Sauvetage en forêt, suite [PV Berg'inyon]

Alors qu'elle le rattrapait, il se tourna vers elle et siffla, exaspéré :

- Pourquoi je veux me tirer d'ici le plus vite possible ? A ton avis ?!

Il accéléra encore l'allure, comme si la vitesse à laquelle il marchait était un indicatif de son degré d'énervement. Cette attitude irresponsable, idéaliste et totalement naïve de la part de la jeune fille le stupéfiait. Qu'elle soit légère, inconstante, et qu'elle ne prenne rien au sérieux, passait encore. Mais qu'elle se montre inconsciente au point de ne même pas comprendre quel danger elle courait relevait de la plus totale stupidité !

- On est sur un territoire drow, tu te souviens ? Ici, il n'y a personne pour t'aider en cas de pépin ! Il doit y avoir des sentinelles et des patrouilles un peu partout, surtout depuis le début de la guerre, alors essaie de prendre ça un peu plus au sérieux... On coupe à travers champs pour éviter de tomber sur des soldats, mais si ils nous chopent, on sera bon pour un aller simple en Enfer !

Il élevait la voix de plus en plus, secouant rageusement la tête pour souligner ses paroles. La fureur dans laquelle il était en train de se mettre avait de quoi impressionner n'importe qui qui ne le connaîtrait pas, et ses grands yeux couleur de ciel s'assombrissaient comme sous le coup d'un orage.

- Si ils te trouvent, ils ne feront pas de quartier, vu ? Ils te captureront, te torturont, et seulement ensuite, une fois que tu n'auras plus de voix pour pouvoir crier, ils finiront le boulot ! Mais ça, c'est encore le meilleur des cas de figure, car je ne te souhaite pas de terminer comme esclave chez un quelconque noble de la cité...

Il en savait quelque chose, lui. Il connaissait bien son peuple, et c'est pour cette raison qu'il énonçait froidement des accusations si affreuses sans même sourciller. Il pouvait lui raconter des choses sur les drows qui lui feraient dresser les cheveux sur la tête, et même là, cela serait encore éloigné de la réalité...

- Non, nous ne sommes pas de gentils petits elfes blancs qui dansent dans les forêt verdoyante de la surface ! Nous somme des drows ! Assassins, lâches, menteurs, cruels et cyniques ! Alors ouvre un peu les yeux au lieu de vivre dans ton petit monde à toi !

Il regretta immédiatement ses paroles, mais le mal était fait. Après tout, c'était injuste de sa part que de l'accuser ainsi, et il ne pouvait pas lui reprocher cette naïveté qui était l'apanage de son peuple. N'ayant jamais eu affaire aux drows auparavant, elle ne pouvait se rendre compte du danger qu'ils couraient, ou de ce qu'il se passerait si ils étaient capturés...

Le temps passa...

Comme ils boudaient visiblement tout les deux, chacun ayant décidé d'ignorer l'existence de l'autre, aucune parole ne fut échangée avant que ne tombe la nuit. Berg'inyon, dont l'irritation et la nervosité semblaient s'accentuer au fur et à mesure qu'ils avançaient, guettait avec impatience la lisière du pays drow. Plus vite ils seraient sortis d'ici, mieux ils se porteraient, et il ne désirait désormais plus qu'une chose : ne pas tomber sur une patrouille avant d'avoir d'avoir passé la frontière du Sombre Royaume, et de préférence avant de s'être enfoncés à plusieurs kilomètres dans les terres des Humains.

Ils continuèrent à marcher, cheminant lentement. Trop lentement au goût du mercenaire, mais il avait compris depuis un bail qu'il était inutile de la forcer à accélérer l'allure ; elle avait visiblement décidé de ne pas lui céder là-dessus, et elle le laissait la distancer quand il se mettait à faire de grands pas jusqu'à ce qu'il soit obligé de ralentir pour l'attendre, ce qu'il détestait par-dessus tout. Pourtant, ne voulant pas trop s'éloigner d'elle au cas où quelque chose ne tourne mal, il se voyait obliger de se mettre à son rythme, et cela l'énervait plus que tout le reste.

Finalement, longtemps après la tombée de la nuit, ils firent halte au sommet d'une petite colline, non loin d'un étang. Il y avait quelques oies sauvages qui jacassaient non loin de là, et Berg'inyon en profita pour s'absenter quelques temps, la laissant sous la surveillance de sa saleté de bestiole. Il revint une bonne demi-heure plus tard, un gros volatile dans les mains et un large sourire carnassier aux lèvres.

L'oie était encore vivante, mais on pouvait voir qu'elle portait autour de ses pattes un bolas, les longues lanières de cuir entortillées entre les griffes. Le mercenaire la tenait fermement pour l'empêcher de se débattre, ce qui n'était pas aussi aisé qu'on pouvait le croire, et il dût peser de tout son poids pour plaquer sa prise au sol. Une main contre le volatile, une autre dégainant son katana, il lui trancha proprement le cou avec l'adresse de l'habitué.

Ignorant le regard dégoûté d'Adria, il pluma sa proie et la fit rôtir sur le large feu qu'il venait d'allumer. L'oie était bien assez grasse pour deux personnes, et peut-être même pour trois, mais il n'en proposa pas cette fois à la jeune fille. Au lieu de ça, il détacha une cuisse suintante de graisse et la lança au loup, l'air de dire "Viens, on fait la paix"...

Contrairement à son habitude, Adria marcha en silence. Elle ne boudait, pas non, contrairement à ce qu'il pouvait penser. Elle avait toujours trouvé ce genre de comportement idiot. Si ça n'allait pas, elle le disait plutôt haut et fort. Seulement, là, elle ne voulait pas en rajouter. Berg'inyon avait l'air à bout et elle savait qu'elle avait tendance à agraver ce genre de situation alors elle préférait se faire oublier.

Puis la nuit tomba et ils s'arrètèrent. Lorsque le drow la laissa un moment elle s'agenouilla à côté d'Olwë, se blottit contre lui et lui demanda doucement :

" Alors, que fait-on ? "

A la vérité, elle hésitait à laisser le jeune homme continuer son chemin de son côté. Elle n'avait jamais voulu qu'on veille sur elle, ce qu'elle voulait, c'était quelqu'un avec qui discuter pendant le trajet. Hors, quand elle ouvrait la bouche elle l'énervait systématiquement alors... Elle ne voulait pas ennuyer qui que ce soit. En même temps, quand il daignait être aimable, il se révélait plutôt sympathique et, enfin, elle n'avait pas de quoi payer la première partie du trajet.

