[Naélis|Zagazorn] Trois ans plus tard.

5ème ennéade de Vérimios, premier mois de l’Hiver.
Cité de Naélis, royaume de Naélis.
Année XXI | Cycle XI.

Trois années.

Voilà maintenant trois années entières que la cité de Naélis, capitale du royaume éponyme, avait subi les affres d’une guerre totale imposée par l’ennemi de toutes les races : le Puy d’Elda. Attaquée par tout un Ost au cours d’une guerre meurtrière qui aura détruite presque la moitié du territoire Naélisien, seule l’amitié entre les Humains du royaume et un petit contingent d’Elfes, aura permis à la cité de battre les terribles soldats à la peau sombre et aux oreilles pointues. Mais les destructions, elles, étaient belle et bien là…

Alors, Harald, Grand-Roi du Zagazorn, qui avait redonné au Roi régent Nakor sa condition d’Ongrumthrong royal, avait décidé d’offrir l’aide inestimable du Zagazorn dans la reconstruction et l’amélioration de la cité antique des Rois Naélisiens. L’honneur des Nains commandait que l’on aide l’ami comme l’on aide la famille, mais, surtout, Harald avait compris l’importance de cette position stratégique dans la géopolitique mondiale. Naélis, plus encore que la cité de Thaar, était la clé de voûte de la défense de l’Ouest Miradelphien contre les troupes fanatisées des Drows du Puy d’Elda. Pour se prémunir de les voir un jour revenir non loin des frontières du Zagazorn, il fallait une place-forte centrale… Naélis.

Alors, Harald envoya une délégation de presque 150 Dawis. Menée par le vénérable Ragnär Œil-Griffe, ils n’avaient qu’une seule mission : s’assurer de la reconstruction parfaite de la cité de Naélis, son port et ses infrastructures défensives, afin d’en faire le bouclier des civilisations de l’Ouest, et surtout… De s’assurer le soutien de cette terre pour les années à venir. Se faisant, Naélis devenait également endetté auprès des Nains… Un moyen supplémentaire de s’assurer d’une certaine docilité les concernant, bien qu’Harald soit convaincu qu’ils n’auraient point besoin de cela pour que les relations entre les Nains et les Humains de Naélis restent au beau fixe.

En cette fin d’année, l’heure était maintenant à la conclusion. Les échafaudages étaient démontés, les pavés restaurés, précisément taillés et placés selon une architecture évitant tout nid-de-poule ou autre reliefs désagréables pour un transporteur. Les hauts murs de fortifications, les crénelons, chemins de gardes, zones de stockages de munitions, meurtrières et autres mécanismes permettant de s’assurer protection et angles de tirs, étaient fonctionnels. Le port était utilisable, et permettait de débarquer bien plus de marchandises que par le passé, et d’accueil quelques navires de plus. Les zones de stockages civils étaient à la fois à l’air libre, et creusés dans le grès et le calcaire côtier. Les habitations s’élevaient et se creusaient dans le sol, pour accueil un peu plus de place et de nouveaux civils. Un palais avait été construit, ainsi qu’une caserne, un pont-levis, des armes de sièges… La cité n’était plus la même.

Bien qu’ayant acquis la place de décisionnaire final dans ces constructions et améliorations, l’accord signé selon lequel l’identité architecturale civile Naélisienne serait respectée, avait été suivi à la lettre. Les fortifications, toutefois, étaient presque typiques de celles des Nains : toutes en formes géométriques, très larges, faites de pierres extraites et taillées dans d’énormes blocs, avec de grandes pièces à l’intérieur des murs, de systèmes de poulies pour faire remonter les munitions sans se risquer à descendre les escaliers ou à se montrer à l’ennemi, et creusées, également, sous la terre sur plusieurs toises pour s’assurer un ancrage fort et profond. C’était évident : ces constructions étaient Naines.

La délégation était presque prête à faire ses bagages, et à repartir pour ses terres ancestrales, au Nord de ce monde. Les plans avaient été copiés, et les ingénieurs et ouvriers Naélisiens furent formés à entretenir et réparer les infrastructures si quoi que ce soit devait arriver, en plus d’une clause selon laquelle des ingénieurs Nains pourraient être mobilisés pour venir en aide aux Naélisiens à l’avenir. Tout était presque prêt : et au milieu de la place centrale de la ville, Ragnär et les siens se tenaient bien droits, attendant l’arrivée du Roi Régent.

