Sauvetage en forêt, suite [PV Berg'inyon]

Adria s'était éveillée au petit matin, étonnée de voir qu'ils étaient à la limite du marais. Dans l'obscurité elle aurait juré, la veille, en avoir pour des heures de marche avant de le quitter. Pourtant, le sol était bien plus ferme et l'atmosphère moins humide. Non, ils étaient bientôt tirés d'affaire. Enfin, elle, elle l'était du moins.

Elle fut rapidement debout, ignorant son ventre qui criait famine. Ce n'était pas la première fois qu'elle se passait d'un repas malgré elle et ce ne serait pas la dernière. Berg'inyon était assis près d'un arbre, l'air impassible comme à l'accoutumée. Elle lui fit un grand sourire.

" Bonjour ! "

C'est à ce moment qu'elle se rappela quelque chose, arrivé à un moment indéterminé de la nuit, pendant qu'elle dormait. Olwë s'était agité, avait grogné et elle avait entendu le drow parler... de quoi au juste ? Elle ne s'en souvenait plus du tout. Elle chassa ses souvenirs et demanda :

" Tu as bien dormi ? "

En disant ces mots elle s'apprètait à repartir. Elle avait raison : après quelques dizaines de minutes de marche plus tard, ils sortaient enfin des marais et se retrouvaient sur un petit chemin sinuant entre les arbres. Pas réellement la forêt pour l'instant, mais c'était déjà bien plus agréable. Et puis, elle reconnaissait à nouveau les plantes qui l'entouraient. En quelques minutes, sans cesser de suivre Berg'inyon elle en eut ramassé assez pour se faire une petite salade à manger en marchant.

" Tu en veux ? "

C'était tout simple, une sorte de mâche sauvage et quelque autres herbes pour ajouter un peu de goût. Ca lui suffisait largement. Elle se rappela qu'il avait probablement voulu lui dire quelque chose pendant la nuit et reprit :

" Tu as voulu me parler cette nuit ? "

En même temps, elle se demanda ce qu'il avait bien pu lui passer par la tête pour lui raconter sa vie alors qu'elle dormait à moitié. D'autant qu'apparemment il avait du mal à décrocher trois mots en pleine journée...

Berg'inyon, bâillant à s'en décrocher la mâchoire, maudit sa malchance d'être tombé sur une telle pipelette. C'était l'aube, ils venaient à peine de se remettre à marcher, ils n'avaient même encore rien mangé et elle se remettait déjà à jacasser comme une pie ! Lui, déjà pas très bavard de nature, avait du mal à empêcher ses yeux de se fermer...

Tout en marchant, il tendit les bras au-dessus de lui pour étirer ses muscles. Il avait veillé presque toute la nuit, vérifiant sans cesse l'âtre et rajoutant du bois pour le feu dès que celui-ci menaçait de s'éteindre, et maintenant il n'avait plus qu'une envie : se rouler en boule dans un coin comme un ours dans sa tanière et surtout, surtout, faire taire cette voix agaçante qui ne cessait de retentir à ses oreilles...

Il ne daigna même pas répondre quand elle lui demanda si il avait bien dormi, pensant qu'il suffirait de l'ignorer pour qu'elle se taise. Hélas, alimenter la conversation toute seule ne la dérangeais visiblement pas, et il la regarda constituer sa petite salade avec une lueur de dégoût au fond de ses yeux océans. Elle le lui en proposa, mais il répondit par une sorte de grognement inarticulé et accéléra l'allure dans l'espoir de la semer temporairement. Sa petite tactique échoua bien vite car, en plus d'être bavarde, elle était endurante...

" Tu as voulu me parler cette nuit ? "

- Non ! Répondit-il férocement. Non, je n'ai rien à te dire, ni cette nuit, ni maintenant ! Alors est-ce que c'est trop te demander que de te taire ?!

Il s'était arrêté d'une manière si brutale qu'elle manqua de peu de le heurter, et il lui fit face avec toute l'arrogance dont il était capable. Il savait que c'était injuste de sa part de réagir comme ça, et qu'il aurait dû faire preuve d'un peu plus de patience. Il était fatigué, énervé, et il se sentait d'humeur à passer ses nerfs sur elle en criant un bon coup. Autour d'eux, la végétation s'était faite moins dense, ce qui était plutôt une bonne chose ; en effet, ils n'allaient pas tarder à sortir du Marais.

Redressé de toute sa hauteur, sourcils froncés, il la toisait de cet air froid et hautain qui avait le don de lui attirer des ennuis. Ordinairement, il aurait été moins brusque et plus long à se fâcher, mais là, dans cet état de fatigue, de nervosité et d'irritation qui était le sien à l'heure actuelle, il n'avait plus qu'une envie : en découdre avec quelqu'un.

Adria pila net pour éviter de rentrer de plein fouet dans berg'inyon. Ce dernier avait l'air furieux et ses paroles claquèrent sèchement :

" Non ! Non, je n'ai rien à te dire, ni cette nuit, ni maintenant ! Alors est-ce que c'est trop te demander que de te taire ?!

Surprise, Adria le regarda avec des yeux ronds et il y eut un instant de flottement. Puis elle recula un peu et se remit à sourire, très légèrement. A vrai dire, elle était tellement habituée à ce genre de réaction excédée, qu'elle avait prit le parti de ne pas s'en formaliser.

" Désolée... " répondit-elle en réprimant un sourire amusé. Elle se détourna un peu afin d'éviter de l'énerver encore plus, craignant qu'il n'apprécie pas sa réaction.

Ils marchèrent encore quelques minutes avant qu'elle ne s'arrète.

" On fait une pause. Olwë est fatigué et il doit aller chasser. "

Le loup n'avait pas l'air plus convaincu que ça. La nuit l'avait bien remis et il trotinanit aux côtés de sa maîtresse sans mal. Mais Adria avait bien vu que le drow était à bout nerveusement et elle aimait autant qu'il se repose un peu. Malgré son manque de tact, elle se voyait mal lui balancer qu'il avait l'air fatigué et elle avait opté pour ce - petit - mensonge. Tout petit, même, vu qu'Olwë avait quand même besoin de chasser. D'ailleurs le loup ne tarda pas à disparaitre dans les fourrés.

Adria lança un regard en coin à Berg'inyon, se demandant comment il allait prendre son initative. Elle en avait connu des caractères difficiles, mais alors celui-là, il détenait tous les records ! En même temps, sans parvenir à se l'expliquer, elle le trouvait... sympathique. Plutôt inquiétant et limite instable, mais sympathique malgré tout. Restait à savoir si elle ne finirait pas découpée en rondelles avec ce genre de sentiment.

Elle termina de grignoter une feuille de salade, se demandant si le drow allait accepter l'arrèt. Au pire, olwë les rejoindrait sans mal, elle ne s'inquiétait pas de ça. En attendant, elle fit l'effort de se taire et n'entama aucune chanson. Ca ne durerait sans doute pas, mais l'intention y était.

Berg'inyon, déconcerté par cette réaction si... inattendue, fut trop
surpris sur le coup pour songer à poursuivre ce début d'engueulade. Non
seulement elle refusait la dispute, ayant sans doute décidé que cela
n'en valait pas la peine, mais en plus elle s'excusait comme si c'était
elle qui était en faute !

Désarmé par ce "désolé" et par le bref sourire qu'il avait entraperçu
sur ses lèvres, il sentit sa colère se dégonfler comme une baudruche
pour laisser place à une stupeur déconcertée. D'habitude, les gens à
qui il s'adressaient sur ce ton ne se laissaient pas faire, et le ton
montait souvent très vite jusqu'à ce qu'ils en viennent aux mains. Il
ne pensait pas se battre avec elle, bien sûr que non, mais il aurait
juré qu'elle allait se mettre elle aussi à crier...


- Pourquoi, une pause ? Bougonna-t-il en détournant la tête pour cacher
sa gêne. On a encore beaucoup de route à faire, alors il ne faut pas
traîner...

Voyant qu'elle ne l'écoutait pas, il laissa son katana tomber à terre
d'un geste rageur et il s'assit en tailleur sur le sol, lançant un
regard noir au loup-caméléon qui disparaissait en bondissant derrière
les fourrés. Tandis que l'animal s'évanouissait dans les marais, sa
propriétaire lança un bref regard à son irritable garde du corps avant
de continuer son petit-déjeûner.

