[terminé] feu de camp

Berg'inyon ne cacha pas son soulagement de voir ses deux "compatriotes" disparaître dans les broussailles. Pendant un instant, il avait vraiment cru que ça allait mal tourner. Pendant que les battements précipités de son coeur se calmaient peu à peu, il observa Adria qui parlait à son loup.

* Tsss... Comme s'il peut la comprendre... *

Chose surprenante, elle était en train de tenter d'expliquer à Olwë qu'il devait faire confiance au drow. Berg'inyon était le premier à reconnaître que le loup et lui n'entretenaient pas franchement une relation de confiance et il avait encore un peu de mal à se remettre du sale coup que celui-ci venait de lui faire. Après tout, en refusant d'apparaître, il s'en était fallu de peu pour que cette sale bête ne signe leur arrêt de mort !

" Il ne se montre jamais face à des étrangers. Même avec des gens inoffensifs, il reste invisible un temps. "

- Mais... Mais je n'en doute pas... Ricana le drow avec une évidente mauvaise humeur.

S'il y avait bien une chose qu'il détestait, c'était qu'on le trahisse et là, il s'était senti trahi par cette saloperie de paillasson ambulant. Enfin quoi, il tentait de sauver sa maîtresse ! Ladite maîtresse avait d'ailleurs l'air franchement perturbée par cette aventure, et Berg'inyon se demanda un instant si elle n'avait pas eu un choc en voyant les deux Sombres. Après tout, il s'était montré plutôt complaisant avec elle pour un membre de son espèce (c'est-à-dire qu'il ne l'avait ni violée ni tuée NI torturée psychologiquement quoi qu'elle puisse en dire) et elle devait être assez... surprise de constater à quel point les elfes noirs pouvaient être effrayants.

Soudain, les choses se précipitèrent. A peine la jeune sylvaine l'avait-elle averti d'un potentiel danger qu'il sentit le sort du sorcier drow prendre effet. Des cordes invisibles se resserrèrent autour de lui et il se retrouva plaqué au sol, le souffle court. Les fourrés s'écartèrent brusquement pour laisser la place à leurs deux agresseurs, le mage et le guerrier. Fou de rage, Berg'inyon tenta de se débattre mais les cordes qui le retenaient étaient si étroitement enroulées qu'il peinait à respirer, sans parler de la douleur que lui causait le moindre mouvement. Quelques secondes lui suffirent pour comprendre que ses violents efforts pour se libérer ne faisaient que remuer de la boue et, redressant la tête avec difficulté, il tenta d'apercevoir sa compagne de route.

- Adria !

Son rugissement se termina par une lamentable toux étranglée, vu que le mage qui répondait au nom de Naerth venait de lui décocher un méchant coup de pied dans le ventre.

- Salopard... Parvint à murmurer Berg'inyon entre deux quintes de toux. Ca te fait mousser de t'attaquer à un ennemi ligoté ? J'espère que tu raconteras ça à tes copains, histoire de leur expliquer à quel point tu as été brave... Mais bon, j'imagine qu'on peut pas s'attendre à de la bravoure de la part de gonzesses qui portent des robes !

Immédiatement, un autre coup de pieds le fit se plier en deux, crachant du sang. Il aurait dû retenir sa langue trop acérée, et l'autre allait sûrement le faire souffrir encore un peu avant de l'achever. Il aurait dû se taire, il le savait, mais c'était plus fort que lui ; il se la ramenait toujours et voilà ce qui arrivait.
Un ricanement attira soudain son attention.

- Je croyais que l'esclave n'avait pas de nom ? Lança le guerrier, Hune, en s'approchant peu à peu d'Adria. Après tout, c'est juste une rivvil, alors ça ne te dérangeras pas si on s'amuse un peu avec elle avant de te tuer...

Le mage, qui était loin d'être le dernier des imbéciles, approcha son visage du drow ligoté et ajouta :

- Je pourrais laisser mon copain la violer, et ensuite il me laissera prendre la relève... Et puis après, quand on l'aura assez entendu crier, on l'éventrera, et on la laissera contempler ses boyaux avant de crever... Ca te dit comme programme ?

- Ne la touche pas, connard !

C'en était trop. Berg'inyon, d'une ruade furieuse, se précipita sur le mage et senti avec satisfaction son front heurter quelque chose de dur. Immédiatement, une puissante magie le repoussa et il roula sur le dos, les yeux fixés avec une pointe de contentement sur le nez ensanglanté du sorcier drow.

- Bordel, il me l'a cassé ! Hune, chope-la, sa putain d'elfe blanche ! Je veux l'entendre crier...

Le guerrier s'approcha d'Adria, un sourire inquiétant sur les lèvres. Berg'inyon se doutait bien, hélas, de se qui allait suivre ; il avait vu trop souvent ce qui arrivait quand une jeune elfe blanche sans défense tombait entre les griffes d'un groupe de drows. Effectivement, ils ne la tueraient pas tout de suite, mais cela aurait sans doute mieux valu pour elle de mourir rapidement plutôt que de se voir infligé ce genre de sévices. Mais il savait aussi que le sorcier ne pourrait retenir deux personnes en même temps ; et tant qu'il était occupé avec lui, il ne pourrait pas immobiliser la sylvaine...

- Adria, sauve-toi ! SAUVE-TOI !

Le sorcier le réduisit au silence d'un ultime coup de pieds mais il espéra qu'elle avait pu l'entendre avant qu'il ne soit trop tard.

Un cri transperça soudain l'atmosphère, un cri de douleur pure. Berg'inyon, à moitié sonné par le dernier coup bas du mage, eut tout de même le réflexe de lever les yeux juste à temps pour voir une énorme boule de feu fendre les airs, dirigée droit sur eux. Naerth sembla s'en apercevoir en même temps que lui car il tenta de s'écarter d'un bond avant de s'affaler, projeté face contre terre par un croche-pied du mercenaire.

* Ca, songea Berg'inyon avec un plaisir sadique, c'est de la part de ma putain d'elfe blanche... *

Immédiatement, il serra les dents et baissa la tête pour tenter de protéger son visage. La gigantesque boule de feu les enveloppa et explosa dans un vrombissement assourdissant. A côté de lui, le mage hurla. Visiblement, il n'avait pas eu le même réflexe que son prisonnier car il s'étreignait les yeux en gémissant. Avec un peu de chance, la violente luminosité l'avait rendu aveugle si les brûlures ne s'en étaient pas chargées...
Dans un claquement, les cordes magiques se desserrèrent d'un coup. Même un excellent magicien ne pouvait garder sa concentration intacte en subissant une telle souffrance, et celui qui se faisait appeler Naerth était trop occupé à geindre pour se soucier du fait que son prisonnier venait d'être libéré et était vachement en colère. Berg'inyon souffrait aussi, évidemment ; c'était sans doute lui qui avait le plus été touché par la magie, mais sa technique de roulé-en-boule lui avait épargné des blessures graves dans les zones les plus sensibles. Une longue brûlure traçait un sillon désséché sur sa joue, résultat du passage d'une étincelle en balade, mais il n'avait pas perdu l'usage de la vue et, à en juger d'après le sort qu'avait subi le sorcier, il avait eu de la chance.

Sitôt ses liens disparus, il se releva d'un bond et parcourut les environs du regard. Son sabre, le Veilleur de Nuit, était largement hors d'atteinte. Adria semblait inconsciente et ne lui serait d'aucune utilité, Hune quant à lui était plié en deux, encore aveuglé par le brusque passage de la boule de feu, et semblait se débattre avec un ennemi invisible qui ne pouvait être autre que le loup. Ses yeux mettraient quelques secondes avant de se réhabituer à l'obscurité et, pour Berg'inyon, s'était largement assez.
Sans réfléchir, il s'élança vers le mage qui titubait. Son esprit cynique et cartésien avait fait place à une frénésie violente, un instinct meurtrier, une véritable rage qui activait ses muscles sans passer par son cerveau. Il avait besoin de déchirer, de tuer ; il voulait voir l'herbe de la forêt tâchée du sang de ces deux drows et humer l'odeur de la mort quand il les égorgeraient...

Sa main alla immédiatement s'enrouler autour de la dague occulte que le jeteur de sort portait à sa ceinture et, d'un geste violent, il l'arracha hors de son fourreau. Le mage, à qui il restait assez de lucidité pour comprendre ce qui s'était passé, hoqueta en se plia en deux tandis que le mercenaire lui enfonçait la lame dans le ventre en pesant de tout son poids. L'odeur âcre du sang emplit l'air, ses mains se teintèrent de rouge et il sentit une joie sauvage l'envahir.

- Quand tu rencontreras ta déesse, murmura-t-il à l'oreille du drow agonisant, n'oublie pas de lui dire qui a mis fin à ta pitoyable vie...

D'un geste sec, il retira l'arme et recula sa main, prêt à l'achever. L'autre eut à peine la force de lever un avant-bras pour se défendre, en vain. La lame sombre transperça aisément cette faible défense et se fraya un chemin vers la gorge sans défense, recouvrant l'armure du mercenaire d'un émail de sang.

Le guerrier drow survivant se démenait avec le loup, peinant visiblement à se défaire de son adversaire invisible. Tranquillement, Berg'inyon alla récupérer son long sabre à la garde noire avant de se diriger vers lui, impassible. Le combattant, dès qu'il le vit approcher, se prépara à engager le duel. Quelques feintes et deux ou trois attaques vicieuses suffirent au mercenaire pour comprendre que son adversaire était plutôt doué. Ils enchaînaient les passes d'arme, les percées, les ripostes, mais aucun ne parvenait vraiment à prendre l'avantage sur l'autre. Doué, mais peu expérimenté ; le type de combats dont il avait l'habitude incluaient visiblement certaines règles spécifiques alors que Berg'inyon, pour sa part, n'obéissait qu'à une seule règle : "Reste en vie".

