D'une pierre, deux coups [Libre]

-Tu pense qu’ils sont vraiment près à nous rejoindre ?

-J’imagine que ça dépend ce que tu entends par prêts, Rainith. Je pense qu’ils en ont les compétences, oui. Savoir si auront la force de quitter leur foyer, ça ne tient qu’à eux.

Les deux lëandrins marchaient côte à côte au travers d’une cité qui leur était, à première vue au moins, tout à fait étrangère. Leur mission cette fois-là était un peu différente de leurs habitudes car loin de simplement courir après le danger, cette fois-ci ils cherchaient surtout à mettre à l’épreuve les talents de leurs frères. Deux d’entre eux par des lettres soigneusement rédigées s’étaient vus, en secret semblait-il, recommandé à l’armée royale par la milice locale, alors, trouvant prétexte à observer comment les choses de déroulaient de ce côté de la forêt, Aegden avait décidé de les tester à sa manière.

Cela faisait à présent deux jours qu’ils étaient parmi les froides pierres de Quatrième-Saison. Ici, la symphonie était faible à cause des épaisses murailles. Ce fut déstabilisant au départ, pour l’ancien sourd. En Annon non plus, elle n’était pas vraiment forte, mais, à force, Aegden avait pris l’habitude des sensations des épaisses frondaisons lëandrines. A nouveau, il avait dû rapidement retrouver l’habitude d’à peine percevoir le rythme vital au fond de sa poitrine.

-Tu as sans doute raison…La soldate répondit pensive avant de s’illuminer d’un sourire enjoué. Quoi qu’il en soit, tâchons de les rejoindre, ils doivent nous attendre pour partir, je n'aime pas plus être ne retard que toi.

Pas d’entrainement routinier ce jour-là, mais une expédition. La cité avait besoin de quelques pierres supplémentaire et Aegden n’avait encore jamais vu ce qu’il restait des citées abandonnée. Peut-être y trouverait-il de nouvelles pistes à pas mal de ses propres questionnements ? Protéger quelques artisans à la recherche de matériaux semblait donc plutôt profitable à tous...

Cela semble si lointain la dernière fois que Sinieth a mis les pieds en Quatrième Saison. C'était une autre époque. Une autre vie... Elle n'était pas anedhelle. Quitté son pays n'était pas un projet réaliste. Elle ne connaissait même pas la véritable identité d'Aegden. Aujourd'hui, c'est une toute autre femme qui se tient non loin du groupe de soldats avec qui elle a partagé sa route en compagnie de son (désormais) fiancé.
Elle porte une tenue plus neuve que ses autres vêtements, et pour cause : elle se l'est procurée pour l'occasion. Il s'agit d'habits de voyage, chauds et résistants mais aussi confortables et esthétiques. Elle ne voulait pas abuser et prendre l'ensemble le plus basique mais c'est sous l'impulsion de son compagnon qu'elle a décidé de se faire plaisir, joignant l'utile à l'agréable. De prime abord, on la croirait en robe s'arrêtant à mi-tibia et dévoilant ses bottes mais les pans sont fendues jusqu'à la hanches et dévoilent ainsi un pantalon de cuir. Les chausses à lacets montent presque jusqu'aux genoux. Les manches sont longues et disparaissent sous des brassards qui se terminent en pointe sur le dos de ses mains. Le tissu -entre le vert et le bleu- se marie à merveille avec le marron du cuir et le tout est orné de quelques arabesques brodées ou gravées selon la matière. Un sac léger pend à son côté et une petite bourse contenant ses osselets est fixée à sa ceinture.

Attendant de partir, elle porte Elben à qui elle offre sourires, câlins et caresses. Depuis quelques temps, il sait rire de bon cœur et elle s'amuse à provoquer cette réaction si douce à son oreille et qui va tant lui manquer durant les prochains jours. Mais elle ne sera pas absente longtemps et c'est l'occasion de passer un moment avec Aegden alors qu'elle le voit si peu depuis son arrivée en Anaëh. Lorsqu'elle l'aperçoit tandis qu'il approche du groupe, elle le pointe du doigt à leur fils qui se met alors à tendre les bras dans sa direction en criant un mot qui ne ressemble pas à grand chose mais qui contient beaucoup de "a". Peut-être un début de "Ada" ? Cependant, sa mère l'apaise et lui susurre à l'oreille. Son père va peut-être parler à ses hommes avant de venir dire au revoir à son enfant et qu'il soit confié à la prêtresse de Kÿria qui attend sagement à quelques pas de Sinieth.

Une douce musique, un timide murmure, devenant ensuite parole franche, symphonie brûlante, animait le monde des académiciens. D’aucun disait qu’une expédition allait être menée par un contingent d’artisans et de militaire, depuis la cité de Quatrième-Saison jusqu’à Faeldorën.

Si, au début, cela semblait propice pour quelques thaumaturges spécialisés dans les arts de la Terre, la Luminomancienne, y vit un intérêt soudain : peut-être que l’endroit recelait des pistes, des informations, des intérêts quelconques qui aideraient Anardîl à enfin améliorer ses recherches.

Les travaux sur lesquels elle oeuvrait depuis des années, étaient dans une certaine impasse. Reprenant les bases des travaux de l’ancien Seigneur-Protecteur de Tethien, le projet de communication inter-cités avait, au début, plutôt bien avancer. Il fallait avouer que Fineldor Elwëndrion avait été un pionnier dans ce projet surdimensionné : que la communication soit rendue possible entre toutes les cités Elfiques d’Anaëh, grâce à la magie de Lumière, serait une avancée remarquable.

Aujourd’hui, le projet était à un point mort : seules deux cités étaient pionnières dans cette communication, rendue possible par un savant jeu de miroirs, et à un état des plus basals grâce aux changements de couleurs de la Lumière. Les messages envoyés étaient donc primaires, peu différenciés, et, si en l’état, il s’agissait d’un point positif pour le fameux projet, ce balbutiement n’était qu’une prémisse… Qui n’avait pourtant point été suivi par d’autres balbutiements pour l’instant… En d’autres termes, Anardîl était coincée.

Alors, cette expédition semblait être comme un signe de La Mère. Peut-être une solution naîtrait sous les frondaisons des ruines passées ? Peut-être qu’Anardîl verrait une chose que personne d’autre elle n’aurait pu voir ? Peut-être… Beaucoup de questions qui, pour la première fois depuis les Mares Noires, provoquaient une immense joie chez la Professeure Académicienne.

Après avoir vu les affres du monde des Ombres, après avoir été sauvée par Ithiliur, après avoir vu toute la puissance du Doyen, Anardîl avait ressenti d’incroyables peurs, et faits d’affreux cauchemars, la clouant parfois au lit, l’empêchant de réfléchir…

Aujourd’hui, peut-être… Que cela allait changer.

Arrivés près de la petite assemblée, la soldate frappa amicalement l’omoplate de son supérieur et s’en sépara pour rejoindre ses frères et sœurs qui attendaient patiemment près de la grande porte. Accueillants leur compagne par quelques éclats de voix, Aegden décida de leur laisser une minute ou deux de plus de répit. Il n’avait pas besoin de faire de grand discours ou quoi que ce soit du genre, ses hommes savaient ce qu’ils avaient à faire, alors il s’orienta plutôt vers celui qui n’avait aucune idée de ce qu’il pouvait bien se passer.

Par les soins de sa mère, Elben était à peu près calme mais il tendit tout de mes ses petits poings vers son père voyant qu’il venait vers lui. Aegden demandant alors silencieusement à sa fiancée de lui tendre l’enfant l’espace d’un instant. Les derniers avant un long moment.

-Bonjour toi.

Aegden sourit, une fois le précieux bambin dans ses bras, ce qui devait donner une image assez déconcertante, étant donné qu’il était en armure, mais dont il n’avait pas grand-chose à faire sur l’instant. Il lui tira gentiment la langue, et obtint un précieux éclat de rire enfantin.

-Tu seras sage avec Heri Celevoniel d’accord ? Papa et maman ne peuvent pas t’emmener avec eux. Tu es encore trop petit et tu as déjà fait un grand voyage pour ton âge. Mais je suis sûr que tu vas voir plein de chose fantastiques ces prochains jours. Tu te rends compte Elben, tout cette grande cité rien que pour vous deux ? L’enfant répondit par un nouveau babillage sans logique, mais cela suffit pour tirer un nouveau sourire à l’elfe, peut-être un peu plus fin étant donné qu’il savait ce qui allait s’ensuivre. Allez, il faut qu’on y aille à présent. Il déposa un long baiser sur son front délicat. Je t’aime petite étoile.

Et puis, s’assurant que la mère de l’enfant était prête elle aussi, Aegden le confia à la discrète prêtresse qui jusque-là n’avait rien dit.

-Je sais que tu t’occuperas bien de lui Celevoniel. Merci pour tout.

Un dernier adieu et les deux elfes s’approchaient des autres. Aussitôt, Aegden avait mis de côté sa légère tristesse et avait affiché à nouveau un air tout à fait neutre, en pleine possession de ses moyens et les soldats avaient doucement fait de même. Le mainyth remarqua une dernière silhouette un peu en retrait et lui fit signe de s’approcher du groupe qui s’était alors formé entre artisans et elfes d’armes.

-Bon, vu le temps que j’ai laissé je pense que tout le monde est arrivé à présent. Fit-il. Le voyage sera long, n’attendons pas plus.

Chacun monta alors sur chevaux et chariots. Aegden quant à lui siffla Vailimo qui n’était jamais bien loin des murailles, bien qu’il ne semblait pas beaucoup se plaire dans ces alentours bien différents du biome lëandrin.

Quelques minutes s'écoulèrent à peine, le temps que tout ce petit monde prenne ses marque et s'ordonne tranquillement, avant qu'il ne se penche près de l'une des mages qui venaient avec eux.