Lorsqu'il revint avec une oie, encore vivante, elle se leva brusquement, ne pouvant retenir un regard à la fois dégouté et horrifié, elle s'éloigna de quelque pas un moment. Olwë renifla un instant la cuisse que lui avait lancé Berg'inyon avant de daigner la manger. Adria revint s'asseoir à côté du feu, détournant le regard pour ne pas voir ce qu'il restait de l'oie.

" Merci pour lui... "

Tout ça lui avait coupé l'appétit. Elle les laissa manger en silence, regardant le feu. Puis elle releva les yeux et demanda :

" On en a encore pour longtemps avant de sortir du territoire drow ? "

Elle n'avait plus qu'à espérer qu'il se soit un peu calmé, elle en avait plus qu'assez de cette ambiance morose. En fait... en fait elle se repassait ce qu'il lui avait dit plus tôt, à savoir qu'elle devait ouvrir un peu les yeux sur le monde qui l'entourait. Elle reprit doucement, un peu, aussi, pour elle-même :

" Je n'ai pas tellement envie d'ouvrir les yeux, comme tu dis. Je sais bien que le monde n'a rien de merveilleux et j'y ai été confronté peut-être un peu plus que tu ne le crois. C'est sans doute efficace de le prendre de front, mais je n'en ai ni l'envie, ni les capacités, je regrette. "

Elle s'allongea contre Olwë qui avait enfin terminé sa cuisse. Non, c'était bon pour le mercenaire de se battre contre le monde entier. Elle, elle préférait s'en accomoder en l'oubliant plus ou moins. Elle préférait aller de l'avant en ignorant les échecs du passé. Si elle avait du s'arrèter à la première difficulté et en tenir compte, elle ne serait pas allée bien loin.

[Voilà, désolé pour le retard mais je ne pourrais plus poster très souvent à partir de maintenant sauf le week-end et les vacances...]

Berg'inyon, ne sachant que répondre, se contenta de hausser les épaules et de s'enfermer dans un mutisme non pas (pour une fois) boudeur, mais qui trahissait une profonde réflexion. Il aimait bien prendre la vie comme elle venait, lui aussi, et il comprenait assez le point de vue de la jeune fille, cette manière à la fois risquée et hardie de ne penser aux ennuis que lorsqu'on était dedans jusqu'au cou. Après tout, il optait lui-même souvent pour ce genre de comportement, alors il n'était sans doute pas très bien placé pour lui faire des remarques...

Il ne comprenait d'ailleurs pas pourquoi il prenait ce danger si à coeur. Il n'avait pas pour habitudes de se préoccuper des risques que pouvaient bien courir une "rivvil" en territoire elfe noir, et en fait c'était même la première fois qu'il s'impliquait directement dans la protection d'une sylvaine contre son propre peuple. Il ne savit pas pourquoi, mais cela l'ennuyait ; sans doute pour avoir au moins de son côté le fait de l'avoir prévenue et de ne pas lui avoir caché les risques qu'ils couraient. Au moins, si cela tournait mal, il pourrait repartir en se disant : "J'ai fait ce que j'ai pu".

Pourtant, cela n'était pas totalement vrai non plus. La vérité, c'est qu'il commençait à apprécier sa compagnie, peut-être parce qu'elle ne le craignait pas comme les autres "rivvils" et qu'il pouvait avoir des conversations intelligentes et adultes *enfin, parfois...* avec elle. Mais le fait était qu'il se sentirait un brin ennuyé s'il lui arrivait quelque chose alors qu'elle était sous sa protection.

- J'ouvrirai les yeux pour deux, alors... Fit-il d'un ton égal, signe qu'il lui concédait cette partir de la discussion.

Alors qu'il poursuivait son repas, il s'arrêta soudain et demanda :

- Tu n'as pas faim ?

Depuis tout à l'heure, ça le dérangeait un peu de la voir assise comme ça, non loin de lui, sans rien à se mettre sous la dent. Malheureusement, il ne voyait ici ni arbres fruitiers ni buissons, alors il n'avait pas trop idée de quoi lui proposer...

[hrp : dommage, mais c'est pas grave tant que tu n'abandonnes pas carément le rp sans me prévenir ! De toutes façons je suis assez débordée moi aussi en ce moment :)]


Adria se mit à rire quand il parla d'ouvrir les yeux pour deux. Une des premières phrases qu'elle lui avait dite, c'était qu'elle sourierait pour deux, alors...
Le silence retomba un instant, mais elle appréciait de savoir qu'il n'était plus dans une colère noire.

Quand il lui demanda si elle n'avait pas faim, la jeune fille sourit, secouant la tête :

" Non, ça va, merci. J'ai pu grignoter tout au long du chemin. Je mangerai d'avantage demain matin, voilà tout. "

C'était vrai. Si elle avait eu quelque chose à manger, bien sur, elle l'aurait fait, mais en l'absence de nouriture, elle pouvait s'en passer, ça ne la génait pas plus que ça. De toutes façons, l'odeur de la viande qui grillait lui avait soulevé le coeur et plus ou moins coupé l'appétit.

En tous cas, elle était soulagée qu'il se soit calmé. Elle fit une pause et demanda :

" Tes blessures guérissent ? "

Ils ne s'en étaient plus vraiment préoccupé mais elle n'ignorait pas les risques d'infection. Elle ne s'y connaissait pas vraiment en médecine mais il n'y avait pas besoin d'être un génie pour savoir qu'une plaie simplement bandée risquait de mal cicatriser. Même s'il se montrait parfois désagréable, elle ne voulait pas qu'il lui arrive malheur, et encore moins par sa faute. Car elle se considérait plus ou moins responsable de ses blessures.

