Le cœur du problème | Viliam & Djena

Hiver, Karfias 20:XI
Septième jour de la deuxième ennéade

Djena parcourt les rues depuis la veille. Elle a sans cesse l'impression de repasser aux mêmes endroits et c'est sans doute vrai. Ce quartier n'est pas si grand que cela alors, en deux petites heures, elle en a fait le tour. Alors, depuis hier...
Elle a presque du mal à reconnaître les lieux où s'est improvisé cette fête à retardement pour le nouvel an. Pourtant, elle sait qu'elle a bu un coup dans telle ou telle taverne. Elle sait qu'elle a aperçu Fantôme et Viliam dans celle-ci. Elle sait que c'est là qu'elle a rencontré ce beau parleur et qu'elle s'est volontairement laissée prendre à son jeu pour se distraire. D'ailleurs, quand ils sont partis, ils ont emprunté cette rue, elle en est sûre... Mais ce n'est pas ce grand blond qu'elle cherche aujourd'hui. Non, ce type-là est plus grand encore, brun, les cheveux presque longs, le sang mêlé...

Et finalement, au détour d'une rue, elle croit avoir aperçu quelqu'un qui lui ressemble tourner vers la gauche. Elle voudrait presser le pas mais il y a foule à cette heure et la voie est encombrée par des piétons, des charrettes et des chevaux... Alors elle décide de tourner elle aussi pour rejoindre une ruelle plus calme et tenter de le rattraper par là. Comme elle a perdu du temps et qu'il a une longueur d'avance sur lui, elle se met à courir dès qu'elle en a la possibilité. A chaque embranchement, elle tourne la tête, espérant l'apercevoir à nouveau. Elle s'arrête une ou deux fois en pensant discerner quelque chose puis repart aussitôt après s'être rendue compte qu'elle s'est trompée. Et puis... Là, elle est pratiquement sûre que c'est lui. Seulement elle voit pas son visage.

-Hey hum... Vi... Rah, désolé j'ai pas retenu ton nom. J'peux te parler une minute ?

-ça explique pourquoi tu me colle au basque.

Il a vite remarqué qu’elle le suivait quelques minutes en arrière alors il a volontairement serpenté à travers les ruelles. Malheureusement ça n’a pas suffi et en fait, ça à même vite agacé Viliam qui à finit par simplement s’arrêter et attendre que l’inconnue le rattrape. Elle est trop près de la taverne pour qu’il prenne le risque de s’y cacher ou même simplement s’en rapprocher. Il n’a pas envie de jouer au jeu du chat et de la souris pendant des heures.

N’ayant même pas pris la peine de se tourner entièrement vers elle, sa main est posée sur la garde de sa rapière mais il n’a pourtant pas encore fait mine de la dégainer. Il veut bien savoir ce qu’elle lui veut d’abord. D’ailleurs c’est l’amie de Fantôme ou il rêve… ?

Ce dernier n’est jamais revenu. N’a jamais donné le moindre signe. Rien. Pas même un mot, un au revoir. Une excuse. Alors, Viliam a fait de son mieux pour l’oublier. L’idée d’être allé si loin avec un type qui l’a abandonné de cette façon, aussi brutalement, le fait osciller entre colère et dégout qu’il peine franchement à surmonter. Il avait eu peur que la chimère se sente abusé, mais actuellement, c’est le bandit qui a cette impression. Ils ont couchés ensembles,viliam lui a montré une facette de sa personnalité que bien peu de gens ont jamais vus, en partie parce que l'alcool lui à complètement fait péter les plombs. Le mercenaire en a bien profité, et puis il est retourné à sa petite vie confortable. La seule excuse qu'il peut avoir, c’est de ne pas connaitre son histoire pour savoir à quel point ça le blesse et a quel point il a dû salement prendre sur lui pendant deux jours pour essayer de ne pas imploser à nouveau.

-Tu veux quoi ?

