Choisir son camp [Zaahrian]

Début de troisième énnéade de Karfias, An 20 du XI cycle
Thaar, soiries

Ce matin-là, très tôt, il y avait deux silhouettes qui parcouraient à grand pas pressés les rues de la grande Thaar. Il y avait d’abord un homme, grand, les cheveux aussi blonds que les rayons du soleil naissants à peine. Derrière lui, plus hésitante dans sa démarche, une femme plus jeune et aux traits surprenamment similaires derrière ses châles pudiques. Au visage fermé de l’un, s’opposait une moue mal à l’aise de l’autre.

-A-t-on réellement besoin d’en arriver là ? Avait finalement osé souffler la bouche gracile de la demoiselle.
Mais elle n’eut droit qu’à un grognement sourd et un air de dédain qui se transforma en grimace de dégout lorsqu’elle soutint le regard de celui qui n’était pas décidé à s’arrêter.



-Ce sont les ordres de Père. Cracha-t-il presque. Il en faut bien au moins un dans cette famille qui lui soit encore loyal.

-Je le suis tout autant que toi et tu le sais.

-Alors ne demande plus. Père veut mettre un terme aux soucis qu’ il cause à notre famille depuis bien trop longtemps. Il releva le menton. Cela aurait dû être fait depuis le début.

Il y eut un long silence et puis,

-Tu pense qu’il va lui arriver quoi…après ?

-Qu’est-ce que ça peut te faire ? Cet homme n’est pas des nôtres. Cesse maintenant. D’ailleurs je ne sais même pas pourquoi Père t’a fait m’accompagner. C’est moi le représentant de la famille après lui.

C’est ainsi que quelques minutes plus tard, alors que la conversation avait été sèchement tuée dans l’œuf que les deux jeunes gens avaient fini par arriver devant la demeure de l'assassin dont la réputation n'était plus à faire. La maison était sobre, mais élégante. En tout cas elle ressemblaient à la description qu'on leur avait faite alors ils s'avancèrent encore.

Aux gardes qui les accueillirent, l’homme se présenta comme l’héritier des Ley’alnen, riche famille en plein essor au sein du petit monde bourgeois vaani. Il demandait une audience sur l’instant même au maitres des lieux dont la profession autant que le talent n’étaient plus si secrets. S’il ne le précisait pas, tout sur les deux jeunes gens indiquaient qu’ils avaient largement les moyens de financer le caprice pour lequel il avaient quitté leur cage dorée.

Au même moment où les deux inconnus se présentaient à la porte de sa demeure, Zaahrian escaladait le mur menant jusqu’à sa chambre avec la ferme intention d’aller se coucher. Ses muscles le faisaient souffrir et la fatigue rendait ses pensées incohérentes. Il n’avait pas dormi depuis près de vingt-quatre heures et ne désirait rien de plus au monde que ça. Il se hissa par la fenêtre avant de s’écraser au sol comme une merde. Heureusement, il n’y avait personne pour être témoin de ça. Il resta dans cette position en se disant que le tapis n’était pas si mal pour dormir, mais il ne pouvait pas rester comme ça. Il y avait certaines choses qu’il refusait de mettre de côté même si son état d’épuisement le faisait tanguer sur ses pieds. Debout, Zaahrian retira ses armes une à une pour les disposer méticuleusement sur la petite table près de la fenêtre. C’était une sorte de rituel, une façon de conjurer les événements de la nuit, laisser l’assassin afin de redevenir Zaahrian. C’était stupide, il le savait. Pourtant, répéter ces gestes lui faisait toujours du bien et lui remettait les idées en place.

Il venait de déposer son dernier couteau et s’apprêtait à se laver le visage lorsqu’on cogna à la porte de sa chambre. Zaahrian étouffa un juron avant de déclarer d’un ton transpirant de menace.

« À moins que ce soit pour me dire que le Guet est à ma porte ou que quelqu’un est en train de mourir sous mon toit, je ne veux pas voir personne. »

Zaahrian se pencha vers l’avant pour s’asperger le visage d’eau.

« Il y a deux personnes qui souhaitent vous rencontrer. Ça semble être urgent » déclara la voix de l’autre côté de la porte. Son hésitation était palpable, mais jamais il ne serait venu déranger son maître sans avoir une bonne raison.

« Qui est assez stupide pour venir ici à une heure aussi hâtive ? »  

Il attrapa une serviette pour éponger l’eau qui ruisselait jusqu’au col de sa tunique.

« Il se présente comme l’héritier des Ley’alnen. Sa sœur est également avec lui. »

Ce nom lui disait vaguement quelque chose. Zaahrian était convaincu de l’avoir entendu quelque part et un horrible doute lui traversa l’esprit.

« Est-ce qu’il prétend que j’ai eu un comportement déplacé envers sa sœur ? »

La question se posait. Depuis qu’Aya, Zaahrian se demandait si d’autres surprises de ce genre l’attendaient quelque part, prêtes à débarquer dans sa vie au moment le plus inopportun.

« Non, il n’a rien dit de la sorte. Il souhaite simplement s’entretenir avec vous… »

L’assassin tourna la tête vers son lit et soupira. Ça ne sera pas pour tout de suite.

« Très bien. Installez nos invités au salon, j’arrive. »

Tel que demandé, l’esclave invita le jeune homme et sa sœur au salon où un thé leur fut servi. Quelques minutes plus tard, Zaahrian franchissait la porte à son tour, la mine affreuse. Il avait pris la peine de changer sa tunique, mais pas son pantalon qui portait les traces de ses aventures de la nuit. Il y avait de la poussière et des éclaboussures sombres qui pouvaient être du sang ou autre chose.

« J’espère que vous avez une très bonne raison d’être ici, parce qu’il est affreusement tôt et je n’ai pas dormi de la nuit. Le manque de sommeil me rend irritable et nettement moins ouvert à la négociation. »

Il regarda la jeune femme, forçant un sourire sur ses lèvres tout en inclinant poliment la tête.

« Mademoiselle, j’espère que le thé est à votre goût. »

Puis il rapporta son attention sur le jeune homme, son sourire s’effaçant aussitôt et il attendit.

-Il est parfait. La jeune femme offrit un sourire étudié à l’homme qui venait de débouler.

Son frère, lui, s’était levé en signe de respect à leur hôte, et il avait poliment attendu qu’il s’assoie avant de l’imiter à nouveau. Pourtant, son visage se trouvait toujours quelque peu fermé.

-La raison de notre visite est aussi simple qu’elle en vaut la peine. Répondit-il simplement. Nous n’irons pas quatre chemin.

Son regard s’égara l’espace d’une seconde sur l’accoutrement de son vis-à-vis, et il hésita un temps avant d’enchainer. Sa sœur, elle, se contenta de jouer avec la cuillère dans sa petite tasse.

-Nous avons besoin de vos talents pour traquer un homme.

Un sourire presque mauvais étira ses lèvres. Délicatement, il déplia un dessin jusque-là caché dans son veston. Déchiré, comme faisant autrefois partie d'un tout aujourd'hui disparu, il représentait un homme dont les traits ressemblaient encore une fois à ceux de celui qui parlait quoi que plus jeune. Peut-être était-il âgé d’une vingtaine d’années tout au plus tandis que l’interlocuteur de l'assassin se trouvait lui dans la fin de la vingtaine. Pourtant, considérant la vieillesse du papier, l’individu était probablement beaucoup plus âgé à présent.