D'un mouvement qui aurait été salué par les meilleurs maîtres escrimeurs, Hune écarta la lame de son adversaire avant de se plier en deux, atteint d'un coup de genou dans l'aine. Furieux, il fendit l'air de son épée et effleura l'épaule de Berg'inyon qui, handicapé par les brûlures qu'il avait subi, peinait à bouger aussi rapidement que d'habitude. Le mercenaire continuait les attaques mais l'autre parait sans cesse et, irrité, il se demandait bien comment il allait pouvoir l'atteindre jusqu'à ce que son ennemi ne lui en donne enfin l'occasion.

Hune s'élança, bien décidé à transpercer de son arme le coeur de ce drow fou furieux qui avait tué son copain, et dévoila une faille dans sa défense. Immédiatement, Berg'inyon tendit le bras et sentit la lame du guerrier drow ripper contre son cou, dévier sa course puis pénétrer profondément dans son épaule. Le Veilleur de Nuit, en revanche, alla transpercer le coeur de Hune qui mourut quasiment sans souffrance, contrairement à son malchanceux de compagnon.

Berg'inyon, enfin libéré de la présence de leurs deux agresseurs, ne perdit pas de temps. Il était seul dans la forêt en compagnie d'un loup invisible, d'une sylvaine dans les vapes et de deux cadavres à la peau noire. Quelqu'un, n'importe qui qui n'était pas complètement crétin en fait, allait rapidement se rendre compte qu'il manquait deux personnes à l'appel. D'autres viendraient, verraient l'état des lieux et ne tarderaient pas à comprendre ce qui s'était passé. La première chose à faire, donc, était de partir le plus loin possible d'ici, et vite !

Le mercenaire rassembla leurs maigres affaires, s'approcha d'un pas rapide vers Adria et se pencha vers elle, ignorant les grondements d'avertissement d'Olwë. La poitrine de la jeune sylvaine se soulevait à intervalles réguliers, signe qu'elle respirait ; elle était inconsciente mais visiblement pas blessée, ce qui était plutôt une bonne nouvelle.

- Calme-toi. Je ne vais pas lui faire de mal...

Doucement, comme on soulève une poupée, il la prit dans ses bras. Elle pesait moins lourd qu'une plume (*Normal à force de bouffer des salades*) et sa peau était froide au toucher. Machinalement, il se mit à marcher de plus en plus vite, puis à courir à grandes foulées, comme un automate. Il n'y avait plus que deux choses qui lui importaient : mettre le plus de distance possible entre lui et le champs de bataille et emporter dans sa course la fragile créature qu'il serrait contre lui. Le reste serait pour plus tard, pour peu qu'il y ait un plus tard.

Enfin, il finit par s'arrêter dans une petite clairière bordée par un ruisseau. C'était un lieu isolé, particulièrement paumé, et il n'avait pas choisi le coin par hasard. Alors qu'il déposait la jeune fille inconsciente sur le sol, il la sentit s'agiter un peu.

- Tu as repris connaissance ? Demanda-t-il d'une voix basse et éraillée.

Alors qu'elle ouvrait les yeux, il se rendit compte qu'il devait avoir un aspect assez terrifiant. De longues traînées de sang maculaient son armure, son sabre et ses vêtements. Son visage était couvert de terre, ses cheveux collés par le sang et la boue ; en se passant la langue sur ses lèvres désséchées, il sentit un goût de fer inonder sa bouche. Du sang séché, qui allait jusqu'à souiller son visage, et il avait aussi cette lueur au fond des yeux, cette étincelle de folie qui lui donnait l'allure d'un dément. Après l'expérience qu'elle venait de vivre, cela devait être assez effroyable comme vision, surtout au réveil...

Il faisait sombre, très sombre et Adria ne savait pas où elle était. Elle avait l'impression d'être ballottée en tous sens, mais ne parvenait pas à savoir ce qui lui arrivait. Tout ce qu'elle savait c'était qu'elle avait mal partout, comme si son corps avait été vidé de toute énergie vitale et qu'un mal de tête infernal lui martelait le crâne. Et puis, il y avait ces images qui la hantaient, avec des êtres couleur nuit aux yeux rouges. Cauchemardesque... Elle avait peur, était terrorisée, même, mais elle n'avait plus la force de bouger pour se défendre ni même pour crier. Crier à quel propos, d'ailleurs ? Tout se mélangeait et elle ne savait plus trop. Toujours cette impression d'être secouée, mais elle se calma peu à peu, plongeant dans une obscurité qui avait au moins le mérite de ne cacher aucun démon. Juste un noir d'encre.

Puis l'agitation cessa et après un instant de vide, elle fit un effort pour mettre un peu d'ordre dans son esprit. Essayer de revenir à quelque chose de plus coloré que ce vide glacé dans lequel elle se perdait. Il y avait une voix, qui lui parlait, qui acheva de la tirer de son inconscience mais qu'elle ne reconnu tout d'abord pas, pas plus qu'elle ne comprit ce qu'on lui disait. Pour l'instant, elle se contentait de s'y raccrocher comme elle pouvait.

Quand elle ouvrit les yeux, elle resta tout d'abord figée, hébétée, sans vraiment voir ce qu'il y avait alentour. Où était-elle ? Qu'est ce qui s'était passé ? Les feuilles d'arbres qui bruissaient doucement, le glouglou du ruisseau l'apaisèrent sans qu'elle ne s'en rende compte. Puis, après un temps, malgré l'obscurité, sa vision s'accommoda sur Berg'inyon et elle eut un instant de flottement. Il y avait du sang... beaucoup de sang... Elle ne cilla pas, trop épuisée pour avoir peur, manifestement, pour esquisser le moindre geste ou peut-être simplement pour prendre conscience de ce qu'elle avait devant elle. Elle referma les yeux, cherchant à rassembler ses idées et reconstituer les événements. Les drows... Elle eut un frisson de peur avant de se rendre compte que c'en était probablement terminé. La magie... Oh non... Elle s'en était à nouveau servi. Et pourtant, elle s'était promis de ne plus y faire appel pour se défendre. Après ce qui s'était passé dans les ruines, elle ne voulait plus prendre ce risque. Oui, mais la magie, elle, en avait décidé autrement. Elle revit brièvement la boule de feu qu'elle avait entraperçue avant de s'évanouir. Quelle folie ! Enfin... A quoi bon ressasser tout ça ?

Elle fit l'effort de rouvrir à nouveau les yeux une minute plus tard et dévisagea le jeune homme, se rappelant enfin ce qui s'était passé. Il avait l'air blessé... Puisant dans le peu de forces qu'elle avait, elle lui prit doucement - d'autant plus doucement qu'elle arrivait à peine à bouger - la main, inquiète.

" Tu... "

Elle reprit son souffle et refit un essai, d'une voix tellement faible qu'on l'entendait à peine.

" Tu vas bien ? "

Avec tout ce sang et ce regard à glacer le sang, elle en doutait... Mais au moins, il était bien vivant, c'était l'essentiel, non ? Elle l'espérait sincèrement. Elle laissa retomber sa main et referma à nouveau les yeux, exténuée. Mais il y avait aussi quelque chose d'autre qu'elle devait savoir - même incapable d'aligner trois mots, il fallait qu'elle se montre bavarde et s'agite. Elle souffla donc, à la limite de l'audible :

" Olwë ? "

Sous entendu : où est-il ? Comment va-t-il ? Elle se doutait qu'il avait fait sa part de travail pour qu'ils parviennent à s'en sortir. Mais elle savait aussi qu'il n'était pas un prédateur redoutable sans une meute à ses côtés. S'il lui était arrivé malheur à cause d'elle - car elle se sentait responsable de ce qui était arrivé - elle ne se le pardonnerait jamais. C'était une chose de toujours relativiser les ennuis qu'elle pouvait avoir, elle, mais ça avait des limites. Quand il s'agissait de Berg'inyon ou d'Olwë, c'était tout de même différent. Les yeux toujours fermés, elle attendit les réponses en essayant de ne pas sombrer dans le sommeil. Son mal de tête avait presque disparu, mais elle avait l'impression d'avoir perdu toutes ses forces. Pour le peu qu'elle se rappelait de la boule de feu qu'elle avait généré, ça n'avait rien d'étonnant, elle aurait aussi bien pu en mourir. Il faudrait qu'elle apprenne à maîtriser sa magie, coute que coute. Surtout si cette dernière se mettait à présent à agir indépendamment de sa volonté. Elle risquait de devenir beaucoup trop dangereuse. Elle mit ce genre de soucis de côté pour le moment. Chaque chose en son temps. S'inquiéter alors qu'elle n'y pouvait rien ne l'avancerait pas, alors autant ne pas y penser.

De son côté, après avoir hésité à laisser le drow s'approcher de sa petite maîtresse, Olwë avait gentiment trottiné aux côtés de Berg'inyon. Il n'avait pas l'air blessé, même si du sang maculait son poil. Lorsque le jeune homme s'était arrêté dans la clairière, le loup était allé se désaltérer rapidement avant de poser un regard suppliant sur lui "Sauve la, fais quelque chose" semblait-il vouloir dire. Puis il s'était résigné et couché en boule aux pieds d'Adria, prêt à réagir au moindre danger.

Quand la jeune fille souffla son nom, il se leva, et, tout à sa joie, alla lui lécher le visage. L'elfe rouvrit les yeux en sentant la langue humide et râpeuse, murmurant avec autant de fermeté que possible malgré son état :

" Arrête. "

Obéissant, le loup retourna se coucher à ses pieds, sentant sans doute que ce n'était pas le moment pour les débordements d'affection.

Puis Adria se rendormit malgré elle et replongea dans les ténèbres, trouvant quand même le moyen de murmurer à voix haute dans ses cauchemars.

...

Des drows, beaucoup de drows.
Adria court pour leur échapper.
Et des yeux rouges qui la fixent, un bras qui se tend, elle fuit encore.
Elle veut hurler mais aucun son ne sort de sa bouche, elle veut courir mais ne parvient pas à avancer. Un classique.
Un autre drow, des yeux bleus sombres se détachent. Elle hésite en le dévisageant.
Un aboiement qui la fait se retourner, sa tête explose.
Le monde bascule alors qu'une énorme boule de feu traverse les airs, engloutissant tout sur son passage, drows, loup, elle-même...
Un minotaure passe...
Un magicien et un nain qui hurle de douleur dans les flammes...
Adria secoue la tête pour ne plus voir les dégâts qu'elle inflige aux autres malgré elle.
Trop tard...

