui semblait définitivement solide. De là, ils pourraient surement mieux voir où leur compagnon avait atterrit.

-Pitié, je ne peut rien faire sans vous comprenez !?

-Ah Pour l’amour de Kÿria !

Aegden râla et sans plus leur prêter d'attention ni plus attendre que les uns ou les autres ne se décident à se mettre d’accord, il bondit dans la direction indiquée par son ami. Il en avait plus qu’assez de voir des vies emportées par ces conflits. Tant pis pour eux et tant pis pour ses armes, pour l'instant le plus important était de retrouver la nymphe.

Pour que tu aie une idée de l'image que j'ai au niveau des pierres:

La nymphe n'a pas réagi à l’offre de la petite elfe de la protégée et a disparu dans un coup de vent. Cilastiel suit la direction dans laquelle elle a été emportée sur seulement quelques pas. Elle se tient près du passage de pierres, la guettant du regard sans rien voir. Derrière elle, elle entend des voix qui se disputent pour un rien. Pour un bout de tissu, pour un accès à la magie, pour la culpabilité d'un autre. Elle voudrait leur hurler de se taire mais elle est trop occupée à guetter la créature qui manque à l'appel. Et puis... Une silhouette passe près d’elle et disparaît dans la brume.

-Aegden !

Il ne l'a pas écoutée... Elle se retourne alors sur le petit groupe, les sourcils froncés de reproche. Plutôt que d'attendre qu'ils terminent de s'entendre vainement et qu'il arrive malheur à la nymphe, il a décidé d'agir. Vont-ils finir par la croire lorsqu'elle leur dit qu'ils ne sont pas dangereux ?! A présent, lui aussi est en danger. Et si cela ne leur suffit toujours pas pour enfin accéder à la requête de Malgelir, alors elle va tenter de les y pousser. Ils ne l'ont pas attachée. Ils ne l’ont même pas reproché sa perte de sang froid. Ils ne lui veulent donc aucun mal. Elle est une de leurs sœurs… Donc ils se soucient un tant soit peu d’elle.
Alors, un instant seulement après que le Commandant ait disparu, elle lui emboîte le pas. Elle est plus petite, plus fine, plus fragile… Le vent va la malmener bien plus que le solide militaire. Elle peut s’aider de sa magie en cas de chute mais elle a montré qu’elle était instable et pouvait perdre le contrôle ce qui la rend dangereuse même pour elle.

Et si elle tombait et n’arrivait pas à ouvrir une porte vers l’autre monde ?...

Sur la corniche de pierre, le vent semble encore plus fort. Ou bien c’est la perspective de la chute qu’il l’attend si elle se manque qui la rend aussi craintive ? Elle ne sait plus tellement mais elle continue à avancer dans le brouillard. Alors qu’elle ne voit plus la falaise qu’elle vient de quitter et n’aperçoit personne devant elle, elle appelle de nouveau son ami. Elle est pieds nus et les pierres sont coupantes par endroit. Elle doit être doublement prudente…

Répondant au vent qui hurlait, une grosse vague s’abattit rageusement contre la pierre. Soudain alors qu’elle avançait encore, on la tira sur le côté, dans un renfoncement un peu plus prononcé de la falaise tandis qu'un nouvel assaut des éléments vint faucher ce qu’il restait là où elle se tenait une seconde en arrière. Alors, Cilastiel put refaire face à son ami.

Concentré et encore légèrement contrarié il observait l’extérieur de leur abri de fortune, évaluant leur chemin. Machinalement, il vint ramener sa crinière rousse en un chignon serré qui lui assurerait l’absence de mèche rebelles dans le vent. Examinant ensuite son armure, qu’on lui avait rendue au contraire de sa lance et du bracelet des noss, il soupira avant de se délester de sa cape, qu’il déposa un peu à l’abri, derrière quelques rochers. En situation de combat, elle floutait ses mouvements et n’était pas dérangeante mais dans un tel contexte, elle deviendrait rapidement très lourde et dangereuse.

