L'oiseau en cage | Viliam & Aslan

-Je ne suis pas un ''chevalier blanc'', souffle-t-il dans un rire amère. Je ne suis pas un héro, ou un saint ou ce que tu veux. Je suis qu'un connard de semi elfe bercé d'illusions.

Et puis, en réalité, il n'est pas certain lui même de savoir ce que verrait le guetteur en se saisissant de l'ouvrage dont il parle. La religion à toujours fait partie de sa vie et de son éducation, pour le meilleur comme pour le pire. Peut être y verrait-il un pan de son éducation d'enfant, ou bien ce que les prêtres d'Itrhi'Vaan auront tenté de lui transmettre plus tard. Il l'ignore. Ce n'est pas comme si il avait déjà tenté l'expérience.

-Peut être que je ne réussirai jamais. Il aurait haussé les épaules si ça n'avait pas été si douloureux... Et alors? Rien n'effacera les vingts dernières années. J'ai permis à des dizaines de personnes d'avoir une vie meilleure si ce n'est correcte et d'autre seront encore sauvées à l'avenir. Effectivement, je suis pentien et je prie majoritairement Nééra. Elle nous as offert le choix et le libre arbitre. A nous de l'entretenir. Coûte que coûte. Il marque une pause avant d'ajouter, sincèrement curieux. Pourquoi est-ce que tout ça t'importe ? Visiblement tu te contentes pas juste de faire ton boulot, sinon tu serais pas là à me demander si je peux me regarder dans un miroir ou pas...

Le guetteur étire un léger sourire en coin, amusé, satisfait, mais pas moqueur. Enfin, il a réussi à faire vaciller la vision unilatérale que Viliam avait de lui. Ce n'était pas forcément son but mais il n'en est pas mécontent. Le bandit n'est pas comme les criminels à la petite semelle qu'il arrête en temps normal et pour lesquels il n'a pas la moindre compassion. Il ne tolère pas les vols commis par celui-ci mais, au moins, sa motivation n'est pas si mauvaise.

-J'aime comprendre les choses. J'ai lu bon nombre de rapports à ton sujet depuis notre rencontre mais ils sont écrits avec le point de vue de leur auteur, qui fait rarement preuve d'empathie. Je pouvais facilement faire une liste de tes crimes mais les éléments ne s'imbriquaient pas correctement... Maintenant, tout est nettement plus clair.

Cela n'a évidemment aucun rapport avec cet interrogatoire. On ne lui a pas demandé de connaître les motivations de Viliam. Cette information, lui seul en avait besoin. Ce besoin de comprendre le tenaille depuis vingt ans à présent et, même s'il aurait pu trouver la réponse tout seul en fouillant dans son esprit, il préfère la discussion. Après tout, cette méthode d'interrogatoire est dangereuse autant pour son hôte que pour lui.
D'ailleurs, en parlant de ça...

-Mais, aussi plaisante soit cette conversation pour moi... Il commence à se concentrer plus intensément. On attend un résultat de moi.

Peu à peu, leur environnement change et reprend progressivement la forme de cette bibliothèque dans sol ni plafond, baigné dans une lumière diaphane, aux étagères pourvues de livres et d'objets en tout genre, à la fenêtre donnant vu sur le champ, l'entrée de la grotte et cette crevasse qui est censé l'empêcher d'accéder à cette allée maintenue dans le noir.

A nouveau la peur qui s’était presque tue et avait laissée place à la perplexité reprend le dessus. Le bandit s’agite alors que le temps qu’il a pu gagner semble se terminer et que l’environnement change pour l’espace devenu trop familier de la bibliothèque. La rancœur se mêle à la peur panique.

Ses chaines tintent à nouveau alors que le tout pour le tout il envoie ses pieds cogner dans la chaise du guetteur, malheureusement trop loin pour que cela soit efficace. Aslan étire une moue qui traduit les deux sentiments qui lui inspirent ce geste désespéré. Evidemment que l'on a fait en sorte qu'un prisonnier ainsi attaché ne puisse s'en prendre à la personne qui lui rend visite. La tentative de Viliam était donc forcément vouée à l'échec... Ne s'y attendait-il vraiment pas ? Il est désolé pour lui mais il doit continuer. Cependant, c'est la première fois que son interlocuteur lui inspire un peu de sympathie et qu'il compatit à son sort. S'il avait le choix, il s'y prendrait peut-être autrement. Il a plus d'une façon de découvrir la vérité. Mais on le pousse à résoudre le problème rapidement. On le lui a bien rappelé ce matin encore avant de venir ici.

Une fois la bibliothèque en place, le guetteur appelle un nouveau livre sans un mot. Il l'ouvre et un nouveau souvenir se déroule alors devant eux. Cela ressemble à une réunion... ou une concertation. Le sujet évoqué est d'importance, même si certaines paroles sont un peu brouillées parce qu'il date un peu. Alors qu'il progresse lentement sous les yeux du Sergent adossé à sa chaise et les bras croisés, ce dernier se redresse soudain. Là, le souvenir s'arrête... puis revient en arrière et s'arrête sur un visage. Celui d'un homme grand et blond. Il l'a déjà vu... Plusieurs fois. Cette fois, ce personnage semble prendre une posture différente des autres fois. Il est plus sérieux et les autres l'écoutent avec attention, Viliam le premier.

-Ce n'est pas seulement le plaisantin du groupe... Dit-il pour lui-même alors que cette révélation lui vient.

Aussitôt, Aslan appelle d'autres livres à lui et les ouvre tous pour figer les souvenirs qu'ils contiennent à un moment où le visage du blond apparaît. Voilà enfin une piste à exploiter !

A nouveau le bandit se mure dans le silence. En plus de la peur qu’il ressent pour lui-même, il comprend ce qu’il se joue. Ren est en danger. Il a pu cacher Fantôme mais l’ancien marchand est bien trop présent dans sa vie. Les Ley’Alnen savent qu’il est encore en vie et sont à sa recherche, mais les informations que le bandit est forcé de donner peuvent être cruciales. Il ne faut pas qu'il tombe. Pas lui.

-Tu paiera. Tôt ou tard. Tu paieras pour ce que tu fais.

***

De longues heures se sont écoulées depuis l’arrivée de la Chimère parmi le camp de l’Aile blanche. La nuit est tombée et avec elle, la fin des discussions et des plans. Petit à petit les bandits se sont résignés à chercher un peu de repos. L’ambiance est étrange alors que cette paix semble bien artificielle. Personne n’en a vraiment envie alors que leurs camarades sont à deux pas, attendant leur secours. Mais ce secours n’arriverait pas dans la précipitation, Ren s’était efforcé de le faire comprendre aux plus échauffés des esprits de la Plaine, et, plus secrètement, de s’en convaincre aussi.

Comme pour montrer l’exemple, à contrecœur, il avait laissé la fatigue l’emporter  et avait dormi un temps dans la grande salle principale. Mais rapidement, trop de pensée amères et inquiètes l’avaient rattrapé et empêcher de véritablement fermer l’œil. Et puis il lui semblait avoir une dernière chose à faire dans cette soirée au combien difficile.

Doucement il était venu toquer à la porte de la chambre de Viliam, où il se doutait que son compagnon s’était réfugié. Il attendit poliment qu’on l’en lui donne l’autorisation avant d’entrer dans la petite pièce. Elle n’avait pas bougé, comme si son propriétaire allait revenir d’une minute à l’autre. La petite table d’appoint était toujours parcourue de quelques documents de moindre importances. Des lettres, des esquisses de plan peu importants... Il y avait aussi un carnet au cuir usé et abimé et une mine de plombs laissé là nonchalamment. Ren n'avait pas besoin de l'ouvrir pour en connaitre le contenu. Peux de bandits connaissaient le talent de leur chef pour les portraits, le temps ne lui laissant que peu l’opportunité d’en faire étalage mais bien entendu son meilleur ami avait eut bien des occasion de le voir faire. Sa vie actuelle n'avait quasiment pas de secret pour lui.

Ren retint l’angoisse qui lui monta à la gorge alors qu’il ne pouvait s’empêcher de penser à mille souvenir à la fois devant ce tableau familier. C’était presque encore plus difficile qu’en bas, car ici il était forcé de réaliser une fois pour toute ce qu’il risquait d’advenir. Une part de lui n’avait absolument aucune idée de ce qu’il pourrait bien faire, si son ami ne revenait jamais, malgré toute les promesses qu’ils s’étaient toujours faites.

-Pardonne moi Fantôme. Je sait qu'il est tard et que le repos est précieux, Fit-il malgré tout, car malgré l’angoisse, il devait régler certaines choses. Mais on est pas partis du bon pied tous les deux je crois. J’aimerais…arranger les choses avant que tout ce bordel, il désigna vaguement le bureau, ne nous en empêche.

