Comme on se retrouve... | Viliam & Fantôme

Milieu de la cinquième ennéade
Hiver, Verimios 19:XI

-Mais tu m'emmènes où ?!

Fantôme se laisse entraîner par son amie. Djenaba est venue le trouver avec un air malicieux et maintenant il lui court après dans les rues de la ville pour découvrir ce qui la met tellement en joie. Après avoir disparu pendant plus de trois jours, il a été content de retrouver les siens, même si la rencontre avec Viliam lui a laissé un souvenir doux amer. Il pense encore régulièrement à ces quelques jours enfermés... Mais cette tempête a probablement marqué tous les esprits/ Il faut dire qu'elle a occasionné pas mal de dégâts. Il a fallu plusieurs jours pour déblayer assez de sable pour permettre aux charrettes d'arpenter à nouveau les rues. Ça a été une période difficile, mais bien moins que le Voile pour ceux qui l'ont connu. Il n'empêche que, depuis son retour, Djena lui trouve quelque chose de différent. Tristesse, mélancolie... Elle ne saurait pas vraiment dire ce qu'est cette petite lueur dans ces yeux qui le rend un peu plus distant et absent que d'habitude. Elle a bien essayé de lui tirer les vers du nez pour comprendre ce qu'il s'est passé pendant la tempête, persuadée que c'est là que ce trouve l'origine de son changement, mais elle n'a rien obtenu de lui. Après tout, il avait promis...

Après plusieurs minutes de course qui fatigue à peine les deux jeunes gens, habitués aux exercices quotidiens, les voilà qui débouchent finalement sur une large rue qui se retrouve totalement encombrée. Il y a une foule monstre et Fantôme s'arrête, un peu surpris. Rapidement, il perçoit la musique, les voix qui portent en récitant un texte, les rires des spectateurs... Alors il comprend, lève la tête vers le ciel et redescend lentement pour poser un regard plein de sous-entendus à son amie. Elle veut lui changer les idées en le faisant participer à la première fête organisée depuis la fin de la tempête. Loin de tous ces vices habituels, elle veut qu'il puisse s'amuser et peut-être oublier -au moins pour un temps- ce qui semble le tarauder ainsi. Et elle ne lui laissera pas le choix. D'ailleurs, elle l'attrape déjà par le bras pour les noyer dans la foule.

Tout le monde semblait être à la fête ce jour-là. Presque. Au milieux de la foule d’humeur légère, il y avait une silhouette qui avait l’air de tout sauf d’en profiter. Le visage masqué par une lourde capuche, il regardait souvent par-dessus son épaule et n’avait pas la démarche de quelqu’un qui flânait. Le fait qu'il évite soigneusement chaque homme en uniforme le rendait encore plus louche par ailleurs.

Pour ne pas lui faciliter la tâche, quelques mètres en arrière, les soldats du guet semblaient patrouiller avec une rigueur rare. Parfois, ils s’arrêtaient et demandaient des informations aux passants qui baissaient automatiquement le nez et se détournaient.

-Désolé. La silhouette marmonna en bousculant quelques fêtards au passage pour éviter de passer trop près d’une patrouille.

-Hé mais c’est encore toi le s’mi elfe ! Maintenant que t’es plus en sécurité tu crois que ça va s’passer pareil ? Beugla soudain un grand braillard que Viliam identifia directement comme l’un des hommes ivres l’ayant précipitamment fait fuir la taverne de sam l’autre jour. Mais il n’eut pas le temps de répliquer que l’homme brailla à nouveau. Hé les gardes ! gardes !  Au voleur ! A l’assassin ! là !

L’homme voulu lui attraper le bras, mais à la place il finit par un violent coup de poing dans sa face molle et rougeâtre. Et évidement cela attira l’attention. Alors le bandit ne chercha pas plus loin et se mit à se frayer un passage un peu moins poliment dans la foule, jurant de mille façons. S’il crut un instant croiser une silhouette familière dans le lot, il la dépassa sans attendre. Plus le temps pour ça à présent.

Djenaba avait visé juste. La fête lui change les idées. Un numéro d'acrobates par-ci, une petite scénette par-là, un chien équilibriste là-bas... Il y en a pour tous les goûts et il en va de tous les talents. Il y a même des mages qui utilisent leurs dons pour faire voler des objets, les faire disparaître, les recréer... Il ne sait pas bien comment la magie fonctionne malgré ce que ses compagnons mages lui ont expliqué, ce qui lui permet d'en profiter d'autant plus. Dans son regard, la jeune métisse voit qu'il apprécie le spectacle à cette petite lueur dans ses yeux et que cela le distrait à ce petit coin de lèvre étiré. Il n'est pas encore totalement dedans mais ça va venir, elle le sait.

Tandis que le duo se détourne d'un spectacle pour se diriger vers un autre, un brin d'agitation attire leurs regards. Djena s'en détourne assez vite et Fantôme va en faire de même lorsque ses yeux s'accrochent sur une silhouette qui retient son attention. Ce n'est que lorsque le fuyard passe près de lui qu'il voit son visage et le reconnaît instantanément, son souffle se coupant l'espace d'un instant. Il le laisse passer sans chercher à le retenir ni prononcer son nom. Au lieu de cela, il se tourne vers l'autre côté, cherchant à comprendre ce qu'il fuit. La réponse est assez facile à trouver... Il hésite un instant, ses yeux alternant entre Viliam, les gardes et sa sœur d'arme. Mais quand cette dernière se retournera pour s'assurer que son ami la suit toujours, elle ne le trouvera pas...