-Les autres sont derrière toi ?

Mais il ne lui laissa pas le loisir de répondre en fin de compte. Il lui fit soudain signe de le suivre, profitant d’une brève accalmie. Sur quelques mètres ils purent avancer tant bien que mal, ballotés mais tenant bon et à un moment, il y eut un trou devant eux. Alors qu’Aegden se ramassa sur lui-même et s’élança, il vit la petite noss utiliser sa magie pour réapparaitre à sa manière de l’autre côté. Un rictus amusé étira ses lèvres mais ,s’apprêtant à lui faire une remarque teinté d’humour, un nouveau cri d’oiseau le rappela à la réalité et lui fit lever la tête.

-Tu pense que tu peux nous faire monter un peu avec ta magie?

La paroi n’était pas complètement lisse, mais avec le vent et la brume, le mainyth n’était pas certain de vouloir s’y risquer s’il avait une autre solution. Derrière eux, il y eut un grondement sourd, puis des bruit d'une roche qui tombait. La brume ne leur permettaient pas de le vérifier avec justesse, mais il était probable que la possibilité pour eux de rebrousser chemin venait de leur être arrachée par les éléments.

Les vagues sont aussi furieuses que le vent et Cilastiel avance avec prudence. Ici, la Symphonie ne peut pas l'aider sur la conduite à tenir et l'avertir des dangers. La mer ne chante pas de la même manière que les arbres. Et alors que l'eau se précipite sur elle et menace de l'emporter, quelque chose l'attrape et l'attire, lui évitant ainsi l'affreuse perspective de se retrouver projeter contre les rochers ou entraînée vers le fond. Elle reconnaît bien vite les traits d'Aegden et s'en montre soulagée du fait qu'il aille bien, qu'elle l'ait retrouvé et qu'elle soit en sécurité grâce à lui.

Elle n'a pas vraiment le temps de lui répondre. Elle ignore si quelqu'un d'autre la suivie ou s'ils sont encore sur la falaise à se disputer pour rien. Elle emboîte le pas à son ami, le suivant sur cette corniche étroite et abrupte. La pierre sous ses pieds nus obligent la petite Noss a s'assurer de l'endroit où elle les pose autant qu'à veiller au maintien de son équilibre à chaque bourrasque de vent. Leur progression est lente et difficile mais ils parviennent jusqu'à un vide qu'il leur faut franchir. Laissant le militaire à ses acrobaties, elle choisit de ne pas se risquer à faire la même chose et emprunte la voie des ombres pour se retrouver à nouveau à ses côtés. La mine qu'il affiche en la voyant débarquer lui étire un sourire amusé et fier qui lui fait relever le menton. Mais leur distraction sera de courte durée alors qu'ils perçoivent le cri de la nymphe.

A la question d'Aegden, Cilastiel sourit de plus belle, espiègle, tandis qu'une idée germe dans son esprit.

-J'ai toujours rêvé d'être plus grande. Lui répond-elle avec humour alors qu'elle n'a jamais exprimé ce souhait jusqu'à présent.

Mais, sans plus d'explication, elle tend une main dans sa direction, l'invitant à y poser la sienne. Alors, les deux elfes se fondent dans leurs propres ombres sur la paroi de la falaise. Malgré l'absence de soleil, on distingue leurs silhouettes noires qui se détachent de la roche rousse. Se tenant toujours la main, elles semblent lentement s'étirer et grandir toujours plus, cherchant visiblement à atteindre... quelque chose. Et alors que Cilastiel songeait à s'arrêter pour jeter un œil hors des ombres et guetter la nymphe, les silhouettes se cassent et se déforment pour suivre le contour d'un plateau. Elles s'allongent sur le sol avant de retrouver un mur vertical. Là, la jeune Ornedhelle sort finalement de son monde, entraînant son ami avec elle pour qu'il retrouve lui aussi la terre ferme.