-Et vous n’aurez pas besoin de négocier, votre prix sera le nôtre, tant que nous avons les résultats souhaités. Renalt est un peu plus âgé que ce portrait, aujourd'hui. confirma-t-il. Il doit avoir...trente-cinq ans à peu près. Mais si vous êtes aussi doués que vous le dite, ça ne devrait pas vous poser de problèmes. Il ne doit pas avoir tant changé que ça.

-Mon frère oublie un détail. Intervint soudain la jeune femme malgré un ‘’Loreta…’’ désapprobateur. Nous le voulons vivant. Un regard s’échangea entre les deux individus, elle ne cèda pas. Notre Père veut être en mesure de s’entretenir avec lui pour des raisons qui nous sont propre. Elle pencha la tête. En revanche, nous n’avons rien contre d’éventuels dégâts collatéraux, tant qu’ils ne sont pas en notre nom bien entendu...

c'est lui que tu cherche:

Le regard de Zaahrian passa du frère à la sœur puis au dessin.

« Je vois… »

Il soupira, passa une main dans ses cheveux et s’installa à son tour à la table. Un de ses genoux craqua dans le processus ce qui le fit grimacer.

« Dure nuit. » Expliqua-t-il tout en frottant l’articulation douloureuse. « Bon, j’aime que vous ne passiez pas par quatre chemins. Toutefois, je n’ai pas l’habitude de conclure des affaires dans ma demeure. Je préfère que les négociations se passent dans un endroit neutre pour la sécurité des gens qui vivent ici. Cela étant dit, vous êtes déjà là et même si l’envie de vous mettre à la porte ne manque pas, je vais au moins vous écouter jusqu’au bout. »

Zaahrian prit le dessin et l’examina d’un peu plus près. Comme l’avait expliqué le jeune homme, ce n’était pas une représentation récente du recherché. Elle datait déjà de quelques années, mais il ne devrait pas avoir changé tant que ça. Enfin, c’est ce qu’ils prétendaient. En réalité, il ne suffit que de quelques mois à vivre dans les rues de Thaar pour profondément altérer le physique d’une personne, surtout si elle n’avait connu jusque là qu’une vie de confort.

« Ça fait longtemps que vous le recherchez ? Si vous n’avez rien de plus récent que ça… Écoutez, je suis très doué pour retrouver les gens, je connais cette ville comme le fond de ma poche, mais j’ai besoin d’un peu plus que d’un dessin. Mes contacts vont me rire à la figure si je leur dis que je cherche un homme blond plutôt mignon d’environ 35 ans. Déjà, il a probablement changé de nom. Ensuite, il peut être n’importe où, il pourrait même avoir quitté Thaar… Comment était votre frère avant sa disparition ? J’en conclus que c’est votre frère, car tous les deux vous lui ressemblez beaucoup. Tenait-il un discours particulier qui pourrait indiquer ce qu’il serait en train de faire en ce moment ? Je veux dire, s’il n’emmerdait chez vous, il pourrait avoir rejoint un groupe de mercenaire pour vivre quelques aventures. Inutile de vous dire que ce genre d’entreprise se termine rarement bien. Bref, dites-moi tout ce que vous savez. Même un détail en apparence mineur peut faire toute la différence. »

-Si nous venons vous chercher, c’est que vous doutez bien que nous sommes sûrs qu’il est encore dans cette ville. Il fronça les sourcils, avant de se recaler un peu dans son assise en un soupir. Pas plus qu’il n’ait l’air d’avoir changé de nom. En tout cas, il ne se gêne pas pour le crier sous le toit des princes marchands… Alyna Or'Siandbel, j’imagine que vous la connaissez… Il n’attend pas l’acquiescement évident de son interlocuteur pour continuer. Il s'avère qu'il s'amuse encore à utiliser notre nom pour parvenir à ses fins... Pourtant nous le croyions mort depuis bien vingt ans. Quelques un de ses…amis…S’en sont pris à un de nos partenaires de longue date quelque part durant le Voile. Nous sommes certains qu’il a été vu là-bas, quand le palais a sombré dans les flammes et nous savons aussi qu’il a été sévèrement blessé par une hallebarde du guet. J’étais très jeune, mais croyez bien que je m’en souviens nettement. Renalt avait déjà quitté notre domicile depuis quelque temps après nombre de disputes avec notre Père, mais il revenait de temps à autre, tenter de le faire adhérer à ses idées. Mais après ça, plus rien. Il roula des yeux. En fait, cela a plutôt été un soulagement de le croire mort. Il était certes mon frère, mais avec ses contes, il aurait mené notre maison à sa perte.

A côté de lui, la dénommée Loreta avait figé son regard sur sa tasse de thé refroidie. Elle semblait mal à l’aise, voir presque triste.

-Nous avons des raisons de croire qu’il a rejoint à un moment ou un autre un mouvement contestataire en expansion depuis quelques années. Ce sont les mêmes responsables du carnage au marché, le mois dernier. Je ne connais pas leur nom, mais il y avait leur symbole, un oiseau blanc. Renalt a toujours eut une certaine…pitié profonde pour les marginaux et les opprimés… Peut-être même était-il tombé amoureux de l’un d’entre eux à l’époque de sa fugue. Il grimaça, presque sur la défensive. Ces histoires de famille sont tout ce que nous avons pour vous simplifier la tâche, mais elles ne doivent en aucun cas sortir d’ici. Nous paierons aussi votre silence. Avons un accord ou non ?

À la mention de l’incident au marché, Zaahrian ferma les yeux. Cette fois, il sentait la migraine réellement arriver. D’un geste de la main, il le fit taire. « Inutile d’en ajouter. Je sais de qui vous parlez. J’étais là durant l’incident du marché et j’ai tenté de les arrêter. Du moins, je leur ai donné une mise en garde. Je ne connais pas leur but exactement, mais ils semblent en vouloir contre l’esclavagisme et probablement la domination sous toutes ses formes. Et ils ont le culot d’utiliser l’oiseau blanc comme symbole. Il est normalement attribué à la déesse Néera et je ne crois pas que le culte aime voir ce signe de paix attribué à un carnage. L’intention est peut-être noble et, jusqu’à un certain point, je peux les comprendre ayant moi-même passé une bonne partie de ma vie en tant qu’esclave. Cela dit, il y a l’art et la manière de faire les choses et s’ils continuent de cette façon, ça n’augure rien de bon même pour ceux qu’ils prétendent vouloir aider. »

Il donna un coup sur la table.

