L'oiseau en cage | Viliam & Aslan

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8ème ennéade
Eté, Verimios 20:XI

C'est l'agitation totale ce soir. L'attaque sur l'auberge a fait grand bruit. Elle brûle encore à l'heure qu'il est et, avec elle, les indices qu'elle pouvait contenir. Mais l'endroit a déjà été fouillé, sans succès. Donc s'il y avait quelque chose à trouver, ils l'auraient déjà fait. En revanche, ce soir, ils ont réussi. Dans la rue, ils rassemblent les corps. Les morts sont entassés. Les vivants mis à l'écart, assis contre le mur d'une autre bâtisse. Parmi eux, plusieurs sont inconscients. Mais ils feront le tri plus tard... On les entasse dans une carriole sécurisée... et on les emmène, sous bonne escorte, à la caserne du Guet la plus proche.
En arrivant, on les fait descendre un par un et on les dirige, en file indienne, vers un cellule fermée par des barreaux. Là, on les oblige à s'asseoir de nouveau et on les enchaîne tous les uns aux autres par des fers fixés aux murs. Ici, il n'ont plus d'échappatoire. On leur annonce que leur sort sera décidé par le prévôt demain. On referme et on poste quatre gardes.

L'agitation de la dernière heure laisse alors place à un grand vide... L'atmosphère doit être pesante dans la cellule alors que tous viennent de perdre quelqu'un dans cette explosion et que, demain, on les condamnera sûrement à la corde. Il y a des larmes, sans doute. Des sanglots ? Pas sûr... Il ne faudrait pas donner ce plaisir à leurs geôliers qui semblent plutôt satisfaits des derniers évènements.
Mais alors qu'ils se croyaient tranquille jusqu'au matin, de l'animation naît dans le couloir. Un petit groupe de soldats approche et s'arrête devant la cellule. L'un d'eux se place juste devant la porte et les observe. Ils sont sales. Mal en point pour certains. Mais, d'ici, il ne voit rien car la pièce est dans l'ombre. Seul le couloir est éclairé. Alors il se tourne vers celui qui porte un uniforme qui ne laisse pas de place aux doutes concernant son grade.

-Permission d'entrer ?
-Accordée.

D'un geste, l'ordre est donné et l'un des gardes saisit ses clés dans un cliquetis métallique et vient ouvrir la grille. Le Sergent prend un torche et pénètre à l'intérieur. Marchant lentement, il passe devant chaque prisonnier pour les observer. Il passe rapidement devant les femmes et les vieillards. Il s'arrête plus longuement sur les autres. L'un est allongé sur le côté. Du pied, il le repousse afin de pouvoir voir son visage. Puis il s'agenouille et détaille ses traits. Il se souvient de ses yeux. C'est ce qu'il a le mieux vu de lui... Et, justement, il les entrouvre. Peut-être la première fois depuis l'explosion ?

-Comme on se retrouve... Viliam.

Aslan étire un sourire en coin. Il est bien là... Il va pouvoir faire son travail. Celui pour lequel son Lieutenant a convaincu le Capitaine de cette garnison de le laisser agir. Il a peut-être été déchu de son précédent grade pour une enquête qu'il n'a pas pu mener à bien dans les Soieries mais son talent en matière d'interrogatoire reste difficile à égaler. Alors il n'a pas été difficile d'obtenir un accord.

-Sortez-le de là. Commande le Capitaine qui a pénétré de deux pas dans la cellule pendant que le sous-officier inspectait les prisonniers.

Derrière lui, on entre déjà mais le Sergent a le temps de constater l'état du prisonnier et, arrivant sur son abdomen, il fronce les sourcils.

-Et appelez un vitaliste.

Les soldats s'arrêtent dans leur élan. Alors Aslan tourne son regard vers l'officier.

-Dans son état, il ne tiendra pas jusqu'à demain.
-Allez-y mollo. Et toi, va chercher le soigneur. Fissa.

Le Sergent se recule pour laisser la place aux soldats. Viliam est détaché puis emmené, avec précaution, ce qui provoque de l'émoi et de la colère parmi les autres membres du groupe mais il ne s'en soucie pas. Il suit les Guetteurs jusque dans une pièce plus éloignée. Une pièce sans fenêtre mais qui dispose d'une table et d'une sorte de paillasse à même le sol. On installe le blessé sur ce lit de fortune. On lui menotte les poignets et les chevilles. Et on sort. Tous sauf un. Aslan reste là, adossé contre le mur d'en face, fixant le bandit sacrément amoché. Ils ne restent pas seuls bien longtemps avant que le soigneur ne les rejoigne. Il n'a aucun mal à identifier celui pour lequel on l'a appelé et se dirige aussitôt à son chevet.

-Soignez-le autant que possible. Commande-t-il sans plus d'explications.

Son nom prononcé par le guetteur fut la première chose que Viliam entendit depuis l’explosion. Les oreilles encore presque sifflantes, il intégra rapidement ce qu’il s’était passé en ayant le visage du soldat au dessus de lui, dans une cellule puant la peur et la sueur.

Ils avaient été pris. La fuite avait duré vingt ans mais il l’avait toujours su : tôt ou tard cela devait finir. Il entendait les sanglots et les protestations de ses camarades autour de lui et la peine serra son cœur. Ils avaient beau tous être conscient des risques qu’ils prenaient chaque jour, certain n’avaient même pas l’âge qu’il avait lorsqu’il devint un fugitif. Il aurait aimé être capable de les protéger plus. Ces gens-là étaient ses frères et sœur. Ils ne méritaient pas le sort qui les attendait. Les savoir-là était son seul et unique regret.

On le força soudain à se mettre sur ses jambes, cherchant à changer ses chaines et bien entendu il se débâtit de toute ce qu'il restait de ses forces. Il ne cherchait pas à recouvrer sa liberté cependant, il cherchait plutôt à pousser les gardes à bout. C’était son seul et unique objectif. Malheureusement pour lui, il était blessé, et un simple coup bien placé à l’endroit de sa blessure suffit à le maitriser et on le força à tomber sur ses genoux, la respiration coupée, le temps qu’on lui passe d’autres fers et qu’on l’emmène Nééra savait-où.

Pas un mot ne sortit de sa bouche durant le chemin qu’on le força à prendre, pas plus lorsqu’on le força à s’installer dans une nouvelle cellule.

Lorsque le médecin s’approcha, le bandit ne bougea pas et riva les yeux au sol. Il attendait. Il ne voulait pas de ces soins. Ces soins, ils n’étaient que la promesse d’une plus lente agonie. Plus il restait en vie ici, plus il risquait de trahir ceux qui restaient, ceux qui ont avaient eut la chance de fuir…Combien étaient-ils ? Ren, Clarisse…il savait qu’ils étaient dehors. Il avait confiance en eux pour faire ce qu’ils avaient promis. Si Ren perdrait probablement la tête par la douleur de perdre son meilleur ami, Clarisse saurait le maintenir sur le bon chemin, et le soutenir dans cette épreuve. Il faudrait quelques temps maisL’Aile blanche survivrait. Pour cela malgré tout, lui ne devait pas survivre. Il se l'était promis . Il ne serait plus l'esclave de personne. Plus jamais.

Finalement il sentit la main du médecin se poser sur son épaule et il releva brutalement ses poignets liés entre eux pour le frapper au menton. Le pauvre homme fut envoyé en arrière, avec un peu de chance le nez brisé et Viliam ajouta un coup de pied pour l’éloigner. Il fut aussitôt puni par les milliers d’étincelles qui passèrent dans sa vision, la douleur lui faisant tourner la tête. Sa respiration se fit râlante durant quelques instants tandis qu’il recula au maximum dans la pièce. Silencieux, le visage pâle entouré de mèches de cheveux collée par la sueur de la fièvre, il dardait pourtant un regard noir bien vivant envers les deux hommes. Le bandit en cage avait perdu son flegme au profit d’une sauvagerie animale. D'ailleurs il reconnaissait le sergent qui avait appelé le soigneur, pour l'avoir confronté quelques temps plus tôt. La lueur de haine qui brilla dans ses yeux ne trompait pas.

Aslan soupire. Même gravement blessé et à moitié sonné, il continue à se défendre. Une vraie tête de mule. Mais cela lui donne un aperçu de sa volonté. Manque de chance, son Lieutenant a vendu au Capitaine qu'il parviendrait à rentrer dans sa tête... Cela va être plus compliqué qu'il ne l'avait espéré. Mais bon...

Le Sergent se décolle de son mur et avance vers les deux hommes. Il s'arrête au niveau du soigneur qu'il attrape par le col et tire en arrière alors qu'il est encore à terre après le coup qu'il a reçu, tout en ne lâchant pas Viliam des yeux. Passant devant la porte encoure ouverte, il s'adresse aux soldats postés devant.

-Faites en sorte qu'il ne puisse plus se débattre.

Alors qu'il relève le vitaliste pour l'adosser au mur, trois hommes entrent. De force, il lèvent le bandit et le tire vers le centre de la pièce. Ils l'assoient sur la chaise la plus proche et lui posent les mains sur la table. Tandis que deux d'entre eux le maintiennent fermement, un autre fixe la chaîne dans un anneau de métal puis passe sous la table pour fixer le cadenas dans un mécanisme hors de portée du prisonnier. Puis ils font de même avec ses jambes, fixant la chaîne au sol cette fois.
Pendant ce temps, Aslan s'assure de l'état du soigneur. Il est un peu sonné, il saigne du nez... mais pas assez pour les inquiéter vraiment. D'une tape sur l'épaule, il l'encourage à prendre sur lui pour le moment.

-Faites votre boulot et allez vous faire soigner aussi.

Le mage hoche la tête en signe d'acquiescement. Puis il se détache du mur tandis que le Sergent se retourne vers le centre de la pièce.

-Tenez-le bien. Qu'il ne recommence pas.

Il a peut-être des entraves mais il pourrait encore donner un coup de coude au vitaliste. Alors, cette fois, il veut s'assurer qu'il ne pourra pas empêcher qu'on le soigne. Et il reste là, presque dans le coin de la pièce, à observer la scène. Maintenant qu'il ne peut plus bouger et que sa cible a l'air bien éveillée, il peut se concentrer... Alors il s'ouvre aux flux. Il doit accéder à ses émotions, mais pas seulement. Parce que, là, tout de suite, il n'aurait pas vraiment de surprise. Il se contente de se préparer à la suite, profitant de la distraction procurée par les soins pour se frayer un passage dans l'esprit du bandit. Il n'y rentrera pas tout de suite... Il veut juste l'identifier pour faciliter la suite.

