Trois coups de balai...[Terminé]

Le soleil s'était déjà levé depuis quelques heures. Charles avait rapidement quitté l'auberge où il avait gîté pour la nuit, de façon à se rendre au plus vite à la cour et s'y introduire. Son valet y était resté, en faisant bonne garde près de la carriole contenant le vin du mariage dont on parlait actuellement partout.

Un peu d'appréhension le tenaillait alors qu'il montait les rues menant à l'immense bâtisse qui ombrageait une bonne partie de la ville. La cour...il y avait déjà fait un passage plus jeune, mais rien de plus, pour présenter hommage à son roi, après qu'il eût succédé à son père en cette terrible nuit.

Milieu d'intrigues et complots qui lui était plus qu'étranger...il voyait plus la noblesse sur un champ de bataille épée au poing...la cour était aussi un champ de bataille de fait mais les lames étaient remplacées par les mots, les éventails et les lourds parfums.

Néanmoins, il n'avait aucunement l'intention de passer pour le plouc débarquant de son tas de fumier...les manières de la noblesse ne lui était pas étrangère, son père lui en ayant fait souper durant des années, et les nombreuses chroniques qu'il avait lu lui avait permis de mieux comprendre les mécanismes de cette ténébreuse institution qu'était la cour de Diantra.

Mais voilà, la théorie ne remplaçait pas la pratique. Il ferait sûrement ses premières armes sous peu.

Charles resserra sa cape fourrée contre lui. Le froid n'était pas forcément mordant mais le vent qui se coulait entre les rues n'était pas là pour le réchauffer non plus...Sachant que cette visite au château était assez importante, Charles avait pris des vêtements sobres et élégants, plus raffinés que la simple tunique et les braies qu'il portait habituellement. Le luxe ne le dégoutait pas, mais ne le ravissait pas non plus... Il portait néanmoins en ce jour là une chemise de lin très fine par dessus laquelle il avait enfilé une veste de velours côtelé bordeaux, tissées par endroits d'entrelacs dorés subtils.

Le portail du château se présenta devant lui. Deux gardes, pique au poing, en montait la garde. Voyant que l'homme à cheval désirait entrer, et remarquant sa mise plutôt recherchée ainsi que l'épée peu commune pendant son flanc, le garde commença prudemment :

"-M'seigneur cherche queq' chose ?
-Oui soldat. Je suis le baron Charles de Hautval, et je viens à Diantra pour rendre hommage à mon seigneur et duc, ainsi que pour mettre mon épée au service direct du roi...
-Beh...Son Altesse l'duc est revenu de voyage y a peu. L'doit être dans le château. Entrez, vous trouverez bien."


Le baron n'avait pas alors idée qu'on pouvait le jeter nu dans la la jungle, ça aurait été pareil au même...encore que en voyant la masse imposante du château, il se doutait un peu des difficultés qu'il allait rencontrer.

Néanmoins, son visage sec se contracta pour un signe de tête à l'adresse du garde, avant qu'il ne poussa son cheval de selle de l'avant. Charles entra donc la cour. L'agitation n'était pas encore à son comble, mais le ballet des palefreniers et servantes commençait déjà à tendre vers le final...

Tout en posant un regard inquisiteur sur ce qui l'entourait, le baron descendit de sa lentement de sa monture. La masse de serviteurs le fixa un instant, mais l'arrivée d'étrangers était si incessante que un de plus ou de moins ne les estomaquaient pas...

Un palefrenier à la mine honnête lui prit son cheval par la longe, Charles ne lui accordant presque aucun regard. Bravement, il jeta ses pieds en avant pour entrer dans le château. Le noble se démarquait de la populace bourdonnante et enfiévrée autour de lui par sa démarche lente et sûre.

"-Nous y voilà," marmonna t-il en bifurquant sous un auvent situé au dessus des lourdes portes qui, n'étant pas les principales, déversaient tout de même un flot continu de gens d'armes, de nobles partant et repartant, leurs calèches étant apprêtés dans la cour.

Le Grand Hall était assurément magnifique : des hauts plafonds de pierre de taille, décorés de lourdes tapisseries qui couraient sur toute la longueur de la salle. De nombreux lustres miroitants, éteints à cette heure là, ornaient le plafond. La lumière naturelle baignait l'immense salle par la merveille de verrerie qu'étaient les immenses vitres du côté extérieur.