L’attente commençait à se faire un peu trop longue aux goûts des Nains. Bien-sûr, les navires n’étaient autre que ceux avec lesquels ils commerçaient, des navires tantôt Vaanies provenant des Milles-Caves, tantôt estampillés des couleurs de Thanor, seule cité portuaire possédant un accès à la mer pour les Nains. Ces navires n'avaient, pour la plupart, aucun horaire, aucune obligation. Ils devaient juste partir, prendre la mer afin de ramener cette cargaison extraordinaire qu’étaient les Nains partis œuvrer en Naélis.

Toutefois, Ragnär était un être au tempérament ne laissant aucune place à l’improvisation ou à l’attentisme. Le fait de ne point recevoir Nakor en temps et en heure était légèrement frustrant, mais, en trois années, l’ambassadeur de la couronne Naine en Naélis avait apprit à composer avec les frasques et les oublis du magicien. Roi régent, magicien plus vieux que ses compatriotes et plus vieux que la plupart des Nains encore en vie, il y avait tant de choses dans sa personnalité qui ne collaient pourtant point à celle de l’ambassadeur… Mais le temps faisait beaucoup de choses, y compris dans le plus solide des rocs.

Lorsqu’enfin, le magicien fit ce qu’il savait faire le mieux, Ragnär se para d’une moue approbatrice et d’un faciès détendu. Lorsqu’arrivèrent – essoufflés – le restant de la délégation Naélisienne, quelques Nains eurent des sourires pouffés et autres souffles nasaux, tentant de garder une trogne sérieuse devant la solennité de la situation. Mais, enfin, tout était pour le mieux.

« Maître Nakor ! » Dit Ragnär, acceptant l’accolade du vieux magicien, et lui offrant en retour le traditionnel coup d’avant-bras dans le dos de l’ami penché. « Le Roi Harald à la Barbe-Sanglante sera heureux de savoir que son initiative aura été menée jusqu’à son terme. La Braise-Vie Naélisienne aura été respectée dans l’infrastructure civile, comme promis, mais les fortifications, armes et autres infrastructures militaires sont formées dans le roc Nain, avec tous les avantages que cela procure. » Lorsque s’avance le coffre lourd, épais et grand, de l’avant-dernier paiement de la couronne Naélisienne pour les travaux et l’expertise Naine en ce monde, Ragnär prend, lui, un coffre long de presque une taille de Nain mais autrement plus petit, moins épais et moins lourd. Afin de faire comprendre au Roi régent ce dont il s’agit, il pose le long coffre de bois et de cuir dans les bras de deux Nains positionnés presque dans une position de garde-à-vous, ouvre le loquet, et montre à la délégation Naélisienne le contenu de ce trésor. « Comme promis, voici les plans définitifs des infrastructures militaires et les cadastres civils. Les annotations sont dans votre alphabet, tout comme les mesures et les consignes. Ce sont les seules copies faites de nos plans originaux… Et… » Il racle sa gorge, car même après trois années, cela reste difficile pour un Nain de dire ce qui va suivre. « De nos secrets. Vos architectes et ingénieurs ont été formés… A… Entretenir ces infrastructures. Mais jamais, ô grand jamais, un autre individu que vous et vos personnes de confiances ne devront poser les mires sur ces plans. Les Nains ne partagent jamais leurs secrets, et si ces plans n’en représentent qu’une infime partie, je préfèrerais mourir sous le joug des Gobelins que de laisser un seul secret fuiter d’ici. Le Roi et moi-même comptons sur vous, maître Nakor. »

La cité était resplendissante. Qui, sinon les témoins de cette époque troublée dorénavant passée, aurait pu croire que seulement trois années auparavant, des cadavres gisaient ça et là dans ces ruelles détruites par les armes de sièges et la magie du Puy ? Qui aurait pu deviner que cette demeure-ci avait été abattue presque jusqu’à ses fondations ? Celle-ci, théâtre de combats au corps-à-corps si violents que les murs durent être abattus tant le sang les avait imbibés ? Cette autre-là, et celle-ci encore, détruites presque entièrement par les projectiles implacables d’une armée millénaire dont le seul but est de détruire le monde ? Qui aurait pu se douter que l’air avait été empli de l’odeur des fumées boisées des feux de maisons, acres, des flammes magiques, ferreuse, du sang des victimes d’un conflit ô combien inutile ?