« C’est bon, j’accepte de vous aider. J’essaie d’arrêter ce groupe et attraper votre frère sera peut-être la clef pour m’entretenir avec leur chef. Ça ne va pas être facile et le prix sera en conséquence, mais si je réussis, je crois que les bénéfices surpasseront largement la dépense. Je vous demande aussi de passer le mot. Votre père et ses amis doivent prendre des mesures de leur côté afin de compliquer la vie de ce groupe. On doit les forcer à l’action et montrer à tous qu’ils sont dangereux. Ils ont utilisé des dispositifs incendiaires et tué des gens, des innocents et ils vont recommencer pour défendre leurs idéaux. Je suis pas mal certain que ce n’est pas l’image qu’ils veulent montrer, mais je m’en moque, c’est celle qu’on va créer pour eux. Marché conclu? »

Les deux partis visiblement satisfaits, il ne fallut pas plus de temps pour sceller le triste accord qui les avaient réunis dans le petit salon délicat. Enfin, il y en avait une qui se fendit d’un soupir discret, et, même lorsqu’ils firent mine de s’en aller, releva difficilement ses grands yeux clairs sur ceux de leur désormais mercenaire.

-Mon châle ! Pépia-t-elle soudain en s’apprêtant à quitter la dernière le salon. Alors d’un pas gracile, la voilà qui fila rechercher son précieux tissus. Profitant de frôler l’assassin, elle lui glissa quelques mots à l’insu de son frère. Grâce, qu’il serve vos projets contre l’Aile Blanche, mais ne le ramenez pas à la maison.

Un rappel de la part de son frère déjà au dehors la fit se renfermer, et une minute plus tard, ils disparaissaient comme ils étaient venus.

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Quelques jours plus tard

-Non je te jure. Elle en croyait pas ses yeux.

Ren. Il se faisait appeler Ren, désormais. Renalt Ley’alnen n’était qu’un lointain souvenir loin, très loin au fond de l’esprit du grand homme élégant qui tenait une discussion animée avec une jeune femme tentant tant bien que mal de balayer le pas de sa porte entre deux rires joyeux. Sur les marches, il y avait un enfant dont les mains étaient joyeusement encombrées de sucreries colorées et qui observait avec attention les deux adultes, ravis.

Pourtant, ce tableau idyllique ne dura pas. On entendit un cri strident au loin. Immédiatement femme et enfant déchantèrent et disparurent derrière une lourde porte, après un dernier "fait attention’’ adressé au bandit. Lui, il hésita. La prudence le poussait à fuir, craignant même s’il n’avait rien fait la présence du guet. De l’autre, quel que soit le danger au loin, il voulait aider.

Le choix fut rapide et ni une ni deux, Ren se retrouva devant un macabre spectacle. Trois silhouettes, vêtus de pourpre lui faisaient dos, mais acculaient une femme terrifiée plaquant contre elle un nourrisson. Au sol, un homme était déjà mort, probablement égorgé.

-hé ! instantanément, Ren regretta son geste plus stupide qu’héroïque. Seul il n’y pourrait certainement pas grand-chose…C’était Viliam le meilleur combattant  du trio…

Après le départ de ses invités, Zaahrian monta directement à sa chambre pour dormir. Traquer un homme requérait de l’énergie et une bonne planification. Ce n’est que plus tard dans la journée lorsqu’il émergea enfin qu’il commença à élaborer son plan.

Comment retrouver un homme dans une ville comme Thaar ? Pour la plupart des gens, c’était comme tenter de trouver une aiguille dans une botte de foin. Pourtant, avec la bonne méthode et un peu de patience, ce n’était pas si compliqué que ça. Zaahrian commença par sortir et fréquenter les auberges et les tavernes dans les différents quartiers. En tant qu’habitué, ce n’était pas rare de le voir débarquer sans prévenir. La plupart des tenanciers le connaissaient et beaucoup d’entre eux n’hésitaient pas à l’aider s’ils le pouvaient. Combien de fois avait-il désamorcé des disputes entre les clients et évité que des combats ne causent des dégâts à leur établissement ? Ainsi, tout doucement, Zaahrian tissait sa toile, recueillant les informations ici et là jusqu’à ce qu’il le trouve enfin.

Il ne se cachait pas vraiment. En vérité, il paraissait même être un homme plutôt décent. Il aidait les gens quand il le pouvait et à l’exception de quelques vols ici et là, il ne faisait rien de mal. Même ce qu’il prenait, il s’arrangeait pour le redonner à quelqu’un qui en avait visiblement besoin. Il ne gardait rien pour lui. Le comportement de cet homme l’intriguait et comme il n’était pas particulièrement pressé par le temps, il décida de l’observer un peu plus longuement et sa patience porta ses fruits. Il finit par apercevoir quelques visages connus, dont la fille qu’il avait tant voulu tuer lors de l’incident du marché. Il tenait le bon filon.

Zaahrian en était à planifier son approche lorsqu’un événement changea dramatiquement ses plans. Trois hommes habillés de façon similaire venaient de tuer un homme et s’apprêtaient à attaquer une femme et son enfant. Des cultes étaient présentement actifs en ville. Zaahrian était raisonnablement convaincu que ses hommes en faisaient partie. Voulaient-ils l’enfant pour leurs sombres desseins ? Peut-être, mais il n’allait pas leur en laisser l’occasion. Ren les avait vus aussi. Il les héla pour les arrêter sans pour autant intervenir. Trois contre un, c’était effectivement un pari risqué, mais s’il restait planter là, cette femme et son enfant risquaient de connaître le même sort que ce pauvre homme face contre terre. L’assassin sorti de sa cachette et atterris au milieu du trio. Il profita de l’effet de surprise pour donner le premier coup. Voir Zaahrian se battre était toujours un spectacle impressionnant. Il portait ses coups avec précisions, ne laissant aucun répit à ses adversaires. Un coude brisé, une épaule démise, une mâchoire fracturée. Il tua un des hommes en lui enfonçant un couteau sous le menton. En quelques minutes à peine, la situation fut sous contrôle. Le souffle court et les jointures douloureuses, Zaahrian admira son œuvre, un sourire satisfait aux lèvres. Il se tourna vers Ren.

« Ces maudits cultistes, ils sont partout en ce moment. Bonsoir ! »

-Sacré carnage. Ren eut l’air d’hésiter devant l’homme débarqué de nulle part. Ce type venait d'abbatre à lui tout seul trois hommes dans la force de l'âge, sans aucune égratignure... Mais ils l’ont cherché cette fois. Merci, j’imagine. La jeune femme et son enfant avaient déjà disparus depuis longtemps dans les ruelles, et il observa un instant la direction qu’elle avait prise. Pour elle en tout cas. Puis son regard alla de nouveau à l’inconnu. J’ai très envie de vous poser un milliard de questions mais on devrait probablement d’abord filer d’ici avant de que le guet ne rapplique.

Il n’était responsable de rien, mais le guet était suffisamment à cran pour lui chercher des noises quand même et Ren n’avait pas envie de s’attirer d’énièmes problèmes tout ça parce qu’un type s’était décidé à massacrer des cultistes à tour de bras. A vrai dire il entendais déjà des éclats de voix au loin.

-Venez ! Fit-il avant de courir sans attendre dans la direction opposée, que le type le suive ou non.