Appuyé contre la table, les bras croisés, Fantôme fixe le lit, éclairé par une unique bougie dans un coin de la pièce. Comme s'il était encore là... Incapable de savoir comment va son compagnon, il n'a pu empêcher, durant cette parenthèse, de se laisser submerger par ses souvenirs. C'est ici que c'est arrivé... Qu'il s'est laissé aller pour la première fois en étant pleinement conscient de ce qu'il faisait... et de ce qu'il désirait. Sa relation avec Viliam est totalement improbable et elle est loin d'être facile tous les jours... Du fait de leurs vies opposées, de leurs tempérament, de leurs secrets... Et pourtant, il n'a pas hésité une seule seconde à venir ici. Est-ce que son Commandant a compris maintenant ? Une part de lui veut encore espérer que non et que, après ce qu'il s'apprête à faire, il pourra encore rentrer. Mais se sentira-t-il de le faire sachant qu'il vient de trahir les siens ? Il n'est pas certain qu'il aura la conscience tranquille après cela... Mais, même s'il le voulait, il ne peut plus faire marche arrière.

On toque à la porte et le mercenaire sort avec peine de ses réflexions. Il faut qu'il se ressaisisse... Ce n'est pas encore le moment pour lui de sombrer. Alors il se redresse et se tourne vers la porte.

-Entre.

Il sait déjà de qui il s'agit. Enfin, la liste des personnes susceptibles de venir le voir dans cette chambre et à cette heure est assez mince... Et il y en a un en particulier qu'il s'attend à voir débarquer. Pour qui parler de quoi, il n'en sait rien mais il le sent venir. Et il ne se trompe pas. Rend entre et il se trouve lui aussi troubler par l'aura qui règne dans cette pièce, même en l'absence de son principal occupant. Car, après tout, il n'y a rien de Tom ici. Ni même nulle part. En son absence, qu'est-ce qui rappelle à Viliam l'existence de son compagnon ?... La Chimère se le demande soudain.
Fantôme souffle brièvement par le nez. Eux ? Prendre un mauvais départ ? C'était peu de le dire. Pourtant, il étire un sourire amusé. C'est vrai que l'attitude du blond à son égard ne lui plaît pas mais il ne lui en garde visiblement pas rancune.

-Tu sais... J'ai une amie... On est arrivé dans la compagnie à peu près à la même époque. On s'est très vite lié. Et quand j'étais prêt à faire une croix sur l'idée de pouvoir avoir une vie de couple un jour, elle a été la dernière femme avec qui j'ai eu envie de tenter d'expérience. Ça n'a pas marché -on se demande pourquoi...-... Mais ça nous a rapproché quand même. C'est pour ainsi dire ma sœur aujourd'hui. Et pourtant, quand elle a croisé Viliam, elle est devenue jalouse comme jamais... Sans même savoir ce qu'il y avait entre nous. Elle l'a senti, sans doute... Avant moi, d'ailleurs. Et ça a duré... jusqu'à ce que je me blesse à l'entraînement... J'essayais de refouler mes sentiments mais ça me perturbait tellement que j'arrivais plus à rien. Elle a eu peur que je finisse par me faire tuer. Et alors... Tout son ressentiment envers Viliam s'est soudainement évanoui. Comme si elle avait compris qu'elle n'avait pas à craindre qu'il m'arrive quelque chose à cause de lui... Mais que j'avais besoin de lui.

Alors qu'il regardait dans le vide, Fantôme relève finalement les yeux vers Ren.

-Quand je te regarde, j'ai l'impression de voir Djenaba... En moins féminin et moi typé, bien sûr.

Bon, le bandit n'a jamais vu sa compagne d'armes mais il comprendra sans doute ce qu'il veut dire. D'autant que son prénom ne laisse pas beaucoup de doutes quant aux origines de son amie.

-Je ne suis pas jaloux. Ren répondit avec un air un peu contrit. Il soupira. J’étais inquiet. Admit-il. En quelque sorte…Oui, mon expérience s’approche sans doute de celle de ton amie. J’ai connu Viliam alors qu’on était tous les deux que des gosses.

Il rit doucement en se remémorant un tendre souvenir. Dans son esprit il se revit, très jeune vêtu d’une livrée d’or et de rouge comme peu d’enfant en plein croissance peuvent se permettre d’obtenir. Le dos droit, l’héritier Ley’alnen se tient aux côté de son père devant un palais dont les jardins sont décorés avec soins. Mais soudain alors qu’on les invite à entrer, l’enfant s’aperçoit qu’un autre le regarde. Un autre enfant de son âge, aussi brun qu’il est blond, une marque bien en évidence dans son cou indiquant son statut inférieur à lui, baisse soudain le regard et accélère le pas vers une direction que le premier ne connaît pas. Plus tard il aura réussi à le pister jusqu’à des écuries où le garçonnet brun se recroqueville dans la paille et sursaute en le revoyant là.

-Renalt Ley’Alnen. avait-il lancé de but en blanc, en tendant sa main à l’esclave qui le fixait avec un mélange de stupeur, de crainte et d’admiration, comme si Nééra en personne venait de lui apparaitre

-La première fois que je l’ai vu, je devais tout juste avoir quatorze ans. J’avais le monde à mes pieds à cette époque, claquer des doigts me permettait d’obtenir tout ce que je pouvais bien désirer. J’accompagnais mon père, et j’ai le souvenir qu’il m’avait promis la lune en échange de ma bonne tenue. Mais dès que j’ai vu ce garçon de mon âge, si différent de moi, qui me fixait, j’ai plus rien eu en tête d’autre que d’essayer de l’apprivoiser alors qu’il partait aussitôt en courant. Un nouveau rictus étira ses lèvres. En quelque sorte les années n’ont pas tellement changé ça. Viliam peut parfois être…compliqué. Je pense que tu commences à le comprendre. A peine tu commences à voir qu’il ne va pas bien qu’il va se défiler et noyer le poisson jusqu’à te faire oublier ce que tu vois. J’imagine que c’est sa façon de se défendre autant des autres que de lui même.. Avec toi il avait l’air d’aller bien, et de s’amuser. Poursuit-il. J’en demandait pas plus, mais y a eu aussi des moment plus sombres et y a un stade que je pouvais pas me permettre de le laisser atteindre. Je vais te l’avouer de but en blanc, Fantôme, ne le prend pas mal, mais si votre relation avait fini par tourner au drame, je serais intervenu, que ça plaise ou non à Vil’ et qu’il décide de me faire la gueule pendant une énnéade ou non. Il haussa pourtant les épaules. Mais ça a pas été le cas. Les engeulades entre vous semblent passagères et j’ai fini par comprendre comment tu fonctionne. T’es pas un mauvais gars et tu tiens à lui. J’ai rien de plus à savoir. Il marque une nouvelle pause, un peu plus longue. Te remercier pour ce que tu t'apprêtes à sacrifier n’est clairement pas assez. Tout ce que je peux dire c’est que tu as ma confiance et ma gratitude.

Il marqua une pause. Finalement ses doigts virent détacher la boucle à sa poitrine et il l'a tendit au mercenaire.

-Je n'ai aucune idée de la suite. Mais… A nouveau il prend une longue inspiration. Il faut qu'on soit prêts au pire. Si jamais ça se passe mal, j'aimerais que tu la garde. Je ne suis pas sûr de comprendre pourquoi mais il tient a cette broche comme si c'était tout l'or du monde. Il la fixa, un air un peu perplexe. En fait je sais même pas d'où elle vient. Un jour il l'a eu entre les doigts et il l'a plus jamais lâchée.

-Inquiet, jaloux... Vu de l'extérieur, c'est la même chose. Le raille gentiment le mercenaire avant de le laisser continuer.

Il ne montre pas la moindre surprise lorsque Ren lui confirme que Viliam et lui ont bien été ensemble. Pas plus qu'il ne se montre frustré ou agacé. Il côtoie ces deux-là pour savoir qu'ils ne sont plus que des amis aujourd'hui, aussi proches soient-ils. Il ne doute pas des sentiments de son compagnon, pas plus qu'il ne doute des intentions du grand blond qui a toujours adopté une position d'observateur plus que d'opposant. Et puis, il ne peut qu'être reconnaissant envers lui de prendre autant soin de son amant. Lui-même ne peut pas toujours s'en charger. Parce qu'il n'est pas toujours là ou... que c'est à cause de lui qu'il va mal.

En écoutant le bandit, Fantôme découvre quelques petites choses sur les deux hommes. Il pouffe légèrement lorsqu'il qualifie Viliam de "compliqué". C'est le moins qu'il puisse dire... Communiquer avec lui n'est pas toujours facile et le tempérament taciturne et sarcastique de la Chimère n'aide pas forcément. Mais, c'est vrai, ils arrivent à le surmonter malgré tout.

Lorsqu'il évoque le sacrifice qu'il est en train de faire, le mercenaire baisse la tête. Le fait qu'il en parle n'est pas anodin. Il se doutait qu'il avait compris qu'il mentait en disant que tout irait bien. Les chances pour que cela se passe ainsi sont bien trop infimes pour que cela se réalise. Il en est parfaitement conscient mais pouvait-il réellement dire à Clarisse qu'il est en train de tout perdre ? Lui-même ne revient pas vraiment ce qu'il est en train de faire. Quelques mois plus tôt, il aurait pensé cela parfaitement impossible... Et pourtant, c'est ce qui se produit. Cependant, il élude le sujet.