-Est ce que ça va, Anardîl?  Tu avais l'air un peu isolée tout à l'heure.

Le design non contractuel de l'armure, 2.0  :

Sinieth observe avec amour et douceur les brèves retrouvailles entre le père et le fils. Les ennéades passées les ont rapproché, surtout en ce qui concerne Elben, et cela la soulage d'une inquiétude car, bientôt, leur enfant sera en mesure de conserver les souvenirs assez longtemps pour se rappeler qui est Aegden malgré ses absences. En attendant, le spectacle reste touchant à observer et elle tient à ne pas interférer.

A son tour, elle dit au revoir à son bébé avant de le confier à une autre et de s'éloigner pour monter à l'arrière d'une carriole. De là, elle fait un signe au bambin dans les bras de la prêtresse. Celui-ci ne comprend pas encore ce que le geste de sa mère implique... Il ne la verra pas pendant plusieurs jours... Et le cœur de la jeune mère se serre à cette pensée. Elle conserve le sourire alors que ses yeux voudraient pleurer. Mais elle se retient, tant pour qu'Elben n'associe pas son départ comme un triste évènement que par simple dignité. De plus, elle ne veut pas attirer sur elle l'attention de son fiancé qui, pour l'heure, mène leur petit groupe. Elle pourra lui confier cette légère souffrance qu'elle découvre. Celle d'être séparée de l'être qu'elle a porté et qu'elle n'avait encore jamais quitté plus d'une heure ou deux. Ce soir, elle ne sera pas là pour l'embrasser au moment de le coucher... Et ce sera sans doute le passage le plus dur de cette première journée d'éloignement.

Le brouhaha ambiant était semblable à une douce musique aux oreilles de la magicienne. Il y avait là, les bruits typiques de la vie et de la nature : les piaillements des oiseaux, les craquements des arbres, des branches et des feuilles qui virevoltent aux vents, les bruits des herbes, des feuilles mortes et des branchages tombées au sol heurtés par les pattes des animaux en maraude. Mais aussi les conversations des Elfes partout autour d’elle. Des conversations feutrées, d’autres plus claires, d’autres qui s’exclament de rires, ou de petites attentions. La vie.

La vie. Luxuriante, aimante, calme… Pacifique. La vie, et la paix, des valeurs qui réunissent le peuple des forêts, Noss et Citadins, bien que les deux soient parfois diamétralement opposés.

La Luminomancienne avait le nez pointé vers les cieux, les yeux clos. Sa respiration était calquée sur la douce brise qui fouettait l’air, soulevait les tuniques, faisait voyager les sens. Là, dans la paix, elle en oublierait presque les Mares Noires… Cette immonde perturbation de la trame lorsque naquirent les ombres… Cette sensation d’être engloutie corps et Souffle lorsqu’Ithilur la tira du côté sombre, pour lui sauver la vie… Les cauchemars qui la hantent depuis chaque nuit.

Sa rêverie fut stoppée lorsque les voix se firent plus pressantes. Le Commandant avait donné les ordres, il fallait partir. Tous se dirigèrent vers les chariots et les chevaux, en rang, de manière très ordonnée. Anardïl, simple magicienne, prit la première place qu’elle trouva, non loin de celui qui était en charge par ici. D’ailleurs, elle eu quelques difficultés à feindre son étonnement, lorsque celui-ci lui adressa la parole. Ils ne se connaissaient pas, ou alors de très loin, ou très vaguement. Mais le militaire avait sans doute une certaine sensibilité, car il avait deviné que quelque chose clochait chez la Luminomancienne.

« Oui, tout va bien. » Répondit-elle, regardant au loin, avant de finalement tourner son visage vers le Commandant et de lui offrir un léger sourire. « J’avais besoin de temps pour réfléchir. Cette expédition est importante, sinon intéressante. Et je suis fatiguée ces derniers temps. Et toi ? Prêt pour commander tous ces braves Souffles ? »

-Je commence à avoir l’habitude. Aegden répondit avec un air amusé. Et puis en vérité, je ne suis là qu’en renfort.

Tant que tout se passait parfaitement bien, Aegden n’avait pas grand-chose à faire en réalité. Il avait totalement confiance en ses hommes et leurs camarades de Quatrième-Saison pour être autant attentifs. Et puis ils étaient tout de même un certain nombre et malgré leurs précautions, ils étaient dissuasifs pour la majorité des prédateurs rodant sur les chemins.

-Pour ce qui est de la fatigue, eh bien, on a fait un long chemin depuis Alëandir et je ne vous ais pas laissé beaucoup de repos. Je ne suis pas surpris que toi et Sinieth soyez fatiguées. Ça fatigue plus qu’on ne veut bien le penser.

Il lança un bref  et discret regard à la seconde intéressée, assisse à l’arrière d’un chariot. S’il ne pouvait savoir ce qu’elle ressentait réellement, il se doutait qu’elle devait encore penser au fils qu’elle venait de laisser derrière elle. Pourtant, il lui faudrait attendre avant de lui parler , ce n'était pas le moment ni le lieu pour les affaires personnelles, alors son regard se reposa sur la luminomancienne.

-Vous vous reposerez, ce soir. Termina-t-il. On est assez nombreux pour monter le camp et tenir la garde sans votre aide de toute façon.

Et puis Vailimo avait un peu accéléré le pas, et son cavalier l’avait laissé faire, adressant un dernier signe à sa camarade. La queue s’agitant et les oreilles inclinées en arrière, le mathandil semblait pressé de retrouver un couvert d’arbre plus épais, et mine de rien son cavalier n’en pensait pas vraiment moins… Sa perception hésitant de la symphonie ne lui permettait pas vraiment de déceler de net changement entre les bois qu’ils parcouraient et la cité qu’il avait quittée, cependant en Alëandir, ils étaient rares ces sous-bois…

La nuit commença à tomber lorsqu’enfin, ils décidèrent que s’en était assez. Alors, un tout autre genre de rituel se mit en place. On tressait hamacs de fortunes, rassemblaient de quoi s’éclairer, réunissaient les provisions. Au fond de lui Aegden aimait particulièrement ce genre d’instants car ils étaient les témoins précieux de ce qu’étaient les elfes. Chacun accomplissait sa part, aidait son prochain s’il le pouvait et le tout dans un but commun. C’était trivial mais ça avait quelque chose de rassurant.

-Comme je l’ai dit tout à l’heure à Anardil, nous soldats on s’occupe de monter la garde. Adressa-t-il finalement aux quelques civils, lorsque tout le monde fut réuni autour du foyer de brindilles et de feuilles mortes. En même temps il tendit machinalement une pomme à son compagnon de voyage qui la croqua en deux coups de dents. Donc pas de zèle cette nuit d’accord ? Il y a peut de chance que quoi que ce soit nous approche de toute façon.

Certain acquiescèrent plus ou moins vivement, et plus ou moins soulagés aussi. Un autre soldat pris la parole, il avait une carte en main.

-Demain il va falloir qu’on traverse un bras du fleuve. Rien de bien méchant, on l’a déjà fait. Il lança un coup d’œil de connivence à quelques artisans ayant probablement l’habitude de ce manège. Et on a un passage plutôt sûr tant qu’il ne pleut pas des cordes. Mais c’est particulièrement désagréable de voyager toute la journée trempée par l’eau, alors il va falloir un peu de prudence. Et puis c'est particulièrement glissant à cette époque. Mais on peut facilement faire passer un chariot.

-Par contre, rajoute un autre dont les yeux pétillent d'une pointe d'amusement.'Faudra porter vos provisions pendant la traversée si vous ne voulez pas manger des fruits détrempés pendant deux jours.

Le voyage est long et la masse qui traverse la forêt éloigne tous les animaux que l'on peut habituellement observer aux abords des routes. Autrement dit, Sinieth n'a pas grand chose à faire. Assise dans sa carriole, elle ne peut qu'attendre que le temps passe, en essayant de ne pas trop penser à Elben, à ce qu'il peut être en train de faire en cet instant, à l'idée qu'il puisse l'appeler en pleurant...

Non, il ne faut surtout pas qu'elle pense à cela et elle chasse cette pensée. Elle a besoin de rester concentrée. Son Art l'exige. Si elle est venue, ce n'est pas uniquement pour passer du temps avec son fiancé. Elle peut avoir un rôle à jouer et ses talents de magicienne comme d'ancienne prêtresse de Tyra et désormais amie du culte de Tari peuvent être utiles. Quelques soldats ici la connaissent pour avoir été à Naelis avec elle. Elle en a suivi deux après les affrontements pour les aider à se remettre de quelques scènes particulièrement pénibles. Ils la regardent de temps à autres, lui adressent un sourire lorsqu'elle s'en aperçoit. L'un a plutôt tendance à vouloir veiller sur elle mais l'autre... Elle a l'impression qu'il veut lui parler. Elle prendra le temps de le voir plus tard, lorsque ce sera le moment. En attendant, elle cherche à se remémorer tous leurs entretiens. Elle a la sensation que la grossesse lui a fait oublié tant de choses... Mais c'est surtout son bonheur et ses nouveaux intérêts qui ont éloigné d'elle les éléments qui auraient pu être perturbateurs à son nouveau bien-être. Il est peut-être temps de redonner un peu de sa personne en contrepartie de tout ce que les Taledhels lui apportent.