A nouveau, le bandit fait tout ce qu’il peut pour échapper aux soldat mais il n’a absolument aucune chance. Il a beau user de toute sa force il se retrouve enchainé pied et mains, et maintenu. Il grogne, et ne fait pas mine de se calmer une seule seconde.

En réalité, le mage de l’esprit peut sentir qu’il à peur. Être ainsi privé de mouvements semble provoquer le même type de terreur que le sergent à put lui sentir venant des ténèbres de la rue l'autre fois. Le fond de désespoir est toujours là et cette fois il noie presque tout le reste.
Viliam ne hurle pas, il se contente de forcer en vain. Son visage n’affiche rien alors qu’il fixe la table sale. Mais au fond, ces hommes qui le maintiennent, celui qui lui fait face, sans qu’il ne sache encore pourquoi, tout cela le renvoie aux pires jours de sa vie. Ceux qu’il tait pour ne pas flancher. Ce que Ren n’a fait que deviner, lentement. Il sent la panique monter petit à petit.

-Je ne te dirais rien. Il ne reconnait presque pas sa voix tant elle est rauque. De toute façon tu as déjà gagné. Tu sais qui je suis, tu n’as qu’à regarder mon cou pour savoir d’où je viens. Je suis chef de l’Aile Blanche, moi et moi seul responsable de dizaines d'agressions et de tout ce que tu peux avoir envie de me foutre sur le dos depuis les vingt dernières années. Fait moi exécuter, gagne tes foutus galons et perd pas notre temps à tout les deux. Soudain il écarquille les yeux, comprenant où s’en va cet interrogatoire sans question. A nouveau la haine remplace la peur. La peur prend de nouveau le dessus, et les deux se mélange dans une tempête brutale d’émotions. Sort de ma tête ! lâche-t-il soudain en secouant la tête et cherchant à nouveau à se débattre. Je ne suis pas ta putain !  

L’homme n’a même pas la décence de lui offrir une mort propre. Tout mais pas ça. Ils vont le détruire, comme il l’a détruit autrefois. Tous mais pas ça, hurlait-il mentalement.

Curieux... Cette sensation... Cette peur incontrôlable. Presque une terreur. Ce n'est pas pour l'interrogatoire, alors quoi ? Aslan met ça dans un coin de sa tête pour plus tard. Pour l'instant, il doit continuer son ouvrage et s'insinuer dans la tête de ce type qui, pour l'instant, se débat contre ses geôliers, en vain. Une fois maîtrisé, le soigneur approche et pose la main directement sur l'abdomen du prisonnier où il a eu le temps de remarquer la blessure tout à l'heure. Et Viliam ne peut plus l'en empêcher.
Finalement, le bandit parle. C'est la première fois qu'Aslan entend sa voix depuis qu'il est arrivé. Le criminel essaie de le pousser à simplement faire venir le prévôt et en finir mais le Sergent est loin d'être aussi stupide. Ils ont eu la tête du serpent mais combien de fois a-t-on vu une autre tête pousser ? Trop pour qu'Aslan se contente de ce chef-ci. Et soudain...

-Sors de ma tête !

Surprenant. Il s'en ai rendu compte alors qu'il vient seulement de trouver la faille. Il fait preuve d'intelligence, rien de plus surprenant pour quelqu'un qui échappe à la justice depuis vingt ans. En revanche, sa dernière phrase, il ne la comprend pas vraiment mais il est trop concentré pour y accorder de l'importance pour le moment.
Aslan jette un coup d’œil rapidement sur le soigneur qui lui adresse un simple hochement de tête : Il a fini ce pour quoi on l'a appelé. Le sous-officier reporte alors son attention sur Viliam tout en s'adressant aux Guetteurs.

-Laissez-nous. Dit-il froidement, tout entier tourné à sa tâche.

Les quatre hommes sortent et ferment derrière eux. Il ne reste plus à présent que le Sergent et le bandit dans un face à face silencieux. Du moins du côté du soldat.
Après quelques instants, la pièce autour d'eux change lentement. La lumière devient plus claire et plus vive, presque blanche. Les murs s'effacent et quelque chose semble approcher de toute part, convergeant vers les deux hommes. Les pierres dans le dos d'Aslan sont remplacées par une grande étagère remplies de livres. Et c'est ce qui les entoure rapidement. C'est une sorte d'immense bibliothèque qui prend forme tout autour d'eux, sans murs, ni plafond, ni sol -que l'on ne devine que parce que tous les meubles sont au même niveau-. Et, au milieu de tout cela, la table où Viliam est toujours attaché. Une fois que tout est stabilisé, Aslan ouvre enfin la bouche. Son ton est moins froid qu'avant, presque doux.

-Qu'est-ce qui t'effraie à ce point ? Sa voix résonne très légèrement dans ce grand vide. Je t'imagine moins en panique face au bourreau.

Le Sergent s'approche, tire la chaise placée face au bandit et s'y installe, s'asseyant de biais pour pouvoir croiser ses chevilles sur le coin de la table. Les mains jointes sur son bassin, les doigts entremêlés, il est à son aise, détendu, et fixe toujours son interlocuteur.

La bibliothèque change à nouveau très lentement, et le bandit qui rive toujours son regard sur la table ne peut retenir une larme de rage. Il ne répond évidemment pas à son geôlier.

L’endroit se pare d’une certaine chaleur, et, c’est étrange car elle parait à la fois minuscule et infinie. L’espace d’une seconde, un oiseau se met à chanter, s’envolant pour se poser sur une étagère toute simple mais dont les rayons sur les plus denses. A côté des milliers de livres, pas forcément très bien rangés mais dont l’état est parfait pour chacun d’entre eux, il y a une sorte de guéridon sur lequel est nonchalamment posé le foulard blanc que le bandit portait encore au cou le soir de l’attaque. L’endroit sent le tabac et l’alcool, mais ce n’est pas dérangeant. C’est…rassurant ? Agréable.

Derrière, une grande fenêtre donne sur un immense champ de blé dont l’horizon est indiscernable. Alors que la plupart des éléments de la pièce sont flous, cette fenêtre-là semble particulièrement nette et détaillée. C’est la seule dont on peut apercevoir aussi précisément le paysage à travers. Les rayons du soleil s’écoulent dans toute la pièce, baignant tout l’endroit dans une lumière douce et rassurante. Non loin, une petite boucle de métal brille dans cette lumière. Elle n’a pas l’air d’avoir beaucoup de valeur, elle est même un peu abîmée et grossière, et pourtant elle est nouée par un ruban au baudrier d’une rapière de bonne qualité, appuyé sur une autre étagère épaisse.

Parmi les rayons les plus neufs, il y a aussi quelques dessins à la mine de plomb mais dont les visages sont flous, indéfinissables. Des objets sont posés là pèle mêles. Une dague certainement drow se trouve posée près d’une chope à l’odeur forte. Il y une spalière de cuir dont l’insigne est illisible. Par-dessus brille un couteau tout simple accompagné d’une fleur entièrement noire. Il y a une lettre cacheté d’un sceau.
Un autre dessin représente un paysage coloré. C’est un endroit connu des soieries, par lequel on accède après de nombreuses marches. Il y a une terrasse qui donne vue sur la baie, une table pour deux et deux verres de vin. Mais rapidement l’oiseau qui change et devient une pie vient et emporte le parchemin au loin, alors que le bandit cherche à tout prix à oublier un maximum de cette soirée. Il fuit de toutes ses ailes le long d’un couloir, proche et loin à la fois dans lequel le fond déformé est bloqué par un éboulement de pierres. Il y a un petit trou dans lequel l’oiseau se glisse et disparait dans un dernier pépiement. Cet endroit-là aussi est tapissé d’étagère et de livres, mais tout semble plus sombre, presque froid. Il y a une petite lanterne posée sur le sol mais la flamme vacille comme si elle était agitée par le vent. D’ailleurs en y prêtant attention, on peut vite se rendre compte qu’elle est brisée. Il reste quelques morceaux de verres sur le vieux parquet et il fait froid.

Entre deux étagères de livres partiellement abimés, il y a une porte, un placard peut être, donc la serrure est complètement verrouillée. On a cloué quelques planches de bois pour empêcher toutes tentative de l’ouvrir. Quelques livres sortent du lot de temps à autres autour, probablement des souvenirs plus net que d’autres. Sur un piédestal, il y un un recueil épais, usé, à la couverture complètement neutre. Il n’y a qu’un simple dessin d’un calice entouré d’ailes dessus. Si l’on continue encore, il y a un deux autre couloirs, l’un est presque vide a l’exception d’un ruban rouge accroché à une étagère entièrement libre. Il porte un parfum féminin très puissant mêlé à une odeur de sable. L’autre est plongé dans les ténèbres. Il y a une immense faille dans le sol qui empêche d’atteindre les rares livres au fond.

-Pourquoi tu fait ça ? Le bandit relève soudain ses yeux sombres vers le sergent.

Il semble sincèrement curieux et en même temps complètement désabusé. Il n’aura pas de réponse, ou bien une tellement vague et stupide que ça reviendra au même. Il n'est même pas certain d'avoir envie d'entendre ses justifications pathétiques.

Evidemment, Viliam ne lui répond pas. Bon... Il aura tenté. Il se contente donc de rester assis là à le regarder, recroquevillé sur lui-même. Il semble détester leur petite visite dans sa tête. Il ressent sa colère comme si elle était la sienne. Seule la pratique lui a appris à distinguer ses émotions de celles des autres. Et le Sergent, lui, est parfaitement calme. Vêtu de son uniforme, rien ne transparaît de personnel sur lui. Ses rares biens sont dissimulés sous sa tenue.