Charles en fut même un instant ébloui, mais ne pu s'empêcher de contempler ses immenses vitres pures. Quelques fenêtres de vitraux existaient bien au manoir d'Hautval mais de cette taille !

Il retomba vite sur Terre...il ne s'en sortirait jamais comme cela. Voyant une jeune femme rentrant à l'intérieur du Grand Hall non loin de lui, avec le regard de l'habitué des lieux qui ne fait plus attention à ce qui l'entoure, Charles se dirigea vers elle avant de lui barrer le chemin discrètement, se mettant en oblique pour ne pas sembler faire barrage. Il s'inclina en penchant le buste, sa cape battant ses bottes.

Les leçons commençait déjà à se mettre en application....

"-Veuillez m'excuser d'interrompre votre chemin ma dame, mais je suis un tant soit peu égaré en ces lieux...je suis Charles de Hautval, baron en titre du nom. J'espère ne pas vous importuner en vous demandant où se trouve le Duc d'Erac ?"

Cela n'avait été qu'une petite promenade dans les jardins, mais comme d'ordinaire, la solitude avait fait son oeuvre, apaisant l'esprit quelque peu enfiévré de la jeune duchesse. Son frère était rentré depuis peu et tout c'était enchainé a une vitesse folle...Si rapidement qu'elle n'avait qu'a peine entraperçu Veldrin. Au demeurant, ce n'était pas bien grave, elle savait où le trouver comme le contraire était vrai. Maintenant, son frère s'entretenait avec sa fiancée. Astéride se demandait quel était le sujet d'une telle discution, mais elle ne demanda rien, elle les avait juste laissé seuls, disparaissant discrètement alors qu'elle dressait avec sa future belle soeur les plans de table. Automatiquement, les jardins avaient accueillit son errance, elle aimait ces endroits, peut être qu'Incanus finissait par déteindre sur elle. Un léger sourire ombra ses traits. Oui, c'était fort possible, Vermiceau adorait les plantes, la nature en générale, il lui vouait presque un culte et naturellement, elle s'était laissée entrainée dans ces amours étranges.

Elle venait de passer les gardes qui l'avaient salué comme a leur habitude et avançait maintenant le long du hall menant aux appartements royaux lorsqu'une ombre lui barra le passage. Oh, pas brusquement, pas brutalement, non, c'était empreint de classe et de subtilité aussi peignit elle sur son visage un sourire aimable. Levant ses yeux noirs, elle rencontra un regard inconnu, tout comme le propriétaire de ce regard d'ailleurs...Cela dit, sa curiosité fut vite satisfaite alors que l'homme se présentait, courtois et avenant. Hautval, Charles de Hautval...Ce nom ne lui était pas inconnu, contrairement aux traits. Si elle ne se trompait pas, elle avait devant elle un vassal de son frère...

-Vous etes tout pardonné, Sire de Hautval.

répondit elle doucement, penchant légèrement la tête sur le côté.

-Ainsi vous cherchez mon frère. Il viens a peine de rentrer d'un voyage dans la noble cité des nains, Kirgan. Pour l'heure, il est occupé par une affaire personnelle, je vous prie de lui pardonner.

Finalement, elle tendit une main légère...

-Permettez moi de vous tenir compagnie en attendant, je me nomme Astéride d'Erac, veuillez excuser mon manque de politesse.

ajouta-t-elle avec un léger sourire.

Charles conserva son expression de courtoisie sur sa face plus habituée à une sombre fermeté et rigueur...Néanmoins, un certain plaisir intérieur sonnait en lui en voyant qu'il existait toujours des figures nobles dans les territoires humains. Des traits aristocratiques, fins, des yeux dignes et un port altier.

"-Vous êtes tout pardonné, Sire de Hautval."

Il inclina légèrement la tête, en signe de remerciement, ses yeux restant face à ceux de la duchesse . Cette dernière l'informa alors du récent retour du Prince, de Kirgan apparemment. Kirgan ? Cela ne pouvait que supposer une affaire relativement importante songea rapidement le baron, tout en déduisant qu'elle devait concerner plusieurs peuples...

Charles se rendit compte alors qu'il avait presque tout raté des derniers évènements et bouleversements dans le Royaume. Il fallait assurément qu'il se mette au courant des plus récents...

Autour d'eux, le flot de courtisans ne cessait de croître, d'enfler, de se détendre, puis repartir de plus belle. C'était dans cette salle que se faisait et se défaisait la gloire, l'honneur de certains. Certains "non" murmurés dans les alcôves qui ornaient le pourtour du Grand Hall signaient la fin de certains, richesse pour d'autres.

