[Sable des vents] Tu me dois toujours un verre | Viliam & Fantôme

Milieu de la troisième ennéade
Hiver, Verimios 19:XI

Il faisait un de ces vents... Fantôme ne se souvenait pas d'en avoir déjà connu un aussi fort. Il s'est fait surprendre en sortant d'une taverne où il a fini par s'endormir sur une table, ivre. Le tavernier étant assez sympathique et connaissant la Chimère, il l'a laissé là mais le bruit des volets maltraités a fini par le réveiller au petit jour. La tête lourd, l’œil hagard, le pas chancelant, il a choisi de partir malgré les protestations du tenancier et il a filé dans la rue. Et maintenant qu'il y est, il regrette d'avoir pris cette décision...
Les allées sont vides. Les paniers et détritus restés dehors s'envolent comme un rien. Il marche, le col de sa veste de cuir relevé au maximum pour essayer de se protéger les yeux. Les bourrasques soulèvent tout le sable et la poussière qui brouillent son champ de vision.

-Quelle merde...

Alors qu'il progresse comme il le peut, il distingue une forme en mouvement qui s'approche de lui sur le côté. Il a à peine de temps de tourner la tête pour voir un tonneau vide emporté par les vents qui vient de percuter. Il l'emporte avec lui contre une porte qui s'ouvre à grands bruits, le projetant sur le sol, au milieu de chaises et de tables qui se renversent sur son passage, tandis que le baril se fracasse contre les montants de l'ouverture. Fantôme atterrit douloureusement. Maintenant, en plus de la gueule de bois, il a mal partout et est à moitié sonné...

-On est fermés…

C’est une petite femme qui accueille l’étranger, poings sur les hanches. Son petit visage encadré de mèches blondes mi-longues se retrousse dans une moue étonnée. Elle tient un balais dans une main. Sa tenue laisse plus penser à une gosse des rues qu’une tavernière en revanche.

La salle derrière elle semble vide de toute vie, à une silhouette près, un grand homme aux cheveux noirs, visiblement endormit sur place. Ses bottes sont tranquillement posées sur la table tandis qu’il a croisé les bras sur son torse.

-Clarisse…Marmonna alors l’individu d’abord sans relever le menton. C'est quoi ce bordel ? Le jour est déjà levé…?

Et comme elle ne répondait pas pour aider le nouveau venu à se relever, il ouvrit les yeux qui affichèrent rapidement leur surprise devant la scène. Il sembla se réveiller instantanément.

-Tient, ça alors.

Se relevant, il n’eut que le réflexe de renouer son foulard avant de s’approcher de ce gars qu’il avait dérangé quelques énnéades en arrière. Qu’est-ce qu’il foutait là ?

-Tu le connais ?

Mine de rien, la femme referma à la va vite derrière eux, calfeutrant rapidement la porte pour empêcher le vent de trop pénétrer la grande pièce.

-ça dépend. Il s’adressa directement au concerné. Fantôme…je crois ?

L'accueil n'est pas des plus chaleureux, que ce soit de la part du sol ou de celle qui s'evertuait à le balayer. Mais Fantôme ne dit rien. En fait, il est un peu dans les choux pour être capable de répondre quoi que ce soit. Il secoue la tête pour essayer de se remettre les idées en place mais c'est pire qu'avant... Mauvaise idée. Il prend appui comme il peut pour essayer de se redresser. Il a percuté la pointe du dossier d'une caisse derrière son épaule alors, assis, il masse la zone endolorie. Et puis, finalement, une main secourable vient l'aider à se mettre debout.
À peine est-il sur ses pieds qu'un homme approche. A la façon dont il commence à l'interpeller, le mercenaire se dit qu'il a dû reconnaître l'insigne de la Chimère sur sa spallière. Sauf qu'il est sorti en civil... Donc ce n'est pas ça. Finalement, il l'appelle par son pseudonyme et il se redresse pour l'observer, plissant les yeux, fouillant manifestement dans sa mémoire tout en se frottant la cuisse qui a frappé une table pendant sa chute.

-Ouais... Confirme-t-il d'un air encore égaré. Rappelle-moi ?...

Non, il a beau chercher, ce visage lui dit quelque chose mais il ne sait plus quoi. La chute et la gueule de bois n'aident pas non plus...
Regardant autour de lui, il constate le bazar qu'il a mis mais, heureusement, il n'a rien cassé. Manquerait plus qu'il se fasse une nouvelle dette quelque part... Il glisse son pied sous le dossier de la chasse qu'il a entraîné avec lui puis, d'un geste vif, il la remet debout, l'attrapant au vol pour la remettre en place. Puis il a un regard pour la fameuse Clarisse.

-Désolé. D'habitude, je frappe avant d'entrer. Dit-il sur le ton de l'humour alors que des éclats de bois du tonneau jonchent partiellement le sol près de l'entrée.

-Ah c'est peut être mieux que tu me remette pas vu la sale gueule que je devais tirer. Viliam se mit à rire. Je m'apelle Viliam. On s'est croisé y a quelques temps chez Sam.

Il allait ajouter quelque chose, animé d'une certaine nonchalance quand une rafale de vent sembla secouer jusqu'aux fondations de l'établissement.Les volets claquèrent, le gros chandelier se balança en grinçant un peu. Quelques grains de sable se permirent même le luxe de s'infiltrer entre les jours des fenêtres.

-Nééra nous garde, y a un dragon dehors ou quoi ?

Le bandit interrompis ses gestes et lança un regard vers l'extérieur. Clarisse haussa les épaules et vint se percher sur le bar, les jambes balançant dans le vide. Elle fixait l'inconnu en mâchonnant quelque chose qu'elle venait de chiper derrière le comptoir.  

-Où sont les autres ? Redemanda Viliam.
-'Sais pas. P'ti pied est en haut. Il veut pas sortir.
-Ah...
-Les autres viendront probablement pas avec ce vent.
-...
-On va probablement être coincés ici le temps que la tempête passe.
-Fait chier.

Viliam grogna pour la forme, et se retourna vers le nouveau venu qui était toujours planté là parmi les chaises.

-T'as l'air d'avoir passé une sale nuit et je crois que c'est pas finit. Vu que t'as atterrit ici, tu devrait peut être attendre l’accalmie avant de repartir. ça va bien s’arrêter d'ici une heure ou deux...

