Pour ce que ça vaut... Pardon | Viliam & Fantôme

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Hiver, Karfias 20:XI
Huitième jour de la deuxième ennéade

S'il avait pu choisir, il aurait attendu encore un jour ou deux... Juste histoire d'accuser un peu plus le coup. Mais Djenaba a insisté pour qu'il se déplace le plus tôt possible et elle n'a pas totalement tort : une ennéade et demie ne lui a pas permis d'encaisser le choc alors en quoi deux jours de plus auraient changé quoi que ce soit ?
Alors il est là, au pied du balcon qui permet d'accéder à la chambre de Viliam. Il n'y a pas de lumière à l'intérieur alors il suppose qu'il n'est pas chez lui. Et il ne peut pas monter voir avec son poignet blessé. Il a tenté les cailloux mais il n'a pas eu de réponse. Alors il s'est assis au pied du mur, les bras posés sur ses genoux pliés devant lui. Il passe son temps comme il le peut, observant son bandage qui dépasse de la manche de sa veste et remonte jusqu'à ses jointures, visant un point qu'il cherche à atteindre avec des graviers, soupirant à l'infini et se passant la main sur le visage avant de s'ébouriffer les cheveux et de poser sa tête contre le mur.
Depuis la veille, il a un peu moins de visions. Et, lorsqu'il en a, elles le perturbent un peu moins. Il a passé cette phase de déni, en grande partie grâce à son amie. Mais c'est encore loin d'être gagné et il aura besoin de laide Viliam. Mais ce qu'il veut surtout, c'est lui avoir son pardon... Et ça non plus ce n'est pas gagné.

Les heures passent. Parfois, il se lève et marche un peu, voire même sautille pour se réchauffer alors que l'air de la nuit hivernale s'abat sur les rues. Il a pourtant de la laine entre sa chemise et sa veste ainsi qu'une épaisse écharpe et de grosses chaussettes, mais ça commence à ne plus suffire. Au pied de son mur, il se blottit contre lui-même jusqu'à ne plus représenter qu'une boule de chaire et de tissu dans la pénombre qui s'installe. Fantôme commence à se demander si Viliam rentrera chez lui aujourd'hui. Il a guetté plusieurs fois à sa fenêtre et relancé des cailloux mais toujours rien... Il devrait peut-être rentrer et tenter une autre fois mais, maintenant qu'il a trouver le courage de venir... Il a peur de ne pas réussir à le refaire. C'est idiot... Cependant, ça l'engage à persévérer toujours un peu plus.

-Tu devrais pas être là.

C’était Egar qui avait remarqué le premier la présence du mercenaire dans l’arrière cours normalement vide de la taverne. Effrayé par les coups répétés venu de la chambre du chef de l’Aile blanche, il avait osé franchir les limites interdites en son absence. Le petit garçon s’était discrètement aventuré dans la pièce, et s’était approché de la fenêtre, et il avait aperçu le mercenaire en contrebas. Il n’avait même pas usé de sa curiosité enfantine pour explorer autour de lui et avait aussitôt fait demi-tour qu’une nouvelle pierre avait claqué aux carreaux.

Bien sûr, effrayé par une potentielle punition, il n’avait rien dit, mais les adultes n’avaient pas étés dupes longtemps face à son air coupable. A son immense surprise, on s’était pourtant contenté de s’assurer qu’il n’avait rien volé dans la pièce, puis il avait eu droit de filer avec la promesse de ne pas recommencer et s’en avait été tout. Pour lui en tout cas.

Pour Ren, ça avait été source d’inquiétudes et de dilemmes tout autres. Viliam ne lui avait expliqué que les très grandes lignes de ce qui le rendait aussi irritable ces derniers jours mais comme très souvent entre eux, dans un savant jeu de sous-entendus et de non-dits le blond avait compris les inquiétudes profondes de son meilleur ami. Alors naturellement il avait hésité. Dire la vérité ? La cacher, au risque de déclencher sa colère s’il venait à le savoir ? Parler lui-même à Fantôme et le dissuader de continuer leurs relations ?

Au final, par égard pour le semi-elfe, Ren avait simplement exposé les faits, sans manipulation, ni mensonge lorsque que son chef était rentré si tard que la nuit pouvait presque s’appeler matin. Malgré tout il avait tenu à prévenir Viliam de ce qu’il pensait de tout cela. A la fin, il avait été surpris de constater que son ami était du même avis si ce n’est plus extrême encore.

Alors pourquoi il avait quand même fini par se trouver là, appuyé contre la palissade à fixer le mercenaire en boule en dessous de son balcon… ? Viliam n’en savait rien. Peut-être pour clore ce chapitre étrange et douloureux une fois pour toute.

Par réflexe, il vint chercher quelques herbes séchées dans sa poche, avant de se rendre compte qu’elles ne s’y trouvaient pas. Il fumait certainement un peu trop ces dernier temps…Enfin soit. Il s’en passerait. Il claqua alors sa langue d’agacement et croisa les bras. Son regard dans le clair-obscur de la nuit tardive était aussi froid que son attitude toute entière tandis qu’il le toisait intensément. Il était en colère alors qu’il aurait dû s’en foutre.

Fantôme relève soudainement la tête. Il découvre à plusieurs pas de lui la silhouette de Viliam, appuyée contre une palissade qui croise les bras tout en le toisant d'un regard furieux. Cela lui fait bizarre de le revoir... et de constater sa rancœur aussi. Son cœur en est serré et pincé en même temps, ce qui est une sensation très bizarre. Mais qui en dit beaucoup aussi sur l'importance de cet homme pour lui. Et ça, il ne s'en serait peut-être pas aperçu sans Djena.

Le mercenaire se relève rapidement. S'il serre ses bras contre lui, ce n'est pas pour afficher un air renfrogné mais tout simplement parce qu'il a froid. Cela fait des heures qu'il est là et il ne savait plus trop s'il devait rentrer se réchauffer ou rester là, quitte à attraper la mort... Il frissonne d'ailleurs à demi mais il ne demandera pas à entrer. La taverne n'est pas un endroit approprié pour discuter et il ne va certainement pas violer l'intimité de sa chambre après ce qu'il s'est passé.

-Je sais... Répond-il simplement, sans la moindre animosité.

Après tout, il est mal placé pour faire la fine bouche devant l'agressivité de son ami. Il est le seul responsable... En fait, il peut même considérer qu'il le mérite.

-Je... Je voulais pas te blesser. J'ai déjà fait des trucs dingues en étant bourré mais... ça m'a paru complètement fou... et impossible... que j'ai pu faire une chose pareille. Et en même temps, je pouvais pas nier l'évidence ! J'arrivais pas à croire ce que tu me disais tout en étant convaincu que tu me mentirais pas. J'ai pas su comment réagir... Je suis déjà un raté, je voyais pas comment en plus je pouvais assumer le fait d'être différent ! J'ai paniqué. Et tout ce que j'ai trouvé à faire, c'est de m'enfuir... comme si ça allait régler le problème... Et... J'ai... J'ai pas pensé une seconde à ce que ça te ferait, à toi... Je suis désolé, Viliam... Je suis vraiment désolé.