Visiblement, elle se taisait uniquement pour lui faire plaisir, ce qui
l'étonnait un peu. Il avait appris par la pratique que ce n'était pas
en criant qu'on arrivait à ses fins, et quand il s'énervait de la sorte
cela lui servait uniquement dans un but de défouloir, mais jamais il
n'aurait cru qu'elle allait effectivement se taire.
Curieusement, alors qu'il aurait dû être satisfait d'avoir imposé sa
volonté, le guerrier drow ne ressentait aucun plaisir. Pire encore, il
était embarrassé, un sentiment qu'il croyait avoir oublié et qui avait
le don de le hérisser au plus haut point...


* M'énerve... M'énerve... Elle se prend pour qui, avec ses grands airs ? Pourquoi elle réagit comme ça ?! Hrumph... M'énerve ! *

Il resta un long moment assis à fixer le sol de son regard orageux,
enfermé dans un silence boudeur. Quand, finalement, il releva la tête,
se fut pour marmonner de mauvaise grâce :


- Tu peux chanter, si tu veux...

Aussitôt, comme si cette faiblesse de caractère lui avait parut
insurmontable, il tourna la tête et regarda ailleurs, menton relevé
comme s'il eût été au dernier stade de la vexation. Avant qu'elle ne
puisse lui répondre, et pour ne pas voir la tête qu'elle faisait, il
s'allongea sur le sol mou et humide qui lui faisait comme un matelas
duveteux.

Immédiatement, il se sentit dangereusement sombrer vers le sommeil.
Sourcils froncés, il tenta de se relever mais fut terrassé par la
langueur qui envahissait son corps. Il était hors de question qu'il
dorme, maintenant ! Il avait veillé toute la nuit, d'accord, mais cela
ne changeait rien. De quoi aurait-il l'air, lui, le garde du corps, si
il piquait un petit somme à côté de la donzelle qu'il était censé
protéger ?!

Malheureusement, tout ses efforts furent réduits à néant par la fatigue
de sa longue nuit blanche, et ses muscles endoloris après son combat
contre le fauve de la veille réclamaient leur part de repos. Une
soudaine brûlure lui rappela sa blessure si récente. Le bandage qui
enserrait son bras s'était un peu défait, et les trois longues balafres
qui couraient à la base de son coude s'étaient remises à saigner. Il
les avait complètement oubliées, celles-là. La dernière vision qu'il emporta avec lui dans le sommeil fut celle de ces trois marques rouges, sanglantes, qui se dessinaient sous les bandages épais...

Adria avait craint de le voir se mettre dans une rage noire mais de toute évidence, il était trop surpris pour réagir. Il finit par maugréer qu'ils avaient de la route à faire et elle haussa les épaules :

" je ne suis pas pressée, moi. J'aime bien voyager. "

Il finit toutefois par s'asseoir et fixa obstinément le sol. Après un petit moment, il lacha comme à contrecoeur qu'elle pouvait chanter. Elle lui lança un regard étonné. C'était à son tour d'être surprise, elle ne se serait jamais attendu à ça de sa part. Il s'était déjà tourné et elle ne put voir l'expression qu'il avait.

Après un instant de silence, elle opta pour une mélode douce qui ne l'empècherait pas de se reposer. Fredonnant à mi-voix, elle l'observa tandis qu'il tombait dans le sommeil. Son regard tomba sur ses bandages qui se défaisaient et elle regretta de n'avoir aucune connaissance médicale. Elle espéra que ça ne le faisait pas trop souffrir et que ça ne s'agraverait pas.

En l'absence d'Olwë et pendant que son garde du corps dormait, elle décida de retenter l'expérience du feu magique. Se levant, elle récupéra une petite bûche de bois sec et s'installa en tailleur à côté. Elle la fixa intensément et entreprit de visualiser la flamme. Comme toujours, une barrière se dressa dans son esprit pour bloquer la magie. Encore une fois, elle força, de plus en plus fort. Encore un peu...

A nouveau, elle ne vit pas le temps passer...

Un bruit la fit sursauter, la déconcentrant, mais cette fois, il n'y eu aucun déchainement magique. La buche était restée intacte, mais elle l'ignora, se levant précipitamment. Elle avait entendu un bruit dans les fourrés.

" Olwë ? " chuchota-t-elle doucement.

Mais ce ne pouvait être le loup, elle le savait. Quand il revenait, il s'installait près d'elle, il ne rodait pas ainsi. Il y eut un instant de silence, un autre craquement. La jeune fille jeta un regard au drow.

" Berg'inyon ! "

Mais il n'y avait déjà plus rien à entendre, et encore moins à voir. Elle se demanda si elle n'avait pas rêvé et, quelques secondes plus tard, Olwë revenait se coucher à ses pieds. Elle soupira : après ses mésaventures elle devenait méfiante.


[hr : à toi de voir si tu veux que ce soit une fausse alerte ou non... ^^]

Lorsque le jeune homme s'éveilla, le soleil était déjà haut dans le ciel. Emergeant soudain de sa torpeur avec un grognement irrité, le mercenaire bondit sur ses pieds et regarda autour de lui, furieux à la fois contre Adria et contre lui-même. Resserant ses bandages pour qu'ils ne tombent pas, il jeta un oeil en direction des autres.

La jeune fille était toujours assise au même endroit, son loup à ses pieds, et il sembla à Berg'inyon qu'il avait entendu sa voix l'appeler dans son sommeil. Mais, après tout, elle était visiblement parfaitement en forme, et il avait sûrement dû rêver...

- Quelle heure il est ? Siffla-t-il dans sa direction, son regard bleu remplit de colère et de frustration. Pourquoi tu ne m'a pas réveillé ?

Ses reproches n'étaient pas très justes, mais il n'avait jamais été très doué pour les relations humaines, que ce soit pour le tact ou la diplomatie. avant qu'elle n'ait eu le temps de répondre, il saisit son sabre d'une main et se remit à marcher d'un pas rageur, la forçant à se lever et à le suivre pour ne pas être distancée.

Alors qu'il accélérait l'allure, furieux de s'être endormi si facilement et d'avoir donc perdu une bonne partie de la matinée, il pestait à voix basse :

- Maintenant, on ne sera pas hors du territoire drow avant la tombée de la nuit, c'est sûr... Mais qui est-ce qui m'a fichu une gourde pareille ?!

Pour bien montrer qu'il était fâché, il se refusait à lui adresser directement toute parole. Têtu et obstiné, son côté misanthrope le faisait passer pour plus bourru et désagréable qu'il ne l'était vraiment. Ce qui était juste, en revanche, c'est qu'il possédait un caractère en acier trempé sur lequel on aurait pas fait plier une brindille, et il partait du principe que, quoi qu'il arrive, il avait toujours raison...

Pendant qu'ils marchaient, il jetait des coups d'oeil autour de lui de temps à autres. Il se sentait curieusement méfiant, comme si une partie de son subconscient tentait de l'avertir d'un danger, et il avait depuis tout à l'heure la désagréable impression d'être suivi (suivi par quelque chose de mystérieux, hein, il ne parlait pas de l'autre "idiote" qui l'accompagnait...)

* Kssss... Ca m'énerve... *

Irrité, inquiet et sur les nerfs par-dessus le marché, il ne cessait de s'agiter en regardant au-dessus de son épaule si la sylvaine le suivait bien. Pour une fois, même si il aurait préféré mourir que de l'admettre, son babillage incessant lui manquait : au moins, cela aurait eu le don de le décontracter un peu...

Comme il ne voulait pas lui pardonner si facilement de l'avoir laissé dormir (effectivement, cela valait la peine de s'énerver pour ça...), il refusait d'engager toute conversation et entretenait soigneusement un mutisme boudeur qui, décidemment, lui était habituel. Toutefois, il n'en restait pas moins sur ses gardes, prêt à réagir en cas de danger et à se battre si nécessaire...

" Quelle heure il est ? Pourquoi tu ne m'as pas réveillé ? "

Pas plus perturbée que ça par ce nouvel accès de mauvaise humeur, Adria leva les yeux vers le ciel, cherchant la position du soleil. Mais apparemment, il s'en moquait et elle se contenta de répondre doucement :

" Tu ne m'as pas demandé de te réveiller que je sache. "

Elle se leva, tandis qu'il s'enfonçait dans la végétation. Au moins, maintenant, il était en forme, même si c'était pour raler ! D'ailleurs, il ne sen privait pas :

" Maintenant, on ne sera pas hors du territoire drow avant la tombée de la nuit, c'est sûr... Mais qui est-ce qui m'a fichu une gourde pareille ?! "

Adria aurait pu s'énerver, se sentir vexée, ou encore triste, mais de ce côté là, elle était parée. Elle avait passé plus des trente dernières années de sa vie avec un couple de taverniers qui ne lui adressait la parole que pour lui aboyer des ordres. Elle avait appris à voir le bon côté des choses dans toute relation humaine. Le drow voulait se montrer désagréable ? Grand bien lui fasse, mais elle n'allait pas gâcher sa bonne humeur pour lui !