À l'évocation de la taverne qu'il connaît bien, Fantôme semble se souvenir. Il s'apprête àse remémorer à haute voix du coup de la rapière et de la bière sur ses pompes quand le vent les interrompt, l'un comme l'autre... C'est une véritable tempête qui souffle dehors et, vu ce qu'il vient de se passer, il n'est pas très enclin à retenter une sortie pour le moment. D'ailleurs, Viliam lui propose justement de rester et il ne va certainement pas refuser.

-Ça me va. Répond-il en se massant de nouveau l'épaule, geste qui résume assez bien les raisons de son choix.

Il va avoir un sacré bleu...
Lui aussi a une pensée pour ses compagnons qui doivent se demander où il se trouve. Bon, ce n'est pas la première fois qu'il découche et, vu le temps, ils le traiteraient d'inconscient s'il se pointait maintenant à leur base. Alors quitte à se faire engueuler, autant qu'il ne risque pas sa peau au passage.
Il vient ensuite s'appuyer contre le bar, histoire de se poser un peu.

-Je te rappellerai bien que tu me dois toujours un verre mais... Commence-t-il de manière à lui faire savoir qu'il se souvient parfaitement de leur rencontre. Dans mon état ça serait pas raisonnable et puis le bar est fermé.

Il pose brièvement son regard sur la fille, obligé de lever les yeux pour trouver les siens vu comment elle s'est installée. Il étire un sourire malicieux en coin. Il la taquine juste un peu après son accueil assez surprenant, presque blasé. D'ailleurs, y'en a pas un qui se soit inquiété de savoir s'il c'était fait mal... Il a eu de la chance que les éclats de bois ne viennent pas jusqu'à lui.

-Vous auriez pas un truc contre la gueule de bois des fois ? J'ai sacrément forcé hier soir...

Assez pour que la tempête ne le réveille pas jusqu'à ce qu'elle batte son plein alors qu'il était juste affalé sur une table de la taverne... Sans ce vent, il dormirait peut-être encore !

-On est dans une taverne. Évidemment qu’on à ça.

Viliam disparut un instant derrière le comptoir et lorsqu’il se releva, il tendit une boite contenant quelques feuilles à l’apparence tout à fait banales. Relativement chères cependant, il n’y avait qu’une petite poignée de feuilles d'ichtiria safranée. Amère , la plante qu'on nommait aussi ''feuille de biture'' était reconnue pour soulager les effets des nuits un peu trop alcoolisées.

-Sert toi. Je te prévient c’est dégueulasse mais ça devrait t’aider un peu en les mâchant.

Et ensuite il s’appuya en face de lui, n’ayant aucun scrupule à se servir lui-même un verre d’une bouteille non loin. Après tout, quitte à être coincés dans ce trou pendant des heures, autant passer le temps d’une manière ou d’une autre…

-ça ira le bras ? Demanda-t-il une minute ou deux plus tard, en jouant mine de rien avec son verre. T’as l’air d’avoir pris un mauvais coup, faudrait pas que ça s’aggrave.

Ils n’étaient pas une infirmerie, mais Fantôme se rendrait bien vite compte que l’établissement était un véritable lieu de vie, avec tout ce qu’il fallait pour se soigner et se remettre des aléas des rues de Thaar. Quand au tenancier de l’établissement, il n'était nul part actuellement.

Fantôme prélève une feuille de la boîte et l'examine sous tous les angles, y compris à l'odeur. Il connaît pas mal de remède de grand-mère mais pas celui-là. Finalement, il la met à la bouche et grimace quelques secondes plus tard, allant même jusqu'à tousser tandis que le goût se propage sur sa langue.

-Ah ouais... ça peut réveiller un mort c'truc-là, non ?

Il en rit en même temps qu'il se force à continuer car il en ressent déjà les effets. Sa tête devient déjà plus légère et compresse moins son cerveau. C'est vraiment miraculeux. Dommage que ce soit aussi dégueulasse...

-Y'a de quoi te dégoûter de prendre une cuite. Renchérit-il sur le ton de la dérision.

Ce n'est pas la première fois qu'il se saoule à ce point et on lui en a souvent fait le reproche. Mais s'il devait avaler ça à chaque fois, il y réfléchirait à deux fois... Ou pas cela dit. Sur ce sujet, il est imprévisible, même pour lui.
Finalement, Viliam s'intéresse à son épaule et Fantôme est brièvement interloqué. Il a lu dans ses pensées ou quoi ? Puis il tourne brièvement son regard vers la zone concernée par la discussion avant de revenir sur son interlocuteur dont il n'est séparé que par quelques centimètres au final, puisque tous deux sont posés dessus.

-Ouais, ça devrait aller. Je vais avoir un sacré hématome et mes camarades vont se faire une joie de me donner l'accolade dessus pour se foutre de moi mais je survivrai.

Il jette ensuite un rapide regard sur la taverne. Il ne se souvient pas être déjà venu ici. En même temps, il s'est peut-être trompé à un embranchement en déambulant dans l'espèce de nuage de sable et de poussière qui encombre les rues actuellement.

-C'est chez vous ici ? Je veux pas paraître indiscret mais vous avez pas vraiment la tête de tenanciers... Et ça serait bizarre d'aller chez la concurrence quand on a une taverne, non ? Conclut-il en faisant référence à la visite de Viliam chez Sam.

Si Viliam avait d'abord discrètement rit à la vive réaction de l'homme en mâchonnant les feuilles de biture, il camoufla soudain sa grimace derrière son verre à sa dernière question. Ses yeux sombres pétillaient pourtant encore d'un franc amusement. En même temps il n'avait rien fait pour se cacher un minimum...Fantôme ne savait de toute façon rien qui pourrait le pousser à en parler au guet et celui-ci n'avait pas de raison de venir foutre le bordel alors ça devrait aller...

-Disons que le patron est une...bonne connaissance.

Clarisse ne s’empêcha pas un haussement d'yeux elle aussi à mi chemin entre réprobation et amusement. Elle n'ajouta rien cependant, préférant écouter toujours tranquillement perché sur le bar.

-Et puis ça fait du bien parfois d'aller voir ailleurs. Il haussa les épaules. Tu sais, prendre l'air quoi...