Ca ne lui arrivait pas souvent de se sentir responsable de quoi que ce soit et encore moins de s'inquiéter pour quelqu'un ! Déjà qu'elle ne s'inquiétait pas pour elle... Mais d'une certaine façon, elle s'était attachée à Berg'inyon. Oh, elle s'attachait toujours rapidement à tous ceux qu'elle croisait ! Mais là, c'était un peu différent... Peut-être parce qu'il avait l'air de se soucier un peu de son cas. On ne lui disait jamais qu'elle risquait sa vie à se promener n'importe où. La plupart des gens lui faisaient de petits sourires indifférents et la laissaient se débrouiller. Etrange, songea-t-elle. D'une certaine façon, c'était un drow raleur qui s'avérait plus humain que nombre de personnes. Enfin, elle se corrigea : il fait cela pour l'argent avant tout. Sauf qu'il savait aussi bien qu'elle que s'il voulait être payé, il allait devoir patienter. Il aurait aussi bien pu la laisser où elle était et rechercher un contrat plus intéressant.

Non, décidément, il n'était pas comme une de ces énième "connaissances" qu'elle croisait en chemin et oubliait ausi vite. Ne serait-ce à cause de ces sautes d'humeur plus ou moins inexpliquées. Elle savait qu'elle pouvait se montrer exaspérante, même si c'était involontaire. Mais de là à se mettre dans tous ses états comme lui ! C'était sans doute bizarre, mais elle avait l'impression qu'il l'écoutait réellement quand elle lui parlait. Ses réactions ne voulaient pas dire implicitement "oui oui, tais toi" comme elle y avait si souvent droit. Du coup, elle aussi écoutait d'avantage au lieu de monologuer.

Le drow, même si c'était à la base pour de l'argent et qu'elle se demandait parfois s'il le faisait de bon coeur ou non, prenait la peine de s'inquiéter pour elle. Il y avait bien peu de gens qui en avaient fait autant. Et puis, argent ou pas, malgré sa mauvaise humeur, elle appréciait sa compagnie. Elle avait l'impression qu'il essayait de se couvrir d'une carapace de grand méchant loup mais, qu'au fond, c'était quelqu'un de bien qui méritait à être connu. A condition de passer le stade des grommelements

En fait, maintenant qu'il s'était calmé, elle avait déjà oublié qu'elle envisageait de l'abandonner pour continuer son chemin seule. Elle appréciait sa présence quand il se montrait un tant soit peu aimable. Et ce n'était pas désagréable non plus de pouvoir dormir sur ses deux oreilles en sachant qu'il veillait à quelques pas. Peut-être qu'il avait raison et qu'elle était trop naïve, mais elle lui faisait totalement confiance.

[désolé d'avoir mis tant de temsp à répondre, j'ai vraiment été complètement débordé par la rentrée...]

Bergin'yon n'insista pas, décidant sagement de ne pas recommencer une nouvelle dispute en prenant la décision de la forcer à manger un peu. Il avait du mal à imaginer qu'on puisse avoir envie de sauter un repas, surtout quand on ne s'alimentait que de fruits, légumes, verdure et autres aliments pour les lapins, mais après tout...

Il haussa les épaules. Qu'elle fasse comme elle en avait envie, mais qu'elle ne compte pas sur lui pour venir la plaindre si jamais elle s'écroulait de fatigue au cours de la soirée à cause d'une hypoglycémie ou de son alimentation déplorable !

Un peu surpris qu'elle prenne la peine de s'inquiéter pour sa santé, il tourna la tête et grommella d'un ton bourru, pour cacher sa gêne :

- C'est bon, j'ai vécu pire...

En réalité, c'était une fierté idiote et toute masculine qui le poussait à feindre l'indiffrence. Il n'était pas vraiment du genre douillet (et la preuve, c'est qu'il avait presque fini par oublier les élancements de sa blessure qui, bien que recouverte de bandage, n'en était pas moins profonde), mais l'état de son bras l'inquiétait un peu ; la plaie s'était arrêtée de saigner, ce qui aurait été plutôt une bonne chose si elle ne s'était pas mise à le brûler comme cela...

Serrant les dents, il tira d'un coup sur le bandage pour examiner la blessure. Cette saloperie de bestiole ne l'avait pas loupé, c'est clair ! Sur son bras s'étalaient trois entailles larges et profondes, qui révélaient la chair à nu et qui, une fois guéries, lui laisseraient encore un joli triplet de cicatrices à ajouter à sa collection. L'ennui, c'est justement que ça n'avait pas l'air de cicatriser...

- Ca ne fait plus mal, mentit-il en remettant le bandage en place. Quand on arrivera en ville, j'irai acheter des herbes médicinales pour accélérer la guérison.

En réalité, il ne savait pas trop si on le laisserai même entrer jusque dans la ville. Sinon, il y aurait bien moyen de trouver un médecin ambulant aux abords de la cité, non ? Un qui accepte de le soigner, en tout cas...

Adria eut une moue perplexe : ce n'était pas parce qu'il avait vécu pire, que ça ne rendait pas une plaie sans soin moins dangereuse. Cependant, elle se garda bien de lui faire remarquer, afin de ne pas redémarrer sa colère. D'ailleurs, elle s'en étonna : elle qui avait tendance à balancer tout ce qui lui passait par la tête, il lui apprenait mine de rien à se faire un peu moins bavarde.

" Oula ! " En voyant la blessure, par contre, elle n'avait pas pu retenir une exclamation inquiète. Peut-être qu'il jouait les insensibles mais ça ne lui disait rien qui vaille.

Elle secoua la tête, désolée :
" j'avais appris, il y a longtemps, à reconnaitre une plante qui apaise ce genre de chose. Une herbe commune, qui pousse un peu partout, je ne connais pas son nom.. Mais je n'en ai pas encore vu. "

Elle se sentait vraiment idiote : les siens étaient réputés pour être proches de la nature, non ? Alors pourquoi n'était-elle pas capable de trouver une petite plante qui poussait partout ? Elle ne répondit rien quand il dit que ça ne faisait pas mal, mais elle n'en pensait pas moins.

