Talpidé de tempête [Bräahm]

Pour sûr qu’il était trop vieux. Bien trop vieux pour cela.

Voyager avec Sognir était une épreuve en soit. L’Ancien était du genre à ne quitter son trou qu’une fois tout les dix années pour « aller prendre l’air ». Cette expédition décennale se préparait généralement longtemps à l’avance ; on y mettait fond et forme pour conserver un confort optimal, la principale problématique étant le plus souvent, la lumière du jour. Car le Racleur avait en horreur les rayons du Zharrat. Lui qui avait passé sa vie à fouillé le ventre du monde, était devenu une créature du gris et du sombre, un être qui fuyait le jour pour se réfugier dans l’atmosphère protectrice des ténèbres. La construction de l’Ungordrinin était donc pour lui, une des meilleurs nouvelles de ce qu’il considérait être son baroud finale, bien qu’il craignait ne pas en voir la fin.

Aussi, il était bon d’imaginer maintenant, le calvaire des Main-Ferme et de toute la bande de joyeux barbus ou belle tresse qui avait eut, l’unique et infinie chance, d’escorter le vieux Vieille-Veine, à dos de bélier, sur la plus longue route diurne qui existait dans le Grand-Royaume nain. Plus qu’une balade, bien plus qu’une aventure, elle fût sans douter, la plus belle  des ode réservée à la raillerie et râlerie que le monde ait connu.

Infecte et insupportable aurait été les bons mots. Mais heureusement pour lui, le carcan de la bienséance naine refusait aux nains plus jeunes, de contredire le nain plus vieux. Nain qui ne s’était point gêné pour déblatérer en long, large et travers sur : la qualité des selles, de la nourriture, du temps, des gouttes de pluie, des rayons du soleils, des moustiques, des couchages, de son mal de rein, de l’air frais qui ne l’était pas vraiment selon lui, des manières des surfaciens, de la vantardise des marchands, de la courtoisie des caravaniers, de l’odeur odieuse des bêtes, des mouches, des rats, du gout de la viande, du gout de la bière, de la qualité de l’herbe à pipe, de l’odeur des béliers, de son joufflu endolori, du fait qu’il ne referait jamais pareil chose, du serment qu’il prononça à dix reprises, de ces satanés averses, de ce satané soleil, de cette foutue bière, du manque de gnôle, de la faiblesse des ses hôtes ect…ect…

Alors c’est sans douter qu’une fois les frontières du Kirgion franchises, une fois la Reprise atteinte, une fois les portes du Joyaux sous la montagne passée, le trio Main-Ferme que menait le bon Jnordil, dut reconnaitre avoir réussit la bien belle quête. Néanmoins et heureusement pour tout le monde, Sognir retrouva bien vite son caractère un brin moins rancunier une fois à l’ombre de la montagne. Si on avait put le prendre pour un dément il y a encore quelques heures, il était maintenant redevenu maître de lui même. Dans ce voyage, Dagoran avait lui aussi fait route et le bougre lui au contraire, n’avait point lâché bride.

C’était pour une unique qu’ils avaient tous rejoins Kirgan. L’Althinkalan. Et déjà on pouvait sentir l’atmosphère électrique qui précédait ce genre d’évènement : l’afflux de nain en direction de la capitale augmentait de jours en jours. S’ils n’étaient pas partis les premiers, ils auraient néanmoins bonne place. Le temps était maintenant à la parlote et pas des moindres ; Sognir souhaitait savoir pourquoi, pourquoi le Main-Ferme en était arrivé la.

Quand il franchit le seuil de la loge ou résidait Bräahm, il était accompagné de son porteur de bouclier. Jnordil l’avait devancé de quelques heures pour compter son voyage. Frais et restauré, le Narundi se présentait d’un pas claudiquant, le joufflu toujours bien amoché.

«  Sognir, fils de Motgir des Vieille-Veine, Narundi d’Almis, se présente aux portes des Main-Ferme. »

Ce fût la voix rocailleuse de Dagoran qui l’annonça comme le voulait la coutume. Les choses sérieuses pouvaient enfin commencer.

Tirant sur le bock, le Racleur s’humecta la gosier à grande lampée de ale ,en le regardant ainsi on aurait put croire que l’Ancien avait omit de s’hydrater depuis son départ de la Perle du Nord. Pas vraiment un modèle de prestance en ces temps de bienséance, mais Sognir était un nain de la gangue, élevé et nourri par la pierre pour la pierre ; on lui avait inculqué bien d’autres choses que les convenances et c’est bien pour cela qu’aujourd’hui, il avait atteint cette place. Pas de fioriture, pas de faux semblant, pas de tortillage de joufflu pour caguer droit : rien que le vrai, le brut, celui qui piquait, celui qui point plaisir ne faisait, mais celui que quelqu’un devait dire.
Laissant à peine le temps à son hôte de finir sa tache d’échanson, la Racleur y alla du chef après un grognement sonore qui couvrit à peine le refoulement gazeuse qui s’échappa de ses lippes.