Fantôme ne prend pas ombrage du rire de Viliam. Il sait très bien de quoi il devait avoir l'air en mâchonnant ce truc et il en aurait probablement rit aussi si la situation avait été inversée. Et puis, il en a plaisanté lui-même après tout. Il achève de manger cette feuille tout en écoutant les explications un peu vagues de son interlocuteur. Dans son monde, même si tous les membres de sa compagnie se font confiance, chacun a ses secrets alors il ne va pas chercher à dénicher ceux de ce groupe. Cela ne le regarde pas après tout.

-Je vois très bien. J'aurais sans doute eu moins de problèmes si j'avais passé la soirée au quartier général mais je me serais moins amusé aussi. Alors, l'un dans l'autre...

Bon, il ne se souvient pas de toute sa soirée et la moitié de ses souvenirs sont flous mais, vu qu'on ne l'a pas mis dehors, ça n'a pas dû trop mal se passer. Et puis, il n'avait pas de raison de se prendre un biture par tristesse, il n'a pas plus d'emmerdes que d'habitude en ce moment. Les histoires de cœur, il a arrêté. Et les histoires de fesses, c'est pas son truc. A croire qu'il n'a pas beaucoup d'intérêts pour la chose en fait.

-Mais t'as pas vraiment eu le temps de profiter ce soir-là.

-Mouais si tu veut mon avis y avait pas grande chance que je profite de quoi que ce soit...

Le bandit se mit à jouer avec son verre désormais vide, l'air peu convaincu. Peut être qu'elle se sentit soudain de trop, ou qu'elle n'avait pas envie de les écouter, ou peu importe ce qui lui passa par la tête, Clarisse sauta soudain de son perchoir, rejoignant les escalier au fond de la salle.

Je vais voir si Pti pied va mieux. Par pitié Vil ne t'empêtre pas dans d'autres plan foireux d'ici là. Fit elle en lui adressant un dernier clin d’œil avant de disparaitre.

Viliam l'observa monter à l'étage, silencieux, avant de retrouver son interlocuteur.

-Qu'est-ce que je disais déjà? Ah oui... Chez Sam... Honnêtement picoler seul c'est pas mon truc. Et je crois que cette fameuse soirée n'a fait que confirmer ça. Déjà me battre contre des types aussi lourds, je passerais bien alors avec un coup dans le nez...

Il haussa les épaules et eut l'air d'hésiter entre ajouter quelque chose ou changer de sujet. A la place, un nouveau sifflement dans l’interstice d'une fenêtre lui fit tourner la tête et se redresser. Dehors une silhouette passa à toute vitesse, cherchant probablement un abris contre une nouvelle rafale de vents et de sable.

-Hé beh...ça à pas l'air de vouloir se calmer cette histoire... T'as vraiment pas de chance pour avoir atterrit ici plutôt que là où tu vis. Faudrait pas que tes amis pensent qu'il t'es arrivé quelque chose.

-Y'a rien de drôle à boire seul, sauf quand on veut juste s'enfoncer un peu plus dans son trou. Dit-il comme s'il savait pertinemment de quoi il parlait, par expérience personnelle.

Quand on se sent mal, il est fréquent de vouloir s'isoler pour en "profiter" sans que personne ne vienne nous déranger. Comme si le mal-être appelait le mal-être et que cela ne se partageait pas. D'ailleurs, pour sortir de son marasme, il n'y a rien de mieux que le réconfort d'un groupe pour nous changer les idées.

-Et si ton but ce jour-là c'était de changer d'air, t'as rien trouvé de ce que tu cherchais.

Fantôme se tourne lui aussi vers la fenêtre d'où provient le bruit. C'est à croire que le vent va finir par faire s'envoler les murs tant il souffle fort. Et il ne semble pas vouloir baisser en intensité pour le moment.

-T'inquiète, ils ont l'habitude que je découche. Et, vu le temps, ils préfèrent sûrement que je reste où je suis plutôt que d'affronter la tempête comme je l'ai tenté tout à l'heure. Maintenant que j'ai l'esprit plus clair, je me rends compte de ma connerie. Et pas seulement parce que j'ai gagné deux bleus en chemin.

Il rit doucement avant de se redresser, finalement ragaillardi par les effets de la plante, tambourinant quelques notes aléatoires sur la surface du bar au passage.

-Bon, puisque apparemment je suis là pour un moment, y'a rien pour s'occuper ? Une cible ? Des cartes ?

-Y a des fléchettes au fond. Viliam répond avec amusement. Tu veux parier ?

Seulement, ils ont beau s'occuper quelques temps, l'esprit du bandit n'est pas tout à fait au jeu et il laisse l'autre gagner sans trop s'en rendre compte. Et c'est la même chose pour les quelques parties suivantes. Le vent ne cesse toujours pas même après plusieurs heures et il n'a évidemment aucune nouvelle de ses compagnons. Ça l'inquiète.

Clarisse a bien tenté de sortir à un moment mais bien vite elle a abandonné vu la violence du vent ensablé qui lui écorchait le visage. Alors elle est restée en compagnie d'un jeune garçon qui avait fini par pointer son nez en haut des escaliers. Ce dernier probablement timide était aussitôt remonté en apercevant l'inconnu auquel Viliam tenait compagnie. En bref, ils étaient tout les quatre bloqués dans le bâtiment...

Et puis Fantôme est peut être sympathique pour le moment mais il ne le connait pas et il y a pas mal de secret au sein de l'établissement qu'il ne souhaite pas spécialement voir tomber dans les mauvaises oreilles...

L'obscurité commence a peine à tomber que le bandit s'assure que des chandelles et autres lumières brillent dans la grande salle. Il semble chasser la moindre obscurité avec ferveur. Ensuite il prend deux verres , une bouteille , un morceau de pain épais et s'installe à côté de Fantôme au milieu de la salle désespérément vide. Il y a un côté un peu effrayant à regarder l'endroit sans autre vie que les deux hommes et le chandelier qui oscille sous les assauts de la tempête dehors.

-Bon ben je vais finir par te le payer ce verre je crois bien. Soupire Viliam avec tout de même une certaine légèreté dans la voix. J'espère que tu t'es remi de ta cuite de ce matin.

Il est soucieux et ça se perçoit aisément, mais il met ça de côté pour l'instant. A pars prier néera il ne peut pas y faire grand chose et doit faire confiance aux siens pour se débrouiller. Il n'a pas non plus spécialement envie de boire à bien y réfléchir mais il faut bien passer le temps et il ne va pas fixer Fantôme jusqu'à la fin des temps..