-Quand il va mal, je ne lui pose jamais de questions... Parce que je ne sais pas si ce qui le perturbe fait partie des choses dont il ne veut pas me parler. Je respecte ses silences... et il en fait autant pour les miens. Je me contente d'être là... Et d'être ce dont il a besoin que je sois à ce moment-là. Même si je ne suis pas sûr que ce soit forcément la bonne solution pour lui... Ou pour moi, d'ailleurs.

Leurs fonctionnements sont assez proches. Lorsque quelque chose ne va pas, ils le gardent pour eux et se contentent d'aller chercher du soutien chez l'autre sans avoir à lui parler. Et ils jouent le jeu parce que c'est ce qu'ils attendent également de l'autre. Néanmoins, Fantôme se demande parfois si c'est la bonne solution... De laisser Viliam porter seul ses fardeaux. Et il serait hypocrite de sa part d'imaginer que ce qui est bon pour son amant ne le serait pas pour lui... Leurs blessures ne sont clairement pas les mêmes et leurs réactions non plus. Mais les partager ne les rendraient-elles pas plus supportables ?

Voyant Ren lui rendre quelque chose, Tom tourne la tête et se fige en découvrant la broche entre ses doigts. Cet objet, il ne l'a jamais tenu dans ses mains. C'est à peine s'il a pu le détailler vraiment. Pourtant, maintenant qu'il l'a là, sous les yeux, il n'ose le prendre... Ce serait comme renoncer à l'idée qu'il rentrera sain et sauf. Non, il ne peut pas.

-Garde-la. Et fais en sorte de pouvoir la lui rendre toi-même.

Cela sonne presque comme un ordre... Alors que c'est davantage un conseil. Ils ne peuvent pas savoir ce qu'il se passera... Il pourrait effectivement ne pas en réchapper. De même que lui d'ailleurs. Alors, oui, lui confier la broche n'est pas plus logique que cela. Au moins, cela lui fait une motivation pour se tirer de là sans trop d'accrocs.

L’espace de quelques secondes, Ren resta silencieux, fixant à son tour l’objet métallique au creux de sa paume. Il sembla hésiter avant de finalement refermer les doigts autour et de serrer son poing contre sa poitrine.

-T’as raison. On va le retrouver et la lui rendre. Il força un sourire qui ne put pourtant porter qu’une expression teintée d’amertume. Je lui ai promis.

Un silence passa avant qu’il ne reprenne, relevant le regard vers la chimère.

- Je pense que c’est ce dont il a le plus besoin, en général et surtout pour les jours à venir : Le soutien des gens auxquels il tient et dont il a sincèrement confiance. Ta présence notamment. Tu peux toujours tenter ta chance lorsqu’il ne va pas bien, parfois il sait qu’il n’a pas le choix que de reconnaitre qu’il a besoin d’un peu d’aide plutôt que de tout planquer par le tabac et l’alcool. En général ça finit vite par passer. Mais, un nouveau soupir, pour ce qui est de ce qu’il ne veut réellement pas dire, il y a des choses dont il ne parle pas, même avec moi et Clarisse, et ce sera probablement comme ça jusqu’à son dernier souffle. Ce n'est pas toi, si jamais tu te demande. C'est juste...comme ça. On peut que se contenter de supposer et de faire au mieux. Là-dessus, je suis dans le même bateau que toi, et croit-moi, on en sait déjà plus que la majorité des habitants de cette Plaine. Certains ne savent même pas qu’il a été à leur place autrefois.

Ce n'est pas sans soulagement que Fantôme regarde l'objet disparaître dans la main de Ren... Dans son esprit, le prendre serait comme considérer que Viliam ne reviendra pas. Cela aurait été différent si c'était lui qui avait trouvé l'objet et non le bandit. Ce serait devenu une promesse... Celle de le libérer. Celle que Ren a faite en la prenant et qu'il renouvelle à présent.
Le mercenaire ne dit rien devant les conseils qui lui sont donnés. Inviter son compagnon à lui parler, au moins en partie, de ce qui le fait souffrir est une bonne idée... Mais il le craint aussi. Car cela sera suivi d'un effet : celui de la réciprocité. Et il n'est pas certain de vouloir en arriver là. D'y être prêt... En l'occurrence ce serait... un bien pour un mal, contrairement au dicton.

-Je ne m'inquiétais pas de savoir si ça venait de moi... Finit-il par répondre. Même si je pensais que, toi, tu savais tout... Ce qui ne me vexait pas pour autant. Ça serait l'hôpital qui se fout de la charité... Marmonne-t-il en conclusion, plus pour lui-même qu'à l'attention de Ren. On doit se reposer tant qu'on le peut. La journée sera longue demain.

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Le son d'un livre fermé soudainement résonne dans la bibliothèque. C'est la quatrième visite d'Aslan en deux jours et deux nuits. Mais Viliam ne doit pas en savoir quand chose... Il est enfermé dans cette pièce sans fenêtres et il se rend auprès de lui avec régularité, imprimant un rythme assez trompeur quant au temps qui passe. S'il parvient encore à tenir le choc grâce à ses quelques siestes et les énergisants qu'il ingurgite, la force de son hôte est bien inférieure à la sienne. Pourtant, il continue à prendre un minimum soin de lui. Il lui a fait donner plus de soins, s'assure que personne ne le maltraite et, s'il a continué à refuser de se nourrir, quelques hommes se sont chargés de l'immobilier pour le faire boire de l'eau et un peu de soupe.
Malgré cela, il n'a pas obtenu beaucoup d'informations sur ce mystérieux blond, si ce n'est son nom : Ren.

-Je dois te le reconnaître, tu es un ami très loyal. Le plus loyal que je connaisse... Dit-il en reposant l'ouvrage qu'il tient encore en main. Puis il regarde les rayonnages des étagères qui l'entourent. Tu caches bien tes souvenirs de lui. Cependant, dans ton état, tu ne devrais pas en être capable. Remarque-t-il. Alors, est-ce que tu suis tout simplement en train de me tromper ?

Depuis que l’autre avait recommencé, le bandit se tenait prostré, mains crispées sur sa tête et les yeux clos. Du peu de forces qui lui restait, il luttait désespérément contre l’écrasante volonté du guetteur. Il ne fallait pas que Ren tombe. Il ne fallait pas qu’il le trouve. Surtout pas. Qu’ils le torturent. Qu’ils dénouent chaque fil de sa vie si ça les chantaient. Mais pas lui. Pas lui.

C’était devenu comme une rengaine, presque tangible. Si tangible qu’il avait presque l’impression de l’entendre siffler à ses oreilles. C’était la seule chose à laquelle il ne pensait plus durant tout le temps que durait ces longues séances de tortures.
Il ne fallait pas qu’il le trouve.

Lorsque les souvenirs défilaient devant ses yeux, il se forçait avec l’énergie du désespoir à visualiser autre chose, ce plan de champs de blé, vide par exemple. Ça avait marché une fois. Mais rapidement l’autre avait repris le dessus et forcé le cours de ses souvenirs à reprendre. Alors à la place, il se contentait de les altérer au maximum, les rendant flou, parfois sourds. C’était erratique, et sa volonté flanchait dangereusement alors que ses forces étaient au plus bas, mais jusque-là, il avait presque tenu bon. Il fallait tenir encore un peu, jusqu’à ce que l’effort l’emporte et que l’autre n’y puisse plus rien. C’était la seule solution.

Bien entendu, comme souvent, il ne répondit pas à la remarque du guetteur. Comme il ne bougea même pas, on aurait même pu douter qu’il l’ait entendu.

Aslan soupire plus ou moins discrètement. Il a du mal à s'habituer à ces conversations à sens uniques. Il préférait largement lorsqu'ils discutaient la veille... Là, il a vraiment l'impression de le faire souffrir plus qu'autre chose, alors qu'il ne ressent probablement aucune souffrance. Finalement, le sous-officier se dirige vers une autre allée, un peu plus ancienne. Cette amitié est si forte qu'elle ne peut pas être ressente... Il ne trouvera rien dans les souvenirs récents car, à ce moment-là, Viliam sait déjà tout ce qu'il a à savoir sur cet homme. Il doit creuser plus loin...

Mais alors qu'il s'apprête à prendre un nouveau ouvrage, un son l'arrête. Celui du trousseau de clefs, du mécanisme de la serrure et du grincement de la porte. Qui que soit leur invité, les deux hommes coincés dans l'esprit du bandit ne le voient pas. Et tout ce que voit le nouveau venu, c'est Aslan, immobile, assis face à Viliam qui se tient la tête.

-Al Cabir. Appelle l'intrus.
-Capitaine ? Interroge le spiritualiste, surpris.
-Au rapport. Vous avez plus d'informations ?
-Pas encore, Monsieur. Il y a plus de résistance que je ne l'imaginais.
-Ou vous vous montrez trop doux. Vous prenez trop de gants avec lui. Cessez de tourner autour du pot, et brisez-moi ce type.
-Capit...
-Je me fous de vos principes, c'est un ordre ! Tonne l'officier avec autorité.