Zaahrian hésita un instant. Il se demandait depuis quelques jours comment approcher l’homme et grâce à l’intervention de quelques cultistes, il avait enfin l’opportunité de lui parler. Cela dit, le suivre représentait un risque non négligeable pour lui. Et s’ils tombaient sur quelques-uns de ses amis et que l’un d’eux reconnaît Zaahrian? Il ne pensait pas que Ren serait assez stupide pour le conduire jusqu’à leur repère quoique ce fût toujours une possibilité, mais l’assassin savait que d’autres membres de l’Aile blanche traînaient dans les parages et il ne tenait pas spécialement à une confrontation aussi directe avec le groupe. Pour ce soir, sa cible était cet homme. Il pourrait toujours l’assommer et tenter de le traîner en lieu sûr, mais s’il donnait l’impression de s’être sortie de son combat sans égratignure, il avait quand même reçu un vicieux coup dans les côtes qui le faisait douter sur sa capacité à porter un homme. À vrai dire, la curiosité l’emporta sur les risques. Si la situation tournait mal, il pourrait toujours fuir. Zaahrian était rapide sur ses pieds et particulièrement doué pour disparaître, lui qui connaissait la ville comme personne. Il avait suffisamment observé Ren, maintenant il voulait lui parler et entendre ce qu’il avait à dire. Peut-être qu’il pourrait même le convaincre de le suivre. Sinon, un bon coup de poing à la figure fera l’affaire.

Zaahrian lui emboîta le pas, curieux d’en apprendre plus sur le type devant lui. Il y avait des cris non loin d’eux. Le Guet approchait. Était-ce l’attaque du culte ou l’intervention de l’assassin qui les avait alertés, il n’en savait rien. Tout comme Ren, il ne tenait pas trop à tomber sur eux bien que pour une fois, il n’ait rien à se reprocher. Il ne voulait pas être reconnu.

« Non, pas par-là. » Interrompit soudainement Zaahrian. « Il y a une taverne pas loin fréquentée pas mal par le Guet. » C’était plus ou moins vrai, mais il reconnaissait le quartier. S’il ne se trompait pas, une de ses cachettes préférées se trouvait à proximité. S’il devait discuter avec Ren, autant le faire dans un endroit qu’il connaissait et qu’il savait effectivement à l’abri des regards. « Suis-moi! » Zaahrian s’engouffra dans une ruelle apparemment sans issue. Sans hésiter, il escalada le mur à son extrémité avec l’agilité d’un chat, mais non sans grimacer. Ses côtes le faisaient souffrir. Il s’allongea et tendit la main à Ren pour l’aider à monter. « Sur les toits, ils ne vont pas nous suivre. C'est mieux pour savoir si la voie est libre! » Et il y avait un ancien grenier à grain abandonné où il pourrait facilement cacher un prisonnier…

-Attend, tu es blessé ?

Ren avait remarqué les grimaces de son supposé sauveur alors qu’ils s’élançaient dans une course folle à travers les rues de la cité. Quand il l’eu rejoint sur les toits, il ralentit un peu le rythme sans pour autant s’arrêter tout à fait. De toute façon il doutait que les gardes prennent la peine de patrouiller jusque-là alors qu’ils avaient quatre corps dont s’occuper.

Il était en tout cas évident que le fugitif n’avait absolument aucune idée des mauvaises intentions que l’assassin nourrissait à son égard. Tout au plus voyait-il en lui un type un peu bizarre, tombé au mauvais endroit au mauvais moment et qui n’avait plus eut d’autre choix que de s’embarquer avec lui dans ces emmerdes. Alors il le suivait sans se douter qu’il fonçait droit dans un piège.

-Je peux essayer de t’aider. Ajouta-t-il d’ailleurs. Je te doit bien ça je crois. Pourtant, comme s’il avait peur de franchir des limites qu’il ne connaissait pas chez son interlocuteur, il ne fit pas de geste vers lui et encore moins essaya-t-il d’en savoir plus sur ce qui le faisait autant grimacer tant qu'il n'avait pas son accord. Au fait, moi c’est Ren...Autant qu'on ait tout les deux un prénom auquel s'adresser.

Et toi ? Sembla implicitement demander son regard curieux. Parce que malgré tout, il y avait tout un tas de question qui lui brulaient quand même les lèvres, même s'il attendait de ne plus avoir le guet aux trousses pour les poser.

« J’ai reçu un coup dans les côtes, rien de grave. Si c’était brisé, je ne serais pas en train de courir et encore moins d’escalader les murs. »

Un sourire sincère apparu sur les lèvres de Zaahrian. Des années plus tôt, on l’avait entraîné pour ce genre de situation. Il avait employé ces méthodes un nombre incalculable de fois et il s’étonnait toujours de la facilité avec laquelle il pouvait mentir. D’un autre côté, à quel point il était en train de lui mentir. Il n’avait pas encore réellement décidé de ce qu’il comptait faire de Ren. Il n’allait pas le tuer, ça, il le savait. Allait-il lui avouer ses véritables intentions ? Peut-être. L’issue de cette rencontre allait dépendre de la conversation qu’ils auraient dans les prochaines minutes, s’il estimait que ça vaudrait la peine d’entacher l’excellente fiabilité de ses services pour cet homme, aussi mignon qu’il puisse être. Parce que oui, c’était un bel homme dans la force de l’âge qui se tenait devant lui et qui le regardait avec un mélanger de curiosité et de doute.

« Je m’appelle Halan. » Répondit-il sans hésitation à la question silencieuse de Ren. Désolé papa, mais c’est pour la bonne cause. « On pourra discuter, mais pas ici. On pourrait nous entendre. Et puis, deux types sur un toit, ça ne passe pas spécialement inaperçu. Ce n’est pas comme si on était au milieu de la nuit. » Il lui tourna délibérément le dos, lui démontrant ainsi qu’il lui faisait confiance. Il restait quand même sur ses gardes, mais son apparence tendue pouvait aisément s’expliquer par la situation actuelle. Il s’accroupit et lui fit signe de le suivre.

Zaahrian marchait d’un pas assuré sur les toits de la ville comme s’il avait fait ça toute sa vie, ce qui était le cas. Non loin de là se dressait un vieux grenier à grain tombé en désuétude depuis quelques années déjà. Les ouvertures étaient placardées, mais l’un des panneaux ne tenait plus que par un seul clou. Il suffisait de le faire pivoter pour dégager l’accès. Il joignit ses mains pour former un appui.

« Ton pied, je vais te faire monter. »

Effectivement, Ren n’était pas spécialement léger. Zaahrian grimaça. Il avait peut-être poussé un peu trop fort en voulant l’impressionner. Allons, ce n’étaient pas quelques contusions qui allaient l’arrêter. Il se hissa à son tour en grognant au spasme de douleur qui lui vrilla les côtes. Putain, ce n’était peut-être pas casé, mais il y avait une chance que ce soit fêlé. C’est avec nettement moins de grâce qu’il se glissa dans la cachette où il hésita un moment avant de se relever.

L’ambiance était étouffante à l’intérieur à cause du soleil de l’après-midi et le manque de ventilation. L’air sentait la poussière et la moisissure, les prenant tous les deux à la gorge. Personne n’était venu là depuis un bon moment et le moindre de leur geste soulevait des nuages de particules. La seule lumière venait des fentes entre les planches qui laissaient passer quelques rayons du jour, insuffisants pour éclairer correctement les lieux. Il fallait quelques minutes pour que la vue s’ajuste à la pénombre.