Assis sur une chaise, Fantôme regarde un volet toujours aussi malmené par le vent à l'extérieur. Les mains dans les poches, les jambes tendues croisées devant lui, il commence à trouver le temps long. Même lui a fini par se lasser des fléchettes et des paris. De toute façon, il n'y avait pas vraiment de concurrence vu la tête que tirait son adversaire. Il n'y avait donc rien de drôle.
Il se tourne vers Viliam au son des verres qui s'entrechoquent.

-À la bonne heure. Répond-il à son invitation.

Il se redresse et retire ses pieds pour lui permettre de s'installer face à lui. Il n'y a qu'eux. Clarisse ne semble pas vouloir de leur compagnie. Pas plus que le gosse qui l'a dévisagé d'une façon qu'il ne connaît que trop bien. Mais il n'a pas eu l'occasion de le rassurer à son sujet qu'il s'est presque enfui.
Lorsqu'il est servi, il lève son verre pour trinquer avec son ami du jour.

-Tes compagnons ne sont pas très conviviaux. Dit-il sans reproche dans la voix mais plutôt comme une simple remarque. On n'est pas très bavard sur notre passé chez les Chimères mais on est plutôt bons vivants. Enfin.. La plupart en tout cas.

Il étire un sourire amusé en pensant à certains de ses camarades tandis qu'il porte son verre à ses lèvres. Depuis son arrivée, ils n'ont rien partagé l'un de l'autre. Ils ne se posent aucune question, par respect de l'intimité de l'autre. Mais après des heures passées ensemble, et au vu du vent qui ne semble pas vouloir se calmer, il se dit qu'il ne leur reste pas grand chose d'autre pour passer le temps... Et puis, il y a un certain nombre de choses qu'il peut partager sans aborder les sujets qui le touchent de trop près. Il s'imagine bien qu'il n'inspire sans doute pas confiance aux comparses de Viliam mais il ne conçoit pas que cela les empêche de s'occuper ensemble, à défaut de pouvoir être avec leurs amis habituels. Alors il choisit de faire le premier pas en livrant davantage que son pseudonyme à Viliam.
Les Chimères sont connues non seulement pour être l'une des compagnies de mercenaires les plus grandes mais aussi pour leurs valeurs qui font d'eux un seul corps d'hommes et de femmes honnêtes, presque aussi valeureux que des chevaliers de Péninsule, si on croit à ce que l'on raconte sur ces derniers. Cette information peut être une bonne nouvelle pour Viliam, comme une mauvaise. Aussi, sans en avoir l'air, Fantôme observe la réaction de son interlocuteur à l'écoute de ce nom. Il ne cherche pas à le piéger, il s'inquiète juste de savoir si cela va poser un problème ou non, alors qu'il va sans doute devoir passer la nuit là.

-Une chimère…wouaw. Si j’avais su j’aurais sorti le grand jeu…

Visiblement intéressé par le sujet, Viliam se redresse un peu, à l’écoute. Un sourire plus sincère se dessine sur son visage. Il connaît ce nom. Les chimères… Ce sont certes des mercenaires mais on dit d’eux qu’ils sont droits et valeureux, presque comme les chevaliers en armure rutilantes de la lointaine Péninsule. Une autre légende à propos d’hommes à la conduite irréprochable, guidés par Nééra et ses préceptes seulement. D’un côté, le bandit à toujours pensé qu’il ne s’agissait que d’un mythe joliment romancé, bien embellit par rapport à la réalité. Mais de l’autre, même si ce mythe n’existe pas vraiment, il en reste une forme d’espoir puisqu’ils existent bel et bien et c’est typiquement ce genre d’espoir qui l’ont maintenu en vie des années durant…

-Tu devrais dire ça à Egar, ça le rassurerait certainement. Il ajoute gentiment. C'est le garçon que tu as vu dans l’escalier. Ne lui en veut pas de sa réaction un peu froide. Quelques ennéades en arrière il aurait été battu pour t’avoir fixé aussi longtemps. Évidemment ce n'est plus le cas aujourd'hui mais il peine à s’habituer à la vie qu’on lui donne ici. D’ailleurs, tu serais surement une sorte de héro à ses yeux s’il savait ce que t’était. Un homme libre qui se bat pour quelque chose de plus grand que lui…

L’espace d’une gorgée, le chef de l’Aile blanche en vient à se demander comment il réagirait, le mercenaire en apprenant qu’il tape tranquillement la causette avec un hors la lois doublé d’un fuyard et dont les autorités se plaisent à déformer les crimes qu’il a pu commettre. Pour beaucoup de ce genre de grandes gens, il ne doit pas valoir mieux que les coupes jarrets assoiffés de sang qui trainent un peu partout…

-Enfin bref ce n’est pas le propos. Viliam enchaine, et au fur et à mesure son sourire joueur réapparait et remplace sa moue désabusée. Il parait que vous êtes un peu comme une sorte d’armée non ? Aurait-je l’honneur de me tenir non pas devant une simple chimère mais un gradé en plus de ça ?

Et au final derrière l’humour, il y a une question sincère. Son interlocuteur l’intéresse et maintenant qu’ils ont brisé la glace, ce n’est pas comme s’ils avaient mieux à faire que d’apprendre à se connaitre. Et puis peut être que la vision du monde de celui là n’entrerait pas trop en conflit avec la sienne, savait-on jamais...

A la réaction de son compagnon d'infortune, Fantôme comprend qu'il va passer une bonne soirée, sans avoir besoin de guetter ses arrières. S'il avait fait face à quelqu'un qui en veut aux Chimères, il en aurait certainement moins bien profité... La majeure partie du temps, il n'a pas besoin de cacher ce qu'il est, cela joue plutôt en sa faveur, mais ce n'est pas toujours le cas. Parfois, il tombe face à de malhonnêtes gens ou des adversaires peu fair-play... Et cela peut lui jouer des tours.
Le mercenaire tourne son regard vers l'escalier où a disparu le garçon.

-Je vois tout à fait de quoi tu parles. Il y a quelques années, notre Capitaine a recueilli un gamin aussi. Ses parents étaient bourrés du matin au soir et ils le maltraitaient au point qu'il en est défiguré. Tout ça pour arriver à faire sortir un mot de sa bouche.