Le silence peine à s'installer alors que la voix du supérieur d'Aslan résonne encore dans la bibliothèque. Cependant, ayant fini de dire ce qu'il avait à dire, il n'attend et les deux hommes entendent la porte se refermer et la serrure d'actionner de nouveau, dans le sens inverse.
Le Sergent reste là, dans cette allée, sans bouger, dos à Viliam. Le briser, c'est la dernière chose qu'il souhaite faire. Ce n'est pas comme s'il s'agissait d'une ordure de la pire espèce non plus, il ne mérite pas ça...

Finalement, les étagères s'estompent et l'immense pièce disparaît une nouvelle fois. Assis face au bandit, Aslan ne dit rien. Il a ses ordres... mais il ne peut pas continuer. Sans un mot, il se lève et frappe du poing sur la porte à deux reprises sur la porte. On lui ouvre et, déjà deux gardes entrent pour surveiller Viliam, avant même qu'ils n'en aient reçu la consigne.

-Laissez-le dormir.
-Euh... Vous êtes-sûr ? Fait l'un des soldats, aussi surpris que son comparse.
-Laissez-le dormir. Répète simplement Aslan avant de disparaître d'un pas rapide dans le couloir, sans se retourner.

Viliam ne comprend à nouveau pas la réaction du guetteur. Il a entendu l’ordre. Il est logique. Il n’y a que bien peu de raison pour que le soldat n’obtempère pas. Et pourtant… On lui laisse enfin un répit. Aussi court pourrait-il être. Aussi terrifié était-il, de fermer les yeux dans cette pièce sombre accompagné des deux brutes. On lui laissait une brève chance, alors il souffle :

-Nééra soyez louée.

