Le Nord devenu Sud [Caleb / Adélina]

Arcamenel de la 1ère ennéade de Verimios
21e année du Onzième Cycle
En suite directe à la traversée des brumes du Second Souffle

Tes correspondants n’avaient pas menti. Depuis ton arrivée, impossible de te séparer de ce léger sentiment de malaise. Discret mais permanent. Un insidieux mal dont tu es forcé de consciemment te séparer si tu ne veux pas que tes pensées s’embrument et se perdent à de tristes considérations. Elle te paraît bien loin, l’habituelle tranquille joie Holimone. Et si l’inquiétude que la situation t’inspire est bien conséquence de l’acouphène, tu n’aurais pas eu besoin de l’entendre pour en craindre les conséquences.

- Si ça peut te rassurer, les gars ne sont pas plus anxieux que d’habitude. Je ne crois pas que l’Acouphène soit assez fort pour affecter les Sourds.

- Quid des résidents du Temple ?

- Ce n’est pas à moi qu’il faut le demander. Nemmiro lève la tête vers le ciel C’est la mer mon travail moi.

- Je sais. tu poses la main sur l’épaule du garde-côte, sourire aux lèvres J’ai une entrevue avec le Pergaën demain. Avec un peu de chance il aura de bonnes nouvelles.

- En attendant… le garde-côte se lève d’un bond, et pointe du doigt la brume dissimulant l’horizon ...toi qui es curieux, voilà qui risque d’occuper tes pensées.

Une poussière fendant le brouillard, que même les regards acérés dont vous a paré La Mère peinent à distinguer. Tu sais cependant exactement de quoi, ou du moins de qui il s’agit. Les messagers d’Holimion t’ont tant parlé du Rokvenha que tu pourrais presque croire avoir été présent lors de sa première visite de l’île. À cela près que tu n’aurais jamais pensé le voir revenir de sitôt. Tes virées en Péninsule et à Thaar t’auront appris une chose : tant d’empressement ne pouvait qu’être la preuve de la valeur de vos denrées à l’étranger.

Un amusement presque enfantin se lisait dans la démarche de Nemmiro alors que vous vous dirigiez vers les quais. Et aux yeux de majorité de Sylvains la chose ne ferait que trop peu de sens. Le marin est terrifié, en réalité. L’arrivée du Rokvenha depuis les brumes, l’idée d’un chemin reliant la Mer du Nord avec l’Olienne, la soudaine proximité de ce qui jusque-là paraissait si loin… tout cela voulait dire qu’Holimion venait de perdre le semblant de sécurité gagné au fur et à mesure des trois derniers siècles. Mais cela voulait aussi dire que sa mission venait de redoubler d’importance. Étrange paradoxe qu’est celui des désirs de soldats, qui bien qu’ils rêvent de paix, vivent pour la guerre.

- C’est bon je suis là ! le sourire de Nemmiro se fane à peine les Mécans à portée de voix Pas la peine d’envoyer la moitié du Protectorat à mes trousses.

L’aisance de l’Oliyan de Nemmiro – maintenant qu’il n’y avait plus d’Abysséens à sommer – trouvait enfin une utilité. Et aussi acide que puisse se montrer le garde-cote face aux Mécans, il en était étrangement satisfait.

- Rokvenha, tu as de la chance. un sourire se dessine au coin des lèvres du soldat Tu arrives juste à temps pour croiser notre Aran, qui est de passage pour rendre visite à un ami. il s’écarte légèrement, tendant une main en ta direction, l’autre vers le pirate Rokvenha, Artiön, Seigneur-Protecteur de la capitale elfique. Artiön, Rokvenha, « favori des Wagyls ».

Tu t’avances en direction du pirate, et l’examines rapidement tant du regard qu’à travers sa marque dans l’éther. Le cœur de l’homme – sans grande surprise – bat relativement vite. Une combinaison d’excitation et de fatigue anime son corps. Récompense et tribut de la réussite d’une dure traversée. Toi, ce n’est que parce que ton monde t’a tant conditionné à garder calme absolu que le tien – de cœur – ne s’emporte pas. Nemmiro avait raison. Tu es curieux. Et le Rokvenha est la parfaite distraction en attendant de retourner à des affaires plus sombres. Alors tu répètes cet étrange geste de salutations appris auprès des étrangers à la Sylve, et tu tends une grande paume ouverte en direction du pirate.