" Tu risques de ressortir de la ville encore plus mal en point, si tant est que tu en ressors ! " elle se moquait peut-être de savoir quels risques elle courait, mais elle savait pertinemment qu'un drow serait plutôt mal vu à Diantra.
" J'irais, moi, tu n'auras qu'à me dire ce que tu veux si tu sais ce qu'il te faut ; et sinon, je demanderai. "

Elle était déjà allée à Diantra, elle saurait se repérer sans trop de difficultés pour trouver un herboriste ou un guérisseur. Il existait aussi des potions plus ou moins efficaces... Elle repensa à la magie et en vint à se souvenir de ce qu'elle était parvenue à faire quelques temps plus tôt : allumer un feu. Ce n'était pas vraiment maîtrisé, mais elle avait tout de même réussi. Elle n'y avait plus pensé parce que Berg'inyon l'avait coupée à ce moment là, qu'elle était fatiguée et... en y réfléchissant, c'était peut-être lié, cette fatigue. En réalité, elle avait chassé tout ça de son esprit parce que, confusément, ça lui faisait un peu peur...

Son regard se reporta sur les flammes, parfaitement naturelles, celles-là, qui crépitaient. Elle hésita un instant avant de demander :

" Tu t'y connais en magie ? "

Encore une fois, elle sautait apparemment du coq à l'âne sans raison. Mais maintenant qu'elle repensait à ce qu'elle avait fait, ça la perturbait de ne pas réellement maîtriser cette capacité. Peut-être que Berg'inyon s'y connaissait un peu ? Qu'il pourrait la rassurer ? Il n'avait pas fait quoi que ce soit qui aille dans ce sens, mais pourquoi pas ? Elle non plus n'avait pas l'air d'une magicienne à première vue. Même en y regardant de plus près, d'ailleurs.

En entendant la proposition de la jeune fille, Berg'inyon ne put s'empêcher de lui renvoyer un regard étonné. Elle était prête à prendre des risques et à se rendre en ville toute seule uniquement parce qu'elle se souciait de lui ?
Dédaignant sa blessure qui continuait à lui faire mal, il s'allongea sur le dos avec un léger sourire narquois. Pour une fois que quelqu'un s'inquiétait pour lui, à vrai dire, ça ne lui était pas franchement désagréable...

- Je te remercie pour ta proposition, mais j'espère que cela ne sera pas nécessaire. Nous allons nous rendre à Diantra, comme prévu, et nous aviserons ensuite...

Il n'ajouta pas : "Je m'en occuperai de mon côté une fois arrivé là-bas". Il savait bien que le lendemain soir, quand ils arriveraient en ville, chacun reprendrait sa route, seul. Après tout, il était mercenaire, non ? Il avait été engagé, il remplissait un contrat comme un autre et une fois le "colis" déposé, bye-bye tout le monde !

Et pourtant... Il n'en était pas sûr, mais il avait une vague impression de malaise à cette idée. Il s'apercevait, en fait, quil n'était pas si pressé que ça d'arriver, et qu'il ne tenait pas franchement non plus à ce que ce voyage ait une fin.

Il secoua la tête. Ca ne lui ressemblait pas, des pensées comme ça ! Mais, aussitôt après s'être dit ces mots, il reprit un air grave et soucieux...

- Non, je ne m'y connais pas en magie, répondit-il d'un air bourru.

Il l'avait déjà surprise en train d'allumer un feu par magie, justement, et il se demandait bien si elle s'en était rendue compte. En d'autres circonstances, il aurait peut-être poursuivit la conversation mais là, il n'avait pas envie de parler. Peut-être parce qu'il était fatigué et que la douleur l'empêchait de réfléchir correctement, ou peut-être encore parce qu'il avait le coeur lourd...

Allongé contre l'herbe douce et moelleuse, il ferma les yeux. Pourquoi est-ce qu'il avait mal au coeur, tout d'un coup ? Qu'est-ce qui pouvait bien le rendre triste ?

Berg'inyon n'avait pas l'air de vouloir la laisser faire. Que craignait-il ? Qu'elle ne lui trouve pas ce dont il avait besoin ? Quand à se rendre à Diantra, elle n'avait pas pensé qu'il voudrait entrer dans la ville, juste l'accompagner à l'entrée. Ce serait trop dangereux, il devait bien le savoir, non ? Il faudrait aussi qu'elle le paye et là, elle se demandait bien ce qu'il allait faire la temps qu'elle gagne un peu d'argent.

Il ne s'y connaissait pas en magie, et l'idée n'avait pas l'air de lui plaire, aussi elle n'en parla plus. Elle retenterait ses expériences plus tard, quand il serait parti. "Pas trop vite, j'espère", songea-t-elle en se demandant pourquoi elle s'attachait à lui. Ce n'était pourtant pas la première fois qu'elle croisait quelqu'un sur les routes ! Au lieu de se poser des questions, elle aurait mieux fait mieux de dormir, aussi, comme lui, elle s'allongea, se pelotonnant contre Olwë. La nuit était plutôt fraiche, et elle s'enroula dans sa cape de laine.
" Bonne nuit. "

Elle s'endormit rapidement et, lorsqu'elle ouvrit les yeux, le jour se levait. Elle se mit prestement debout, en pleine forme, sautillant pour se réchauffer. On voyait que les beaux jours étaient passés à présent.
" Je meurs de faim ! "

La veille, dans le noir, elle ne s'était pas préoccupée de trouver à manger, mais maintenant, en plein jour, elle commençait à avoir quelques idées : elle fit quelques pas et trouva de la mâche. Il n'y avait pas grand chose, mais ça suffirait à lui couper l'appétit le temps de trouver mieux. C'est en sélectionnant les feuilles qu'elle repéra une autre plante, plus loin.
" Eh dis donc ! Je crois qu'on a de la chance ! "

Elle observa plus attentivement, mais il n'y avait plus de doute : c'était bien la plante dont elle lui avait parlé la veille. Du plantain, en réalité, mais elle ne connaissait pas le nom.
" Je savais bien qu'on en trouvait un peu partout ! "

Elle en ramassa les feuilles avec attention et revint près du jeune homme :
" Alors c'est simple, faut les froisser comme ça et les appliquer sur la blessure. Ca calme. "

Elle ne pouvait pas en dire plus, elle ne savait pas comment ça marchait. Mais ça fonctionnait, elle avait déjà testé.
" Tu veux que je t'aide à les mettre ? "

C'était quand même pas simple de se soigner soi même au bras, à partir du moment où l'on se retrouvait avec une main inutile.