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Soudain, une main agrippe la veste du bandit et le tire presque violemment dans une ruelle adjacente. Viliam se retrouve alors presque tout contre un Fantôme qui hausse brièvement les sourcils dans un "Salut" à la fois amical et enjoué. Puis, le lâchant enfin, il lui fait signe de le suivre pour s'enfoncer un peu plus loin, bifurquant rapidement dans une autre rue afin de les dissimuler de la fête et continuant à progresser toujours plus loin. Ils débouchent assez vite dans une rue un peu plus large et passante. Le mercenaire barre le chemin à son ami pour l'arrêter avant de traverser d'un pas normal, guettant que le bandit le suive toujours. Il entre alors dans la boutique d'en face et les deux hommes se retrouvent alors dans une pièce mal éclairée, un peu brumeuse, où flotte une odeur qui n'est pas mauvaise mais qui est... indescriptible. Les nombreuses étagères disposées un peu partout son couvertes d'objets étranges, toutes issues de différents animaux. Bocaux, flacons, sachets, plantes séchées... Il y a de tout.
Derrière le comptoir sur leur gauche, une voix roque et pourvue d'un sévère accent étranger les alpague.

-J'peux vous aider ? Fait un homme au visage balafré de multiples cicatrices disgracieuses sur un ton peu sympathique.

Fantôme se tourne brusquement vers lui, ne l'ayant pas vu tout de suite. Il n'a pas l'air surpris par l'accueil pas plus que par les balafres du péninsulaire.

-Ah ! Salut Jonas. D'un coup d’œil dehors, il remarque que les gardes arrivent dans la rue eux aussi et il revient rapidement vers l'alchimiste, visiblement pressé. La sortie ?

Jonas se détourne de ce qu'il faisait pour dévisager le jeune homme d'un air peu accommodant, tout en prenant appui sur son comptoir.

-S'il te plaît. Insiste le mercenaire.

Finalement, le cinquantenaire répond d'un signe du menton pour indiquer la direction. La Chimère prend tout juste le temps de lui lancer un "merci" qu'il s'élance de nouveau, invitant Viliam à le suivre d'une tape sur l'épaule. A l'arrière de la boutique, Fantôme passe un rideau qui ouvre sur une sorte de cellier où les étagères en désordre ressemblent étrangement à celles de la boutique mais en plus bordélique encore... Il bifurque sur la gauche pour trouver une petite porte. Là, ils arrivent dans un petit couloir qui dessert de chaque côté une alcôve à demi obturée par des rideaux qui masquent à peine le lit que chacune contient avec du matériel médical. Et là, droit devant eux, une nouvelle porte. Fantôme la pousse et l'air frais frôle leur visage. Les voilà de nouveau dehors et, alors qu'il allait s'élancer dans une nouvelle course, le mercenaire s'arrête net.

-Ouaw ! Putain, tu m'as fait peur !

En plein milieu de la rue, Djenaba se tient là, les bras croisés, l'air mécontente.

-Tu peux me dire c'que tu fous ? Et c'est qui lui ? Dit-elle en désignant du menton l'homme qui suit son ami de si près.
-Hum... Une autre fois la crise de jalousie, s'te plaît ? C'est pas vraiment le moment, là.

Le bandit avait hésité un instant avant de relever sa capuche en écoutant l'échange entre son sauveur imprévu et l'inconnue mécontente. Il avait l’air inquiet et mal à l’aise, bien plus que durant les trois jours de tempête. Même là, à priori hors de danger, il semblait rester à l’affut de la moindre armure aux couleur de Thaar.

-Viliam. Fit-il simplement avec un dernier regard vers l’arrière.Et je sais pas trop ce qui est passé par la tête de ton ami non plus. Mais faut que je m’en aille avant de lui attirer des problèmes.

Il était reconnaissant envers Fantôme, que celui-ci ne s’y trompe pas. Mais il ignorait l'identité tous des gens qui l’entouraient, autant qu’il ignorait où était le guet à présent. S’ils les avaient vus traverser l’étrange baraque…? Viliam ne pouvait prendre de risques. Et puis Fantôme l'avait dit lui même la dernière fois : si on savait qu'il aidait des bandits il risquait gros, même si cette fois-là il n'avait strictement rien fait.

Il leva ses mains en signe de bonne foi et fit mine de reculer pour contourner la jeune femme.

-Mais merci de m’avoir sortit de là.

Alors là, Fantôme ne comprend plus rien. Djena est en colère mais visiblement pas seulement pour lui avoir fait faux bond sans prévenir. Il voit bien qu'il y a autre chose car elle est particulièrement incisive dans son attitude. Et maintenant, Viliam qui sort qu'il ne comprend pas ce qu'il lui a pris... Le monde tourne à l'envers aujourd'hui ou quoi ?!

-Attends ! Je te lâche pas comme ça, je termine toujours ce que j'ai commencé.
-J'ai vu ça, oui. Balance la mercenaire sur le ton du reproche alors qu'il vient de l'abandonner en pleine sortie.

Le mercenaire dévisage sa comparse qu'il ne reconnaît plus tout à coup.

-Je sais pas ce qui te prend mais j'ai pas vraiment le temps pour ça. Dit-il en emboitant le pas au bandit. Si tu peux juste éviter qu'ils nous suivent... Ou pas d'ailleurs, fais comme tu veux.

D'un signe de tête, il invite Viliam à se remettre en course dans une ruelle adjacente sans plus se préoccuper de son amie qui l'appelle par un "Tom" qui ne l'arrêtera pas. Il sait que Djenaba ne le vendra pas mais là il est trop agacé par son attitude et pressé pour prendre le temps de décortiquer la situation. Et il n'est certainement plus d'humeur à retourner à la fête avec elle. Alors autant qu'il poursuive... Ca aura au moins le mérite de lui changer les idées.
Dans la rue suivante, un mur de plus de deux mètres leur barre le passage mais cela ne semble pas le décourager.