Après une bien longue journée aux yeux de la belle sang mêlé, le convoi fait enfin halte. Dès que son véhicule s'arrête, elle se lève mais non sans mal. Son dos et ses jambes sont fourbus. Elle s'étire pour tenter de les soulager tandis que le soldat bienveillant approche pour lui proposer de l'aider à descendre. Elle accepte volontiers puis cherche à se rendre utile. Il y a bien des choses qu'elle ne maîtrise pas dans ce genre de voyage mais elle doit apprendre. Puisqu'elle fait mine de bonne volonté, on lui montre rapidement ce qu'elle peut faire pour aider et elle s'exécute sans rechigner. Cette vie est totalement différente de la précédente mais elle s'adapte et ne se plaint pas. Quelque part, cela lui plaît... Cette cohésion, cette unité, ce sentiment que faire partie d'un même groupe où chacun a sa place pour peu qu'il participe. C'est à la fois nouveau et si apaisant de pouvoir simplement compter sur ceux qui nous entourent.

Toujours courbaturée, Sinieth est bien heureuse de pouvoir s'asseoir près du feu mais elle a conscience que se relever va s'avérer bien difficile. Peu importe pour le moment car ses muscles se trouvent soulagés par cet instant de repos. Elle écoute attentivement les trois hommes qui prennent tour à tour à la parole et étire un discret sourire amusé à la fin de l'intervention du dernier. L'ambiance dans le groupe est assez bonne pour le moment. Cependant, l'idée de traverser une rivière ne la rassure guère. Elle vit au bord de l'Elorëa à Alëandir mais elle n'a jamais appris à nager. Peut-être pourra-t-elle demeurer dans un chariot si l'eau ne dépasse pas les roues et qu'elle ne risque pas de finir trempée ?

Les douces attentions du commandant de l’Armée Royale d’Anaëh arrachèrent un sourire à la magicienne, deux fois plus âgée que lui. Les militaires, même chez les Elfes, jouissent d’une réputation de fermeté et de discipline à faire pâlir toutes les autres races. L’efficacité des formations armées Elfiques lors des combats parle d’elle-même : une discipline de fer, un respect mutuel des supérieurs et des soldats, et une attention portée aux infinis détails afin qu’aucun Souffle ne meure bêtement, d’aucune manière que ce soit. De la même manière que les troupes Elfiques peuvent se targuer de défaire un ennemi tout en limitant leurs propres pertes, elles peuvent être fier de leur droiture et de leur professionnalisme.

Voir ainsi le Commandant en Chef offrir une telle attention, à une vieille magicienne qui plus est, était attendrissant. Pour la première fois depuis l’évènement des Mares Noires, la Luminomancienne eut un sourire sincère, et un petit pincement du nez trahissant un rire camouflé.

« Je vous remercie, Commandant. » Dit-elle, se tournant vers elle, et lui offrant le plus doux et lumineux des sourires, éclipsant presque l’obscurité tamisée de ses mires fatiguées. « Un peu de repos ne serait pas de refus. Il faut avoir les idées claires pour pouvoir étudier. »

Enfin, le soir arriva. La magnifique mécanique bien huilée, millimétrée, répétée, se mit en marche avec une facilité déconcertante. Les soldats se mirent en faction, se déployèrent dans les directions imposées, et débutèrent leurs rondes, permettant à Anardîl de ressentir un grand sentiment de sécurité. Un sentiment très agréable, pour son esprit encore marqué par cet incident magique. Les consignes données par le Commandant, et les différents soldats qui allèrent de leurs précisions, firent leur petit effet sur la population de l’expédition.

Anardîl, elle, désirait sérieusement établir elle-même son campement. Tressant son hamac, l’installant à l’endroit idéal selon elle, non loin du feu, la magicienne eut un étrange sentiment intérieur : de la satisfaction. Était-ce un cliché ? Était-ce la réalité ? En tout cas, la Luminomancienne avait toujours été très attirée par les couleurs lumineuses et chatoyantes, et par la chaleur. Le froid ne lui va pas très bien… Aussi, être aussi proche d’un feu de camp était très agréable.

Toutefois, les quelques commentaires des soldats, désirant compléter les informations données par le commandant en chef, donnèrent matière à réfléchir à la magicienne. Evidemment, inutile d’être devineresse, ni même magicienne de l’esprit, pour deviner que l’idée de voyager tremper ne plaisait à personne. Mais, si cela devait arriver, à cause de la pluie ou de la traversée, nul doute que la magicienne pouvait aider, sans aucun problème.

Assise en tailleur, Anardîl ferma les yeux. Tendant sa main droite vers le foyer ardent, crépitant, son esprit se concentra. Son épaisse chevalière en métal noble se mit alors à agir telle un diapason, mais non point audible. Telle la musicienne choisissant la corde de sa harpe, tel le prisme divisant la lumière blanche en une foultitude de faisceaux colorés, la magicienne choisissait sa longueur d’onde. Trouvant la moins visible, mais la plus chaude, utilisant ses capacités magiques non point luminescente mais dans le domaine de la chaleur, elle en décupla les effets.

Très vite, toutes et tous purent le ressentir : il ne faisait plus froid, il n’y avait plus de vent, il n’y avait plus non plus d’humidité. Anardîl s’était occupée de procurer de la chaleur auprès de toutes et tous, une chaleur sèche, sans humidité. Comme si la frondaison s’était écartée pour laisser passer les rayons purs d’un soleil d’été. Mais la fatigue lui imposa bien vite de s’arrêter, et alors la chaleur s’arrêta, et la magicienne rouvrit les yeux.

« Nous réussiront. » Dit-elle tout simplement, offrant un sourire, avant de se reposer un peu, les yeux fermés.

Aegden mit quelques secondes à comprendre l’origine de l‘étrange phénomène, levant en premier réflexe la tête vers les branchages, avant de finalement comprendre que la chaleur était l’œuvre de la mage de lumière. Un fin sourire étira alors ses lèvres et il hocha la tête.

-Nous réussirons. Répétât-il

Et puis comme elle fit mine de chercher un peu de repos, le mainyth décida de la laisser tranquille. Pourtant il était encore loin d’aller se reposer, lui. De toute façon ça lui prendrait bien du temps avant qu’il ne parvienne à fermer l’œil alors autant en profiter. Aegden détestait attendre et ne rien faire.

Doucement, alors que les quelques autres finissaient leurs occupations, allaient se coucher pour certain, se plaçaient à quelques endroits stratégiques du camp de fortune pour d’autre, c’est enfin vers sa fiancé qu’Aegden reporta son attention. Trouvant simplement une place à ses côtés, il lui parla à voix basse sans pour autant avoir l’air de cacher quoi que ce soit aux autres. Malgré qu’il n’en fasse jamais aucun étalage et qu’a aucun moment il ne privilégiait celle qu’il aimait par rapport aux autres membres de l’expédition, il n’y avait ni honte, ni secret dans son attitude. Aegden considérait simplement plus que nécessaire de séparer ces deux aspects de sa vie. Plus que nécessaire, c’était vital.

-Tout ira bien cette nuit. Lui adressa-t-il simplement, une main venant discrètement chercher la sienne.

A son regard rassurant mais tout de même légèrement soucieux au fond, elle devait facilement deviner qu’il ne parlait pas que de leur campement. Il n’avait pas le même lien qu’elle avec leur fils, mais à sa manière il avait aussi vécu ce qu’elle vivait ce soir-là. Et à sa manière, il avait aussi souffert sans pouvoir ni le dire ni y remédier.

Un cri perçant dans la nuit attira l’attention des quelques autres soldats mais après une seconde ou deux de tension, le potentiel danger s’avéra ne sans doute pas être autre chose qu’une quelconque chouette en chasse. Cela sembla tirer une singulière réflexion au soldat roux.

-J’aimerais lui montrer ce côté-là de notre monde, quand "il" en aura l’âge...

Fin de la 4ème ennéade de Favriüs – Premier mos de l’Automne – An XIX.
Lors de la première nuit de l’expédition.

Le voyage avait été éreintant, de bien des manières. Pour l’académicienne, plus habituée à demeurer assise à son bureau durant des heures, ou debout dans sa salle de cours, qu’à voyager en montures, assumer le trot de celle-ci en compensant avec le bassin, les cuisses et les mollets, puis à nouveau le bassin, tout en demeurant suffisamment attentive aux chemins sous la canopée, voyager aussi longtemps et aussi loin relevait d’un effort physique et psychologique intense.

Cependant, le commandant des armées royales, présent ici pour diriger l’expédition, avait été d’une aide appréciable : conscient qu’il avait beaucoup demandé aux civils de l’expédition, il assura qu’enfin, cette nuit allait être reposante pour ceux qui tombaient de fatigue. Ce qui était évidemment le cas d’Anardîl.

Aussi s’était-elle abandonnée à ce monde imaginaire que l’on ne vit qu’une fois les paupières closes. Un monde qui, selon les puristes, n’appartient qu’à soi-même, et n’est construit qu’avec des chemins de pensées, l’inconscient, et, paraît-il, l’influence des divinités.

Était-ce vrai ? Nul ne le saurait… En tout cas, le début de nuit fut des plus désagréables pour la Luminomancienne. A mesure que son esprit l’abandonnait, son corps se fit lourd, de plus en plus lourd. Ses paupières, d’ordinaire si faciles à relever, devinrent telles de lourdes armures d’acier. Son rythme cardiaque se fit plus lent, et quand enfin le corps et l’esprit furent prêts, ils tombèrent dans un sommeil des plus profonds… Et des plus agités.

Ce furent d’abord les doigts qui se mouvèrent de spasmes saccadés. Puis, une main tressauta, puis un bras, et une jambe. De droite à gauche, son corps changea de position mainte et mainte fois, tournant, se retournant dans des draps de fortune. Sa respiration se fit plus rapide, plus superficielle aussi… Les cauchemars l’assaillirent à nouveau.