Et puis, leur environnement change de nouveau. Aslan a créé le moule mais celui-ci s'adapte souvent en fonction des hôtes. Certains livres sont remplacés par des objets. Certains éléments nouveaux apparaissent dans les allées. Le mage les détaille avec attention, intrigué par nombres d'adaptation faite pas la personnalité même du bandit. C'est particulièrement intéressant et l'assoiffé de mystères qu'il est aimerait avoir le temps de tout décrypter...
Enfin, la voix de Viliam s'élève dans le vide. Le sous-officier ne lui répond pas tout de suite. Il prend le temps de réfléchir au sens même de sa question.

-Je suis le grand méchant Guetteur alors je dois forcément être un adepte de la violence et du sang. Ce n'est pas sa conclusion mais celle qu'il exprime à la place du bandit. Désolé de te décevoir mais nous ne sommes pas tous aussi sanguinaires. Si chacun était tout noir ou tout blanc, le monde serait bien moins compliqué. Mais je comprends que tu me vois comme le mal incarné.

Les points de vue sont tous différents suivants l'endroit où on se place. Il le sait mieux que personne. Combien de fois a-t-il ressenti le mépris ou la reconnaissance envers le Guet ? Tout dépend à qui leurs actions rendent service. Et, il ne va pas se mentir, il sait pertinemment que, travaillant pour le Conseil de Thaar, les actions de la milice de la ville sont très orientés en leur faveur. Mais sa morale ne le fait pas souffrir sur ce point-là. Surtout en sachant d'où il vient, ce serait parfaitement hypocrite de sa part.

-En général, les gens ont peur ou sont désorientés lorsque je les amène ici. Toi, tu sembles plutôt m'en vouloir à mort. Remarque-t-il sans faire preuve de la moindre ironie ou dérision. Il cherche simplement à comprendre ce qui est en train de se passer dans l'esprit de son interlocuteur. Tu n'aimes pas que je viole ton intimité et tu préfèrerais que je te frappe pour te faire parler... mais quelque chose me dit que ça ne donnerait aucun résultat sur toi. Tu es prêt à mourir pour les tiens. Une dévotion des plus admirable.

Une dévotion dont il fait preuve même ici. Aslan peut remarquer le placard scellé de là où il est et il se doute que d'autres détails sont manquants parmi ce qui se trouvent sur les étagères. Il protège les siens, comme un père de famille. S'y attaquer de but en blanc serait bien inutile. Il doit procéder autrement.

Un rire froid et rauque s’échappe de sa gorge.

-Vous n’êtes pas sanguinaires. Souffle-t-il, tirant à nouveau par réflexe sur ses entraves. Vous avez tué plus de mes frères en une soirée que je ne l’ai fait par légitime défense ces quatre derniers mois et ce avec la même arrogance que tu affiche sur ta sale face de nanti. Des gosses crèvent et vont crever pour un oui ou pour un non de votre part et j’ai toute les raisons de croire que tu n’en dors pas moins mal la nuit. Ne me parle pas de noir ou de blanc chez les gens, épargne-moi au moins ce discours par-dessus-tout. Si tu y croyais vraiment tu m’aurait déjà donné une lame pour en finir. Crache-t-il, avant de répondre à sa seconde remarque. Tu t’arroge le droit de me torturer et de rentrer dans ma tête et tu voudrais que je te remercie pour ta clémence ? Il s’était un peu penché en avant et s’adossa de nouveau à sa chaise. Tu pourras fouiller autant que tu veux et voir autant de ma vie que ça te chante, tu n’en comprendras jamais le sens.

Ce n’était pas une menace. C’était un constat lancé sur le ton du dédain. Autrefois il avait cru à une forme de rédemption universelle. Il avait cru possible de faire revenir sur le droit chemin le pire des criminels avec la patience et le temps. Mais il avait fini par grandir, et constater le monde dans lequel on l’avait plongé. Trop d'individus avaient déjà atteint le point de non retour et discuter avec eux n'y changerait rien. Il n'y avait parfois que la force pour agir. Et pour protéger.

-A ta place... Commence le Sergent. J'éviterai de me lancer des défis.

Il lève alors une main et un livre sort directement d'une étagère pour venir s'y loger en un instant. Sans attendre, il le pose sur ses jambes et l'ouvre. Il n'en tourne pas les pages, le souvenir est en train de se dérouler devant ses yeux et Viliam n'a pas besoin de le voir pour savoir duquel il s'agit. Ils sont dans sa tête après tout.

-C'était sympa comme soirée. Commente-t-il alors que les derniers moments avant l'explosion se jouent devant lui. Il voit quelques visages, dont certains qu'il a aperçu dans la cellule. Ouh, c'est un chaud celui-là. Ajoute-t-il en voyant Ren qui allait embrasser un gars au beau milieu de la taverne. Et puis... La situation bascule... Et tout devient flou pendant un bref instant... Avant que les flammes n'envahissent le décor. Dommage que ça se soit terminé comme ça. Dit-il d'un air qui semble sincère. Il referme alors le livre et le renvoie à sa place. Pour ce que ça vaut... Il appelle un nouveau livre. Je n'ai pas participé à cette attaque. En fait, je ne suis même pas rattaché à ce quartier. Mais j'imagine que ça ne change pas grand chose pour toi : J'ai quand même un insigne.

-Tu reste qu'un putain de salopard.

 Le bandit s’agite alors qu’il est forcé de revivre la soirée. Ren lui manque et le revoir de cette façon n’aide pas. Il s’inquiète pour le grand blond et il sait qu’il en va de même de son côté. Devoir prendre sa place de chef sans pouvoir aider son ami doit le rendre fou de rage et d’inquiétude à l’heure actuelle.

Il lutte de tout son souffle mentalement pour essayer de détourner son propre esprit du moindre souvenir d’importance, mais la volonté du mage de l’esprit est bien plus entrainée à ce petit jeu. Épuisé il ne peut qu’observer la scène qui se joue devant lui, le cœur pincé par l’amertume d’avoir perdu ses amis.

Le temps remonte jusqu’à deux soirées avec le drame.
Ils ne sont pas beaucoup, quatre ou cinq dans la grande salle de la taverne. Il y en a un qui chante plutôt bien mais les deux autres rient quand même devant ce spectacle car il se souvient que les paroles ne volaient pas bien haut. Dans le souvenir, le son est brouillé et il ne reste que la certitude que ça s’est passé ainsi. Il y a la même odeur d’alcool et de tabac qu’autour de l’étagère neuve autour d’eux. Viliam se revoit fumer, puis lancer un défi à Ren qui se trouve alors en face de lui, tenant une chope d’alcool. Le souvenir est brouillé quant à ses paroles exactes et la nature du défi. Les pages se brouillent un peu et défilent rapidement alors que tout ce dont il se souvient c’est d’avoir perdu face à son ami qui le lui fait très clairement remarquer.

Il lui lance alors un bijou, subtilisé plus tôt dans la journée, l’autre se fend en un salut exagéré et tout s’arrête.

-ça suffit!

Il secoue la tête encore, comme si ça pouvait le faire partir. Ces souvenirs lui appartiennent et lui son précieux, même la plus insignifiante soirée passé en compagnie de ses hommes. C'est pour cela que ces étagères sont aussi dense. Il les garde précieusement. Tout ce petit jeu est humiliant au-delà de mettre en péril ses amis. Il veut que sa cesse. Il faut que ça cesse.

Aslan ne montre pas la moindre réaction face à l'insulte de Viliam. C'est la seule arme qu'il lui reste après tout. Il referme le livre... Encore le type du baiser. Ils ont l'air proche. Et, vu la réaction du bandit, il commence à se demander s'il n'y a pas quelque chose à creuser. Mais seulement deux souvenirs, ce n'est pas assez.

-Je te dirais bien que je peux arrêter si tu me donnes quelque chose qui en vaut un peu plus le coup mais je connais déjà ta réponse.

Le livre retourne à sa place et un autre vient aussitôt dans la main du Guetteur. Cette fois, il est remonté quelques ennéades en arrière. Ne sachant pas encore où creuser, il pioche un peu au hasard... Mais ce sont surtout les derniers mois qui l'intéresse. Il ouvre le manuscrit savamment décoré... et le referme aussitôt. Mais il en a déjà bien assez vu. Le bandit couvrait de baisers un torse nu... le torse d'un homme. Il n'a pas vu son visage mais une voix a eu le temps d'émerger des pages, dans un souffle...

-Liam...

Le Sergent marque un temps d'arrêt, levant aussitôt un doigt en l'air. Si le bandit n'aime pas qu'il touche à ses souvenirs entre amis, alors celui-ci... Mais il le prendrait sans doute mal aussi à sa place.

-Pour celui-là, je m'excuse. Dit-il le plus sincèrement du monde avant de renvoyer aussitôt le livre. Vraiment. Insiste-t-il.

Pour une raison qu'il ne s'explique pas lui-même, il ne creusera pas dans ce sens-là. Peut-être est-ce à cause d'elle... C'est sûrement à cause d'elle.
Finalement, Aslan se lève et parcourt la bibliothèque, les rayonnages les plus récents ou les livres les plus propres. Il évite les plus richement décorés pour ne pas retomber sur une scène qui ne le regarde pas et qui n'a rien à voir avec son intervention d'aujourd'hui. Visiblement, cet homme est précieux pour le bandit mais il n'a pas de raison de le mêler à cet interrogatoire s'il n'en a pas besoin pour obtenir ce qu'il est venu chercher.

-Je te jure que si tu fais l’erreur de me laisser l’occasion une seule fois, une seule,  tu t’excuseras dans les bras de Tyra ! Hurla-t-il fou de rage.

Jusqu’ici sa haine avait toujours été glacée. Il bouillait en silence. Mais ce souvenir-là éclatant devant ses yeux l’enragea réellement. Les chaines cliquetèrent alors qu’il tira à nouveau dessus de toutes ses forces, quitte à risquer de se briser le poignet. Il n’était pas à ça prêt. Si seulement il avait put ne serait que lui faire ravaler cet air suffisant…

Tom… Plus encore que les autres il devait le protéger. Le guetteur ne devait jamais découvrir qui il était. Un inconnu. Son visage devait devenir celui d’un inconnu. Quelqu’un qu’il avait aimé autrefois, mais plus maintenant.