Son discours est déjà pas mal construit et complet mais il faut dire qu'il a eu le temps de le préparer, se faisant mille fois cette scène dans sa tête en attendant qu'elle se produise vraiment. Alors oui, il ne sait pas ce que Viliam lui reproche précisément, en quoi ce qu'il a fait lui a fait du mal, ni à quel point. Est-ce que c'est juste un manque de respect ou il croit qu'il s'est foutu de sa gueule ? C'est la première fois qu'on lui fait ce coup-là ou la centième et il en a ras-le-bol ? Est-ce que le fait qu'ils soient amis, ça rend pas son comportement pire encore ? Tout ce qu'il sait, c'est qu'il s'est mal comporté avec lui, il est même en droit de le traiter de salopard ou de tout ce qu'il voudra... Et lui, tout ce qu'il peut faire, c'est se mettre à genoux pour tenter d'obtenir son pardon, tout en étant pleinement conscient qu'il ne l'aura peut-être jamais.

Il y eut un long, très long silence. Viliam s’était contenté de baisser son regard vers le sol. Dans l’ombre il était difficile de distinguer vraiment son expression.

-Tout ce que j’aurais voulu c’était un signe. Finit-il par souffler. Que tu m’en veuille j’aurais compris. Que tu aies besoin de temps aussi. Mais j’aurais voulu autre chose que n’être qu’une passe pour toi. Une nuit au chaud et rien d'autre... A nouveaux ses prunelles se fixèrent à Fantôme. Il put alors y lire la douleur qui y brillait. Je sais que tu pourras pas forcément comprendre ça, Fantôme. Y en a pas beaucoup qui comprennent. Mais putain, te voir t’enfuir comme ça…Il secoue la tête. J’peux pas. J’peux pas, Tom. Je suis pas un truc qu'on prend parce qu'on est un peu pété, ou parce qu'on en a envie et puis dont on se débarrasse quand on regrette...Pas comme ça.

A nouveau il laissa passer un silence, glissant sa main sur son front. Les yeux mis clos, il cherchait ses mots et son calme. Plus qu'en colère, le bandit semblait perdu, instable, comme ne sachant pas ce qu'il devait choisir entre colère, tristesse ou indifférence. Son ton, lui était réduit à un murmure. Ses paroles pouvaient peut être sembler vagues voir incohérentes aux yeux de la Chimère mais il n'y prêtait pas attention.

-Y a des années je me suis fixé des règles. Pour mon propre bien. Et comme un abrutit, je les ai quasiment toutes foutues en l’air la nuit dernière. ça me rend dingue parce que j'ai cherché ce qui arrive maintenant. Au fond la colère qu’il ressentait était autant envers lui que le mercenaire. Il avait baissé sa garde si vite... Et pour quel résultat ? Je pourrais pas supporter ça à nouveau alors, je t’en prie, viens pas me donner de faux espoirs. Pourquoi est-ce que tu reviens maintenant ? Qu'est-ce que tu veux?

Fantôme voudrait intervenir, arrêter Viliam alors que ce qu'il pense de lui le choque et semble si éloignée de la réalité... Mais il ne le fait pas. Soit son ton l'interpelle, soit son regard l'arrête, soit il ne sait pas comment lui répondre tant son esprit encore confus se perd entre ses pensées et ses émotions... Il l'appelle de nouveau Tom et il sent son cœur se serrer. Il... adore ça... Il adore entendre autre chose que son pseudonyme dans la bouche de cet homme. Et il en vient à se demander ce que ça donnerait s'il l'appelait par son véritable prénom.

-Je... Je me souviens de ce qu'il s'est passé. Enfin... Par petits bouts et c'est un peu confus... mais je peux retrouver le fil de la soirée et... j'ai les émotions qui vont avec, ce qui est d'autant plus perturbant... Mais en tout cas, c'était pas c'que tu crois... J'ai pas joué avec toi.

Il regarde Viliam. Il cherche ses mots. Comment lui expliquer ce qu'il ressent ? Mettre des mots sur ce que lui-même rejette depuis... toujours ? Il a beaucoup de choses à lui dire, à exprimer. Certaines plus lourdes de sens que d'autres. Certaines qui vont lui demander de faire taire cette partie de lui qui nie tout ça... Il prend un moment pour rassembler autant ses pensées que son courage... Avant de se lancer.

-Je t'ai dit que j'étais pas doué avec les femmes ? Elles m'ont toutes largué pour des motifs légitimes mais je comprenais pas pourquoi j'y arrivais pas... Pourquoi j'étais jamais totalement avec elles, pourquoi ces relations me satisfaisaient qu'à moitié... Pourquoi je regrette aucune de ces filles. Avoue-t-il à mi-voix, se le reprochant un peu quand même. Mais quand j'ai des images de cette nuit qui me reviennent, je... Il marque un temps d'arrêt, visiblement chamboulé, tant par ce qu'il raconte que par l'aveu qu'il s'apprête à formuler à haute voix. Je... Je voudrais y être encore. J'ai... jamais... ressenti ça de toute ma vie. L'alcool, ça a juste aidé... à me révéler. Et j'aurais préféré pas être saoul pour faire tout ça en étant conscient de ce que je faisais. Alors non, je me serais pas jeté à l'eau aussi vite et même maintenant je vais avoir besoin de temps pour accepter vraiment que ça c'est bien moi... Mais... Mais je l'envisage pas sans toi.

Au bout du compte, le déclencheur de tout cela, ce n'était pas l'alcool. Il a passé tellement de nuit avec la tête totalement retournée qu'il ne les compte plus et, pourtant, s'il se réveillait en compagnie de question c'était toujours une femme. Alors pourquoi les choses ont-elles été différentes cette fois ? La réponse est assez évidente maintenant qu'il y pense...

-Je suis entouré d'hommes tous les jours depuis mes quatorze ans... Je vis avec eux, je m'entraîne avec eux, je me lave, je me change, je dors dans la même pièce qu'eux... Mais aucun n'a retenu mon attention comme tu as retenu la mienne... dès cette soirée où tu as ruiné mes bottes en sortant de chez Sam... Et si ça m'est pas arrivé avant, je pense que c'est parce que personne a éveillé ça en moi. Avant toi. Alors j'espère... que tu pourras me pardonner. Et si tu peux pas... J'aurais enfin quelque chose à regretter. Et je t'en voudrais pas parce que je l'aurais mérité.

-Y a pas de pardonner pas pardonner. Le bandit soupira. Il leva la tête vers le ciel, comme pensif, avant de continuer. Tu l’es Tom. Me refait pas ce coup là et tout est déjà pardonné. Un nouveau silence puis il reprit avec le même ton bas, un peu triste, mais qui s'efforçait d'être calme. Je crois qu’on devrait juste considérer tout ça comme…Il sembla réfléchir quelques secondes. Un moment d'égarement? Un saut d'étape en peu trop rapide... Je sais pas... Mais on devrait repartir de zéro tous les deux. En tout cas du moment où on était encore nous même, et que ça avait l’air de bien marcher entre nous. Je peux pas te promettre de convenir à l'image que tu as l'air de t'être fait de moi. Ses bras se serrent un peu plus contre lui, comme si lui aussi avait froid, ou était mal à l'aise. J'avais beau être sincère, je suis pas grand chose de ce que t'as pu voir l'autre jour une fois sobre. Mais j'aimerais bien...au moins qu'on essaye?

Alors que l'incompréhension se dessine dans le regard du mercenaire, elle passe tout aussi vite alors que son ami lui pardonne. Il se montre alors soulagé mais écoute malgré tout l'entièreté du discours de Viliam et il attend, fébrile, qu'il termine et lui exprime ce qu'il veut et ce qu'il lui propose.

-C'est tout ce que je demande.Lui répond-il alors, rassuré qu'ils se retrouvent sur la même longueur d'onde. Je... Je crois que je te dois un verre. Quand tu te le sentiras.