Si vous n’aviez point été là durant ces épreuves terribles, ou au décours de celles-ci, jamais vous n’auriez pu vous en douter. Jamais. Car aujourd’hui, les rues étaient larges, pavées, nivelées, faites de ces multiples couches de rocs, de sables, de galets marins et autres enduits typiques des Nains qui en feront une route stable pour des siècles et des siècles. Les charrettes et autres attelages, pouvaient aisément se croiser de front dans un sens ou l’autre – vers les quartiers ou le port. Les demeures étaient faites des pierres récupérées dans le royaume, mais aussi, négociées auprès des Mille-Caves, partenaires Nains extracteur de certaines des meilleures pierres de construction du cette partie du monde. Le palais, aussi, était passé entre les pognes expertes et habiles des Nains.

Et le port ! Agrandit, réagencé, aux fondations profondément ancrées dans le sol de sorte que des zones de stockages furent construites dans deux étages de sous-sol, avec des machineries rendant facile de travail de des marins qui débarquent leurs marchandises. L’avantage, aussi, de ces constructions souterraines, résidait dans la température contrôlée, toujours fraîche, et l’humidité, contrôlée elle aussi : les denrées périssables étaient autrement plus en sécurité aujourd’hui.

Et les fortifications ! Définitivement construites par les Nains. Les moellons, créneaux, plateformes d’armes de sièges aux angles droits et aux fioritures typiques des motifs géométriques des Nains, agrémentés de chemins de rondes larges, de pierres épaisses assurant une protection renouvelée. Pour quiconque aurait eu l’honneur de connaître l’art Nain, celui-ci transparaissait sans aucune limite de ces constructions défensives. A l’intérieur des terres également. Peut-être que cela provoquerait la colère des Drows, s’ils devaient revenir ici… Car s’ils savaient déjà que les Naélisiens étaient durs à la tâche, et que les archers et combattants Elfes avaient aidés à défendre la cité, ils ne savaient rien de l’implication des Nains. Aujourd’hui, celle-ci était évidente. Mais cela devait sans doute être un excellent message : Humains et Elfes ne sont point vos seuls adversaires, engeance grise ! Les Nains le sont également.

Ragnär était tout à sa rêverie et sa contemplation, lorsqu’il vit s’élever dans les airs les plans maintenus dans un coffre de bois finement ouvrager, avant de se refermer dans une boule de terre visiblement… Solide ? En tous les cas, la promesse de l’Ongrumthrongrinn était suffisante pour faire baisser la pression en l’esprit de l’ambassadeur. Dorénavant, les ordres du Roi avaient été suivis : si Nakor, ou un autre être humain, venait à briser cette promesse, le courroux Nain serait dirigé sur eux, et non sur Ragnär qui n’avait jamais failli.

« Vous pouvez rassurer vos gens : nous continuerons à œuvrer avec vous. Des accords ont été décidés, et, jusqu’ici, vous et moi avons été honnête l’un envers l’autre. Je ne serais pas surpris qu’un jour, le Roi Harald lui-même se présente en votre cité. Mais point si tôt : des dernières nouvelles, le Zagazorn est en proie à plusieurs agitations, et mon peuple aura besoin de moi. » Dit-il, un soupçon d’inquiétude dans la voix. « Puissent les vents nous êtres favorables, et la mer, nous accueillir calmement. Puissiez-vous vivre longtemps, maître Nakor, et que votre barbe grandisse toujours plus. »

Arrivés à l’embarcadère, les Nains embarquèrent en rangs. Outils et autres éléments de machineries démontés étaient embarqués dans les cales des navires. Les Nains entrèrent ensuite, s’appropriant quelques couches et autres cabines, laissant celle de maître au vieux Ragnär. Ce dernier se retourna vers Nakor, voyant son œuvre terminée et eu… Le premier sourire en trois années d’ouvrages.

« Ainsi nous partons. Puisse ce jour être le premier d’une longue amitié entre nos peuples. Baruk, maître Nakor ! »

Puis, il lui offrit l’accolade typique des Nains avant de rejoindre la navire à son tour pour un voyage de plusieurs ennéades dans un froid glacial qui lui rappellerait ses terres ancestrales.