Le pilier | Solo

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Hiver, Karfias 20:XI
Septième jour de la deuxième ennéade

Alors que tous s'entraînent, ils guettent d'un œil étrange celui qui s'est retranché dans un coin de la salle. Comme un forcené, il frappe dans un sac de sable qui doit avoir la tête de quelqu'un qui ne lui revient pas vu la force qu'il emploie, la vitesse à laquelle il enchaîne les coups et le temps depuis lequel il est là. Mais il vaut sans doute mieux ça plutôt qu'il ne s'embrouille encore avec l'un d'eux pour un mot malencontreux prononcé avec humour.
Fantôme est couvert de sueur mais il s'en moque pas mal. Il ne voit même pas le temps qui s'écoule alors que les images défilent en boucle dans sa tête. Ses souvenirs ne sont peut-être que des fragments mais il en a retrouvé assez désormais pour être capable de retracer les grandes lignes de cette soirée. Les retrouvailles au bar, les spectacles dans la rue, le baiser, les rires, l'étreinte... qui a mis le feu aux poudres. Et puis les choses se sont accélérées et sont devenues incontrôlables, pour l'un comme pour l'autre. C'était chaud... C'était intense... C'était...

Une vision soudaine lui revient alors qu'il gémit de plaisir à l'unisson de Viliam logé entre ses cuisses.

Un cri retentit et tous les regards se tournent vers le fond de la salle. Quelques uns se précipitent déjà vers Fantôme qui se tient le poignet en grimaçant.

-Wow, ça gonfle déjà ! Avertit l'un des premiers sur place.
-A l'infirmerie ! Ordonne un officier présent pour gérer la séance d'entraînement. Et aussitôt, deux hommes entraînent l'éclaireur hors de la salle.

Djena entre soudainement dans la pièce et s'arrête sur le pas de la porte. Ici flotte une odeur particulière de plantes et d'onguents. Il fait assez bon vivre à l'infirmerie, même si les Chimères n'en gardent jamais de très bons souvenirs... Quoi de plus normal étant donné l'état dans lequel ils y viennent. Le plus souvent, c'est pour de petits bobos faits à l'entraînement. Parfois, c'est plus grave... Et il arrive parfois que l'on en ressorte pas.
Cette fois, la mercenaire sait que la blessure n'est pas grave. Néanmoins, elle est sérieuse et cela l'inquiète d'autant plus pour la suite. Cette fois, elle n'attendra plus. Il faut qu'il l'entende, qu'il le veuille ou non.

Passant son regard sur la pièce, elle trouve rapidement le rideau qui cache à moitié son ami assis sur un lit, occupé à regarder ailleurs. Elle avance dans sa direction et ce n'est qu'une fois sur place qu'elle aperçoit le soigneur, assis sur une chaise, qui achève de lui bander le bras. D'ici, elle peut déjà voir l'épaisseur de son poignet et elle blêmit. Elle ne l'a pas dit à Viliam mais elle n'a pas peur qu'il s'en prenne à lui-même volontairement... Elle a peur qu'il se blesse ou qu'il cherche des ennuis à la mauvaise personne... Qu'il se mette en danger et que ça finisse mal.

-Ne t'en fais pas. C'est une belle entorse. Sévère mais il s'en remettra.

Sur ces mots, l'elfe se lève, donne une petite tape amicale à l'éclaireur qui lui répond d'un hochement de tête puis s'en va avec le plateau qu'il avait apporté sur lequel est disposé tout le nécessaire pour le soigner. Djena reste là, à regarder son ami, sans rien dire. Fantôme, quant à lui, enfile péniblement la chemise qu'on lui a apporté. Il s'entraînait torse nu et il va aller se laver mais il ne veut pas se trimbaler dans les couloirs dans cette tenue. Cela ne l'aurait pas dérangé auparavant...
Finalement, la jeune femme prend son courage à deux mains et s'avance vers lui. Elle vient s'asseoir à côté de lui, calmement, de manière à lui faire face, et cela surprend Fantôme qui la dévisage. Elle reste silencieuse encore quelques instants avant de commencer, à mi-voix.