Et puis il y avait le cuisant sentiment d’humiliation qui lui donnait la nausée. Il ne croyait pas en la sincérité de son geôlier. Comment aurait-il pu ? Petit à petit, d’un geste après l’autre, d’un tour de main nonchalant et d’un air mine de rien il piétinait tout le combat de sa vie. On lui avait pris sa liberté. Entravé le moindre de ses gestes. Son intimité n’en était plus une, le moindre de ses secrets, le plus intime de ses souvenirs à la portée de cet homme qui n’en avait strictement rien à faire. Ils étaient tous pareil. Ils prenaient et c’était tout.

-Aussi difficile que ça puisse être pour toi, essaie une seconde de me croire ! S'agace enfin le Sergent. Je te vois mal mêler travail et plaisir donc je ne le mêlerait pas à ça ! Tout ce que j'espère pour lui, c'est de ne pas me tromper et qu'il n'a effectivement rien à voir avec tes activités.

-Je m’en fout de tes remords et de tes inquiétudes. Gronda-t-il encore, borné. Cesse de toucher à ce qui ne t’appartient pas.

-Tu as ton devoir. J'ai le mien. Répondit-il, de nouveau calme.

Aslan ne peut pas le lui expliquer... Mais on l'a fait venir spécialement pour l'interroger. Son supérieur a négocié ça pour lui, sans même qu'il n'ait à le demander. Il n'a pas l'autorisation d'arrêter. Au mieux, il peut faire une pause mais sortir maintenant de sa tête serait une mauvaise idée. Viliam est tellement remonté contre lui que revenir serait difficile... Lorsqu'il sera trop fatigué, peut-être... En attendant, le Guetteur se retourne vers l'étagère et commence à inspecter ce qui s'y trouve. Son regard s'arrête un moment sur la spalière. Il voit l'insigne qui semble effacé. La présence de cette marque à cet endroit l'intrigue autant que le secret caché derrière la volonté du bandit mais il passe outre. Quelque soit le corps d'armée auquel le propriétaire de cette pièce appartient, cela est sans rapport avec l'Aile Blanche. Ils ne sont pas connus pour s'infiltrer dans les institutions, cela ne rapporterait rien à leur lutte. Alors il s'en détourne et continue son inspection.

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Le pas pressé, ses armes dans le dos, Fantôme prend malgré tout le temps de s'assurer qu'il n'est pas suivi. Il prend des détours, s'esquive d'un éventuel poursuivant en prenant des passages dérobés ou inhabituels, mais son objectif est clair dans son esprit : sortir de la ville. Après un évènement comme celui de cette nuit, il n'a pas de doutes quant à l'endroit où les compagnons de Viliam se sont réfugiés. Autour de lui, on discute de tout et de rien mais aussi de ce qui a fait grand bruit au début de la nuit...

-Il paraît qu'ils en ont eu plein !!
-Bon débarras... Y'en avait marre de leurs conneries.
-De quoi vous parlez ?! Ils faisaient ça pour une bonne cause eux, au moins.
-C'est ça, ouais...

Mais le marchand ne peut pas comprendre le sens des paroles de la vieille dame dont la mère était une affranchie. Tom n'écoute ces conversations que d'une oreille distraite mais il les entend. L'opinion publique est divisée sur la question... Et, lorsque tout le monde se demande qui s'est fait prendre, lui le sait... Et c'est la raison pour laquelle il n'a pas hésité à s'en aller dès qu'il a appris la nouvelle. Il a toujours su que cela pourrait arriver un jour... Et il le redoutait d'autant plus avec la dernière descente du Guet sur la taverne. Ils auraient dû abandonner ce repaire... Ils se sont montrés trop sûrs d'eux. Ils prennent aussi les soldats pour des abrutis mais il est bien placé pour savoir que ce n'est pas le cas. Pas pour tous en tout cas.

Une fois hors de la cité, il est plus facile d'accélérer l'allure. Fantôme marche vite, court même parfois. La Plaine est sécurisée parce qu'elle est éloignée des murs mais cela représente aussi un inconvénient. Cependant, l'angoisse le tenaille si bien qu'il divise son temps de trajet par deux et se retrouve rapidement à l'endroit où un comparse de Viliam le tenait en respect avec une arbalète l'autre jour. Mais, cette fois, il ne cherche pas à dépasser cet endroit et s'arrête. Il lève les yeux vers le rocher qui sert de vigie et s'adresse à celui qui se distingue à peine là-haut.

-Je viens voir Ren ou Clarisse.

Ce n'est pas vraiment une requête... Il n'a pas le temps pour les politesses. Mais il n'avance pas pour autant, il préfère éviter de se faire trouer la peau inutilement...

-Il faut que ça soit prêt pour demain.

-ça le sera mais je t’en prie Ren va te reposer. Tu t’es pas arrêté et tu viens à peine de rentrer. Si tu fais un malaise on va pas plus s’en sortir.

L’ambiance de la Plaine était électrique. Les rescapés du massacre du la taverne s’étaient réfugiés ici comme cela avait toujours été prévu. Certain étaient légèrement blessés, d’autre plus gravement. La plupart étaient réunis directement à l’extérieur où l’on avait rassemblé un maximum de paillasses. Beaucoup portaient des brulures plus ou moins grave, qu’Aubin, leur médecin s’efforçait de soigner. Beaucoup de bandits se trouvaient aussi à errer dans le petit camp, complètement secoués par le déchainement de violence et la perte de tant des leurs.

Cette nuit, ils avaient perdu leurs compagnons, leurs amis, et ils avaient perdu leur chef de toujours. Beaucoup lui devaient la vie et la liberté qu’ils chérissaient tant, sans que jamais il n’exige quoi que ce soit en retour. Pour l’un, il était apparu comme ça, se perchant sur une fenêtre et discutant avec les esclaves d’une maison où les maitres avaient le dos tourné. Pour l’autre, il s’étaient croisé au détour d’un quai ou encore d’une rue bondée et il avait donné quelques pièce à l’un, une babiole volée à l’autre. Pour d’autre encore ils avaient été séduits par l’effronterie dont il faisait preuve au nez et à la barbe des gardes, le tout sans jamais chercher à faire du mal. D’une façon ou d’une autre il avait touché la vie de chacun des personnes se trouvant aujourd’hui dans ce camps : C’était leur chef et c’était un ami cher pour tous. Certain l’admiraient pour le courage dont il faisait preuve, sans qu’aucun n’ait la moindre idée d’où cet acharnement à les tirer vers le haut pouvait lui venir. Il avait toujours pris les choses avec une telle philosophie, toujours ris du sort et de tout qu’il avait un temps presque parut improbable à ses compagnons que cela finisse ainsi.  

Pour ceux qui étaient morts ou disparus, on avait élevé une pierre près de la grande maison sur laquelle l’un d’entre eux gravait des noms. Mais pour d’autre rescapés, l’heure n’était pas encore au deuil. Certains de leur frères vivaient encore. Ils étaient un groupe fondé sur l’espoir et aujourd’hui plus que jamais, il fallait garder cet espoir en vie. Il fallait se préparer à se battre et à récupérer les leurs.
Certains bandits s’étaient attelés à réunir un maximum de provision, nourritures, herbes médicinales, armes. Tout ce qui pouvait servir maintenant ou plus tard.

Quelques femmes, menées par Esperanz étaient aussi venues prêter mains forte à ceux qui autrefois avaient conquis leurs libertés à coup de griffes. Beaucoup savaient soigner et manier les plantes aussi certaines assistaient directement les soins des plus lourds blessés. D’autres occupaient les diverses tâches dans lesquelles plus de bras était utile.

Leur cheffe quand à elle avait droit de faire partie du petit conseil de guerre formé par le désormais meneur de l’Aile Blanche et sa sœur et lieutenante. L’urgence et la gravité de la situation semblait avoir fait taire l’inimitié entre les deux femmes…Pour le moment du moins.

Tout les trois étaient penchées sur la grande table du salon principal, dont le mur effondré donnait sur les galeries et la continuité de la cachette. Des plans s’y élaboraient au fur et à mesure de leurs discussions.Clarisse était perchée sur une chaise, assise sur le dossier et les pieds sur l’assise, Esperanz s’appuyait simplement au dos d’une autre, bras croisés et Ren, lui, faisait les cents pas à peine avait-il mis les pieds dans la pièce, soit bien quinze à vingt minutes.

-Ren ! Clarisse ! Débarqua soudain un jeune homme aux traits inquiets. Quelqu’un vous cherche à l’entrée.

-Qui ?

-Je ne connais pas son nom. Je crois que c’est le compagnon de Viliam. Il tapota son épaule. Il avait ses équipements de Chimère.

-Je m’en charge. Le grand blond soupira. Clarisse, siffle si tu as besoin de quelque chose. Tâchez de ne pas vous engueuler les temps que je revienne.

Lorsqu’il apparut devant Fantôme quelques minutes plus tards, celui-ci dû le trouver particulièrement changé depuis la dernière fois qu'ils s'étaient vus. Ses traits élégants et d’habitude soignés étaient tirés par une lourde fatigue, l’ombre de ses yeux violaçant légèrement sa peau claire et une inquiétude terrible dansant dans ses prunelles. Quelques larmes avaient vraisemblablement sillonné la poussière qui maculait encore son visage et ses joues. Les manches courtes de son vêtement laissaient apercevoir des bandages à ses bras et sa main gauche. Lui aussi avait pris l’explosion de plein fouet, bien qu’il ait eut bien plus de chance que beaucoup.

Bizarrement, il portait une cape sur ses épaules comme s’il venait de revenir d’un voyage discret. Le foulard que tous possédaient ici étaient noué à la va vite à son biceps, mais ce qui devait rapidement attirer l’attention pour ceux qui avaient connu son ami, c’était l’épingle de métal abimé et noirci qu’il portait sur sa poitrine.

-Fantôme. Le salua-t-il rapidement. Tu as vu le message j’imagine. Il lui fit signe de continuer le chemin duquel lui-même venait, faisant lui-même déjà demi-tour. Tu prends beaucoup de risques en te pointant ici maintenant et tu le sais, mais j’ai pas le temps de m’engueuler avec toi et je sais que Vil’ voudrait pas qu’on perde aussi connement notre temps. Viens. On a beaucoup à faire.