Les yeux du baron se perdirent donc un bref instant sur cette foule, avant de revenir à la duchesse. En effet, elle venait de lui faire savoir qu'elle était la sœur de Trystan...Astéride d'Erac...Quelques souvenirs remontèrent à la surface. Son père qu'il l'emmenait à Castel Erac pour saluer la naissance de la fille du duc. La mère n'avait pas l'air très réjouie, tandis que le père exhibait fièrement sa progéniture. Charles avait alors dix huit ans. C'était loin...

Et voilà qu'il la revoyait, passant de l'enfant emmailloté à la jeune femme ravissante ! Le temps coulait vite. Lorsqu'elle tendit sa main diaphane, Charles sentit une quinte de toux sanglante sur le point d'éclater...il en subissait de plus en plus régulièrement, et ce depuis que la lèpre avait posé son sceau infamant sur lui. Ça n'était vraiment pas le moment. Il comprima sa poitrine sans que rien ne le laisse apparaître à l'extérieur, conservant sa façade de courtoisie et remettant à plus tard le sang, les glaires et autres amusements. Un bref éclair de souffrance dans ses yeux peut être ?

Il feignit donc de baiser délicatement la main de la duchesse avant de reprendre, respectueux :

"-C'est un honneur pour moi de vous rencontrer Votre Altesse. J'ose espérer que ma présence ne vous importunera pas."

J'aurais du faire le rapprochement plus tôt...elle ressemble diablement à son père, se maudit Charles soucieux d'avoir manqué au rang de la duchesse en l'abordant...Le baron proposa son bras droit à Astéride, et commença :

"-A vrai dire, je suis à Diantra pour renouveler mon hommage à Monsieur Votre frère. Quelques...troubles m'ont retenus en ma province ses dernières années mais je suis venu pour me rendre le plus utile que possible. Mon ignorance quant à la cour est je l'avouerais totale, mais savez vous si Monsieur le Sénéchal Dëlisa est entre ses murs ?

Elle sourit légèrement en voyant le regard du baron se perdre autour d'eux. Venait il a la cour pour la première fois ? Au vu de son peu d'aisance, elle aurait tendance a le penser. Mais il est des masques trompeurs. Le murmure de la cour ne l'interessait pas et a vrai dire, c'était souvent le même refrain. Cancans et médisances a foison...Il était rare qu'une discution intelligente sorte du lot. Pourtant, Hautval se montra a la hauteur des convenances en se saisissant de sa main et en l'effeurant doucement des lèvres. Votre Altesse ? Astéride se retint de laisser échapper un léger rire, nulle moquerie non, juste une agréable surprise. Cela dit, elle rectifia a voix basse :

-Voyons Sire Hautval, Altesse est un titre reservé a la Reine. Contentez vous d'un Ma Dame en public et d'user de mon prénom en privé.

Sur sa bouche charnue dansait toujours un sourire aimable, quoiqu'un peu plus appuyé maintenant, dans ses prunelles noires, volait une lueur amusée. Aucun jugement n'émanait de sa personne, alors que d'autre aurait sans nul doute fistigé un tel manquement...Avait elle prit garde a la légère étincelle de douleur qui s'alluma durant une seconde dans les iris du baron ? Peut être, mais une chose était sure, elle n'en fit pas mention. Demeurant sereine et légèrement joyeuse. Gracieusement, elle glissa sa main fine dans le creux du coude que lui offrait le baron et, ensemble, ils avançèrent lentement vers les salons. Du moins était ce là que l'entrainait la jeune femme...Distraitement, elle écouta ces dires et faillit commettre un impair...

-V...Sire Dëlisa est rentré en même temps que mon frère, de là a savoir où ses pas l'ont dirigé...Je ne vous serait d'aucune aide, je le crains.

Sa voix avait coulée comme l'eau sur de la roche, malgré une très légère hésitation au départ...Elle leva les yeux sur le Baron, celui ci la dépassant d'une bonne tête et continua :

-Mon frère sera ravi de vous savoir au château. Ses nouvelles obligations l'oblige a passer bien trop de temps hors des terres d'Erac. Je suis persuadée qu'il saura voutre prêter une oreille attentive. Dites moi, Sire, vous parliez de troubles...Votre domaine a-t-il eu a souffrir d'attaques ?