Berg'inyon avait veillé une bonne partie de la nuit, surtout pendant les heures les plus sombres où les prédateurs étaient de sortie. Une fois que l'obscurité ce fut quelque peu dissipée, il s'accorda quelques instants de sommeil, jusqu'à ce que...

" Je meurs de faim ! "

Il sursauta, brusquement tiré de sa torpeur par un glapissement joyeux où il crut discerner la voix d'Adria. Après avoir fait le point sur le lieu où il se trouvait et avec qui il se trouvait, il rassembla toutes ses facultés mentales encore assoupies pour grommeler en se tournant de l'autre côté :

- Grmbl... Laisse-moi dormir...

Une certaine agitation semblait règner dans son dos, et il devina aux bruits de pas et de tissus froissés que l'elfe sylvaine était en train de s'éloigner un peu. Encore à moitié endormi, il n'y prêta pas attention et referma les yeux en maudissant ces foutus lève-tôt qui l'empêchaient de profiter d'un repos bien mérité...

Au bout d'un moment, elle revint vers lui. Au son de sa voix, elle avait l'air plutôt contente, et il tourna la tête de mauvaise grâce pour voir ce qu'elle avait bien pu rapporter qui la rendait si fière d'elle.

Elle tenait dans sa paume tendue un petit paquet de plantain (lui aussi ignorait ce nom, et à vrai dire c'était bien le cadet de ses soucis) dont les larges feuilles écrasées avaient la propriété "magique" d'accélérer la cicatrisation des blessures. Tant mieux, si elle avait trouvé ce qu'elle cherchait ; au moins il n'aurait pas besoin de se taper tout les herboristes de la ville pour dénicher un médicament efficace...

Avec un regard irrité mais néanmoins décidé à coopérer, il se redressa en appui sur les coudes et lui tendit son bras blessé. Qu'elle se débrouille, après tout ! Il n'avait aucune idée de la manière dont elle devait s'y prendre avec ce truc, et il espérait juste qu'elle ne confondait pas avec l'une de ces plantes venimeuses qu'on pouvait trouver dans la coin !

- T'as intérêt à savoir ce que tu fais, maugréa-t-il d'un ton un peu râleur. Je tiens pas à me retrouver avec un bras tellement enflé que je pourrais m'en servir comme masse d'arme, si tu vois ce que je veux dire...

Adria eut un instant d'hésitation. Elle avait proposé de l'aider par gentillesse, mais elle ne se sentait pas du tout compétente en la matière. Qu'il la laisse faire, comme ça, mais en la menaçant en prime la laissait franchement désemparée. Elle resta deux secondes ses feuilles à la main puis haussa les épaules :

" Ca ne suffira peut-être pas. Et puis, parti comme c'était hier soir, ça enflera peut-être quand même. "

Elle hésita encore deux secondes en priant pour ne pas faire de bêtise et se décida à retirer le bandage délicatement. Après quoi, elle froissa les feuilles dans sa main et les appliqua doucement sur les plaies comme elle l'avait vu faire.

" Euh... Tu dis si je te fais mal. "

Normalement, la plante devait avoir un effet quasi immédiat, mais elle la laissa en place le temps de redonner un semblant de vie au bandage déjà taché de sang, le défroisser, au moins... Elle n'avait rien d'autre pour le remplacer à moins d'utiliser leurs vêtements, mais, absolument pas habituée à ce genre de situation, elle n'y pensa même pas.

Olwë s'approcha un instant pour voir ce qu'elle faisait, mais elle le repoussa gentiment et il finit par s'éloigner dans les fourrés. Puisque sa petite maîtresse voulait être tranquille, il allait en profiter pour chasser.

Adria le regarda disparaitre et finit par enlever les feuilles. Puis elle les remplaça par d'autres, histoire d'être sure que ça fasse effet, les retira et replaça le bandage en s'appliquant. Enfin elle releva les yeux vers Berg'inyon, légèrement inquiète :

" Euh... Ça va ? "

Elle espérait une réponse positive, mais vu l'humeur du drow, elle ne se faisait pas trop d'illusion là-dessus. Mais elle était sure que cette plante était la bonne, alors elle n'allait pas s'inquiéter plus que nécessaire sur son efficacité. Par contre, elle l'avait peut-être mal appliquée ou alors mal refait le bandage... Elle se demanda intérieurement ce qu'il pouvait bien lui passer par la tête pour qu'elle se pose autant de questions : elle avait apprit à ne pas se torturer de la sorte, ce qui était fait était fait et advienne que pourra. Sauf que le fait que quelqu'un d'autre qu'elle soi en cause changeait tout.

Berg'inyon frissonna légèrement quand elle lui appliqua les feuilles écrasées sur le bras, ses doigts froids frôlants la blessure douloureuse. Il n'avait pas l'habitude de quelqu'un ne s'approche si près de lui, encore moins une elfe blanche, et ce contact physique le déroutait autant qu'il le mettait mal-à-l'aise. Gêné, il détourna la tête en tentant de faire comme si de rien n'était et fit mine de détailler attentivement les brins d'herbe qui jonchaient la praire.

Elle retira doucement le bandage, visiblement inquiète à l'idée de lui faire mal par inadvertance. Il apprécia la délicate attention et, pour qu'elle ne soit pas trop mal à l'aise, resta aussi fermement insensible qu'un bloc de glace. Il s'attendait à ce que cela soit douloureux, ou au moins que ça ne le picote un peu, mais non. Presque immédiatement, il sentit une fraicheur apaisante remonter le long de son bras, et la douleur s'estompa aussi vite qu'elle était arrivée.

Adria renvoya son loup qui venait fourrer son museau trop curieux dans le coin et prépara aussitôt de quoi appliquer d'autres feuilles. Berg'inyon faillit ouvrir la bouche pour lui dire que c'était inutile, mais il se retint sans savoir trop pourquoi. Peut-être qu'il n'avait pas trop envie qu'elle ne s'écarte...

Une fois le pansement remis en place, il bougea doucement le bras et le plia une ou deux fois histoire de vérifier si les bandages ne gênaient pas ses mouvements. C'était impeccable, et il ne voyait aucune critique à faire ; il se contenta donc de lui renvoyer un regard pénétrant du fond de ses pupilles bleues et de hocher la tête en disant simplement :

- Hmmm... Ca ira.