Fantôme a fini par s'adosser à un arbre et croiser les bras. Il est le compagnon du fondateur de l'Aile Blanche, toléré mais pas vraiment accepté. Beaucoup se demandent sans doute pourquoi Viliam a pris le risque de lui montrer toutes leurs planques. Après tout, une dispute de couple et il pourrait faire une connerie. C'est sans doute ce que certains pensent. C'est qu'ils ne connaissent rien du mercenaire et ignorent ce que cela lui a demandé d'admettre sa relation avec un homme. Ce qu'il lui en coûte de s'y accrocher maintenant... Surtout maintenant...
Quoi qu'il en soit, il n'a aucun droit ici. Il s'y est fait depuis longtemps. Alors il respecte leur espace, c'est sa façon de leur montrer qu'ils les respectent, eux. Pourtant, les Dieux savent combien cela lui père aujourd'hui...

Finalement, des bruits de pas se font entendre. Fantôme se redresse et décroise les bras pour se tourner vers la silhouette qu'il commence à distinguer entre les arbres. Il reconnaît bien vite le meilleur ami de son amant. Et, à en juger par son apparence, il était là-bas... Son regard s'arrête nécessairement sur la médaille qu'il porte sur son bras et il serre un peu les dents. Le voir la porte... Cela signifie tellement de chose... et ne fait que raviver ses craintes.

-Pas besoin de message. Dit-il en lui emboîtant le pas. Tout le monde en parle.

Il n'a pas eu à passer chez Jonas pour savoir... L'arrestation de membres de l'Aile Blanche fait grand bruit. Alors celle de leur chef... Evidemment qu'il sait. Et il n'a même pas eu à réfléchir plus d'une seconde pour savoir ce qu'il allait faire. Les réflexions qui lui trottaient dans la tête ces dernières ennéades étaient soudain totalement balayées. Et le voilà, avec ses armes sur lui, prêt à agir.

-Ça tombe bien, ça m'évitera d'avoir à te répondre que t'es pas mon père. C'est dit sur le ton du sarcasme, caché derrière son air sombre et inquiet, mais... il le pense un peu quand même. J'imagine que vous avez un plan. Continue-t-il pour être mis au parfum.

Brusquement Ren se retourne. Il est gonflé le mercenaire. Il fait un pas, deux, force la chimère à reculer, reculer encore, jusqu’à un arbre contre lequel il est obligé de s’adosser. Le bandit est plutôt grand, il fait la même taille que Viliam à peu de chose près. Entre eux c’est souvent l’objet de plaisanteries autour du fait que le grand blond soit celui des deux qui ressemble le plus à un semi-elfe. Mais cette fois il ne rigole pas du tout. Il toise son interlocuteur, son visage près du siens.

-Bon écoute. Il pointe son doigt contre son torse. Je viens de perdre des gens que je connaissais depuis bien dix ans. J'ai perdu de très bon amis, j'ai perdu le type avec qui je sortait alors qu'il n'avait rien à voir avec tout ça. Mon meilleur ami est quant à lui actuellement dans je ne sais quelle prison probablement avec qu’une seule idée dans sa foutu tête c’est de se foutre en l’air avant que ceux qui le retiennent le fassent eux même. Je sais pas ce qu’il vit à l’heure actuelle. Je sais pas ce qu’ils lui font, et je sais même pas si ces connards ne vont pas juste décider de le rendre à l’enflure qui lui servait de maitre une fois qu’il auront eut ce qu’ils veulent. Il semble vouloir ajouter une dernière chose avant de se raviser et de continuer autrement sur sa lancée. C’est ton compagnon. Moi c’est le type que je côtoie et que j’essaie de protéger de lui-même depuis mes quinze ans et actuellement il est en train de me filer entre les doigts, alors, il élève un peu la voix qui semble devenir un grognement, s’il te plait c’est vraiment pas le moment pour le putain de sarcasme parce que j'en ai pas la patience !

Il recule, et semble prendre la mesure de sa réaction quelque peu disproportionnée. Alors il soupire, ses épaules s’affaissant brutalement et il passe la main sur son visage, étalant un peu la poussière qui le macule sans le vouloir.

-Je suis pas fait pour ça putain. Souffle-t-il si bas que Tom aura sans doute du mal à être sûr d’avoir bien entendu. Puis il relève le menton. Excuse moi, je crois que mes nerfs sont en train de lâcher. Il n'a pas vraiment de le verbaliser, ça se voit clairement, mais c'est une manière de s'excuser. Clarisse avait peut-être raison en voulant absolument que je fasse une sieste. Admet-il beaucoup plus calmement. Je sais que tu mesure les risques que tu prends, ce n’est pas tant pour toi que je m’inquiète mais pour eux. Il pointe le haut du chemin par lequel il étaient en train d’avancer, désignant sans le dire la petite dizaine de souffles qui s’agite plus loin. Quant au plan… On y travaille mais on est pas encore prêts pour s’attaquer à un fort du guet, il va falloir y aller avec plus de subtilité.

Curieusement, Tom ne va pas au conflit. Alors que le bandit le force à reculer, il ne montre aucune résistance. Alors qu'il le pointe du doigt, il ne réagit pas. Alors qu'il lui crie dessus, il ne fait toujours rien. Il l'écoute, c'est tout. Et Ren ne lui apprend rien. Enfin si, pour son petit ami, mais à part ça... Il a parfaitement conscience de tout ce qu'il s'est joué hier soir, pour l'avoir vécu plus d'une fois lui-même. Et, s'il est là, c'est parce qu'il est mort d'inquiétude lui aussi. Seulement, il sait se maîtriser lorsque nécessité fait loi.
Cependant, il y a bien une chose que le mercenaire de savait pas : le maître de Viliam est toujours vivant et actif. Et ça, ce n'est pas une bonne nouvelle. Mais ce n'est pas non plus le moment de s'en occuper.

Ayant vidé son sac, Ren recule soudainement et la Chimère ne bouge toujours pas. Il lui laisse son espace. Il le laisse réfléchir. Il le laisse s'exprimer. Il veut savoir dans quel état il se trouve exactement et s'il peut vraiment assumer la suite ou s'il va devoir le laisser sur le carreau de force parce qu'un seul maillon faible pour faire échouer même le plan le plus huilé du monde. Et, même lorsqu'il a fini, il laisse le silence encore planer quelques instants avant de se redresse enfin de ce fichu arbre.

-A la différence de toi, je sais gérer tout ça... parce qu'on m'a formé pour. Alors je vais te paraître froid et tu vas me maudire pour mon humour à la con mais, malheureusement, l'humour, c'est ma façon de tenir le coup jusqu'à ce que tout ça soit fini et que j'ai le droit de craquer -et je préfèrerai autant que tu sois pas là quand ça arrivera...-. Je me suis pris plus d'un pain à cause de ça alors c'est pas ta réaction qui va me choquer.

Viliam l'a déjà vu sur le point de craquer... Quand Djena a été blessée au Temple. Il ne l'a pas fait parce qu'il a du le soutenir avant qu'il ne s'effondre. Mais, même si le demi-elfe arrive à se sortir de là, il ne promet pas de tenir le choc cette fois. Pour son amie, la peur n'a été que de courte durée. Pour son compagnon, elle va durer des heures et des heures... Et c'est le premier qu'il aime sincèrement et avec autant de force. Autant dire que, s'il y a bien une personne qu'il ne veut pas perdre...
C'est d'ailleurs la raison de sa présence ici. Malgré tout ce qu'il risque, cela ne lui semble pas plus important que la vie de Liam. Et il a bien conscience que ce n'est pas le plus stable des hommes alors le fait qu'il cherche à mourir pour emporter ses secrets -malgré l'amour de l'homme qui l'attend- ne le surprend pas. C'est ce qui le blesse et qui rend aussi la mission à venir d'autant plus urgente.

-En ce qui me concerne, j'ai pris dix fois plus de précautions que d'habitude pour venir jusqu'ici. Si quelqu'un me suivait, il m'a perdu avant même que j'ai quitté la ville.

Fantôme est sûr de lui. Il sait ce qu'il vaut et, s'il est déjà dur à pister en temps normal, aujourd'hui c'était pratiquement impossible.

-T'as le droit de péter un câble dans une situation pareille. Vaut mieux que ça arrive maintenant d'ailleurs. Mais, comme je sais que tu m'écouteras pas, je dirais juste : écoute Clarisse, elle est pas de si mauvais conseil que ça.

Ce n'est pas une leçon. Il y a même une pointe d'humour dans sa voix lorsqu'il prononce cette dernière phrase. Seulement, si ça venait de lui, il est convaincu que Ren ne l'écouterait pas. Voire que cela pourrait conduire à l'effet inverse. Or, si Ren ne s'est pas arrêté depuis l'attaque, après tout ce qu'il s'est passé, alors il n'a pas encore pris un instant pour réaliser et accuser le coup. Il cherche sans doute à éviter de se retrouver seul avec lui-même... avec ses souvenirs, ses peurs et son chagrin... mais, même si ce n'est pas un moment agréable, cela ne peut pas lui faire de mal. Ici, il pourrait avoir l'occasion de le faire. Une fois en pleine action, cela ne sera plus possible.

-Tu sais, tu sonnes exactement comme lui en disant ça. Il soupire, cherchant une timide pointe d’humour. Pas étonnant que vous vous soyez si bien trouvés.  

Mais au fond il a réellement raison quoi qu’il en soit, il est épuisé et c’est autant un risque pour lui et les autres que laisser quelques heures passer.

-Je te ramène aux autres et après on avisera.

Il se remet à marcher. Dos à la Chimère, ce dernier peut malgré tout entendre un reniflement ou deux mais Ren semble parvenir à se contenir. En réalité, l’ancien marchand est un homme certes impulsif, mais il est plutôt stable. Cette situation le laisse mort d’inquiétude et en même temps, ils s’étaient toujours sus en sursis. Le trio avait établi un plan à suivre si l’un d’entre eux venait à disparaitre et il s’efforçait de le tenir dignement. Ce n’était pas la première fois, bien que cette fois ci soit d’une gravité sans précédent. Une fois les émotions brutales surmontées, il ne ferait pas un si mauvais chef.