" C'est toi qui m'a proposé de jouer les mercenaires, tu te souviens ? " lui fit-elle remarquer d'un ton légèremen moqueur.

Berg'inyon regardait régulièrement derrière lui et elle commença à se demander s'il ne craignait pas d'être suivi. Mais Olwë continuait à gambader tranquillement à ses côtés donc il n'y avait probablement rien. Elle continua à se taire un petit moment, puis elle lui demanda :

" Tu vis dans les marais ? "

Elle ne savait presque rien sur les drows, si ce n'était ce qu'on lui avait dit - à savoir que c'étaient les pires créatures de toute la création. Alors elle se demandait où ils pouvaient bien tous se trouver. Pas chez les elfes, ni chez les humains, elle avait pu le constater. Le jeune homme lui avait fait remarquer qu'ils étaient encore sur son territoire, elle en avait donc plus ou moins conclu qu'ils vivaient dans le marais. Ce qu'elle n'arrivait pas à saisir, c'est ce qui pouvait pousser des gens à rester dans un lieu pareil.

" Tous les drows sont comme toi ? "

Fourbe, arrogants, cruels... On ne s'était pas géné pour lui faire une description de cette race à faire se dresser les cheveux sur la tête. Comme pour beaucoup de choses, elle avait écouté d'une oreille distraite et s'était promis de vérifier par elle-même. Ber'inyon faisait un échantillon peu convainquant : elle l'aurait plutôt qualifié de "raleur colérique avec une bonne dose de mauvaise foi ". Pour le reste... Elle se méfiait un peu, quand même, ne serait-ce parce qu'il ne lui avait toujours pas donné son prix. Comment réagirait-il quand il s'apercevrait qu'elle n'avait pas un sou ? Enfin, il avait déjà dû le comprendre, mais elle craignait qu'il ne songe tout bêtement à se rabattre sur l'amulette. Et elle avait peur de ne pas y pouvoir grand chose quand le moment serait venu. Elle ne faisait pas le poids face au drow : l'amulette devrait se défendre toute seule.

Cette dernière ne manifestait plus sa puissance. Adria la saisit un instant, essayant de percevoir sa magie, mais, pour l'instant, elle était en sommeil et elle eut beaucoup de mal à la sentir. Du coup, elle se sentit quelque peu désarmée. Le bijou avait un pouvoir aléatoire, certes, mais c'était toujours ça.

Berg'inyon continuait à maugréer pour lui-même, bien décidé à faire croire qu'il était encore fâché. En réalité, il se sentait plutôt soulagé de la voir reprendre la conversation -pas parce qu'il avait envie de lui parler, sûrement pas ! Mais cette manière qu'elle avait de rester passive quand il lui criait dessus le mettait franchement mal à l'aise. Enfin, quoi, si on ne pouvait même plus se disputer normalement !

Pensif, il continua un moment à marcher comme un automate, perdu dans un fourmillement de questions sans réponses. Comment se faisait-il qu'elle accepte tout les reproches qu'on lui faisait, si facilement, comme si c'était elle qui était prise en faute ? Quel genre de vie avait-elle bien pu mener auparavant pour en arriver à cette... cette inaction qui le rendait à la fois inquiet et furieux ? Pourquoi voulait-elle absolument se faire passer pour quelqu'un d'aussi absurdement gentil, atrocement doux et désespérément calme ?!

* Raaaah... Ca m'énerve !!! *

Non sans une certaine surprise, il remarqua que cela n'était pas la première fois qu'il se le répétait. Lui qui se fichait de tout, qui gardait un flegme et une insensibilité à toute épreuve, il ne pouvait s'empêcher de se retenir de lui foutre des beignes à chaque fois qu'elle le regardait de cet air humble et soumis.

Au moins, quand elle lui répondit, il cru déceler un brin d'ironie derrière ses paroles, ce qui en un sens le rassurait. Elle n'était donc pas cette poupée sans cervelle, sans émotions et sans aucun tempérament qu'il avait cru voir au départ...

Rassuré de cette constatation, il se surprit à penser qu'un jour, peut-être, il pourraient s'offrir une belle engueulade. Et puis titiller, provoquer et allumer la colère des autres était l'un de ses passe-temps favoris, alors il n'allait pas se gêner pour la pousser dans ses derniers retranchements jusqu'à ce qu'elle craque !

* Héhéhé... c'est tellement plus drôle, comme ça... *

Alors qu'elle était repartie sur le mode *avalanche de questions débiles*, il daigna répondre de sa voix sarcastique :

- J'ai la tête d'un type à aimer patauger dans la jungle, hein ? Bien sûr que non, petite idiote, je vis pas là ! C'est mon terrain de chasse, c'est tout...

Il détourna la tête, se préparant à la question qui allait suivre... et en resta bouche bée.

* Si tous les drows sont comme moi ? Mais... qu'est-ce qu'elle veut dire ? *

Sous le coup de la stupeur, il s'était arrêté net avant de se retourner pour lui faire face. Devait-il se sentir fier, vexé ou... insulté ?

- Hein... ? Ca veut dire quoi, exactement ? T'entends quoi par... "comme moi" ?

Il n'avait aucune idée de la réponse, mais il s'attendait plutôt à quelque chose de désagréable. Il en aurait été presque heureux, mais il ne voulait pas être assimilé à ses imbéciles de "compatriotes"...

[hrp : je serai absente ce week end]


Apparemment, elle commençait à l'énerver prodigieusement. Elle se demanda malicieusement jusqu'où il pourrait tenir, mais son bon fond reprit le dessus et elle décida de ne pas pousser trop loin. De toutes façons, elle n'avait pas besoin d'en rajouter, il s'énervait très bien tout seul !

" J'ai la tête d'un type à aimer patauger dans la jungle, hein ? Bien sûr que non, petite idiote, je vis pas là ! C'est mon terrain de chasse, c'est tout... "

Olwë grogna brièvement et elle le calma d'un geste. Elle lança au jeune homme un regard perplexe : son terrain de chasse ? Il y avait quand même plus agréable que ce marais humide. Avait-elle raté quelque chose ou était-il masochiste ? A vrai dire, la géographie de l'elfe laissait à désirer et elle était bien incapable de savoir si oui ou non, le drow avait d'autres alternatives.

Puis il s'arrêta net, l'air franchement perturbé par la dernière question qu'elle lui avait posé. Elle le dévisagea, stupéfaite : il n'y avait pas de sens caché ou de malice dans ce qu'elle avait demandé, elle peinait à croire que ça puisse tant le toucher.

" Hein... ? Ca veut dire quoi, exactement ? T'entends quoi par... "comme moi" ? "

Elle resta quelques secondes bouche bée :

" Hein ? "

Elle sentit qu'elle était sur un terrain glissant. Il s'attendait à une réponse ou à une autre, supposa-t-elle, et elle avait plutôt intérêt à ne pas se tromper. Sauf qu'elle ne voyait pas du tout de quoi il s'agissait. Bref, elle opta pour sa réaction favorite : l'honnêteté.

" Ben, j'ai entendu dire beaucoup de chose sur les drows... Mais t'es le premier que je rencontre. "

Elle ne disait pas grand chose là... Elle reprit, soutenant le regard de Berg'inyon :

" On m'avait dit tout un tas de truc désagréables. Moi, ce que je constate, c'est que ton trait principal de caractère c'est une grosse difficulté dans les relations humaines. Tu râles, tu râles... Tu te complais dans ton attitude désagréable. Alors bon, je me demandais si tous les drows jouaient les asociaux ? C'est pour te protéger de quoi cette attitude ? "

Elle se mordit les lèvres, prenant conscience de ce qu'elle venait de dire. Là, elle était allée beaucoup trop loin. Seulement, quand elle était lancée, c'était toujours difficile de l'arrêter et ça lui valait en général pas mal de problèmes. Elle se demanda un instant s'il allait la découper en petite rondelles. Des rondelles très fines, vu ce qu'elle venait de lui balancer. Elle n'avait pas voulu se montrer désagréable, c'était juste que chez elle la franchise était une seconde nature.

Elle attendit la réaction du jeune homme, l'air indécis.

Berg'inyon resta un moment immobile, sans réaction, les yeux aussi vides d'émotion que ceux d'une statue de marbre. Visiblement, il avait très bien compris tout ce qu'elle lui avait dit, mais on ne pouvait dire si il était vraiment sous le choc ou si il feignait de l'être. Pendant plusieurs secondes, il soutint le regard de la jeune fille, sans ciller.