Il se sentait mieux réveillé, à présent, et d'attaque pour reprendre le chemin de Diantra ; mais comme elle l'avait si gentiment soigné, et comme ils n'étaient pas si pressés que ça non plus, il décida de lui laisser encore le temps de manger un peu avant de se mettre en route.

Adria détourna le regard, également gênée. Elle ne savait pas trop pourquoi, elle non plus, mais elle se recula doucement, retournant à sa salade. Apparemment, la plante avait fait sont effet et elle était heureuse d'avoir pu se rendre utile et surtout, qu'il ne l'ait pas rembarrée. Elle s'en moquait pourtant, habituellement, de ce que pensaient les gens ! Alors, pourquoi restait elle là à attendre un mot gentil ?

Elle baissa les yeux sur sa nourriture, grignotant les feuilles en chantonnant doucement. Si Berg'inyon n'était pas pressé de repartir, ça lui convenait très bien. Une fois arrivés à Diantra, tout allait devenir beaucoup plus compliqué, ne serait-ce que lorsqu'elle allait devoir le payer. Mais surtout, elle n'avait pas la moindre envie de continuer sa route seule. Elle s'était habituée à sa présence rassurante, à son humour, tellement rare, mais qui n'en était que plus agréable quand il survenait...

Elle n'avait rien à aller faire à Diantra, elle n'avait donné cette destination que parce qu'il lui en avait demandé une. Elle aurait aussi bien pu dire "Ydril" ou "Aëlandir" en considérant qu'il pouvait l'y mener. Elle s'était imaginé trouver quelqu'un pour discuter un peu au lieu de ça, elle avait récolté pas mal de disputes et... En fait, elle ne savait pas trop quoi, mais il lui avait apporté quelque chose qui lui manquerait quand ils se quitteraient, elle en était sûre.

Ce fut à ce moment qu'Olwë revint en gambadant, l'air en pleine forme, lui aussi. Il avait envie de jouer et elle lui lança un baton qu'il se fit un plaisir de lui ramener.

" Profite en avant qu'on ne soit à Diantra, faudra te tenir un peu tranquille là bas ! "

Il risquait même de passer son temps à moitié invisible, n'aimant pas la proximité avec des étrangers. Ce n'était pas forcément bon pour lui et elle s'inquiétait un peu que ça ne le fatigue excessivement.

" En tous cas, t'as bien récupéré, hein ? "

C'était vrai, on aurait dit que le loup ne s'était jamais retrouvé face à un cogianth enragé. Elle se mit à rire quand il réclama des caresses en se mettant sur le ventre et elle les lui fit avec plaisir. Puis il se releva et alla en quémander à Berg'inyon. Adria les regarda, amusée :

" Je crois bien qu'il t'a accepté depuis que tu lui as donné de la viande ! Il doit avoir une âme de mercenaire lui aussi ! "

Bergin'yon sourit discrètement, amusé par la remarque innocent de la jeune elfe. C'était vrai qu'il était mercenaire, un guerrier /homme à tout faire qui vendait sa force au plus offrant. Ce métier lui convenait parfaitement et, dès qu'il avait essayé sa première mission, il avait instinctivement senti que sous ses pieds s'étirait le chemin qu'il avait vainement cherché depuis longtemps.

Il avait une réputation à tenir, et on le tenait pour homme de parole, quand on le payait bien et tant qu'il estimait que les choses restaient dans le cadre de sa morale personnelle. Il conduirait cette jeune fille à Diantra, toucherait sa paye et s'en repartirait vers d'autres horizons, de préférence loin des territoires humain. Depuis le début, il était assez dubitatif sur la manière dont elle comptait le payer, mais bon...

De bonne humeur, il s'accroupit pour caresser le ventre du loup, longs poils gris et soyeux légèrement maculés de la poussière du chemin. L'animal paraissait apprécier les caresses, et le sombre elfe aux prunelles blueus se dit avec amusement qu'il devait avoir aussi prit un peu du caractère joyeux et insouciant de sa maîtresse. Celle-ci ne paraissait nullement s'inquiéter du fait qu'elle emmenait avec elle un drow à Diantra, mais peut-être n'était-ce qu'une apparence ; en tout cas, Berg'inyon commençait à la connaître suffisement pour se poser des questions sur son apparente irresponsabilité.

- Allez, princesse, on y va ! Lança-t-il avec un sourire narquois tanids qu'il se redressait et époussetait ses vêtements. Tu ne veux pas arriver chez les humains avant la nuit, si ?

La manière un peu moqueuse et extrêmement familière avec laquelle il avait lançé ce "princesse" pouvait mal se prendre, mais seulement si on le connaissait mal. Ca n'était pas dans ses habitudes d'apostropher les jolies filles de manière si vulgaire, comme si il se moquait d'une serveuse de taverne ou d'une danseuse de rue, mais en l'occurence l'adjectif avait quelque chose d'amical, même presque affectueux. Le ton sur lequel il l'avait lancé signifiait plutôt quelque chose du genre "je suis le garde du corps qui accompagne sa princesse en voyage", mais il ne savait pas trop comment elle allait le prendre (cela dit, qu'elle le prenne mal si l'envie lui prenait ; il aimait feindre de se moquer de ce que pouvait penser cette petite sylvaine)...

Loin de s'offusquer, Adria se mit à rire, amusée. De toutes façons, elle n'était pas du genre à se vexer, encore moins à bouder - bouder, ça implique de se taire - au pire, elle pouvait se sentir blessée, mais en général, elle ignorait tout simplement les remarques désagréables. Et là, ça n'avait rien de méchant, à son avis. Du moins, elle décida de ne pas le prendre comme tel.