Il y eut moult regard envers l’improbable duo lorsqu’il finirent pas pénétrer dans l’enceinte du petit bastion. Certain étaient curieux et surpris, quelques-uns rendu méfiants par tous ces drames. Mais, d’autres portaient aussi un regard empli de pitié envers le mercenaire. Il n’était pas des leurs. Il ne portait pas de foulard. Jamais il n’aura droit d’accéder à leurs plans, ni même d’apprendre à siffler. Pourtant pour pas mal d’entre eux il avait toujours été bon camarade parmi eux. Il était étrange, quelque peu discret, parfois pinçant, mais jamais il ne rechignait à la moindre tâche, il se montrait toujours attentif à ne pas franchir les limites. Alors, mine de rien il était plutôt apprécié. Il était dans un même temps facile de se douter qu’il devait être touché lui aussi. rien ne l'obligeait à être là et pourtant il était venu.

Sur son passage on lui adressa même parfois un bref hochement de tête voire un main amicale sur son épaule avant de le laisser suivre leur chef.

Celui-ci les conduisit à l’intérieur du bâtiment principal, et tourna immédiatement sur leur gauche pour atteindre le salon au mur effondré où Clarisse et Esperanz attendaient en silence.
Cette dernière, toujours appuyée contre le dossier d’une chaise ne se gêna pas pour toiser le nouveau venu de haut en bas, une petite moue amusée naissant discrètement sur les lèvres.

-Fantôme je crois pas que tu connaisses Esperanz. Ren soupira avant de se laisser tomber sur une chaise qui protesta vivement, faisant les présentations de loin d’une vague agitation de la main. Esperanz, Fantôme.

-Enchantée je suppose.

L'ambiance est bien étrange dans cette cache. Et d'autant plus aux yeux du mercenaire. La tension et l'inquiétude sont presque palpables mais c'est une chose qu'il connaît. Sa présence, en revanche, provoque d'autres émotions auxquelles il n'est pas habitué. La méfiance, il la comprend. C'est un étranger au sein de leur groupe et il n'a pas vraiment sa place ici. Il ne sera jamais l'un des leurs et certains le lui ont toujours bien fait sentir. Cependant, il ne voit pas que cela dans les attitudes des bandits. Mis à part la surprise et la curiosité, il y a aussi une certaine forme de sollicitude... de compassion. Et cela le gêne davantage que tout le reste. Peut-être que lui n'est pas encore dans cette idée où, peut-être, Viliam ne reviendra pas. Il est fixé sur son objectif qui est de le sortir de là. Alors il est inquiet, certes, mais ce n'est pas le moment pour lui de s'apitoyer. Il doit rester concentrer sur ce qui vient.

Une fois à l'intérieur, Fantôme découvre le petit groupe qui, étonnamment, est composé d'une personne qu'il ne connaît pas encore. Il pensait pourtant avoir rencontré les piliers du groupe mais il faut croire qu'il se trompait. Ne sachant pas qui elle est et n'ayant jamais entendu parler d'elle, il reste un peu à distance. Quelque chose ne le rassure pas chez elle mais il ignore encore quoi. Il se contente donc lui lui répondre brièvement.

-Pareillement. Puis il se tourne vers la deuxième silhouette postée là. Salut Clarisse. Lui dit-il avec douceur et gravité en même temps. Puis il se tourne vers un peu tout le monde. Alors ? J'imagine que vous allez essayer de les tirer de là ?

Ren n'en a pas soufflé mot mais il les voit mal rester sans rien faire... Et si lui est venu pour Viliam, il se doute qu'ils vont essayer de tous les faire sortir. C'est ce qu'il aurait fait pour les Chimères à leur place. Leurs groupes sont très différents sur un grand nombre de points mais ils ont celui-ci en commun : ils fonctionnent comme un grande famille et personne n'est laissé à l'arrière.

-Je me suis dit que vous ne diriez pas non à l'aide quelqu'un qui est déjà rentré dans cette caserne. Et dans cette prison.

Ce ne sont pas des informations qu'il est censé donner... N'importe qui ne peut pas pénétrer dans ces bâtiments mais on permet parfois à certains de s'y rendre dans le cadre de missions spécifiques. Fantôme n'y est certes pas resté longtemps mais cela lui a suffit pour comprendre le plan des lieux. Cependant, il trahit la confiance que l'on a placé à lui en venant ici dans le but de les renseigner -et aussi de participer-. Alors, comme pour joindre le geste à la parole, il porte ses mains sur l'une des attaches qui se trouvent sur sa poitrine, la défait... et, l'instant d'après, il pose un objet sur la table.

Sa spallière portant l'insigne des Chimères.

-Fantôme…Clarisse afficha une moue hésitante qui ne lui ressemblait pas. On peut pas te demander autant.

-Sans vouloir te blesser ma chérie. L’interrompit immédiatement la seconde femme dont les yeux oscillaient de la spalière à son propriétaire. On a pas le temps pour ces considérations. S’il est là c’est qu’il a fait son choix. Un sourire s’étira sur ses lèvres. elle semblait satisfaite. Ça m’a l’air d’être un grand garçon au courant de ce qu’il fait.

-ça me fait chier de dire ça, mais je suis d’accord. Ren soupira de son siège. Probablement sans qu'il ne s'en rende compte, ses doigts étaient venus jouer avec la petite broche qu’il portait, d’une manière qui ressemblait terriblement à celle de son ami. Et ça me fait encore plus chier d’ajouter qu’il a raison. Fantôme connait le guet, et cette prison, on peut pas rêver meilleur allié.

Clarisse ne semblait pas convaincue, son regard s’attarda sur la Chimère, emplie d’une nette forme de pitié, et aussi de reconnaissance silencieuse.

-Pour répondre à ta question, enchaina malgré tout l’ancienne prostituée, oui nous allons les sortir de là. Sans plus de cérémonie, elle sembla alors avoir accepté pour eux tous la présence de ce quatrième décisionnaire dans leur petit groupe. Ses doigts virent jouer au-dessus d’une carte du quartier où était située la prison où l’on avait emmenés leurs camarades. De ce que mes filles ont pu entendre, le prévôt ne viendra pas avant la fin de la matinée au plus tôt. Il n’est pas spécialement réputé pour sa rapidité d’action. En revanche, sa partialité, elle… Elle ne finit pas sa phrase avant d’enchainer. De là, la sentence devrait mettre quelques heures à être prononcée et je doute que nous ayons droit à une exécution avant demain. Esperanz, contrairement aux deux autres, semblait prendre ça avec une froideur et un détachement qui faisait presque grincer des dents les deux autres quant à son choix de mots sans détours. Pourtant, il fallait reconnaitre qu’aussi douloureuses étaient ses paroles, elles étaient factuelles. Ils voudront faire un exemple, et un exemple, ça se prépare. Ils ne voudront pas se débarrasser de membre de l’organisation qui fait autant parler d’elle ces derniers mois dans l’ombre et le silence. Il faut que ça se sache, que ça se voit. Que ça marque les esprit et que ça éteigne l'envie à plus de jeunes insensés de faire la même chose.

-Et ils ne voudront certainement pas se débarrasser de Vil’ sans avoir obtenu un maximum d’aveux. Ajouta Ren d’un air sombre.

-Donc on a un peu de temps.

Un infime espoir, c'était tout ce qu'ils demandaient pour agir. Du temps, un allié de poids... Le fil sur lequel ils dansaient était mince, mais il existait.

Fantôme prend parfaitement la mesure de ce geste plus que symbolique. Alors que sa main quitte la pièce d'armure pour l'abandonner sur ce meuble, il referme le poing pour ne pas trembler. Il a déjà fait cela une fois mais c'est si différent... Cette fois, c'est aux Chimères qu'il tourne le dos, sans même avoir besoin d'y réfléchir... Et c'est effrayant. Qui lâchera-t-il la prochaine fois ?

Mais alors que ces pensées l'assaillent, Clarisse proteste et il quitte enfin l'objet des yeux. Ce qu'il vient de faire l'affecte forcément mais il semble aussi déterminé. Sans doute est-ce pour cela que les deux autres l'appuient. En tout cas, c'est son avis pour Ren. Quant à Esperanz, il ne sait toujours pas quoi penser d'elle et sa façon de l'infantiliser le dérange. Cependant, il passe outre et, après avoir reçu deux voies "pour", il se tourne vers la voleuse.

-Si tout se passe bien, personne ne saura que j'y ai participé.

Il esquisse un sourire, essayant de paraître nonchalant. Puis, avant de se pencher sur le plan que lui montre la semi-inconnue, son regard croise celui du grand blond et s'arrête une brève seconde. Lui sait qu'il vient de mentir. Il était là... Il est au courant des suspicions de son supérieur. Il n'a certainement pas manqué l'information selon laquelle il le garde à l’œil. Alors le voir disparaître quelques jours au lieu d'assister à sa rage d'avoir perdu face au Guet... Comment pourrait-il ne pas comprendre ?
Oui, il est en train de tout perdre... C'est la confirmation que le bandit peut lire dans ses yeux.

Près de la table, Fantôme croise les bras en détaillant le plan du quartier. Utile pour avoir une idée de comment approcher mais cela ne les renseigne pas tellement sur la façon d'entrer. Bien sûr, ils pourraient attendre l'exécution de la sentence publique mais, d'une, la sécurité sera très certainement renforcée et, d'autre part, comme Ren le souligne, elle n'aura lieue que lorsqu'ils auront obtenu ce qu'ils veulent de Viliam. Autrement dit, ils n'ont pas de temps à perdre...
Sans un mot, le mercenaire décroise les bras, attrape une feuille qui traîne, la retourne, puis en prend une autre jusqu'à en trouver une dont le verso soit vierge. Il prend alors un crayon et commence à tracer des traits sur le papier sans donner plus d'explications. Cela lui prend quelques minutes. Lorsqu'il a fini, il lâche le fusain et, le parchemin à la main, il se redresse.

-Juste une précision avant de commencer... Je sais ce qu'il s'est passé hier. Je sais ce qu'ils vous ont pris... ce que ça vous a coûté. Mais leur rendre la monnaie de leur pièce ne vous mènera à rien.

-On est pas là pour se venger si c’est ce qui te fait peur.