C'est la moindre des choses après ce qu'il lui a fait subir pendant plus d'une ennéade, non ?

C’eut le mérite de lui tirer un bref rire et de réchauffer un tout petit peu l’atmosphère un peu étrange.

-Marché conclu. Répondit-il doucement. Demain soir chez Sam ? Quoi que l’endroit m’importe pas vraiment tant que c’est pas moi le patron. Ajoute-il en une tentative d’humour mi-figue mi-raisin.

Demain ? Fantôme ne l'espérait pas si vite et sur son visage s'étire une expression à la fois surprise et joyeuse. Et entendre le rire de Viliam, aussi discret soit-il, lui a déjà réchauffé le cœur. Même si les choses sont encore un peu bizarres entre eux, ils ont su désamorcer le problème et assainir un peu la situation. Il vont pouvoir repartir sur de nouvelles bases et le mercenaire va pouvoir prendre le temps d'apprendre ce qu'il aime vraiment et de l'assumer... au lieu de se jeter à l'eau et de tout se prendre en pleine face ensuite.

-O-Ouais, d'accord. Ça me va. Fait-il, étonné et rassuré. Puis il reste là un bref instant, un peu penaud, avant de finir par reprendre la parole. A demain, alors.

Il piétine encore un peu, hésitant sur la conduite à tenir, avant de finalement commencer à s'éloigner, non sans un dernier regard à Viliam. Cela lui fait tout drôle... Déjà, de quitter aussi platoniquement quelqu'un avec qui il a déjà passé la nuit... Mais c'est un peu normal étant donné ce qu'il s'est passé ensuite... Et puis, il ne maîtrisait pas du tout ce qu'il faisait cette nuit-là et, même s'il a avoué qu'il avait le béguin pour le bandit, il n'est pas encore près à se rapprocher physiquement de lui maintenant.
A l'abri des regards, dans une ruelle plus loin, Fantôme secoue la tête. Qu'est-ce qu'il a détesté se sentir aussi couillon à la fin... Une chose est sûre, la discussion de ce soir voir lui rester longtemps en tête et il va repenser autant à tout cela qu'à la soirée qui se profile...

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Le lendemain, Fantôme est en avance. En même temps, il n'a pas grand chose d'autre à faire de ses journées pour le moment. Aujourd'hui, il n'a pas fait des merveilles quand il a essayé de s'exercer mais son humeur a été meilleure. Et il avait hâte que la soirée commence et partir tôt était un moyen de ne pas avoir à expliquer son changement d'attitude aux autres...
Une fois de plus, il attend dehors, mais c'est pour une bonne raison. D'ailleurs, dès qu'il aperçoit Viliam, il décolle son dos du mur d'une légère pression de son pied et dénoue ses bras. Il attend qu'il soit à sa hauteur, se mordant un peu la lèvre inférieure pour masquer un sourire idiot qu'il s'en poindre.

-Salut... Dit-il en laissant un coin de sa bouche s'étirer alors qu'il est manifestement content de le voir. Puis il continue après une seconde, un peu hésitant. Hum... J'ai rien contre Sam... Mais j'me suis dit qu'on serait peut-être mieux dans un endroit un peu différent de d'habitude... Histoire de changer. Et je t'avoue que, tant que je m'assume pas... Je préfère pas traîner dans des endroits où on me connaît. Si je peux hésiter d'avoir à me soucier du regard des autres, je me sentirais plus à l'aise pour commencer. Si ça te va.

Il ne veut pas qu'il pense qu'il veut le cacher. Et en fait, il a un peu peur qu'il ait mal formuler les choses et que son ami se méprenne sur ses intentions. Il a déjà cru qu'il avait profiter de lui, il ne veut pas qu'il pense que l'histoire se répète...

-T'es déjà aller dans le quartier des Terrasses ? Demande-t-il, montrant qu'il a quand même réfléchi à l'endroit où il voulait l'emmener à la place.

Ce quartier est l'un des plus atypique de Thaar. Il est établi sur une colline presque à pic, obligeant les maisons à se chevaucher les unes les autres. Les allées sont toutes de longs escaliers, chacun décoré d'une manière différente. C'est assez exotique et paisible à la fois. On y trouve de nombreux commerces ainsi que des lieux de distractions dont les balcons et les terrasses surplombent presque le vide et offrent une vue magnifique sur la ville illuminée.

Viliam était surpris par ce revirement, mais amusé par la tentative du mercenaire de rendre les choses le plus agréables possibles. Il semblait…enthousiaste dans sa maladresse et cela tira un sourire au bandit. Il n’avait certainement pas l’habitude de ce genre d’interaction.

-Le quartier des terrasses ? Non…Je ne crois pas.  Il ajouta en baissant la voix afin d’être certain de ne s’adresser qu’à la Chimère, lui donnant un soupçon d’explication. Je suis un fugitif, Fantôme, j’évite la plupart des endroits fréquentés.

Ceci-dit, il restait particulièrement curieux de voir où son camarade voulait visiblement l’emmener et ferait quand même mine de le suivre sa rechigner. Pour une fois il avait fait attention à ses vêtements, certes simples mais propres et son visage était mieux rasé qu’à l’ordinaire. Peut-être aurait-il une fine chance de mieux passer inaperçu.

-Mais au moins ça changera c'est sûr.Il ajouta pour prouver sa bonne volonté

Fantôme n'a pas manqué de remarquer que Viliam a soigné sa présentation. Des vêtements fraîchement lavés, la barbe rasée de prêt... Le mercenaire en a fait autant, même si cela se voir peut-être moins parce qu'il prend déjà soin de loin tous les jours. Bon, il n'est pas non plus du genre à être toujours tiré à quatre épingles mais sa proximité n'a rien de repoussante pour la vue ou l'odorat.
Lorsque le bandit lui fait dire qu'il ne fréquente pas les Terrasses à cause des avis de recherches sur sa tête, l'éclaireur se sent un peu idiot. Il a pensé à ce quartier pour plus d'une raison mais il n'a pas forcément en tête le fait que son compagnon ne peut pas circuler comme bon lui semble. Enfin... Il a eu l'esprit ailleurs toute la journée en attendant cette soirée, réfléchissant à comment se rattraper de son comportement, mais il oublié ce... détail. Cependant, lorsque Viliam accepte d'y aller quand même, Fantôme se sent un peu soulagé et il étire un sourire en coin.

-D'accord. Hum... C'est par là. Dit-il en lui indiquant la rue dans son dos d'un signe du pouce avant de se retourner pour avancer aux côtés de son ami.

Pendant plusieurs minutes, ils marchent mais sans que Fantôme ne sachent quoi dire. Il n'a jamais eu ce problème auparavant pourtant... Il était très à l'aise avec le bandit, au contraire. Mais c'est peut-être leur nouveau statut un peu précaire et puis le fait que ce soir soit un rendez-vous galant officiel qui le perturbe autant. Un rendez-vous galant avec un homme... Il a encore du mal à y croire mais, pourtant, il en est heureux.

-Au fait, c'est... c'est moi qui t'aies demandé de m'appeler Tom ou ça t'es venu tout seul ?

Il s'est posé la question plusieurs fois pendant la journée et, il a beau fouiller dans sa mémoire, il ne se souvient pas de ce passage là. Alors peut-être que c'est juste parce que Viliam s'est mis à utiliser le surnom que Djena lui a donné ou bien c'était l'inspiration du moment... Mais il a très bien pu lui dire de l'appeler comme ça et l'oublier ensuite. Après tout, ils ont passé des heures ensemble ce soir-là et, tout combiné, il ne se souvient que de quelques minutes. Alors pas mal de choses doivent sans doute lui échapper encore.