" Fort bien, preux chevalier ! "

C'était lancé sur le même ton, avec un regard malicieux. D'une certaine façon, elle le considérait ainsi : il avait commencé par lui sauver la vie sans rien demander en retour, non ?
Elle se releva, prête à repartir, en demandant :

" Il reste combien de temps jusqu'à Diantra ? "

C'était plus pour avoir une idée qu'autre chose. Car pour ce qui était d'arriver avant ou pendant la nuit, elle s'en moquait pas mal, toujours pas plus pressée que ça. Olwë se remit à gambader devant et elle reprit la marche en chantonnant. Un air qui donnait envie d'avancer, qui faisait penser à de grandes épopées dans de magnifiques paysages. La chanson terminée, elle continua un peu en improvisant une nouvelle mélodie sur les paroles. Après quoi, elle se retourna vers Berg'inyon.

" Tu avais dit que tu m'apprendrais ta chanson. "

Bien sur, ce n'était pas tombé dans l'oreille d'une sourde et il y avait fort à parier qu'elle ne le lâcherait pas tant qu'il n'aurait pas accédé à sa requête. Elle anticipa néanmoins un refus en ajoutant avec entrain :

" Ne t'inquiète pas, j'apprends vite. "

C'était vrai. En général, elle retenait le refrain à la première écoute et l'essentiel des couplets en deux autres fois. Là, ce serait un peu plus dur, parce que justement, il n'y avait pas de refrain et qu'en plus il n'y avait pas de rimes, à cause de la traduction, sur lesquelles se baser.
Elle chantonna un début d'air qui ressemblait vaguement à l'original :

" O Muse, conte-nous
Par la voix du poète
Le chant des amants oubliés
Qui dansaient ensemble sous... la lune "

Ce n'était pas tout à fait ça, elle espérait vraiment qu'il accepterait de lui répéter la suite. Le début aussi, car elle avait conscience d'avoir altéré la vraie version. Rien ne l'agaçait plus que d'avoir des lambeaux de musique qui disparaissaient peu à peu dans les limbes de sa mémoire. D'autant que cet air là, elle ne risquait pas de le ré entendre dans la première taverne venue !

- "Sous la lumière de la lune"

Berg'inyon s'arrêta, attendant qu'elle arrive à sa hauteur pour répéter :

- Les paroles. "Sous la lumière de la lune..."

Curieusement, il connaissait si bien la chanson qu'il avait complété la phrase presque machinalement. Cela faisait bizarre de la chanter en elfique, car les paroles étaient bien plus belles en language drow, mais bien plus tristes aussi. Et puis il fallait avouer qu'Adria était notablement plus douée que lui, et dans sa bouche la mélodie paraissait gagner en beauté et en pureté, même si la voix grave du guerrier drow semblait la teinter de mélancolie. C'était une vieille chanson oubliée, qui parlait d'un temps trop ancien pour qu'aucun drow ou elfe ne puisse s'en souvenir, mais qui pleurait sur l'aube des temps, et qui évoquait des sentiments trop étranges pour qu'on ne puisse les ignorer. C'était une chanson qui pouvait rassembler les foules, subjuguer les masses, et qui véhiculait une idéologie inacceptable pour un drow digne de ce nom. Inacceptable, mais combien vraie...

- Cette chanson n'est guère sortie des territoires drows, mais après tout il est peut-être temps que cela change. Tu peux la faire connaître au monde si tu le souhaites, mais attends toi aux mêmes réactions dans ton peuple que dans le mien. Ni eux ni nous ne sommes prêts pour une telle chose...

Quand il parlait de son peuple, ou quand il évoquait une possible réconciliation, le mercenaire semblait devenir plus amer et plus dur. Peut-être n'avaient-ils que ce qu'ils méritaient, après tout. Si les sylvains comme les drows ne pouvaient rien comprendre d'autre que la haine ou la peur, pourquoi se fatiguer à vouloir la paix ? Lui, en tout cas, avait cessé de la rechercher il y a bien longtemps...

- Nous ne sommes plus très loin de Diantra, lança-t-il en réponse à la jeune fille et son loup. D'ici deux heures au plus, nous aurons atteint les murailles de la cité.

Et enfin, il serait débarassé d'elle. Pourtant, il ne se sentait ni léger ni joyeux à cette idée ; il allait poursuivre sa route seul, et pour la première fois de sa vie cette idée ne lui semblait pas si plaisante.

- Absurde, siffla-t-il entre ses dents. Je n'ai besoin de personne...

Irrité, il secoua la tête et accéléra le pas, dépassant Adria de plusieurs enjambées. Très droit, un peu rigide, il gardait ses yeux de verre fixés sur la route qui s'étirait, visiblement impatient d'apercevoir les murailles de la cité, pour enfin en finir avec cette histoire ridicule.

Adria s'efforçait de retenir les paroles, mêlant sa voix à celle de Berg'inyon. Il était beaucoup plus simple d'apprendre en chantant directement, elle faisait juste attention de ne pas trop hausser le ton pour entendre les mots qu'il prononçait. Elle en connaissait, des airs divers et variés. Des plus ou moins beaux, plus ou moins entrainants, mais celui là avait vraiment quelque chose de plus, indéfinissable. L'auteur croyait à ce qu'il avait écrit et était parvenu à rendre des émotions qui touchaient profondément.

" Cette chanson n'est guère sortie des territoires drows, mais après tout il est peut-être temps que cela change. Tu peux la faire connaître au monde si tu le souhaites, mais attends toi aux mêmes réactions dans ton peuple que dans le mien. Ni eux ni nous ne sommes prêts pour une telle chose... "

Elle hocha la tête, l'air navré. Oh, pour cela, elle n'en doutait pas ! D'ailleurs elle en venait à se demander pourquoi elle-même n'avait pas développé ce rejet des sombres. Peut-être parce qu'elle avait toujours vécu un peu à l'écart des siens. Peut-être aussi ce ménestrel avec qui elle passé quelques années lui avait-il transmis ce goût de la tolérance. Ou alors elle était juste naïve, comme la plupart des gens le pensait. Pas assez cela dit pour chanter cet air là en taverne. De toutes façons, la mélodie était bien trop belle pour être glissée entre deux conversations ou raclement de choppe de bière !

La remarque suivante la tira brutalement de ses pensées.

" Nous ne sommes plus très loin de Diantra. D'ici deux heures au plus, nous aurons atteint les murailles de la cité. "

" Oh. " exclamation désappointée... Qu'allait-elle faire à Diantra au juste ? Elle ne savait toujours pas... Ça ne l'avait pourtant jamais dérangée, jusqu'à présent de voyager au hasard. Mais elle n'eut pas le temps de se pencher d'avantage sur la question car il siffla entre ses dents quelque chose qu'elle ne comprit pas et accéléra l'allure.

