Hauts le coeur (PV Lomah)

Hadjirah avait quitté le chateau presque immédiatement après l'altercation entre Lomah et Soren.
Elle étouffait littéralement, ne supportant plus ni les pierres, ni les habitants posés dessus pour les décorer. Elle n'était pas parvenue à replaquer son masque imperturbable sur ses traits défaits, et s'était donc éclipsée. Aussi assassinée soit elle, il n'était pas question de laisser son image voler en éclat aux yeux de tous. Parceque Lomah avait besoin d'elle sans faiblesse, même si elle en était à l'origine.

La secrétaire n'avait pas prévenu de son départ, et s'était empressée de rejoindre un quartier de Diantra qu'elle ne connaissait que trop bien. Un flot de questions se pressaient dans son esprit. Leur vague se brisa sur l'inflexibilité absolue de Selma. Aller voir sa mère ne lui avait servi à rien, ni apporté aucune réponse, mais dans la moiteur tiède d'une pièce privée, Hadjirah avait pu se laisser aller au moins un instant. Sa stupeur s'était transformée en colère, elle avait pu crier son incompréhention, vomir sa rancoeur.

Comme toujours, Selma avait reçu, imperturbable, les doutes de son insupportable progéniture. Et l'avait peu à peu apaisée, laissant ses questions sans réponse, mais la laissant s'épuiser suffisemment longtemps pour la ramener au calme. Le talent de la matriarche Lahidi était toujours remarquable.

Hadjirah avait fini par rentrer au chateau, en fin de journée, se trainant jusqu'à la suite allouée à la baronne de Fénice le temps de son séjour. Elle donna ordre de ne la déranger sous aucun prétexte, et rejoignit la pièce qui lui avait été alouée, lui servant de chambre et de bureau à la fois, faisant tourner une clef dans la serrure derrière elle.

Elle aurait pu chercher Lomah, mais son esprit restait désespérément vide lorsqu'elle tentait de formuler en pensée ce qu'elle aurait pu lui dire. Au fond d'elle, elle comprenait la colère à peine dissimulée de sa baronne. Mais elle ne pouvait l'accepter. Elle ne parvenait pas à admettre les coups invisibles qu'elle avait reçus sans pitié.

Jamais elle n'avait pu ressentir de sentiment d'injustice aussi profond. Car jamais elle n'avait regretté une seule seconde d'avoir dédié sa vie entière à la baronne, sans limite, sans garde fou, elle s'était aveuglément précipitée à sa suite dans une fidélité absolue.

Et aujourd'hui, elle payait un écart ancien de dix ans, qu'elle avait eu l'outrecuidance de ne pas considérer comme une bagatelle à chasser d'un geste de la main avant de repartir dans le sillon de Lomah.

Hadjirah expérimentait simplement une nouvelle sorte de blessure, infligée par ceux que l'on aime à l'instant où l'on aurait voulu leur soutient. S'étant toujours coupé du monde, et n'ayant réservé ses sentiments enfouis qu'à une femme et une enfant, elle n'était pas censée vivre cela. Grossière erreur que de se sentir à l'abris dans son foyer. Elle s'était retrouvée au bord d'un gouffre innatendu.

Et si les choses empiraient ? Que perdrait elle ? Elle n'avait pas courbé l'échine au point d'arriver face contre terre. Etait ce le prix qu'elle aurait du payer pour garder sa place auprès d'une Lomah chaque jour plus exigeante ? Auprès de Karin ?
Le cerveau d'Hadjirah semblait s'engourdir volontairement pour réfréner ces pensées. Pour lui éviter de se briser un peu plus.

Elle laissa la journée et la nuit s'écouler, dans un état second, enchaînant sommeil profond et apathie éveillée.


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Le lendemain matin, sortant avec difficulté d'un sommeil tout sauf réparateur, Hadjirah se raccrocha à la seule chose qui se présenta à elle.
La force des habitudes.