« Ce n’est pas un palace, mais ça fera l’affaire. »

-Croit moi j’ai plus l'habitude de ça que des palaces....

Il marmonna un peu pour lui-même en observant l’endroit et en époussetant son pantalon. Où est-ce que ce type venait de l’emmener au juste ? La pièce sentait le renfermé et était plus sombre qu'une cellule de prison... Au moins c'était certain que c'était abandonné, si on exceptait un rat ou deux au fond. Est-ce qu’il venait ici régulièrement ? C’était super louche, même si le bandit n’était pas très bien placé pour parler. Ren pensa aussi à ses camarades çà et là qui finiraient par le chercher vu la façon dont il avait disparu. Jane et son fils parleraient probablement à Viliam de ce qu’il s’était passé… Il n'avait pas envie d'inquiéter son ami, surtout ces derniers temps.

-Merci de m’avoir sorti d’un sacré mauvais pas Halan. Il lui adressa un sincèrement hochement de tête et désigna l’espèce de trou dans lequel il s’étaient faufilés pour rentrer dans la pièce légèrement glauque sur les bords. Mais je pense que je devrais arriver à me débrouiller pour rentrer chez moi à présent. Je saurais me mettre à l’abri. C’est pas comme si le guet m’avait vu et si toi tu me dis que tu pourras te débrouiller tout seul…

Un sourire et un haussement d’épaule, puis il fit mine de vouloir laisser là son compagnon d’aventure impromptu. Drôle de journée il fallait bien l’admettre…

Il aurait préféré que le subterfuge dure plus longtemps, mais Ren avait senti que quelque chose n’allait pas et désirait s’en aller. Zaahrian pouvait difficilement lui en vouloir, mais il n’était pas question de le laisser partir. Pas maintenant.

« J’ai bien peur que ce ne soit pas possible, Renalt. » Zaahrian avait parlé d’un ton calme et poli. Il était debout dans un coin de la pièce. Dans la pénombre, on devinait à peine sa silhouette. Il se tenait droit, les bras croisés sur son torse. Un rat passa à toute vitesse à ses pieds, mais il ne réagit pas. « Si tu fais ce que je te dis, tout ira bien. Enlève toutes tes armes et dépose-les dans le coin là-bas. Ensuite, je veux que tu t’assoies ici. Tente quelque chose de stupide et il y aura des conséquences. Sache que je n’ai pas l’intention de te tuer ou de te faire du mal, mais je vais me défendre, garde ça en tête. Je suis désolé du subterfuge, il était nécessaire. Je tiens également à spécifier que je ne suis pour rien dans l’attaque des cultistes. C’est un hasard qui m’a été très utile, je l'admet, mais je regrette qu’un homme soit mort dans le processus. Si j’avais pu intervenir avant, je l’aurais fait sans hésitation. Maintenant que cela est dit, fais ce que je te demande et je ne vais pas me répéter. Je répondrai à tes questions par la suite. »

''Renalt’’. Il n’avait fallu que ce simple mot, ce fantôme de ce que le bandit avait délibérément tué pour faire disparaitre son sourire, figer son pas et lui arracher un grognement sourd. "Renalt’’… Même Clarisse n’avait jamais entendu ce nom là de sa part. Il n’y avait que bien peu de gens sur Miradelphia qui le connaissaient et aucun de ceux qui l’utilisaient encore n’était son allié. Qui était cet homme et qu'est qu'on lui avait demandé de faire ? Vu ses talents de tout à l'heure, cela n'augurait rien de particulièrement bon.

De toute façon le reste du discours d’ "Halan’’ était sans appel et tira un bref rictus amère au bandit. Il ne voulait pas le tuer ni lui faire de mal… Et puis quoi encore ? Cet homme était payé par les Ley’alnen. Il n’était certainement pas là pour lui cueillir des fleurs.

-Non.

Pas de grand discours. Pas de pirouettes. Pas de jeu de duperies grandiloquents. Ren s’élança simplement à toute vitesse au dehors, sur les toits de la ville. Que le guet le remarque si ça les chantaient. Tant que l’autre lui foutait la paix.

Journée de merde.

Naturellement, il ne l’écouta pas. Voilà ce qu’il récoltait pour avoir essayé d’être conciliant et de lui donner une chance de s’entretenir avec lui. Zaahrian voulait comprendre, écouter ce qu’il avait à dire et tenter de déterminer à quel point il serait possible de raisonner avec le groupe auquel il appartenait. À cause de sa gentillesse, il devait maintenant le rattraper. C’était la dernière fois qu’il essayait d’être gentil. La prochaine fois, il conclurait l’affaire avec un bon coup de poing et saucissonnerait sa victime. Comme ça, au moins, à défaut d’avoir sa coopération, il ne risquait pas de devoir courir après.

Ren était rapide, mais Zaahrian aussi et il avait le net avantage d’avoir l’habitude de ce genre d’acrobatie.

« Imbécile! » Cria Zaahrian alors qu’il le talonnait. « Tu veux te faire prendre par le Guet, c’est ça? Je voulais te parler. Là, si le Guet te met la main dessus… »

« Hey! Vous là-haut! »

« Merde! »

Deux hommes courant sur les toits de la ville en plein jour, on ne pouvait que les remarquer. Zaahrian lui-même ne craignait pas grand-chose. Ils allaient le reconnaître et déduire que le gars qu’il poursuivait méritait d’être arrêté. À partir de là, deux options s’offraient à lui. Soit il disait la vérité, qu’il avait été engagé par la famille de Ren pour le ramener à bon port. Les chances qu’ils interviennent pour ça étaient minces, mais ils pouvaient décider de le ramener eux-mêmes à sa famille et ainsi toucher la récompense. Ennuyant, mais Zaahrian pouvait vivre avec. La seconde option serait de dire que Ren est membre de l’Aile Blanche, scellant ainsi probablement son destin. Il irait avertir la famille qui devra alors payer une jolie somme pour le sortir de prison à moins qu’il décide de prendre les meilleurs sièges pour assister à son exécution. Deux décisions avec des issues potentiellement très différentes. Pourquoi il n’y avait pas de choix facile?

- Si t’es avec eux, crève !

Ren ne s’embarrasse pas de mots et cours aussi vite qu’il le peut. Ce ne sera peut-être suffisant mais il ne se rendra pas. Dans un même temps son esprit tourne à cent à l’heure, cherchant à deviner ce qui pousse ceux de son sang à envoyer des mercenaires à ses trousses. Et pourquoi maintenant ? L’autre n’a pas l’air de vouloir le tuer, mais au fond, il trouve ça presque pire. Ren à peur, non pas pour sa propre vie, mais pour celles de ceux qui tenterons tout pour le sortir de la merde dans laquelle il vient d’être balancé. Viliam ne doit pas approcher ce panier de crabes. Et puis, où aller dans ce cas ? Les abords de la taverne sont trop dangereux. Les bains tenus par Esperanz et ses consoeurs ? Elle le taillerait en pièce d’amener un homme le mords aux dents chez elles… Une des caches de contrebande qu'ils viennent d'obtenir ? D'abord il faut semer l'autre dingue qui le talonne.