Curiosité réelle ? Oui, alors que tant d'autre dame de la cour n'y verrai qu'un moyen de passer le temps, Astéride, elle, désirait rééllement se tenir au courant des mouvements de troupes. Pourquoi un tel interêt ? Tout simplement parce qu'elle aimait sa terre et espérait bien y trouver refuge un jour...Incanus serait heureux au coeur des jardins d'Erac....

"-Voyons Sire Hautval, Altesse est un titre réservé a la Reine. Contentez vous d'un Ma Dame en public et d'user de mon prénom en privé."

Une lueur d'étonnement amusé traversa les yeux du baron. Les mœurs changeait apparemment. Un léger sourire se posa sur son visage :

"-Mettez cela sur le compte de ma vieillesse. Les us et coutumes de la cour, l'actuelle, ne me sont pas encore familiers...ma dame."

Ainsi, le Sénéchal était du même voyage que le Prince. L'affaire devait être de la plus haute importance, et les rumeurs devaient déjà avoir fait le tour du château. Une légère curiosité quant à ce qui allait découler de ce retour se profila en Charles. Une intuition fit route aussi, mais il garda cela pour lui même.

Dans le même temps, ils continuaient de traverser l'épaisse foule du Grand Hall. Charles sentaient quelques regards sur lui...les courtisans devraient tant bien que mal s'habituer à lui...ou plutôt l'inverse se dit-il, légèrement fataliste.

Il ne savait fichtre rien de l'endroit où ils se rendaient mais se laissait guider sans mal, suivant le mouvement de la jeune femme, anticipant subtilement les tournants pour ne pas faire trébucher Astéride par méconnaissance des lieux...

La soeur de son duc lui demanda alors la nature précise des troubles...hum. Sujet délicat. Il n'était en effet pas très facile de répondre tout de go "j'ai fracassé le crâne de mon père et ma femme est morte par ma faute, ce qui m'a plongé dans une rédemption morbide et isolée, ne quittant plus la baronnie pendant quinze ans, attrapant la lèpre dans l'intervalle, juste punition divine. Voilà pourquoi je n'ai pas pris part à la vie du Royaume entre temps "

Non, ça ne le faisait assurément pas. Et pas seulement à la cour de fait....Il fit donc omission d'une bonne part des "troubles", pour commencer d'une voix sombre :

"-Raids serait le mot juste...la pourriture Drow s'infiltre dans nos territoires par petits groupes avant de mettre à sac des cibles isolées comme de petits hameaux, pillant et violant sur leur passage. Organiser la défense de toutes ces minuscules communautés demande beaucoup de temps. J'ai personnellement fait déplacer, non sans mal, de nombreuses populations vers les gros bourgs pour leur bien. Mais les paysans ne peuvent plus alors cultiver les terres attenantes à leurs habitations, et le trou creusé dans les finances devient alors assez imposant. Néanmoins les efforts de l'Armée Royale ont permis de détendre un peu la situation. "


Le baron s'arrêta un instant avant de reprendre, sur un ton qui tentait d'être plus joyeux :

"-Pardonnez moi...je vous parle de pillages, massacres et déportation alors que ces sujets hantent que trop notre temps. Notre époque est bien sombre malheureusement..."

-Je ne saurais vous en tenir rigueur, il m'arrive moi même d'y faire quelques entorses. Il faut dire que tout cela est d'un barbant...

Souffla-t-elle discrètement, de peur, peut être, d'être entendue par les nombreuses matrones qui erraient dans les couloirs. Depuis que son frère avait été reconnu officiellement Prince de Diantra, Astéride devait se plier a toutes sortes de protocoles lourd et rasoirs...Alors qu'elle même n'avait pas de sang royal dans les veines ! Enfin, elle s'y pliait de bonnes grâces ne désirant pas jeter l'opprobre sur son frère. Elle nota l'aisance dont faisait preuve le Baron alors qu'elle le menait doucement, et son sourire s'accentua légèrement.

Lentement, comme si le temps n'avait plus d'importance pour eux, Astéride les conduisit jusque un petit salon ouvert sur les couloirs, cette petite alcôve permettait assez de discrétion pour avoir le loisir de converser tranquillement, tout en sauvegardant la réputation d'une jeune demoiselle de la cour...Astéride laissa fleurir un léger sourire...Sa réputation était déjà détruite...Mais cela, personne ne le savait. Avec la grâce qui était la sienne, Astéride s'installa sur un léger fauteuil, invitant dans un geste, son interlocuteur a faire de même, au creux de celui lui faisant face.