Soudain, il se retourna d'un bloc et reprit sa marche. Rien dans son attitude n'aurait pu donner le moindre indice sur ses pensées, et il faisait preuve d'un calme et d'un mutisme presque effrayant. Son maintien était raide, saccadé, et comme il restait dos à la demoiselle, celle-ci ne pouvait voir l'expression de son visage.

Ils firent quelques dizaines de mètres en silence, uniquement absorbés par le bruit de leurs sandales sur le chemin, jusqu'à ce que le mercenaire ne reprenne la parole d'un ton étonnement doux, le regard fixé bien droit devant lui :

- Si tu as mal aux pieds, on peut faire une pause...

Elle ne pouvait pas le savoir, mais la réponse qu'elle lui avait donné était... comment dire... Eh bien, ce n'était pas la bonne, mais c'était celle qu'il attendait. A ce genre de question il ne peut y avoir de bonne réponse, en tout cas pas sans mensonges. En fait, on pourrait même dire qu'elle avait donné la réponse qu'il fallait ; et, en un sens, il lui en était reconnaissant.

Lui qui était habitué à inspirer la crainte, la méfiance et la haine, il ressentait une impression étrange devant cette gamine si naïve qui le considérait presque comme... comme quelqu'un d'égal. Elle lui avait parlé franchement de ses défauts, de certaines de ses faiblesses, mais elle semblait vraiment chercher... à le comprendre, à s'intéresser à lui. Elle ne lui avait reproché ni la cruauté, ni le sadisme de son peuple et, il devait le reconnaître, c'était bien la première fois.

Et elle n'hésitait pas à s'opposer à lui, sans craintes, comme si c'était une chose normale ! Il lisait bien dans ses yeux qu'elle lui faisait autant confiance qu'à n'importe quel autre elfe sylvain, et si il lui avait posé une question du genre : " Tu n'as pas peur que je t'égorge en pleine nuit pour récupérer ton amulette ?", elle n'aurait probablement même pas compris...

Si elle avait pu voir son expression, elle aurait sans doute été surprise de le voir sourire. Ironiquement, certe, mais c'était déjà ça...

La réaction violente, colérique, qu'Adria attendait ne vint pas. On aurait dit que Berg'inyon bloquait. Il soutint son regard un bon moment et elle ne sut que penser. Décidément, si elle le déroutait, c'était réciproque ! Ils restèrent là à se regarder un petit moment, durant lequel elle essaya désespérément de savoir ce qui allait suivre.

Puis il se retourna, d'un coup, sans un mot. Et il se remit à marcher. Machinalement, elle le suivit ne sachant comment réagir. Elle s'était attendu à une réaction vexée, étonnée, fachée ou peut-être méprisante, mais ça... En fait, c'était tout à fait différent de la façon dont, elle, à sa place, aurait réagit. Faire comme si de rien n'était, ce n'était pas son truc. Ne pas s'énerver, oui, mais alors, elle souriait franchement. Quoique c'était peut-être ce qu'il faisait, vu qu'elle ne le voyait que de dos.

Une dizaine de mètres plus loin, alors qu'elle commençait sérieusement à s'inquiéter de son mutisme, il rompit le silence. Stupéfaite, elle remarqua que son ton avait changé. Elle eut un petit sourire timide :

" Non, merci, ça va. "

Elle hésita. Ne pas parler, comme ça, ça commençait à la rendre nerveuse. Seulement, elle ne voyait pas vraiment comment engager la conversation. Elle aurait pu accepter la pause, au moins, il aurait bien été forcé de la regarder face à face, mais elle ne voulait pas abuser. Autant dans les marais elle peinait sur le sol instable, autant là, elle se retrouvait dans son élément et elle suivait sans peine.

Ils continuèrent à marcher un moment en silence. Puis la jeune fille ne put s'empècher de se remettre à chantonner. Jusqu'à ce qu'une idée lui vienne. Elle rattrapa Berg'inyon et, une fois à son niveau, lui demanda :

" Tu connais des chansons ? "

Question sans rapport avec ce qui venait de se passer précédemment, mais elle avait besoin de renouer un minimum le contact et puis elle ne connaissait pas de chanson drow, pour autant que les drows en aient. Comme la plupart des personnes, il y avait de fortes chances pour qu'il réponde un simple "non", mais elle voulait essayer. En général, les gens refusaient d'ouvrir la bouche sous prétexte que de toutes façons ils ne savaient pas chanter. Elle, elle ne s'était jamais posé la question, ce qui comptait c'était le plaisir de chanter, pas la performance.

C'est une fraction de seconde après avoir posé la question qu'elle réalisa que c'était plutôt hors de propos, surtout après la conversation qu'ils venaient d'avoir. Enfin, maintenant, elle n'y pouvait plus grand chose, et puis, même s'il l'envoyait promener, elle aurait au moins essayé de faire quelque chose pour briser un peu le silence.

Berg'inyon, surpris, ne sut d'abord quoi répondre. Pris au dépourvu, il la regarda fixement, une lueur à la fois surprise et amusée au fond de ses yeux bleus, avant de hausser finalement un sourcil, perplexe.

- Tu es toujours aussi inconstante ou c'est juste avec moi ?

Sauter du coq à l'âne comme ça, c'était une drôle de manière d'engager la conversation mais, après tout, si elle y tenait...
En même temps, il ne savait pas trop quoi lui dire ; les chansons drows étaient... et bien... toutes chantées en drow, justement, et il doutait que l'apprentissage de la langue des Sombres fasse partie des talents cachés de sa jeune accompagnatrice. De plus, la plupart de ces récits traitaient de guerres entre Maisons, d'expéditions à la surface, voire carrément de massacres de sylvains...

- J'en connais deux ou trois... Répondit-il en haussant les épaules. Mais je ne crois pas qu'elles te plairont.

Ils poursuivirent leur route en silence, chacun plongé dans ses pensées, jusqu'à ce que le drow ne réengage la conversation :

- Il y en a bien une qui pourrait t'intéresser, mais officiellement elle ne fait pas partie des chansons de mon peuple...

Cette chanson, la plupart des jeunes drows l'avaient entendu au moins une fois. C'était une chose étrange que la curiosité face à l'interdit, et le fait que ce chant ait justement été radié du palmarès des chansons drows n'avait fait qu'augmenter sa popularité parmis les nouvelles générations. A force de menacer quiconque oserait la chanter, ou même la fredonner en public, les Matrones avaient réussi à donner à cette composition d'auteur inconnu une dimension presque surnaturelle. C'était le chant interdit, celui qu'on ne pouvait s'empêcher de chercher, ne serait-ce que pour savoir ce qui justifiait un tel tollé...

- Je vais essayer de te traduire les paroles en elfique, mais tu risques de perdre une bonne partir de la beauté de l'oeuvre originale... C'est une très vieille chanson d'amour, dont le compositeur n'a jamais été identifié. On l'appelle l'Elégie des Amants Oubliés, et il est formellement interdit à quiconque d'en faire mention. D'après les plus hautes autorités, cette chanson n'existe pas...

Son regard se perdit dans le vague, il ralentit légèrement l'allure et, doucement, se mit à chanter :


La mélodie était simple, pure, et elle éveillait d'étranges sentiments au coeur de ceux qui l'écoutaient. Il est probable que le barde qui ait osé un jour chanter cette hérésie devant une prêtresse n'ait été sacrifié, mais la beauté des paroles et la force des sentiments n'en demeuraient pas moins.

Une fois que les dernières paroles eurent été emportées par le vent des plaines, le mercenaire esquissa un sourire amer :

- J'imagine que tu devines pourquoi cette chanson a été interdite...

[hrp : jolie chanson ! :)]


Apparemment, elle l'avait surpris, et étonnamment, amusé. Inconstante, elle ? Hum... Peut-être ! Sans doute, d'une certaine façon. Elle avait tellement dû s'habituer à s'adapter à tout et n'importe quoi ! Plus elle rebondissait vite, mieux elle s'en sortait. Alors, oui, peut-être que son comportement déroutait, mais il avait le mérite de toujours maintenir le contact et de lui éviter la solitude. Elle haussa les épaules en souriant.

" Tu es plutôt étrange toi aussi ! "

C'était dit gentiment, sous-entendu que c'était dans le sens positif.
Il n'essaya pas de se défiler, en tous cas pas avec un prétexte habituel. Mais elle devait reconnaitre qu'il y avait peu de chance pour que les chansons drows ne lui plaisent. Et pourtant... Il devait bien en avoir des jolies, mélodieuses, non ? Après tout, elle ne parlait pas cette langue, l'air lui suffirait. Quoique répéter une chanson phonétiquement n'était pas forcément une bonne idée, surtout lorsqu'on n'avait pas la moindre idée du sens.