- Salutations, Rokvenha.

La tenue du moment:

Sur les quais elfiques, le Rokvenha patiente. Il se doute que les Sylvains ont saisi ce qu’il leur demandait en les voyant s’animer. Les autres curieux le regardent, certains se souviennent de lui probablement et de son navire, mais aucun de l’approche. Il les salue, amicalement, agitant sa main ornée de bijoux extravagants aux pierres précieuses aux multiples couleurs.

Sur le pont, les marins patientent en observant aussi avec une curiosité non dissimulée la cité elfique qui s’étend devant eux. Ceux étant du premier voyage commencent déjà à s’imaginer échanger leurs babioles pour d’autres. Pour les nouvelles recrues, l’émerveillement est bien présent et ils ne peuvent détacher leurs regards des locaux et des infrastructures à l’architecture splendide. Pour ces derniers, c’est un bout de mystère et de secret de leurs histoires les plus folles qui semblent prendre vie devant leurs yeux ébahis.

Finalement, Nemmiro arrive et s’approche du capitaine. Ce dernier le salue et parle d’un « Aran » présent, avant de finalement présenter l’individu. Caleb se tourne alors et, écrasé par l’immense stature de l’Elfe déglutit un instant, relevant le menton pour en détailler le visage et lui offrir un regard franc dans les yeux. Par chance le colosse d’Anaeh parle aussi l’Olyan et quand ce dernier réduit encore plus l’écart entre les deux pour lui tendre la main, le forban semble perdre quelque peu ses moyens, prit de court à la fois par ce geste si simple, mais aussi par l’impression de vouloir bien faire pour s’éviter la moindre erreur culturelle.

Rokvenha tend alors sa main et vient saisir celle d’Artiön, lui offrant une poigne virile – bien qu’il espère au fond de lui que ce géant ne lui brise pas la sienne en retour – puis sourit enfin, portant la paume à son torse proche du cœur en signe d’accueil. « Ahoy… Aran Puisse la Noyée observer notre rencontre pour la placer sous les meilleurs signes.» Lance-t-il dans une sorte d’imitation de la langue locale sans en être une moquerie. Il ne saisit pas le titre, mais comprend que ce dernier est important pour les Elfes alors il semble agir comme tel. « Tu m’excuseras, mais… J’suis pas bien au courant d’vos coutumes et aut’ et j’veux pas causer d’tort à toi ou à un d’tes gens » Confie le marin à l’attention du géant Longues-Oreilles. « Dis-moi comment j’dois faire pour pas paraît’ insultant et hésite pas à m’reprend’ Artiön Seigneur-Protecteur d’la Capitale. »

Puis avant que le concerné ne réponde enfin, il poursuit. « Merci encore d’m’accueillir sur tes terres et avant même qu’tu t’le demandes… Nous v’nons en paix, comme la toute première fois, mais cette fois-ci en sachant bien où nos voiles nous ont m’né. » Il pivote d’un quart et désigne son propre boutre de sa main pour l’indquer aux elfes. « Mes hommes sont prév’nus d’pas faire d’vagues comme la première fois et eux ne désirent qu’une chose … Commercer encore avec les tiens et pour d’autres en apprendre davantage. Penses-tu qu’ils peuvent débarquer et naviguer librement comme lors de not’ première visite, sous la surveillance des tes hommes bien entendu ? »

Il s’adresse à la fois à Nemmiro, mais aussi à ce Seigneur-Protecteur qui semble détenir un rôle important au vue des présentations faites quelques instants plus tôt.

- Tant que tu n’essaie pas activement d’insulter qui que ce soit tout devrait bien se passer. tu lui souris, et défais votre poignée de main pour lui mettre une tape amicale contre l’épaule Vous êtes des étrangers, on ne s’attend pas à ce que vous compreniez tout de notre monde sans que l’on n’ait rien à expliquer.