-Ben…

Cette fois le regard du bandit se para d’un amusement mêlé d’une légère gêne alors qu'il prit son temps pour répondre. Les souvenir qu’il avait de ce moment étaient…relativement indécents. Difficile de donner une explication qui ne les mettent pas mal à l'aise en l'état des choses.

-Tu m’a dit de le faire. Répondit-il alors en toute simplicité, sans entrer dans le détail de leur nuit. Mais si ça te gène…Il haussa les épaules. Si là aussi il fallait repartir de zéro, hé bien soit. Viliam s’y ferait. Je connais pas mal de gens qui aiment pas spécialement qu'on utilise leur véritable prénom. C'est pas grave.

Viliam supposait qu'il s'agissait effectivement de son prénom, et que fantôme n'était qu'un utile jeu de mot servant d'un pseudonyme tout trouvé pour la chimère. Il ne se posait pas beaucoup de questions à ce propos, respectant la potentielle intimité du mercenaire.

-De ton coté, tu m’as appelé « Liam » à quelque reprises. Son sourire se fit un peu plus perceptible. Étonnement t’es le premier à le faire. Et justement pour cette raison en particulier, il avait aimé cela, sans le lui dire. Une petite partie de lui n’osait pas avouer qu’il espérait que ça lui reprendrait, un jour ou l’autre… D’habitude c’est Vil’…Ou simplement « hé le semi elfe ! » Ajoute-t-il pour plaisanter. Je préfère la première option je vais pas mentir.

Il a remarqué que le mercenaire n’était pas tout à fait comme d’habitude, et bien qu’il comprenne certainement pourquoi, Viliam avait envie de lui montrer qu’il pouvait se comporter comme il le faisait avant. L’orage était passé. En tout cas, le bandit avait laissé de coté ses démons et ses angoisses pour se concentrer sur le moment agréable qu'il passaient tout deux.

-Quoi ? Non non, aucun problème. Réagit Fantôme alors que son ami lui propose de renoncer à ce surnom. Je disais pas ça pour ça, j'étais juste curieux. Et puis Tom, c'est pas mon vrai nom. C'est le diminutif de Fantôme. C'est Djena qui a commencé à m'appeler comme ça quand on s'est mis ensemble parce que je voulais toujours pas lui dire mon vrai prénom et c'est resté. Mais que tu l'utilises, ça me va. Ça me plaît en fait... que tu m'appelles pas par un mot mais par quelque chose qui ressemble à un prénom.

Est-ce qu'il doit lui dire que ça lui fait un demi frisson à chaque fois ? Qu'il n'a pas du tout la même sensation quand ça vient de sa sœur d'armes ? Il a l'impression que ça ferait un peu trop... Et un peu trop vite... Et puis ça le gêne aussi de devoir l'admettre à voix haute.
Quelques pas plus tard, Viliam lui fait une autre révélation et Fantôme ouvre grand la bouche en levant le regard vers le ciel comme s'il venait d'avoir la clef d'une énigme.

-J'ai eu envie de t'appeler comme ça plusieurs fois... Déjà hier et puis quand tu es arrivé tout à l'heure. Mais j'ai pas osé, je sais pas pourquoi. Mais maintenant, je comprends d'où ça vient. Pourtant, je me rappelle pas l'avoir fait avant, c'est étrange non ?

Comment pouvait-il vouloir l'appeler Liam sans se souvenir de ce surnom ? Il y a des choses mystérieuses dans la vie... Dont de petits mystères comme celui-ci qui égaillent l'esprit et l'humeur. Parler rend au moins le mercenaire un peu plus détendu. Cela lui fait oublier qu'il est en plein rencard avec un homme.

-J'ai entendu Clarisse et Ren t'appeler Vil' mais ça me fait penser à l'adjectif... Je crois pas que j'arriverai à t'appeler comme ça. Mais... Je vais pouvoir me lâcher avec "Liam" maintenant.

Fantôme regarde le bandit quelques instants, une petite étincelle dans les yeux, avant se tourner sur la route qu'ils empruntent. Cela lui fait quelque chose aussi de prononcer ce diminutif... Mais, déjà, il sent que le chemin monte un peu et la colline des Terrasses se dessine un peu plus loin.

-Dès qu'on sera dans un établissement, on sera tranquille. Le Guet fait un peu la sécurité dehors mais ils n'entrent que s'il y a du grabuge. Sinon, ça ruinerait le commerce du quartier. Les gens y vont parce que c'est... romantique. Il a marqué une pause avant d'utiliser ce mot, comme s'il réalisait seulement qu'il a choisi cet endroit pour cette raison. Ça gâcherait un peu tout si un garde se mettait à inspecter les lieux en plein dîner amoureux. Plaisante-t-il.

-Je n'y avait jamais pensé à l'adjectif. Viliam vint gratter l'une de ses joues. C'était juste...le début de mon prénom pour nous.

Bien sûr il était comme tout le monde et avait une préférence dans la manière dont on pouvait l'appeler, mais étant donné qu'il n'avait pas choisi ce prénom, il le prenait avec pragmatisme et n'avais jamais vraiment réfléchi ni a un éventuel surnom ou carrément changer. Ça faisait partie de ces petites choses qui l'avaient toujours indifféré... Il n'était même pas certain de savoir si c'était vraiment sa génitrice qui avait choisi de l'appeler ainsi ou bien l'homme qui s'était approprié sa vie contre une bouché de pain.  Pourtant, aujourd'hui il y avait eut le mercenaire pour en faire autrement. Ça lui plaisait.

-J'aime bien "Liam. Finit-il par sourire.C'est un peu comme...être quelqu'un d'autre.

Mais avant qu'ils ne puissent continuer sur ce sujet, l'atmosphère changea et le regard du bandit dut quitter le visage de la Chimère pour voguer tout autour. A l'évocation du guet il s'était un peu raidit, sans doute inquiet. Mais il semblait aussi tout simplement curieux de découvrir une partie de la cité qu'il n'avait jamais pu voir. Il avait confiance en Fantôme pour lui faire éviter les patrouilles.

-Romantique hein ? Répéta t-il avec une pointe de malice sur les lèvres, bien qu'au fond l'attention le touchait bel et bien. Effectivement Sam c'était pas le cadre le plus romantique qu'on puisse trouver du coup...

Viliam n'avais absolument pas songé à cela ni au fait que Fantôme aurait envie d'un cadre un peu plus spécial. Il fallait dire qu'il n'avait pas franchement l'habitude non plus de ce genre de soirée. Malgré ses efforts et sa nature profonde il restait un homme habitué au manque de manières et de confort.

-Je vois très bien ce que tu veux dire. Même si c'est pas pour ça que je refuse d'utiliser mon vrai nom. Il se tourne vers son ami, un sourire amusé sur les lèvres alors qu'une pensée vient de traverser son esprit. Des fois ça me manque un peu d'avoir un prénom. Je pense que c'est pour ça que j'ai laissé Djen m'appeler Tom. Et j'imagine que c'est en partie pour ça aussi que je t'ai demandé de faire pareil. C'est moins impersonnel.