Il entend le guet en contrebas mais il s’en fiche profondément. Ce n’est pas la première course de sa vie et si le type à ses trousses à assez de talents pour le suivre, il a nettement plus de doutes de la part de la bande de bras cassés qui pense tenir la ville.

Ignorant donc cette menace bien plus infime, il fait de tout son possible pour mettre le plus d’obstacle possible dans la route de l’autre type. Ici c’est un mur par-dessus lequel il saute, là c’est un contrebas sur lequel il descend, avant de renverser l’étal d’un marchand qui proteste à grand cris à la vue de ses fruits écrabouillés par deux énergumènes en furie.

-Tu sera pas payé pour ça tu sais, fout moi la paix!

La peur et la volonté peuvent pousser un homme à accomplir des choses stupéfiantes dans des situations désespérées. Ren ne voulait pas être pris et Zaahrian ne pouvait qu’être impressionné par son agilité et encore plus par sa détermination à ne pas laisser le passé le reprendre. Il savait Zaahrian dangereux et en sachant cela, il tentait quand même sa chance. Le Guet était également à leurs trousses. L’assassin entendait clairement leurs sommations à s’arrêter, mais dans la situation actuelle, leurs voix rappelaient plutôt des chiens en colères qui abois. Ils étaient ennuyeux sans être réellement une menace pour eux.

Zaahrian courrait, à peine ralenti par les obstacles que lui jetait Ren. Sa seule véritable entrave était la douleur au niveau de ses côtes. À chaque respiration il la sentait, comme un petit choc. Il avait appris à ignorer la douleur. Ça faisait partie du merveilleux entraînement auquel Daeron soumettait ses recrues et ça demandait une grande concentration et encore plus d’endurance. Même là, il y avait une limite à ce que le corps pouvait endurer. Si la course durait trop longtemps, Zaahrian devra s’arrêter. Après ça, il y avait peu de chances qu’il puisse remettre la main sur Ren. Non, il devait l’attraper maintenant et, heureusement, deux choses jouaient en sa faveur. Il était bien mieux entraîné que Ren et il connaissait la ville sur le bout des doigts. Il devait donc amener le jeune homme dans un endroit qui ne lui laisserait pas d’autres choix que de se soumettre à lui ou l’affronter.

Thaar était une vieille ville avec ses rues sinueuses, ses bâtisses construites les unes sur les autres au fil des années et ses nombreux culs-de-sac. Tout ce qu’il fallait, c’était d’en trouver un avec des murs assez hauts pour empêcher Ren de les escalader. Coup de chance, il emprunta un mauvais embranchement et quelques mètres plus loin, fut forcé de s’arrêter, piéger. Zaahrian s’arrêta derrière lui à une bonne distance, le souffle court.

« Je vais t’accorder ça, tu cours vite. Maintenant, tu vas écouter une minute ce que j’ai à te dire. Parce que je n’avais pas l’intention de te faire du mal, mais j’ai de plus en plus envie de réviser mon opinion. »

Au pied du mur, de manière un peu trop littérale, Ren montre les dents et recule autant qu’il peut. Comment à-t-il pu se montrer aussi stupide ? Son épée au dehors, fixe son agresseur d’un œil noir. Il ne fait pas mine de se défendre plus tant que l'autre ne s'avance pas.

-C’est pas comme ça qu’ils s’y prennent les gens civilisés quand ils veulent juste discuter. Gronde-t-il, pince sans rire.

Le bandit ne croit pas une seconde le soit disant Halan. S’il avait juste voulu discuter, il aurait déjà abandonné. S’il connait son nom, ceux qui l’ont envoyé ‘’juste discuter ‘’ ont d’autres plans en tête largement plus désagréables. Ren n’a pas la moindre intention de les satisfaire.

-Mais supposons que ça soit vrai. Pour quelles raisons j’aurais envie d’écouter un type qui me course depuis quinze minute en ayant absolument toutes les raisons du monde d’être mon ennemi ? Qu’est-ce que tu me veux ? J’crois pas t’avoir jamais vu alors c’est certainement pas personnel. L'argent ? On t'en a sans doute promis un petit paquet pour pas grand chose...

Ren ressemblait à un chat pris au piège. Un peu plus et il feulait. Zaahrian se redressa sur toute sa hauteur en essayant d’avoir l’air le plus impressionnant possible. Ren pointait son épée sur lui et s’il avait une confiance absolue sur son entraînement, le sous-estimer serait une grave erreur.

« Je te rappelle que je t’ai abordé poliment. C’est toi qui as pris la fuite à l’instant où j’ai dit ton nom. Moi, je n’ai fait que te suivre. » Fit remarquer Zaahrian sur un ton détaché. « Et puis, s’il faut être totalement honnête, oui c'est l’argent. Un homme doit bien gagner sa vie et je suis bon pour retrouver les gens et encore plus doué pour les tuer. Ton frère et ta charmante sœur sont venus chez moi récemment. Ils m’ont demandé de te retrouver et de te ramener à la maison. Donc non, je n’ai jamais eu l’intention de te faire du mal, juste de te ramener. Après, ce qu’ils feront de toi là-bas… » Il haussa les épaules. « D’après ce que j’ai compris, ça fait longtemps que tu as laissé le nid familial, alors je me demande bien ce qui les a décidés à te retrouver maintenant. En même temps, ils te croyaient mort. Tu sais, quand on fait semblant d’être mort, on disparaît pour de bon. On ne revient pas quelques années plus tard en s’imaginant que tout le monde nous aura oubliés. Enfin, après une brève conversation, j’ai appris que tu serais un membre de l’Aile Blanche et ce qui devait être un contrat comme les autres à pris un tournant un peu plus personnel. »

Il ne savait pas comment il allait réagir, mais autant être franc et dire la vérité. Ça n’allait pas lui plaire, mais vu l’évolution de la situation jusqu’à maintenant, ça pouvait difficilement être pire.

« Il s’avère que j’étais là quand vous avez fait votre petit coup d’éclat au marché des esclaves. Vous vouliez sauver des gens et vous avez réussi. Pour la poigné d’esclaves que vous avez libérées, vous avez également tué des innocents. Ça, je dois l’avouer, j’ai un peu de mal avec ça. Ironique, je sais. Du coup, j’ai accepté le contrat malgré la furieuse envie que j’avais de tordre le cou de ton frère pour être venu en ma demeure à une heure aussi hâtive. Je devais te retrouver, mais moi, je voulais démasquer les membres de l’Ailes Blanches. Te retrouver n’a pas été difficile, tu ne cherches pas à te cacher. Je t’ai observé ces derniers jours et tu m’as semblé plutôt sympathique, un homme tout à fait correct. »

Zaahrian le fixait intensément dans les yeux. Il avait parlé calmement et en toute franchise tout en surveillant ses réactions. Ren pouvait encore tenter de faire quelques choses de stupide.