...

Quand elle rouvrit à nouveau les yeux, le jour pointait à travers la frondaison. Son cœur battait un peu trop vite, vu les cauchemars qu'elle venait de faire, mais elle se calma assez rapidement. Tout était tranquille, c'était terminé. Du moins, elle l'espérait. Elle constata que son mal de tête avait disparu et que ses forces revenaient. Pas au point de bondir sur ses pieds, mais assez pour rester éveillée et aligner trois mots d'une voix à peu près vaillante.

" Humgrf ? "

Trois mots cohérents, ce serait sans doute mieux. Elle cligna des yeux pour s'habituer au peu de lumière qu'il y avait et sentit Olwë qui remuait à ses pieds.

" Berg'inyon ? Tu es là ? "

Tout en parlant, elle le chercha du regard, encore un peu étourdie.

" Tu... Tu vas bien ? "

Hébété, Berg'inyon sentit plus qu'il ne vit une main frêle chercher la sienne. Elle était froide, terriblement froide, et cette sensation glacée suffit à le faire émerger de son état second. La lueur effrayante qui habitait ses prunelles quelques instants auparavant se calma et, dans un soupir, il sentit ses muscles se décontracter un peu.

Tant mieux. Cette odeur de mort, de sang et l'urgence de la situation lui avait monté à la tête, et il savait que ce n'était pas la première fois. Il avait vu trop de guerriers drows devenir fous furieux à l'approche du combat, se trouvant soudain capables d'atrocités pires qu'ils n'en auraient même cauchemardé. Dans cette brume de violence et de fureur, il risquait de devenir un danger pour son entourage et mieux valait qu'il se calme un peu avant d'entreprendre quoi que ce soit. Maintenant plus que jamais, il avait besoin de toutes ses facultés mentales pour les tirer de cette inextricable situation.

Premièrement, s'assurer qu'Adria était en sécurité. Il l'entendit appeler le loup qui, heureusement, les avait suivi en trottant à bonne allure. Olwë ferait un bon guetteur le temps que Berg'inyon ne règle son autre problème et il pourrait veiller sur sa maîtresse en l'absence du mercenaire. Celui-ci n'appréciait pas trop l'idée de devoir laisser Adria toute seule pendant un long moment mais, malheureusement, il avait un autre impératif à remplir, la raison même pour laquelle il avait choisi cet endroit précis. Se laver.

Il était couvert de sang. Le liquide poisseux à l'odeur âcre avait pénétré son armure, souillé ses vêtements et signalait sa trace comme autant de balises fluorescentes qu'il aurait laissé sur son passage. Les drows ne les retrouveraient pas tout de suite, mais il y avait des animaux sauvages en quantité dans ces forêts et ceux-ci étaient capables de détecter l'odeur du sang à des kilomètres. Son besoin le plus pressant était donc de se débarrasser de cette couche répugnante avant de devenir un appât pour d'autres choses plus féroces encore que les Sombres.

- Olwë, commença-t-il d'un air sec.

Le loup leva la tête, car s'était la première fois que Berg'inyon s'adressait directement à lui, et par son nom en plus.

- Je vais m'absenter un moment. Je ne m'éloigne pas, alors je compte sur toi pour veiller sur elle. Si jamais quoi que ce soit approche du campement, tu hurles... C'est compris ?

Il n'avait aucun moyens de savoir si le loup avait effectivement compris mais celui-ci le regardait avec un regard plutôt intelligent. Et puis, de toute façon, il n'avait guère d'autres choix ; il lui fallait prier pour que rien ne se passe d'ici son retour. Après tout, ils avaient déjà eu leur lot de malchance pour la journée...

Il étendit la seule cape encore intacte au-dessus de la jeune fille (la sienne étant bien trop imbibée du sang du sorcier drow) et s'éloigna en direction de la rivière, son sabre ensanglanté en main. Il lui faudrait aussi laver son arme et son armure, sans quoi ils rouilleraient et ne seraient plus bons qu'à être jeté. Quelque soit la situation, un guerrier avisé prenait soin de son équipement et Berg'inyon s'était toujours classé dans cette catégorie. Il atteignit donc rapidement la rivière, remonta sur quelques mètres et déboucha sur la petite source qu'il avait déjà repéré.

C'était un simple filet d'eau qui jaillissait entre les rochers, comme une fontaine dans un jardin ornemental, mais une curieuse dépression au creux du sol avait creusé une sorte de cavité de la taille d'une très large baignoire, rempli d'eau claire et transparente.

* Une petite cascade au-dessus d'un bassin naturel * S'était dit le drow en le voyant la première fois.

C'était le lieu idéal pour enlever toute cette crasse répugnante dont il était couvert.

En soupirant, il se dévêtit et entra dans l'eau. Le clapotis de la source couvrait tout le bruit qu'il aurait pu faire, aussi nul besoin d'être prudent. Ce simple bruit d'eau dans le silence angoissant de la forêt résonnait comme une musique à ses oreilles et le contact frais de l'onde contre sa peau apaisa un peu la douleur de ses blessures.

Il avança vers le centre du bassin jusqu'à son niveau le plus profond, c'est-à-dire à environ trois mètres du bord. L'eau lui arrivait jusqu'à la taille, pas plus haut, mais c'était amplement suffisant. Au bord de sa baignoire improvisée, la terre et les feuilles en décomposition s'étaient mêlées en une sorte de boue molle et rafraîchissante, excellente pour calmer les brûlures, et Berg'inyon s'en saisit à pleines poignées avant de s'en frotter vigoureusement le corps. Des plaques entières de terre et de sang séché se détachaient et il dût user une grande provision de tout ce qui lui tombait sous la main (herbes, feuilles, boue...) pour les faire partir. Alors qu'il se lavait, quelques filets de sang rougeâtres se mêlaient à la rivière, provenant de la plaie qu'il portait à l'épaule. Celle-ci l'élançait douloureusement et un examen un peu plus poussé lui permit de remarquer que quelques éclats de métals étaient demeurés à l'intérieur ; quand elle serait réveillée, il lui faudrait demander à Adria de l'aider à s'en débarrasser sous peine de voir la blessure s'infecter.

Une fois qu'il se trouva à nouveau propre, il attira à lui son armure et son sabre pour leur faire subir le même nettoyage drastique. Hors de question de laisser la moindre trace de sang qui puisse les endommager ; le métal dont ils étaient fait tout les deux lui avait coûté bien trop cher pour qu'il ne se permette de prendre leur entretien à la légère. Ses habits y passèrent également, ainsi que sa cape, et tout se retrouva finalement sagement étalé sur une pierre non loin de là. Cela faisait une bonne heure sans doute qu'il était partis et s'il l'avait pu, il aurait rejoint la sylvaine pour s'assurer qu'elle allait bien. Malheureusement, ses habits étaient encore trempés et vu qu'il n'y avait plus de soleil du tout, il allait devoir attendre qu'ils sèchent. Sa blessure à l'épaule continuait de saigner mais il l'enduisit d'un emplâtre fait de boue et de feuilles, maintenu en place par quelques lambeaux de tissus arrachés de sa cape.

Il se sentait vidé, lessivé dans tout les sens du terme. Son précédent combat et sa longue course dans les ténèbres semblaient être venue à bout des dernières forces qui lui restaient. Epuisé, il s'approcha de la source pour se placer juste sous la mini-cascade jaillissante et il s'appuya avec reconnaissance contre la pierre froide, les yeux fermés, savourant le calme qui l'entourait et la douce sensation purificatrice de l'eau qui coulait le long de ses muscles endoloris. La sensation de douleur se fit de moins en moins présente et finit par disparaître tout à fait au fur à mesure que le drow s'enfonçait dans une épaisse langueur. Finalement, la fatigue eut raison de lui et il s'endormit sans même s'en rendre compte, doucement bercé par le faible courant de la rivière.

Le temps passa, et ce fut le matin...

Le drow n'était pas là, constata Adria avec inquiétude. L'avait il laissée ou s'était-il simplement éloigné ? Plutôt laissée, non ? Il n'allait pas la balader, complètement inconsciente, à travers la forêt et avec des sombres aux trousses... Il fallait se faire une raison. Elle soupira, essaya de rassembler ses forces alors qu'Olwë revenait à la charge pour lui lèchouiller le visage avec enthousiasme. Adria se mit à rire, preuve qu'elle allait mieux et le repoussa gentiment.

" Arrête, affreuse chose ! "

Elle se sentait mieux, son mal de tête avait disparu et elle était un peu moins fatiguée, même si elle avait l'impression de porter tout le poids du monde sur ses épaules. Elle eut un moment de vide où elle se contenta d'écouter le vent dans les feuilles et regarder les premiers rayons du soleil. Elle aimait la forêt, comme n'importe quelle Sylvaine, elle s'y sentait chez elle. Elle aurait presque pu oublier ce qui s'était produit quelques heures plus tôt, un peu comme on émerge d'un cauchemar. Ce qui ne l'empêcherait pas d'en refaire, justement, des cauchemars. Mais pour l'instant, elle allait relativiser, comme à son habitude. L'instant était paisible, elle en profitait.

Le clapotis de l'eau lui fit soudain se rendre compte qu'elle avait soif... Se lever ? Il faudrait bien qu'elle s'y mette un jour et puis, elle avait la gorge trop sèche. Elle dut s'y reprendre à deux fois pour s'asseoir et se demanda si elle parviendrait à la source qu'elle entendait couler et qui semblait l'appeler. Elle mit une bonne dizaine de minutes avant de parvenir à se mettre debout et ce fut d'une démarche peu assurée, en s'appuyant tour à tour aux arbres, qu'elle se rendit jusqu'à l'eau et se laissa tomber au bord, épuisée. Prenant de longues gorgées, elle ne releva les yeux que lorsque sa soif fut altérée.