En son esprit, elle ressentit à nouveau cette atroce distorsion de la trame, celle qui était apparue lors des Mares Noires. Cette distorsion, ce cri de torture et de douleur, cette violence semblable à celle que le forgeron applique à grands renforts de coups de marteaux sur le métal chauffé à blanc, lui permettant de se tordre dans tous les sens afin de former quelque chose de constructif. Mais ici, rien n’était constructif. Tout n’était qu’anarchie, car la trame magique ne ressemblait plus qu’à une immondice insupportable, insoutenable, se cambrant, faisant des tours et des détours, avant se tordre à nouveau. Le plus surprenant, c’est la douleur que ces distorsions créèrent dans le corps et l’esprit des mages de l’académie. Les Ombres envahirent le plan de la Lumière, et manquèrent de le plonger dans des abysses infinis… Heureusement, Ithilur parvint à la sauver, l’extirpant de l’emprise en l’emmenant dans sa propre ombre à lui. Mais la manœuvre avait été si insupportable, si douloureuse.

Enfin, la délivrance ! Le réveil. Dans un gaspe salvateur, Anardîl prit une grande inspiration, comme le ferait celle qui aurait manqué d’oxygène trop longtemps, en remontant des profondeurs d’un lac abyssal. Se crispant, elle se redressa d’un coup d’un seul, passant de la position allongée à celle complètement assise sur son hamac qui, sous les soubresauts de ce réveil violent… L’envoya au sol. Heureusement pour elle, son esprit n’était pas encore tout à fait présent dans son corps, aussi ne ressentit-elle absolument rien de cette chute… Mais ses mires perdues trahissaient l’incompréhension.

Sa respiration se fit néanmoins plus calme, plus posée… Mais se relever lui semblait impossible, pour le moment.

Assise près du feu, à regarder danser les flammes, Sinieth se réchauffe. Un mouvement près d'elle attire son regard et elle accueille son fiancé avec un sourire. Si tous peuvent si tromper, lui ne manque pas de voir son manque de sincérité. Elle ne cherche pas à lui mentir sur ce qu'elle ressent mais elle est comme lui sur quelques aspects. Elle ne montre pas ce qu'elle ressent en dehors du cadre de son foyer. Les membres du groupe n'ont pas à savoir qu'elle sent le vide créé par l'absence de son fils. Mais Aegden n'a pas besoin de mots... Il peut le deviner dans ses traits un peu plus tirés que d'ordinaire et dans cette petite étincelle absente de son regard. Il tente de l'apaiser d'une courte phrase qui n'a rien à voir avec la nuit qu'ils vont passer ici. Elle comprend tout à fait le double sens de ses paroles et ne retient pas son geste d'affection qui tient dans une caresse d'une main qui se pose sur la joue de son amant l'espace d'un bref instant.
Un peu d'agitation née d'un cri animal rompt ce moment. La tension est palpable quelques secondes mais, lorsque les soldats se détendent, tout le monde en fait autant. Le Commandant reprend alors la parole d'une manière certes curieuse mais qui ne fait s'afficher aucune surprise sur les traits de sa compagne. Elle se fait douce au contraire, le couvant d'un regard tendre et compréhensif car elle ne sait que trop bien comme il souffre de ne pas pouvoir voir son enfant grandir chaque jour.

-Et je suis certaine qu'il sera ravi de découvrir ce monde à travers tes yeux.

Elle est loin de comprendre ce qu'est la Symphonie et encore moins comment elle fonctionne. Elle se dit qu'elle n'y parviendra peut-être jamais lorsqu'elle voit comme lui-même a l'air perdu parfois. Mais Elben grandira très différemment d'elle. Ce qui lui demande un effort d'adaptation sera tout naturel pour son fils. Alors oui, il y a de bonnes chances pour que ce petit garçon soit plus réceptif qu'elle à la vision qu'Aegden a de la forêt désormais.

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Dans le calme du campement de fortune et pourtant si bien organisé, Sinieth peine à trouver le sommeil. Elle a cru y parvenir, une fois, mais un bruit lui a partiellement rappelé les pleurs de son fils et elle a rouvert des yeux ronds qui ne veulent plus se refermer depuis. Allongée à observer les dessous de la canopée illuminés par les flammes dansantes entretenues par les soldats qui tiennent leur tour de garde, l'ancienne vaanie perçoit une faible agitation près d'elle. Elle reconnaît alors tous les symptômes d'un mal qu'elle ne connaît que trop bien. Ces spasmes irréguliers, cette respiration saccadée, ces très légers brins de voix qui manquent de s'échapper parfois... Elle regarde avec attention cette femme non loin et elle remarque assez vite qu'il s'agit de la luminomencienne. Elle l'a vue discuter avec Aegden ce matin et a remarqué comme ils se regardent. Ils ne sont pas proches mais ils partagent quelque chose... Une chose que son compagnon n'est manifestement pas en droit de lui révéler, sans quoi il lui aurait parlé d'elle plus tôt. Mais la future épouse du militaire n'a rien demandé et ne fait montre d'aucune jalousie. Elle a accepté depuis longtemps qu'elle ne pourrait pas tout savoir de l'homme avec qui elle s'apprête à partager le reste de sa vie.

Ne parvenant pas à dormir, Sinieth décide de se lever. Du regard, elle semble chercher quelque chose. Elle interroge discrètement un soldat qui lui tend un gourde d'eau fraîche. Les deux hommes qui la connaissent l'observent ensuite se diriger vers la magicienne qui est désormais au sol. Ils savent parfaitement ce qu'elle est en train de faire... et personne ne cherchera à l'en empêcher. L'armée la connaît et sait qui elle est. Et elle n'est pas seulement la fiancée de leur Commandant...

La belle sang-mêlée s'accroupie non loin de sa consœur. Elle ne dit rien, se contentant de lui sourire avec douceur. Son réveil a été brutal, elle veut lui laisser le temps de revenir à la réalité tout en lui offrant un accueil plus chaleureux que ses songes. C'est une façon de lui apporter un peu de réconfort sans l'obliger à en parler à une totale inconnue. Puis, après quelques secondes, elle lui tend la gourde. Qu'elle la prenne ou non, elle reste là encore quelques instants afin qu'elle ne se retrouve pas seule avec ce qui a perturbé son sommeil. Elle se contente d'être une présence rassurante qui l'encre paisiblement dans un monde tangible.
Finalement, elle lui parle, d'une voix douce, pour ne pas la perturber.

-Les songes peuvent être aussi doux que cruels. Mais les enfermer ne les fera pas disparaître, loin de là. Si vous ressentez le besoin de parler de quoi que ce soit, je serais heureuse de vous apporter mon aide.

Elle ne peut l'y forcer, il faut que cela vienne d'elle. Il faut qu'elle s'y sente prête mais également qu'elle soit en confiance avec la personne qui devra être son soutien. Sinieth ne fait donc que lui lancer une invitation. A elle de décider de l'accepter ou non. Si elle ne répond pas ou qu'elle refuse, l'ex-prêtresse se retirera sans se vexer et avec la même douceur que celle qu'elle lui témoigne en ce moment. La porte restera ainsi entrouverte si elle décide de se raviser ultérieurement. Mais si elle prend la main qui lui ait tendue, alors elle s'installera plus confortablement afin de se rendre entièrement disponible pour elle.

Fort heureusement, le hamac qui fut tendu pour servir de lieu de repos à la Luminomancienne, n’avait point été dressé trop haut. Lorsque les soubresauts du cauchemar d’Anardîl provoquèrent un éveil violent et agité, ainsi qu’une convulsion généralisée de son corps endormi, elle chuta, se retrouvant à genoux sur le sol, la paume de ses mains prenant appui sur le sol comme pour garantir l’absence d’une nouvelle chute prochaine.

Son cœur battait la chamade, sa respiration était saccadée, incomplète, superficielle… Mais lorsque la Luminomancienne reprit enfin contenance, son corps tout entier sembla se détendre, trop heureuse qu’elle était de pouvoir seulement… Se savoir en paix et en sécurité. A genoux, les mains sur la terre humide, ses cheveux blancs tombant en cascade par-dessus son visage, elle semblait comme possédée.

Encore engourdie, elle ne sentie rien de cette sensation douloureuse qui naquit à ses genoux, ni du froid qui envahissait ses mains et ses doigts. Pour l’instant, tout son corps semblait être comme un amas de coton : insensible, inconstant, prêt à s’effondrer sur lui-même.

Elle était restée ainsi lorsque la Prêtresse de Tyra se présenta, et prit place à ses côtés. Durant plusieurs secondes – ou seraient-ce des minutes – elle demeura ainsi, sa respiration enfin calmée se faisait toutefois plus profonde, plus ample, et plus lente. Prendre possession de son corps semblait lui demander un effort surprenant, presque au-dessus de ses capacités. Pourtant, elle y parvint. Le bruit d’un réceptacle contenant un liquide qui s’agitait lui fit relever la tête : une gourde, et la prêtresse. Ainsi, elle n’était plus seule. S’agenouillant complètement – et relevant ainsi son buste et ses mains – elle passa le dos de sa main propre dans ses cheveux pour les ramener en arrière. Ses yeux étaient clos, et sa bouche dessina doucement un « o » qui laissa s’échapper un soupir profond. Finalement, elle pu rouvrir ses prunelles, et son visage, bien qu’anxieux, semblait bel et bien éveillé.

Portant la gourde à sa bouche, la thaumaturge savoura les quelques gouttes comme la terre brûlée savoure les premières moussons. « Merci… »

Se reprenant, elle se repositionna, ses genoux devenant finalement douloureux maintenant que tout son corps se rappelait à elle. S’asseyant convenablement, positionnant ses jambes en tailleur, elle reprit quelques gorgées d’eau avant de rendre le récipient à celle qui avait été si généreuse. « Il est des choses qui doivent demeurer secrètes… » Reprit-elle, tentant de cacher le fait que ce qui agitait ses songes relevait d’un secret de l’Académie. « Croyez-le ou non, mais la vie d’une professeure de magie n’est ni calme, ni de tout repos. J’espère ne pas vous avoir réveiller ? » S’enquit-elle sincèrement.