Elle effectua des gestes matinaux devenus avec le temps un rituel. Une fois habillée et préparée, elle partit intercepter le plateau que Varsovie allait chaque matin chercher aux cuisines, pour se retrouver devant la chambre de la baronne.

Elle entra, conduite par le fil ténu de gestes si souvent répétés. Elle posa le plateau de petit déjeuner sur une comode non loin du lit, laissant ses effluves appétissantes envahir lentement la pièce, et si dirigea vers la fenêtre.

Ses gestes habituellement secs étaient ce matin machinaux au point de lui donner des airs de fantomes éthérés. Son visage généralementp offusqué de trouver encore la baronne au lit à cet heure n'affichant qu'un néant complet, absence d'expression surprenante même pour elle. Et as un mot de remontrance ne franchit ses lèvres.

Elle se retrouva face à la fenêtre sans avoir réalisé qu'elle avait franchit la distance qui l'en séparait, et ouvrit les rideaux d'un geste lent, contrastant avec son habitude de presque les arracher.

Le soleil innonda la pièce avec timidité, il n'avait pas vraiment envie d'entrer là.

Hadjirah se retourna avec mesure. Chaque matin, elle se préparait à fulminer en découvrant Lomah en charmante compagnie plus ou moins nombreuse. Cela arrivait souvent.
Mais même cette appréhension n'était pas là ce matin. Elle laissa glisser son regard vers le lit de la baronne sans vraiment le regarder, alors que ses pas la ramenaient déjà vers la porte.

Sa fidélité portait son corps sans faillir, mais ce qui s'était brisé la veille n'avait pas été réparé.

Lomah n'était pas dans son lit. L'information se glissa lentement jusqu'au cerveau d'Hadjirah, sans parvenir à lui confirmer qu'elle était réelle, tant elle n'avait fait qu'effleurer le lit du regard.
Et le temps que l'idée fasse son chemin, le son d'une lame fine vibrant dans l'air attira mollement son attention. Un éclat métallique.. Une main à son extrémité... Une femme au bout de la main.

- Où crois-tu aller comme ça ?

Une Lomah en lieu et place de la femme, visiblement. Hadjirah l'observa avec une sorte de curiosité étonnée, mais éteinte, à la façon d'un chat levant l'oeil de sa sieste pour surveiller sa propre queue, avant de se rendormir.

Les yeux éteinds glissèrent avec lenteur jusqu'au divan...

- ...Sers-moi mon thé.

...Puis jusqu'à la théière trônant encore sur le plateau, fumant pour quémander désespérément un peu d'attention à la secrétaire qui l'ignorait de façon improbable.

Mesurée, Hadjirah se dirigea vers l'objet pour assouvir son désir. Attraper. Soulever. Laisser couler l'eau parfumée. Lever un peu plus la théière dans le geste appris de sa mère. Le glougloutement de l'eau dans la tasse. Reposer. Prendre la tasse, l'amener à Lomah, la déposer à son côté.

Et se laisser glisser en arrière pour s'assoir sur le divan. Machinerie huilée semblant réagir au ralenti, mais réagir malgré tout.

Son regard accrocha de nouveau l'extrémité de la rapière, dont la brillance suscitait pour elle un attrait obsetionnel. Elle n'avait pourtant cure des armes en général.

Elle semblait s'être figée dans la pièce sans en être elle même consciente, dans l'attente de nouvelles directives.

Elle était sans doute à cet instant la plus parfaite assistante dont aurait pu rêver n'importe qui.

Lomah la regarda faire.

Elle éplucha chacun de ses mouvements, chacune de ses respirations, chacun de ses silences.

Celle qu'elle vit ne lui plut pas. Une foule de sentiments confus explosa dans sa poitrine avec un fracas retentissant. Mais comme toujours, elle n'en laissa rien paraitre. Du moins le crut-elle car ses yeux vibraient pour elle comme deux fenêtres ouverte sur son âme.

La première manifestation de colère se matérialisa soudain. Brusque.Violent.