-Tu sauras gérer ou j'te fais la courte ? Demande-t-il comme si ce n'était pas un problème pour lui.

Et tel sera le cas d'ailleurs. Une fois Viliam de l'autre côté, Fantôme prend de l'élan, saute pour se servir d'un des murs latéraux comme appui, fait de même sur le mur opposé et le voilà assez haut pour saisir le haut du muret et se hisser par dessus. Il atterrit ainsi sur le sol sablonneux et se redresse pour repartir aussitôt. Contrarié par ce qu'il vient de se passer, il n'est plus tellement d'humeur à sourire.

-Tu t'en sors comment en escalade urbain ? Demande-t-il tout en se dirigeant vers la façade d'une maison qui présente plusieurs appuis possibles à ses yeux. La fenêtre, une poutre qui dépasse du mur, une corniche de malfaçon... Autant de points qui lui permettront de passer sur le toit sans trop de mal.

-ça ira pour ton amie ? Elle avait l’air en rogne.

Inquiet pour son camarade et les risques qu’il prenait sans visiblement trop y avoir réfléchit, Viliam se permit de légèrement insister sur le sujet d’une manière qu’il espérait moins vexante pour le mercenaire.

Quoi qu’il en soit, il ne s'arrêta pas et fit quand même mine de suivre  la chimère dans son parcours d’escalade improvisé. Il n’était pas aussi doué que Clarisse, et Fantôme le précédait largement, mais il tint le rythme de façades en appuis divers. Ce n'était pas la première fois qu'il prenait la fuite après tout. Viliam avait l'habitude de ce genre d'acrobaties urbaines qui avaient bien dû lui sauver la vie plus d'une fois.

Ce petit jeu dura un moment, jusqu’à ce qu’enfin, ils mettent tout deux pieds à terre sur un toit de tuiles rougeâtres.

-Fantôme, attend...

Là, au lieu de directement continuer, le bandit attrapa doucement le bras de son ami, le forçant à se retourner un instant  vers lui et d’interrompre leur course. Ils étaient assez éloignés désormais. Ils pouvaient ralentir un peu et prendre un minimum de recul sur ce qui se passait.

-J'étais sincère tout à l'heure. Je te remercie pour ton aide, tu m'as sortit d'un sacré pétrin mais tu t'es toi même mis en danger tu sais. Si tu faisait demi tour maintenant tu t'éviterais peut être des questions gênantes... Il étira pourtant un bref sourire un peu désolé. Quoi qu'il en soit, je suis content de te revoir.

-Ouais, t'inquiète, on en a vu d'autres. Je sais même pas ce qui lui a pris.

Voulant couper court à la discussion, Fantôme s'élance contre la façade pour grimper sur le toit de la petite maison en seulement un bond et par la force des bras. Il s'agenouille ensuite sur le bord pour observer Viliam et l'aider à le rejoindre en cas de besoin. S'ensuit alors une série d'acrobaties qui les éloignera toujours plus de la petite fête dans laquelle ils se sont croisés et retrouvés. Et pendant tout ce temps, le mercenaire ne décrochera pas un sourire et pas un mot, visiblement contrarié et préoccupé. Et cela n'a rien à voir avec le fait qu'il aide un fugitif.
Finalement, après de longues minutes et alors qu'ils sont probablement hors de danger, le bandit lui demande d'attendre et l'éclaireur s'arrête mais ne se retourne pas. Sa requête n'a rien à voir avec le besoin de faire une pause ou de changer de direction, il l'a compris dans sa voix. Cependant, c'est sans compter sur Viliam qui réclame de lui faire face en prenant son bras. Ce qu'il fait, bon gré mal gré.

-T'es sûr ? Lâche-t-il quand son ami a fini de parler. Parce que c'est pas l'impression que tu m'as donné tout à l'heure. J'ai pas compris la réaction de Djenaba et j'ai encore moins compris la tienne qui a limite critiqué ma décision de t'aider, et devant elle qui m'incendiait déjà.

Qu'il ne devine pas exactement pourquoi il a agi de cette façon, il peut l'entendre sans problème, d'autant que lui-même n'est pas certain de savoir ce qui l'a animé sur le moment. Mais c'est la façon qu'il a eu de le dire et la situation dans laquelle il l'a fait qui l'on blessé. Une de ses amies le fustige déjà, il n'avait pas vraiment besoin que le deuxième l'enfonce un peu plus.

-Contrairement à ce que tout le monde pense, il m'arrive de savoir ce que je fais. J'ai pris un risque mais je suis pas totalement idiot. Les gardes m'ont pas vu et j'ai supposé que tu étais suffisamment habitué à la fuite pour être capable de me suivre et qu'ils me voient jamais parce que c'est mon boulot de passer inaperçu. J'ai voulu t'aider, j'm'attendais pas à cette réaction de ta part !

A son tour, Viliam sembla heurté par les paroles de la Chimère.

-Attend tu me reproche quoi là ? Parce que si t’es énervé parce que j’ai pas voulu faire de vague devant ta petite amie je te suis plus. Il croisa les bras contre son torse, visiblement blessé par un ressentiment qu’il ne comprenait définitivement pas. C’est toi l’autre jour qui disait que si on te savait sympathiser avec des bandits tu perdrais tout, non ? Et là c’est toi qui m'agrippe sans prévenir et qui me balance devant des gens qui je connais absolument pas. Tu voulais que je fasse quoi ? Que je leur saute dans les bras et que je cri sur tous les toits que t’es proche de moi ? Je leur dit aussi que ta propre famille aurait tout intérêt à ce qu'on disparaisse mais que toi tu t'en ait foutu pendant trois jours ? Parce que je te l’ai dit, moi j’assume tout en ce qui me concerne. Il le pointa du doigt. Toi en revanche t’as pas l’air spécialement dans le même état d’esprit.