« Je suis un assassin. J’ai tué un nombre incalculable de personnes, mais il y en a aussi que j’ai décidé de laisser en vie et il y en a plus que tu crois. Peut-être que c’est ton jour de chance. Je ne crois pas que vous êtes des méchants dans l’histoire. Je crois que vous voulez vraiment aider les gens, mais les méthodes que vous employez ne sont pas les bonnes. Elles vont finir par causer beaucoup plus de torts que de bien, crois-moi et c'est ce que je cherche à prévenir. Alors, je te propose ceci. Je veux discuter avec ton chef, une vraie conversation. Je veux entendre son point de vue, comprendre ce qu’il a en tête et ce qu’il cherche à accomplir. Et je veux qu’il m’écoute. Avec un peu de chance, nous allons nous entendre. Évidemment, cherche à faire quelque chose de stupide et je t’amène à ta famille immédiatement. Je n’ai plus la patience pour te courir après. »

-Tu l’a dit toi-même. Tu es un assassin. Je suis pas sûr que tu sois très bien placé pour faire la morale à qui que ce soit. Des innocents t’en a sans doute butté plus que nous et pas que pour des gentils.

Ren fit quelques moulinets avec son arme, sans changer d’attitude, sans faire mine de se se rendre.

L’assassin pourrait proposer n’importe quoi, jamais le bandit ne trahirait celui qui par la force des choses était devenu son chef, mais était surtout son meilleur ami. Depuis qu’il avait connu le semi elfe alors à l’état d’un jeune esclave quasi muet, Ren n’avait cessé de chercher à le protéger, à sa manière quelque peu impulsive. Son premier geste avait été tout simple : un simple morceau de pain tendu à un gamin visiblement affamé alors que lui s’était gavé de toute sortes de mets à en avoir la nausée. Et puis, en grandissant les choses s’étaient compliquées. Pourtant Ren avait toujours tenu bon. Et un jour, une nuit terrible, il avait été jusque à panser de ses propres mains d'adolescent dont la naïveté s’échappait brutalement les blessures quasi mortelles que le fugitif s’était lui-même infligé. Jamais il ne s’était plein. Jamais il n’avait pensé à l’abandonner à son sort alors que le monde confortable dans lequel il avait grandi fermait petit à petit ses portes. Ren avait continué à endosser son rôle d'ami au sang certes chaud, mais sur lequel on pouvait compter sans hésiter et sans négocier. Quoi qu'il lui en coute.

Ce n’était pas un roquet à la solde de son frère qui le ferait changer aujourd'hui.

L’intéressé aurait surement pas mal râlé, pourtant, s’il avait su ce qui était en train de se jouer, et il aurait sans doute accepté le deal pour éviter à Ren pas mal d’ennuis. Peut-être l’assassin disait-ils vrai et l’un et l’autre pourraient même parvenir à s’entendre. C’était une possibilité. Mais le blond ne voulait sciemment pas le mêler à ses histoires. Impliquer Viliam là-dedans était hors de question. Et puis visiblement, c’était une affaire très personnelle…

-A quoi ça va te servir de me ramener de toute façon ? T’auras pas ce que tu cherches dans tous les cas… Ma famille t’aidera pas à contacter mon chef. Tu mélange deux front qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre si tu veux mon avis.

En se rapprochant un peu de son interlocuteur il ajouta :

-Mais bon. Puisque c’est mon cher frère qui t’envoie me chercher, moi aussi j’ai un message pour lui.

Retournant sans prévenir son épée, lame vers lui, il frappa un grand coup de pommeau dans les côtes déjà malmenées de l’assassin. Il ne lui fallait que quelques secondes d’inattention pour fuir à nouveau. Et quand bien même ne réussisait-il pas, fait hautement probable, il espérait au moins assez faire mal à son agresseur pour qu'il regrette un tant soit peu d'avoir dit oui aux Ley'alnen...

Oui, il avait tué des innocents. Certains visages lui venaient même en tête à l’instant et qui le hanteront pour le restant de ses jours. À l’époque, on ne lui avait pas laissé le choix. Il tuait ou il était tué et comme Zaahrian ne voulait pas mourir… Aujourd’hui, il n’avait plus les mains liées. Il pouvait choisir et il le faisait librement. Il utilisait ses talents pour prendre des vies, mais pour les sauver également. Il débarrassait cette ville des fauteurs de troubles. Il protégeait les innocents en se salissant les mains. Oui, parfois ça impliquait des choix difficiles, des décisions que personne ne voulait prendre. Parfois, il devait accepter que des atrocités soient commises afin que la majorité soit en paix, car il ne pouvait pas sauver tout le monde. C’était une leçon qu’il avait apprise à la dure. Un homme peut avoir de grandes ambitions, mais vouloir quelque chose ne signifie pas que l’on peut l’obtenir. On ne change pas le monde en un claquement de doigts. Plus important encore, les gestes posés ont parfois des conséquences insoupçonnées. Il y a très peu de certitudes en ce monde et ça aussi, Zaahrian l’avait appris à la dure.

Et plus d’une fois, il avait également constaté que d’être gentil ne suffisait pas toujours. Zaahrian n’avait pas bougé lorsque Ren s’avança vers lui, il voulait vraiment montrer sa bonne volonté. Naturellement, il ne lui faisait pas confiance. Il se doutait qu’il préparait quelque chose, mais dans les circonstances, il était prêt à lui laisser une chance. Tout ça pour être récompensé d’un coup dans les côtes. Zaahrian réagit aussitôt pour protéger son flanc. Il avait d’excellents réflexes. Des années d’entraînement jumelé à d’innombrables combats ont fait de Zaahrian un adversaire redoutable au point que son corps agissait parfois avant que sa tête ne réalise pleinement ce qui était en train de se passer. Ainsi, il sentit la douleur dans ses côtes, vive au point qu’elle lui coupa le souffle. Puis il saisit un couteau. Comment était-il arrivé là ? Il n’en avait pas la moindre idée. Comme s’il observait la scène depuis l’extérieur, il vit la lame se retourner dans sa main puis son bras décrire un arc de cercle. Le couteau s’enfonça dans la cuisse de Ren. Solidement planté dans la chaire, il le lâcha. Sa main se referma pour former un poing qui percuta la mâchoire de son adversaire. Les deux hommes tombèrent sur le sol.

« Je t’ai donné le choix. » Haleta Zaahrian. « Je pouvais t’aider, mais tu as décidé autrement. Parce que tu m’as prouvé que je ne pouvais pas discuter avec toi, je vais te ramener à ta famille comme convenu. Ensuite, je vais traquer tes amis et les éliminer un à un. » Et comme pour tourner le fer dans la plaie, il ajouta. « Tout ce que je demandais c’était de discuter. »

-Alors va y !

Ren se retint de hurler en serrant les dents sur l’effet de la douleur mais aussi de la frustration. Sa main était convulsivement crispée sur sa cuisse dans laquelle l’assassin avait planté sa lame.

-Fait ce que tu veux, ramène-moi si ça te chante, mais les autres n’ont rien à voir là-dedans. Il grogna de douleur en relevant maladroitement son genoux valide.