D’un regard vers lui, puis vers le port, tu libères Nemmiro de la charge de l’accueil du Rokvenha. Et d’un hochement de tête consenti, en ta direction d’abord, puis en celle du Mécan, il signifie son départ. Le capitaine était dorénavant tout à toi, Nemmiro, lui, devrait probablement s’occuper du reste de l’équipage. Une fois l’Holimon s’esquivant, tu te tournes vers la ville, et d’un signe de la main, incites ton invité surprise à t’emboîter le pas.

-  Pareil pour tes camarades. Tant qu’ils restent respectueux de nos lois, ils peuvent circuler comme ils le veulent.

Comme ils le veulent, pour peu qu’ils ne soient pas dérangés par les regards qui épieront immanquablement le moindre de leurs faits et gestes. Ils ne sont plus totalement des inconnus, mais ils ne sont pas des habitués pour autant. Tu fais confiance à la milice pour s’adapter à leur présence, et tu espères qu’ils s’habitueront à cette surveillance plus vite que les tiens ne s’habitueront à eux. Après tout, il est de grandes chances qu’ils meurent de vieillesse longtemps avant d’être considérés « des habitués ».

- J’ai entendu parler de ton « lien » avec les Wagyls, Rokvenha. tu penches la tête légèrement sur le côté Mais j’imagine que même avec les Premiers Fils de Tari de ton côté, la traversée ne doit pas être facile. ton regard darde un instant en direction des brumes dans le lointain Combien de temps est-ce que vous avez passé là-dedans ?

La différence de gabarit est flagrante, même amusante pour les mécans qui observent sur le pont du boutre, impatients de descendre et qui ne parviennent pas à entendre ce qui se discutent entre les deux hommes. Certains des marins rient même quand ils voient la tape amicale offerte par le Protecteur sur l’épaule de leur capitaine, lui qui fait quelques pas de côté, secoué, mais riant en retour.

« J’me permettrai pas d’faire ça… Surtout pas d’vant, le… » Il fronce un peu les sourcils essayant de se souvenir du titre de l’Elfe qui lui fait face, puis comme si une autre idée lui venait en tête il reprend. « D’ailleurs c’est toi qui diriges c’coin-là donc ? Holimon, c’est donc la Cap’tale d’la région ? » Il se permet le tutoiement en retour de l’usage effectué par Artiön, qui ne l’a pas dérangé en premier lieu.

« J’te l’promet, Artiön, j’les ai tous prév’nu, si l’un d’eux fait l’moind’ vague et dérange un d’tes soldats… D’une les tiens auront l’droit d’le rosser et d’deux, j’me chargerai d’la seconde vague. » Il sourit simplement, amusé, mais son sourire dissimule un certain sérieux qui donne une seconde lecture plus malsaine et violente à l’idée de se retrouver en porte à faux avec l’Anaeh.

Après l’autorisation donnée, il remercie Nemmiro en retour de la tête et pivote en direction du pont. Il siffle, sans utiliser ses doigts, fortement à l’encontre des mécans et finalement fait de grands gestes de son bras droit. Une vive clameur descend du boutre et les marins commencent à s’activer. Rokvenha revient à Artiön et garde son sourire bien qu’il disparait directement derrière une grimace d’excuse. « Désolé d’avance… » Et comme s’il avait vu l’avenir, les cris de joies, les insultes qui fusent entre eux et les bousculades se font entendre derrière lui. Les marins se bousculent pour descendre la rampe, le tout sous les ordres beuglaient par un Rocaille et une Croqueuse qui semblent déjà à bout de patience devant ces enfantillages.