Si le message n'est pas assez clair, Fantôme fera quelques gestes avec ses mains que Viliam pourra identifier comme du langage des signes, à défaut de comprendre ce que cela signifie. Puis il reprend son verre et avale une nouvelle gorgée, essayant d'oublier les souvenirs qui lui reviennent soudain... Des bêtises qu'il a commis et qui ont mis ce garçon -devenu adolescent- en danger. Bêtises dont il ne peut pas s'empêcher de faire... Alors il s'évertue maintenant à s'y enfoncer seul.

-Je suis désolé de te décevoir. Répond le mercenaire à la dernière question de son hôte, aussi amusé et joueur que lui. Je suis en bas de l'échelle. Et mon ancienneté ne me donne pas plus d'autorité vu que je ne l'ai pas mérité. Mais, petit indice, mon poste a un rapport avec mon nom.

Il hausse brièvement les sourcils dans une attitude qui se veut mystérieuse alors qu'il lui pose plus ou moins une devinette. Enfin, elle est facile il faut dire... Il a choisi son pseudonyme en rapport avec ses talents. Ceux qu'il savait posséder mais qu'il a longuement travaillé afin de les parfaire au point de se montrer plutôt doué. Il y a meilleur que lui, évidemment mais il est très compétent et reconnu pour cela. A défaut d'être respecté sur d'autres aspects...

-Tu peux le dire à tes amis, ça me dérange pas. Si ça peut mettre un sourire sur le visage de Clarisse et rassurer Egar... Je suis ravi de vous compter parmi nos admirateurs.

-Tu es du genre discret j’imagine.

Le bandit joue son jeu avec un mélange d’amusement et d’admiration sincère. Faire partie d’un groupe aussi mythique, même en bas de l’échelle, ce n’était pas rien. Il se demande quel genre de mission on lui propose d’accomplir tient.

-Tu devrais peut-être le lui dire toi-même. Enchaine-t-il cependant son regard soudain attiré par un mouvement dans l’escalier.

Le garçon a pris son temps, mais il est revenu. Il est assis tout en haut, ramenant ses genoux sous son menton, fixant avec anxiété ce qui se passait en bas. En se rendant compte qu’il est découvert, il fait mine de disparaitre a nouveau mais Viliam lui fait un geste et l’invite avec douceur à descendre.

-Vient, tu n’as rien à craindre je te le promets.

Le petit garçon hésite dans un premier temps, puis voyant que le bandit sourit tranquillement, il se déplie et finit par s’approcher timidement.

-Il va pas t’emmener hein dit ? T’as rien fait de mal. Moi je te défendrais si il faut.

Viliam lui ébouriffe gentiment les cheveux avant de lui tendre un morceau de pain que l’enfant serre précieusement contre lui.

-Mais non voyons. Personne ne viendra jamais ici pour nous embêter.
-Et où ils sont les autres ?
-Je ne sais pas pti pied… Ils sont probablement cachés à l’abris du vent, en sécurité. Tient regarde comme notre nouvel ami. Il s’appelle Fantôme. C'est une Chimère !

Le garçon ouvre grand ses yeux, impressionné par cette révélation. Viliam lui jette aussi un nouveau coup d’œil .Il sait que leur comportement à tous posera certainement pas mal de questions à la Chimère et il est désolé pour lui si les réponses à ces questions probables lui déplaisent. Alors, laissant le garçon grimper sur une chaise et les observer avec de grands yeux ronds, Viliam soupire, décidant de jouer franc jeu. Lui l’a fait en étant bloqué dans un établissement inconnu. Viliam est chez lui, il le lui doit bien.

-Je sais pas trop comment les Chimère se placent à propos de tout ça et tu m’en vois désolé si ça te porte préjudice Fantôme, mais vu que t’es bloqué ici faut quand même que tu sache qu’on n’est pas tous en très bon terme avec les autorités. Une hésitation avant qu’il n’avoue. Moi le premier en fait. Je connais quelques soldats du guet qui échangerait probablement leur solde du mois pour me mettre la main dessus…

Il ne l’avait peut-être pas choisi au départ, mais il a pleinement embrassé la vie de hors la loi qu’il mêne  à présent et le but qu’il poursuit lui parait suffisamment louable pour ne pas en avoir honte. De toute façon, ça ne changera pas les choses. Il espére juste que le mercenaire comprenne qu’ils ne sont pas des monstres et qu’être fugitif ou non ne change rien à la manière dont il s’est comporté jusqu’à présent. Le souci étant que si l’idée lui est insupportable, il ne pourra pas s’en aller pour autant.

-Mais on est des gentils. Ose ajouter Egar avec une assurance surprenante. Un jour on sauvera Thaar.

-Disons qu’on est des gentils avec des méthodes qui plaisent pas trop aux un peu moins gentil…

La réponse de Viliam est un peu facile. Ce n'est pas un poste qu'il nomme mais simplement une particularité. Oui, c'est le furtif du groupe mais il pourrait faire tout est n'importe quoi si on le définit de cette façon.

-C'est une façon de le dire, oui. Rétorque-t-il d'un ton léger.

Fantôme se retourne rapidement alors que son interlocuteur s'adresse au garçon, revenu les observer du haut de l'escalier. Il doit avouer qu'il l'a assez surpris sur ce coup-là. Il n'était certes pas à l'affût et le vent couvre le son de ses pas mais force est de reconnaître que le petit sait y faire. Il le regarde descendre et même les rejoindre puis il fronce légèrement les sourcils en les écoutant parler. Emmener Viliam ? Le mercenaire comprend -avant même que son compagnon d'infortune ne le dise- qu'il est face à un hors-la-loi. Mais quels genres de déboires a-t-il vraiment avec les autorités ? Il n'a pas eu l'impression d'avoir affaire à des bandits de grand chemin. Ils ne lui auraient pas offert l'hospitalité aussi gracieusement et ils ne seraient pas aussi soudés entre eux au point de s'inquiéter pour les absents et de braver les éléments pour aller quérir de leurs nouvelles. Non, il fait face à des gens très différents, mais à quel point ? Et en quoi ?
Il écoute les deux clandestins, ayant du mal à comprendre où ils veulent en venir exactement. Il finit même pas hausser les sourcils devant le grand projet qu'ils ont de "sauveur Thaar", répétant les mots de l'enfant avec étonnement, incrédulité et scepticisme. Mais tout ça reste très vague et il ne voit pas le bout des explications qui lui sont donnés.