Ren s’était penché en avant, coudes sur ses genoux, alors qu’il fixait la Chimère, d’un air profondément sérieux. Il était rare de voir le lieutenant de l’Aile Blanche aussi fermé et concentré qu’il ne l’était actuellement. D’habitude il était le premier à se fendre au moins en apparence d’un mot léger, ou d’un joli sourire, une pirouette pour alléger l’atmosphère. Cette fois, l’ami volage et quelque peu chaotique qu'on le savait être avait laissé place à l’homme pétri de conviction qui avait autrefois dessiné en premier les contours des principes de leur organisation. Ren était celui qui dans l’ombre, mine de rien, avait fait office de garde-fou pour leur chef durant plus de vingt ans. Ce drame ne serait pas le dernier il en était conscient et il ne laissera pas les siens perdre de vue ce pour quoi ils luttaient.  

-Je ne le permettrait pas. Ajoutât-il, mettant malgré lui soudain en évidence le fait qu’il était désormais bel et bien en charge de l’organisation. L’Aile Blanche n’est pas une bande de vaurien assoiffés de sang ou de je ne sais quelle revanche sur leur vie. Chercher la vengeance c’est piétiner tout ce pour quoi nos frères sont morts, que ce soit hier ou dans n’importe quelle rixe. On savait tous que ça arriverait tôt ou tard. On est tous prêt à mourir et à tout perdre pour ce qu’on fait parce que notre combat nous dépasse depuis quasiment toujours. Notre taverne c’est qu’un amoncellement de bout de boit et de pierre, dans le pire des cas on la reconstruira. quand à nos idées, elles sont toujours là. Il se leva, s’approchant du mercenaire et posa le plat de sa main sur les plans étalés sur la table. Ce qu’on s’apprête à faire, c’est récupérer nos frères et continuer notre combat. Ni plus. Ni moins. Fit-il avec fermeté.

Parce que ça en revanche, la Chimère pourrait bien dire ce qu’il voudrait ça ne changerait pas. Ils devaient continuer à avancer.

Tom détaille Ren sans un mot. Son attitude est si différente de celle qu'il connaît de lui qu'il lui ai bien difficile de ne pas douter de sa réalité... Pourtant, il semble plus déterminé que jamais. Mais ils sont encore loin de ce moment où leur plan peut déraper et ils devront tirer leurs épées. Qu'adviendra-t-il alors de sa détermination ? Et, lorsqu'il verra l'état de Viliam, restera-t-il aussi calme qu'il en a l'air à présent ? Il ne peut que se montrer vigilant afin que cela n'arrive pas.

-C'était ce que je voulais entendre. Commence-t-il par répondre. Et je ne manquerai pas de le rappeler si nécessaire.

Ce n'est pas une menace ni une marque de méfiance. Il ne s'adresse pas à Ren en particulier, la faille peut venir de n'importe quelle personne qui participera à ce qui va suivre... Et il ne veut pas que cela dérape. Pour tellement de raisons...
Ceci mit au clair, il désigne la main du bandit d'un signe de la tête.