Ça recommençait... Décidément, elle n'arrivait pas à le cerner ! En même temps elle prenait rarement le temps de se préoccuper de cerner qui que ce soit, elle n'avait donc pas beaucoup d'entrainement en la matière. Elle continua à marcher, passant et repassant la chanson pour ne pas en perdre les paroles, regardant distraitement Olwë qui gambadait devant. Dommage de terminer le voyage sur de nouveaux grommellements.

Puis les murailles de Diantra apparurent à l'horizon. Elle rattrapa Berg'inyon et s'arrêta devant lui.

" Attends, tu ne peux pas aller plus loin : ce serait trop dangereux pour toi. "

Pour une fois qu'elle se préoccupait d'être prudente !

" Euh... " elle baissa les yeux, gênée : elle lui avait promis de le payer, mais elle n'avait pas pensé à ça... " Je pensais gagner un peu d'argent en chantant, c'est ce que je fais habituellement. Mais... et puis tu ne m'as toujours pas dit combien je te dois. "

Elle le dévisagea, ne sachant que proposer. Elle devait avoir tout juste trois piécettes dans son escarcelle et n'avait pas la moindre idée de ce que pouvait demander un mercenaire pour ses services. Elle lui donnerait volontiers ce qu'il demandait, sauf qu'elle ne voyait pas vraiment par quel miracle elle allait le payer s'il ne pouvait entrer en ville. Enfin, pour l'instant elle préférait se concentrer sur ce problème matériel, ce qui lui évitait de penser à ce qui suivrait.

Berg'inyon, un instant surpris, se rendit soudain compte de toute l'absurdité dela situation. Et dire qu'il avait été prêt à partir, lui, un mercenaire, sans même s'être fait payer ! En fait, et il était presque furieux à cette idée, il avait complètement oublié qu'elle lui devait quelque chose...

Ces derniers jours, maintenant qu'il y réfléchissait, il s'était montré d'une inconcevable stupidité. D'abord, il prenait le risque dément d'affronter en plein marais un Cogianth de taille adulte, affamé et dangereux, et tout ça pour quoi ? Sauver une petite rivvil qui s'était bêtement perdue, une ennemie de sa race, une elfe blanche ! Mais ce n'était pas tout : non content de la sauver, il acceptait de la protéger, lui, un mercenaire drow, alors qu'elle n'avait visiblement aucun moyen de lui rembourser sa dette...

L'amulette n'était qu'un prétexte. Il s'en rendait compte maintenant, aussi puissant que puisse être le bijou, il n'aurait aucune valeur : sa magie était bien trop erratique et aléatoire pour intéresser un quelconque marchand d'artefacts.

Alors pourquoi ? Inconsciemment, il avait su depuis le début qu'elle serait incapable de payer, et lui dont la devise était "tout travail mérite salaire" s'était pourtant laissé embarquer dans cette histoire de son plein gré, en sachant pertinament qu'il n'en retirerait aucun bénéfice. Seulement...

Il haussa les épaules, irrité. Maintenant qu'elle lui demandait son prix, et qu'il savait bien qu'il ne pouvait rien exiger d'elle en guise de paiement, il avait quand même l'impression étrange que, quelque part, il avait effectivement tiré profit de ces quelques jours. Quel profit ? Elle n'avait ni argent, ni objet précieux à lui donner, et elle ne disposait pas d'assez d'influence pour que son sauvetage puisse lui être d'une quelconque utilité...

- Tu me dois bien au-delà de ce que tu pourrais avoir, mais je suis réaliste et je ne te demanderai pas l'impossible, répondit-il d'une voix froide. Va a Diantra, fais ton maximum et débrouille-toi pour trouver de l'argent. Chante dans les tavernes, fais ce que tu veux, mais donne-moi ta parole que tu seras revenue demain, à midi. Je t'attendrais ici même, c'est clair ?

Elle lui donna sa parole, et il la regarda s'éloigner vers Diantra, elle et son loup. Très vite, il détourna le regard : s'il n'y avait rien de plus navrant et de plus pitoyable, c'était de penser à un drow en train de s'attrister des adieux d'une rivvil. Il était un guerrier de l'ombre et du chaos, et il refusait de laisser cette mélancolie absurde et indigne de lui prendre possession de son esprit.

Elle tiendrait sa promesse, bien sûr. Le lendemain, à l'heure pile, elle serait là, avec tout l'argent qu'elle aurait pu trouver. Mais lui pas...

Ses cheveux blancs s'emmêlèrent, agités par un vent frais chargé d'odeurs de la ville. Le soleil faisait luire les murailles blanches de ses rayons ardents tandis que le guerrier en armure sombre s'éloignait peu à peu, tournant le dos à Diantra, au monde des hommes, à une elfe blanche trop naïve et à une brève rencontre dans un marais oublié des Dieux...

Berg'inyon avait retrouvé sa voix froide et son attitude distante, mais Adria ne s'en offusqua pas. Après tout, elle savait très bien que le problème de ce qu'elle lui devait rejaillirai. Demain, à midi, là ? Elle hocha la tête et lui donna sa parole. Ça lui laissait peu de temps pour trouver une taverne où elle était susceptible de gagner quelque chose sans avoir affaire à des alcooliques plus ou moins agressifs. Enfin, elle se débrouillerait. Elle s'était toujours débrouillée.

Les adieux ne seraient pas pour tout de suite, donc, elle préférait ça. Seulement, le lendemain, le drow ne vint pas et la jeune fille en fut quitte pour un aller retour inutile. Tant pis après tout : elle rencontrait quantité de personnes le long des routes, elle s'était fait à l'idée qu'elle ne pouvait s'attacher. Pas plus à un drow qu'elle avait côtoyé quelques jours et au caractère exécrable, qu'à un autre. Elle l'oublierait vite... du moins elle essaya de s'en convaincre, essayant de se réjouir de l'argent qu'elle avait gagné et garderait pour elle. Sauf que le cœur n'y était pas vraiment.


[hrp : mini rp pour clore le sujet

TERMINE]