Cela prend du temps avant que la magicienne ne sorte de sa torpeur. Un temps pendant lequel l'ex-prêtresse attend patiemment, sans chercher à la ramener à la réalité. Elle ne veut pas la brusquer. Ce n'est que lorsqu'elle la sent suffisamment détendue pour rejoindre le monde qui l'entoure qu'elle lui tend la gourde jusqu'à ce qu'elle en prenne possession. Elle a regarde ensuite s'asseoir, soupirer, boire, avant de lui offrir son oreille. Elle décline poliment sa proposition, mais pas parce qu'elle ne la veut pas. Elle ne le peut pas. Sinieth a l'impression d'avoir trop souvent entendu cette phrase... Cela fait plus d'un lien avec Aegden : ils se connaissent, ils font des cauchemars et ne peuvent pas parler de ce qui les provoque. Ont-ils vécu la même expérience ? Elle ne le saura peut-être jamais et ce n'est pas sa préoccupation.

-Je ne dormais pas. La rassure-t-elle.

Elle n'évoque pas les raisons de son éveil à une heure aussi tardive. Elle n'a pas besoin de l'écouter s'épancher sur ses problèmes de jeune maman qui culpabilise tandis qu'elle franchit une étape naturelle dans sa relation avec son enfant. Elle vient de s'éveiller d'un rêve qui l'habitait tant que ceux à proximité ont pu s'en rendre compte et qu'elle a fait une mauvaise chute avant même d'avoir pu ouvrir les yeux.
Quant à son refus, elle lui répondrait bien qu'elle a l'habitude des secrets mais ses paroles pourraient être mal comprises. Alors elle cherche une autre tournure de phrase afin de réitérer sa demande, sans pour autant insister.

-Il y a plus d'une façon d'exprimer ce qui vous trouble sans dévoiler ce qui ne doit pas être dit. Vous pouvez me parler de vos émotions. De ce que vous ressentez, dans vos rêves, comme dans la réalité. Ce que vous avez affronté a provoqué quelque chose en vous et c'est ce qui resurgit pendant votre sommeil. Nous pouvons nous concentrer sur cela, plutôt que sur les faits que je n'ai pas besoin de connaître pour vous aider à trouver l'issue que vous cherchez. Mais seulement si vous le souhaitez.

Elle ne veut pas que la magicienne se sente obligée d'en parler. L'offre est sur la table et elle pose sur elle un regard aussi doux et patient que ce qu'elle peut ressentir dans sa voix, attendant qu'elle lui fasse savoir si elle veut d'elle à ses côtés ou si elle préfère un peu de solitude.

L’engourdissement quittant son corps était semblable à une couverture épaisse et chaude, protectrice et bien venue, que l’on retire peu à peu pour découvrir un corps à peine vêtu livré aux affres d’une nuit d’hiver. A mesure que sa peau se réveillait, que ses sensations s’aiguisaient, la Luminomancienne découvrait ses ecchymoses et ses courbatures. Ses genoux la lançaient, ainsi que la paume de ses mains, son pouce gauche se rappelant à elle, indiquant qu’il devait avoir reçu le poids de la magicienne sur ses articulations lorsqu’elle chuta mains en avant. Mais la présence de Sinieth avait quelque chose d’apaisant, d’une certaine manière.

« Vous avez raison… » Admit-elle, acquiesçant doucement du visage, ses yeux se plongeant dans la terre sombre et froide, comme pour y chercher autant le courage que l’inspiration pour ne point trahir les secrets de l’Académie. « Imaginez… » Commença-t-elle, fermant les yeux, relevant son visage pour toiser du bout de son nez le ciel étoilé et la canopée. « Imaginez que toute votre vie soit tournée vers la lumière, la magie et la bonté. Imaginez que sourire soit votre crédo, et que la curiosité soit votre moteur. Imaginez ensuite que vous vous complaisiez dans la douceur, la chaleur et la lumière, au point de refuser de porter des couleurs sombres sur vous-même, quitte à passer pour un cliché aux yeux de certains. » Précisa-t-elle, ricanant à cette description alors qu’elle se rappelait certaines discussions d’il y a plusieurs décennies – pour ne pas dire siècles – où un élève moqueur comparait la Luminomancienne à un cliché de Lumière. « Imaginez tout cela très chère… »

Anardîl ferma alors les yeux, et commença une danse dont elle seule avait le secret. Se concentrant, son index droit où trônait une imposante chevalière finement ciselée commença à se mouvoir de droite à gauche, et de gauche à droite. La Luminomancienne usait de magie.

Tel le prisme découpant la lumière visible et invisible, Anardîl visualisait son environnement avec des nuances et des fréquences résonnant au travers de sa chevalière. Tout était sombre en cette nuit humide, mais elle discernait tout de même, grâce à ses dons, la chaleur émise par les êtres à proximité. Sinieth, toute proche, était incroyablement perceptible : Anardîl était en phase avec tous ses sens et cela lui arracha un sourire sincère.

Devant la Luminomancienne naquit alors un étrange ballet. De devant ses pieds apparut un écureuil de lumière sautillant devant les elfes, et s’arrêtant devant Sineth, les deux pattes agrippant son pantalon. Si l’ancienne prêtresse ne pouvait point ressentir de griffure, elle pouvait aisément deviner la chaleur qui émanait de cette créature éphémère. Au-dessus de l’écureuil apparut un petit pinçon. Ses ailes battaient avec une rapidité affolante, mais en lieu et place du vent, ce fut une douce chaleur rayonnante qui irradiait vers Sinieth, alors que le pinçon n’arrêtait pas d’aller et venir devant elle à une vitesse incroyable. Partout autour d’elles deux, des animaux, des végétaux, et des éclats de lumières de différentes couleurs allaient et venaient, dans un véritable spectacle féérique. « Imaginez la vie… »

Une vie foisonnante, chaleureuse, douce, naïve, qui jouait avec Sinieth avec toute la douceur d’une création bienveillante. « Maintenant… Imaginez la mort. » L’écureuil disparu. « Imaginez l’abandon de toute vie… » Le pinçon disparaît. « Imaginez le silence assourdissant et l’obscurité abyssale… » A chaque syllabe, une créature lumineuse s’éteint, s’évaporant tout simplement, et avec elle, la chaleur qu’elle émettait. « Imaginez ces profondeurs abyssales, froides, vidées de toute vie, où vos cris ne sont entendus par personnes et où rien ne transparaît… »

Autour de Sinieth et Anardîl, le monde sombra. La Luminomancienne, capable de créer et manipuler la lumière, pouvait aussi la faire disparaître, chose qu’elle faisait petit à petit. A mesure qu’elle décrivait les choses, Anardîl laissait les ténèbres s’épaissir et avec eux, l’absence de toute chaleur quelle qu’elle soit. Bien vite, même Anardîl, pourtant voisine de Sinieth, n’était plus visible. « Imaginez enfin ne plus entendre rien d’autre qu’une vibration sourde et lointaine, un vrombissement omniprésent… Et le cri strident d’un monde qui se déforme soudainement sous les assauts monstrueux d’une entité maléfique. Imaginez la trame de ce monde se tordre de douleur, et ne rien pouvoir y faire… Jusqu’à-ce que tout s’arrête, enfin… »

Les ténèbres disparaissent, Anardîl réapparait, et la nuit, autrefois sombre, apparaît comme nettement plus claire comparativement aux ténèbres créées de toute pièce par la Luminomancienne. Cette dernière rouvre ses yeux. Son index ne danse plus… Mais au moins la chaleur des corps est revenue. « Voilà, très chère. Voilà ce que j’ai vécue, voilà ce qui hante mon sommeil et mon esprit… »

Ce n’était un secret pour quasiment personne, en tout cas personne ne l’ayant assez côtoyé pour le constater : Aegden était un elfe au sommeil aussi difficile que léger. Cela pouvait s’avérer être un net avantage pour un soldat souvent en vadrouille, certes, mais cela devenait un sacré calvaire lorsque le moindre bruit venait à le perturber sans nécessiter de s’en occuper… Entre les bruit de panique discrète, et les bavardages, Aegden fut vite sûre d'une chose : la nuit était terminée pour lui aussi.

Car bien évidemment, la chute de la magicienne eut tôt fait d’annihiler ce peu de paix dans lequel il avait réussi à se plonger.  Au départ, il voulut  tout de même l’ignorer, non pas par mesquinerie mais parce qu’il savait que d’autres, une autre, était déjà au chevet de la mage, et qu’il n’avait pas à écouter ce qui ne le regardait pas. Seulement, il en eut vite assez de fixer les étoiles à travers les frondaisons et ses oreilles pointues captaient les discussions proches, qu'il le veuille ou non.
Alors au bout d’un moment qu’il trouva interminable, il finit par se relever. Aux soldats en faction, il fit un geste de la main.

-Allez vous reposer. Je prends la relève, le temps que ce soit le tour des autres.

Et les soldats d’obtempérer sans protester. Il y avait certaines occasions que la plus zélée des sentinelles n’échangerais pour rien au monde... Et puis le Mainyth vint s’asseoir près du feu. Coude sur les genoux, il tendit ses mains vers la source de chaleur, plongeant son regard dans le ballet des flammes.

-Tu sais Anardil, ça ne t’aidera probablement pas autant que les conseils de Sinieth, pas sur le long terme en tout cas j’imagine, mais… Il haussa les épaules. C’était mieux que rien, non ? Les soldats traversent souvent des expériences qui les laissent dans ce genre d’état. Et, parfois, il ne suffit de pas grand-chose, pour retrouver ses idées claires. Au fil du temps j’ai remarqué que beaucoup finissent par exécuter des…rituels. Certains écrivent pendant des heures, d’autres se plongent à corps perdu dans leurs entrainement…Il eut un petit rictus amusé, malgré ses traits tirés par la fatigue. Parfois à l’excès... Cela lui rappelait à quel point ses hommes pouvaient être déraisonnables parfois, et pourtant à quel point il admirait leur façon d’être, cette flamme au fond de leurs souffles. Ça ne guéris pas les blessures dans ta tête, mais ça t’aide à retrouver tes esprits. Ta magie a l’air de te rassurer. Tu devrais essayer, la prochaine fois que ça t'arrive…Simplement te concentrer dessus, et rien que dessus.