-Sans être du Guet, je me suis engagé à respecter certaines valeurs. On ne respecte pas aveuglément la loi quand elle nous semble injuste mais il nous faut de sacrées justifications pour ça.

Il a une pensée pour son ami Eöl et le groupe de mages qu'il aide régulièrement. En soi, ils ne font rien de mal mais le fait d'agir dans l'ombre rend nécessairement leurs activités suspectes, les rendant déplaisantes aux yeux des autorités locales. Et qui dit déplaisantes dit indésirables, et donc condamnables. Cependant, l'organisation à laquelle appartient son compagnon agit pour une noble cause donc il ne contrevient pas à leur code d'honneur. En ce qui concerne Viliam, Fantôme serait bien incapable d'en décider en l'état actuel des choses.
Il croise les bras, toisant l'homme avec sérieux, cherchant visiblement à comprendre à qui il a affaire.

-Alors vous faites quoi, exactement ?

-Disons qu'on fait ce qu’on peut pour que des cas comme ton ami et celui d’Egar ne recommencent plus…

Viliam se balance un peu sur sa chaise toujours avec une certaine nonchalance malgré le sujet qui s'alourdit. Il ne s’attendait pas forcément à devoir aborder de tels sujets mais il ne peut pas les occulter. Quitte à rendre la soirée moins agréable, voir à se faire un ennemi de son interlocuteur pourtant sympathique a première vue, il y a des choses sur lesquelles il ne reviendra pas. Assumer sa façon de penser en premier.

-En fait, tu dit que vous ne suivez pas la loi quand elle vous semble injuste…Un rictus un peu amère plisse le coin de ses lèvres. On est pas mal à la trouver injuste en permanence. La loi tu la fait avec l’argent. Si t’es riche, tu peux faire toute les saloperies que tu veux, par contre si t’as pas un rond…

Au lieu de finir sa phrase il leva théâtralement son verre et en termina le contenu. Si Fantôme avait mis ne serait-ce qu’un pied au dehors, il savait parfaitement à quoi ressemblait le sort des petites gens du monde vaani. En tout cas à son attitude et à la lueur d'indignation au fond de son regard, il est facile de voir que Viliam sait parfaitement de quoi il parle.

-Il faut que ça change. Ça doit changer et ça va changer. Viliam détache la boucle à l’effigie d’une colombe stylisée à son col et la pose sur la table. Si la loi était juste, ce sont les princes qui risqueraient la corde plutôt que le pauvre gosse qui vole pour manger et survivre jusqu’au lendemain. C’est ça que fait l’Aile blanche. On se bat pour créer un mieux.

Et tant pis pour ceux que cela dérangeait. Tant pis pour les lois qui justifiaient des absurdités.

La première réponse de Viliam lui convient assez, bien qu'il trouve la suite assez utopique. Comment un petit groupe seul pourrait changer toute une société qui fonctionne ainsi depuis des lustres ? A son niveau, la compagnie des Chimères ne peut pas faire grand chose alors qu'ils sont quelques centaines. Alors une poignée d'hommes... Cependant, quoi qu'il en pense, il laisse son interlocuteur continuer sans l'interrompe, ne serait-ce que par respect mais aussi pour avoir un maximum d'information. Et quand la colombe est posée sur la table, Fantôme décroise ses bras, passe une main sur son visage et ébouriffe ses cheveux. Puis il noue ses doigts sur son crâne et soupire alors qu'il a compris qui il avait en face de lui avant même que le nom de l'Aile Blanche ne soit évoqué.
A peine Viliam a-t-il terminé que le mercenaire se redresse, venant poser ses coudes sur la table. Son index pointe la surface du plan de bois, juste à côté de l'insigne représentant la cause que son interlocuteur défend.

-T'as conscience que pas mal des clients des Chimères sont précisément ceux qui veulent ta tête ?

Parmi les renforts aux forces armées, comme à Naelis, et les escortes de riches et de marchands, il y a aussi la protection des biens et des bâtiments. Alors, bien sûr, ils ne travaillent pas pour n'importe qui. Bon nombre des compagnons de Fantôme étant des anciens esclaves, jamais ils n'auraient l'idée d'accepter un contrat avec ceux qui en font le commerce. Et ce n'est qu'un exemple par d'autres. Pour autant, nombre des cibles de l'Aile Blanche sont aussi des gens respectables dont la seule tare à leurs yeux est d'être fortuné. Alors oui, les objectifs des Chimères sont parfois à l'opposé de ceux de Viliam et de ses comparses et cela ne plonge dans une certaine incompréhension.

-Alors pourquoi tu me le dis quand même ? D'accord, je suis peut-être bloqué ici au moins jusqu'à demain matin mais tu pourrais finir à l'ombre pour le restant de tes jours en confiant ça à la mauvaise personne. Pourquoi tu prends le risque avec moi ?

-oh Fantôme...ne me dit pas que tu va me dénoncer à peine fichera-tu les pieds dehors…

La réaction de la chimère le surprend malgré son absence de changement de ton. Il se penche un peu, appuyant son menton sur le plat de sa main. Ses billes d’encre rivées dans celles de son interlocuteur s’éclairent à nouveau d’un éclat rieur, un peu moqueur même, mais sans méchanceté. On pourrait croire qu’il le met au défi de le contredire. Non définitivement l’homme qu’il a en face de lui n’est pas de ce genre-là. Tout au plus il va détaler dès le premier grain de sable retombé au sol et ne jamais réaparaitre, mais Viliam ne craint absolument pas un quelconque coup bas du mercenaire. Pas après avoir passé la journée entière à ses côtés. Il le toise l’espace de quelques instants, comme cherchant une réaction précise sur son visage ou bien autre chose sans préciser quoi, puis comme déçut, il finit par se redresser.

-Mais si tu veux une vrai réponse… J’ai trente-cinq ans, et en ait vécu bientôt vingt à passer entre les mailles du filet. Enfin en tout cas la majeure partie du temps…C’est pas en te montrant une vieille broche que je me ferais coincer. Broche qu’il récupère et qu’il remet en place au passage. Il y tient mine de rien.