Avant de complètement se laisser sombrer dans un repos sans rêves.

~~~~~~~~~~~

Quelques coups sur la table... pour tirer du sommeil le bandit épuisé.

-Réveille-toi. Lui demande Aslan avec une certaine douceur. Le soldat le regarde avec une certaine compassion. Ils sont seuls de nouveau mais toujours dans cette cellule. Pour le moment. Je t'ai amené une amie. Déclare-t-il.

Le Sergent dépose alors la rapière de Viliam sur la table. De fait de ses entraves, il peut la toucher mais pas la tirer de son fourreau et encore moins s'en servir contre lui. Alors il la lui laisse dans la moindre crainte et vient s'asseoir face à lui.

-C'est le seul effet personnel que l'on ai retrouvé sur toi. Déclare-t-il alors qu'il sait parfaitement ce qui lie un homme et son arme... Même si lui n'affectionne pas la sienne.

-Je ne comprend pas.

Il est encore grogis. Il ignore combien de temps est passé, mais ce n’est clairement pas assez. Il est toujours plus qu’épuisé, à bout de nerf et à bout de résistance physique. Il a presque l’impression de rêver encore…si la douleur dans tout son corps et notamment dans son crâne ne le rappelait pas à la sombre réalité.

Dans ses yeux, le soldat peut lire le reflet des milliers de questions, de doutes et d’appréhensions qui l’habitent. Pourtant machinalement sa paume retrouve la hampe de l’arme qu’il a tenue de si nombreuses fois. Aslan ne se trompe pas. Il a finit par éprouver une certaine forme d'affection familière à son égard. C'est un objet presque rassurant, paradoxalement à sa fonction... Il la pensait perdue, comme sa broche qu'il a constaté ne plus porter à son premier réveil. Si seulement il pouvait la tirer une dernière fois.

Il ne parvient pas à saisir le comportement de son interlocuteur et il ne sait plus à quoi s'attendre. Ils lui ont demandé de le briser, et à contrario l’autre se montre presque…gentil. Ça ne fait pas de sens.

-J'aurais pu le faire d'entrée de jeu... Lui confie Aslan, comme s'il savait quelle question se pose Viliam. Et, entre son regard et ses émotions qu'il ressent de nouveau, en fait il le sait bel et bien. Et, pour être honnête, si tu avait été un violeur sans cœur ou un tueur d'enfants, on m'en aurait jamais donné l'ordre. Parce que je l'aurais fait d'entrée de jeu, sans le moindre remords. Néera me l'aurait pardonné.

C'est bien la seule information personnelle que le Sergent aura partagé avec son interlocuteur depuis le début de leurs échanges. Même son nom, le bandit ne le connaissait pas avant que le Capitaine de le balance sans ménagement quelques heures plus tôt. Mais cette information-là, il l'a choisie avec soin. Parce que c'est un point qu'ils ont en commun : leur amour pour la DameDieu. Un point qui explique le soin qu'il a pris à soigner Viliam, à le protéger des gardes et à s'assurer qu'il mange un minimum.

-J'ai voulu t'éviter ça. Mais je n'ai pas voix au chapitre. Il commence à y avoir des remous dans plusieurs quartiers de la ville et mon supérieur veut en finir rapidement... Avant qu'il n'y ait des débordements. Apparemment... Tu as des sympathisants.

-Je ne suis pas un violeur, ni un tueur d'enfants.

L'espace d'un instant il y eut une lueur farouche dans son regard. Il se foutait bien qu'on lui mettre bien des crimes sur le dos mais ça non. Jamais.

-Je t'en prie. Le bandit soupira et tenta à nouveau une supplique sans grand espoir. Si au moins il pouvait gagner du temps...Tu as les moyens d'éviter ça. De toute façon je vais mourir et j'imagine que ça ne tardera pas avec ce que tu me dis. Une exécution en bonne et due forme et la foule sera calmée. Il secoua la tête. Me fait pas endurer ça encore une fois. Tu veux discuter ? Discutons. Mais d'un Pentien à un autre. Pas par la force.

-Tu te trompes... Répond Aslan après un silence. Je n'en ai pas les moyens. Tu as fait un choix, il y a longtemps, en étant parfaitement conscient des conséquences que cela aurait sur toi. J'en ai fait autant. Conclut-il avec une assurance qui lui pèse indéniablement. En m'enrôlant, j'ai accepté qu'un jour je serai peut-être contraint de faire quelque chose qui est contre mes valeurs. Alors, je vais obéir... Et j'irais prier après. En espérant que la DameDieu me pardonnera...

Il n'y a pas que Néera qui devra lui pardonner... Adil aussi... Et cela le meurtrit tout autant.

-La seule chose que je puisse faire pour toi, c'est de faire en sorte que tu n'en perdes pas la raison. Alors accroche-toi à elle. Dit-il en désignant son épée du regard. Elle pourrait bien te sauver, cette fois encore.

Il ne s'est jamais battu directement contre Viliam mais il se doute que son arme l'a plus d'une fois tirée d'un mauvais pas. Même si, aujourd'hui, ce n'est pas son tranchant qui va l'aider mais l'affection qu'il lui porte. Puisqu'il doit fuir ses souvenirs pour éviter qu'Aslan n'y ait accès, c'est tout ce qu'il lui reste...
Finalement, les murs disparaissent et la bibliothèque reprend forme autour d'eux. Aslan commence à avoir l'habitude d'entrer dans l'esprit du bandit et son état lui rend la tâche d'autant plus facile. Il connaît le chemin et ne rencontre aucune embûche qui lui soit insurmontable. Une fois que tout s'est figé, le Guetteur tourne la tête vers le rayonnage qui se trouve à sa droite avant de revenir lentement vers le prisonnier. Il ne pourra que comprendre ce qu'il s'apprête à faire... alors qu'ils se tiennent devant l'allée sombre.

-Je t’en supplie.

Cette fois il ne gronde pas, il ne crache pas. Cette fois, sa voix se brise. Ça doit être étrange pour le guetteur. La réputation de Viliam est celle d’un homme arrogant, dont le chaos qu’il provoque ne lui tire que bien peu de remords. Il ne semble pas craindre grand chose. Au fil du temps Aslan a pu apercevoir que s’il n’était pas le monstre décrit par ses camarades, il conservait cette façon farouche de se battre quoi qu’il arrive. Là, l’homme devant lui est complètement différent. Il est terrorisé par la présence même du guetteur. Mais chaque pas de plus qu’il fait en direction de l’obscurité agite d’avantage le bandit.

-Je t’en supplie. Gémit-il, alors qu’il a l’impression de se revoir enfant au milieu du noir.

S’il ne maitrise pas vraiment les souvenirs présents dans la bibliothèque, il reconnait suffisamment les objets qui s’y trouvent. Au fond de lui il sait ce qui se cache dans cet endroit qu’il refoule de tout son souffle, même pour lui.

Sans se retourner, Aslan avance vers cette section isolée de la bibliothèque. La faille qui l'empêche d'y accéder se ferme un peu plus à chacun de ses pas, le son de ses bottes sur le sol intangible résonnant dans toute la pièce. Ainsi, l'abysse se ferme et disparaît, de même que le guetteur qui devient une silhouette sombre se détachant dans la pénombre. A la seconde supplique de Viliam, il s'arrête. Ses dents sont serrées et sa respiration tremblante. Il sait que, s'il fait ce pour quoi il est venu, il risque de se perdre lui-même... Mais a-t-il vraiment le choix ? Il s'est fait rétrograder une fois, il ne veut pas que cela recommence.

-Pardonne-moi petite sœur... Souffle-t-il.

Aslan tourne la tête vers l'une des étagères. Il lève un bras et tend la main vers un livre qui s'y trouve. Mais, alors que ses doigts frôlent seulement la couverture, quelque chose l'arrête. Des bruits, au-dehors de la cellule. Des bruits qu'il reconnaît sans mal. Il se retourne alors subitement vers Viliam, stupéfait.
Finalement, ils vont avoir un tout autre problème à gérer. Un problème bien plus urgent...

***

-Tout est prêt. On y va.

Quelques minutes avant tout cela, Ren se tient aux abords de leur bâtiment cible, sur l’épais rebord d’un toit plat. De là où il est-il a toute la liberté d’observer ce qui se joue devant la cours du bâtiment du guet. Il y a foule devant la petite place. Une foule qui s'agite et qu'un rien pourrait faire chavirer.

Durant trois jours, Espreranz a joué son rôle d’oiseau chanteur. De son habile verbiage, elle a diffusé çà et là l’idée de l’injustice subie par les bandits de l’Aile Blanche. L’infamie causée par le guet. L’histoire de ces quasi-innocents tombés sous le couperet d’une justice corrompue. Ce sont eux les responsables du malheur des petites gens qui grondent désormais. Ce sont eux qui mentent, pillent et tuent, sans vergogne. Il suffit d'observer les cendres dans la rue en contrebas.

Bien sûr, tous n’adhèrent pas ni à ces propos ni à l’idéologie Adain'Vinje. Mais le doute s’instille petit à petit. S’ils avaient raisons ? Si…Si ces gens-là n’étaient pas si mauvais ?

Alors dans la foule, il y avait aussi de simples curieux. Des qui venaient voir, alors qu’on promettait bientôt l’exécution de cinq d’entre eux. Leur chef figurerait même peut être parmi eux. Qui savait ce qu’il aurait à dire, une fois sur l’échafaud. Maintiendrait-il le cap ? Se défilerait-il ? Et en attendant, ils écoutaient un jeune zurthan s’emporter, perché sur une haute caisse de bois. Ses bras portaient des traces de brulures anciennes ainsi que quelques tatouages marquant une vie d’esclavage balloté au grès des propriétaires. A ses cotés, tenant sa main avec force, une jeune femme du même âge portait des marques similaires.

Ils se turent un instant et toisèrent tout deux d’un air mauvais les trois silhouettes encapuchonnées qui, quelques poignées de minutes plus tard trainaient à travers la foule la silhouette gracile d’une jeune femme aux cheveux court et blond dont les poignets étaient liés par une chaine épaisse. On l'avait bâillonnée, sans doute pour qu'elle ne corrompe pas d'avantage la foule. Mais son regard exprimait toute la rancœur qui brulait dans son cœur.

-Que le guet nous entende. Cria-l’un deux par-dessus les interjections de la foule, à l’intention des soldats immobiles derrière une grille épaisse. Il se tenait en avant alors que ses compagnons, mains sur leurs cimeterres, s'assuraient que la foule ne leur causerait aucun tord, ni à eux, ni à leur précieuse cargaison. Nous sommes des chasseurs venus du désert et nous avons un cadeau pour vous. La jeune femme s’agita. La nouvelle tête du serpent blanc dont la chute à commencé il y a trois jours et qui ne saurait désormais tarder. Nous demandons négociation contre sa capture.

les ''mercenaires":