«  On disait par la lande, que la courtoisie de cette loge avait bien changé, mais les racontars comme souvent, se fourvoyaient. Tu te tiens la, devant nous, à jouer les naniots basculeur de mousse, pis encore, tu te présentes, alors que j’ai, avec mon porteur d’acier, traversé le Royaume pour te venir te rencontrer. Nous savons qui tu es Bräahm des Main-Ferme, tout le pays sait qui tu es, fils de Brömur. Cesse donc de tergiverser, nous allons parler vrai. »

Le borgne n’avait en réalité, pas laissé grand temps au Main-Ferme pour user de faux-fuyants, mais Sognir était comme ça, il appréciait toujours avoir un coup d’avance dans sa prose, dusse t-il en oublier la forme réel de la discussion. Aussi, il était difficile de dire, comme souvent, ou se trouvait l’ironie et ou commençait la courtoisie. Sognir était fait d’un marbre veiné difficile à décrire tant son visage couturé et marqué par le temps restait figé d’une même expression. Dans son dos, Dagoran qui trempait ses lèvres dans la chope, portait semblait-il, exactement la même face qu’à son habitude.
Le Narundi prit alors un instant pour bourrer son brûle gueule, un geste commun et pour faire bonne figure, laissa traîner de façon ostentatoire, sa blague à feuille de pipe devant lui, signe qu’il était prêt à partager.

«  Quand vint la sorti de l’hiver, nous avions eu à peine le temps de nous croiser d’une oeillade. Rien qui aurait laissé quelques souvenirs dans ma vieille caboche du moins. Mais voila, qu’aujourd’hui, tu es semblerais t-il, le nain qui souhaite du changement. En fallait-il un qui ose ? En fallait-il seulement un ? Bonne question, point de réponse. Ce bon Jnordil, bien qu’il soit un compagnon de voyage déplorable - croit moi, j’ai rarement vu barbe se plaindre autant, m’a pourtant comté, moult chose à ton sujet. On dit aussi, moult choses sur ce que tu aurais vu, que tu dis avoir vu. Des choses, qui, à entendre la rumeur, ne ferait pas de toi le seul à avoir vu dans le feu et l’ombre. »

Il laissa s’installer un silence qui se fit aussi pesant que la lourde fumée qui s’échappa de son glissoire.

«  Je ne suis pas un de ces Thanes de pacotille, au joufflu encastré dans leur séant, trop prêt de la politique et trop loin du véridique. Fait moi donc honneur, Bräahm des Main-Ferme de me comter toi, le pourquoi ? Comte moi les réels raisons qui t'ont emmené à lever notre rassemblement sacré ? »

«  Mh, Mogar. » pérora le Racleur en faisant rougeoyer la braise de son âtre.

Un petit rictus suivit, comme si la chose était banale, commune, déjà passée et déjà faite. Sognir avait pourtant écouté de long en large le récit du Main-Ferme. Ô pour sur, il savait des choses, mais on ne savait jamais réellement tant que de ses propres mires, on n’avait observé. Voila une belle habitude qu’il s’appliquait à mettre en place et cela, malgré son vieil âge. Le pire était encore, de croire totalement en la rumeur : cette dernière courait la lande bien trop vite, perçant la gangue, foulant les prairies et pervertissant tout les coeurs faibles. Autrefois, le Zagazorn pouvait se targuer de ne pas donner beaucoup de crédit à ce genre de soufflante, mais le Zagazorn avait changé, et ses habitants aussi ; la situation actuel était un exemple concret : certain condamné déjà aisément le nain qui lui faisait face, et cela pour des simples on-dit. Mais pour le Narundi, Bräahm était un témoin, un témoin doté d’un sens de l’honneur, et lui, respectait toujours cela.