Ses premiers pas sur la terre ferme furent accompagnés d’un léger frisson et il glissa un nouveau regard intrigué à son amie. C’était là encore une utilisation de la magie qu’il n’avait jamais vu ni même imaginé… La sensation était très étrange pour le néophyte qu’il était dans les arcanes.

Rapidement, il observa par-dessus son épaules les récifs en contrebas avant d’encore faire signe à Cilastiel. Ils n’avaient malheureusement pas le temps de chercher leurs camarades dans le paysage. Pourtant Aegden s’inquiétait pour eux au fond, Malgelir le premier. Il s’effrayait de voir dans quoi il avait entrainé son ami.
Bientôt, le vent siffla moins violement à leurs oreilles, bloqué par les pierres qui formaient un cirque miniature autour d’eux. Leur chemin ne s’arrêta pas et finit par monter encore, s’avançant sur les eaux et au bout de quelques minutes de marche hasardeuse, ils purent finalement distinguer une créature humanoïde, roulée en boule sur les racines d’un vieil arbre. Certaines d’entre elles semblaient sortir d’une grosse pierre fendue au milieux, sans doute creusée sur le dessus et gravées d’écrits elfiques presque illisibles par l’usure des éléments et du temps. Il fallait s’approcher et passer quelques minutes pour déchiffrer la pierre.

Portant l’hast qui fut,
A travers brumes le barde se rue.
Ce qu’Elenwë a pris jamais plus ne sera.
Ce qui repose, un jour peut-être retrouvera
La dignité et celui qui pour digne soit vu,
Porte l’hast et souffle,
Que jamais ne l’emporte la main de l’inconstant.

Pourtant, c’était bien à la nymphe que les deux elfes prêtèrent d’abord toute leur attention. Se faisant silencieux et lent, Aegden voulu s’approcher de la nymphe d’une manière qui ne l’effraierait pas. A quelque mètres de l'humanoïde cornu qui dardait ses yeux si elfiques vers eux, il plia les genoux. Comme lorsqu’il avait rencontré Vailimo pour la première fois, il ne chercha pas à le toucher, ni à forcer un contact en tendant sa main. Il attendit. Le soldat jeta tout de même un discret coup d’œil vers Cilastiel qui maitrisait malgré tout, beaucoup mieux que lui le rapport aux créatures.

Depuis qu'elle a récupéré son Souffle, Cilastiel a changé sa vision du monde, et ce jusque dans la pratique de sa magie. Autrefois, elle se contentait d'aller d'un point A à un point B, d'observer dans le noir, de surprendre ses adversaires, de s'infiltrer dans un lieu interdit. Aujourd'hui, elle se montre plus originale et plus créative. Macabre en était incapable. Elle avait bien tenté de faire des jeux d'ombre sur les murs avec Neraën mais cela n'était pas une grande réussite. Mais son imagination s'est débloquée en même temps que tout le reste et elle n'a aucune limite désormais.

Mais l'espièglerie provoqué par sa nouvelle trouvaille s'efface vite du visage de la petite elfe lorsqu'ils trouvent enfin la nymphe. Son visage prend un air à la fois triste et désolé. La créature semble troublée. Mais pourquoi ? Elle n'a pas le temps d'y réfléchir, il faut la rassurer. Alors, elle dépasse son ami, marchant d'un pas paisible. Elle abaisse son masque puis plie les genoux pour avancer presque à quatre pattes. Tandis qu'elle approche, elle imite le sifflement d'un oiseau. Celui qu'un beau chanteur produit lorsque tout va bien. C'est une Vëtherill qui le lui a appris. Les éclaireurs se servent parfois de ces chants et de leur signification pour communiquer entre eux. Elle veut que la nymphe sache qu'il n'y a pas de danger, mimant sa propre façon de changer de forme selon son humeur et son envie en se donnant l'apparence d'un oiseau. Son sifflement attire l'attention de la créature. Il redoute un peu son approche mais, au sifflement suivant, il semble se détendre un peu. Rien dans l'attitude de la Noss ne le laisse penser qu'il a quoi que ce soit à redouter. Alors il la laisse venir à lui. Et lorsqu'elle se trouve près de lui, Cilastiel tend avec lenteur une main vers lui. Avec délicatesse, elle la pose sur son bras, le couvant d'un regard tendre et rassurant. Elle mime un geste. Cela qui le vieil Ornedhel a utilisé pour lui dire que tout allait bien. Elle s'approche encore et pose sa main sur sa joue. Avec douceur, elle l'attire à elle. Elle dirige sa tête dans le creux de son cou et l'étreint affectueusement. Après quelques instants, apaisée, la nymphe se change en hermine qui vient se mettre en écharpe autour du cou de la jeune fille. Cette dernière esquisse un sourire puis se tourne vers son ami. Il ne leur reste plus qu'à comprendre pourquoi il est venu se réfugier ici et s'est mis dans cet état.