Si Fantôme n'est pas avare de paroles en temps normal, il y a une chose dont il n'a jamais parlé et c'est son enfance, avant d'intégrer les Chimères. Tout ce qu'il s'est produit ensuite, il n'a pas de raisons de le cacher, du moins pour ce qui est de la sphère personnelle. Il rechigne à aborder le sujet et même sa meilleure amie ne peut que deviner grossièrement le problème. Dans tous les cas, le fait qu'il n'y ait que deux personnes qui utilisent ce qui ressemble à un prénom montre l'importance qu'ils ont pour lui. Car même si le mercenaire a encore besoin de temps pour se faire à tout ça, il sait que Viliam est spécial à ses yeux. Il y a une alchimie particulière entre eux qu'il ne peut pas nier. Quelque chose qui a éveillé son intérêt dès le premier jour et qui n'a fait que l'attirer de plus en plus vers lui. Et, à peine ses barrières tombées sous quelques bières, il s'est laissé emporter aussi aisément qu'une feuille sur une rivière déchaînée.

Fantôme vient frotter l'arrière de son crâne. Oui, il a organisé sans le vouloir un rendez-vous galant digne de ce nom. Et il en est plus que gêné lorsque son ami le souligne à son tour.

-Roh ça va... Rouspète-t-il faussement contrarié, cherchant surtout à faire passer son malaise. Et, pour ta gouverne, c'est pas pour ça que j'ai proposé cet endroit. Je cherchais un endroit neutre pour tout reprendre à zéro et où on pourrait se détendre un peu. Enfin moi, surtout... Conclut-il comme pour lui-même.

Plus les heures de cette journée se sont avancées, le rapprochant de cette soirée, plus il s'est senti nerveux. Hormis son tout premier rencard, il n'a pas souvenir d'avoir été aussi émotif et soucieux de comment les choses allaient se dérouler, et inquiet quant à l'éventualité de tout gâcher.
A présent, la rue grimpe plus sérieusement et, un peu plus loin, un premier escalier apparaît. Celui-ci n'est pas décoré mais on distingue des lanternes qui suivent son parcours à perte de vue et, plus haut, les couleurs se mélangent dans un assortiment étrangement agréable.

-hé…Viliam souffla doucement en posant sa main sur son épaule. Y a pas de raison de te trouver mal tu sais.

Il hésita à venir chercher le bout de ses doigts, mais finalement renonça et se contenta de se focaliser sur le paysage en continuant de parler.  Il haussa les épaules.

-On va juste boire un verre là où personne ne risque de nous emmerder. Ce n’était pas si simple il en était conscient, mais ils pouvaient bien faire comme si, non ? A un moment ça deviendrait peut être réel. C’est moi qui devrait flipper à ta place, je connais absolument pas les environs…

Doucement, ils commençaient à voir à quoi pouvaient ressembler ce quartier inconnu du bandit et il osa faire quelque pas en avant de son guide, pour mieux voir les lampions çà et là. Son expression se teinta à la fois d’admiration et d’une légère amertume un peu plus discrète. Les rues étaient propres, les quelques passants bien portants sans trop d’excentricité. Les alentours étaient encore loin de ce qui les attendaient en continuant, mais pour Viliam c’était déjà presque exotique. Ici, il était comme un enfant découvrant enfin ce qui se trouvait derrière les murs de sa prison.  

-Si seulement Thaar était partout aussi agréable qu’ici…Ne put-il pas s’empêcher de marmonner, le nez levé vers le ciel nocturne.

-Facile à dire. Répond Fantôme en se pinçant les lèvres tandis qu'il sourit nerveusement.

Des raisons, si, il en a. Il sait désormais que Viliam compte pour lui mais il a bien failli le perdre. Il est conscient de la chance qu'il a d'avoir une seconde chance et il craint de la gâcher, comme il le fait toujours. De plus, il doit composer avec le fait que tout cela est nouveau pour lui... Le fait de tenir autant à la personne avec qui il sort, tout comme le fait que ce soit un homme. Et, pour ne rien arranger, il a toujours ces bribes de souvenirs qui refont surface de manière aléatoire... Quoi qu'elles se fassent bien plus discrètes en la présence du bandit.

-Je les connais pour nous deux. Rétorque-t-il à l'inquiétude de son compagnon sur un ton plaisantin.

Alors qu'ils se sont arrêtés, Fantôme observe les traits de Viliam et un discret sourire étire ses lèvres. Au moins, l'endroit produit son effet et il le sent un peu plus détendu que précédemment. Il le laisse prendre le temps d'apprécier avant de finalement lui donner un très léger coup d'épaule pour attirer son attention. Ses yeux brillent d'un petit éclat nouveau et son expression est emprunte d'une certaine tendresse.

-T'as encore rien vu. Dit-il à mi-voix, comme pour ne pas briser ce moment, avant de lui faire un signe de tête pour l'inviter à le suivre.

A mesure qu'ils montent de pallier en pallier, les décorations se font plus belles, plus fines, plus colorées. Sur le dernier niveau, ce ne sont plus des peintures qui ornent les murs mais de grands morceaux de faïences inégaux, brillants sous des lanternes stylisées, et qui forment des vagues aux teintes chatoyantes. Une fois en haut, ils débouchent sur une rue de faible largeur et pourtant pavée d'une maison à l'autre. Les murs des bâtisses sont teints et arborent des couleurs très différentes les unes des autres dans une étrange harmonie. Tout y est calme et serein. Quelques personnes circulent paisiblement, le plus souvent à deux. D'autres rues sont visibles, reliées par des embranchements improbables qui donnent d'étranges formes aux maisons qui en font l'angle. Les commerces sont reconnaissables par la lumière qui émane de leurs grandes vitres et l'activité pourtant tranquille qui y règne.

-Tu préfères vue sur la ville ou sur la mer ? Demande Fantôme après avoir laissé à Viliam le temps de reprendre son souffle et d'admirer l'endroit.

-Va pour la mer. Viliam se tourna vers Fantôme avec un sourire reconnaissant.

L’endroit était beau, le bandit était bien obligé de l’admettre, et plus ils avançaient plus il était touché par l’idée qu’avait eu Fantôme en le menant ici.

Le mercenaire ne le savait pas, mais Viliam était particulièrement fasciné par les arts picturaux. Lui-même avait toujours plus ou moins pratiqué une forme de dessin autodidacte, reproduisant les portraits des gens qu’il observait sans qu’ils ne le sachent pour la plupart jamais. Quand il avait vu les mosaïques à même les murs, il n’avait pu s’empêcher de s’en approcher un peu, en effleurant une du bout des doigts. C’était un travail splendide qui avait dû prendre bien du temps à leur créateur.

-Si j'ai encore rien vu, c'est ce qui m'intrigue le plus. Rit-il.

Fantôme était un peu surpris de voir que cet endroit faisait autant d'effets à son ami. La conversation de la veille lui semblait si loin alors que tout semblait si détendu entre eux et que Viliam se laissait aller à cette soirée. Le mercenaire avait un peu de peine à y croire...
Il fit un pas en direction du bandit, semblant vouloir faire quelque chose avant de se retenir, à la fois hésitant et gêné. Puis il lui adressa un signe de tête.

-Viens.