De toute façon, il avait tenté de fuir par deux fois et par deux fois ça avait raté. Il n’avait pas plus de chance avec une jambe en moins…

-Tu doit bien avoir des gens à qui tu tiens non ? Pourquoi il essayait de tenter la pitié ? Aucune idée. Est-ce que ça marcherait ? Ren ne le pensait pas. Mais ça venait du fond du cœur. Une famille ? Des amis ? Il s’arrêta une seconde, l’esprit secoué par une vague de douleur lui remontant de la cuisse jusque dans son crâne. Tu les laisserais se mettre en danger à cause de toi ? Il souffla et tendit sa main libre en jetant au passage sa lame un peu plus loin. Vas-y, je me défendrais pas. J’peux pas de toute façon. Mais t’as été payé pour moi. Alors  si t'as un peu d'amour propre fait ce pour quoi t’es payé et laisse mes amis en dehors de ça!

Cet homme était franchement agaçant et mettait à rude épreuve la patience de Zaahrian déjà fortement ébranlé depuis le début de cette chasse à l’homme. Voilà le problème avec le fait de ramener quelqu’un vivant, il avait tout le loisir de discuter. Dans le cas de Ren, il faudrait plutôt dire pleurnicher, mais dans les deux cas ça signifiait qu’il ne pouvait pas se la fermer. Il y a quelques années, Zaahrian n’aurait pas été aussi conciliant. Il l’aurait ramené à sa famille, pris l’argent avant de retourner à sa petite routine sans se soucier de ce qui lui arriverait. Peut-être même qu’il aurait refusé le contrat, car garder quelqu’un vivant était tellement plus compliqué que de le tuer. Un triste constat, mais criant de vérité, malheureusement. Tuer un homme est facile.

Désespéré, Ren tentant de l’amadouer en faisant référence à sa famille et aux gens qu’il aimait. Il ne les laisserait certainement pas se mettre en danger à cause de lui. Vrai, mais pour certaines choses, Zaahrian était totalement impuissant. Il ne pouvait rien changer à sa propre nature ni à la réputation qui le précédait. Même s’il arrêtait du jour au lendemain de prendre des contrats, des gens dans ce monde rêvaient d’avoir sa tête exposée sur le manteau de leur cheminée. Ensuite, il n’arrêtera pas, car il était venu à la conclusion des années plus tôt que le faire serait un gaspillage de talent. Il était doué dans l’art de botter des culs. Autant utiliser ses aptitudes pour faire de ce monde un endroit meilleur même si ça signifiait tuer des gens dans le processus. Puis Guilin était aussi un assassin. Il prenait ses propres décisions et n’avait besoin de personne pour se mettre en danger. Zaahrian ne pouvait que faire confiance en son jugement. Quant à Andrea, son métier de prostitué le mettait aussi à risque et c’est sans parler de ses voyages pour aller voir ses autres amoureux éparpillés un peu partout. Ni l’un ni l’autre n’avait besoin de Zaahrian pour se retrouver dans des situations délicates, mais il est vrai qu’il s’en voudrait si quelque chose leur arrivait à la suite d’une mauvaise décision de sa part.

Sa fille était la seule exception. Zaahrian n’avait pas beaucoup de certitudes dans la vie, mais il réduirait ce monde en cendre si quelque chose arrivait à sa fille. Il aimait Guilin et Andrea, mais Aya était une partie de lui, la chaire de sa chaire, le sang de son sang. Il s’étonnait de la rapidité avec laquelle il s’était lié à elle. Cette enfant l’épuisait parfois, mais elle était sienne. Il avait toujours eu une affinité particulière avec les enfants, mais n’avait imaginé qu’il puisse en avoir un à lui. Elle était plus précieuse que sa propre vie et il n’hésiterait pas à se sacrifier pour la protéger tout comme Ren était prêt à le faire pour ses compagnons.

« Ta loyauté est admirable. Stupide dans les circonstances, mais admirable. Il y a quelque chose que tu n’as pas compris. Ta famille m’a demandé de te ramener, c’est vrai. C’est en discutant avec eux que j’ai appris tes liens probables avec l’Aile Blanche. Ces liens ont été confirmés durant mon observation, faisant changer mon plan. Je veux m’entretenir avec le chef de votre bande depuis un moment. J’ai pensé que je pourrais t’utiliser pour l’atteindre. C’est pourquoi je t’ai approché de façon amicale. En aucun cas je n’ai été menaçant avec toi à ce que je sache. C’est vrai que je t’ai amené dans ce grenier sordide, mais on devait se cacher et c’était un endroit comme un autre pour discuter sans risquer d’être dérangé. C’est toi qui as décidé de fuir. C’est toi qui as refusé de m’écouter alors que j’ai été parfaitement honnête avec toi. Bon, je n’ai pas utilisé mon vrai nom, mais les gens deviennent nerveux lorsqu’ils entendent Zaahrian. »

Il marqua une pause, donnant le temps à Ren d’assimiler ce qu’il était en train de dire.

« Ta sœur m’a dit juste avant de partir que je ne devais pas te ramener à la maison. Elle a fait semblant d’échapper son foulard pour me parler discrètement. Je me doute que ça ne sera pas plaisant pour toi de retourner là-bas. Alors j’ai pensé que si j’arrivais à parler avec ton chef, si j’arrivais à m’entendre avec lui peut-être que je pourrais trouver une solution pour toi, une façon de t’éviter de mourir. J’ai dit que je te trouvais décent et c’est vrai, mais en agissant comme tu l’as fait, t’as fait ton choix. »

Zaahrian prit la corde attachée à sa ceinture pour lier les poings de Ren. Il fit ensuite un bandage de fortune pour sa cuisse. Heureusement, ce n’était pas une blessure très grave et le sang commençait déjà à diminuer. Les croyaient à tort que la cuisse était un endroit relativement sécuritaire où viser lorsque l’on voulait blesser quelqu’un sans le tuer. Ce qu’ils ne savaient pas, c’est qu’une très grosse artère passait dans la cuisse et la victime pouvait se vider de son sang en quelques minutes à peine si elle était touchée. Zaahrian aurait très bien pu tuer Ren sans vraiment le vouloir.

-Tout ce que je te demande c'est de pas les mêler à... Soudain Ren se figea.

Sans se débattre ni rien il haussa un sourcil sincèrement surpris en intégrant soudain les paroles de l'assassin. Sa bouche s'ouvrit puis se ferma sans bruit. Enfin, il finit par s'exprimer après quelques secondes d'interrogation intérieure.

-Attend t'as bien dit ma soeur? Visiblement ça le travaillait encore plus que le reste. Des frères j'en ai tout un tas, beaucoup trop, mais des sœurs non... j'ai jamais eu de sœurs. Enfin...heu si, j'en ai une. Je crois. Peut être même plusieurs en fait. Mais je les connais pas et elles encore moins. Se tortillant dans le seul but de mieux faire face à son interlocuteur, il plissa les yeux. Elle t'as dit quoi cette nana au juste ?

Ren n'avait jamais connue la benjamine de la famille Ley'alnen. Elle était née quelques temps à peine après sa dernière fuite et à regret, Renalt n'avais jamais pu la rencontrer. C'était bien la seule chose qu'il regrettait encore de cette ancienne vie, morte et enterrée. Il se demandait si son implication là dedans n'était qu'une coïncidence. Et pourquoi avait-elle tente d'intercéder en sa faveur...?