«  Le Père, le Puissant, le foutu Ripailleur et toute la belle cohorte divine. Qui sommes nous réellement pour connaitre leurs desseins ? De tout temps, ils ont fait et nous trinquons, il en a toujours était ainsi et cela, quoique pense la majorité des barbes de ce Royaume, rien ne peut l’empêcher. Tu dis avoir vu le signe du Roi de la Guerre dans les flammes, tu crains Son courroux, pour nous, pour tous, bien belle chose que voila. Mais Mogar est Mogar. Voici bien seul chose immuable. Ne se repait-il pas autant de notre hargne à son encontre que de notre dévotion ? Imagine donc, Bräahm des Main-Ferme, la stupeur de ceux qui, pensant l’honnir ne font qu’en réalité, qu’abreuver son auge ? »

Se fendant d’un rire gras, sarcastico-caustique, Sognir affichait la trogne du moins bon des bons jours ; autrement dit, il ne semblait pas totalement satisfait de la réponse de son hôte et en bon fouisseur, chercha à continuer de fouissier. Braähm, semblait déstabilisé par la situation, mais comment ne pouvait-il ne pas l’être, quand sûrement plus de la moitié des nains du Zagazorn, le prenait pour un fou et que bientôt, à la vue de tout les thanes, il se devait d’assumer cette folie ? De quoi repeindre ses braies, pour sûr.

«  Crois en mon conseil Main-Ferme, attiser la braise en soufflant trop dessus risquera de te desservir. Ô, ils te croiront, du moins certains, comme je veux bien te croire moi aujourd’hui, mais la douleur les aveugles encore trop, la souffrance est trop fraiche, et nous avons tendance à pardonner difficilement, je ne t’apprends rien. Je le sens en toi, la levée de cet Althinkalan ne dépend pas juste des visions de lave et de destruction que tu as rapporté avec toi. Si tu cherches à être réellement entendu par les Thanes, il te faudra assumer plus que la peur du Père et prouver que tu as la carrure d'un Grand-Roi. Tu n’es point seul dans la lande à être affublé par la rumeur, sache le. Tu juges Harald Thormundsson faible, pourquoi ? Voila la vraie question. »

Sognir avait arrêté de fumer. Dagoran avait arrêté de boire. L'unique oeil du Vieille-Veine braqué à son tour dans celui de son homologue. C'était la vérité que souhaitait le Racleur.

Le poing ridé du Racleur s’abattit à son tour sur la table qu’il occupait.

«  Aye. Voici donc la parole véritable. »

Sognir se fendit alors d’un sourire, affichant la trogne de celui qui avait reçut son dût, de celui qui avait réussit à obtenir le gain de sa cause. Pourtant, il devait se l’avouer : quelque chose dans les mires du Main-Ferme le troublait. Bien qu’il avait délivré sa vision, bien qu’il avait prouver par les mots pouvoir assumer le rôle qu’il convoitait, on pouvait sentir sous sa prose curieuse tournure. Braähm semblait aussi attirer que repousser par les paroles du Père, et pourtant, il se rangeait systématiquement sous son contrôle. Pouvait-on l’en blâmer ? Un ancien tel que lui, ayant par delà toute sa vie prêté esgourdes et révérades aux Père-de-Tout ne pouvait point facilement s’en détourner. Et cela malgré les morts, malgré la colère, malgré la folie. De plus, il n’était sûrement point seul en Zagazorn ; son propre peuple Almien en était le parfait exemple. Borgne mais loin d’être sourd, le Narundi recueillait encore quelques brides de témoignages sur ses gens qui n’étaient pas destiné à toutes les caboches. Mieux valait-il donc garder la face froide et dure, comme tout bon granit.

«  La colère ne doit pas obscurcir ta prose, Braähm Bromursson, mais ton combat, semble juste. Du moins, il résonne ainsi à mes oreilles. Il te faudra faire preuve de tact, mais ne grime pas tes actes sous le couvert d’un foi que tu pourrais juger éteinte et qui ne l’est en réalité pas. Si le Groman-Rik cherche à prendre ta caboche devant les Thanes, se montrera t-il réel servant d’Ikthor ? Ou, sous couvert de tyrannie, ne fera t-il pas en réalité que mettre les plans du Père qu’il haït tant en action ? Tu ne devrais pas craindre pour ta vie si tes pensées sont justes et sans fard, aucuns nains ne devraient avoir à le faire. Mais nous vivons une époque troublée et notre peuple, n’a jamais apprécié le trouble. »

Difficilement, il se releva, s’aidant de Dagoran comme d’une aide.

«  J’en ai assez entendu. Nous ne prendrons pas plus de ton précieux temps. Montre toi fort la ou tu vois la faiblesse et alors, tu seras écouté, peut être même suivi. Le Zagazorn à besoin d’une Braise assumant la force de son peuple. Peut être es-tu se nain, Braähm des Main-Ferme. Nous nous reverrons dans la Grandsalle. »

Et sur ses mots, le Narundi quitta la Loge sans oublier de transmettre son salut à la Thane et ses encouragements à se remettre du voyage passé à son bon vieux Jnordil.