Il recula d’un pas, puis deux, déçu. Ils n’auraient probablement pas dû se recroiser. Ça aurait été mieux pour eux deux.

-Retourne la voir Fantôme. Visiblement elle s'inquiète pour toi Ajouta-t-il sans animosité mais plus avec une pointe de tristesse douce-amère. Je me débrouillerais à partir d’ici. Merci pour la course c’était sympa.

Il sauta sur un toit un peu plus bas, prêt à disparaitre une bonne fois pour toute dans les ruelles tordues.

Fantôme laisse partir Viliam. Enfin… Il a un geste pour le retenir qui ne l’attendra jamais et aucun son ne parvient à sortir de sa bouche tandis qu’il disparaît de son champ de vision. Il se retourne alors dans un cri de rage mais, au lieu de partir, il reste là à tourner comme un animal en cage avant de finalement se laisser tomber au sol, dos à un mur, se prenant la tête entre les mains.
Oui, c’est vrai, il a lâché Djena sans prévenir… Mais est-ce qu’elle avait vraiment besoin d’être aussi virulente et de mal parler à celui qu’il essayait visiblement d’aider ?!
C’est vrai aussi qu’il aurait des problèmes si on savait qu’il a aidé un fugitif. Pourquoi il l’a fait ? C’est la grande question. Et il a beau chercher, il n’a pas la réponse. Pas plus qu’il ne sait pourquoi il ne peut pas s’empêcher de jouer, parier et se saouler à en perdre la mémoire. Il est une grande énigme pour lui-même. Il ne le vit pas toujours bien mais il est ainsi…

Après un long moment, alors que la colère et l’agitation sont retombés, Fantôme se relève aussi aisément que si son corps pesait une tonne. Il s’avance lentement vers le bord du toit, observe les alentours puis descend sur la maison en contre-bas. Par les toits et les ruelles, il traverse une bonne partie du quartier. Il sait pertinemment où il doit aller, même s’il n’y a mis qu’une seule fois les pieds. Car il ne retourne pas au quartier général des Chimères.

Le mercenaire pousse la porte de l’auberge. L’intérieur est bien différent de lors de sa dernière et unique visite. C’est la fin de la journée et les travailleurs sont venus se réconforter de leur dur labeur dans la taverne. Fantôme ne reconnaît pas le gars au comptoir mais peu importe. Il s’avance, non sans inspecter la salle autour de lui, au cas où… Cependant, arrivé au bar, n’ayant toujours pas trouvé celui qu’il cherchait, il interroge le tenancier qui hésite avant de lui répondre. Viliam n’est pas encore rentré. Enfin, apparemment… Le mercenaire le remercie d’un signe de tête puis ressort. Dans la rue, il cherche la fenêtre de la chambre du chef de l’Aile Blanche. Ne distinguant ni lumière ni mouvement, il finit par simplement se poser, dos contre un mur, croisant les bras pour attendre qu’il rentre et s’expliquer avec lui. Pourquoi est-ce qu’il en prend la peine ? Il n’en sait rien. Mais il y tient…

Le jour décline, le froid descend dans les rues, mais Fantôme ne bouge pas de là. Il se recroqueville un peu plus sur lui-même, ses épaules se haussant légèrement, comme si cela pouvait avoir la moindre utilité mais tout le monde a ce réflexe… Guettant les allées et venues dans la rue qui s’est largement vidée, ses yeux finissent par s’accrocher sur une silhouette familière. Il le regarde marcher un moment avant de soupirer et d’aller dans sa direction. Arrivé près de lui, il l’aborde d’une voix plus lasse que d’habitude.

-Je sais, je devrais pas être là mais on se peut parler, s’il te plaît ?

L’espace de longues seconde, il y eut un silence lourd. La silhouette encapuchonnée s’était stoppée mais n’avait pas plus réagit que ça, ne se tourna même pas vers l’homme qui l’interpelait, comme s’il réfléchissait, pesait le pour et le contre. Puis...

-Viens.

Sans rien ajouter de plus, Viliam continua son chemin, contournant l’épais bâtiment. A l’instar de Fantôme quelque heures plus tôt, il n’ajouta pas un mot durant tout leur chemin, se contentant de vérifier régulièrement que personne d’autre que la Chimère ne le suivait. C’était à peine s’il avait fait mine de le reconnaitre à vrai dire tant il semblait distant.

Le duo croisa d’ailleurs un soldat esseulé sur leur route mais par chance il était particulièrement enivré et ne chercha pas spécialement à distinguer le visage dissimulé par l’épaisse capuche qui se détourna de lui. Là encore, Viliam ne donna aucune explication et se contenta de baisser le nez vers le sol. Finalement ils atteignirent une petite arrière cours délimitée par une palissade qu’ils sautèrent sans aucun mal. Là, un contrefort et un balcon plus tard, ils étaient à l’intérieur du bâtiment.

Alors Viliam se permit enfin de montrer son visage en poussant la porte de ce qui sembla être sa chambre. Il eut une brève seconde d'hésitation retenant sa main au dessus de la clé ,avant de la tourner et verrouiller après Fantôme.