Ce fut à ce moment qu'elle remarqua vraiment la cascade et, en dessous... Elle ouvrit de grands yeux stupéfaits, murmurant :

" Berg'inyon ! "

En même temps, si elle avait fait attention deux minutes à ce qui l'entourait, elle aurait vu que les affaires du jeune homme étaient étalées partout alentour. Enfin, non, il n'était pas parti en l'abandonnant finalement, il était juste allé prendre un bain bien mérité. Mais qu'est ce qu'il fabriquait planté sous la cascade à... dormir ? Il n'était pas mort, au moins ? s'inquiéta-t-elle soudain. après tout ce qui leur était arrivé, son côté optimiste avait tout de même un peu de mal à refaire surface.

Elle s'assit au bord de l'eau, essayant de rester stable, ce qui n'était pas évident vu qu'à chaque mouvement brusque elle voyait des étoiles danser devant ses yeux. Olwë folâtrait à ses côtés, se demandant sans doute s'il allait lui aussi patauger un peu. Il aimait bien l'eau et devait juste craindre que sa maîtresse ne le rappelle à l'ordre pour repartir. Mais elle n'était pas en état d'aller où que ce soit pour le moment, quand bien même elle en aurait eu envie. Pour l'instant, Adria ne faisait d'ailleurs pas vraiment attention à lui, et elle s'écria, tentant de passer au-dessus du bruit de la cascade :

" Berg'inyon ! "

Difficile de savoir s'il l'avait entendue, vu le peu d'énergie qu'elle avait pour crier. Chaque mot lui coutait un effort, elle détestait cette sensation de devoir soulever des montagnes pour la moindre banalité. Elle fit un geste las pour appeler du loup.

" Va voir, Olwë. Va le voir. " demanda-t-elle en réprimant un nouveau vertige.

Qu'Olwë ait compris ou non, il alla dans l'eau avec plaisir et se mit à barboter gaiement. Parti comme ça, il allait plutôt jouer avec les poissons en éclaboussant tout sur son passage... Adria leva les yeux au ciel et lui fit signe à nouveau d'aller voir Berg'inyon. Le loup finit donc par se diriger vers lui sans se presser. Une nouvelle séance de léchouilles en perspective qui ne plairait sans doute pas au jeune homme mais Adria ne se sentait pas la force d'aller vérifier elle-même qu'il allait bien. Après ce qu'il avait fait pour elle, c'était la moindre des choses de ne pas le laisser mourir sous une cascade et si ça devait le faire râler, eh bien elle s'en accommoderait vu qu'au moins il serait vivant.

Elle jeta un coup d'œil aux affaires étalées et se rendit compte que le jeune homme devait être nu comme un ver. S'il sortait de l'eau comme ça, nul doute qu'elle finirait rouge comme un pivoine. Enfin, pour le moment, elle était plus inquiète qu'autre chose et puis elle ne se sentait plus la force de refaire le chemin inverse. D'ailleurs, elle finit par se laisser retomber en arrière, dans l'herbe. Cette magie ! Ça lui avait pris la moindre parcelle de son énergie et sans qu'elle n'ait rien demandé en plus ! Elle cligna des yeux pour éviter de se rendormir aussi vite. Elle avait assez dormi comme ça, maintenant. Il fallait qu'elle se secoue un peu si elle voulait reprendre des forces. La logique n'était peut-être pas évidente, mais elle voyait les choses comme ça. Blessée ou malade, elle ne s'était jamais complu dans un lit à se faire dorloter. En même temps, elle n'avait jamais eu personne pour prendre soin d'elle, si ce n'était Olwë et sa bienveillance, elle avait donc appris à faire avec. Étourdissements ou non, elle allait donc se secouer, elle avait assez rêvassé comme ça.

Un rêve...

Berg'inyon n'avait pas rêvé depuis des années, sans doute parce qu'il avait trop les pieds sur terre pour attacher de l'importance à ce genre de choses, ou à moins que ce ne soit parce qu'il finissait souvent sa journée dans un état de lassitude telle qu'il ne rêvait pas. En tout cas, cette fois, il rêva ; et lui sembla au matin que son rêve avait été particulièrement agréable. Il aurait aimé s'en souvenir mais les fugitifs fragments de mémoire s'échappaient dès qu'il tentait de s'en approcher, comme des papillons effarouchés qui éviteraient la main du promeneur. Il se sentait détaché du monde, infiniment loin de tout, et quand il ouvrit les yeux ce fut pour constater qu'il était empli d'une énergie débordante.

Ce fut comme ça que cela se passa. Il dormait profondément, plongé sans doute dans ce rêve délicieux qu'il aurait aimé poursuivre, quand une truffe froide vint soudain se plaquer contre son cou. Il grogna, tourna la tête et sentit soudain quelque chose de râpeux et de désagréablement humide se frotter contre son visage avec insistance. Quelque chose de baveux.

- PUTAIN !!!!

Il se réveilla en sursaut, haletant et trempé, tous les sens en alerte. Il lui fallut ensuite plusieurs secondes pour comprendre que 1) c'était Olwë qui l'avait réveillé en le léchant ainsi ; 2) il était encore sous la cascade ; 3) il était complètement nu.

- Et meeeerde !

D'une poussée, il écarta de lui le loup baveur et insistant avant de s'essuyer le visage avec une pointe de dégoût, suffoquant sous l'haleine chargée de l'animal. Une fois que le carnassier auteur du délit sur sa personne fut dûment éloigné, il jeta un coup d'oeil à la situation.

- Adria ?

La jeune sylvaine était bien là, allongée au bord de l'eau à quelques mètres de lui. Il lui avait semblé l'entendre dans son rêve, une voix douce et féminine qui répétait : "Berg'inyon... Berg'inyon... "
La première chose qui lui vint à l'esprit fut d'avancer vers elle pour voir comment elle allait, mais il se souvint à temps d'un détail bénin quoique toutefois embarrassant : son absence de vêtements. Un second coup d'oeil dans la direction de l'elfe lui permit de constater que non seulement elle squattait l'herbe près de SON bassin pendant qu'il se baignait et qu'elle n'était pas disposée à partir, mais aussi qu'elle était allongée sur SES vêtements. Difficile de trouver une alternative recommandée par la pudeur quand l'accès à des habits décents était barré par une demoiselle aussi prude que charmante.

- Rhaaa...

Ennuyé, il se passa une main dans les cheveux et réfléchit à une autre alternative. Il était un drow et il se souciait peu des bonnes manières, et puis il n'y avait personne d'autre à choquer ici en dehors d'elle et de son loup qui, de toute façon, était techniquement - et en permanence - nu comme un ver. Après tout, c'était elle qui avait lâché sur lui ce monstre baveux et puant pendant qu'il dormait, interrompant un rêve magnifique qui lui demeurerait à tout jamais inaccessible. "Oeil pour oeil, dent pour dent" comme on dit, et à charge de revanches...

Bref, il haussa les épaules et se dirigea vers le tas d'habits pour l'heure occupé par la demoiselle, émergeant de l'eau avec la grâce d'un Apollon à la peau couleur de cendres (Berg'inyon avait toujours eu une très haute opinion de lui-même, et de son physique en particulier), sans le moindre geste pour tenter de cacher sa nudité. Son torse et ses bras étaient strié par de nombreuses cicatrices, souvenirs d'anciens combats dont il avait gardé les marques blanches imprimées à même le corps. Superbe de sensualité comme seuls les drows savent le faire, il passa à côté d'Adria sans la moindre once de pudeur et lui jeta un bref regard en coin.

- Eh ben ? T'as jamais vu d'homme avant ou quoi ?

Il se pencha pour ramasser le vêtement le plus à sa portée, à savoir sa cape, et il se la noua autour de la taille, mettant ainsi fin à cette situation plus que gênante dont il était le principal instigateur (quoique la jeune fille y avait aussi largement pris part ; après tout, elle n'avait qu'à se pousser pour lui permettre d'attraper ses fringues).

Une fois qu'il eut couvert un tant soit peu les parties les plus gênantes de son anatomie, il s'approcha plus près d'Adria pour lui lancer d'un ton plus prévenant :

- Ca va mieux ? Tu n'avais pas franchement l'air dans ton assiette tout à l'heure...

En fait, à peine allongée, Adria s'était rendormie, et ce bien malgré elle. Elle fut réveillée à peine quelques secondes plus tard, en sursaut, par la voix de Berg'inyon qui, comme elle s'y attendait, n'appréciait pas les attentions d'Olwë. Elle entreprit de se relever, mais ses vertiges n'avaient toujours pas disparus, loin de là. Enfin, elle pouvait toujours rappeler le loup avant que le drow ne craque.

" Olwë, ici. "

Le loup obéit, retournant crapahuter dans l'herbe, envoyant au passage une pluie de gouttelettes à la jeune fille. Elle réussit à s'asseoir et reprit ses esprits. Au moins, Berg'inyon était bien vivant et en assez bonne forme pour râler tant qu'il pouvait. Et pour une fois, il avait presque une bonne raison.

" Rhaaa... "

Rhaaa quoi ? Déjà qu'elle avait du mal à le suivre en temps normal, son état d'épuisement ne l'aidait pas beaucoup à faire le point. Ce qui lui remit rapidement les idées en place, en revanche, ce fut lorsqu'il sortit de l'eau sans la moindre gène. Si il y a bien une chose pire que de rougir, c'est de se sentir s'empourprer et du coup de virer encore plus au rouge : et c'était exactement ce qui arrivait à Adria. Hum... Comment reprendre à peu près contenance ? Elle détourna les yeux, se rendant compte au passage qu'effectivement, elle était à moitié assise sur les habits du jeune homme. Elle se décala un peu pour qu'il y ait à nouveau accès et se mordit la lèvre en essayant d'oublier ce qu'elle venait de voir.