Un garde s'avance. Se postant devant les trois nouveaux venus, il les observent en prenant soin de les détailler. Le fait qu'ils soient masqués n'est pas pour les rassurer alors qu'ils sont déjà tendus du fait de l'agitation qui règne devant la caserne depuis quelques heures. Puis il s'attarde sur la femme. Il plisse les yeux. Il n'est pas sûr... Alors il hèle un de ses collègues qui semble comprendre ce qu'il veut. Il lui apporte aussitôt une pile de papiers dans une reliure de cuir. Il ouvre la pochette et fait tourner quelques pages avant de s'arrêter. Il relève un peu le dossier et compare le visage de la captive avec celui sur l'avis de recherche qu'il a déniché.

-On dirait bien qu'c'est elle. Il referme alors la reliure et la rend à son comparse. J'en connais un qu'est pas près de pouvoir rentrer chez lui ! Plaisante-t-il alors que seuls les guetteurs peuvent comprendre de quoi il parle.

Finalement, il fait signe à ses compères de laisser passer le petit groupe. L'agitation monte alors dans la foule à proximité alors ils pressent aussitôt les mercenaires de rentrer pour pouvoir refermer derrière eux. Une fois le portail clos, l'un des mercenaires soupire discrètement derrière son foulard. Un foulard qu'il ne peut pas ôter, sous peine d'être éventuellement reconnu... Ils ont pu entrer. Mais c'est loin d'être terminé.
Dans la cour intérieure, les nouveaux venus attirent forcément l'attention. La tension règne. En plus de matraques, tous portent leurs armes alors que, d'ordinaire, elles ne leur sont pas nécessaires ici. A croire qu'ils se préparent au pire...

-Hey ! Les interpelle un Sergent avant de leur indiquer un bâtiment. Allez directement déposé votre colis à la prison et dégagez ! Ou vous allez être pris au milieu s'ils s'énervent de trop dehors.

Et ce n'est pas vraiment dans leur intérêt que des étrangers se mêlent de ça. Eux ont pour ordre d'éviter de faire des victimes trop sévères ce soir, sans quoi ça envenimerait la situation. Mais ils ne peuvent pas contrôler des mercenaires. Alors, plus vite ils seront partis, mieux ce sera.

-Non vous n'avez pas compris officier. Renchérit l'homme en croisant les bras. Nous allons d'abord négocier notre affaire. Ou bien nous repartons avec notre marchandise et nous la vendront a plus offrant. En attendant, mes hommes resteront à ses côtés afin de s'assurer de la bonne tenue de notre échange. Fournissez leur une salle et ils s'y tiendront. Un sourire sembla se dessiner derrière le tissu. Il ne s'agit que d'une simple précaution n'y voyez pas d'insulte l'ami, mais tout marchand apprend à se prémunir de ce genre de...désagrément. Il tendit sa main. Et après tout vous n'allez pas passer à côté de l'occasion qui s'offre à vous n'est-ce pas ? Je ne pense pas que vos supérieurs apprécient savoir que vous ayez laissé filer la nouvelle cheffe de l'Aile Blanche...

Le Sergent peste. Comme si c'était le moment ! Mais ils l'ont bien vus et ils en jouent, les saligauds ! Mais alors qu'il voit passer un autre sous-officier, il le hèle.

-Hé ! Vous pouvez vous charger d'eux ? Ils veulent négocier la capture de...
-Je vous rappelle que je ne suis pas de cette caserne. Je n'ai aucun pouvoir ici. Et, accessoirement, j'ai autre chose à faire. Lui rappelle l'humain aux yeux clair, et probablement le seul guetteur à ne pas être armé...

Sans attendre sa réponse, il reprend sa route vers la prison d'un pas lourd tandis que son homologue râle de nouveau. Mais il ne cherche pas à le retenir, c'est vrai qu'il n'a pas tort. Alors il revient sur les mercenaires.

-Bon, que vos gars l'emmènent dans la prison et la gardent pendant que vous allez là. Dit-il en pointant un autre bâtiment. Demandez un officier pour négocier. Fissa !

Il y a un regard entre les mercenaires, l’un hoche la tête et le chef du petit groupe acquiesce à l’intention du sergent qui s’en va déjà à grand pas. Derrière son bâillon, bien camouflée, Clarisse a un petit sourire, tout comme elle se doute que Ren pense la même chose. C’est déjà le bordel alors qu’ils n’ont rien fait. Le guet ne paie rien pour attendre.

Ren, lui, est concentré sur sa mission. Il sait qu’à présent leur temps est compté. Ils ont à peine quelques minutes avant que le zurthan dehors ne déclenche la révolte. Et pour le moment, ils n’ont pas le loisir de pouvoir siffler pour communiquer. Alors, les trois mercenaires forcent le pas jusqu’à la cellule qu’on finit par leur désigner sèchement. Leur prétendu chef est forcé de les laisser là après un dernier signe d’encouragement. Puis, la lourde porte se referma sur eux.

Immédiatement, Clarisse s’extirpa de ses liens comme s’il ne s’agissait que d’un jeu d’enfant, avant d’ôter son bâillon. Ren fit de même avec le bas de son turban et laissa échapper un bref souffle. A son côté il portait une sacoche dont il extirpa une petite fiole, empli de ce qu’il savait être un puissant somnifère dont il imbiba un tissu avant de le tendre à Fantôme.

-Deuxième étape. Murmura-t-il. On attire et neutralise deux ou trois de ces abrutis et on continue.

Dehors on entendait déjà les claquements caractéristiques des petites bombes de fumées dont ils se servaient. Les sifflements ne tarderaient pas à retentir à leur tour.

Fantôme prend le tissu qui se froisse dans sa main serrée. Il a beau s'en cacher, cela lui fait bizarre d'être là. Il n'a pas changé d'avis, bien évidemment, mais il est en train de commettre une trahison. Quel genre d'homme serait-il si cela ne lui faisait rien ? Cependant, il hoche la tête sans rien dire. Il n'a pas retiré son foulard. Ren peut se permettre d'être reconnu sur ou après coup. Lui ne peut pas. S'il se fait renvoyer par simple déduction de son supérieur, il souhaite au moins que personne ne sache pourquoi. Cela entacherait la réputation des Chimères... Et il est déjà en train de leur causer bien assez de torts comme ça.

-Promis, j'essaie d'avoir une femme dans le lot. Dit-il à l'attention de Clarisse avant de la regarder de la tête aux pieds. Ou un gringalet... Plaisante-t-il, pour essayer d'oublier ce qu'il est en train de faire.

Sans plus attendre, Tom disparaît dans le couloir. Rapidement, des voix se font entendre...

-Qu'est-ce tu fous là, toi ?
-Pardon... Trompé... Pardon... Fait une voix avec un accent étranger.
-Mouais... Tu mhmpf !!

~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Dehors, dans une ruelle déserte, le calme est si pesant qu'il en devient étrange. Deux soldats montent la garde près d'une porte oubliée. L'agitation, elle se trouve de l'autre côté de la caserne. D'ici, ils entendant parfois quelques montées de voix mais ils sont trop loin pour savoir ce qu'il se passe vraiment. Mais ce n'est pas comme si c'était leur problème... Ils guettent les alentours car ils savent qu'ils vont bientôt avoir de la visite. Ils tendent l'oreille vers la porte pour anticiper leur arrivée.
Alors que le temps s'écoule difficilement, enfin, quelque chose se fait entendre. Le bruit des chaînes est caractéristique... Alors, l'un des guetteurs s'avance de trois pas tandis que l'autre reste bien sagement près de l'ouverture. Un bruit de clés. Le mécanisme est actionné. Et voilà que deux hommes sortent, presque aussitôt suivi par un petit groupe de prisonniers.

Le lourd silence pèse encore quelques secondes, le temps que la lourde porte se referme et que le guetteur cache la clé dans l’une de ses poches. Il y a cinq prisonniers enchaînés et guidé avec fermeté par les quelques soldats. Certains semblent en bien mauvaise condition et cela fait grincer des dents les quelques silhouettes dissimulées çà et là. Perchés dans les ombres, les quelques bandits se dissimulent d’autant plus grâce à leurs étranges capes de plumes qui les fondent avec leur environnement. Il suffit parfois d’un mouvement pour apercevoir un éclat de couleur briller, mais les soldats sont bien trop concentrés sur leur tâche.

Ils ne se rendent compte que bien trop tard que ce calme n’est qu’un vaste piège.

Le silence se déchire dans un sifflement strident.

Les prisonniers comprennent immédiatement. Ils se retournent et se couvrent comme ils peuvent alors qu’une bombe éclate à leur pied. La fumée envahit l’atmosphère sous les cris d’alerte de la garde soudain prise d’assaut. Malheureusement pour eux, ceux qui auraient dû les entendre sont déjà bien occupés, de l’autre côté de la caserne. Ils ne peuvent que maladroitement tenter de croiser le fer, seuls contre les silhouettes soudain débarquées devant eux. Aucun n'aura le temps de s'interroger quand à la manière dont les bandits auront apprit l'existence de cette porte ou le fait d'y guider en catastrophe les prisonniers destinés à la potence.

Certains soldats regardent d'un air ahuri les prisonniers se baisser tandis que, face à leur comportement, d'autres cherchent rapidement la menace autour d'eux. Mais il est déjà trop tard. Il y a un grand bruit et leur vision se brouille rapidement. Sans parler de leur respiration... La fumée les fait tousser si bien qu'on entend bien vite un cri... puis un deuxième. Les deux plus éloignés de la porte sont tombés... Les autres guetteurs n'attendent plus pour sortir leurs armes et sont donc prêts à accueillir les bandits lorsqu'ils se présentent enfin. Malgré leur état de surprise et de gêne physique, ils essaient de se défendre. La fumée commençant à se dissiper, ils pourront bientôt reprendre l'avantage grâce à leur entraînement. Du moins, c'est ce qu'ils pensent.
Tournant le dos aux prisonniers pour faire face au principal danger, ils ne s'attendent pas à ce qui se produit ensuite. Solidaires, quelques captifs interviennent, malgré leurs entraves. Surpris, l'un perd l'équilibre et tombe pour se retrouver à la merci d'une lame ennemie. Un autre est perturbé dans sa défense et rate une parade : le tranchant qu'il essayait de détourner retombe sur sa main et son poignet et il lâche son arme.

Quatre soldats hors d'état de combattre. Il n'en reste plus que deux. Deux contre les assaillants qui étaient aussi nombreux qu'eux et qui sont désormais aidés par les prisonniers encore assez vaillants pour le faire. Dos à dos, à un pas de distance l'un de l'autre, les deux se toisent en silence. Est-ce qu'ils vont mourir ici ?