Une douce odeur d’encens flottait dans l’air de la modeste pièce. Quant au mobilier, il n’y avait pas grand-chose si ce n’était un lit sommaire, un petit coffre et une table le long du mur, sur laquelle se trouvaient quelques parchemins réunis entre une feuille de cuir et les quelques herbes probablement responsable de l’atmosphère actuelle, en plus d’une ou deux chaises, çà et là. Seul élément vraiment marquant, dans un coin était posée à même le sol une petite statuette féminine ailée, pas bien haute. Les mains entrecroisées sur sa poitrine elle tenait un joyau de pierre aussi blanche que le reste de la matière dont dont elle était constituée. Son visage, mieux sculpté que le reste affichait un doux sourire. Fantôme ne s’en doutait certainement pas mais malgré tout, pour bien des raisons l’amener ici était déjà une sacrée preuve de confiance que Viliam n’accordait pas à la légère.

-Je t’écoute.

Le ton du bandit s’était un tout petit peu réchauffé à présent, mais il n’avait tout de même pas l’air spécialement heureux. Tout au plus semblait-il intrigué par ce que son interlocuteur avait à lui dire. Dans un même temps, il alluma quelques bougies, referma les deux pans de bois de la fenêtre et tira rideau dessus. Quand enfin il fit de nouveau face au mercenaire, ce dernier pouvait voir que le bandit avait toujours l’air un peu blessé par leur précédente engeulade. Bras croisés, il attendait de voir ce que Fantôme allait lui sortir maintenant.

Fantôme lui emboîte le pas sans broncher et sans chercher à savoir où il l'emmène. Si sa veste en cuir lui suffit en journée, une fois les rayons du soleil disparus, il lui manquerait un haut en laine en dessous pour être bien. Alors, du moment qu'ils finissent par entrer quelque part, il se moque un peu de la destination. Et pas un instant il ne s'inquiète de sa destination du fait de la personne qui le guide.
Devoir se déplier pour refaire un peu d'exercice provoque un soupir chez le mercenaire qui s'y contraint malgré tout. Il est mal placé pour faire son difficile. Et puis, cela le réchauffe un peu, mine de rien. Sur le balcon, il se dit que, s'il avait su, il aurait entendu là. Il aurait pu profiter du jour un peu plus longtemps au moins. Puis il entre à la suite du bandit et découvre une pièce qu'il n'avait encore jamais vu. Pourtant, en trois jours, il avait eu matière à découvrir plus d'un recoin de la bâtisse. Mais la chambre de Viliam lui était encore inconnue. Alors il laisse son regard vagabonder, se retournant à peine lorsqu'il entend le son du verrou. Ses yeux s'arrêtent sur la petite statue divine tandis que son hôte les installe un peu. Puis il reporte enfin son attention sur ce dernier. Par où commencer ? Les idées se bousculent un peu dans sa tête et il cherche ses mots.

-Je te remercie de te soucier de moi. Se lance-t-il finalement, estimant que c'est la moindre des choses que de reconnaître la bienveillance dont son ami a voulu faire preuve et qu'il a pourtant mal prise. C'est juste... Je vais sans doute casser l'image que tu avais de moi jusque-là mais je mérite pas les éloges que tu as faite en me présentant à Egar. Je suis une Chimère et j'ai une certaine éthique mais je passe mon temps à faire des erreurs et je suis bourré de défauts. Je joue pour de l'argent, je parie -très mal-, je relève tous les défis qu'on me lance même s'ils sont perdus d'avance, je bois jusqu'à plus me rappeler qui je suis... Et tout le monde me juge et me fait des reproches, sans arrêt. On me fait confiance pour faire mon travail mais ça s'arrête là.

Fantôme marque une pause. Il réalise qu'il n'a jamais dit tout ça à haute voix. Il en a conscience. Il l'évoque parfois, très brièvement, par des allusions, mais ça s'arrête là. Il ne l'a jamais formulé aussi clairement à quelqu'un. Pas même à Djena.

-Tout à l'heure, j'ai juste voulu t'aider... Et je me suis retrouvé entre ma meilleure amie qui m'incendie et qui t'agresse presque, et toi qui me fais comprendre que j'ai encore commis une erreur... J'ai l'habitude de me retrouver seul contre tous mais... Pas de deux personnes que j'apprécie autant... Pas en même temps... Et dans deux camps opposés. Avec le recul, j'aurais pas dû réagir comme je l'ai fait mais j'ai pas su faire autrement.

Viliam se mit à soupirer et se laissa tomber sur une chaise, le regard rivé au plafond, ses mains derrière son crâne.

-Je suis un hors la lois et ce jusqu’à la fin de mes jours. Je suis probablement bien trop buté par mes convictions et j’ai un comportement à tendance autodestructrice si ce n’est carrément suicidaire sur les bords. Ren est un foutu beau parleur, incapable de se poser dans une relation stable plus de cinq minutes et qui mise tout sur sa belle gueule. Clarisse est une voleuse compulsive qui a bien faillit y perdre ses mains une bonne centaine de fois et qui recommencera une centaine de fois de plus parce qu’elle est incapable de vivre autrement. Egar est sur une pente bien trop similaire à la mienne pour son propre bien et aucun de nous n’est foutu de s’occuper correctement de ce gamin. énumère-t-il. On a tous nos démons, Fantôme. On a tous fait des conneries dont ont est pas fiers. Personne t’en voudra pour ça. Et même avec tout les défauts du monde, t’as fait des trucs qui me font dire que je me suis pas plus trompé qu’Egar à ton sujet.

Machinalement, Viliam fixa son poignet droit dont la manche cachait des cicatrices qu’il ne connaissait que trop bien, comme s’il pouvait les voir au travers du tissu. Il aurait été bien mal placé pour reprocher quoi que ce soit à la Chimère quant aux défauts qu’il se trouvait. Viliam était loin de se considérer comme parfait, vraiment très loin. Au moins Fantôme avait-il le courage de verbaliser une partie de ses soucis...