La jeune femme pâlit légèrement au récit des horreurs qu'avait eut a subir les terres du baron. Combien de temps encore avant que cela n'atteigne Erac ? Astéride n'était pas très au fait des mouvements militaires, mais elle savait que Veldrin épurait lentement, mais surement les terres humaines...Mais..Il ne pouvait pas être partout. Comme un reflexe, elle posa une main délicate sur l'avant bras du baron, tel un geste de réconfort.

-Que d'atrocités avez vous dut traverser...Vous m'en voyez attristée, mais comme vous le soulignez si bien, nous vivons une époque de dangers...La famille royale ne fut pas épargnée, vous n'etes pas sans savoir le malheur qui frappe le roi n'est ce pas ?

Il tenta d'alléger l'atmosphère et Astéride le remercia de cet effort d'un sourire, même si son regarde demeurait empreint d'ombres mouvantes.

-Je ne vous pardonne pas de répondre a mes questions, Sire de Hautval. On tiens bien trop souvent les demoiselles hors des questions d'état, avec raison bien souvent, mais le faire les inclineraient a plus de prudence...Vos terres se sont elles remises de ces affronts bestiaux ?

Le baron esquissa un léger sourire en entendant les paroles de la jeune femme quand aux entorses à l'étiquette. Les derniers termes révélaient clairement son état d'esprit vis à vis de la chose. Barbant ! Plutôt franche la demoiselle !

C'était pour lui plaire. Premièrement parce qu'il savait que ses impairs involontaires ne feraient pas le tour de la cour avant le coucher du soleil, et secondement parce qu'il appréciait une certaine franchise chez ses interlocuteurs. Certes, il était légèrement surpris qu'une femme, aussi jeune de surcroît, s'intéresse aux opérations militaires de cours, mais Charles saluait intérieurement cette démarche. Après tout, personne n'était à l'abri de la menace en cours, et être informé n'était que trop important par les temps qui couraient.

Le baron s'assit donc dans le fauteuil situé en face de celui d'Astéride. Il regarda rapidement les alentours, étonné de l'intelligence avec laquelle ce genre d'alcôve était disposé : non loin du Grand Hall, mais tout de même assez isolé pour procurer un silence relatif, notamment grâce aux discrètes tentures qui en bordait les côtés.

Charles laissa son doigt glisser un instant sur le noyer ciré à la perfection des accoudoirs avant de se caler définitivement, restant tout de même droit comme il seyait à son rang.

Non...

Il frémit intérieurement lorsque la jeune noble posa sa main sur son avant bras.

Une main si douce, si belle, si pure à proximité d'une chaire répugnante, putrescente et corrompue. Le baron inspira lentement pour se calmer, sentant son ulcère se réveiller de nouveau. Une légère pâleur envahit son visage sec.

Il se domina tant bien que mal pour répondre, légèrement interrogateur :

"-J'ai entendu parler du terrible trépas des filles de Leurs Majestés mais rien de plus...les routes sont peu sûres et les nouvelles ne vont pas bien vite. Une autre drame aurait-il encore frappé cette famille si meurtrie ?"

Le baron se doutait bien qu'il avait dut rater nombre d'informations...par les Dieux, une occasion de plus pour passer pour le plouc débarquant de sa campagne ! En revanche, quant à sa baronnie il savait tout dans les moindres détails, et put ainsi reprendre avec plus d'assurance :

"-Elles se remettent petit à petit...les soldats de l'Armée Royale se sont transformés pour certains en maçons, terrassiers et manœuvres pour aider à la reconstruction. Leur aide a été capitale. Mais certains disent qu'il faudra de nouveau reconstruire demain..."

Pourquoi une telle pâleur soudaine ? Silencieusement, sans rien laisser paraitre, Astéride scruta les traits du baron. Elle ne comprenait pas ce brusque changement, lui qui paraissait si détendu il y a à peine quelques secondes, semblait...presque...Malade. Elle retira sa main, peut être était ce geste qui l'avait mit mal a l'aise...Oui, c'était possible, cela dit, elle garda son sourire et croisa les mains sur les genoux. Une vraie petite fille modèle, songea-t-elle avec ironie, alors qu'elle en était bien loin. Soupirant discrètement, elle répondit au Baron :

-La mort des princesses a été un coup très dur pour la reine...Leylan n'a pas supporté la trop grande douleur de cette perte...Elle en est morte, laissant le roi seul pour affronter sa souffrance.