Quelques autres sifflements se font entendre çà et là durant le combat, mais il y en a un particulier qui fait étrangement stopper l’assaut alors que les deux guetteurs sont tenus en respect. Qu’ils fassent mine d’attaquer et s’en est fini, alors que leurs camarades gisent au sol, inconscient ou blessés.

-Vous avez le choix.

C’est un elfe qui s’exprime,  de derrière son foulard blanc, cette fois en un Oliyan parfaitement compréhensible. S’approchant du duo, ces derniers peuvent voir qu'il a l’air terriblement jeune pour la responsabilité qu’il endosse. Pourtant, il ne tressaillit pas une seconde.

-Vous posez vos armes et on vous laisse la vie sauve. Il retourne du bout de la botte l’un des soldats, s’agenouillant près de lui, examinant rapidement ses blessures. Je vous promets de même essayer de tenter d’en sauver un ou deux. Avant de se relever. Mais si vous continuez à vous battre…Il pose son pied sur le torse de l’homme, et son regard brille d’une lueur farouche. Sa voix se fait glaciale. On aura pas plus de pitié que vous n’en avez eu l’autre nuit.

Le soldat qui fait face au bandit responsable de cette attaque le fixe d'un œil mauvais. Plus mauvais encore lorsqu'il pose son pied conquérant sur l'un de ses frères d'arme. Se rendre et être le captif de ses salopards le rend malade. Mais...

-T'appelle ça un choix ? Clame-t-il.

Alors, après quelques secondes de plus, il jette son arme à un mètre de lui. L'épée choit dans un assortiment de sons métalliques. Il ne veut pas de cette rédition mais peut-il jouer la vie des autres pour seulement quelques bandits ? Le jeu n'en vaut pas la chandelle...
Quant à son homologue, restant seul face à cette petite armada, il n'a pas le choix... Et imite son collègue quelques instants plus tard. Ils ont perdus. Comment c'est possible ? Ils ne le savent pas... Mais ils l'ont en travers de la gorge.

-J’appelle ça un choix, ouai. L’elfe ne se démonte pas. Tu devrais t’estimer heureux que ça soit nous et nos principes parce que crois-moi, tous auraient pas été aussi sympa.

Sur ce il ne lui prête plus qu’une attention relative, alors que deux de ses compères s’occupent de neutraliser et bâillonner les soldats qui sont encore un risque pour eux. Leurs armes son confisquées rapidement, et ils finissent mis sur le côté, attendant ils ne savaient quoi.
Les prisonniers furent libérés aussitôt qu’on arracha la clé au chef du groupe de guetteur. Certain n’étaient quasiment plus capable de marcher et après quelques premiers soins rapides, ils furent emmenés Nééra savait où. Sur les six bandits, 3 restèrent sur les lieux, dont le chef du petit commando qui, pour la plus grande surprise des soldats encore conscients, s’attela effectivement à leur adonner à eux aussi, quelques premiers secours hâtifs.

A l’intérieur du bâtiment, Ren, Clarisse et Tom avaient quant à eux abandonnées leurs frusques de mercenaires pour celle de soldats du guet. Il n’avait pas fallu faire grand-chose pour que leur troisième cible, un jeune homme dont l’uniforme revint ensuite à la voleuse, ne parle par peur, avant de sombrer sous l’effet du somnifère, et de révéler où était gardé le chef de l’Aile Blanche.

L’adrénaline monte dans la poitrine du bandit aux cheveux blonds, en même temps que l’angoisse. Viliam est en vie mais il est isolé. L’acte est délibéré et Ren ignore encore ce qu’il a pu vivre, et quels dégâts seraient irréversible dans sa psyché fragile. Il a peur pour son ami.

-Hé vous ! Vous foutez quoi là ? … Attendez mais… ! Les soldats qui gardent la porte, alors qu’ils n’auraient plus dû être là, les remarquent et captent immédiatement que quelque chose cloche. C’est quoi ce bordel ?!

-Merde ! Râle alors Ren alors que les soldats s’approchent soudain, menaçants.

Alors à son tour il sort son épée. Il n’aime pas tuer, mais là il ne semble pas avoir le choix et, aussi effrayant trouve-t-il ce phénomène, Ren n’a pas l’impression de beaucoup regretter son acte….

Tom soupire en silence et ses épaules s'affaissent en même temps. Il redoute ce moment depuis la veille... mais il fallait bien qu'il arrive tôt ou tard. Alors autant se jeter à l'eau...

Après avoir posé un main sur l'épaule de Ren pour lui rappeler ce qu'il lui a promis, Fantôme s'avance le premier, d'un pas assuré. L'avantage d'un couloir, c'est qu'ils ne peuvent pas lui sauter à quatre dessus en même temps. Vu la place qu'il y a, ils ne peuvent que s'y mettre à deux maximum. Armé d'une simple matraque chipé sur l'un des gardes, le mercenaire accueille déjà le premier. Il esquive son attaque et en profite pour le contourner à l'aide de son bras, l'attraper par le col, et l'emporter avec lui pour le faire tourner sur lui-même et l'envoyer contre le mur. Le deuxième, il n'a que le temps d'éviter son arme qui fend l'air à l'horizontal, se retrouvant alors derrière lui... Et face aux deux derniers.
C'est qu'ils n'ont pas lésiné sur la garde... Mais Viliam est là, juste derrière cette porte... C'est la dernière ligne droite. Et il ne peut qu'espérer que les deux bandits n'amocheront pas trop ceux qu'ils devront affronter.

Alors que les soldats approchent de lui, Tom s'élancent et prend rapidement appui sur un mur, puis l'autre, s'élevant peu à peu dans les airs. Surpris les guetteurs ne savent pas trop comment s'y prendre, ne sachant pas comment anticiper ses mouvements. La Chimère en profite alors pour s'abattre sur celui qui se trouve le plus à sa portée et lui porter un grand coup de matraque au visage. Il ne peut qu'espéré l'avoir sonné que, déjà, l'autre est sur lui. Il esquive une première attaque, puis une deuxième. Il ressent une douleur au bras, peste un peu mais continue. Se faisant, il fait tourner le soldat dos aux bandits...

Immédiatement Ren profite de la distraction qu’est le mercenaire sur-entrainé. Son style est bien moins fluide et impressionnant que la Chimère, il lui pardonnera… Le premier de ses adversaires lui rend coup sur coup. Pire il semble gagner de l’avantage alors que sa lame trace une dangereuse ligne carmin le long de son flanc et une autre fine entaille venant traverser sa pommette. De quoi agacer un peu plus le bandit déjà sur les nerfs. Heureusement pour lui, Clarisse a beau être restée en retrait, elle ne manque pas de ressources et le soldat se retrouve à devoir esquiver une pierre projetée par une petite fronde. C’est une distraction de quelques secondes, mais c’est déjà trop. Un coup de pommeau d'épée atteint l’homme dont le souffle se coupe rudement. Un coup de coude atteint sa joue et finit de l’envoyer au sol, suivit d’un dernier pour l’envoyer dans les ténèbres pour de bon.

Il en reste un, qui a le malheur de lui tourner le dos.
Sèchement il s’en saisit par le col et l’envoie s’assommer contre un mur.
Il fixe un instant les corps de ces hommes n’exécutant que leur travail, reprenant une respiration, avant de fixer Fantôme. A moitié accroupi après avoir esquivé la dernière attaque, le mercenaire a regardé son adversaire suivre soudain le même chemin que le premier soldat qu'il a affronté.

-Copieur... Fait-il à l'attention de Ren. Mais celui-ci n'est pas d'humeur.

-On avance avant de plus pouvoir ressortir avec le bordel qu’on vient de foutre. Gronde-t-il, alors qu’il n’a qu’une envie c’est de défoncer cette foutue porte à grand coup de pieds.

Sans penser une seule seconde à l'entaille que le guetteur lui a faite au bras, la Chimère se redresse sur ses deux jambes.

-La procédure, c'est de toujours fermer la porte à clefs. L'un d'eux doit les avoir...

Dans la bibliothèque, l'ambiance est très différente. Les émotions d'Aslan ont soudainement changées en entendant les cris et les combats au-dehors. De la culpabilité, il est passé à l'urgence. Alors que les affrontement courent encore et qu'il est trop tôt pour dire qui gagnera entre le Guet et les assaillants, il sait qu'il ne peut pas se permettre d'attendre davantage dans tous les cas car, soit les intrus entrent, soit il faudra emmener le prisonnier ailleurs. Il faut donc interrompre l'interrogatoire immédiatement. Cependant, il lui a toujours fallu plusieurs minutes pour sortir de la tête de Viliam. Et, ces minutes, il ne les a pas... Il ne peut que prier pour que le combat dure assez longtemps pour lui permettre de s'extirper plus ou moins proprement.

Rapidement, Aslan quitte l'allée sombre pour revenir à la table. Les lieux tremblent un peu alors qu'il essaie de tout remballer avant même d'être totalement préparé. Il grille une étape... Mais il n'a pas le choix. Se faisant, la barrière entre la réalité et cette illusion se fait plus mince... Et la silhouette du Guetteur, toujours assis en face du bandit, se devine, de même que le mur de pierre derrière lui.

Au bord de la crise de panique, Viliam comprend soudain qu’un infime miracle semble pourtant se produire. L’autre est soudain celui qui s’affole, cherchant à stopper son rituel le plus vite possible, faisant trembler l’environnement. Quelques livres tombent et provoquent des bribes de souvenirs aussitôt interrompus. Cela n'est pas très agréable. L’espace d’un instant la silhouette du guetteur oscille et il lui semble l’apercevoir en face de lui. Ni une ni deux, il se saisit de sa rapière et l’envoie violemment frapper le soldat.

Au même instant la porte de la cellule s’ouvre à la volée. Le bandit ne le sait pas encore mais son ami n'a pas eut la patience d'attendre qu'on trouve une clé pour ouvrir la porte...
La bibliothèque se fissure soudain de part en part et s’effondre. Les livres souvenirs semblent se mélanger en un brouhaha infernal et Viliam se met à hurler sous le coup d’une douleur terrible, vive et lancinante. C’était comme si chaque livres devenait soudain une aiguille chauffée à blanc.

De l’extérieur Ren ne comprend pas et voit simplement son ami prendre sa tête entre ses mains avant de finir par s’effondrer, pris de spasmes de douleur. Ni une ni deux sa colère pour le type pas dans un meilleur état qui se tient assit près de lui se transforme en peur panique pour le captif.

-Viliam !

Il se précipite sans attendre vers son ami alors que Clarisse guette la réaction de l’autre homme.

La bibliothèque s'ébranle, comme victime d'un séisme. Nombre de livres et d'objets tombent mais Aslan parvient encore à la retenir afin qu'il demeure dans cette pièce... Ils doivent rester ici... Même si le désordre règne, ce sera toujours mon grave que s'ils disparaissaient. Mais alors qu'il est concentré sur la séparation de leurs deux esprits, sa volonté vacille tandis que quelque chose, dans la réalité, déstabilise son corps avec douleur. Il tourne alors son regard vers Viliam et constate qu'il a changé de position, la rapière tenue telle une arme de fortune.