" Eh ben ? T'as jamais vu d'homme avant ou quoi ? "

Mais... Il se moquait d'elle en plus ? Elle n'était pas encore assez fatiguée pour ne rien répliquer. Elle eut une petite moue suivie d'un sourire en coin et osa le regarder à nouveau, d'autant qu'il venait de récupérer sa cape.

" D'homme qui se balade avec de la bave de loup sur le bout du nez, non, jamais. C'est une grande première que je n'oublierai pas. "

Elle lui fit un grand sourire, resplendissant quoique fatigué. Avec le jour qui se levait, elle retrouvait sa joie de vivre, à n'en pas douter.

" Ça va mieux ? Tu n'avais pas franchement l'air dans ton assiette tout à l'heure... "

Elle hocha la tête lentement - elle évitait encore autant que possible les mouvements brusques - et répondit d'un ton qui se voulait léger :

" Ça va très bien. Hum... Il ne fallait rien exagérer non plus. Bien mieux en tous cas. "

Elle était tellement pâle - si on exceptait cette belle couleur pivoine quelques secondes plus tôt - qu'on aurait pu voir à travers elle et elle peinait à faire trois pas, mais mis à part ça... Hors de question de reconnaitre qu'elle n'était pas en grande forme. Qu'est ce que ça aurait changé, de toutes façons ? On ne soignait pas quelqu'un qui était exténué, on le laissait dormir. Sauf qu'il était hors de question de s'assoupir vu les cauchemars qu'elle faisait. Pas pour le moment, du moins. Non, non, elle allait très bien.

Elle reporta son attention sur le jeune homme en fronçant les sourcils :

" Toi, par contre... "

Elle désigna l'emplâtre fait de boue et de feuilles, visible sous le bandage, en poursuivant d'un air perplexe :

" Qu'est ce que c'est que ce truc ? "

Il était devenu guérisseur expérimenté depuis la dernière fois qu'elle l'avait plus ou moins soigné avec ses feuilles dont elle ne connaissait même pas le nom ? Peut-être que ça marchait "ce truc" mais ça ne ressemblait pas forcément à grand chose. Enfin, visiblement, elle s'inquiétait pour lui. Elle, elle s'en remettrait, ce n'était que de la fatigue, elle ne risquait rien. Lui, ses blessures risquaient de s'infecter. C'est dans des moment comme ceux là qu'elle comprenait pourquoi certains voyageurs emportaient toujours une trousse de soin avec eux. Encore fallait-il savoir s'en servir et ça n'aurait pas été son cas, à priori.

Berg'inyon ne cacha pas sa satisfaction en la voyant devenir aussi rouge qu'une tomate trop mûre. Décidément, c'était trop facile, elle était tellement pudique qu'un rien suffisait à la mettre dans tout ses états. En se disant ça, il eut la nette impression que c'était plutôt son propre sens des valeurs qui était dénaturé par rapport au reste du monde, mais enfin... Bref, elle était plus embarrassée que jamais et se hâta de regarder ailleurs histoire de se donner bonne conscience. Elle avait sur le visage une expression extrêmement confuse, ce qui n'était pas étonnant après le sale tour qu'il venait de lui jouer, mais elle ne devait pas être si choquée que ça puisqu'elle répondit à sa provocation par un sourire, osant à nouveau le dévisager dans les yeux à défaut d'autre part.

" D'homme qui se balade avec de la bave de loup sur le bout du nez, non, jamais. C'est une grande première que je n'oublierai pas. "

Le drow lui lança un regard moqueur et fit mine de prendre une pose vaniteuse, le poing sur les hanches comme un mannequin qui se fait admirer.

- Héhéhé... Ricana-t-il en se passant une main dans les cheveux. J'espère bien que tu n'oublieras cette vision de sitôt. On dirait que tu es redevenue bien plus joyeuse, tout d'un coup !

Avec un haussement d'épaule narcissique, il lui décocha un sourire dédaigneux et désabusé.

- En même temps, que veux-tu... Tout le monde n'a pas la chance de naître avec un corps parfait !

S'il la faisait rire, tant mieux parce que c'était le but. Il avait beau être un drow égoïste et largement centré sur lui-même, cela ne l'empêchait pas de noter sa pâleur, ses traits tirés et la façon vaguement hésitante avec laquelle elle s'appuyait contre le sol. De toute évidence, elle était dans un état de faiblesse extrême et elle serait probablement incapable de se remettre debout. Il avait été un peu inquiet mais, à présent, il était rassuré ; quelque soit sa fatigue, elle avait réussi à passer la nuit. Elle n'était donc plus en danger de mort et son état ne pourrait que s'améliorer.

- Ce truc, ma p'tite demoiselle, c'est un pansement que j'ai brillamment improvisé. Je sais, ça a l'air crade, mais en tout cas je n'ai plus mal (*presque plus*) et la blessure n'a pas l'air de s'aggraver. Je m'y connais pas trop mais il paraît qu'il n'y a rien de mieux que la boue pour empêcher les infections.

Il y eut un moment de flottement et Berg'inyon pencha la tête sur le côté avant de lui faire un léger sourire en coin.

- Ok, je te baratine, reconnut-il. Je viens peut-être d'inventer tout ça, mais admet quand même que si ma blessure s'était infectée elle serait maintenant aussi enflée qu'une baudruche et aussi rouge que toi il y a cinq minutes...

De toute façon, il ne pouvait pas rester avec ça sur l'épaule. C'était bon pour arrêter la douleur mais ça ne suffirait pas pour qu'il guérisse. Et puis il y avait plus urgent : enlever les éclats qui étaient restés dans la plaie...
Berg'inyon s'approcha avec nonchalance de la jeune fille immobilisée et alla s'asseoir à côté d'elle, profitant du fait qu'elle serait probablement trop faible pour éloigner un drow dégoulinant et à moitié nu.

- Hé, sainte-nitouche ! Lança-t-il avec son plus beau sourire. Je vais te donner une occasion de te venger. J'ai examiné un peu cette blessure hier soir et j'ai l'impression qu'il y a encore deux ou trois morceaux de métal qui sont restés à l'intérieur... Je suis pas médecin, alors tu vas devoir te débrouiller toute seule pour me retirer ça de l'épaule. Ca devrait te plaire de me charcuter, pas vrai ?

Il lui fit un clin d'oeil charmeur et s'allongea sur le dos, prêt à être "opéré". Il se rappelait très bien de la dernière fois où elle l'avait soigné, elle s'était montré plutôt bonne infirmière quoique manquant beaucoup de confiance en elle. C'est pour ça qu'il ajouta, dans le but de la rassurer (ou pas) :

- Je t'autorise à me faire mal si nécessaire. Je t'autorise aussi à prendre ton temps au cas où tu ne te sentes pas bien, mais si jamais tu t'évanouis sur moi parce que tu es épuisée je te promets que je te balance dans la flotte, avec ou sans tes habits. Selon mon humeur.

Après ces quelques recommandations des plus sympathiques, il s'appuya sur un coude et lui lança un regard à la fois amusé et légèrement impatient. Comme patient coopératif, on aurait probablement pas pu rêver mieux...

Fatiguée ou pas, Adria se mit à rire de bon cœur aux remarques de Berg'inyion. Elle ne savait jamais trop sur quel pied danser avec lui, mais tant pis, elle avait besoin de ce petit accès de gaieté pour se sentir mieux. Plaisanter lui faisait un bien fou après la nuit qu'ils venaient de passer.

La boue pour empêcher les infections ? D'amusée, elle passa à un air perplexe, jusqu'à ce qu'il reconnaisse qu'effectivement, il en rajoutait dan ses prétendues connaissances. Elle reprit quelques couleurs quand il lui fit remarquer qu'elle avait rougi, couleurs qui ne s'estompèrent pas vu qu'en plus il venait s'asseoir près d'elle. En revanche, ce qu'il lui demanda lui fit perdre tout sourire et ouvrir de grands yeux. Ça devrait lui plaire ? Pour elle, torturer consistait à chatouiller la plante des pieds avec une plume, alors là...

Suite à ses remarques suivantes, elle resta un instant pétrifiée, se demandant si c'était une énorme plaisanterie. Non... Il n'imaginait tout de même pas qu'elle allait y arriver ? elle était capable d'appliquer trois malheureuses feuilles de plante vaguement médicinale, ça s'arrêtait là ! Qu'y connaissait-elle ? Quand à finir dans l'eau, elle s'en moquait pas mal pour le moment, c'était bien le cadet de ses soucis. Sauf qu'en fait, il avait raison : s'il lui restait des éclats dans l'épaule, il faudrait les lui enlever. Elle ne pouvait pas le trainer jusqu'à Alëandir et demander à un médecin de s'occuper de son cas : autant l'achever tout de suite. Non, elle allait devoir se débrouiller. Elle hocha lentement la tête en soupirant.

" D'accord, donne moi deux minutes pour réfléchir. "

Pour ne pas faire n'importe quoi et avoir ce qu'il lui fallait sous la main. Elle avait très rarement l'air sérieux, mais pour le coup, elle adopta un air grave et se mit à rassembler le peu de connaissances médicales qu'elle avait - ce fut vite fait forcément. Il lui fallait du tissu propre pour refaire un bandage et pour laver la blessure. De l'eau, aussi, mais la rivière en procurait bien assez. Donc, les bandages.

" Je reviens. "

Elle se releva aussi doucement qu'elle put pour éviter de s'étaler, puis s'éloigna d'une démarche aussi assurée que possible dans les fourrés. Quand elle revint, quelques minutes plus tard, elle avait plusieurs bandes de tissus propres à la main. En fait, la longue chemise qu'elle avait sous sa robe lui arrivait à présent non plus aux chevilles mais au dessus des genoux. Qu'importe, elle avait ce qu'il lui fallait. Elle trouva au passage de sa fameuse plante, même si l'effet serait dérisoire vu la profondeur de la blessure. Elle prit la gourde de Berg'inyion, la remplit entièrement et alla se laver les mains soigneusement. Puis elle s'agenouilla à ses côtés.