Quand bien même Fantôme déciderait de lancer le guet à ses trousses, Viliam n’aurait qu’à se cacher ailleurs, quelle importance ? Et si on finit par lui mettre la main dessus…Là aussi il a d’autre cartes à jouer avant que cela ne devienne vraiment problématique. Le bandit est de toute façon résigné à bien des sorts peu enviables. Fut une époque où la perspective d’en finir avait été bien plus qu’une idée douce-amère après tout…

-Et puis j’ai rien à cacher au fond, t’as assumé qui t’était, moi aussi, c’est tout. A nouveau il se balance un peu et se met à fixer le lustre au-dessus de leurs têtes, pensif. Ça le ferait pas trop non ? D’avoir de si grands rêves mais de se défiler à la première question.

Parce que oui Viliam sait que ce sont des rêves et que certain frôlent la folie. Mais quitte à vivre une vie auquel il a été contraint, autant choisir une bonne raison de risquer la corde. Et si un jour par effet papillon, il y en a un qui réussit à faire manger la poussière à ceux d’en haut, alors il rira bien au fond du royaume de Tyra.

Fantôme pouffe de rire à la première réaction de Viliam. Il l'a plutôt bien cerné : il n'irait pas vendre la mèche. Après tout, de ce qu'il sait de l'Aile Blanche, ils ne font de mal à personne. Ils prélèvent un peu de richesse à ceux qui en ont beaucoup et l'utilisent pour ceux qui n'en ont pas. A ses yeux, ça ne justifie pas la corde. Et même un voleur plus "commun" ne devrait pas mourir pour ça à ses yeux.
Son interlocuteur a l'air bien sûr de lui. Ou il a atteint un stade où être pris l'indiffère... Il ne saurait le dire. Dans un cas comme dans l'autre, cela peut être dangereux pour lui. Un excès de confiance amène à faire des erreurs. Un manque d'intérêt pour sa propre vie peut conduire à de la négligence. Mais le mercenaire aurait tendance à se montrer plus inquiet pour lui que satisfait à l'idée qu'il cesse de nuire à des gens dont il se fout un peu. Il se redresse pour revenir s'adosser à son siège.

-J'imagine.

Il ne peut pas vraiment adhérer à sa dernière réplique. Il a déjà du mal à gérer sa propre vie alors il est mal placé pour s'occuper de celle des autres. Mais il n'en parle déjà pas avec ses compagnons d'arme alors il ne risque pas d'aborder le sujet ici. A la place, il préfère détourner l'attention.

-T'es au courant que ton groupe porte le même nom qu'une école de gladiateurs ? Dit-il sur un ton amusé, cherchant manifestement à le taquiner. Il ne ment pas, cette école existe vraiment. Elle a été tenu par des drows pendant un temps mais il ignore si c'est encore le cas. J'ai jamais compris pourquoi elle s'appelait comme ça d'ailleurs.

C'est vrai que ça n'a aucun rapport avec les activités de cet établissement. C'est plus cohérent pour le groupe de Viliam, même s'il n'en connaît pas l'origine exacte. Mais ils rêvent de liberté... Alors les ailes, ça colle assez bien, non ?

-Nos consignes en ce qui vous concerne, c'est de vous faire fuir, pas plus. M'enfin on reste lié à notre client et on prend nos engagements au sérieux. Notre réputation c'est notre meilleure réclame alors, si on se retrouve face à face sur le terrain, ne nous forcez pas à sortir les griffes.

Ce n'est pas un avertissement, simplement un conseil. Les Chimères ne veulent pas leur faire de mal mais il se doivent d'honorer leurs contrats. Les pousser à partir, c'est le meilleur compromis qu'ils puissent faire afin d'assurer les deux. Fantôme lui fait une faveur en lui indiquant qu'il n'a rien à craindre d'eux mais il doit savoir que, s'ils les repèrent, il vaut mieux qu'ils s'en aillent s'ils ne veulent pas qu'il y ait de blessé. Sa compagnie est connue pour être très efficace après tout. Un confrontation ne serait donc pas dans l'intérêt de l'Aile Blanche.

-Ah écoute, on brillait pas spécialement pour notre originalité à l’époque. L'Aile blanche ça sonnait bien.Viliam se met à rire.

A vrai dire, le nom n’était venu qu’après le symbole et ce dernier était né d’un élan que Viliam n’expliquait toujours pas dix neuf ans plus tard. Ou enfin, si en cherchant bien il y trouverait certainement des explications à son geste, mais il préférait penser que sa main avait été guidée par Nééra, l’espace d’un infime instant. Après tout le Voile avait été le temps des apparitions divines et autres phénomènes mystiques disaient-on.

La suite en revanche le renvoie au présent et à la réalité des choses. Machinalement il veut boire une nouvelle gorgée comme pour camoufler un soupir, puis constate que son verre est vide et le repose sur la table.

-J’espère sincèrement qu’on aura jamais à se croiser dans ce genre de moment Fantôme.

Viliam ne pouvait rien promettre à son interlocuteur même si il lui était reconnaissant du conseil et de sa tentative de les préserver un peu. Ils ne cherchaient pas le conflit sans bonne raison et préféraient effectivement souvent la fuite à des dégâts humains inutiles. Il ne fallait pas s’y tromper pour autant : tous savaient dans quoi ils mettaient les pieds à chaque escapade et ce n’était pas par peur qu’ils fuyaient mais bien parce que leurs convictions les y poussaient. Et ces convictions, Viliam n’y ferait pas de compromis. Parfois le sang devait couler. C'était ainsi. Alors, s’il fallait se battre, à contrecœur ils se battraient.

Un peu plus sérieux, un peu plus sincère, un peu plus doux, Fantôme lui répond.

-Moi non plus.

Il ne connaît pas Viliam depuis longtemps mais il l'aime bien. Il se sent à l'aise en sa compagnie. Alors, certes, il est assez social et amical par nature mais il accroche plutôt bien avec lui sans pouvoir vraiment l'expliquer. Et puis, l'Aile Blanche est plutôt pacifique, ils ne se battent que pour se défendre, ce ne sont pas des meurtriers. Dans ces conditions, l'avoir pour adversaire ne le tente absolument pas.