Finalement, après un temps de silence, il reprit la parole. Une chanson non officielle ? que pouvait-elle bien avoir de si particulier ? Elle attendit, attentive. " L'élégie des amants oubliés ". Rien que le nom la faisait rêver. Elle aimait beaucoup les chansons d'amour. Quand elle travaillait à la taverne, elle trouvait toujours le moyen d'en glisser dans son répertoire, entre deux chansons à boire. Non pas qu'elle n'aimait pas ces dernières, mais elle préférait de loin les mélodies complexes et, quand on chante "buvons un verre", c'est rare que la subtilité musicale soit au rendez-vous. Et encore, elle avait de la chance : les tavernes elfiques étaient de loin plus délicates que celles des humains ou encore des nains !

Merethyl et Tallion... Adria se laissa emporter par la mélodie. Elle connaissait de nombreuse chansons elfiques, toutes plus jolies les unes que les autres, mais celle-ci était différente. Pas seulement parce qu'elle était drow, mais, d'une certaine façon, elle envoutait. Même une fois traduite, la force des sentiments évoqués restait présente, portée par la musique.

La voix de Berg'inyon se tut. pour une fois, la jeune fille n'eut pas envie de renchérir, juste de rester imprégnée par la chanson. C'était tellement triste. Deux êtres que tout sépare : un thème classique, certes, mais toujours aussi dramatique.

Si elle devinait pourquoi la chanson avait été interdite ? Oui, bien sur, elle acquiesça en silence. En fait, en y repensant, elle se souvenait d'une discussion avec le ménestrel avec lequel elle avait vécu un temps. Il avait évoqué une chanson semblable, une fois, sans toutefois lui apprendre ni même la fredonner. Il y avait, disait-il des airs qu'il fallait mieux oublier. Elle n'avait pas insisté en ce temps là, ça ne lui avait pas paru important. Maintenant, elle se demandait s'il s'agissait de la même chanson ou de sa jumelle...

Elle soupira : pourquoi leurs peuples s'obstinaient dans leur opposition ? Pourquoi tant de haine ? Etaient-ils devenus si différents ?

" Je ne comprends pas comment nos peuples ont pu en arriver là. Je veux dire, nous formions une seule et unique race à une époque. "

Elle n'en savait pas tellement plus, en réalité, car non seulement ses connaissances en histoire étaient pécaires mais en plus les siens évitaient le sujet. Elle se doutait que Berg'inyon était probablement la seule personne avec laquelle elle pouvait avoir une telle conversation. Jamais elle n'aurait osé lancer un sujet pareil avec les siens. Et vu la réaction des drows devant cette chanson, ils ne valaient guère mieux. Elle secoua la tête, pensive. Un beau gachis...

" En tous cas, c'était vraiment joli. Triste et... troublant. "

Berg'ynion, flatté, prit ç acomme un compliment (et c'en était un, d'ailleurs...). Bien sûr qu'il était étrange ! Il n'y avait rien de mal à ça, surtout venant de la part d'une fille aussi zarb' qu'elle. Dans la catégorie "anormale", elle en tenait une couche, elle aussi, et c'était peut-être pour ça qu'ils arrivaient à se supporter mutuellement. Pour sa part, en dehors du fait qu'il était mercenaire et qu'elle l'avait embauchée pour lui servir de garde du corps, il devait bien reconnaître qu'il la trouvait de plus en plus sympathique. Même si elle parlait tout le temps...

- Tant mieux si ça te plaît, lança-t-il en haussant les épaules. Le sentimentalisme, les histoires d'amour et tout, c'est pas mon truc, mais je reconnaît que celle-ci est différente des autres...

Il sourit avec son habituelle suffisance, et ce fut avec une certaine dose de cynisme qu'il ajouta :

- Comme c'est dit dans la chanson, ils ont été touchés par le sortilège d'un mage et ils se sont chagés en statues. A ce qu'on raconte, ils demeureraient toujours là-bas, quelque part dans les souterrains, là où on les as laissés. Ils attendent probablement la fin de la guerre, et dans ce cas ils peuvent y rester encore un bout de temps...

Ils s'accordaient apparemment sur certaines idées, dont leur opinion commune concernant l'absurdité de cette guerre. Non pas que Berg'inyon ne prit en pitié les "rivvils", loin de là, mais il la trouvait bête et inutile. N'aimant rien de bête et d'inutile, il ne pouvait que désapprouver ce ridicule étalage de violence, de haine et d'orgueil. C'était aussi -en partie seulement- pour cette raison qu'il avait quitté les siens, il y a bien longtemps. Quand on faisait cavalier seul, on était pas très bien vu chez les autres drows, encore moins si on nourrissait des idées trop... nouvelles... et si on alimentait une fierté personnelle assez poussée pour refuser toute domination autre que soi-même.

Après un instant de silence, il lança non sans une certaine malice :

- Je te l'apprendrais, si tu veux. Mais j'ai chanté, doncc'est à ton tour, maintenant. N'oublie pas que je suis un mercenaire, alors n'as-tu rien à m'offrir en échange ?

Berg'inyon qui faisait de l'humour ? C'était nouveau ça ! Et fort agréable, il y gagnait à abandonner son air froid. Elle sourit, enthousiaste :

" Je l'apprendrais volontiers ! Quand au fait que tu sois un mercenaire... C'est la première fois que j'en vois un qui veut se faire payer en chansons ! "

Elle eut un rire clair et se mit à chercher un air qui ferait le pendant avec la chanson que venait de chanter le drow. Rien ne lui vint et elle se demanda tout à coup si elle ne pouvait en inventer une. Ca faisait des années qu'elle n'avait rien composé. Elle ne s'était jamais trouvée très douée pour cela et elle hésita.

" Je vais essayer d'en composer une, sur les débuts de nos peuples, quand ils se sont séparés... "

Elle réfléchit quelques secondes, se mit à fredonner un air. Une mélodie à la fois triste et entrainante, pas trop rapide cependant, pour avoir le loisir d'improviser... Le temps de rassembler quelque idées et les rimes adéquates...

" Au delà de la peine,
leurs coeurs enflammés
et emplis de haine,
ils se sont dressés.

Le dialogue s'achève,
reste un seul chemin.
Au devant : pas de trève,
ils se font assassins. "

Elle fit une légère pause, le temps de trouver une rime récalcitrate et reprit doucement :

" Pour défendre une cause
qu'ils croient légitime,
c'est leurs frères qu'ils osent
désigner comme victime.

Et chacun, emporté,
devra choisir son camp.
Amis, amants, ont été,
étrangers maintenant.

Tout lien, abandonné,
et renié avec soin,
ils se sont oubliés,
perdus dans le lointain. "

Nouvelle hésitation, elle continua cependant :

" Seule resta une chanson
qui raconte l'histoire
de Merethyl et Tallion
à jamais dans le noir.

A ce jour, déchirés,
Ces deux peuples en souffrance
se tiennent éloignés,
cultivent leurs différences.

Et les jours ont passé.
On dit que le temps aide
mais il creuse un fossé,
les combats se succèdent. "

Avec un petit sourire espiègle, elle conclut :

" Dans un marais, pourtant,
une lueur d'espoir :
s'il peut la supporter,
tout n'est donc pas si noir ! "

Elle se tut, repassant ce qu'elle venait de chanter silencieusement. Décidément, elle ne serait jamais satisfaite de ce qu'elle créait : si l'air était joli, les paroles laissaient à désirer. Elle lui fit un sourire navré :

" J'aurais besoin d'entrainement je crois... "

Elle jeta un coup d'oeil à Olwë qui dressait les oreilles à chacune de leurs chansons. Il avait l'air de s'être habitué à Berg'inyon. Il semblait s'être remis de ses mésaventures avec le cogiath et recommençait gambader autour de la jeune fille. Cette dernière lui sourit : c'était tout de même plu simple pour elle de ne pas avoir à le surveiller sans cesse pour qu'il ne s'en prenne pas au drow.

Berg'inyon, agréablement surpris, secoua la tête :

- Je m'attendais à pire, lâcha-t-il avec son tact habituel.

Pourtant, de sa part, cela sonnait comme un compliment. Elle se débrouillait plutôt pas mal, et il se savait en tout cas incapable de composer quoi que ce soit, que ce soit sous le coup de l'improvisation ou après des heures de mûre réflexion. Après tout, ça n'était pas plus mal : elle avait besoin de lui pour la protéger, et il lui laissait le soin de s'occuper de rendre leur voyage plus agréable...