Aegden avait observé faire la jeune femme, sans intervenir, sans rien dire, en simple spectateur. Une part de lui jalousait presque la relation qu’elle parvenait à obtenir avec la faune et la flore. Le lëandrin respectait bien sûr la nature comme n’importe quel anedhel digne de ce nom. Mais il restait un taledhel né au milieux des pierres et il y vivrait jusqu’à la fin de sa vie. Quant au lien qu’il entretenait avec l’œuvre, il était encore bien hésitant et fragile…Il n'était qu'un soldat citadin un peu trop habitué à la violence. Parfois il enviait la douceur dont elle savait faire preuve avec autant de naturel.

D’ailleurs sagissant de symphonie, le mainyth avait finit par hausser les oreilles en avant, intrigué par quelque chose. Se relevant sous les yeux attentifs de l’hermine au cou de Cilastiel, il les contourna et s’approcha de l’arbre derrière eux. Au creux de la pierre fendue, comme il s’en était douté, l’arme était là, reposant. Il n’y avait plus de hampe, ou ce qui l’avait été autrefois avait été dévorée par les racines de l’arbre. A moins qu’elle ne soit...devenue l’arbre… ?

La lame, elle, semblait intacte. De la taille de son avant-bras environs, la lame bleutée était à la fois simple dans sa forme et d’une finesse incroyable dans les motifs damassés et gravés le long. Si elle avait été une arme, cette lame était aussi sans douter un témoignage magnifique de l’artisanat elfique d’antan.

Mais ce n’était  pourtant pas cela qui avait attiré son attention, alors, la prenant dans ses mains, il s’avança jusqu’au bord de la falaise et prit un temps pour observer le paysage en contrebas et autour d’eux.

La brume recouvrait une partie des pierres et les eaux s’agitaient en bas, mais la rage du vent avait laissé place à une brise beaucoup plus légère. Ce qui avait été un paysage menaçant jusqu’ici semblait se transformer sous ses yeux même en un tableau élégant. Les roches autrefois abruptes étaient devenues une envoutante dentelle de pierre, léchée par l'écume cotonneuse au milieux de l'océan chatoyant de bleus et de verts.

Dans son cœur résonnait une paix étrange, douce et pourtant un peu amère. Il avait l'air de se demander quoi faire à présent, faisant tourner le précieux objet entre ses mains. Y avait-il un sens, au final dans la quête qu'il avait lancé et dont il n'avait pas trouvé de réponses ?

Et là, perdu dans ses pensées et ses réflexions, appuyé contre une racine au bord du monde, Aegden se surprit à se plonger dans une étrange méditation, portée par les embruns et par la voix doucement mélancolique de l’endroit. Cela dura jusqu’à ce qu’un éclat de voix familier ne le fasse bondir sur ses pieds.

-Aegden Cilastiel ! Kÿria soit louée vous êtes là !

Malgelir s’approchait d’eux, venant d’une direction opposée aux chemin que ses deux amis avaient pris un peu plus tôt. L’air franchement soulagé, son bras était de nouveau couvert de l’épais ruban qui lui servait de focaliseur. Derrière lui, le vieux noss faisait de son mieux pour le rattraper, son attention allant directement au petit animal accroché au cou de Cilastiel.