Fantôme baissa les yeux sur cette main qu'il avait eu envie de prendre pour l'entraîner dans la rue puis pivota pour ouvrir la marche. Il les guida dans les rues tortueuses jusqu'à une taverne quelques pâtés de maisons plus loin. Par chance, ils ne croisèrent aucun garde et arrivèrent sans encombre. Ils entrèrent alors dans l'établissement. L'ambiance y était calme, rythmée seulement par une musique assez douce qui ne perturbait pas la conversation des personnes déjà présentes. Un bar s'étirait dans la continuité de la porte et sur toute la longueur de la pièce. Viliam ne pouvait manquer le fait qu'il manquait le mur du fond, entièrement ouvert sur un assez grand balcon.
Un serveur les accosta, échangea quelques mots avec Fantôme et leur indiqua un espace un peu plus loin où il pouvaient s'installer. Il s'agissait d'une petite table haute flanquée de deux chaises aux dimensions proportionnelles. Elle était située tout contre la rambarde. De là, ils avaient une vue imprenable sur la mer et le port. On y apercevait les lanternes allumées sur les ponts des navires accostés aux pontons ou en attente sur les flots paisibles. Sur la droite, on distinguait malgré tout la ville, baignée par la lumière -redevenue normale- de Silène et de la lune.

-J'ai demandé à ce qu'on soit le plus près possible de la mer. Commenta Fantôme.

Le temps de trouver leur place, Viliam se rembrunit un peu, baissant le nez vers le sol et restant en retrait lorsqu’un homme vint à leur rencontre. Malgré tout, il se faisait discret dans un tel lieu. On ne savait jamais et il risquait trop à être reconnu. Il fallut attendre qu’ils soient placés, et aussi seuls que possible pour qu’il retrouve un peu de l’air qu’il avait affiché dans la rue.

-C’est splendide. Fit-il en guise de remerciement sincère.

Et puis son regard se retrouva sur le mercenaire. Jusqu’ici c’était principalement lui qui avait fait des efforts ce soir-là, et Viliam ne savait pas trop comment lui rendre la pareille. D’habitude, il ne faisait pas tellement d’efforts, il se contentait de suivre ses habitudes et il en allait de même pour la majorité des personnes qu’il fréquentait. A quand remontait la dernière fois qu’il s’était autorisé à autant se laisser aller au dehors de la compagnie de ses propres hommes ? Hésitant alors sur la manière de se comporter, il commença par une question toute simple.

-Est-ce que la vue te plait à toi aussi ? Il venait à se rendre compte qu’il ne savait pas vraiment ce que la chimère pouvait apprécier à part le jeu et l’alcool.

Fantôme pose une main sur la rambarde et regarde le paysage qui s'étend sous leurs pieds. L'eau a quelque chose d'apaisant. Surtout à cette heure. D'ici, ils peuvent percevoir les embruns de la mer, chargés de sel. Il prend une grande inspiration silencieuse pour s'en remplir les poumons. Il a l'impression que ça le calme un peu... Mais la voix de Viliam le rappelle vite à lui et il tourne la tête dans sa direction. A sa question, tandis qu'il contemple les yeux du demi elfe, il étire un sourire doux et heureux.

-Ouais... Souffle-t-il comme s'il ne parlait pas seulement de la mer et des bateaux...

Pendant un instant, le temps se suspend. Mais cela ne dure que deux secondes... car voilà le serveur qui, libéré de ce qu'il avait dans les mains tantôt, vient leur demander ce qu'il leur sert. Fantôme sort alors de sa rêverie et prend place à la petite table qui leur a été attribuée.

-Hum... Ça sera un cidre pour moi. Commande-t-il au lieu d'un alcool plus fort, comme il le fait habituellement.

L'homme au teint halé se tourne ensuite vers son compagnon, attendant de savoir ce qu'il veut boire. Puis il leur demande s'ils veulent manger tout en suggérant une de leurs planches à partager. Le mercenaire acquiesce et voilà le serveur reparti.

La table à laquelle ils sont installés n'est pas très large. Fantôme a commencé par y poser ses coudes, laissant ses mains tomber dans le vide devant lui, mais cela le rapprochait beaucoup de Viliam et il ne se sent pas encore assez à son aise pour se trouver si près de lui. Alors il finit par s'adosser à la chaise.

-Au fait, j'peux te poser une question ? Ça s'est passé comment pour toi ? Comment t'as su... que tu préférais les hommes ?

La question peut paraître anodine mais, puisque lui a un peu du mal à gérer la transition, il espère que l'expérience de son compagnon pourra l'aider...

-Ah…

Viliam ne s’attendait pas à cette question et en même temps…il comprenait que ça travaille son compagnon. Jouant à se balancer très légèrement sur sa chaise, il prit son temps pour répondre. c’était une question plus compliqué qu’il ne l’aurait cru…En tout cas la réponse qu’il devait donner à Fantôme l’était. Il voulait rassurer son camarade qui semblait avoir bien du mal à faire la part des choses.

-Je crois que je l’ai toujours su. Répondit-il. C’était un peu comme une évidence pour moi. Par contre j’ai jamais été…très expansif. Explique-t-il sans donner plus de détails. Donc j’ai pas vraiment enchainé les petit copains comme le font parfois certain enfants. Mais c’était là, quelque part. Un jour j'ai compris pourquoi j'aimais passer du temps avec tel garçon plutôt qu'un autre. Et puis j'ai grandit...  

L’espace de quelques instant, son regard vogue vers la mer assombrie, tandis qu’il se perd dans les souvenirs de ses premières expériences. Certains sont doux, d’autres terribles. La plupart ont malgré tout confirmé ce sentiment interne et on fait ce qu'il et aujourd'hui, pour le bien comme pour le pire.

-Mais tu sais, c’est pas choquant que d’autres fonctionnent plus par choc et s’en rendent compte sur le tas. Ça arrive même souvent je crois. Enchaine-t-il en retrouvant le regard de son compagnon et en lui offrant un sourire doux. Il continue aussi un peu pour se changer les idées de ces quelques souvenirs qu’il n’a pas envie de voir venir gâcher la soirée. Ça dépend de tes expériences j’imagine.

Un coude posé sur la rambarde près de lui, l'autre main sur la table, Fantôme baisse les yeux sur les imperfections du bois devant lui, comme plongé dans ses réflexions. Lui qui espérait profiter de l'expérience de son compagnon pour apprendre à gérer sa transition... Cela devient difficile si son interlocuteur n'a pas connu cela. Mais il ne peut que le remercier de comprendre la raison de sa question et de tenter de le rassurer en lui disant qu'il n'est pas le seul à être passé par cette situation.

-Ouais non, c'est pas ça... C'est juste... J'ai déjà sauté dans le grand bain : Je pense qu'on peut dire que ça m'a pas trop réussi. Fait-il sur le ton de l'humour alors qu'ils savent tous les deux comment il a réagi quand il a réalisé qu'il aimait les hommes au point de pouvoir finir dans le lit de celui qui l'attirait le plus après avoir suffisamment bu. Je me sens comme une pucelle effarouchée, si tu veux bien me passer l'expression. Rit-il à moitié. Et j'arrive pas à savoir de quoi j'ai besoin. Si c'est de rester tout nu sur la plage jusqu'à ce que j'ai assez froid pour trouver l'eau bonne ou si je dois commencer par tremper les pieds direct. Tu comprends ce que je veux dire ?

Viliam grimace à l’évocation du ‘’grand bain’’. Il est évident que même maintenant, la manière trop brusque dont tout c'était déroulé ne lui plaît pas plus qu’au mercenaire. Pour le reste, il ne peut s’empêcher un bref rictus d’amusement quant à la métaphore employée, même s’il prend le sujet tout à fait au sérieux.

-Hm…je comprends sans comprendre. Il penche un peu la tête sur le côté. Qu’est-ce qui t’effraie exactement ? Plus que quand tu sortais avec des femmes ?