La magicienne s’attendait à recevoir un autre conseil de la part de l’Elfe à ses côtés, mais ce fut une autre voix qui s’éleva. Sans doute que tout ce raffut, ici, avait eu tôt fait de réveiller absolument tout le monde, y compris celui qui était le chef de tout ce détachement : Aegden. S’il n’avait pas voulu montrer une quelconque émotion négative, il était aisé de deviner qu’il était fatigué, et sans doute légèrement de mauvais poil. On le serait à moins : il était en charge de la sécurité de toute cette épopée, et même lorsqu’il n’est pas l’heure de son tour de garde, il ne parvient pas à dormir. Le pauvre…

Ses mots, toutefois, trahirent des notions bien plus sombres et plus grandes que ce qu’ils exprimaient réellement. Les soldats tuent, et meurent ; détruisent et conquièrent ; sont les témoins privilégiés d’affrontements mortels où tombent des dizaines, des centaines… Des milliers de corps meurtris. Nul doute que face à de tels spectacles, d’aucun développe des mécanismes de défense, des habitudes liées à des rituels, des croyances… Ou des bénédictions diverses, parfois créées de toute pièce par l’individu traumatisé.

Face aux propos du Commandant, la thaumaturge acquiesce et écoute. Tout cela lui semble logique, compréhensible, peut-être même naturel… Si tant est que la guerre le soit. Mais elle ne sait pas réellement quoi répondre, sinon qu’elle aimerait se sentir utile face au Commandant qui semble lui aussi en proie à tous ces troubles, depuis plus longtemps que certains, visiblement. Mais que pourrait-il y faire ? Même utiliser la chaleur pour lui réchauffer le cœur serait totalement inutile, et peut-être même mal venu…
« Je comprends… Merci de tes conseils, Aegden. Peut-être réussirais-je à développer moi aussi une force de caractère. »

Sinieth écoute avec grande attention le récit de la magicienne. Ce qu'elle décrit est effectivement très perturbant. Mais elle peut s'imaginer tout ce qu'elle veut, elle ne peut pas deviner ce que ressent réellement son interlocutrice face à tout cela. Ce qui la terrifie dans tout cela. Dans la mort, le vide et cette vibration permanente... Elle va pour ouvrir la bouche et s'arrête alors qu'une autre voix s'élève. L'ancienne vaanie n'a pas besoin de se retourner pour savoir de qui il s'agit, elle l'a parfaitement reconnu. Elle décide alors de se taire et reste là, à observer la réaction d'Anardîl. Elle semble d'accord face à cette proposition toute trouvée mais est-ce cela qui lui conviendrait vraiment ? Sinieth serait bien incapable de le dire car elle ne la connaît pas assez. C'était bien trop tôt...
Cependant, la jeune femme ne cherche pas à intervenir. La magie de cette conversation a disparu. Cette magie psychologique qu'elle a appris à créer au fil des décennies et qui a fait ses preuves depuis longtemps. Elle sait que ce n'est plus le moment de continuer. La luminomancienne va tenter cette technique, ou prendre le temps de la soupeser, avant de déterminer si elle lui permettra de vivre mieux ou non. Alors, elle se contente de poser une main sur son épaule avant de se relever et de s'éloigner. Elle rejoint son compagnon et l'invite silencieusement à la suivre.

Un peu plus loin, elle lui parle à voix basse. Elle est calme et s'adresse à lui aussi sereinement que d'habitude mais elle a besoin de lui exprimer quelque chose à l'abri des oreilles qui les entourent.

-C'est très honorable de ta part de vouloir aider l'une de tes sœurs qui souffre mais je suis un peu frustrée. Cela a été mon travail pendant deux siècles. Un travail que je faisais merveilleusement bien. Et mes méthodes requièrent du temps, beaucoup d'écoute et de discussion. Le but est d'amener la personne à se confier pour qu'elle identifie elle-même ce sur quoi elle veut agir et, surtout, comment. Tes intentions étaient louables, je ne vais pas les blâmer. Mais, s'il-te-plaît... La prochaine fois... Ne m'interromps pas. Lui demande-t-elle comme une faveur.

Sinieth n'a aucun rôle ici. Avant, elle soignait les Souffles la journée et les protégeait la nuit. Elle avait une vie très active dans laquelle on ne pouvait nier la place qu'elle occupait, par l'une ou l'autre de ses identités. Depuis qu'elle a décidé de quitter tout cela, elle n'a plus de fonction. Elle a prêté main forte à la guerre. Elle a pansé les maux de quelques soldats traumatisés. Et c'est tout. Elle se faisait un plaisir de retrouver une quelconque utilité et elle n'est même pas certaine d'avoir pu aider cette femme ce soir car elle ne peut pas évaluer la fiabilité du soutien qu'ils lui ont apporté. Elle ne fait pas de reproche à son compagnon mais elle réalise quelque chose qu'elle n'avait pas vu jusqu'alors... Pour l'instant, elle n'existe qu'à travers les autres. Elle est a fiancée d'Aegden ou la mère d'Elben mais elle n'a pas de statut qui lui soit propre. Et cela lui manque... Mais ce n'est pas une question qu'elle souhaite aborder ce soir. Elle verra cela après leur mission, lorsqu'ils seront en sécurité entre les murs d'une cité.

-Je te laisse le soin de l’aider Sinieth. J’ai confiance en tes méthodes mais il ne s’agit pas de ça. Aegden laissa échapper un bref soupir, ayant bien compris, ou pensant le faire, la frustration de sa fiancée. Lui non plus ne lui faisait absolument aucun reproche. D’ailleurs son ton était tout aussi calme. Cependant, il n’était pas certain de réellement regretter d’avoir interrompu leur discussion. Pas entièrement dans tous les cas  et il ne mentirais pas là dessus. Et si le fiancé ne désirait qu’une chose, assurer à la jeune femme qu'il ne recommencerait pas et oublier cette histoire afin de ne pas la  froisser, le mainyth, lui, devait faire ce qu’il pensait être le mieux pour l’ensemble du groupe, et ce sans biais affectifs. Il baissa encore un peu la voix, histoire d’être sûr et certain qu’il n’y avait qu’eux deux à entendre ses paroles. On n’a aucune idée de ce qui l’a mise dans cet état pour le moment. Je n’ai aucun moyen de prévoir sa réaction face à quelque chose qui lui rappellerait de mauvais souvenirs. J’ai besoin d’être certain qu’elle tiendra le coup demain, et le restant du voyage. Pour elle, pour toi, et pour tous les autres. Alors, à défaut d’avoir le temps de l’aider, je lui donne de quoi gagner un peu de répit, et de calme.

C’était terriblement pragmatique, mais au fond au-delà de vouloir l’aider, volonté certes sincère, il avait surtout fait cela pour le bon déroulement de cette expédition aux apparences si banales…Un soldat instable était un soldat dangereux. Un civil instable l’était tout autant, si ce n’était plus par son manque de discipline. Même en ayant vécu la majeure partie de sa vie en Itrhi’Vaan, l’ancienne chasseuse de mage devait probablement comprendre cela. Aegden l’espérait, en tout cas.

-Je te le promet, une fois tout ça finit, je ne m’interposerais pas dans ce que tu fais. Ajouta-t-il, en relevant un peu ses chuchotements et en haussant les épaules. Cela allait de soi. Je n’en ai ni l’utilité ni la moindre once de plaisir à faire ça. Et puis il s’adoucit un peu. De toute façon c'est fait et on y changera plus rien... Essaie d’aller te reposer un peu maintenant, demain la journée sera longue.

Et lui continua de veiller quelques heures durant face au petit foyer, cédant plus tard sa place sans pouvoir refermer les yeux pour autant. Son cœur était lourd de la position dans laquelle il venait de se placer. Avait-il bien fait ? Face à un ami, aussi cher fut-il, le constat était simple, mais face à sa future épouse… Voilà qui était aussi nouveau que doux amère.

Alors le lendemain matin, sous le masque froid et neutre du soldat, se cachait malgré tout un certain mutisme. Aegden n’avait jamais été très bavard, et il l’illustra parfaitement de longues heures durant, concentrant toute son attention sur les paysages qu’ils traversaient. Vailimo sembla détecter que quelque chose n'allait pas chez son cavalier et tenta bien quelque petites espiègleries mais l'effet ne fut pas des plus remarquables...Tout au plus gagna-t-il quelques caresse machinales peu satisfaisante pour le jeune animal qu'il était.

Au moins avaient-ils de la chance car lorsqu’ils arrivèrent près de la rivière qu’ils devraient bientôt traverser, les lourds nuages au-dessus de leur tête n’avaient pas encore choisit de déchainer leur  épaisse pluie sur eux.

-On devrais se dépêcher un peu. Commenta malgré tout l’un des soldats, le nez en l’air. Il vaut mieux qu’on traverse avant ce qui s’annonce...
-On est encore loin ?
-Je dirais une vingtaine de minutes.

Sans entrer en conflit avec Aegden, elle ne partage pas son point de vue. Elle l'écoute mais ne semble pas être de son avis car la compréhension ne marque pas son visage. Il est pragmatique car il est le responsable de cette expédition. C'est une chose qu'elle peut comprendre dans une situation de crise mais pas dans l'immédiat. Elle voit cette femme qui souffre et ne peut entendre qu'il faut la laisser ainsi, avec juste un conseil pour lui changer les idées, en croisant les doigts pour que cela suffise. A ses yeux, cette solution n'est pas viable mais son compagnon a raison sur un point : ce qui est fait est fait et ils ne peuvent plus rien y changer. Cependant, avant de le quitter, elle a une dernière pensée à partager.