-Je suis désolé pour ce qui s’est passé tout à l’heure. Il finit par laisser sa main retomber. J’aurais réagi de la même manière si les rôles avaient étés inversés. Mais la vérité c’est que j’avais la trouille. Il soupira encore. La garde me lâche pas en ce moment. D’ailleurs ça m’étonnerais pas qu’ils soient en train d’emmerder les employés en bas. Je voulais pas qu’il s’en prennent à toi en pensant m’atteindre et plus je restais plus y avait de risques. Alors j'ai préféré calmer le jeu et chercher à filer. Il eut un bref rire un peu amère en fixant le mercenaire. Tu peux ajouter "s’entête à se démerder tout seul même quand c’est débile et dangereux’’ dans ma propre liste de défaut si ça te console sur ton sort.

Là, Fantôme est... silencieux. Il regarde Viliam tandis qu'il lui décrit les membres du groupe qu'il a déjà rencontré et il découvre bon nombre de choses sur eux qui le surprennent. En fait, même si leurs problématiques personnelles sont variées, il réalise qu'il n'est pas si différents d'eux. Ses frères d'arme ont leurs propres problèmes à gérer mais ils font en sorte que ça n'empiète pas sur la vie des autres. L'éclaireur, lui, disparaît souvent et il faut aller le chercher dans son trou pour une mission, ou bien il a claqué sa solde avant de faire réparer son matériel donc il faut lui prêter et retenir le montant sur sa paie suivante. Il a même mis leur protégé en danger en le négligeant, trop pris par ses vices pour prendre garde à lui. Alors oui, on lui fait des reproches, on le juge mal et on critique sa façon de vivre.

-Je constate qu'on est tous bons à enfermer...

Soulagé par la tournure de la conversation, le mercenaire se laisse à nouveau tomber au pied d'un mur pour s'y adosser dans un soupir, émotionnellement épuisé pour cette journée. Les jambes repliées, il pose ses bras sur ses genoux pour laisser ses mains pendre dans le vide devant lui. Ainsi installé, il capte néanmoins le regard de son ami sur son poignet. Maintenant qu'il lui a parlé de sa tendance au suicide, il interprète forcément son comportement, supposant ce qui doit se trouver là, et il se demande ce qui a bien pu le pousser à avoir ce genre de pensées et... ce qui a motivé son geste.

Fantôme rit doucement aux dernières paroles de Viliam.

-Pas vraiment mais c'est gentil. Fait-il sur un ton plus léger. C'est vrai que j'ai aussi oublié de mentionner mes déboires avec les femmes mais j'ai tout simplement fini par y renoncer donc je suppose que ça ne compte plus.

Il esquisse un sourire à la fois triste et amusé. Il n'a pas fait ce choix de gaieté de cœur mais il n'était pas le seul à en souffrir alors pourquoi s'entêter ? Il en ressortait chaque fois un peu plus abîmé et convaincu de tout rater dans sa vie. Il se faisait déjà bien assez de mal comme ça, il n'avait pas besoin d'en rajouter encore. Et il avait nettement moins de mal à changer d'attitude envers la gente féminine qu'envers les cartes ou l'alcool. Un bon verre lui vidait nettement mieux la tête que n'importe quoi d'autre.

-C'est souvent que j'ai l'impression... De pas pouvoir m'empêcher de faire les choses. D'habitude, c'est le jeu ou la boisson. Pour une fois, c'était pour faire quelque chose de bien. Enfin, de mon point de vue. Je suppose... que ça m'a blessé que même toi tu penses le contraire.

Soudain, Fantôme réalise à quel point la façon dont Viliam le perçoit est importante pour lui, presque plus que Djena avec qui il partage tellement, depuis des années. Cela doit expliquer la jalousie farouche dont elle a fait preuve... Il fronce alors les sourcils avant de continuer sur un ton amusé et humoristique.

-T'es sûr qu'on se connaît que depuis quelques ennéades ?!!

-Je vais pas t’être d’un très bon conseil pour tes déboires amoureux. Plaisanta-t-il gentiment. Les femmes c’est pas tellement mon truc.

Mais la remarque suivante de Fantôme le fit plutôt se renfrogner. Il se releva pour venir se planter devant lui.

-Je n’ai jamais dit que ce que tu avais fait c’était mal Fantôme. Malgré le soulagement donné par leurs explications, le ton et le visage du bandit affichaient un profond sérieux sur ce point. Et je ne le pense pas. Sans toi j’y serais probablement encore à essayer de semer ces abrutis dans la foule.

Quoi qu’il en soit, il vint imiter son camarade et s’appuya contre le mur à ses côtés jusqu’à se laisser glisser et s’asseoir à même le sol.

-Tu réalise probablement pas, fit-il avec un air soudain plus apaisé, mais tu en sait probablement plus sur moi que certains de mes hommes…

Rien que cette pièce, peu l’avaient sans doute déjà vue sous cet angle, et encore moins avaient eu l’occasion d’y passer du temps ainsi. Pourtant le chef de l’Aile blanche était proche de ses compagnons d’armes et aucun d’entre eux ne pouvait se sentir mis de côté dans la famille étrange qu’ils formaient. Seulement, il y avait un stade de sa confiance bien plus difficile à gagner que le reste. Viliam était un homme plutôt secret au fond. Même pour des personnes aussi proches de lui que pouvait l’être Ren ou Clarisse, il y avait pas mal de choses qu’il ne montrait pas et qu’il ne disait pas et qu’ils se contentaient de deviner avec le temps.

-Je suppose que la tempête à pas mal aidé.