-Est-ce qu’il va bien ? Demanda-t-il en signant son geste.

Caressant la petite tête de l'hermine, Cilastiel regarde Aegden se remettre en mouvement. Elle le suit des yeux tandis qu'il s'approche des racines, qu'il prend la lame puis s'éloigne pour observer le paysage d'un air pensif. Elle est intriguée par son attitude mais ne dit rien durant un bon moment. Et lorsqu'elle s'apprête à prononcer son nom pour l'interpeller doucement, elle est interrompue par la voix de Malgelir qui les rejoint à grands pas. Après un léger moment de surprise généré autant par l'arrivée du duo que par l'inquiétude du mage à son sujet, elle incline légèrement la tête pour lui répondre. Elle va très bien en ce qui la concerne, même si Aegden y est pour quelque chose alors qu'il a empêché une vague de l'emporter.

La petite elfe reporte ensuite son attention sur le vieux Noss qui, lui, s'est surtout fait du soucis pour la nymphe.

-Il a eu peur, mais il va bien.

Puisque l'hermine ne semble pas vouloir quitter son cou pour le moment, elle ne l'y force pas et lui caresse la joue. L'animal s'y montre sensible et pousse sa tête contre sa main pour appuyer un peu plus le contact, étirant un sourire à sa porteuse. Puis elle tourne à nouveau le regard vers son ami.

-Et maintenant ?

Il a trouvé ce qu'il était venu chercher. Elle n'a pas la moindre idée de ce qu'il compte en faire mais elle est assez curieuse. Comme elle l'avait assuré aux Noss, il a accompli son but sans faire de mal à qui que ce soit : elfe, animal, arbre... Son passage passera presque inaperçu.

L’air soulagé, le vieux noss continua de signer quelques phrases sans faire mine de vouloir déloger l’hermine du cou de Cilastiel. A vrai dire, il sourit en la voyant s’y accrocher de plus belle et réclamer quelques attentions supplémentaires.
Malgelir quant à lui ne se gêna pas pour venir serrer son ami dans ses bras l’espace d’un instant. Les oreilles en arrière, il semblait encore lutter pour faire taire une franche inquiétude.

-Me fait plus jamais ça. Fit-il en pointant un doigt accusateur contre le torse de son ami. En voyant l’éboulement et ta cape juste à côté, j’ai cru que…

-Tout va bien Malg’. Aegden le coupa, posant ses mains de part et d’autre de ses épaules. Je suis désolé.

-Aegden, il y a...autre chose.

Le mage lui tendit sa cape, mais aussi quelques éclats de bois que le mainyth connaissait par cœur. Ce dernier s’alourdit péniblement en comprenant où l’élémentaliste n’osait en venir.

-Pardonne moi. Il allait glisser. Expliqua-t-il en désignant leur compagnon de route. Et je l’ai rattrapé in extremis avec la magie mais on n’a pas pu rattraper ta lance. J’ignore où est tombée la lame.

-Oh...Ce n’est rien... Ce n'était qu'un...bout de boit et de métal après tout.

Le commandant mentait et ça se voyait au sourire triste qu'il étira soudain. Sa lance était un objet profondément sentimental pour lui, tout comme l’était le focaliseur d’un mage, et cela lui faisait un choc douloureux. Elle l’avait accompagné depuis le début, et ce simple morceau de bois lui avait sauvé la vie autant de fois que ses frères. La voir réduite en de si petits éclats lui faisait un effet similaire à la perte d’un compagnon d’arme. C'était la fin de quelque chose. Malgelir le savait très bien, et il se contenta d'un dernier ''je suis désolé'' avant de baisser le nez.