-Tu oublies une chose. La magie ne peut se pratiquer sans volonté et sans concentration. Et dans le pire des cas, je peux maîtriser ses débordements.

La magie est un domaine abscons aux yeux du militaire. Il n'a pas les réflexes qu'elle a acquis depuis bien longtemps, sans parler de ses compétences qui rend tous magiciens potentiellement affaibli, voire impuissant face à elle. Elle ne craint pas Anardîl et se concentre sur sa détresse plutôt que sur le danger qu'elle pourrait représenter pour elle et pour le groupe. Un danger qui n'existe pas à ses yeux.

-Je resterai auprès d'elle.

Ainsi se conclue leur échange tandis que l'ancienne estrevine s'éloigne pour repartir en direction de la luminomancienne, récupérant sa couverture sur son chemin. Elle s'installe à quelques pas d'elle, afin de lui laisser son espace. Elle lui adresse un sourire de soutien, lui faisant ainsi savoir silencieusement qu'elle est là si jamais elle a besoin d'elle. Puis elle s’emmitouflera pour rester assise dans le creux de larges racines d'un arbre millénaire, regardant danser les flammes jusqu'à ce que le sommeil l'emporte enfin.

Le lendemain, aux brefs regards qu'ils échangent, Sinieth sait que la situation est loin d'être dénouée avec Aegden. Elle a exprimé sa frustration et son inquiétude la veille et elle n'a eu qu'une réponse dénuée de tout sentiment en retour. Elle a du mal à l'accepter et se sent responsable du bien-être d'Anardîl depuis. Aussi, après avoir brièvement remballé ses affaires, elle propose son aide à la magicienne avant de remonter dans le chariot qui la transporte depuis leur départ. Durant le trajet, elle guette parfois l'académicienne, le plus souvent à son insu. Elle ne redoute pas une réaction imprévue de sa part, elle s'inquiète, tout simplement. Elle sait que la conversation de la veille ne l'a pas guérie, loin de là. Mais elle ne peut rien y faire tant qu'elle ne lui réclame rien. Tout ce qu'elle peut faire, c'est veiller sur elle à distance et rester disponible.

Les nuages se chargent d'eau au-dessus de leurs têtes, même Sinieth le remarque. Peut-être que le plongeon dans la rivière n'est pas la seule chose qui menace leurs provisions de pain en fin de compte... Et la jeune femme n'est pas la plus habile du groupe lorsqu'il s'agit de jouer les acrobates. L'inconvénient, c'est qu'elle est la seule ici à craindre le froid... Et qu'elle ne sait pas nager pour couronner le tout.

Anardîl ne dirait rien, par respect, par pudeur, par inexpérience aussi, mais ses huit siècles d’existence lui permirent de comprendre que ce qui se jouait non loin d’elle entre Sinieth et le Mainyth n’était ni doux ni normal. Avait-elle été la source de ce grabuge ? Une part d’elle en était convaincue, et se sentait mal à l’aise. Aussi, le sourire qu’elle rendit à Sinieth lorsque celle-ci revint de la tente d’Aegden se voulait plus gêner que réellement… Sincère. Le sommeil revenant rapidement, elle retourna jusqu’en son hamac et s’abandonna à ce sa nuit, espérant ne pas souffrir d’un nouveau réveil abominable.

Le lendemain, toute la cohorte se remit en marche. La canopée laissait entrevoir un ciel lourd de nuages épais, signe que le ciel lui-même s’apprêtait à laisser choir sur les Elfes un peu de sa propre émotion. Serait-ce scientifique d’imaginer cela ? Ou simplement imaginatif, et légèrement empreint d’une réflexion ésotérique, voyant des signes là où seul le hasard impose sa logique ?

En tout cas, même la très terre-à-terre thaumaturge ne pouvait s’empêcher d’y voir là un signe quelconque. La cohorte n’avait pas été bavarde durant les autres jours, mais celui-ci possédait une aura particulière, plus lourde, plus fermée, et plus grise aussi – au-delà du grisâtre des nuages et La Mère elle-même pouvait témoigner de l’importance des couleurs pour la magicienne. Le gris alentours n’aidait pas à raviver son moral.

Enfin, ils arrivèrent à une rivière qu’il leur fallait traverser. Les visages fermés et sérieux des soldats alentours trahissaient le caractère inopportun de la situation. Si une pluie diluvienne s’abattait maintenant, la rivière monterait rapidement, la terre se gorgerait tout aussi vite, et traverser serait non seulement dangereux, mais aussi incroyablement impossible. Il fallait faire vite.

« Peut-être que des soldats devraient débuter la traverser, sécuriser l’autre rive, et aider ensuite les autres ? Il ne pleut pas encore, et je gage que certains d’entre nous ne savent pas très bien nager. Et le ciel a l’air menaçant… »

Partager ainsi ses idées était habituel pour la scientifique, professeure émérite, habituée à débattre avec ses élèves et à discuter d’hypothèses, de problématiques diverses, dans le but d’obtenir des idées et d’avancer dans les projets. Mais ici, elle n’était ni professeure, ni même habilitée à quoi que ce soit… Espérons que le Mainyth n’y voit point une insulte.

-C’est ce qui est prévu oui. Un soldat offre un sourire serein à la luminomencienne. Il ne faut pas s’en faire, on a l’habitude vous savez.

Ce n’était en effet pas la première fois que les soldats de Quatrième-Saison exécutaient ce chemin en compagnie de civils. Même si la pluie qui menaçait semblait être une sacrée épine dans le pied, au moins assez pour faire se renfermer quelques visages, la plupart semblaient plutôt sûrs d’eux.
Quelques dizaines de minutes plus tard, la petite troupe finit par atteindre une zone plus étroite et un peu plus découverte, de la rivière. Ici, quelques gros rochers lisses affleuraient à la surface, laissant aisément un elfe passer de l’autre côté sans finir trempé jusqu’à la taille. Cependant la charrette basse risquait effectivement de légèrement prendre l’eau si elle venait à monter un peu.

-On y est ! Partageons nous les provisions, je ne sais pas vous, mais le méroca trempé, très peu pour moi. Une autre soldate se mit à farfouiller  avec entrain dans les quelques denrées.

Aegden descendit alors de sa monture et se mit à l’aider à séparer le tout. S’il n’était pas de très bonne humeur jusqu’ici, son comportement envers les quelques elfes n’avait pas vraiment changé. Ce qui le contrariait ne les regardait pas après tout.
Mais alors qu’ils terminaient de distribuer la part de chacun, quelques minutes à peine plus tard. Un des artisans s’inquiéta.

-Quelqu’un a vu Farion ? fit-il en ronchonnant et tenant avec lui des affaires pour deux. Je ne vais pas porter les affaires de mon tire au flanc de frère, je vous préviens.

-Il s’est éloigné. Répond alors un deuxième un peu plus placide. Il m’a dit qu’il revenait.

-Eloigné où… ? S’étonne un soldat qui, lui, s’inquiète de cet évènement.

Le bruit d’un corps qui tombait à l’eau répondit de manière plutôt inattendu à la question…

-Farion !

-Je vais le chercher. Commencez à traverser.

Aegden ne laissa pas le temps a l’artisan de paniquer pour son frère et suivit l’origine du bruit, là, il ne vit d’abord rien, si ce n’est un remous dans l’onde calme. Alors, inquiet, il approcha un peu, lance en mains au cas où.

-Fait attention…. Lui lança la soldate, l’observant de loin.

Lorsqu’il finit par apercevoir son camarade dans l’eau, il n’eut pas le temps de chercher à l’en sortir qu’une main saisit la sienne, cherchant à l’entrainer à son tour.  Au moins le premier elfe sembla pouvoir remonter à la surface en crachotant… Il avait l’air choqué alors qu’il se réfugia tant bien que mal sur le premier rocher à sa portée.

-Hé !

La créature qui avait à présent saisi le mainyth semblait dotée d’une force terrible, si bien qu’il avait du mal à lui résister. Ou bien peut-être était-ce dû à la stupeur de voir sur elle les traits d’une femme sensée être quelques mètres plus loin. La peau dorée, les mires bleutées, l’air mystérieux et rieur, cette Sinieth là lui souriait, malgré ses tentatives de l’emporter sous les flots. Et, terrifié, il se sentait lui céder petit à petit. Après tout, pourquoi ne pas rejoindre sa fiancée ? C’était ce que ses lèvres semblaient lui dire dans une moue amusée. Cesser ce bras de fer inutile et plonger.
 
-C’est quoi ce truc ?!

Un troisième militaire couru pour aider le mainyth, mais on l’arrêta.

-Tu n’y pourra rien et tu vas te faire emporter aussi. C’est une Linbess. Il nous faut de la chaleur. Ou rompre sa magie !

Le chariot s'arrête et Sinieth comprend à l'attitude de chacun qu'ils sont arrivés à la fameuse rivière. Alors elle se lève et, depuis son perchoir, observe le passage qui sera le leur. Elle évalue cette corniche et comprend que la traversée sera plus périlleuse pour la charrette et les chevaux que pour ceux à pieds, elle y compris. Satisfaite et un peu soulagée, elle descend du véhicule puis attend sagement qu'on lui donne ce qu'elle aura à porter. C'est Aegden qui le lui apporte, concentré sur sa tâche. Ses lèvres s'entrouvrent alors qu'il se tient toujours devant elle mais rien n'aura l'occasion d'en sortir...
Des voix s'élèvent et attirent l'attention de presque tout le groupe. On s'inquiète pour un dénommé Farion qui s'est éloigné, seul. En soi, cela n'a rien de bien inquiétant que quelqu'un souhaite s'isoler quelques instants. Du moins jusqu'à ce que ce bruit leur parvienne. Un bruit reconnaissable. Le jeune homme serait-il tombé à l'eau ?