Fantôme rit aux propos de Viliam sur les femmes. Un rire expressif dans lequel il évacue ses tourments pour retrouver l'air qu'on lui connaît habituellement. Celui du type qui jongle entre sérieux et humour en permanence.

-Ça servirait à rien de toute façon. Manifestement, le problème vient de moi. Fait-il sur un ton amusé alors qu'il est tout à fait sérieux dans ses paroles.

En même temps, il a tout essayé... Et d'autres, bien plus experts que le bandit, ont déjà tenté de l'aider mais il n'y a rien à faire. Il fait des efforts mais il se rend compte que rien ne lui vient naturellement. Alors, il arrive toujours un moment où il agit de nouveau normalement et, là, il ne fait plus illusion et la fille s'en va. Impossible pour lui de comprendre ce qu'il fait de mal. Quelque chose cloche chez lui, voilà tout.

Fantôme lève les yeux pour trouver ceux de Viliam qui le surplombe désormais. Il n'affiche aucune méfiance alors qu'il est en position d'infériorité. S'il avait quelque chose à craindre de lui, cela se serait produit depuis longtemps. Il a confiance, au moins autant que son interlocuteur qui l'a amené dans la pièce la plus privée du bâtiment pour les y enfermer à clef, lui dévoilant au passage un peu de son intimité. Il l'écoute prononcer des paroles qui apaise sa blessure au Souffle et reste songeur tandis que son ami vient se poser près de lui. Il prend cela pour une forme de remerciements, sans avoir besoin de l'entendre prononcer ces mots. Le sujet semble clos désormais tandis que les deux hommes évoquent ensemble leur amitié qui a cela d'étrange qu'elle s'est forgée en un laps de temps très court pour les lier de manière solide, peut-être même impérissable.

-Ah, passer trois jours enfermés, les uns sur les autres, avec les fenêtres qui nous éclatent à la figure et les réserves qui diminuent, soit ça éloigne, soit ça rapproche. J'aime autant que ça nous ait rapproché. C'est pas souvent que je me sens aussi bien avec quelqu'un. Je t'avoue que ça m'aurait fait chier que ça vire au drame.

Il évoque son attachement sur un ton léger mais cela ne retire rien à la sincérité de ses paroles. Il lui ai difficile de se rapprocher des autres, ou bien cela prend du temps. Il n'a pas démontré la même aisance avec Clarisse et encore moins avec Ren. Il s'est montré gentil avec Egar et a fait des efforts pour le distraire pendant des heures mais il n'est pas certain qu'il en aurait fait de même dans un autre contexte. Le seul avec lequel il ait vraiment cherché à passer du temps au cours de cette tempête et dont il ait apprécié la compagnie à cent pour cent, c'est bien Viliam.

Fantôme tend une main vers le bandit, lui demandant manifestement la sienne. Peu importe la façon dont il la lui donnera, il en observera aussitôt la paume pour voir où en est la cicatrisation de la blessure qu'il a soigné trois jours durant, n'hésitant pas à rapprocher son visage et à passer les doigts de sa main libre dessus pour en faire une meilleure appréciation.

-Tu as continué à mettre du miel, comme je t'avais dit ?

Il n'était pas parti sans lui donner quelques conseils pour favoriser la guérison de la blessure et éviter une infection. Se laver les mains avec du savon avant de mettre un bandage propre chaque jour ou lorsqu'il est sale. Appliquer du miel avant de mettre la bande. Ne retirer les points qu'après une ennéade. Il peut voir s'il a respecté tout cela à l'état de la cicatrisation, deux ennéades plus tard.

-Disons que j’ai fait comme j’ai pu...

A la grimace ennuyée qu’il afficha, comme un enfant pris sur le fait, Fantôme pouvait comprendre que ses consignes avaient été certes respectées, mais avec…certaines largesses. Les bandages n’avaient pas toujours étés replacés en temps et en heure et les mixtures désinfectantes diverses n’avaient pas toujours été à sa portée. D’ailleurs la cicatrice était propre et bien refermée mais toujours visible. Mais il n'avait souffert d'aucun contrecoup fâcheux, alors ça allait non ?

-ça m’empêche pas de tenir ma rapière alors c’est pas trop grave. ça ne me gène plus.

Viliam s’en fichait pas mal à la fin. Ce n’était pas la première, ni la dernière fois que des blessures comme celle-ci adviendraient. Il y avait plus grave qu’une estafilade sur la main. D’ailleurs son regard était rivé non pas sur sa main mais sur le mercenaire qui l’examinait avec attention. Une foule de pensée et d’interrogation sembla soudain traverser son esprit avant qu’il ne s’en détourne brusquement en reposant son regard sur les chaises éparpillées dans la salle.

-Puisque tu parles de miel, si tu veux rester un peu ici, je vais descendre et te ramener de quoi te remplir le ventre pour la soirée.Sembla-t-il changer de sujet. Ça ne me fera pas de mal non plus, je meurs de faim.

Doucement il fit mine de vouloir récupérer sa main et afficha un sourire joueur en rabattant sa capuche.

-Jouer les clandestins dans ma propre taverne, j’ai pas l’habitude. Ça change.

Fantôme constate en effet que la cicatrisation n'a pas été aussi rapide qu'elle aurait dû. Mais c'est refermé et propre, c'est l'essentiel sans doute. Il laisse Viliam récupérer sa main lorsqu'il la réclame car, après tout, il n'avait pas besoin de l'examiner aussi longuement pour savoir ce qu'il en était. Puis il étire un sourire amusé à sa réflexion jusqu'à même rire un peu. C'est vrai qu'il s'imagine mal se dissimuler pour ne pas être vu dans le quartier général des Chimères. Ce serait étrange...