Leur permettant heureusement de passer à autre chose, Cilastiel demanda ensuite ce qu’ils allaient faire désormais et Aegden eut l’air d’hésiter un instant, la fixant elle et la nymphe, fixant le vieux noss et sa compagne restée plus loin en arrière, fixant enfin l’arme dans sa main. Son visage afficha d’abord une franche interrogation, puis petit à petit il eut l’air de se résigner.

Il s’avança alors face au vieil elfe qui s’était redressé et fixait les racines du grand arbre et le rocher. Il lui tendit l’arme qu’il tenait encore dans sa main, un éclat amer dans son sourire pourtant sincère.

-Je pense que vous devriez la garder. Fit-il. Quant à nous on rentre. Je crois qu’on ne trouvera pas ce qu’on cherchait au final… Mais on aura eut une bonne leçon.

Mais l’autre referma ses doigts et repoussa sa main.

-Ce n’était pas vraiment la façon dont je l’espérais mais j’ai eu ce que je voulais. Répondit-il tranquillement. Qu'importe la vérité que vous cherchiez ici. Cette lame a connu des jours terribles mais peut-être qu’il est temps qu’elle retrouve une nouvelle vie. Il hocha la tête comme pour appuyer ses propres dires. Répare-la et donne-lui un nouveau souffle. Je pense que c’est ce qu’ils auraient voulu...Une main droite et honnête tout simplement.

Et sans attendre de protestation, il se tourna vers Cilastiel, posant ses poings sur ses hanches.

-J’imagine que tu voudras suivre tes compagnons jusqu’à leur cité. Mais notre compagnon à nous semble t’avoir définitivement adopté. Peut-être devrait-tu voyager avec nous un temps… Lui proposa-t-il avec gentillesse. Je crains qu'il ne te laisse pas partir si facilement.

Cilastiel observe la scène entre Aegden et le vieux Noss et approuve autant la décision de ce dernier que l'appréciation qu'il fait de son ami. Il mérite de recevoir cet objet et elle sait qu'il en fera bon usage. Il peut aussi le voir comme un remplacement de son arme perdue alors qu'il s'est jetée à corps perdu dans la recherche de la nymphe sans même se soucier du fait qu'il n'avait rien pour se défendre. La petite elfe, elle, ne demande rien et n'attend rien non plus. Elle a accompagné les Taledhels pour les aider et a simplement jouer son rôle. Ils auraient pu y arriver même si elle n'avait pas été là. Elle a donné un petit coup de pouce avec les Noss et la falaise, voilà tout.

Finalement, le vieil elfe se tourne vers elle. Elle le regarde d'un air curieux alors qu'elle a relevé son masque au cours de la conversation précédente. A sa proposition, elle ne cache ni sa surprise, ni son émotion. Et elle hésite, clairement. Comme si elle avait compris ce qu'il se passait, la petite hermine fait soudain un tour complet de son cou en courant avant de venir frotter sa tête contre l'angle de sa mâchoire. Cilastiel sourit, regarde l'animal, le Noss puis son ami. Elle aussi s'est beaucoup attachée à cet être hors norme durant ce voyage. Elle est très curieuse d'en apprendre davantage sur lui et le seul moyen serait de rester un peu plus longtemps. Mais devant la réaction du militaire, elle se décide plutôt rapidement et hoche la tête en guise d'accord en direction de l'ornedhel.

-Finalement, je ne sais pas ce qu'Anaëh voulait en m'attirant ici... Que je vous aide ou que je le rencontre. Dit-elle en désignant la nymphe d'une nouvelle caresse sur le dessus de sa tête.

Peut-être bien les deux... Elle ne le saura jamais de toute manière. Puis elle se tourne vers Malgelir, l'air un peu plus espiègle.

-Alors ? Toujours aussi sceptique quant au fait que je vous accompagnerais jusqu'au bout ?