D'un revers de bras,elle balaya la table devant elle , renversant la théière, les tasse et leur précieux contenu sur la robe d'Hadjirah et les précieux tapis elfique de leur appartement.

- Çà te brûle ? Tu as mal ? Fit-elle d'une voix rauque.

Mais alors qu'Hadjirah garder le silence, s'abaissant comme un automate pour ramasser les débris de porcelaine, Lomah pointa le tranchant de sa rapière sur la joue de la secrétaire. La lame pénétra délicatement la chair avec les égard d'un amant délicat laissant s'échapper un filet de sang.

- Et là... Que ressens-tu ? Toujours rien ? RÉPONDS!!

Elle s'était levée, laissant éclater une rage profonde, prenant racine dans quelque chose de bien plus profond qu'elle ne l'aurait cru, et ce avec une avidité terrifiante.

-RÉPONDS Où JE TE ROSSE A MORT JUSQU'À CE QUE TU DESSERS LES DENTS POUR ME SUPPLIER !!!

Hadjirah garda le silence, serrant les dents sous la chaleur de l'eau brûlante, et se baissant sans sourciller pour tenter de sauver le tapis.

Bien sûr, que c'était brûlant. Bien sûr, que c'était douloureux. Mais pas assez pour balayer cette autre douleur qui menaçait de la ravager. Qui la forçait à se murer à l'intérieur d'elle même pour tenir debout.

Froid du métal contre sa joue, venant martyriser sa chair, laissant couler un liquide tiède contre sa joue. A défaut de larmes, c'était peut être un substitut.

Bien sûr, qu'elle ressentait quelque chose. Mais pas assez.

Alors que Lomah se levait, superbe et terrifiante dans son accès de colère, Hadjirah ne se redressa pas, restant à genoux au sol, les mains au dessus des débris de porcelaine.

Elle leva son regard glacé et vide vers sa baronne. La scène aurait pu avoir quelque chose d'une représentation divine, si elle n'était pas à ce point nimbée d'une aura malsaine.

Hadjirah leva une main, pour venir saisir la lame de la rapière, maltraitant sa paume sans sourciller. Mendiant encore un peu de cette douleur qui essayait sans succès de tirer son esprit vers la surface. Elle écarta la lame avec une lenteur mesurée :
"Les silences sont pourtant éloquants, dans ma famille..."

Depuis quand la voix d'Hadjirah était elle aussi vide de sens ? Froide, oui, toujours. Mais où était partie la rage vibrante et contenue discernable dans ses mots pour ceux qui la connaissaient bien ? Envolée.

Bien sûr, elle était allée voir Selma. Bien sûr, Selma s'était tue face à son envolée de question. Mais le silence qu'elle avait offert comme seule réponse à sa fille avait suffit à ouvrir les yeux d'Hadjirah. Et les lui brûler.

Elle se releva, laissant le sang de sa joue venir glisser le long de sa gorge, souillant le décolleté de sa robe déjà malmenée. Elle regardait toujours Lomah:
"Tu veux que je te supplie ? Vraiment ?"

Dans l'esprit tortueux de la pragmatique secrétaire, les choses s'étaient brusquement éclairées. Elle avait entrevu ce que Lomah avait tissé en silence, patiemment, autour d'elle.
Parceque la foi de la dame de Fenice envers son âme damnée n'avait pas suffit à la rassurer. Parceque le simple refus de divulguer un prénom avait ébranlé sa confiance.

Hadjirah essuya le revers de sa paume contre un autre pan de robe, comme elle l'aurait fait pour un peu d'eau ou de neige fondue :

"Alors il va falloir frapper plus fort, baronne. Si tu crains que je n'échappe à ta toile, brise moi les jambes."

Hadjirah fit un pas vers Lomah, pour se rapprocher d'elle, sans cesser de se plonger dans le regard vibrant de sa baronne. Si elle avait été condamnée à la potence, elle aurait sans doute eu fière allure en montant les marches d'un échaffaud.