Il n’y a pas de jugement dans sa façon de demander. Viliam cherche réellement à comprendre, puisque lui n’a pas vraiment vécu cette étape. Fantôme n’est pas un jeune homme sans aucune expérience, même si lesdites expériences ont été différentes. Là le bandit aurait compris le problème. Il a du mal à saisir ce qui gêne tant la chimère puisqu’il semble finalement avoir accepté d’être lui-même et qu'il n'y a plus vraiment de tabous entre eux, si un jour il y en a vraiment existé un...

-Ben... Déjà, de tout foirer... encore. Parce que je suis connu pour ça, c'est un peu ma spécialité. Répondit-il avec un rire jaune, comme s'il préférait s'en amuser mais que ce n'était qu'une facette. Et puis... Je peux pas nier tout ça... Que ça fait partie de moi. Pour autant, l'assumer, c'est autre chose. Assumer le regard des autres... Je vis entouré en grande partie d'hommes, et avec peu de complexes, comme t'a pu le voir. Dit-il en faisant référence à la tempête et à son absence de pudeur parfois. Même si je me sens pas tellement différent d'avant, ça changera tout quand même... C'est toute ma vie qui est bousculée alors que je la trouvais pas si mal jusque là.

Il étire un sourire forcé, entre ironie et angoisse tandis que ses yeux ne cherchent pas à esquiver ceux de Viliam. Il essaie de prendre soin de choisir ses mots parce qu'il ne veut pas que son compagnon croit qu'il veut revenir en arrière. Ce serait sacrément salop de sa part de lui avoir demandé le pardon et de l'avoir amené jusqu'ici pour en arriver là... Non, il exprime simplement ce qui lui trotte dans la tête depuis un bon moment déjà.

-Je suis partagé entre l'envie de me laisser aller -parce que je te jure que j'en ai envie...- et la peur de voir tout ce que j'ai construit s'écrouler, les Chimères -autrement dit ma famille- me regarder différemment, se tenir à distance, me rejeter... C'est tout ça que j'affronte à travers... nous. Finit-il par dire après avoir cherché ses mots l'espace d'un instant.

-Je pense que tu surestime l'importance que tout ça peut avoir pour les autres...Fit-il toujours doucement. A part quelques connards dont t'auras pas grand chose à foutre, la plupart des gens s'en tapent. Par contre. Il leva un doigt. Si je peux te donner un conseil, sépare ton boulot de ta vie sentimentale. Plus encore maintenant. Bon je suis un exemple un peu extrême mais j'ai toujours fait en sorte de ne jamais fréquenter mes hommes. Ils sont ma famille et je crèverais pour n'importe lequel d'entre eux sans hésiter. Mais jamais plus. Ren était certes une exception à cette règle, mais d’un autre côté, leur relation était née avant l’aile blanche, et tout était différent à l’époque. Des fois tu pourra pas te tenir éloigné des autres. Des fois t'es obligé de... j'en sais rien. Te changer avec eux par exemple. Si y a pas d'ambiguïtés y a pas de soucis. C'est pas parce que tu es d'un bord que le moindre type va soudain devenir ton intérêt. Comme j'imagine que n'importe qu'elle nana n'attirait pas spécialement ton attention. Peut-être qu'au début ça sera un peu bizarre mais je suis certain que tes camarades auront vite fait de passer à autre chose et de capter si tu appliques ça.

Il marqua une pause, baissa les yeux et la voix. Il y avait autre chose qui le tracassait lui aussi et c’était probablement le moment de mettre cela carte sur table.

-En revanche... pour ce qui est d'un nous... Il souffla. Je ne veux pas te causer de tort, Tom. Il chercha ses mots, ne voulant pas que cela soit pris comme une rupture avant l’heure. J’aime ce qui se passe entre nous et j’ai envie que ça continue pour voir où ça peut nous mener. Mais je reste...ça…Fit-il en tapotant la boucle à l’oiseau stylisé à demi cachée entre les plis de ses vêtements. ‘Faut que t’en soit conscient parce que je veux pas que ça te fasse du mal. Je sais à quel point les Chimères sont importantes pour toi. Que tu sorte avec un mec ça sera peut être pas là où ça va coincer...

Fantôme hoche la tête. Il n'est pas totalement convaincu par les paroles de Viliam concernant le point de vue que les autres ont de l'homosexualité mais cela lui donne de quoi réfléchir de manière un peu plus concrète. En découvrant que le mercenaire préfère les hommes, certains ne le verront pas différemment. D'autres auront besoin d'un peu de temps pour se faire à l'idée... Il y a quelques étroits d'esprit et des fervents néérites qui vont l'emmerder un peu plus par contre... Tant qu'il arrive à faire en sorte que ça déborde pas, cela devrait bien se passer. Mais, maintenant qu'il y pense, il ne sait pas s'il y a d'autres personnes comme lui chez les Chimères. Ils sont quelques centaines donc certainement... Beaucoup ne parlent pas de leur vie privée. Alors, s'il ne disait rien... Cela ne choquerait personne et lui permettrait de mener sa sphère personnelle comme il l'entend. Et le dernier point évoqué par son ami ne fait que confirmer cette possibilité.

-Parmi toutes les conneries que j'ai pas pu m'empêcher de faire... Il y en a quelques unes que je regrette. Quant aux autres, je me dis simplement que "c'est comme ça" et que je ne peux rien y changer. Mais même en sachant que ça peut être un gros point noir pour ma carrière... J'arrive même pas à voir ça comme une raison suffisante de faire marche arrière. De mon côté, s'ils apprennent que je suis avec un homme, il ne vaut mieux pas qu'ils découvrent avec qui. Et si ça arrive quand même... Il prend un instant pour réfléchir avant de finir sa phrase. Je sais même pas si je regretterai de pas avoir tout arrêté avant. Il marque une nouvelle pause, observant la terrasse d'un air songeur. Avec mon métier et mes... activités parallèles, j'ai côtoyé plein de gars. Il y avait certainement des homo dans le lot, maintenant que j'y pense. Et je le suis bourré en paquet de fois en leur compagnie sans que je leur témoigne le moindre intérêt. Mais je crois que si tout ça, ça arrive avec toi, c'est qu'il y a une bonne raison. Conclut-il en revenant vers son amant d'une nuit.

Quelques secondes seulement s'écoulent après qu'il ait finit avant que le serveur ne pointe de nouveau le bout de son nez. Il dépose devant eux leurs boissons ainsi qu'une planche sur laquelle on trouve de la charcuterie finement tranchée, deux fromages coupés en dés formant un joli mélange de couleurs, du raisin, quelques noix, des tartines de pain avec de la tapenade ou du caviar d'aubergine à disposition... Bref, un joli petit assortiment à déguster et à partager. Une fois qu'il a vidé son plateau, l'employé repart avec, souhaitant un bon appétit aux deux hommes dont il ne se soucie pas trop de la relation. Fantôme regarde leur table désormais bien chargée, haussant un sourcil appréciateur. Il prend finalement son verre, vient poser son bras libre sur la table -montrant sans le vouloir le bandage qui dépasse de sa manche-, et tend son bolet de cidre vers Viliam pour lui proposer de trinquer.

-A nous ? Fait-il comme pour lui demander confirmation qu'ils sont d'accord pour continuer malgré tout.

-A nous.

Viliam se mit à sourire en levant son verre et en rivant ses yeux dans ceux de son compagnon. A ce bref instant, il se sentit parfaitement serein, voire peut-être même…heureux. C'était agréable de croire à un avenir. Il serait certes sans aucun doute tumultueux, mais il était là, presque matérialisé par cette planche de victuailles et ses deux petits verre d'alcool. C'était déjà beaucoup pour le bandit habitué à la vie au jour le jour. C’était beaucoup de croire à ce ‘’nous’’. ça faisait du bien.