Pendant quelques secondes, il le regarde silencieusement sans détacher ses yeux de lui. Jusqu'à ce qu'un bruit attire son attention. Depuis une heure ou deux déjà, un des volets grince de manière inquiétante. Et plus le vent souffle fort, plus le bruit s'amplifie. Pendant une légère accalmie, on ne les perçoit presque plus. Cependant, quelques bourrasques nettement plus violentes malmènent de nouveau le pan de bois. Fronçant les sourcils, Fantôme se lève pour aller voir. Il ne faudrait pas que ça lâche avant la fin de la tempête... Il arrive de temps à autre que quelque chose -comme un tonneau vide...- soit projeté contre les murs. A ce titre, les volets les ont déjà protégé quelques fois. Peut-être un mauvais coup a-t-il fragilisé les gonds de celui-ci ?
Mais alors qu'il n'en est plus qu'à un pas, un nouveau bruit retentit et le pan de bois s'éloigne de la fenêtre sous ses yeux, laissant les carreaux sans protection. Cette vision a stoppé le mercenaire tout net qui ne peut qu'imaginer la force du vent qui souffle dehors.

-Wow...

Désormais, le vent fait trembler les carreaux et les montants de bois. Pour l'instant, le tout tient bon mais le son est inquiétant. L'ensemble paraît bien plus fragile que la minute d'avant.

-Il va falloir régler ça...

La tempête ne montre pas de signe d'apaisement et laisser la fenêtre exposée comme ça est dangereux. Le mercenaire se retourne vers le duo.

-Le p'tit ferait mieux de remonter le temps que...

Fantôme s'interrompt. Les yeux de l'enfant sont attirés par quelque chose dans son dos et s’écarquillent. Le mercenaire fait alors volte-face pour voir de quoi il en retourne et il constate que le volet, toujours accroché de l'autre côté, est ramené en place par le vent. Juste avant qu'il ne s'abatte avec force, l'éclaireur plonge pour se mettre en boule au pied de la fenêtre, sa tête protégée par ses bras. Il n'avait plus le temps de s'en aller... Et lorsque le grand pan de bois reprend violemment sa position initiale, plusieurs carreaux explosent, projetant des éclats de verre à l'intérieur de la salle.

L’espace d’un instant, il y a un flottement. Après le début de quelques tensions la conversation s’est apaisée et ils se contentent de profiter d'un bref répit silencieux. De toute façon si l’un ou l’autre veut ajouter quoi que ce soit, les éléments les en empêchent rapidement et l’attention de toute la troupe se trouve concentrée sur ce petit volet secoué par la fureur du vent. Lorsqu’il cède, cela ressemble à un avertissement : le reste ne tiendra pas bien longtemps non plus…

Effectivement, à peine une minute passe avant que la fenêtre n’explose. Viliam n’a plus qu’une chose en tête : Egar qui se trouve en plein dans l’axe et qui fixe la catastrophe arriver, pris par le choc. Sans réfléchir il se jette sur lui, et le prend dans ses bras pour le protéger. Il sent quelques éclats de bois et de verre mordre sa peau alors qu’il entraine le gamin dans sa chute provoqué par la violence du vent. Dans leur dégringolade ils brisent une table et Viliam fait tout ce qu’il peut pour protéger le gamin en l'entrainant là où il n'y a ni verre ni bois. Ça lui rappelle un peu la fois où il a atterri sans le vouloir chez un grand type blond et pas commode des soieries. Plus précisément dans sa fenêtre… Sauf que cette fois, il ne prend pas son temps pour se relever.

-Remonte et éloigne toi des ouvertures !

Il grogne au gamin visiblement indemne qui se carapate à toute jambes dans le haut du bâtiment alors qu’une Clarisse interloquée arrive au même rythme, attirée par le bruit. Le vent et le sable griffent à leur tour le visage du bandit qui laisse passer quelques protestations fleuries en se protégeant comme il peut. Il manquait plus que ça tient : un trou dans la taverne au moment où c’est l’apocalypse dehors.

-Vil’ la fenêtre !

-Je l’ai sentie oui ! Fantôme t'as rien tu peux te lever ? Aidez-moi à combler ce trou avant que ma taverne finisse sous une dune de sable ! Il pousse la première table sur son chemin vers la fenêtre explosée, laissant sur le bois la trace de sa main traversée par une sale estafilade. N’importe quoi fera l’affaire !

Lorsque le verre cesse de tomber, Fantôme écarte légèrement les bras et voit Egar disparaître dans l'escalier. C'était lui qui l'inquiétait le plus... Viliam n'était pas dans l'axe et aurait de toute façon eu les bons réflexes. L'enfant, lui était, sous le choc et le mercenaire n'avait pas le temps de l'aider... Il était trop près de la fenêtre et aurait eu la chair transpercé par les plus gros éclats. Fort heureusement, le bandit a réagi comme il s'y attendait... et le petit va bien.
L'éclaireur regarde autour de lui, retirant ses bras avec précaution alors que des éclats glissent sur sa veste de cuir. Une chance qu'il ne l'ait pas retirée... Elle l'a protégée de quelques écorchures. Seules ses mains sont égratignées et un morceau de verre ou deux s'y sont peut-être logés. Il verra cela plus tard. A présent, il se retrouve en plein tempête et perçoit à peine les voix de Clarisse et Viliam.

-Ça va ! Se contente-t-il de répondre, n'ayant pas vraiment les moyens d'entrer dans les détails.

Tandis que le volet s'éloigne de nouveau, le vent se met à soulever et à charrier le désordre qu'il a provoqué. La zone va vite devenir nettement très dangereuse pour le mercenaire s'il reste là... Il faut rapidement trouver de quoi sceller l'ouverture.

-N'importe quoi ? Répète Fantôme qui se lève, soudainement prit d'une idée.

Il n'a que quelques pas à faire. Il renverse une large table encore intacte, la soulève et utilise le plateau pour boucher l'ouverture.

-Un marteau et des clous ! Vite ! Demande-t-il.

Il y en a toujours dans les tavernes et les auberges. Ne serait-ce que pour réparer un tabouret bancal ou une planche qui couine. Ils pourront ainsi construire une fortification de fortune et qui aura l'avantage d'être vite montée.
Fantôme appuie de tout son poids sur la table, sachant que le volet pourrait claquer de nouveau ou qu'un autre projectile pourrait arriver. D'ailleurs, le premier ne tarde pas à se manifester de nouveau, faisant violemment vibrer le bois que l'éclairer repousse de toutes ses forces pour le maintenir en place. C'est assourdissant et même douloureux pour son épaule abîmée le matin même. Il pousse un cri mais il tient bon, continuant à lutter contre le vent qui revient déjà à la charge.
A un moment donné, son regard retrouvera la silhouette de Viliam et constatera son état.

-Ça va ? L'interrogera-t-il alors qu'ils ne sont pas encore pleinement hors de danger.