-Ne t'embêtes pas pour moi. De toute façon, il faut que j'aille parler à Djena maintenant... Et je vais probablement finir cloué à un mur ! Fait-il avec amusement alors que la vérité n'est sans doute pas si éloignée. Mais si tu veux que je m'occupe de te remonter quelque chose avant... Je passerai sans doute plus inaperçu que toi avec ton allure de voleur ! Conclut-il en désignant sa capuche.

Puis il se lève avec une certaine lassitude avant de venir se placer devant son ami, lui tendant la main pour l'aider à le rejoindre. Ceci fait, et alors qu'il tient toujours la main de Viliam, il pose la seconde sur son bras en étirant un sourire, l'espace d'un instant. Il le lâche enfin avant de passer à son tour à autre chose.

-Et, pour Egar, si je peux aider... Les Chimères peuvent s'en occuper, comme ils se sont occupés de moi. Ou on peut lui trouver quelqu'un de confiance qui prendra soin de lui. C'est qu'une proposition, je veux pas empiéter...

Fantôme se montre simplement de bonne volonté, sans porter le moindre jugement. Il a simplement entendu la crainte de son ami sur le fait que le petit garçon reprenne ses propres démons. Lui s'en sort mais il suppose qu'il ne souhaite à personne ne vivre la même chose. Il ne peut imaginer ce que c'est que de penser à se donner la mort, jusqu'à passer à l'acte, s'en sortir et devoir se relever ensuite... De ce qu'il en sait, ce genre de personnes peut facilement recommencer. Est-ce que c'est comme lui qui est tiraillé par l'envie de jouer dès qu'il s'ennuie ou qu'il voit une paire de dés ? Peut-être pas mais, dans les moments de doutes ou de galère, ce doit être difficile à vivre...

-Mieux vaut qu’on te vois pas trop trainer par ici en ce moment. Viliam secoua la tête. Je m’en sortirais toujours même si on me remarque t’en fais pas. Je suis encore chez moi quand même.

C’était bien le seul lieu où il se considérait en sécurité, peu importe ce qui advenait. De toute façon, le bandit savait que tôt ou tard, il faudrait trouver un lieu plus sûr. Le guet commençait un peu trop à fouiner par ici. Mais pour l’instant, il n’y avait jamais eut d’incident majeur et dans le pire des cas, il savait où et comment fuir pour éviter à d’éventuels intrus de lui mettre la main dessus. Fantôme n’avait pas à prendre des risques pour si peu.

-Et pour Egar, je te remercie mais je pense pas que ça soit une bonne idée de lui changer son environnement. C’est un petit garçon qui met du temps à faire confiance, il ne comprendrait pas d’être séparé de nous aussi brutalement. Soit tu auras un enfant terrifié sur les bras, soit d’ici deux jours il sera revenu ici coûte que coûte. Autant éviter ça à tout le monde.

Dans un même temps le bandit déverrouilla la porte, puisque le mercenaire voulait s’en aller. Quelque part Viliam était un peu déçu qu’il n’ait pas saisit la main qu’il lui tendait, mais il comprenait.

-Tu retrouvera le chemin j’imagine ? C’était plus une question rhétorique qu’autre chose, histoire d’alléger à nouveau l’atmosphère.

-Je comprends. Répond paisiblement Fantôme à l'objection de Viliam concernant Egar. L'offre reste sur la table si jamais y'a urgence ou nécessité un jour.

Au moins, il sait à présent qu'il peut offrir une alternative si le besoin s'en faisait un jour ressentir. Alors il saura bien le retrouver s'il changeait d'avis. Le mercenaire ne cherche pas à insister, il veut juste garder la porte entrouverte, que son ami sache qu'il ne l'a pas totalement fermée parce qu'ils savent mieux que quiconque que tout peut basculer demain.

La Chimère rit doucement au fait qu'il saura retrouver son chemin et se dirige vers la fenêtre par laquelle ils sont passés plus tôt. Il l'ouvre et commence à avancer sur le balcon puis se ravise et repasse la tête à l'intérieur.

-Si je devais te croiser à nouveau et que tu aies des ennuis... Je pourrais sans doute pas m'empêcher de t'aider encore. Si ça arrive, me refoule pas, s'il te plaît.

Il est particulièrement sérieux et il pense qu'il en a suffisamment dit pour que le bandit parvienne à comprendre son expression. Qu'il s'agisse de ses défauts ou de la blessure qu'il a ressenti plus tôt... Il n'a pas la moindre envie de vivre cela encore une fois. Mais, il n'y a pas que cela...

-Et même si t'en as pas et que j'ai juste envie de te voir, d'ailleurs. J'ai souvent du mal à suivre les conseils... Je sais que c'est contre-indiqué mais... Je crois pas pouvoir m'en empêcher.

Il étire un sourire amusé alors qu'il évoque cela comme une de ses addictions, au même titre que les cartes ou les défis. Et il n'a même pas l'air de trouver cela étrange.

-C’est promis.Viliam répondit doucement après un bref rire qu’il laissa échapper discrètement.Par contre je prend ça comme une promesse qu'on se recroise attention.

Avant que le mercenaire ne s’échappe tout à fait, Viliam décida de lui adresser quelques derniers mots. Sans se cacher derrière un quelconque comportement blagueur pour une fois, il se contenta de garder son simple sourire. Il ne fit pas mine de le retenir, profitant simplement de derniers instants avant que la Chimère ne saute le balcon et disparaisse dans la nuit.

-Je suis content que tu sois venu Fantôme. Un silence. Je t’en prie, revient si tu veux, mais fait attention à toi.