Sa voix avait quelque chose d'étrange, de rebelle comme de pitié. Elle pouvait comprendre, mais ne pardonnait pas, c'était un acte tout a fait égoîste et terriblement lâche. Un léger sourire ombra ses lèvres, chassant la tristesse qui s'était soudain emparé de son regard à la pensée des souffrances de la reine, douleurs qui avaient finit par avoir raison d'elle.

-J'avoue que j'ai le plus grand mal a imaginer des soldats transformés en maçons...Je ne suis pas très au fait des mouvements militaires, je vous l'avoue, mais il parait que les hommes révèlent leur propres forces, repoussant les Sombres au delà de leur frontières. Cela dit, il est certain que nous devons nous attendre a de nouvelles attaques...Ils sont si fourbes et sournois. Demanderez vous a mon frère une aide militaire ?


Peut être était ce là la raison de la venue du Baron, après tout, quoi de plus normal que de demander le soutiens de son suzerain ? Astéride se demandait si Erac deviendrait, à son tour, un bastion militaire...

Un imperceptible soupir de soulagement sortit de la bouche du baron lorsque la jeune femme retira sa main. Il retrouva son calme apparent suite à cela. Mais c'était diablement gênant...comme s'il avait trouvé le geste attentionné d'Astéride gênant pour sa personne. Tant que ce secret infamant restait dissimulé tout allait bien. Encore que les évènements de la soirée précédente avaient prouvé qu'il n'était pas à l'abri des problèmes.

Comment ?

La reine, morte ?

Voilà qui était brusque. Il n'avait pas pris connaissance de ce fait plus qu'important. Charles resta légèrement interdit quelques secondes. La mort de la reine n'était pas quelque chose d'anodin. Mais c'était ces mots. Elle n'aurait "pas supporté la trop grande douleur". Y aurait-il un suicide derrière cela ? Voilà qui était fâcheux ! Le suicide, quelle abomination !

D'ailleurs, un certain ressentiment semblait se dégager de la jeune femme. Elle devait assurément bien connaître la reine de son vivant vu la position de son frère. Et avoir donc aperçu les derniers instants de la reine...

Mais Charles reporta son attention sur Astéride lorsqu'elle reprit sur le sujet de la guerre. Un léger hochement de tête de la part du baron suivait ses propos. D'ailleurs, après une courte réflexion, il reprit :

"- Il nous faut de tout dans une armée ma dame ! Certes, la majorité des hommes sont là pour porter les armes, mais il y a aussi nombre de forgerons, palefreniers, valets, charpentiers, intendants et autres individus qui suivent l'armée. Tout le monde y a sa place."

Charles sourit à la remarque de la jeune femme, étant plus appropriée à un général qu'à une dame de la cour, avant de reprendre :

"-Le contingent fourni à Hautval par monsieur votre frère et le sénéchal est déjà assez important : la Route Principale y passant, vous comprendrez qu'il est vital d'y concentrer des garnisons. Non, à vrai dire, je viens plutôt mettre mon épée au service même de l'Armée Royale, j'entends l'incorporer en soi. D'où mon désir de rencontrer le sénéchal. Mais sans flatterie aucune, votre frère est bien en vue dans ma baronnie. Malgré sa position à Diantra, il n'a pas pour autant négligé son domaine, ce qui en a fait un des plus florissants du Royaume."

Astéride soupira discrètement de soulagement. Les terres d'Erac étaient protégées. Le contraire l'aurait étonnée oui, mais avec tout les boulversements que son frère avait traversé ces derniers temps... Dire qu'elle fut surprise d'entendre le baron parler de mettre son courage au service de la couronne ne l'étonnait pas. C'était un fait avéré, peu à peu, les hommes se découvrait courage et hargne face à la menace, sortant doucement de l'ombre. Comparé d'autre, ils étaient une race ephémère et fragile, mais le danger résidait dans le fait de les sous estimés.

-Je suis sure que mon frère sera heureux de votre démarche.

fit elle en hochant légèrement la tête. Pauvre Trystan...Astéride n'aurait pas aimé être a sa place, enfermé comme il l'était maintenant par les obligations royales. Mais elle devait reconnaitre qu'il était parfait pour ce rôle.

-Je vous souhaite de réussir, Sire de Hautval.