Il sourit, amusé. Finalement, c'était plutôt une bonne idée que de voyager en compagnie d'une bardesse, même aussi pipelette que celle-ci. Elle était bien utile pour le distraire, et il trouvait en fait assez agréable de pouvoir discuter avec quelqu'un d'intelligent et d'ouvert. Toutefois, il se garda bien de lui dire : qui sait, elle pourrait avoir la mauvaise idée de prendre ça comme une marque d'attachement de sa part !

- Si par "il peut la supporter", tu fais référence à moi, lança le drow avec amusement, je ne répondrais pas par peur d'être désobligeant...

Cette réponse était, bien sûr, précisemment désobligeante, mais elle sonnait plus comme une boutade que comme un reproche sérieux. Néanmois, il fut le premier surpris en s'apercevant qu'il n'était plus fâché ; d'habitude, il aurait encore été désagréable pendant des heures, mais il avait suffit de quelques minutes à la jeune fille pour lui faire oublier sa résolution de garder le silence et de l'ignorer.

En plus, le loup-caméléon qui collait aux basques de sa maîtresse comme un toutou bien dressé semblait s'être plus ou moins habitué à sa présence, ce qui soulageait Berg'inyon d'une préoccupation : celle de devoir voyager avec un animal sauvage qui, visiblement, n'attendait que la première occasion pour lui sauter à la gorge...

Il s'attendait à pire ? Elle pouffa de rire. Décidément, il avait un don pour se montrer aimable. Mais elle était de bonne humeur, et elle choisit de considérer la réponse comme un compliment. D'ailleurs, en le regardant, c'en était peut-être un...

" Tu as peur d'être désobligeant maintenant ? lui lança-t-ele en riant. Attention, tu perds la main ! elle secoua la tête et ajouta, pensive : Bah ! Tu t'en sors pas trop mal, certains ont craqué bien plus vite que toi ! "

En fait, elle s'étonnait même qu'il ne l'ai pas plantée là depuis longtemps. A moins d'avoir spontanément un bon caractère, elle tapait vite sur les nerfs, elle le savait. Alors comme elle ne pouvait qualifier le drow de parfait boute-en-train, elle était plutôt surprise. En même temps, il faisait son travail. Elle espérait juste qu'il ne lui demanderait pas une somme exorbitante pour avoir pris la peine de la suporter.

Ils continuèrent à avancer un moment et elle fredonna l'air de "l'élégie des amants oubliés". Elle ne se souvenait plus des paroles, mais la mélodie lui était restée. Puis elle s'arrèta en s'exclamant :

" Il serait temps de faire une pause, non ? Il doit être midi passé. Je commence à avoir une petite faim. "

Sa remarque était due en bonne partie à un buisson de mures qui se dressait là. Il ne restait plus grand chose, au début de lhiver, mais il y avait tout de même suffisamment de fruits pour combler son petit appétit. Après, elle pourrait toujours compléter avec autre chose. De toutes façons, ce serait toujours mieux que du lapin rôti. Quand elle pensait qu'elle y avait gouté ! Son estomac se soulevait à ce seul souvenir. Et dire que certaines personnes mangeaient de la viande tous les jours ! Elle se rappela aussi l'expression de Berg'inyon quand elle lui avait proposé de la salade et lui demanda :

" Tu ne manges pas de plante ? Seulement de la... viande ? " elle avait dit ce dernier mot avec un certain dégout bien qu'elle ne veuille pas blesser le drow. Chacun ses goûts, après tout, elle avait l'esprit assez ouvert pour ça. Mais elle était curieuse de savoir si on pouvait se passer de légumes et autres végétaux.

Berg'inyon commençait à avoir sérieusement la dalle, lui aussi, et il accéda donc de bonne grâce à la demande de la demoiselle. Lui n'avait rien mangé depuis la veille (elle lui avait bien proposé un peu de sa salade, mais rien que l'idée lui soulevait le coeur), et il était maintenant affamé ; en plus, faire une petite pause après des heures de marche ne leur ferait pas de mal...

Tandis qu'ils s'arrêtaient et posaient leurs sacoches, le drow leva les yeux vers le soleil, fronça des sourcils, cligna ses paupières pour protéger ses prunelles de l'éclat aveuglant et lança :

- Il est midi largement passé !

Suivant le regard affamé de la jeune fille, il avisa le buisson chargé de fruits et pinca les lèvres avec une moue écoeurée.

- Non, je ne mange pas que de la viande, mais... Tu vas vraiment manger ça ?

Ce n'étaient pas les mûres en elles-même qui le dégoutaient. Contrairement aux légumes (et surtout à la salade), il aimait bien les fruits, surtout ceux, sauvages, que l'on trouvait au beau milieu de la nature. Quand on voyageait beaucoup et qu'on allait dans des endroits aussi reculés, il ne s'agissait pas de faire le difficile !

Non, ce qui le dérangeait, ce n'étaient pas les mûres, mais c'était leur état. A traîner comme ça en plein soleil, à la merci des oiseaux, des animaux et autres, elles ne devaient plus être vraiment mangeables...
Il s'approcha du buisson, sembla chercher par terre quelque chose de particulier et s'accroupit soudain. Il observa un moment sa trouvaille, se redressa et commença à s'éloigner d'un pas tranquille.

Il revint au bon d'une dizaine de minutes, son outre remplie d'eau et un sourire satisfait sur les lèvres.

- Il y a un petit cours d'eau, là-bas, lança-t-il à l'intention de sa compagne. Si j'étais toi, j'irai laver ces cochonneries avant de les manger, sauf si tu cherches à t'empoisonner à tout prix...

Il haussa les épaules d'un air dégagé et expliqua :

- J'ai trouvé des traces d'un petit animal qui a volé quelques mûres à ton buisson. Comme ces fruits sont assez sucrés, j'ai supposé qu'il ressentirait ensuite le besoin de se désaltérer un peu, et j'ai suivi la piste jusqu'au ruisseau. On va rester ici le temps des plus chaudes heures de la journée, mais même après le soleil risque d'être quand même une gêne. Tu devrais en profiter pour aller boire un coup et remplir ta gourde avant qu'on ne reparte...

Adria jeta un regard intrigué à Berg'inyon. Il avait l'air gèné par le soleil. Pour elle, au contraire, il était source d'énergie. Maintenant qu'elle y pensait, elle avait entendu dire que les drows n'appréciaent pas ses rayons...

" Non, je ne mange pas que de la viande, mais... Tu vas vraiment manger ça ? "

Elle haussa les épaules : bien sur que oui ! Toutes n'étaient peut-être pas appétissantes, ni même comestibles, et elle n'était pas sure de tirer grand chose de ce buisson, mais s'était déjà ça. Cependant, avant de s'occuper de son repas, elle observa, perplexe, le jeune homme. Que pouvait-il bien faire accroupi ainsi ? Elle supposa qu'il cherchait la piste d'un pauvre animal à chasser et elle le laissa s'éloigner.

Avant de s'occuper des mures, elle allait essayer de complèter un peu le repas. Elle n'eut que quelques pas à faire pour trouver des racines comestibles et lorsqu'il revint avec de l'eau elle était occupée à les déterrer proprement avec sa dague. Elle enchaina sur la récolte de mures et acquiesça quand il parla d'aller les laver. De toutes façons, il fallait qu'elle passe par cette étape pour les racines. Elle l'écouta expliquer comment il avait trouvé la source et s'éloigna pour laver son repas.

Quand elle revint, quelques minutes plus tard, Olwë en profita pour s'éclipser à son tour. Elle s'installa sur une souche, à l'ombre, et entreprit de manger.

" Je suppose que tu n'en veux pas... "

Elle se rappela la recommandation à propos de la gourde et ajouta :

" Et je n'ai pas de gourde... Il y a des ruisseaux partout en forêt, je n'en ai pas vraiment besoin... "

C'était vrai qu'elle ne s'en était jamais préoccupé. Quand elle avait soif, elle cherchait un cours d'eau, nombreux dans la forêt Anaëh. Peut-être il y en avait il moins ici, mais elle n'avait pas encore eu l'occasion de s'en inquiéter. A vrai dire, elle avait tendance à s'occuper des problèmes quand elle avait mis les deux pieds dedans et pas avant...

Il avait parlé de rester pour les heures les plus chaudes de la journée. On était au début de l'hiver et elle trouvait que la chaleur n'avait rien d'exceptionnelle. D'ailleurs, elle en profita pour quitter la zone d'ombre, abandonner sa cape, et aller s'installer au soleil. Autant en profiter ! Elle se tourna vers Berg'inyon et demanda :

" C'est bien, comme métier, mercenaire ? Tu fais quoi exactement ? "

Plutôt curieuse, elle se demandait qui pouvait bien acheter ses services. S'il tenait à une certaine discrétion vis à vis de ses clients, il avait intérèt à le lui dire car elle n'avait pas franchement cette notion.