" C'est parti... Olwë ! Couché ! "

Il avait fallu que le loup vienne s'occuper de ce qui ne le regardait pas. Obéissant, il s'installa non loin un instant avant de décider d'aller faire un tour dans les environs. Ce n'était pas plus mal, estima Adria, inutile de l'avoir dans les jambes pendant qu'elle charcutait le jeune homme.

" J'y vais. "

Elle ne pouvait rien faire de plus pour le préparer et se préparer, si ce n'était passer à "l'opération" en elle-même. Elle commença par retirer le pseudo bandage, puis l'emplâtre et découvrit une plaie pas très belle à voir. Heureusement, la vue du sang ne l'avait jamais spécialement dérangée, elle passa outre. A l'aide d'un morceau de tissu humide, elle nettoya la plaie du mieux qu'elle put essayant de repérer les fameux morceaux de métal. un, deux... Peut-être trois un peu plus profondément. Puis elle plongea ses doigts dans la chair pour les récupérer, n'osant pas imaginer ce que Berg'inyon pouvait ressentir en cet instant. Épongeant au fur et à mesure le sang qui s'était remis à couler, elle acheva d'enlever ce qu'elle voyait. Après, s'il y en avait encore plus profondément, elle ne pouvait rien y faire à moins de vouloir le charcuter jusqu'à l'os sans savoir quand s'arrêter.

Puis elle eut une soudaine idée, vu la profondeur de la blessure et, s'essuyant maladroitement - la fatigue commençait à nouveau à se faire ressentir - ses mains couvertes de sang, elle fouilla dans son aumônière pour en sortir un fil et une aiguille. Quelques points de suture ne feraient pas de mal, même si c'était bien la première fois qu'elle reprisait autre chose que des vêtements. De toutes façons, au point ou en était Berg'inyon, il n'aurait pas vraiment plus mal qu'il n'avait déjà. Un, deux, trois points, cela suffirait vu qu'elle ne savait pas vraiment si elle s'y prenait bien et qu'après elle risquait de trembler un peu trop. En tous cas, ça aiderait la blessure à se refermer.

Dès qu'elle en eut terminé, elle plaça un emplâtre de feuilles et un bandage assez épais pour arrêter l'hémorragie. Elle avait les mains pleines de sang mais elle attendrait pour se laver. Pour l'instant, elle avait travaillé du plus vite qu'elle pouvait pour pouvoir replacer le bandage et l'empêcher de perdre trop de sang, elle s'allongea sur le sol en fermant les yeux pour reprendre un peu de force.

" Je crois que c'est bon. Je suis désolée de t'avoir fait souffrir. "

C'était sincère, même si elle avait fait tout son possible pour limiter la douleur, parce qu'il avait forcément souffert, vu les circonstances.

Berg'ynion tressaillit en sentant soudain les doigts de la jeune fille pénétrer dans sa chair. C'était une sensation bien loin d'être agréable car non seulement sa blessure s'était remise à lui faire un mal de chien, mais en plus il se sentait extrêmement mal, un peu comme s'il allait faire un malaise. La douleur s'amplifiait, diminuait, recommençait, et rapidement il ne sut plus trop où donner de la tête, à moitié dans les vapes.

* Hé, ho ! Songea-t-il pour lui-même. T'es un guerrier drow, oui ou non ? Les guerrier drows ne s'évanouissent pas ! *

Il se força à stabiliser son regard, à remettre ses idées au clair bref, luttant mentalement contre une perte de conscience qui menaçait de le submerger à chaque instant. Mais surtout, il ne voulait pas crier. Pas par fierté, bon si, un peu quand même, mais surtout pour elle. C'était assez dur de le voir pâlir comme ça, parce qu'elle devait sans doute se rendre compte qu'il avait du mal à garder contenance. Elle était sûrement terrifiée à l'idée de le faire souffrir et il ne devait pas lui rendre la tâche plus difficile encore. A la place, il serra les dents et essaya de penser à autre chose, sans grand succès.

Finalement, elle retira le troisième morceau de son épaule et il laissa échapper un inaudible soupir de soulagement. Son corps était trempé de sueur comme s'il avait couru un cent mètres et il envisagea un instant de retourner à l'eau. Un coup d'oeil malicieux en direction de la sylvaine l'informa qu'elle aurait bien besoin d'un bain pour se rafraîchir les idées, elle aussi ; elle avait l'air pâle et déterré de celle qu'on vient de tirer de la tombe.

" Je crois que c'est bon. Je suis désolée de t'avoir fait souffrir. "

- Je n'ai rien senti du tout, ne put s'empêcher de lancer le mercenaire par pure bravade masculine. A peine quelques picotements.

Allongée sur le sol, les yeux fermés, elle aurait fait un joli tableau bucolique si elle n'avait pas eu les mains pleines de sang. Berg'inyon roula doucement sur le côté en évitant de prendre appui sur son épaule blessée, se pencha sur elle et lui murmura à l'oreille :

- Tu sais à qui tu me fais penser ? A l'Eventreuse de Daranovar. Tu sais, cette femme à l'allure de spectre et aux mains ensanglantées qui se baladait dans les rues à la tombée de la nuit... C'est exactement ça !

Il rit doucement avant d'ajouter :

- Dis donc, ça n'a jamais fait aussi longtemps qu'on ne s'est pas disputés. Enfin... Que je ne me suis pas fâché contre toi, plutôt. Tu sais que tu commences à me plaire ? J'en arriverai presque à oublier que tu es une insupportable petite rivvil babillarde à la cervelle pleine de courants d'airs !

Un sentiment très particulier commençait à naître au plus profond de lui, un sentiment qu'il ne connaissait que trop bien... Il mourrait d'envie de l'enquiquiner ! Voilà, c'était dit, il avait une folle envie de l'embêter, pas méchamment d'ailleurs, mais juste pour s'amuser. En fait, pour tout dire, il regardait l'eau avec une certaine insistance. Il y avait une elfe blanche à peine capable de faire le moindre geste, un guerrier drow en pleine possession de ses moyens et un joli petit lac qui n'attendait que ça, qu'il la balance à l'eau. Après tout, un bon bain ne lui ferait pas de mal, non ? Ca lui donnerait un coup de fouet, ou en tout cas ça la secouerait à défaut de l'achever...

Il jeta un coup d'oeil vers Olwë qui était revenu et qui tournait autour de l'eau, mourant visiblement d'envie d'y plonger depuis un certain temps. Le loup lui rendit un regard interrogateur.

- Hé, la petite bête, ça te dit ?

Olwë jappa, ce que le mercenaire interpréta comme un "oui" retentissant. Il pencha la tête de côté avec un regard de connivence l'air de dire "Je la déshabille d'abord ou pas ?" avant de se raviser. Pour le coup, c'est sûr, elle le tuerait.

Avec un petit ricanement en son for intérieur, il empoigna soudain la jeune fille et la souleva aussi facilement qu'un fétu de paille. Il était toujours surpris de la trouver si légère bien qu'il ait déjà eu à la transporter la nuit dernière. * Si elle maigrit encore, elle va disparaître. * Se dit-il en se félicitant intérieurement de n'avoir aucun goût pour la salade, cette répugnante chose verte qui vous rendait si fragile et si frêle (Berg'inyon n'avait jamais entendu parler de "constitution légère" et de théories sur la morphologie. Chez les drows, rappelons-le, les carrures les plus fortes ce sont les femmes).

Avant de lui laisser le temps de comprendre ce qui lui arrivait, il entra dans l'eau. Doucement pour ne pas lui faire un choc trop violent, mais quand même assez vite pour qu'elle n'ait pas l'idée de se débattre (tout un raisonnement machiavélique quoi, du drow pur et dur). Une fois arrivé au centre du bassin, il se pencha doucement et l'immergea presque complètement dans l'eau, la tenant toujours solidement au cas où elle serait trop faible pour prendre pieds. Ses longs cheveux blonds flottaient autour d'elle comme une couronne et sa robe ondulait au gré du courant. Il ne la lâcha pas tout de suite, attendant de voir si elle était capable de tenir debout toute seule. Après tout, ça serait bête de la laisser se noyer...

- Ca fait du bien, hein ? Demanda-t-il d'un ton dégoulinant d'innocence et bien trop candide pour être vrai.

" Je n'ai rien senti du tout. A peine quelques picotements. "

La réponse tira à Adria un petit sourire moqueur, malgré la situation : mais oui, bien-sûr. Même qu'il referait l'expérience sans hésiter rien que pour le plaisir ! Enfin, si elle-même disait se sentir "très bien", il pouvait bien s'accorder ce mensonge... Elle était la première à ne pas s'appitoyer sur son sort, même si pour le sombre, il s'agissait aussi sans doute d'une bonne couche de fierté qui l'empêchait de se plaindre. Gardant les yeux fermés, elle sentit le sommeil qui la guettait à nouveau, sauf que, apparemment, Berg'inyon avait l'esprit au bavardage, lui demandant à qui elle lui faisait penser. Qu'est ce qu'il allait bien pouvoir inventer ?