Ajouta-t-elle doucement, puis, elle balaya l'air d'un léger geste de la main, envoyant ce sujet terriblement noir et sombre aux oubliettes. Elle devinait les souffrances qu'avaient dût affronter le Baron et ne désirait pas les lui rappeller par des questions bien trop indiscrètes. Aussi évoqua-t-elle ses terres, terres dont le Baron lui assura la prospérité.

-Le domaine d'Erac est bien régit durant l'absence de mon frère et je me rendrais sur ces terres d'ici peu je pense. J'aime particulièrement le calme et la sérénité qu'elles offrent.

Puis, une étincelle rieuse s'alluma dans ces prunelles sombres et elle se pencha légèrement en avant comme si un secret devait être confié.

-Mais je sais aussi que le votre se porte bien, ici, à la cour, on ne sait que chanter la délicatesse de votre vin.

Elle se redressa quelque peu et son visage prit une mine songeuse.

-Je me souviens d'avoir traversé plus d'une fois votre domaine et je dois dire que ces collines couvertes de cépages sont d'une beauté extraordinaire. D'ailleurs, mon père était votre plus grand adorateur a ce niveau, nuls banquets ne pouvaient se tenir a Erac sans que sa cave ne soit comblée par votre breuvage. Me direz vous votre secret ?

demanda-t-elle avec un léger rire dans la voix.

Charles fut légèrement rassuré en attendant Astéride lui dire que son frère apprécierait sa venue. On pouvait en effet assez facilement assimiler son absence à la cours, et donc l'armée, à lâcheté ou infidélité à son seigneur. Il savait bien que les mauvaises langues n'y manquerait pas...

Quant à une réussite, Charles l'espérait à la hauteur de son rang...maintenant qu'il avait laissé la baronnie entre de bonnes mains, il pouvait se consacrer sang et âme à ses nouvelles tâches, et sa détermination était sans faille de ce côté là. Jusqu'à quand ? Sûrement son trépas...

"-J'y compte bien ma dame."

Charles inclina légèrement la tête pour remercier les éloges sur le vin de ses domaines. La réputation de ses derniers n'était en effet pas usurpée et son importance était telle que la vigne avait été intégrée très tôt aux armes des Hautval, montrant leur attachement à ce caractère essentiel de la baronnie.

L'évocation de Charles d'Erac (et dont le nom du baron découlait par hommage) ralluma quelques uns des rares souvenirs joyeux de Charles. Un bel homme le duc...juste, droit. Et qui savait apprécier les meilleurs crus comme il se devait ! D'où une grande popularité auprès du peuple de Hautval, chez qui ce facteur était primordial pour savoir si oui ou non on devait être fidèle à un seigneur.

Un air nostalgique prit le baron avant qu'il ne réponde, légèrement rêveur :

"-Un secret ? Il y a une histoire à Hautval pour expliquer tout cela...quelque vieux paysans avinés vous la conte avec un talent enchanteur, mais je vais tâcher de faire de mon mieux."

Il prit une légère inspiration avant de commencer :

"-Il y a fort longtemps de cela, lorsque les Hommes n'existaient pas encore à la surface de ce monde, Kyria répartit la terre sur les sols nus des premiers temps. Elle avait trois sacs : un de riche terre, grasse, noire et odorante, un d'une terre moins riche, et un dernier de terre pauvre, sèche et infertile. Lorsqu'elle passa près de ce qui constitue aujourd'hui Hautval, elle trébucha sur une des nombreuses collines du pays. Le sac de la meilleure terre se vida presque intégralement lorsqu'elle chuta. Mais n'ayant pas de temps à perdre, elle ne s'occupa ni de ramasser la terre ainsi gâchée, ni de remodeler le terrain déformé par sa chute."

Charles conclu alors :

"-La Vallée Pourpre d'Hautval serait donc l'empreinte du corps de la Déesse. Le reste des terres serait issu de cette terre originelle si fertile et si riche, accidentellement répandue. C'est ce que l'on dit dans mon pays. Je suis piètre conteur, mais sur un niveau plus rationnel, je pourrais vous dire que le bon vin, c'est de la patience, un certain talent et surtout beaucoup d'amour pour les vignes...L'amour oui c'est cela ! Si vous voyez quelle dévotion mette les vignerons à protéger leurs plants. Comme dans de nombreuses autres tâches finalement ! .