" Ca fait longtemps que tu fais ce métier ? " continua-t-elle en s'allongeant tranquillement sur l'herbe.

Berg'inyon haussa les épaules, amusé, et répondit :

- Oh, pas mal de choses... La plupart du temps, on me paye pour tuer quelqu'un, ou simplement pour aller me battre au nom de tel ou tel seigneur. D'autres fois, je dois protéger une personne en particulier -comme maintenant- voire un objet précieux. En fait, un mercenaire est comme un homme à tout faire, dans la mesure où, en me payant bien, on peut me demander n'importe quoi qui nécessité la force. Piéger, menacer, extorquer, tabasser quelqu'un, ou pire -mais je t'épargnerai les détails du reste.

Il avait parlé avec beaucoup de franchise, assez curieux de voir quelle serait sa réaction face à cette réalité à laquelle il la confrontait. Oui, il avait déjà menacé, toturé et tué des gens (parfois même dans une seule journée). Oui, il avait enlevé des "rivvils" de son peuple pour le compte de marchands d'esclaves drows bien que cela, il ne l'aie pas mentionné. Quand on offrait ses services à qui les voulait, il fallait s'attendre à se voir confier de sales boulots ; et Berg'inyon remplissait -souvent- son contrat, pas avec plaisir, mais avec une certaine efficacité.

Il avait acquis au fil des ans une réputation plutôt solide dans sa branche, et après tout c'est là où il était le meilleur. N'ayant jamais appris de métier convenable, il s'était rabattu sur le plus accessible, le plus simple et celui qui correspondait le mieux à son tempérament ; lui ne voyait aucun mal à ça, mais il comprenait que son mode de vie puisse choquer...

- En fait, j'ai commencé il y a une vingtaine d'années. Je me battait déjà avant, mais j'étais plus explorateur qu'aventurier. Malheureusement, découvrir de vieux temples, ça paye mal, alors j'ai simplement cherché à me reconvertir, et voilà...

Il la regarda s'allonger au soleil avec une incompréhension amusée. Pour le peuple drow, habitué à la froideur des souterrains ténébreux, le soleil était un ennemi à éviter : sa chaleur vous étouffait, et son éclat brûlait les yeux...

Il sortit de son sac quelques lanières de viande froide qui constituaient les restes du second lapin. Elle n'avait pas voulu le manger, alors autant ne pas gâcher de la bonne nourriture ; en plus, avec un peu de sel, c'était délicieux.

Tout en mangeant, il l'interrogea à son tour :

- Et toi, d'où est-ce que tu viens ? C'est quoi, ton boulot, à part chanter pour les mercenaires et préparer des salades ?

Adria l'écouta, pensive. L'idée même de tuer quelqu'un lui semblait parfaitement absurde. Aller se battre au nom d'un autre également. En revanche, la protection, elle comprenait. Et tout ça pour de l'argent ? Elle se rappella l'expression "vendre son âme au Diable" et se demanda jusqu'où il serait prèt à aller pour de l'argent.

" En somme, tu places l'argent au dessus de tout ? "

En même temps elle se disait qu'il devait bien avoir des raisons pour en arriver là. Elle même avait eu la chance de toujours manger à sa faim et, la plupart du temps, elle avait eu un toit où dormir. Mais... si ça n'avait pas été le cas ? Aurait-elle été capable de tuer pour un peu d'argent ? A vrai dire, elle en doutait, mais préférait ne pas se prononcer sur la question. On ne savait jamais comment on réagirait dans certaines situations. Mais il avait dit que c'était un choix, alors elle ne se faisait pas trop d'illusion.

Elle se releva sur les coudes et le dévisagea :

" Donc, quand je t'aurai payé pour m'avoir protégée, tu pourrais aussi bien me tuer parce que quelqu'un d'autre t'aura payé pour ça ? elle fit une pause et ajouta, ne lui laissant pas le temps de répondre à une question qui n'en était pas vraiment une : " la vie doit être simple quand on ne se pose pas trop de question... "

Elle se rallongea tout à fait, pliant ses bras sous sa tête, tandis qu'il sortait de quoi manger. D'une certaine façon, il avait commencé comme elle, en voulant jouer les explorateurs...
Quand il lui demanda ce qu'elle même faisait en évoquant la préparation de salade, elle se mit à rire de bon coeur :

" Je n'ai pas vraiment de travail à vrai dire. J'ai décidé il n'y a pas très longtemps de faire aventurière, histoire de voir du pays. Avant... " elle n'était pas trop sure d'avoir envie d'en parler, mais elle continua :
" J'ai fait pas mal de métiers différents. Le dernier, c'était serveuse et chanteuse dans une auberge... Mais j'ai laissé tomber... elle hésita à nouveau. Pour être franche, j'ai été virée, l'aubergiste n'a pas apprécié la présence d'Olwë. "

Le loup qui revenait de sa promenade leva la tête en entendant son nom et vint se coucher près de la jeune fille.

" En fait, je ne sais pas trop ce que je vais faire... "

A vrai dire elle était même franchement perdue. Paradoxalement, si elle avait toujours réussi à s'en sortir plutôt bien, elle n'était jamais parvenue à avoir une vie stable. Elle se retrouvait avec soixante quinze ans de vie en petits morceaux disparates qui ne lui avaient procuré ni famille, ni ami à long terme. Mis à part Olwë, elle n'avait aucun lien avec rien. aussi, elle avait prit l'habitude de ne pas y penser. Aller de l'avant sans se poser de question était bien plus simple.

Le mercenaire demeura un instant stupéfait, ne sachant quoi répondre. Il ne s'attendait pas à ce qu'elle lui pose ce genre de question, et il avait la vague impression, sans trop savoir pourquoi, de lui avoir fait de la peine. Ordinairement, il ne s'en serait pas franchement soucié, mais là...
Peut-être était-ce parce qu'il savait qu'ils allaient encore passer plusieurs jours ensemble, et qu'il voulait que leurs relations restent à un stade relativement supportable, ou peut-être était-ce parce qu'il l'avait déjà trop laissée s'approcher de lui pour pouvoir rester totalement indifférent...

Il l'écouta parler d'une oreille attentive mais absente. Intérieurement, il réfléchissait à ce qu'elle venait de lui balancer en travers de la figure, et qui n'était pas tout à fait injustifié.

- L'argent, c'est la seule chose fiable dans ce bas-monde ! Lança-t-il avec un cynisme volontairement exacerbé. Si tu as l'argent, alors tu possède tout le reste !

Il secoua ses cheveux gris-argent et reprit son habituelle expression moqueuse, goguenarde, comme s'il cherchait à se réfudier derrière son éternelle arrogance.

- Si on me paye suffisemment pour ça, et bien oui, je le ferais ! Mais de toute façon, ne t'inquiète pas, tu n'est pas assez importante pour que quiconque veuille te tuer !

Il avait lâché ces mots avec violence, d'un ton étonnament agressif et extrêmement désagréable. Qu'est-ce qu'elle s'imaginait ?! Elle pensait que ça y est, parce qu'ils avaient passés quelques heures ensembles, elle comptait à ses yeux ? La vérité, c'est qu'il n'appréciait personne, ne supportait personne, et ce uniquement parce qu'il voulait que les choses soient ainsi !

Si seulement les choses devaient toujours être aussi simples...

Adria ne s'attendait pas à ce que Berg'inyon réagisse aussi violemment :

" L'argent, c'est la seule chose fiable dans ce bas-monde ! Si tu as l'argent, alors tu possèdes tout le reste ! "

Surprise, elle se releva sur ses coudes et, à nouveau le dévisagea, tandis qu'il continuait avec agressivité :

" Si on me paye suffisamment pour ça, et bien oui, je le ferais ! "

Pourquoi avait-il besoin de l'exprimer aussi violemment si ça coulait de source ? Elle le laissa continuer, l'air impassible.

" Mais de toute façon, ne t'inquiète pas, tu n'es pas assez importante pour que quiconque veuille te tuer ! "

Elle écarquilla les yeux et... se mit à rire légèrement. Il avait parfaitement raison sur ce point, et, à vrai dire, c'était d'ailleurs la raison pour laquelle le sujet ne l'inquiétait pas vraiment. Effectivement, la question ne se poserait pas, et dit comme ça, l'idée lui paraissait plutôt comique. Seulement, pour le reste, elle n'était pas d'accord. Elle se calma et secoua la tête, à nouveau sérieuse.