« Les gars avaient hâte d’poser l’pieds à terre… On a passé plus d’une ennéade dans c’te Brûme. » Il sort la clepsydre offerte par Nemmiro lors du premier voyage. « Douze jours et six heures, j’remercie Nemmiro pour la précision héhé. » Son visage s’assombrit un court instant lorsque l’Elfe évoque le Wagyl et la difficulté de traversée. « Ma foi… La Noyée est clémente pour moi, même si on y passe d’temps dedans, on peut pas s’plaind’ que ce soit bien compliqué d’traverser. A part qu’on avance pas, y’a presque pas d’vent qui t’pousse… On voit pas à plus d’cinq pas d’vant nous, mais c’est tout…» Il hausse les épaules, alors qu’il va poursuivre, il est rattrapé par Croqueuse, accompagné de Adélina. La Seconde tousse pour capter son attention et les deux échangent quelques mots dans cette langue mécane de laquelle quelques mots peuvent être comprit car partagé par l’Oliyan. Après ça, le Capitaine se retourne vers son interlocuteur. « J’te présente Croqueuse, ma Seconde, elle vient d’me dire qu’les gars ont décidé d’eux même d’faire des roulements pour n’pas envahir tes rues. » La Seconde est une sang-mêlé aux origines en provenance de cette région et comme lors de la première visite, elle n’a pas daigné placer son bandeau pour cacher ses oreilles pointues, ni son foulard pour masquer ses canines taillées en crocs. Etrangement, elle se sent suffisamment à l’aise pour le faire ainsi.

Aux côtés de la demi-elfe se trouve une petite femme brune, Caleb la présente alors. « Ca c’est l’Rose, c’est… » Il hésite, Croqueuse pouffe un rire et se tait aussitôt quand il lui lance un regard noir. « C’est celle qui va s’joind’ à nous par l’suite car tu te doutes bien qu’j’suis pas venu ici pour l’tourisme, bien qu’j’aime bien l’endroit. Ca tombe bien que j’tombe sur toi qui dirige c’te cité, car j’aimerai t’proposer quelque chose… Pour sûr qu’on trouvera un arrangement. »

Douze jours et six heures… alors vous n’étiez qu’à douze jours et six heures l’autre côté du monde. En douze jours et six heures, on n’avait même pas le temps de traverser Anaëh. Douze jours et six heures pour vous séparer du Grand Sud… si peu…
Tu prends bien garde de le montrer, ton visage et ta démarche conservant leur habituelle assurance avec le brio caractéristique des grands Hommes de ta race, mais le constat n’est pas sans t’inquiéter. Pour l’instant il n’y avait que lui. Que le Rokvenha et son équipage. Mais pour combien de temps ? Et était-il seulement nécessaire d’être un des favoris de Tari pour traverser sans encombre ? Combien de temps avant que d’autres n’arrivent jusqu’à vous ? Tu n’étais probablement pas le premier à te poser ces questions. La milice Holimone, sans en faire grand cas, y pensait certainement déjà depuis la première fois. Maintenant qu’Elda avait abandonné le Lenwa, et qu’Abysséa était une terre morte, peut-être serait-ce là la prochaine raison des marins du Nord-Est de prendre les armes.

Sans interrompre le train de tes pensées, tu écoutes le capitaine Mécan faire les présentations de ses comparses. De simples hochements de tête, tu leur offres à eux, ou du moins à elles aussi tes salutations. Tu constates non sans une pointe étonnement que l’une des deux porte votre sang, et avec une certaine fierté de surcroît. Sans le dire, tu l’avoues, tu te demandes si c’est toujours ainsi que se meut la fameuse « Croqueuse » ou si c’est votre présence qui d’une certaine manière la rassurait. Puisse-t-elle porter haut sa fierté, et ne pas compter sur les tiens pour l’accueillir comme une Presque-Sœur. Pauvre sang-mêlée, condamnée à l’errance. Avec le temps peut-être découvrirait-elle que vous redoutez autant son sang Mortels que les mortels ne craignent son sang Sylvain.

- On s’est mal compris, je ne dirige pas cette Cité. tu hausses légèrement les épaules Je dirige la Capitale. Au Sud-Ouest d’ici. Dans les terres. ton regard va dans la direction générale d’Alëandir Je ne peux pas réellement parler au nom d’Holimion. C’est au Conseil de cette Cité que tu devras t’adresser si tu veux trouver un arrangement avec eux. le coin de tes lèvres s’ourle Ce que je peux faire, par contre, c’est parler au nom du Royaume.

Douze jours et six heures, ce n’est pas grand-chose. Mais douze jours, six heures, le cœur qui bat, la revendication d’un statut « d’élu », le désir de parlementer avec les puissants… Le Rokvenha est ambitieux à n’en point douter. Mais à quel point exactement ? Te voilà curieux de le savoir.