-Non, arrête ! Résonne sa voix dans la bibliothèque.

Mais il n'a pas le temps d'en dire plus... La porte de la geôle tombe avec fracas. Une nouvelle déconcentration qui va causer bien plus de dégâts. En un instant, les étagères de la bibliothèque perdent l'équilibre... Nombre de livres et d'objets tombent... et certains traversent le sol invisible... tandis que d'autres semblent descendre du ciel.

Et soudain, une grande vague de douleur accompagnée de sifflements aigus dans les oreilles... Et tout est fini. Aslan est dans cette pièce sombre. L'une des torche a été soufflée par la chute de la porte. Le guetteur relève la tête vers les trois intrus, deux d'en autres s'étant déjà penché sur Viliam avec un regard plus qu'inquiet. Le Sergent le fixe un instant.

-Vous n'avez pas idée de ce que vous venez de faire... Dit-il, épuisé et endoloris.

Déjà, une aiguille cisaille le crâne du soldat qui grimace en fermant les yeux et portant son poignet à sa tempe, comme si elle essayait de s'insinuer dans sa tête... Lorsqu'il relève les yeux, il observe les deux hommes. Il peut aisément reconnaître le premier pour l'avoir vu cent fois dans les souvenirs de Viliam mais, le deuxième... Il lui semble le connaître. Mais Tom ne lui laisse pas le temps d'y réfléchir plus longtemps. Sortant le linge encore humide de sa poche, il vient le plaquer sur la bouche du guetteur, une main derrière la tête l'empêchant d'y échapper. Quelques instants plus tard, le soldat s'assoupit et la Chimère le retient pour venir l'affaler sur la table devant lui. N'ayant plus besoin du somnifère, il le laisse tomber au sol.

-On y va. Clarisse, détache-le.

Ren ne s’occupe plus du guetteur, prêtant toute sa confiance en ses deux compères. Avec douceur il se penche vers son ami, claque des doigts pour chercher à le faire réagir, en vain. Alors il soupire.

-Il est dans un sale état mais il est en vie. Constate-t-il, posant ses doigts contre sa jugulaire.

Doucement, il vient écarter une mèche de cheveux sombres de son visage d’où ressort un hématome violacé. En l’examinant il remarque les quelques blessures dont il se doutait déjà depuis l’explosion de la taverne. On lui a aussi évidemment confisqué le bandeau blanc qui ceint toujours son cou, et par réflexe, Ren vient lui nouer avec douceur celui qu’il porte dans le creux de son uniforme volé, et ainsi il cache la plume d’encre dans sa nuque, comme le bandit à tant l’habitude de le faire.

-Tiens le coup encore un peu mon frère. Marmonne-t-il avec une certaine tendresse alors que la voleuse se glisse à ses côtés.

Ils ont un regard entendu tous les deux. Clarisse n’a connu leur compagnon que plus tard en comparaison de Ren, mais elle sait tout autant que lui ce que Viliam a traversé. Et si elle semble bien souvent beaucoup plus détachée que les deux hommes, elle n’en tient pas moins à eux. Ils sont un trio inséparable et il suffit de capter quelques uns de leurs gestes aujourd'hui pour le constater.  Ensuite, ses doigts agiles jouent avec les fers qui lient les poignets du prisonnier, puis c’est au tour de ses chevilles d’être libérées.

De son côté, après avoir jeté un œil dans le couloir, alors que plus rien ne semble les menacer mais qu'ils doivent attendre que la voleuse aux doigts de fée ait fini pour s'enfuir, Tom revient finalement vers son compagnon. Une main près de son poignet libéré, une autre qui se glisse sur sa joue, il s'accroupit pour se mettre à sa hauteur et scrute son visage en fronçant des sourcils inquiets. Tout aussi inquiet que le regard qu'il échange avec Ren.
Comprenant que Clarisse a fini, le mercenaire se redresse. Il aide le bandit à le mettre debout puis à le soulever et le caler en travers de ses épaules.

-Tu nous guides ? Lança le hors-la-loi à la Chimère, se gardant une nouvelle fois d’utiliser son nom. Tu es le meilleur pour nous couvrir. Il jeta un coup d’œil à la rapière sur le sol. C’est son arme... Je sais pas ce que cet enfoiré comptait lui faire, mais récupère-la, s’il te plait.

D'ailleurs c'était pas le type qui avait refusé de les aider tout à l'heure..?
Obéissant, Tom prend la rapière pour nouer le fourreau à sa ceinture. Contrairement au blond, sa présence ne lui inspire pas tellement de la méfiance mais des questions... Pour avoir mener des interrogatoires, il n'y a aucune logique à avoir apporté ici quelque chose auquel Viliam tient. Plus encore une arme. Surtout en restant à sa portée. C'est très étrange...
Finalement, le mercenaire capte le regard de Ren sur le guetteur endormi. Il semble alors deviner à quoi il pense.

-Je sais. C'est bizarre... On y réfléchira plus tard.

Même s'ils ne disent pas forcément leur nom, son compagnon aura peut-être pu apprendre celui de l'homme qui l'interrogeait. Ainsi, la Chimère pourra peut-être en déduire ce qu'il s'est passé. Rien que le fait qu'ils aient fait venir quelqu'un d'une autre caserne pour s'occuper de lui est inquiétant...

Sans plus attendre, Fantôme revient à la porte après avoir rajusté son fouloir sur son nez. Il guette de chaque côté, autant avec les yeux qu'avec les oreilles. Une fois certain que la voie est libre, il fait signe à ses deux comparses et s'engage dans le couloir. Heureusement pour eux, avec l'agitation créée devant la caserne, la garde a été réduite à son strict minimum.
Quelques mètres plus loin, à l'approche d'un embranchement, l'éclaireur fait signe à tout le monde de s'arrêter tout en se plaquant contre le mur. En tendant l'oreille, ils peuvent percevoir des pas qui approchent. Il n'y a qu'une personne... Tom prépare sa matraque... Il attend, tendu même s'il donne l'impression d'être avant tout concentré. La pression monte... Puis le mercenaire fronce les sourcils. Les pas s'éloignent. Il se hasarde à jeter un œil et constate que la voie est bien libre. Le soldat a tourné avant de passer à leur hauteur.
Nouveau signe et la Chimère s'engage dans un nouveau couloir. La sortie n'est plus très loin... Et, si tout s'est passé comme prévu, les gardes ont été neutralisé là-bas. Mais alors qu'il avance, une porte commence à s'ouvrir juste à côté de lui. Aussitôt, Tom attrape la poignée et referme et tire pour empêcher l'autre derrière de rouvrir. Puis il tend une main vers Clarisse afin qu'elle trouve quelque chose pour bloquer la porte.

Clarisse ouvre soudain de grand yeux, l’air de chercher quelques choses autour d’elle. Puis soudain, sa bouche se fend en une petite moue mutine. Elle tire l’épée à sa ceinture aussi grande qu’elle est, elle, menue. Elle la cale précautionneusement contre la poignée qui n’est soudain plus capable de tourner. Des cris de protestation résonnent derrières, accompagnés d’injonctions d’ouvrir cette porte.

-Allons-y.

Et le groupe de continuer.
A l’angle d’un couloir d’autres pas retentissent soudain et à nouveau ils se stoppent, prêt à se défendre contre l’intrus. Heureusement pour eux, l’homme qui leur tombe dessus est un visage familier. Leur prétendu chef de mercenaire semble un peu secoué, son nez n’est plus très droit et il porte quelques hématomes mais il leur adresse un sourire rassurant.

-ça va. J’ai réussi à me débarrasser de l’autre…Moyennant deux trois broutilles. Son regard se porte immédiatement sur le fardeau de Ren qui hoche à son tour la tête et répond en silence à sa question muette. Bien. Je l’examinerais une fois que nous serons sortis de là.

Alors, c’est non plus à quatre mais cinq qu’ils atteignent enfin leur porte de salut et la fin d'un longue angoisse pour eux tous.

-Victoire ! S’exclame alors Esgalön, l’elfe, en les voyant débarquer.
-Pas encore. Ren s’en veux de couper son élan ainsi, mais il se devait de garder la tête froide. Barrons-nous pour de bon. Il faut aussi que Yasan et Rija fassent en sorte de calmer l’émeute et de se mettre en l’abri.

-Et eux on en fait quoi… ? L’un des bandits fixe les guetteurs toujours bâillonnés dans un coin. A leur regard ils s’attendent visiblement à être exécutés d’une seconde à l’autre.

Tom regarde les six hommes attachés de la tête aux pieds qui attendent par terre dont un est visiblement encore sonné. Rapidement, il remarque la clé qui pend à la ceinture de l'un d'eux et il s'en approche pour la prendre sans rien demander à personne. Son geste fait même sursauter un des soldats qui s'attendait à ce qu'il s'en prenne à lui.
Puis le mercenaire montre sa trouvaille au reste du groupe.

-Une pierre deux coups : On les renvoie chez eux et on verrouille l'accès. D'ici qu'ils arrivent à se libérer pour donner l'alerte, on sera loin.

Évidemment, c'est une suggestion et absolument pas un ordre. Tom sait où est sa place. Cependant, sa seule condition pour les aider, c'est de faire le moins de mal possible aux guetteurs. Et, jusque là, ils ont réussi. Sa proposition est plus que raisonnable et leur assure malgré tout d'avoir une longueur d'avance.

-Tu devrais partir devant avec quelques uns. Dit-il en regardant le grand blond. On se retrouve plus tard.

L'urgence est encore là... Et elle consiste à mettre en sécurité les blessés. Il pense donc à Viliam et Esgalön, même si Ren a été touché. Lui, il ne sent pas encore l'entaille sur son bras, il est trop dans l'instant présent. Mais ça viendra bien assez tôt...
Ren laisse une seconde passer, avant de finir par acquiescer. Il s'approche et pose une main amicale sur l’épaule de la Chimère.

-Merci. L’intéressé peut voir la reconnaissance sincère dans son regard. Fait gaffe à toi. On se revoit tu sais où.

Avant de totalement faire demi-tour, accompagné par l’elfe et un autre de leur camarade, Ren siffle une dernière chose que Fantôme ne comprendra pas, mais qui fait réagir les autres bandits. Ils hochent la tête, puis ceux qui restent se tiennent alors prêt à suivre les ordres de la Chimère comme s’il avait toujours s’agit de l’un des leurs. Et Tom de les regarder, d'abord sans comprendre... avant d'être envahi d'un sentiment étrange. Mal à l'aise, il se contente de se recentrer sur ce qu'ils ont à faire. La nuit n'est pas encore finie.