Sa voix est loin d’être amicale. Elle n’est pas spécialement agressive non plus. Elle est juste particulièrement froide.

Djenaba croise les bras sous sa poitrine. Etant donné qu'il est sur la défensive, la main sur le pommeau de son arme, elle n'avancera pas. Après tout, elle veut juste des explications et il semble déjà suffisamment en rogne pour ne pas vouloir l'agiter encore plus en approchant s'il se sent en danger.

-Eh bien, tu es aussi jovial que Fantôme à ce que je vois. Depuis le nouvel an, il est d'une humeur de plus en plus massacrante. Et, vu qu'il veut pas me parler et que je vous ai vu trinquer ensemble ce soir-là, j'espérais que tu pourrais m'aider. Je vois que je suis sur la bonne piste mais, je sais pas pourquoi, je sens que tu vas m'envoyer chier, toi aussi. J'me trompe ?

-Gagné. Il se contente de continuer son chemin en lui tournant le dos. Rentre chez toi. Tu perds ton temps.

Djenaba ne se défile pas et le suit, conservant toujours la même distance entre eux.

-Donc c'est bien en rapport avec toi. Je sais pas ce qu'il s'est passé mais il ne va pas bien du tout. Il arrive plus à rien, même un bébé pourrait le mettre au tapis. Il arrive pas à se concentrer plus de trois secondes et il a tout le temps l'air ailleurs. Vraiment ailleurs. Quelque chose le perturbe et je peux pas l'aider si je ne sais pas quoi.

Viliam soupire, mais il continue de marcher. Visiblement qu’elle le suive l’agace autant que le fait qu’elle insiste.

-C’est pas mon problème.

-D'accord, donc soit c'est lui l'enfoiré, soit c'est toi. Je choisis au pif ?

Un instant Viliam s’arrête. A sa façon de se crisper et de souffler un grand coup, la jeune femme peut comprendre qu’elle touche une corde sensible…et qu’elle ne va pas tarder à céder. Peut-être qu'il hésite entre repartir ou lui répondre.

-Bon écoute. Il se tourne vers elle, et s’avance d’un pas. Tes problèmes avec ton ami me regardent pas. Et même si ça me regardait, je m'en tape. Tu veux savoir pourquoi il fait la gueule ? Demande lui. Il veut pas te répondre ? Qu’est ce que tu veux que j’y fasse ? Je suis pas un putain de messager entre vous deux ! Il pointe un doigt vers elle. Maintenant foutez moi la paix avec vos histoires. Jusqu’ici enfoiré ou pas, à ça, il s’en sort bien mieux que toi.

Djena se pince les lèvres pour se retenir de sourire de satisfaction. Elle a tapé en plein dans le mille pour lui faire enfin aligner plus de trois mots. Cependant, ce n'est pas le moment de se relâcher et elle écoute bien attentivement ce que Viliam lui sort.

-Tu crois que je me ferais chier à passer des heures à te chercher et à te tenir la jambe dans la rue si je pouvais faire autrement ? Il a toujours fait des conneries, ça s'est un fait, mais ça n'a jamais affecté son travail. Hier, il a tellement déconné qu'il a été mis à pieds. Si tu le connais bien, alors tu sais que les Chimères c'est toute sa vie. S'il ne se reprend pas, il va perdre ce qui fait à la fois office de travail et de famille pour lui. Alors de ton point de vue, c'est peut-être un enfoiré. Mais du mien, c'est un mec totalement perdu et qui est en train de perdre pieds. Un mec qui va finir par se faire du mal si personne ne l'aide et il ne veut pas de moi ! Alors s'il a compté un temps soit peu pour toi à un moment donné, aide-moi putain !

Les nerfs de la métisse commencent à lâcher. Cela fait un moment qu'elle a l'impression de perdre Fantôme mais là, tout s'est accéléré de manière exponentielle et elle n'est plus seulement en colère... Elle a peur. Et pas pour elle...

-Vous m’faites chier. Le bandit passe ses mains sur son visage. Vous m’faites vraiment chier.