Elle n'a pas oublié sa remarque qui, elle le sait, n'était qu'une façon de souligner le fait qu'elle était parfaitement libre de changer d'avis tandis qu'elle s'en est à demi vexée alors qu'elle avait pris un engagement envers eux. Mais elle se sent d'humeur à le charrier un peu alors qu'elle en a fait plus que lui au final. Et autant qu'elle en profite alors que leurs routes allaient rapidement se séparer. Il n'a jamais semble très à son aise avec elle mais elle ne voudrait pas qu'il reste sur cet a priori à son sujet.

-Je ne l’ai jamais été tu sais. Seulement, tu as toujours eut le choix.

Malgelir renchérit, un peu surpris que la petite noss lui en veuille à ce point pour une phrase tout à fait anodine. Malgré tout, il plia les genoux et vint s’agenouiller devant elle et le petit animal qui fronça son nez de mustélidé.

-Mais je te remercie Cilastiel. Ajouta-t-il avec sincérité, son regard s’égara une demi seconde sur son ami, assombrit, avant de revenir à la jeune femme. On ne serait pas ici sans toi.

Il lui offrit un sourire amical, un des premier qu’il affichait depuis quelques jours. Profitant de leur proximité, l’hermine quitta son refuge de plumes, grimpant sur l’avant-bras du mage un peu déstabilisé. Elle se mit une seconde sur ses pattes arrières, toisant son vis-à-vis, longea son bras jusqu’à son épaule, posa ses pattes sur le coté de son crâne...avant de se réfugier à nouveau chez Cilastiel après un couinement.

-Heu… Merci à toi aussi je suppose.

-On devrait probablement les laisser à présent Malgelir, avant que cette nymphe ne t’adopte à ton tour. Rit gentiment Aegden qui avait observé la scène.

Il souriait devant le spectacle du mage citadin face aux créatures des bois. La confiance de Malgelir envers les noss était plus que vacillante ces derniers temps, et le voir aussi détendu faisait chaud au cœur du commandant. Et à coté, il y avait Cilastiel tellement à l’aise dans son environnement. Il ne lui souhaitait rien d’autre que de continuer son chemin avec ceux qui étaient devenus ses pairs.

-J'espère bien. Répond la petite elfe d'un air fier et indépendant.

Evidemment qu'elle avait le choix. Il serait difficile de lui imposer quelque chose avec sa nouvelle personnalité de toute manière. Cependant, elle avait pris une décision et tenait à aller jusqu'au bout. Elle n'avait pas perçu la réplique de Malgelir comme une simple ouverture. L'effet de son attitude un brin méfiante et réservée à son égard, sans doute.

Alors que le mage se met à sa hauteur et la remercie, elle étire un sourire qui, cette fois, n'a rien de malicieux. Il a plutôt quelque chose de bienveillant, presque maternel. Puis elle se penche vers lui, se hissant légèrement sur la pointe de ses pieds pour venir déposer un baiser sur son front. Celui qui était si peu enjoué à l'idée de voyager avec une Noss l'a désormais pour amie. Une Noss qui paraît bien jeune et parfois espiègle, voire infantile, mais qui a cette lueur de sagesse et d'assurance dans le regard... Une Noss étrange et hors norme, pleine de secrets mais qui détient un cœur bien plus grand que celui d'elfes bien plus hauts qu'elle.

La nymphe fait sourire le petit groupe. Cilastiel s'y est énormément attachée, elle aussi. Elle veut rester un peu auprès d'elle et se demande en même temps comment elle va pouvoir la laisser le jour où elle devra reprendre sa route. Mais elle verra cela plus tard... Pour l'heure, c'est aux Taledhels qu'elle doit dire au revoir. D'un geste, elle fait signe à Aegden d'approcher. A son oreille, elle dépose une requête : celle d'écrire à sa mère pour elle. C'est ce qu'elle lui a promis lors de leur dernière entrevue. D'essayer de lui écrire ou de lui faire transmettre des nouvelles par d'autres. C'est l'occasion... Et c'est là-dessus qu'ils se quittent, après quelques salutations et après avoir été guidé dans la bonne direction pour rentrer. Leurs chemins se recroiseront, elle n'en a pas le moindre doute.