Sans plus attendre, le commandant donne ses ordres tout en s'éloignant dans la direction du bruit. Prise d'un mauvais pressentiment, Sinieth le suit du regard. Et puis, elle jette un œil au sac qu'elle aura à porter, le soupesant pour évaluer sa capacité à le conserver sur le dos durant un temps donné. Peut-être le reste du voyage si le chariot ne parvient pas de l'autre côté avant que la pluie ne tombe. Mais elle s'arrête soudain, avant même qu'Aegden ne crie de surprise. Elle a senti le lointain mouvement dans la Trame. Alors elle lâche son sac et se précipite vers le bord de l'eau pour voir ce qu'il se passe précisément.

-Anardîl ! Appelle-t-elle alors qu'elle est déjà en train de se concentrer sur les flux qui les entoure. Je me charge de l'interrompre. Chasse-la.

Désenvoûter le militaire est une chose mais il y en a un autre qui est déjà à la merci de la Linbess. Il faut donc la dissuader de demeurer dans les parages plus longtemps. Et Sinieth ne peut faire tout cela seule.

Laissant la luminomancienne à son Art, elle reporte son attention sur le sien. Elle ne peut pas se contenter de couper tous les flux magiques autour de la créature sans quoi Anardîl n'aurait plus rien pour travailler. Elle doit trouver avec lequel de ces faisceaux invisible elle s'alimente et l'empêcher d'y accéder, quitte à devoir s'en prendre directement aux capacités de cette créature. Alors elle se met à l'ouvrage et, bientôt, l'illusion de cette chose se trouble. Elle n'a plus suffisamment d'apport en magie pour la maintenir, que ce soit les traits qu'elle s'est donnée ou l'attirance qu'elle provoque chez sa victime. Et tout cela disparaîtra, peu à peu, jusqu'à ce que le commandant voit la main d'os qui le tient et le regard vide qui le fixe.

-Aegden ! Appelle-t-elle pour aider son compagnon à trouver le chemin pour s'échapper définitivement de cette illusion qui faiblit.

Pour autant, Sinieth n'en oublie pas sa comparse et elle guette l'arrivée de ce sort qu'elle doit produire, évaluant sa justesse et sa puissance. Peut-être que ce qui l'a tant effrayé cette nuit risque de la bloquer... Peut-être qu'elle ne saura pas vraiment quoi faire. L'ex-prêtresse peut prendre le relais, mais elle a besoin qu'elle commence à produire quelque chose pour cela. N'importe quoi pourvu que ce soit chaud.

Le fait que le soldat acquiesce et atteste de l’idée de la Luminomancienne quant à la marche à suivre, la rassurait grandement. Elle était là pour le bien de ses recherches et de ses projets, créer un moyen de communication à base de lumière entre les cités, mais faire face aux dangers des forêts n’était pas une habitude chez elle : contrairement aux soldats et quelques mages ici présents, Anardîl était une académicienne, une chercheuse, et n’usait de ses pouvoirs que pour apprendre de nouvelles choses, créer et inventer. Aussi la présence d’autant de soldats était rassurante, en bien des points.

Mais les choses s’accélérèrent bien rapidement. Attendant à son tour de recevoir le sac de provisions qui serait son fardeau le temps de la traversée, un cri perçant déchira l’environnement : c’était Sinieth hurlant le prénom de la Luminomancienne.

Abandonnant son sac – le déposant délicatement et en sécurité – elle se précipita vers la zone d’agitation et découvrit la scène : puisqu’elle était de sexe féminin, Anardîl n’avait aucun mal à voir ce squelette animé de magie déformant la trame. Les os de sa main décharnée s’agrippaient au bras du Mainyth, tentant de le traîner jusque dans le fond de cette rivière tandis qu’il luttait pour sa survie. Aux côtés de cette créature se trouvait un autre Elfe, précédente victime, sauvée in-extremis par la présence d’Aegden obligeant la créature à se désintéresser du premier pour se reporter vers le second.

Sinieth était en plein exercice. Anardîl, devenue experte depuis longtemps dans les arts magiques, sentait la trame se tordre dans deux directions différentes : autour de la Linbess, et autour de Sinieth.

Les deux premières secondes, Anardîl sentit l’anxiété s’emparer d’elle. La fatigue n’aidant pas forcément, la magicienne se rendait surtout compte qu’elle était bien novice dans les arts de la guerre, et du combat magique. Ce n’était tout simplement ni son entraînement, ni ses habitudes d’utilisation. Le seul avantage qu’elle possédait en cet instant, était d’avoir plusieurs siècles d’expérience de plus que Sinieth. Ce avantage se matérialisait déjà en cet instant : la trame ambiante réagissait et vibrait en l’esprit de la Luminomancienne via son focalisateur, cette épaisse chevalière à son index droit.

Instinctivement, elle leva donc les deux mains, paumes vers elle, et ferma les yeux. Sa concentration, bien que difficile au début, se fit totale, habituée qu’elle était à s’abandonner à son art dans des buts bien précis. Celui-ci avait été donné par un soldat, et confirmé par Sinieth : il fallait chasser la Linbess. Alors, elle s’y attela. Ses yeux fermés, la Luminomancienne y voyait pourtant comme en plein jour. Les vibrations résonnèrent avec le focalisateur, et la magicienne, telle l’araignée choisissant le bon fil de soie pour sa toile, démêlait les ondes avec une expertise impressionnante.

Elle devait œuvrer avec la chaleur. Aussi filtra-t-elle les ondes, car celles renfermant la chaleur demeuraient dans le domaine de l’invisible. Malheureusement, un Elfe se trouvait sur le chemin de l’acte, et pas n’importe quel Elfe – même si tous les Souffles étaient importants – car il s’agissait du Mainyth. Libérer la magie chasserait assurément la Linbess mais le corps du commandant en assumerait aussi une part des conséquences et des dégâts. Cela était inenvisageable pour la Luminomancienne, qui ne pu crier que quelques mots sans anéantir sa concentration.

« Aegden ! Protège-toi ! »

Plonger dans l’eau, se recouvrir de sa cape, se faire tout petit, qu’importe ! Sa peau ne devait en aucun cas être en contact direct avec la magie de la Luminomancienne, ou il en souffrirait d’atroces brûlures.

Anardîl ne lui laissa que le temps d’un réflexe. Ses mains levées vers le ciel, paumes vers elle-même, redescendirent et pointèrent en direction de la Linbess. Toujours dressées, pulpes vers le haut, paume vers la magicienne, son corps tout entier s’illumina. En moins de deux secondes, la Luminomancienne n’était plus qu’une longue tâche sombre entourée d’une aura lumineuse aveuglante, dirigeant un faisceau ardent. La puissance de cette lumière était aveuglante ; la chaleur cuisante.

Aegden devait rapidement se dégager…

Il forçait et plus il forçait plus ça lui déchirait le cœur. Il ne comprenait pas. Quelque part au fond de son esprit, il savait que ce n’était pas elle. Mais pourtant, il y avait un doute horrible, insidieux. Un rien, qui l’empêchait de blesser la créature devant lui. Qui lui permettait à peine de forcer assez pour ne pas finir sous l’eau.

Mais soudain, son visage élégant se fronça dans une expression contrariée, voir effrayée. Le mainyth put voir l’illusion s’évanouir peu à peu tandis que la créature sembla l’appeler à l’aide une dernière fois.
La vision était plus que perturbante, mais le soldat ne se laissa pas déstabiliser une seconde fois. A peine se sentit-il libéré de l’emprise de la lamia, il usa de toute ses forces pour se dégager. La voix de la mage de lumière retentit dans son dos alors que l’eau commençait à briller et surtout chauffer de manière désagréable.

D’un regard, il remarqua que s’il pouvait désormais fuir la zone, son camarade lui, fixait toujours le squelette, les yeux écarquillés.  Choqué, il semblait pétrifié par la peur et pas près de bouger pour se mettre à l’abris du sort.

D’un bond, Aegden atteint alors son niveau plutôt que de reculer, l’entrainant quelques mètres plus loin sur les rocher et le protégeant avec lui comme il pouvait avec sa cape trempée.

-ferme les yeux Farion ! Tenta-t-il, sans savoir s’il s’exécutait ou non.

Même en se protégeant, l’éclat lumineux devint bientôt difficilement supportable. Et puis, quelques dizaines de secondes s’écoulèrent, et le calme sembla revenir. Aegden attendit encore… Et puis, se risquant à ouvrir les yeux, constata l’absence de tout éclat douloureux. Alors, tout aussi prudemment, il baissa le bras qui tenait la cape devant les deux elfes comme un bouclier.

Plus de trace de la créature dans son champ de vision. Mais deux mages abaissant à peine leurs mains sur la rive. Comme elles n’avaient rien, le mainyth reporta d’abord sur l’elfe allongé sur le rocher à ses pieds.

-C’est fini. Tu peux te relever ?

Un hochement de tête fébrile eut pour réponse une main tendue. Et avec une prudence extrême, les deux elfes traversèrent à nouveau l’onde tièdes pour rejoindre les deux mages.

-Un remerciement s'impose. Sans vous on serait tout les deux au fond de l'eau. fit-il en essorant les quelques pan de tissus accessibles  sans devoir ôter son armure.

Aegden hocha la tête avec déférence non feinte. Il eut malgré tout un regard en coin un  peu plus appuyé envers la mysticiste, sans qu’il sache ni quoi lui dire ni par où commencer à propos de ces derniers instants très bizarres... Devant elle, il se sentait idiot dans son armure trempée et alourdie par des litres d’eau...