Le semi-elfe à l’air d’avoir soudain troqué sa colère contre une fatigue écrasante. Il n’en peut plus de toutes ces luttes dont il n’a jamais voulu. Il n’a envie que d’une chose actuellement, c’est de partir en courant. De se barrer d’ici, de cette ville. Foutre le camp et s’enterrer il ne sait où. Pécher, et élever quelques animaux et mourir de sa belle mort…ou pas. Juste ça et rien d’autre. Viliam est épuisé et ces nouveaux soucis viennent alourdir un peu plus ses épaules. Ces soucis-là, il ne peut les confier à personne, pas même Ren. Pas entièrement en tout cas.

-Ecoute. Lâche-t-il en se faisant violence pour reprendre une contenance. Conseil d’un type qui a perdu pied y a bien longtemps et qui n’est probablement en vie que parce que ça amusait les dieux de le torturer quelques années de plus : Lâche pas l’affaire Djena. Tu comptes énormément pour lui. Vraiment. Et des gens qui comptent autant que tu ne comptes pour lui, quand t’es paumé comme ça, c’est tes piliers. Sa voix oscille légèrement, sous le coup de parole qui ont un sens très personnel pour lui. Un sens douloureux à évoquer comme ça, devant une quasi inconnue.  Que tu le veuille ou non, que t’ai envie de crever, te jeter dans les bras du premier abrutit qui passe, abandonner père et mère sur un coup de tête…Ce que tu veux. Au final tu finiras par te relever tant que t’as ton pilier pour te forcer à pas creuser plus profond que le trou dans lequel tu t’es mis. Quitte à te prendre des claques et te faire traiter comme un gosse s’il faut. Faut juste pas abandonner, et montrer que t’es là pour lui, même s’il se comporte comme un sale con. Au fond, il t’en est plus reconnaissant que tu ne le pense. Mais pourtant il recule et secoue la tête, triste. Mais j’peux pas t’aider plus que ça. Je suis rien pour lui. Une connerie de mec bourrés qu’il ferait mieux de pas se rappeler. Alors oui, il a compté pour moi. Mais c’est pas de moi dont il a besoin.Si tu veux l'aider, retourne près de lui et le lâche pas.

 Viliam,lui, avait juste besoin d’oublier. Oublier ‘’liam’’.

-Alors c'était bien ça...

Malgré ses yeux brillants de larmes, Djena étire un sourire doux et compatissant. Elle avait vu juste. En les observant tous les deux, c'était dur de pas s'y tromper... Elle voudrait lui répondre qu'il se trompe, qu'il n'est pas rien pour Fantôme où il ne se mettrait pas dans des états pareils, mais est-ce que ça l'aiderait ? Si elle n'arrivait pas à ramener son ami sur le droit chemin et qu'il ne revenait jamais voir son amant... Il serait sans doute plus facile pour lui de tourner la page s'il est en colère contre lui. Alors elle choisit de ne rien dire.

Au-delà de cette découverte, elle a bien entendu tout ce qu'il lui a dit. Elle comprend que cela va être dur, y compris pour elle. Peut-être plus que ça ne l'a été jusque là. Mais ça va être le prix à payer pour ne pas perdre son ami... Alors, elle hoche un peu la tête, acceptant cette idée. Elle ravale sa salive. Elle souffle, tant pour encaisser que pour se reprendre. Puis elle revient sur le bandit.

-Merci Viliam.

Oui, elle s'est finalement rappelé de son nom. Elle ne va pas l'ennuyer plus longtemps. Elle espérait pouvoir le ramener avec elle mais elle a compris qu'elle allait devoir faire sans. A la place, il lui a donné ce qu'il fallait pour tenir bon encore un peu. Autant qu'elle lui fiche la paix et qu'il fasse son deuil de son côté...

Il faut qu'elle rentre... S'assurer que Fantôme n'a pas fait de bêtises en son absence.

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