-Si tu veux bien te décaler, que je puisse poser mon plan. Dit-il sur un ton sérieux mais non dénué d'humour.

~~~~~~~~~~~~~~

Le mécanisme de la porte fait s'agiter le corps assoupi sur un lit de camp. Quelques pas se rapprochent de l'homme qui essaie de te tirer d'un sommeil bien court après une soirée épuisante...

-Tenez, Sergent.

Aslan ouvre un œil. La première chose qu'il voit, c'est la petite fiole suspendue au-dessus de lui et les doigts qui la tienne. Dans un grognement, il se force à se redresser et saisit l'objet. Il ne demande même pas ce que c'est car c'est lui qui en a fait la demande avant d'aller se coucher. Pénétrer dans l'esprit de quelqu'un et s'y maintenir aussi longtemps lui demande beaucoup d'énergie et il sait qu'on ne lui laissera pas un délai infini pour faire son travail. Le Capitaine a été très clair à ce sujet... Alors il doit presser l'allure. Cependant, ce n'est pas sans danger. Surtout s'il se fatigue trop. Il pourrait commettre une erreur irréversible... Ainsi, il a choisi de se reposer par fraction et de s'aider de quelques énergisants. Ainsi, il pourra rendre visite au prisonnier plusieurs fois par jour.
Le sous-officier avale la potion puis grimace en se forçant à l'avaler. En fonction de l'alchimiste, leur goût de ces mixtures varient mais elles sont toujours aussi efficaces...

-Comment va votre nez ? Demande Aslan tandis qu'il laisse le parfum de la décoction s'évader et le contenu faire effet.
-Rien de grave.
-Bien.
-Mais je comprends pas pourquoi il a fait ça. J'allais le soigner...
-Parce qu'il voulait qu'on le laisse mourir.
-Mourir en martyr plutôt que par la justice... Suppose le vitaliste qui imagine l'effet que cela produirait.
-Plutôt que de risquer de vendre ses copains. Corrige Aslan avec assurance. Il n'est pas du genre à mourir juste pour la beauté du geste...

Chevalier ou victime glorifiée, il existe certaines personnes qui voient en leur mort un accomplissement en soi. La fin de leur vie devient le début d'autre chose... De quelque chose qui les dépasse souvent. Il peut s'agir de sauver la vie d'un autre ou bien de galvaniser les foules qui le portent en héros et suivent ses traces... Mais Viliam n'est pas de ceux-là, il en est certain.

Le temps de se rafraîchir et de manger quelque chose, le Sergent se retrouve de nouveau dans le couloir qui mène aux cellules. Devant la porte où se trouve le chef de l'Aile blanche, il n'y a que deux gardes. L'un d'eux déverrouille la serrure en le voyant arriver et Aslan retrouve les deux autres sentinelles à l'intérieur de la geôle. Le bandit est toujours là, pieds et poings liés et immobilisés. Selon ses instructions, on lui a apporté de quoi boire et manger tout en l'empêchant de s'assoupir plus de quelques minutes. Puisqu'il se fatigue rapidement, il doit affaiblir son adversaire pour pouvoir continuer à travailler. Cependant, quelque chose ne va pas dans la scène qu'il trouve en arrivant... Il fronce les sourcils et s'approche du prisonnier. Malgré son état, il a passé suffisamment de temps avec lui pour reconnaître ses blessures. Et cet hématome sur sa joue n'y était pas quand il l'a confié aux gardes.

-Qui vous a autorisé à le frapper ? Un silence succède à sa question. Il se tourne alors vers les deux hommes, le regard furieux, mais aucun ne lui répond, ne voulant manifestement pas dénoncer l'autre. A moins que ça ne soit les deux ?
-Vous nous avez ordonné de le gardé éveillé...
-Et vous ne savez pas faire ça autrement qu'en jouant des poings ?! L'interrompt-il L'un commence à bredouiller une réponse mais Aslan n'a pas la patience. Dehors !

Les gardes s'en vont sans demander leur reste. Quelque soit leur raison, le Sergent ne leur pardonnera pas et retiendra leurs visages pour s'occuper d'eux plus tard. Ceux de sa caserne savent qu'il n'aime pas que l'on touche à ses prisonniers. Tous ne respectent pas cela et il lui arrive d'avoir des déboires avec eux aussi mais il sait qu'il n'est pas compris par ce genre de personnes. Et sa religion n'entre pas en ligne de compte.
Finalement, le Guetteur reporte son attention sur Viliam.

-J'imagine que si je te propose qu'on te soigne ça, tu refuseras ?

Face au macabre manège de son tortionnaire, Viliam perdit rapidement la notion du temps. Les souvenirs défilèrent contre son grès et il se retrouva spectateur de sa propre vie, incapable d’en stopper le flot. Mué dans le silence le plus total durant de longues minutes, il ne capta aucun signe annonciateur lorsque le guetteur sembla enfin se lasser. La bibliothèque se contenta de s’effacer doucement, redevenant les murs froids et sombre de la cellule. La présence du soldat s’effaça lentement de son esprit en même temps que le bandit sentit la fatigue écrasante prendre le dessus dans son crâne. Puis l’homme se leva et disparu derrière la porte grinçante.

Deux gardes restèrent pour le surveiller mais il fut loin d’y prêter attention. Épuisé il posa son front contre ses poings toujours liés, mais à peine ferma-t-il les yeux qu’un coup de pied dans sa chaise le fit sursauter.

On ne le laisserait pas prendre du repos. Il devait rester en vie certes, mais suffisamment faible pour n’opposer que le minimum de résistance. Alors à nouveau les heures défilèrent avec une terrifiante monotonie. On finit pourtant étonnement par lui apporter du pain et une tasse remplie d’un liquide saumâtre qui avait dû être de l’eau autrefois mais il ne toucha ni à l’un ni à l’autre.

Plus tard, alors que l’épuisement se faisait de plus en plus terrible, il osa à nouveau tenter de fermer les yeux mais cette fois, plutôt que de chercher le repos, il joignit ses mains contre son torse et força sa respiration à retrouver un peu de calme. L’un des gardes ne compris visiblement pas son manège car automatiquement, un coup de poing s’abattit sur sa joue.

-Reste avec nous connard. Gronda l’homme qui eut droit à un regard meurtrier mais pas plus de mots.

Son compagnon en revanche n’eut pas l’air aussi sûr de lui.

-Il ne dormais pas. Constata-t-il.
-Alors il faisait quoi ?
-Il priait je crois.
-Pffeu. Le premier cracha au sol. Sornettes.
-Même les condamnés à mort y ont droit. Le moins brutal des deux haussa les épaules. Tant qu’il reste éveillé, on devrait pas s’en mêler. Faut pas contrarier les dieux.

S’il ne sembla pas convaincu, voir même peut être…déçu, il ne protesta pas davantage et laissa le prisonnier retrouver sa concentration, non sans le toiser d’un œil mauvais. L’intéressé s’en fichait pas mal, une foi assuré d’être laissé faire, il replaqua ses mains contre sa poitrine, ferma les yeux, et visualisa une immense plaine de blé blonds, la même qu’Aslan avait pu entrapercevoir dans son esprit.

-Nééra, Sainte mère toute puissante. Murmura-t-il alors, très bas, dans une litanie douce dont il semblait définitivement avoir l'habitude. Baigne-nous de ta lumière. Que ta protection soit éternelle. Nous qui sommes imparfaits, mène-nous au droit choix, que jamais nous ne nous égarions.

Et l’espace des quelques instants qu’on lui accorda, pour la première fois depuis l’explosion, Viliam se sentit presque apaisé, calme devant ce qui pourrait arriver. Nééra serait avec lui quoi qu'il arrive.

Jusqu’à ce que la porte grince à nouveau une minute plus tard et que les pas qui résonnèrent, venant irrémédiablement briser sa petite paix fragile annonce le retour de l’horreur. Il sursauta, redressant la tête et rouvrant les yeux, pris de panique. L’échange du guetteur face à ses subordonnés lui sembla aussi surréaliste que sa proposition suivante de soigner l’hématome sur sa joue. Pétrit de terreur à l’idée qu’il recommence son sort, il ne put malgré tout s’empêcher un regard stupéfait quant à sa question.

Ses bras étaient parcourus de brûlures qui le lançaient à chaque instants. Sans parler des quelques échardes restées çà et là. Il y avait aussi sa blessure au niveau de son abdomen qui avait été soignée le plus vite possible, et donc au stricte minimum et qui lui faisait un mal de chien en respirant. Alors l’impact sur sa joue il n’en avait absolument rien à faire...

Si le mage de l'esprit incantait, sans doute pourrait-il facilement capter la perplexité et le doute dans l'esprit du bandit. Il avait aussi une nette appréhension, comme s'il s'attendait à souffrir de nouveau. Pourtant à nouveau, il refusa de lui répondre, fixant rapidement ses mains plutôt que l'homme en face de lui.

-Je sais, ça doit te paraître étrange venant d'un de ces salauds du Guet. Dit-il en reprenant des mots qu'il suppose être proches de l'avis que se fait le bandit à son sujet et celui de ses collègues. Se faisant, il s'éloigne pour venir s'asseoir en face de lui, non sans remarquer qu'il n'a pas toucher à son repas. Mais je ne blesse que si je suis attaqué. Je ne porte pas atteinte au corps. Pas plus que je ne cherche pas à dénaturer l'esprit. J'entre, je cherche et je ressors sans l'affecter. Mais je doute que ça te réconforte d'une quelconque façon, vu ton ressentiment tout particulier à mon égard.

Aslan n'est pas dans sa tête et n'essaie pas encore d'y entrer mais il ressent ses émotions. Cette peur viscérale et cette haine qu'il porte en lui, lui sont destinés. Il déteste ses intrusions. Est-ce par simple peur de le voir réussir à trouver quelque chose ? Il en doute... C'est plus profond que ça. Cependant, il n'a pas de quoi comprendre cette réaction. Ses recherches ne se sont portées que sur les dernières années de la vie de Viliam. S'il voulait trouver les réponses, il irait fouiner au fond de la bibliothèque, vers ce rayonnage noir peut-être... Mais il doit se focaliser sur son objectif.
Par chance pour son amant, il ne l'a pas vu apparaître de nouveau dans ses souvenirs. Le bandit tente de le lui cacher et Aslan le lui permet, supposant qu'il n'a pas d'intérêts à aller dans cette direction. S'il ne fait pas partie de sa troupe, trouver son identité ne le mènera à rien. Il ne l'a même pas évoqué dans le rapport qu'il a fait avant d'aller s'allonger.

Le Guetteur baisse les yeux sur le morceau de pain et le fixe quelques secondes avant de les relever vers son interlocuteur.

-Si tu ne manges pas, on finira par t'y forcer... L'informe-t-il calmement, comme pour lui faire comprendre qu'il ferait mieux de s'en occuper lui-même avant que cela n'arrive.

C'est une chose qu'il ne comprend pas... Ce désir de mourir qu'il perçoit chez cet homme. Comme si cela pouvait tout régler. Pense-t-il sincèrement qu'ils vont le laisser faire ? Qu'ils le laisseront mourir discrètement ? Ou qu'ils le mèneront à l'échafaud dans un état déplorable pour qu'on le prenne en pitié ? Non, certainement pas. Alors pourquoi continuer de le tenter vainement ?... Cela n'a pas de sens pour lui. Pas encore.

-Je ne suis pas certain que ton médecin ait envie de retenter l’expérience, que ça soit me soigner ou me forcer à manger. Souffla-t-il avec une ironie un peu mesquine. A moins que son nez ne lui convienne toujours pas ?

Il ne veut pas de sa foutu pitié. Elle l’écœure alors qu’il se targe de vertu pour ensuite ne lui laisser aucun autre choix que de le voir voler ses souvenirs.  Cet homme est soit malhonnête, soit aveugle. Dans les deux cas, il a choisi le mauvais camp pour essayer de sympathiser.

-Il fera ce que je lui ordonne. Rétorque le Guetteur, à la fois doux et ferme. Et maintenant, il est averti. Ajoute-t-il en esquissant un sourire en coin. Je crois qu'il a surtout été surpris de voir que tu avais encore autant de répondant dans ton état.

Mais il a bien compris que le bandit n'avait pas la moindre intention de discuter avec lui. D'ailleurs, il n'obtient qu'un silence teinté de haine, une fois encore. Il le prend définitivement pour un monstre... et le Sergent se dit qu'il doit probablement avoir ses raisons. Néanmoins, il n'a pas le temps de se pencher dessus pour le moment. Et il trouve cela dommage.

-Une petite question... Parce qu'il en a posé assez peu jusque là, si ce n'est pour avoir des explications sur un souvenir. J'aimerais avoir ton point de vue... sur les crimes que tu as commis. De ce que j'ai lu dans les rapports, tu ne fais pas ça pour l'argent. Alors c'est quoi le but ?

- C'est ce que je t'ai dit. Il soupira avant d'enfin daigner répondre plus de quelques mots. Tu as beau voir ma vie comme si c'était la tienne, tu n'en comprends toujours pas le sens. Il s'agita un peu dans un tintement de chaîne. Votre institution passe tellement de temps à fermer les yeux sur les véritables bouchers que vous avez fini par croire vos propres mensonges. Vous en devenez incapables de ne serait ce qu'imaginer qu'on soit capable d'agir par pure bonté et par principes plutôt que par je ne sais quel intérêt.

Ses poings s'étaient serrés. Il était en colère. Indigné. Comme l'a première fois qu'ils s'étaient croisés. Cette indignation semblait profonde et d'origine lointaine. C'était le système dans son entièreté qu'il dédaignait. L'homme en face de lui n'était qu'un pion de plus.

-Tu m'as entendu le répéter. dans mes souvenirs. Mes hommes ne tuent pas sans raison. Ils ne cherchent pas à user de leur autorité pour piller violer ou abuser de qui que ce soit.  Et moi pas plus qu’eux. Il y avait de la frustration, elle aussi présente depuis bien des années. Une forme d'indignation quand au fait qu'on les considère toujours comme les pires criminels. Certains de ceux morts hier n'avaient pour seul reproche que d'avoir fuit la torture ou la misère. Et ils ont été tués sans aucune pitié. Aucune. A partir de là demande toi si tenter d'épargner quelques pauvres gosses est vraiment un crime face aux actes de tes protecteurs. Il secoua la tête. J'ai vu des horreurs que tu ne peux même pas imaginer. Et j'ai vu des gens bien se relever avec le temps et la patience. Alors tu comprendras sans doute toujours pas, mais si jamais tu te demandes, je regrette rien. En fait je suis même fier et j'en ai rien à foutre si pour tout ce que vous considérez comme des crimes, je suis exécuté demain. J'ai fait ce qu'il fallait.

Aslan regarde le bandit et ne dit rien. Même après avoir entendu tout son discours. C'est assez confus pour lui comme explications mais il prend le temps de réfléchir et d'essayer de se mettre à la place de son interlocuteur. Il se voit comme un sauveur. Un sauveur des esclaves qu'il a volé ? Dans ce cas, l'argent est pour financer son organisation et la protection de tous ces gens. Qu'en fait-il d'ailleurs ? C'est une autre question qu'il devrait creuser. Cela l'aiderait sans doute dans son enquête.

-Et, comme je te l'ai dit... Repend-il avec la même idée que Viliam. Je n'ai pas participé à cette attaque. Et je ne blesse pas si ce n'est pas pour me défendre.

Autrement dit, il n'approuve pas la méthode qui a été utilisée. Alors il peut le haïr pour ce qu'il s'est passé mais il n'a rien à voir avec ceux qui ont fait ce qu'il lui reproche. Même s'il comprend ce qui a mené les soldats a en arriver là. Ils ont perdu des hommes dans cette lutte, il y a peu. Une lutte qui dure depuis des années. Quand ils ont cru les avoir, les bandits se sont volatilisés... pour finalement revenir à leur point de départ. Ils se sont montrés bien orgueilleux d'ailleurs... Ils étaient tellement sûrs s'avoir trompé le Guet qu'ils ont repris leur vie comme si de rien n'était. Prennent-ils les agents du Conseil de Thaar pour des idiots ? S'il n'aurait pas donné son aval pour cette attaque, il n'est pas surpris que les choses en soient arrivées là...

-Pour comprendre tout ce que je vois, il faudrait que je remonte plus loin dans ta mémoire et je ne pense pas que l'idée te plaise. Sans compter que ce n'est pas ce que je veux. Je suis quelqu'un de curieux mais même moi je sais m'imposer des limites. Et puis, je n'en ai pas besoin pour accomplir ma mission. J'imagine que tu préfèrerais qu'on te frappe pour y parvenir... Non seulement je pense que ça ne serait pas efficace sur toi mais, en plus, je suis incapable de faire une chose pareille.

Aslan marque une nouvelle pause. Observant Viliam, il réfléchit. La façon dont il gère ses hommes et son organisation lui rappelle un peu les récits chevaleresques, réels, romancés ou totalement fictifs. Il y a peut-être une raison personnelle derrière tout ce qu'il a fait mais ce n'est pas tout. Sa conviction va plus loin... Elle n'est pas personnelle, elle lui évoquer quelque chose... Une chose qu'il connaît bien.

-Tu es un adepte de Néera, je me trompe ? J'ai vu le symbole sur le livre... Dit-il pour évoquer cet ouvrage dans la bibliothèque. J'imagine qu'il contient ses préceptes. Tu te vois comme le chevalier blanc qui sauve les faibles et les opprimés. Mais nous ne sommes pas dans une fiction... Ta quête est vouée à l'échec.