" L'argent ne fait pas tout. Je ne dis pas qu'il est inutile, non, mais regarde : toi, tu cours après ; moi, je n'en ai pas et ça me laisse indifférente. Tu peux me dire ce que ça change ? Tu as vraiment l'impression d'être plus heureux ? "

Elle ne savait pas si elle, elle baignait dans le bonheur, mais elle ne s'estimait pas malheureuse, loin de là. Quand à lui, elle le trouvait plutôt perturbé pour quelqu'un qui disait à avoir des principes de vie aussi simples à suivre. Elle se rallongea et continua :

" Si l'argent faisait tout, les riches nobles seraient les plus heureux du monde... Peut-être que toi, tu rêves d'être à leur place, à minauder dans des dentelles, mais personnellement, je suis bien où je suis !

Elle lui lança un regard narquois et ajouta :

" Quand au fait d'être capable de me tuer si on te le demande, inutile de le crier si fort si tu en es tellement convaincu. "

Oui, d'une certaine façon, il lui avait fait de la peine. En même temps, elle s'y attendait. Elle savait que la vie n'était pas rose, mais elle voulait la voir ainsi. C'était mieux que de broyer du noir vu que de toutes façons, elle n'y pouvait rien changer. S'il se complaisait dans sa froideur, ça le regardait.

Elle se retourna vers Olwë qui s'était dressé, appréciant peu que Berg'inyon élève la voix contre elle.

" Ça va, Olwë, c'est rien... "

Elle le caressa doucement pour l'apaiser. Vu l'état d'énervement du drow, il ne manquerait plus que de les voir s'opposer !

Qu'on ne puisse croire qu'en l'argent était pour elle une aberration. Elle avait toujours vécu plus ou moins sans et, à vrai dire, elle ne voyait pas le rapport avec le bonheur. Pour elle, c'était plutôt indépendant. Bien sympathique d'avoir quelques sous à dépenser au besoin, mais ça s'arrêtait là. Non, ce qui avait de l'importance, c'étaient les liens humains. Sans personne sur qui compter, la vie était bien vide, et tellement triste!

Furieux qu'elle emploie contre lui de tels arguments (et d'autant plus furieux que tout ces arguments avaient en eux une certaine part de vérité), le drow lâcha d'un ton sec et cassant :

- Oui, j'en suis convaincu, et je le crie aussi fort que je veux !

Vexé, il tourna la tête et lança un regard meurtrier en direction du loup qui s'agitait.

- Retient ta sale bête, lança-t-il d'un ton qui se voulait menaçant (et qui était, en fait, plutôt bien réussi), ou j'en fait le dîner de ce soir...

Il frappa du poing sur le sol avec colère et se leva raidement pour jeter avec autorité :

- On y va !

Il était comme ça. Emporté, colérique, et atrocement énervant. Quoi qu'il arrive, il ne pouvait accepter l'idée même d'avoir tort, peut-être parce qu'il était seul depuis si longtemps qu'il en avait oublié ce que s'était que de vivre en société. Se retenir, faire des efforts ou concessions, ça n'était pas trop son truc, et d'ailleurs il finissait toujours par voir toutes ses bonnes résolutions réduites à néant par la colère. Ou il était froid, impassible et inatteignable, ou il devenait irritable et agressif ; c'était soit l'un soit l'autre, les deux extrêmes, et il semblait ne pas arriver à se fixer dans un état plus maîtrisé.

Lèvres serrées, sourcils froncés, il avançait en regardant le sol, accélérant l'allure pour la contraindre à le suivre d'un bon pas. Il ne savait pas trop pourquoi il réagissait ainsi, mais une chose était sûre ; d'une manière ou d'une autre, ses remarques l'avaient atteint un peu plus profondément qu'il ne l'avait d'abord cru...

- Dépêche-toi, lui dit-il sèchement tandis qu'ils se hâtaient. Il faut qu'on sorte d'ici avant la nuit.

Il ne savait pas trop pourquoi il restait là, à l'accompagner. Pour l'argent ? Sûrement pas ! Il était le premier à briser les contrats qui commençaient à lui déplaire, et il s'était toujours promis de ne pas se forcer à remplir une mission qu'il n'avait pas envie de finir. Par devoir ? Non plus... Abandonner une jeune fille au beau milieu des plaines ne lui poserait aucune espèce de problème moral, bien au contraire. Il détestait les "rivvils", pire, il les méprisait, alors que cette petite sylvaine n'aille pas s'imaginer qu'il en serait autrement pour elle !

Par sentiments ? Peut-être...

Il haussa les épaules. Le fait qu'un mercenaire ne risque, en mission, de s'attacher à quelqu'un qu'il devait protéger était un cas fréquent. Cela arrivait, Berg'inyon avait déjà entendu pas mal d'histoires dans ce genre, mais en général la conclusion n'était jamais heureuse. Quand les sentiments se mettaient à prendre treop de place, dans ce boulot, c'était une mauvaise chose, et d'ordinaire il fallait immédiatement couper le lien avant qu'il ne devienne trop encombrant.

Pourtant, le drow aux yeux glacés avait toujours été persuadé que cela ne le concernerait pas. Des gens qui refusaient de remplir leur mission par amitié ou par amour, ça n'était pas son problème, et d'ailleurs cela n'arrivait qu'aux autres. Jusqu'au jour ou subitement, les autres, c'était lui.

Agacé, il secoua la tête pour chasser toutes ces pensées idiotes. Cela n'avait rien à voir ; il avait besoin d'argent, il allait la conduire jusque chez elle le temps qu'elle ne le paye, et c'était tout. Il n'y avait pas à réfléchir plus longtemps sur ce genre de choses...

Adria calma fermement Olwë qui commençait à sérieusement s'agiter. Dommage, songea-t-elle, il s'était enfin habitué à la présence du drow et maintenant, tout serait à recommencer. Collé à elle, le loup ne la lacherait plus, gardant son regard rivé sur le jeune homme.

Lorsque Berg'inyon se leva et ordonna le départ, elle haussa les épaules et le suivit. Il fonçait devant en râlant pour qu'elle avance plus vite. Décidément, elle avait l'étrange impression d'avoir déjà vécu cette scène. Et dire qu'il pouvait se montrer charmant s'il le voulait ! Elle le suivit sans rien dire, avançant à son rythme. Après tout, s'il voulait la planter là, ça le regardait. Elle ignorait s'il l'avait compris, mais à vrai dire, elle l'acceptait comme garde du corps uniquement pour avoir de la compagnie. Pour se qui était de sa sécurité, ce n'était pas sa préoccupation principale. En fait, entre deux accès de colère, elle le trouvait sympathique et elle préférait ça plutôt que d'avancer seule.

Il secoua la tête pour lui-même et elle ne dit rien. Il finirait bien par se calmer. Sinon, eh bien, il faudrait qu'elle trouve rapidement un moyen de le payer avant qu'Olwë ne perde patience. Elle jeta un regard au loup qui trottinait à ses côté et entama une chanson. Ça lui rappela qu'il lui avait proposé de lui apprendre la sienne. Cependant, elle estima que ce n'était pas vraiment le moment le plus judicieux pour le lui demander. Il ne faut rien exagérer !

Ils continuèrent à avancer et elle enchaina les airs, continuant à réfléchir. Elle essayait de comprendre les réactions plutôt instable de Berg'inyon. Elle savait qu'elle même avait tendance à perturber les gens, même si elle se demandait souvent pourquoi. Si on la voyait de façon aussi bizarre qu'elle le voyait, lui, alors elle comprenait enfin la perplexité des gens face à elle ! Elle avait l'impression qu'il essayait de se protéger derrière son attitude dédaigneuse. En même temps, elle ne voyait pas du tout de quoi ! Des gens qui l'entourait ? D'elle ? Elle lui jeta un regard perplexe qu'il ne vit probablement pas.

Elle entama une nouvelle chanson en se disant, que, décidément, elle n'aimait pas cette ambiance. Bien décidée à relancer la conversation, ou, à défaut d'une conversation à maintenir un lien quelconque, elle le rattrapa et demanda :

" Pourquoi tu veux qu'on sorte d'ici avant la nuit ? Tu veux qu'on passe la nuit où exactement ? "

Elle avait dit ça doucement, ne voulant pas relancer sa colère. En fait, elle était désolée de l'avoir déclenchée. Elle se fit remarquer qu'il faudrait qu'elle apprenne à éviter de balancer tout ce qui lui passait par la tête et à garder quelques vérités pour elle. Quoique... Si elle était sincèrement désolée d'avoir pu le blesser, elle ne pouvait pas non plus lui laisser raconter n'importe quoi !