" A l'Eventreuse de Daranovar. Tu sais, cette femme à l'allure de spectre et aux mains ensanglantées qui se baladait dans les rues à la tombée de la nuit... C'est exactement ça ! "

Cette fois, elle ouvrit de grands yeux se demandant s'il était sérieux. C'était quoi, ça ? Un compliment dans le plus pur style drow ? Une éventreuse... qu'il continue comme ça et elle allait se glisser dans la peau du personnage pour lui faire passer ses remarques ! En y pensant, elle eut un rire bref. Une éventreuse... Non mais vraiment ! Quand elle entendit la suite, elle secoua légèrement la tête, rétorquant à mi-voix en souriant :

" Ah oui ? J'aime bien les courants d'airs moi... Et si tu continues comme ça, je finirai peut-être par oublier que tu es un insupportable drow râleur... Méfie toi, tu risques de devenir sympathique si tu continues... "

Elle referma les yeux, trop fatiguée pour vraiment lui donner la réplique. Allongée dans l'herbe, au bord de l'eau, elle se sentait très bien, tellement bien qu'elle n'entendit pas Berg'inyon qui parlait à Olwë, ni l'aboiement de pure trahison du loup () . Le vent dans les feuilles la berçait sans parler de la rivière et cette fois, elle ne pensait même plus aux événements de la nuit passée. Le paradis, quoi... calme et reposant. Aussi, quand elle sentit brusquement qu'on la soulevait, elle émergea d'un demi-sommeil, se demandant ce qu'il se passait et complètement paniquée à l'idée d'avoir été retrouvée par un drow psychopathe - enfin, plus psychopathe que celui qu'elle côtoyait déjà. Effectivement, elle n'eut même pas l'idée de se débattre - quand bien même elle aurait essayé, ça n'aurait sans doute pas été bien concluant - s'exclamant juste :

" Qu'est-ce... ? "

Elle se calma un peu lorsqu'elle vit qu'il s'agissait de Berg'inyon et non pas de drows morts revenus d'outre-tombe pour se venger, cependant, elle comprit vite où il voulait en venir. S'agrippant à lui comme si ça allait l'empêcher de toucher l'eau, elle lâcha un :" Oh-non-non-non-non-non-non-non-non-non-non-non-non... " relativement désespéré... jusqu'à ce qu'elle se retrouve immergée malgré elle et comprenne qu'il était un peu tard pour protester.

" Ça fait du bien, hein ? "

Elle le foudroya du regard, ce qui aurait sans doute été plus convainquant si elle n'avait pas à moitié rit en même temps.

" Je te le dis officiellement : je te déteste Berg'inyon. "

Mais qu'est ce qu'elle avait fait pour mériter ça ? Elle prit pied au fond un peu maladroitement et se contenta de garder une main sur le bras à Berg'inyon - pas le côté blessé, évidemment - pour ne pas risquer de tomber. C'était vrai que l'eau fraiche lui faisait du bien, de là à dire que c'était une si bonne idée... Elle repoussa une mèche de cheveux mouillés qui lui tombait dans les yeux et essaya de refaire le point. Bon, elle aimait bien l'eau, mais aller nager dans l'état où elle était... Au moins il avait eu assez de jugeote pour en pas la balancer directement dans le courant. Hum... Elle se demanda à quel point elle en était passé près.

S'étant à peu près stabilisée, elle le lâcha enfin et s'occupa de vérifier qu'elle n'avait plus de sang sur les mains : après tout, c'était encore le but premier de la baignade, non ? En même temps, elle demanda, l'air faussement vexé :

" Dis donc, je t'ai fait si mal que ça pour mériter un traitement pareil ? "

Puis elle ajouta avec un petit rire :

" En fait, c'est moi qui aurait dû te trainer dans l'eau, tout à l'heure : ça aurait été plus simple pour laver ta blessure. "

Elle eut un frisson, se rendant compte que c'était bien beau de plaisanter dans l'eau glacée, mais que ça ne l'empêchait pas d'être frigorifiée. Elle secoua la tête pour se reprendre quand elle vit des petits points noirs danser devant ses yeux. Pas maintenant...

" Berg'inyon... "

Non, elle n'avait pas envie de reconnaitre qu'elle était épuisée, mais il aurait été stupide s'évanouir dans l'eau à cause d'une bête hypothermie. Elle continua d'une petite voix plus très assurée :

" Tu... m'aides... à sortir, s'il te plait ? "

Ce qu'elle détestait se sentir aussi faible ! Elle qui aimait bouger, courir, bavarder et chanter en continu, en être réduite à demander de l'aide simplement pour aller sur la berge lui tapait sur les nerfs. Sans compter que maintenant, sa robe était trempée, elle allait devoir faire avec... Elle s'était spontanément à nouveau retenue à Berg'inyon, le temps que l'étourdissement passe. Glacée et les idées plus très nettes, elle n'avait qu'une envie, sortir de là. La baignade avait été brève...

Berg'inyon ricana brièvement en la voyant s'accrocher à lui comme un chat qui sens venir le bain. Sitôt mise à l'eau, elle lui jeta un regard foudroyant dont l'effet était quelque peu gâché par le sourire qu'elle ne pouvait s'empêcher d'afficher.

" Je te le dis officiellement : je te déteste Berg'inyon. "

Le drow inclina la tête et lui rendit un sourire ravi.

- Merci, j'ai fait tant d'efforts pour aboutir à ce résultat...

La baignade fut brève. Il la tenait toujours d'une main quand il la sentit soudain vaciller, visiblement au bord de l'évanouissement. Elle frissonnait et, pendant une seconde, il se dit qu'il avait eu tort de la forcer à entrer dans l'eau glacée. Après tout, il avait intérêt à la ménager vu son état...
Ce fut tout de même avec une certaine surprise qu'il l'entendit lui demander d'une voix faible :

" Tu... m'aides... à sortir, s'il te plait ? "

Il hocha la tête et - chose assez inhabituelle - sourit gentiment pour la rassurer. Elle s'appuyait de nouveau contre lui, mais ce n'était franchement pas ce poids plume qui allait le gêner. On ne pouvait pas franchement dire qu'elle prenait de la place, et il la sentait si petite et si fragile qu'il avait l'impression qu'elle pourrait tout bonnement disparaître en fumée. Sans doute était-il mal à l'aise de la voir si fatiguée, elle qui était toujours enjouée et rayonnante. A vrai dire, cela le perturbait pas mal.

- Accroche-toi à mon cou, princesse, je te ramène au camps ! Plaisanta-t-il en reprenant ce vieux surnom qu'il lui avait autrefois donné.

Il la souleva facilement et regagna la terre ferme avant de redescendre vers là où ils avaient laissés leurs affaires. Sa robe était trempée, évidemment, mais il n'était tout de même pas assez cruel pour la laisser dans cet état. Il alluma un feu, ce qui fut plus facile que la veille vu que le bois aux alentours était bien sec, et il l'aida à prendre place à côté avant de lui conseiller d'un ton mi-figue mi-raisin :

- Si j'étais toi, je laisserais mes habits sécher près du feu avant de les remettre. Je vais me rhabiller mais je ne serais pas loin, je te le promets. Je ne peux pas rester trop longtemps dans cette tenue, surtout si on nous attaque à nouveau... Ah ! j'allais oublier...

Sans prendre la peine de la prévenir pour qu'elle ferme les yeux, il défit la cape qui ceignait ses hanches et lui abandonna le tissus avec un clin d'oeil.

- J'imagine que tu seras contente de l'avoir pour te couvrir au cas où quelqu'un d'autre que moi ne passe dans le coin...

Il eut un bref sourire narquois et ne put s'empêcher d'ajouter :

- T'en fais pas, je ne viendrais pas te reluquer... probablement. Une fois que tes habits auront séchés et que tu seras à nouveau présentable, appelle-moi !

Et, s'esquivant avant qu'elle ne puisse lui jeter un regard noir, il disparut entre les arbres et regagna le petit bassin où étaient restés ses vêtements. Bien qu'il ne se sente pas plus gêné que ça de se balader à poil dans une forêt, il préférait quand même se sentir habillé ; pas une question de moralité, parce qu'on ne peut pas dire que les drows étaient champions de la pudeur, mais plutôt une question d'ordre pratique.

- Hé, le loup ! Reste avec moi, j'imagine qu'en tant que mâle toi aussi tu es interdit de séjour là-bas... Tu vois, pour une fois, je ferais l'effort de ne pas aller l'embêter. J'y retournerais bien si je pouvais mais avec la pudeur, on s'avance en terrains glissants et je ne crois pas qu'elle le prendrait sur le ton de l'humour... Enfin bon... J'imagine que c'est moins compliqué chez vous, pas vrai ?

Une fois qu'il fut de nouveau fin prêt, habillé et équipé, il s'allongea dans l'herbe et attendit que la jeune fille ne l'invite à revenir près d'elle.

" Accroche-toi à mon cou, princesse, je te ramène au camp ! "

Adria se remit à sourire, malgré son étourdissement. Au moins, fatiguée ou pas, elle gardait sa bonne humeur, même si à présent elle grelottait. Elle laissa Berg'inyon faire un feu en essorant comme elle pouvait sa robe : peut-être que le jeune homme n'était pas gêné de se balader nu, mais elle, elle n'appréciait pas vraiment de porter une robe blanche qui une fois mouillée virait un peu à la transparence et lui collait à la peau. Bon, comparée à une drow elle n'avait sans doute pas grand chose à cacher, mais ça ne l'aidait pas pour autant à se sentir à l'aise. Et en plus il en rajoutait... Elle l'écouta débiter ses conseils mêlés de plaisanteries avec de grands yeux incrédules, trop fatiguée pour réagir et même trop fatiguée pour se remettre à rougir.

Le regardant disparaitre dans les buissons, elle estima qu'il valait mieux qu'elle se dépêche de faire sécher ses vêtements avant qu'il ne décide de mettre son humour douteux en pratique. Elle se força à se secouer un peu pour se déshabiller, remit la cape sur ses épaules et étala sa robe, sa chemise et ses chausses près du feu, enfin elle enleva ses bottines. Puis elle s'assit aussi près que possible du foyer pour se réchauffer.

Assise, les jambes repliées contre elle, les bras autour et la tête appuyée sur les genoux elle se laissa bercer par le crépitement du feu. Le feu... Ce qui s'était passé avec les drows la laissait horrifiée de ce qu'elle était capable de faire. Enfin, pas elle, sa magie, et elle avait l'impression qu'elle n'avait plus rien à voir avec elle. Dire que ça avait commencé simplement...