-Je sais ce qu'il s'est passé, Tom. Son ami fronce les sourcils d'incompréhension, l'interrogeant en silence sur le sens de ses mots. J'ai trouvé Viliam. Il ne m'a pas tout dit, mais j'ai compris.

Fantôme lâche ce qui ressemble au mélange entre un soupir et un râle.

-Djen, t'avais pas le droit de faire ça !
-Tu refusais de me parler et je ne savais plus quoi faire alors que tu vas mal.
-Je vais très bien.
-Soit tu te mens à toi-même, soit tu me crois assez conne pour avaler ça ! Cette réflexion a le mérite de clouer le bec au mercenaire qui se détourne de son amie. Je te reconnais plus, Tom... C'est si difficile que ça d'aimer ce type ?
-Djen... La supplie-t-il dans un souffle, refusant d'aborder le sujet.
-Moi, je suis heureuse pour toi. Celle-là, il ne s'y attendait pas et il relève vers elle un regard hésitant et interloqué. Je comprends tellement de choses maintenant. En tant qu'ex. Elle lui sourit avec douceur. Elle ne lui en a jamais voulu que les choses n'aient pas marché entre eux. Après tout, elle savait à quoi s'attendre, c'était une tentative qui avait de forts risques d'être avortées et ça a été le cas. Et maintenant, elle sait pourquoi. Moi, je trouve ça libérateur d'avoir enfin une réponse sur ce qui n'a pas marché entre nous alors qu'on s'entend si bien en temps normal.
-Tu oublies nos nombreuses prises de bec. Fait-il remarquer, sans méchanceté.
-T'as un caractère de chien, j'y suis pour rien. Lui rétorque-t-elle sur le ton de l'humour. Cela a le mérite de faire sourire Fantôme, du moins brièvement. Tu vois ? Tu souris déjà. Lui fait-elle doucement remarquer.
-Je... Je sais pas comment assumer ça... Confie-t-il, évitant soigneusement d'employer les mots qui permettraient de clairement définir le "ça".
-Je vois qu'une seule personne qui puisse t'aider... Même s'il ne va pas être très jouasse.

Fantôme soupire puis prend son visage dans ses mains. Il était tellement accaparé par ses émotions qu'il a agi comme un gros con... Il a couché avec lui et il s'est tiré. On peut faire ça quand c'était implicitement convenu d'avance mais, même là, on a au moins la politesse de se dire au revoir, ou "à la prochaine" même si les deux savent pertinemment qu'ils se mentent. Djenaba semble comprendre ce qui lui passe par la tête. Maintenant qu'elle est parvenu à renouer le dialogue, elle se rapproche un peu et pose une main dans son dos.

-Il te déteste pour le moment mais c'est parce qu'il tient à toi. Il ne voulait pas me parler, jusqu'à ce que je lui dise à quel point j'étais inquiète pour toi. Je savais plus quoi faire et aucun de vous ne vouliez me parler, j'ai cru que j'allais en pleurer comme une gamine tellement j'avais peur de te perdre. Et là, il a arrêté de me fuir et il m'a donné des conseils. Tout n'est peut-être pas perdu...
-Lui faire face, ça veut aussi dire... Il ne parvient pas à finir sa phrase.
-... faire un pas vers qui tu es vraiment. Complète la jeune femme. Et commencer à l'accepter, aussi. Parce que tu ne peux pas lutter contre toi-même, Tom.

Fantôme tourne enfin son regard vers elle. Elle lui sourit pour le soutenir et vient prendre sa main pour la serrer doucement. Les prochains jours ne vont pas être très faciles pour lui mais il n'en ira que mieux par la suite. Alors elle essaie de lui transmettre le courage dont il va avoir besoin.

Pour ce que ça vaut... Pardon >>