Astéride hocha légèrement la tête, l'inclina en guise de soutiens, même si elle n'avait aucun poids sur la stratégie militaire. Elle ne faisait pas de politique et ne s'en mêlait pas. Elle avait bien assez de problèmes a gérer sans y ajouter les méandres politiques ! Enfin, ce n'était pas le sujet de conversation de toute manière.

Elle fut ravie de la légende que lui conta Charles. Et elle le dit :

-Ne vous inquiétez pas, vos talents de conteur sont bien présents. Ainsi une légende se cache derrière vos magnifiques cépages !

Bien sur qu'il n'y avait pas que cela. Il parla d'amour et de passion même. Oui, elle imaginait assez aisément la somme d'attention que demandait l'élevage et la récolte des raisins...Sans compter la macération et tout ce qui suivait ! Mais le résultat était un vin fin, doux et délicieux ! Elle même y avait gouté très tôt, bien qu'elle ne soit pas spécialement attirée par l'alcool.

-Je ne doute pas de votre passion pour votre terre, elle s'entends dans votre voix ! Nous avons de la chance d'avoir un tel trésor endormit sur le domaine d'Erac. Finalement, c'est une histoire d'amour que vous me conter.

Elle se passa une main légère sur le front pour en chasser des boucles claires qui se plaisaient a chatouiller sa peau.

-Ce doit être un déchirement que d'envisager de la quitter pour les champs de bataille non ?

ajouta-t-elle avec une certaine retenue dans la voix.

Le baron inclina légèrement la tête pour remercier la demoiselle de son éloge sur les terres d'Hautval. A vrai dire, c'était ce qui lui importait le plus après sa fille. Un de ses rares liens avec la vie réelle, lui évitant de sombrer dans la folie qui aurait frappé tout homme au caractère moins trempé.

Il chérissait sa baronnie comme un père, et son fonctionnement parfaitement bien huilé lui tenait à cœur. A vrai dire, il traitait Hautval comme une vigne, coupant lorsque c'était nécessaire, mais avec un profond amour. Quasi-maladif en fait. Mais Charles savait porter un masque en public qui ne laissait pas supposer qu'il déraillait légèrement sur les bords.

Douce folie fanatique...

Il sortit de sa rapide méditation pour pousser un léger soupir à la question d'Astéride. Un léger déchirement...certes, voir plus :

"-En effet, c'est plus que difficile. Ce qui me gêne surtout c'est de penser à tout ceux qui ne rentrerons pas. La guerre est une atroce chose de ce côté là : elle fait couler du sang, mais aussi les larmes des orphelins et des veuves."

On pouvait noter un certain détachement dans ces paroles quant à lui même, comme si sa personne lui importait peu. Ce qui était de fait le cas.
Charles ne cherchait pas désespérement la mort, voulant accomplir son devoir au mieux de ses capacités, mais il ne la fuyait pas non plus.

"-Mais elle est nécessaire face à l'infamie qui se dresse contre nous..., continua t-il d'un ton assez sombre, mais j'ai n'ai que trop gâché votre précieux temps ma dame, et vais peut être me mettre à la recherche du sénéchal."

Déchirement...C'était peut être un mot trop léger et futile pour Charles...Ce devait être plus que cela, elle le voyait dans ses yeux...Elle qui fuyait sa terre aussi souvent qu'elle le pouvait ne pouvait pas comprendre l'ampleur de l'amour qu'il portait a la sienne. C'était comme ça, parce que ces terres a elle accueillait un serpent au venin bien trop virulent, bien trop violent...Et, dans la bouche de Charles, il n'y avait qu'amour et dévotion pour Hautval. Pour un peu, elle se serait sentit...Coupable de ne pas aimer sa terre comme il se devait...

-Oui, la guerre nous enlèvera nos proches... même les miens, ou les votres...C'est un lourd tribu que nous payons...

Et l'idée de la perte était quelque chose d'insurmontable pour elle...Elle n'imaginait pas sa vie...sans lui...Sans eux...Et la peur aux doigts crochus se saisit de son âme et serra, serra si fort qu'elle du faire appel a toute sa maitrise pour ne pas laisser transparaitre quoique se soit...Seul la crispation soudaine de ses doigts laissaient une porte ouverte sur ses songes...

-Ne vous inquiétez pas de cela, mon temps est ce que je veux bien en faire...Allez, Sire de Hautval, c'est moi qui devrait m'excuser de vous avoir retenu. Peut être trouverez vous le Sénéchal dans ses appartements, ou dans la salle du Conseil. Je vous souhaite bonne chance.