La jeune fille ferma les yeux, essayant de savoir où tout ça avait dérapé. Elle se souvenait de son premier essai : faire naître une flamme sur une branche morte en suivant les conseils d'une demi, à peine plus douée qu'elle. Essai en pure perte en ce qui la concernait. Puis elle avait croisé une humaine qui avait tenté de l'aider à faire la même chose, mais de manière différente. Toujours sans succès. Mais elle avait essayé et réessayé, par jeu, avec l'impression d'être de plus en plus proche de la réussite. Elle demandait juste à produire ne serait ce qu'une étincelle. En fait, le déclic avait eu lieu dans les marais, peu de temps après avoir rencontré Berg'inyon et ça s'était produit parce qu'elle avait été prise par surprise. La première fois qu'elle s'était servie de sa magie pour se défendre, c'avait été autre chose, mais en aucune façon elle n'avait eu l'impression d'être aussi détachée de ce qu'elle faisait. Là, ce qui s'était produit en forêt lui faisait froid dans le dos. Elle avait le sentiment de ne plus rien maîtriser et de n'être que le réceptacle d'un pouvoir destructeur. Terrifiant, de son point de vue, surtout qu'elle était bien la dernière à vouloir s'en prendre à qui que ce soit.

En fait, elle ne connaissait rien à la magie. Tout ce qu'elle savait c'était qu'elle la ressentait lorsqu'il y en avait dans l'air et que, parfois, elle parvenait à créer du feu. Pourquoi et comment, elle n'en n'avait pas la moindre idée. Il aurait fallu qu'on lui explique, mais elle avait raté l'occasion d'en discuter avec le seul magicien qu'elle avait jamais rencontré.

Elle sursauta soudain, se rendant compte qu'elle s'était assoupie. D'ailleurs, elle était même allongée, à présent... Combien de temps s'était écoulé depuis que Berg'inyon était parti ? Elle se rassit, vérifia que ses vêtements étaient secs et entreprit de se rhabiller rapidement. Elle se sentait bien mieux, après ce petit somme, même si ce n'était pas la grande forme.

" C'est bon, tu peux revenir, Berg'inyon ! Olwë ! "

Elle espérait qu'au moins, ça ne ne faisait pas des heures et des heures qu'elle dormait tranquillement. Jetant un coup d'œil au soleil elle estima que ça ne devait pas faire tant de temps que ça. En fait, elle allait même suffisamment mieux pour avoir un petit creux. Parcourant les environs du regard, elle avisa une plante sauvage qui pouvait bien faire office de petite salade et décida de commencer à en ramasser un peu. En évitant de se baisser et se relever trop souvent, évidemment, à moins de ne vouloir redéclencher ses vertiges qui avaient à peu près disparus. Enfin, pour le moment, elle se sentait plutôt de bonne humeur, quoique pas vraiment disposée à crapahuter. En revanche, signe indéniable qu'elle allait mieux, elle se remit à chantonner en grignotant. Un air plutôt joyeux à la mélodie compliquée, bref, une chanson comme elle les aimait.

Elle avait à peine commencé à manger que le loup déboula comme un fou, content qu'elle l'appelle. Il avait passé la majeure partie de son temps à essayer d'enquiquiner Berg'inyon en gambadant allègrement autour de lui. Bah oui : s'allonger en pleine journée, ça veut dire qu'on est soit malade, soit prêt pour une séance de léchouilles grattouillis ! Le drow n'avait pas l'air de se sentir mal alors Olwë avait conclu à la seconde option. Que ça plaise ou non au jeune homme ne rentrait pas vraiment en ligne de compte pour le loup qui avait quand même été élevé exclusivement par Adria et partageait donc son sens de la bonne humeur excessif.

En tous cas, Olwë avait l'air content qu'elle aille mieux, parce qu'il se jeta littéralement sur elle, la faisant rouler dans l'herbe en riant. Elle finit par le repousser, quand elle estima qu'elle n'avait pas vraiment besoin d'être débarbouillée. Au même moment, elle se demanda, le connaissant bien, ce qu'il avait bien pu faire subir à Berg'inyon en son absence.


[hrp : dis donc je m'y perds dans les capes, je sais plus qui a quoi là. Oo ]

[pour les capes, on va dire qu'on a chacun récupéré la nôtre^^]

Berg'inyon sursauta en entendant soudain la voix d'Adria. Plongé dans ses pensées, il n'avait pas vu passer le temps et il se serait probablement assoupi si il n'avait pas dû régulièrement repousser les assauts vigoureux de la carpette-à-pattes qui semblait l'avoir élu comme léchoir favori. Avec un grognement, il se leva et entreprit de reprendre la route en sens inverse, vers le campement cette fois.

Quand il arriva à sa hauteur, se fut pour la voir couchée dans l'herbe avec le loup, en pleine séance de jeu. Alors qu'elle repoussait finalement son encombrant compagnon, il se planta devant elle pour lâcher un sifflement réprobateur.

- Tsss... Franchement... Je suis mercenaire, pas gardien d'enfant ! Vous vous croyez au cirque ?

Autrefois, ce genre de réflexion aurait été accompagnée d'un regard irrité et un tantinet méprisant. Cependant, à sa grande surprise, il se surprenait à lui parler de plus en plus gentiment, et son ton était plus souvent celui de l'humour que celui de la colère. Très mauvaise chose, il commençait à perdre la main...

Puis son regard se fit plus grave et il promena un regard vaguement inquiet sur la petite clairière.

- Bon, loin de moi l'idée de vous ennuyer les enfants, mais il va nous falloir quitter ce joli petit coin en vitesse. Mes estimés cousins ont bien dû se rendre compte du léger trou que nous avons laissé dans leurs effectifs et il est très probable qu'ils se soient d'ores et déjà mis à notre recherche. On a pas intérêt à rester moisir ici plus longtemps, à moins que vous ne préfériez jouer à un autre genre de jeu...

Entre un blessé et une sylvaine au bord de l'inconscience (quoique elle avait l'air d'aller mieux, même si il doutait qu'elle soit en état de courir tout l'après-midi à un rythme soutenu), on ne pouvait pas franchement dire que la partie était égale... Se cacher était hors de question, Berg'inyon connaissant assez bien les guerriers drows pour savoir qu'ils disposaient de techniques de pistage infaillibles, et la fuite était exclue sur une trop longue distance. Il leur fallait un endroit où se reposer, quelque part où ils pourraient se mêler à la foule et où un drow accompagné d'une elfe blanche ne seraient pas trop aisément repérables...

Il avait décidé.

- Allez la belle, on se magne ! On a déjà assez trainé ici et il faut qu'au coucher du soleil, cet endroit ait totalement oublié notre existence. A partir de maintenant, et jusqu'à ce qu'on soit en lieu sûr, on trace !

Sans lui laisser le temps de se lever, il l'empoigna à bras-le-corps et la souleva de terre. La solution la plus pratique restait de la porter, autrement elle ne pourrait que les ralentir. Appuyant la tête de la jeune fille contre son épaule (celle qui n'était pas blessé, tant qu'à faire), il l'installa à peu près confortablement et il se mit à courir, le loup sur ses talons, espérant qu'elle n'ait pas tout de suite la mauvaise idée de lui demander où il comptait l'emmener comme ça.

A coup sûr, la réponse n'allait pas lui plaire...

Au cirque ? Adria lui fit un grand sourire ravi pour toute réponse, repoussant une dernière fois Olwë qui retourna fureter aux environs en gambadant. Elle termina de grignoter une feuille de salade avant de reprendre un air plus grave lorsque Berg'inyon annonça qu'ils allaient devoir repartir. Elle avait beau être une spécialiste de l'optimiste, les événements de la nuit passée lui revinrent en mémoire rapidement et elle ne put que hocher la tête avec de grands yeux effrayés.

" D'accord, d'accord, j'ai compris. "

Elle se releva, entreprit de faire quelques pas et se rendit compte avec un peu d'inquiétude qu'elle n'était toujours pas très vaillante. Elle finit d'ailleurs par s'adosser à un arbre, puis opta pour se rasseoir le temps que le drow se décide. Elle n'irait pas bien loin avec de tels vertiges. La magie avait été bien gourmande en énergie et Adria commençait à se demander quand elle pourrait à nouveau se sentir en pleine forme : elle n'avait jamais été très patiente. Mais s'ils ne pouvaient pas attendre, alors...

" Comment on... "

Elle n'eut pas le temps de terminer sa phrase, le jeune homme lui imposa la réponse à sa question et la releva rapidement dans l'idée de la porter. Surprise, Adria n'eut tout d'abord pas le réflexe de dire quoi que ce soit - comme quoi tout arrive - et le paysage se mit à défiler. En fait, elle devait reconnaitre que pour elle, ce n'était pas plus mal ainsi, même si...

" Tu n'as pas mal au bras ? "

Non, à la réflexion, ce n'était surement pas son poids plume qui allait le gêner et d'ailleurs il ne la portait pas du côté où il avait été blessé. Finalement, si l'un des deux était mal à l'aise, c'était peut-être plutôt elle qui se retrouvait dans les bras du jeune homme : elle n'était pas habituée à être aussi proche de qui que ce soit, même si à vrai dire ce n'était pas pour lui déplaire... elle préféra ne plus y penser et revint à des préoccupations plus urgentes.

" Tu nous emmènes où ? "

Ici, elle était totalement perdue. Ils étaient surement encore dans Aduram, elle aurait reconnu la forêt d'Anaëh, mais où précisément, elle n'en n'avait pas la moindre idée. Quand à savoir la direction qu'ils prenaient elle était bien trop épuisée pour tenter de se repérer par rapport au soleil qui en plus perçait à peine à travers la frondaison. De son côté, elle ne voyait pas de lieu particulièrement sûr qui leur permettre d'être en sécurité l'un comme l'autre car après tout, ils faisaient tout de même un drôle de duo. Bizarrement, elle avait l'impression que le drow n'avait pas du tout envie de répondre à sa question... ce qui fit qu'elle eut d'autant plus envie de connaitre la réponse.

" Tu connais un lieu sûr ? "

Elle ne demandait pas qu'il lui parle durant tout le trajet, mais nul doute qu'elle le harcellerait jusqu'à ce qu'il ait donné un semblant de réponse. Enfin, peut-être pas, car elle tombait littéralement de fatigue. Soit il répondait assez rapidement, soit elle saurait ce qu'il en était à son réveil. Sa tête dodelinant peu à peu, blottie contre Berg'inyon, elle finit par s'assoupir sans s'en rendre compte.