Soudain, après une gorgée d'alcool au goût acre, un éclair blanchâtre attira son regard. Il fronça les sourcils, reposant son verre pour mieux voir ce qui l'avait inquiété.

-Tu t'es blessé Tom?

Sans brusquerie, il tendit sa main pour se saisir du poignet de son interlocuteur. Il ne savait pas trop ce qu’il craignait de voir sous ce bandage, mais il avait légèrement plissé le regard.

Ce n'est pas sans un certain soulagement que Fantôme trinque avec Viliam. Il boit une gorgée, cherchant à le conserver dans son champ de vision, et ne le quitte pas davantage des yeux lorsqu'il pose son verre. Cependant, son sourire paisible et heureux s'efface lorsqu'il voit son compagnon pâlir.

-Quoi ?

A la question du bandit, il suit son regard et retrouve son bras bandé posé sur la table. Il devrait avoir du mal à l'oublier vu que la moindre ondulation du poignet le fait souffrir, et pourtant... Il a tellement de choses en tête que celle-ci en est sortie. Il laisse son ami le saisir et l'attirer à lui avec délicatesse. Ses joues tressautent un peu sous la douleur de micro mouvements engendrés par ce déplacement mais il ne s'y oppose pas, même s'il proteste doucement pour rassurer son amant.

-Je l'avais déjà hier, c'est rien. Bon, j'y suis allé vraiment fort donc ça va mettre quelques ennéades à complètement se remettre mais ça reste une simple entorse. Et puis, j'ai rien de mieux à faire en étant mis à pieds de toute façon. Plaisante-t-il un peu tristement. Puis il reprend avec un peu plus de sérieux. Je frappais dans un sac de sable et j'ai été déconcentré. Comme à chaque fois que j'essaie de faire quelque chose depuis une ennéade et demie...

Achevant sa phrase, il reprend son verre pour l'écarter un peu de son bras qui traverse désormais la table. Puis il relève les yeux vers Viliam avant de le baisser sur son bandage. Car il est en train de parler de lui... D'eux... De ces souvenirs qui sont revenus par bribes et qui l'ont perturbé tout ce temps. Djena n'a jamais eu peur qu'il se fasse du mal à lui-même. Seulement que son état psychique lui fasse commettre ce genre d'erreurs. Et encore, il aurait pu se faire bien pire.

-Ça allait un peu mieux aujourd'hui. La concentration. L'humeur aussi. Même si ça reste pas agréable de courir avec un poignet qui a doublé de volume. Plaisante-t-il de la même manière que tout à l'heure, comme s'il cherchait à dédramatiser tout en sachant que son ami n'est pas aussi crédule.

-Remarque c’est plus facile de courir avec un poignet pété que la jambe…Ne put s’empêcher de renchérir Viliam malgré l’inquiétude sincère que son visage affichait.

Il était troublé de savoir son compagnon affecté à ce point par leur relation. Ce n’était qu’une bête foulure qui guérirait relativement vite, mas tout de même, Viliam n’aimait pas ça.

-S’il te plait, fait attention à toi. demanda-t-il sans se rendre compte qu’il avait gardée et légèrement serrée la main du mercenaire dans la sienne. Djena est venue me voir, tu sais. Fit-il plus doucement. Elle m’a vite fait expliqué dans quel état t’était l’autre jour sans trop me donner de détails. J’avoue que j’ai eu peur de ce qu’elle voulait dire par…’’perdre pied’’… Un soupir et il riva à nouveau les yeux sur Fantôme, animé d’un sérieux nouveau. Quoi qu’il arrive, quoi qu’il _nous_ arrive plus tard Tom, promet moi de ne pas chercher à te faire du mal consciemment ou pas, quand ça ne va pas. Promet moi que ça ne se reproduira pas. Ça pouvait paraitre excessif comme réaction pour une foulure, mais quelque part Viliam s’en fichait tant qu’il avait la promesse de la Chimère. C’était trop important.

Fantôme pouffe de rire -un peu nerveusement- à la première réponse de Viliam. Sa main libre passe dans sa nuque, remonte l'arrière de son crâne et s'ébouriffe les cheveux avant qu'il ne se redresse pour retrouver le regard de son ami alors que celui-ci est des plus sérieux. Que Djenaba soit allée le voir, il le sait. En revanche, il ignore ce qu'elle lui a dit et il est un peu surpris d'apprendre qu'il s'est inquiété pour lui. Il était si en colère après lui... Il aurait eu le droit de s'en foutre totalement. Mais non.

-Je comprends que ce soit à ça que tu aies pensé... Commence-t-il en se remémorant le peu de choses qu'il sait sur son compagnon. Mais ça m'a jamais effleuré l'esprit. Pas à cause de ce qu'il s'est passé. Ni quand j'ai vécu dans la rue. Pas même quand ma mère est morte alors qu'elle était tout mon monde à l'époque. Et Djen le sait. Bon, je lui ai pas forcément dit comme ça mais elle me connaît assez pour savoir que j'aurais pas fait ça.

C'est la première depuis longtemps qu'il prononce ces mots... au sujet de sa mère. Les membres de son bataillon l'ont compris au fil du temps mais jamais il ne l'a dit aussi clairement. D'ailleurs, il ne parle jamais de sa famille. Ni de son enfance. En fait, c'est comme s'il n'y avait rien avant son passage par la rue et son adoption par les Chimères. Cela évite qu'on lui pose des questions...

-Elle avait surtout peur que ce soit pas contre un sac de sable que je me loupe...

Que ce soit en combat ou pendant l'un de ses exercices d'infiltration de haute voltige, tout aurait pu le tuer... Alors son inquiétude était plutôt légitime.

-Je devrais remercier le Commandant de m'avoir mis à pieds parce que j'arrivais pas à m'arrêter de moi-même. La seule chose dans laquelle je suis bon, c'est mon travail. Je pouvais pas admettre que j'arrivais plus à le faire, même si c'est que temporaire. Parce que je sais maintenant que c'est temporaire. Je voulais me convaincre que tout ça... Il bouge un peu sa main pour mieux prendre celle de Viliam. Cela le fait légèrement grimacer mais il s'en moque. ...que c'était pas vrai. Et je me suis tellement focalisé à essayer de nier l'évidence que j'étais plus bon à rien. Et... même maintenant... ça reste perturbant d'avoir ces images dans la tête, avec toujours cette incertitude que ça se soit bien passé et en même temps la conviction que c'était bien réel.

Il se pince les lèvres. Tout est perturbant pour lui. Le fait de se découvrir d'un autre bord, de l'accepter, de tenter de s'assumer tout en craignant les réactions de son entourage proche, sans parler du fait que tout ne repose que sur des souvenirs d'une soirée trop arrosée... Et puis, il y a toujours de risque de perdre celui pour qui il fait tout ça... Par sa propre bêtise notamment. Il est naturel de douter que tout cela existe bel et bien mais, alors qu'il sent les doigts chauds de Viliam qui entourent les siens rendus froids par l'inactivité et l'hématome, c'est dans son cœur que né la chaleur. De quoi rendre tout cela encore un peu plus tangible.

-Quand je me suis tordu le poignet... C'était la première que je me souvenais de nous... en pleine action. Je crois me rappeler de ma propre voix mais je t'avoue que j'ai du mal à la reconnaître. Confie-t-il à la fois amusé et gêné. Pourtant, c'était loin d'être sa première fois mais celle-ci... est très différente des autres à tout point de vue.